1Il faut s’intéresser au pouvoir local et particulièrement au rôle qu’y jouait la bourgeoisie marchande – véritable élite économique, âme et moteur du capitalisme guingampais1 – et observer ses relations avec le pouvoir royal.

2Deux administrations, l’une municipale et l’autre ducale (et royale) coexistaient à Guingamp.

La communauté de ville

3Donnant lieu à la tenue régulière d’assemblées et à l’élection périodique d’un « syndic » et d’autres responsables, elle symbolisait l’administration municipale.

Ses composantes

4L’assise sociale de la communauté de ville était presque exclusivement bourgeoise. On parle d’ailleurs du « general de messieurs les nobles bourgeois et habitans de ceste ville de Guingamp ». On retrouve souvent les mêmes noms de familles : de 1604 à 1755 par exemple, 47 familles se partagent la charge de maire dont les de Rocquancourt, Fougeré, de la Grève, Le Goff, Bobony, Landois, Moisan et Allain à plusieurs reprises. Même observation au sujet de la nomination des gouverneurs administrateurs des biens et revenus de l’Hôtel-Dieu et de l’église Notre-Dame : pour la même période (1604-1755), ce sont toujours plus ou moins les mêmes familles attachées à l’une et l’autre de ces fonctions : les de Rocquancourt, Even, Chaillou, Bobony, de la Grève, Varin et Le Gaudu à la charge d’administrateur de l’église Notre-Dame, les Binet, de la Grève, de Rocquancourt, Bobony et Varin à celle d’administrateur de l’Hôtel-Dieu. Certaines familles bourgeoises se firent une spécialité de ces charges administratives, comme si elles avaient soif de reconnaissance sociale. Car ces fonctions conféraient un supplément de prestige, prouvant que celui qui en était pourvu était apprécié et avait la confiance de ses concitoyens. N’importe qui ne pouvait prétendre à ces hautes distinctions. Le maire – le « general » avait « coustume s’asembler » le mercredi des Cendres pour en « faire eslection et nomination » – devait posséder des qualités de gestionnaire et inspirer confiance aux membres de l’assemblée. Élu « pour gérer et negotier les affaires de ladicte ville », il devait au terme de son « mandat » – annuel jusqu’au 30 octobre 16702 – rendre compte de sa gestion qui était passée au crible par des auditeurs (des comptes) choisis parmi les membres de la communauté. Le prétendant au titre de maire ne devait donc pas seulement être « issu d’une des plus considerables familles bourgeoises de la ville », même si en 1687 le procureur d’office Claude Le Gac choisit le sieur de Kergré Claude Bobony (avocat à la cour) comme nouveau « sindicq » parce qu’il appartenait à une grande famille de la bourgeoisie guingampaise et que ses « ancestres [avaient] l’honneur d’avoir este juges de Guingamp et d’avoir passé il y [avait] plusieurs siècles dans les charges de ville » : il devait aussi être un homme capable et se montrer digne de la confiance dont ses concitoyens l’avaient investi.

5Les chances de retrouver les mêmes familles à la tête de l’administration municipale étaient d’autant plus grandes que Guingamp était une petite cité et que les bourgeois se mariaient de préférence entre eux. Citons dans la première moitié du xvii^e siècle le mariage de Pierre Bobony avec la fille aînée de Jacques Fougeré, l’union de Nicolas Landois avec Marie Fougeré, de François Allain avec Marie de la Grève, de Gilles de la Grève avec Françoise Moisan, ou de Jean de la Grève avec Jacquette Fallegan. Cette endogamie sociale et géographique contribuait au faible renouvellement du personnel politique local.

6La bourgeoisie n’était pas un ensemble homogène, il y avait des marchands et des officiers de justice ; une bourgeoisie marchande et une bourgeoisie de robe. De grandes familles bourgeoises telles que les de la Grêve et les Bobony comptaient dans leurs rangs des marchands et des officiers de justice. Mais il est difficile d’établir la proportion exacte des uns et des autres dans la communauté faute de connaître l’activité professionnelle de tous ses membres.

7La mainmise de la bourgeoisie sur la communauté ne doit pas faire oublier que « messieurs de la noblesse demeurantz en ville et faubourg » de Guingamp y avaient voix délibérative. S’ils ne pouvaient exercer aucune fonction, ils avaient droit en revanche de participer à la nomination du maire et des gouverneurs-administrateurs. Le 19 février 1676, ils étaient douze à se prononcer sur le choix d’un gouverneur pour l’église Notre-Dame : « Charles D’Acigné chevallier seigneur de Carnabat », « Julien de Cleuz seigneur du Gage », « Jan Botrel seigneur de la Chesnaye », « François Pinart chevallier seigneur de Cadoallan », « Yves du Liscoet chevallier seigneur de Coatmen », « René de Lanloup chevallier seigneur de Kercabin », « Rolland Loz chevallier seigneur baron de Beaulieu » et « Sebastien de Begaignon chevallier seigneur du Rumen », René Gigeou seigneur de Kermen, Claude Poences sieur de Kerleau, Pierre Le Pennec sieur de Kergoff et Pierre de Ploesquellec sieur de Kerpunz. Ce droit leur fut parfois contesté, certains étant accusés de ne pas être vraiment ni depuis assez longtemps domiciliés dans la cité. Le 12 février 1687, le bailli et prévôt guingampais Laurent Bodin propose que « la nomination du sindicq [soit] différée et renvoyée jusques a ce que les altercations d’entre les srs gentilshommes [soient] reiglees » : le gentilhomme Jan Le Chaponnier sieur de Kerohan accuse Pierre de Keroignant sieur de Trezel, pourtant « propriettaire d’une maison en ville garnye et meublee3 », de ne faire que des allers et retours à Guingamp pour les besoins de ses affaires. De son côté, Claude de Begaignon sieur de Sullé estime que Jan Bernard sieur de Kerhorre ne peut prétendre avoir voix délibérative, « n’[étant] que pentionnaire tantost en ville tantost a la campagne », ce que réfute le sieur de Kerhorre qui affirme être domicilié à Guingamp « depuis longues annees » déjà. Incapable de trancher, le procureur d’office rappela « que sy on appelloit dans cette assemblée touts les gentishommes qui [avaient] des maisons en proprietté et des affaires dans la jurisdiction ce seroit contrevenir a l’arrest de la cour et jetter beaucoup de confusion dans l’assemblee ». Il supplia donc « mrs les gentilshommes de voulloir bien se faire justice et d’obeir audict arrest ».

8Le nombre des membres de la communauté fut assez fluctuant : regroupant 41 personnes en 1498, elle en dénombrait 31 le 8 février 1559, 39 en 1604, 45 en 1606 et 54 en 1608. Cela confirme le caractère élitiste de cet organe de pouvoir qui ne compta sans doute jamais plus d’une soixantaine de membres. Seuls les « premiers et principaux habitantz de ceste ville » de Guingamp pouvaient prétendre y entrer. La communauté tenait cependant ses droits de son suzerain, le duc de Penthièvre, qui lui avait accordé plusieurs prérogatives : la possession d’un petit fief (avec étang, moulin, four, quelques maisons et courtils) qui donnait basse et moyenne justice et faisait ainsi des bourgeois des seigneurs – à titre collectif, d’où leur qualification de « messieurs les nobles bourgeois » de la communauté. Ils pouvaient donc exercer des fonctions judiciaires dans le cadre d’une cour (de justice) avec juge, sergent et auditoire.

9Les bourgeois de la communauté n’étaient pas sans se quereller, les conflits d’intérêts et de personnes se révélant même plutôt courants. Des clans se formaient, chacun désirant imposer ses vues ou son favori. Des inimitiés naissaient, notamment à l’occasion d’une élection ou à l’issue de la vente d’un office, lorsque des personnes convoitaient la même charge et les mêmes honneurs.

Des conflits internes

10Les exemples de « prises de bec » entre membres de la communauté de ville ne furent pas rares : le 12 mai 1605, Pierre Mahé procureur maire de la ville, s’oppose à Michel Even qui demande « que l’on [nomme] un aultre procureur que ledict Mahe attandu l’animosite qu’il luy [porte] pour l’avoir faict […] condamné ». Le 15 septembre 1682, une dispute éclate entre Claude Le Gac et messire Le Bricquer à l’occasion de l’élection du gouverneur des biens et revenus de l’église Notre-Dame : le second proteste de se « pourvoir de l’insulte et de l’insolence » faite à son égard par « Claude Le Gac pr d’office dans l’assemblée ». Le ton avait tendance à monter facilement au cours de ces réunions, les discussions animées pouvaient très vite dégénérer. Le 4 mars 1689, le sieur de Crechfantan Bobony l’un des recteurs de la paroisse Notre-Dame, s’emporte « en quelques termes hors de bienseance contre le sieur Le Briquir l’ancien des recteurs de la même parroisse » qu’il traite « de fripon », ce qui oblige à faire « cesser et rompre l’assemblée crainte d’un plus grand accident et scandalle ». Bobony ne se limita pas à ce seul esclandre. Il fit plusieurs fois parler de lui, et pas toujours en des termes flatteurs. En juillet 1710 Jan Nicolas, sieur de Keraves, recteur de Guingamp, accuse « la famille et très proches parents dudit sieur de Crechfantan Bobony » de le persécuter et de le menacer4. La jalousie était souvent à l’origine de ces querelles, quand ce n’était pas l’exaspération de voir toujours le même homme occuper la charge de maire et en accumuler d’autres. Certains le ressentirent comme un abus de pouvoir et y virent un réel danger. En mars 1784, les sieurs Alexandre (ancien maire) et Festou de la Villeblanche (procureur du roi), agissant en qualité de commissaires de la communauté, affirmaient que monsieur Le Mat « a force d’intrigues et de sollicitations [s’était] fait continuer maire de Guingamp depuis 14 ans5 » et qu’au cours de cette période il était successivement devenu correspondant des États de Bretagne et « subdélégué de Monseigneur l’intendant ». Cette « réunion de pouvoirs […] incompatibles dans la même personne » devenait « une source d’abus et de dangers6 ». Il fallait donc « élire un autre maire ».

11Ces querelles ne prêtèrent jamais à conséquence mais d’autres en revanche prirent davantage d’ampleur, divisant les membres de la communauté en deux clans distincts. Ce fut le cas au début de l’année 1687, lors de l’élection du maire. Le sénéchal était navré de voir « l’esprit des habittantz dans une extreme brouillerie par des intrigues et des caballes contraires au bien publicq et au service du Roy » : les uns voulaient établir « un sindicq qui [aux yeux du sénéchal] n’[avait] pas meritté cette place en passant par les charges onereuses de la ville, particullierement l’administration de l’Hostel Dieu » ; les autres étaient favorables à la nomination d’un homme « qui [avait] remply touttes les places […] preparatoires au sindic et a l’entrée de la charge de ville7 ». Chacun ayant envie de voir son « candidat » porté à la tête de l’administration municipale, certains s’employèrent à mettre tous les atouts de leur côté. C’est ainsi que des « meneurs » de l’une des parties réussirent à obtenir un arrêt de la cour du parlement de Bretagne ordonnant que le sieur de Rosmanach Bobony (chapelain de l’hôpital de Guingamp) et six marchands de la cité « entreroint et auroint voye delliberative en la communauté », cela « affin de grossir par leurs voyes le nombre des suffrages pour le party » qu’ils soutenaient. Cette attitude indigna le sénéchal qui demanda au Parlement le retrait de l’arrêt. Parce que sa charge lui attribuait le maintien de l’ordre dans sa ville et la préservation de la bonne entente entre ses concitoyens, il avait dû prendre position pour éviter l’escalade. L’entrée en scène du sénéchal fut bénéfique car peu après l’harmonie (même relative) régnait de nouveau au sein de la communauté.

12L’élection en mars 1702 d’un administrateur gouverneur des biens et revenus de l’église Notre-Dame fut aussi agitée. Le sieur de Kermebel Cyprien Bertherand ne désirant pas être reconduit dans cette fonction qu’il occupait depuis le 24 février 1700, il fallait lui trouver un successeur. Le sieur de Kersimon Philippes recueillit onze voix, tandis que son adversaire direct, le sieur de Kermeur Desjaulnay fils, en obtint dix. Pourtant, l’alloué « qui presidoit a l’assemblé » nomma le second à la tête de l’administration de l’église Notre-Dame. La contestation ne se fit pas attendre d’autant que Desjaulnay n’avait « jamais esté en charges publiques comme administrateur de l’hospital ou on observoit autrefois de faire passer ceux qu’on faisoit administrateurs des biens de l’eglise avant que de les nommer », contrairement à Philippes : « ancien procureur de Guingamp connu de tout le monde […] pour un des plus honnests hommes de la ville », il avait « esté continué pendant trois ans administrateur de l’hospital8 ».

13Les rivalités entre bourgeois éclatèrent aussi à l’occasion de la vente d’un office comme celui de « seneschal et premier magistrat civil et criminel de la juridiction ducalle de Guingamp pairie de France » en juillet 1668. La charge fut adjugée pour la somme de 37 000 livres à maître Morron, conseiller au parlement de Bretagne, qui agissait pour Bertrand Le Brun sieur de Kerleino. Un autre Guingampais désirait devenir sénéchal : il s’agit de l’alloué Laurent Moisan sieur de Kerbino qui, à l’issue de l’adjudication, entra en conflit avec le sieur de Kerleino. Aussi, lorsque Le Brun fit officiellement son entrée comme sénéchal à Guingamp le 27 avril 1669, et que son père Jacques Le Brun sieur de Kerprat offrit un dîner « a toute la justice, a la communauté et a plusieurs gentilshommes », Laurent Moisan n’assista ni à l’une ni à l’autre « veu qu’il [n’était] pas des amis dudit sieur de Kerleino quy [n’était] seneschal qu’en depit dudit sieur alloué ».

14L’ambiance au sein de la communauté de ville était donc conflictuelle. Les membres d’une même famille avaient tendance à se regrouper mais la plupart des bourgeois étant parents à des degrés divers, le choix d’un camp put parfois poser à certains un véritable cas de conscience.

15La communauté de ville n’était pas seulement une administration municipale contrôlée par la bourgeoisie et minée de l’intérieur par des conflits de personnes et d’intérêts. Elle était aussi un organe de pouvoir auquel incombaient des charges souvent pesantes.

Des charges se révélant pesantes

16En plus du logement et de la nourriture des gens de guerre, l’essentiel des charges de la communauté résidait dans l’entretien des ponts, portes, pavés, murailles et édifices publics de la cité. La tâche fut rude car les registres de délibérations et de comptes donnent l’impression qu’aux xvii^e et xviii^e siècles à Guingamp, tout ou presque menace ruine ! Quand il n’est pas question de réparer des brèches dans les murs d’enceinte, ce sont les ponts qui réclament une attention particulière. Et quand ce ne sont pas les portes de la ville qui s’écroulent, c’est le pavé qu’il faut rétablir. Même constat s’agissant des édifices publics et religieux comme la pompe, l’église Notre-Dame (notamment la tour de l’horloge) et la chapelle de la Délivrance : elles donneront lieu à maints travaux d’entretien et de réfection. Il est vrai qu’entre les cloches qui ne sonnaient plus en raison d’un ressort brisé ou qui manquaient de tomber, la tour de l’horloge qui risquait de s’écrouler à tout moment sur les maisons d’habitation voisines, l’église paroissiale dont le pavé empêchait de marcher en procession et de porter le dais sans « se maittre en hazard de faire tomber celluy qui [portait] le Saint Sacrement » ou dont « les porte dieu [couraient] risque de tomber », le bâtiment de la Délivrance qui perdait des poutres ou encore la fontaine publique qui fuyait ou n’avait plus d’eau, les hommes de la communauté avaient de quoi occuper l’argent de la ville ! Mais celui-ci se faisait plutôt rare. Déjà en octobre 1644, le sieur de Kerprat Jacques Le Brun, « n’aiant deniers suffisans de ladicte communaulté pour subvenir aux necessités de sa charge et grandes affaires », avait dû prendre « a interest au denier saize d’avecq » « Houssin sieur du Fresne docteur en medecine la somme de mille livres tournois ».

17Les sources de revenus de la communauté de ville se limitent aux revenus patrimoniaux et surtout d’octrois (droits frappant les boissons vendues au détail). Mais à partir du xvii^e siècle, les premiers rapportent très peu et les seconds pâtissent de la fraude et de l’abus des exemptions.

18Le total de ces revenus n’équilibre pas les finances de la communauté qui reste endettée. Les dépenses municipales sont nombreuses : taxes imposées sur les offices municipaux, changements de valeur des monnaies effectués brutalement par le gouvernement en période de crise, taxe dite des octrois municipaux, deniers présidiaux, gages et indemnités de logement payés à un gouverneur de la ville et à un lieutenant du roi absentéistes, apurement des comptes des miseurs9, entretien des routes, rues, banlieues et ponts etc. La monarchie aura beau, à partir du règne personnel de Louis XIV, fixer les règles du budget guingampais et apurer sinon liquider les dettes de la communauté de ville, cela ne changera pas grand chose : le 11 mars 1746 le miseur de Guingamp s’alarme de voir les caisses de la communauté vides alors que « les pavés et ponts des portes de Rennes et de Treguier […] entierrement ruinés » exigent d’urgentes réparations. En janvier 1751, la communauté de ville avouait ne plus avoir le sou. En 1785, Guingamp était l’une des villes les plus endettées de Bretagne.

19Faute d’argent, la communauté ne faisait procéder qu’à de menus travaux. Elle dépensait le strict minimum pour des ouvrages qui exigeaient davantage pour ne plus faire parler d’eux avant longtemps. Avertie, le 21 février 1711, par les habitants de la rue de Tréguier que l’un des battants de la porte du même nom menaçait de s’effondrer, risquant à tout instant d’écraser un passant – « desordre qui ariva il y a environ quatre a cincq ans ou un homme fut tué par un pareil battant » – et que « le pont de bois de ladite porte » se trouvait « en très grande indigence de réparations les jambes des chevaux qui y [passaient] estants en peril de s’y rompre », la communauté se contenta de répondre qu’elle ferait le nécessaire, mais pas au-delà de 30 livres. En 1745, lorsque trois charrettes de rouliers ébranleront « l’une des portes de la ville dite de Saint Michel » et enlèveront par le bout de leurs essieux « plusieurs pierres de l’un des pilliers qui [soutenaient] la voute de ladite porte », risquant de faire tomber la porte et la maison située dessus, les hommes de la communauté décideront d’effectuer des réparations provisoires et « au moins de frais que faire se poura pour uniquement faire cesser le danger evident pour les voitures publiques ». Parfois malheureusement, les accidents ne purent être évités : en 1742, « par le deffaut de reparation du pont de la porte de Rennes », il arriva « a la connoissances publiques deux facheux accidans un homme estant tombé de sur le pont dans les douves et estant mort de cette chûte peû de jours apres », tandis qu’au début du mois d’août « une charetté de bois et les cheveaux quy la trainoient y furent culbutées et tres peu s’en [fallut] que les hommes quy conduisoient la voiteur ne se trouverent embarassés dans cette cheûte ». À l’inverse, en certaines circonstances, la communauté de ville agit promptement. Pensons à « l’émotion populaire » qui en 1675 secoua la Bretagne et n’épargna pas Guingamp : en juillet, la communauté fit travailler « incessament aux reparations des ponts levis et portes de ceste ville pour les mettres en estat de deffances contre les seditieux et mutins dont [la ville] estoit journellement menassés » et « colmater » les brèches dans les murs d’enceinte. Le 5 juin 1626, des considérations d’ordre exclusivement économique avaient conduit les « nobles bourgeois » à hâter la remise en état du pont de la porte de Rennes, « a cause que le lendemain sabmedy estoit jour de marché » : rien ne devait entraver le bon déroulement de cette institution essentielle.

20La communauté de ville avait deux solutions pour trouver l’argent indispensable aux travaux en attente : soit l’emprunt, soit une augmentation et/ou une extension des octrois, toutes deux soumises au bon vouloir de l’intendant de Bretagne dont il fallait l’accord.

21Pourtant, en dépit des difficultés financières criantes, la communauté ne reculait pas devant quelques dépenses somptuaires : en juillet 1644, elle fit « presant a madame la senechale dudit Guingamp a sa bien venue et entrée en la dicte ville d’un bassin et esguiere d’argent et de la collation de confiture et ypocras », ce qui coûta 634 livres ; en octobre suivant, elle fit « presant a Madame de la Selandaye Le Febvre d’une hacquennée vallente la somme de quattre centz livres tournois10 ». La communauté ne pouvait se soustraire à ces dépenses onéreuses, tradition obligeait, du moins à l’égard de madame la sénéchale11. En juin 1709, les « nobles bourgeois » accepteront de verser 545 livres à l’abbé de la Frérie Blanche pour l’achat d’une nouvelle chaire de prédicateur, mais refuseront le 18 novembre suivant de dépenser plus de 30 livres pour faire réparer les deux ponts de la porte de Rennes.

22La communauté contribua aussi au financement de quelques gros travaux comme la construction du couvent des Jacobins de Sainte-Anne dans la première moitié du xvii^e siècle : en 1651, elle avait déjà versé la somme de 1 200 livres. En 1628, le maire Prigent Lucas, sieur de la Vigne, avait remis 400 livres au gouverneur administrateur des biens et revenus de la maison-Dieu de Guingamp pour assurer « la continuation du bastiment encommence dudict hospital ». À la fin du xviii^e siècle, elle entreprit l’aplanissement des places de la Motte et du Vally afin « d’y établir des casernes et un champ de bataille » pour « rendre le sejour et les passages des troupes que les circonstances de la guerre [nécessitaient] de faire descendre dans la Province, moins onereux aux habitants ». Mais dans l’ensemble, les hommes de la communauté ne firent pas de lourds investissements.

23« Messieurs les nobles bourgeois » durent encore délier les cordons de la bourse municipale à l’occasion de feux de joie ordonnés par le pouvoir royal pour saluer les victoires militaires, le retour à la paix ou les heureux événements (naissances et mariages princiers). Répondant aux injonctions du gouverneur de Bretagne en mai 1629, la communauté organisa un feu de joie pour célébrer les succès du roi de France en Savoie : elle dépensa 350 livres tournois « tant pour fustailles boys flambeaux musiciens theattre tambour et poudre distribué entre le nombre de troys cents mousquettaires que mesme pour la collation baillé tant aux officiers que la pluspart des habittans de ceste dicte ville assitans audit feu de joye ». Cela faisait beaucoup d’argent à partir en fumée ! Tous ces moments de liesse populaire ne coûteront pas autant, mais quand on sait le nombre d’occasions (notamment au xviii^e siècle) qu’eurent les sujets du roi de France de faire ainsi la fête, on se dit que c’est une petite fortune qui fut engloutie dans ce type de divertissement – et qui aurait peut-être été plus utile dans d’autres domaines.

24La plus grande partie de l’argent de la communauté fut donc investie dans le logement et la nourriture des troupes armées, ainsi que dans des travaux d’entretien et de réparations des édifices publics et religieux, ponts, portes, pavés et murailles, tous essentiels au développement de l’activité économique guingampaise. Mais la communauté ne décidait pas seule de tout. Bien que jouissant d’une certaine autonomie, elle demeurait assujettie au pouvoir ducal puis royal et à ses représentants sur place.

L’administration ducale (et royale)

25Outre la communauté de ville, il existe une administration ducale (et royale12) dont relèvent plusieurs officiers d’importance « décorative » inégale et aux origines sociales parfois différentes. Mais ils étaient presque tous parents à des degrés divers.

Les agents du pouvoir par excellence

26Jusque vers le milieu du xvii^e siècle, c’est-à-dire jusqu’à ce que la cité cesse d’être une place forte, le représentant le plus prestigieux du pouvoir ducal est le gouverneur de la ville. Il n’est donc pas surprenant que seules des personnes éminentes aient occupé cette charge : le noble Kergomar à la fin du xvi^e siècle, le seigneur de la Rivière Guillaume de Coatrieux, mort en 1616, « messire Louis du Parc seigneur de Locmaria, Gouescan, Trobaudet, Coatedrez, Keradenet et capitaine de l’arriere ban aux quatres evesches garde coste de celuy de Treguier et gouverneur soubz monseigneur le Duc de Vendosme des ville et chasteau de Guingamp » décédé le 26 février 1626, le seigneur de Vaudurant dans les années 1630. Le gouverneur n’était pas omniprésent : en 1629-1630, le seigneur de Vaudurant ne séjourna que deux jours dans la cité ; en 1633 en revanche, il demeura « huict jours entiers ». Cet absentéisme posa parfois des problèmes, comme le 1^er juillet 1627 : sur le bruit que 3 000 Anglais se trouvaient à Châtelaudren (distante de trois lieues de Guingamp), la communauté de ville dut envoyer quérir le sergent, monsieur de Kernel, pour assurer le commandement des hommes en armes, le gouverneur étant absent. À partir de 1652, c’est le sénéchal qui en assume désormais les fonctions. Le seigneur du Lojou et de Resperes Guillaume du Garspern cumula le premier les deux charges et, après lui, Bertrand Le Brun sieur de Kerleino, devenu « premier magistrat civil et criminel du duché de Penthievre au siege de Guingamp gouverneur de la ville et chateau de Guingamp et pais circonvoisins » en 1668-1669.

27La ville de Guingamp ayant perdu de son importance militaire, le représentant du pouvoir ducal qui va dorénavant compter dans la cité (du moins jusqu’en 1689) est le sénéchal.

28Cet office fut généralement rempli à Guingamp par des membres de la noblesse : Guillaume (ou Charles ?) de la Boessière reçu sénéchal le 24 mars 162013, Guillaume de la Boessière sieur de la Fontaine Platte du 8 avril 1628 au 3 janvier 1637, Marc Antoine de la Boessière seigneur de Lannuic et de Lopriac, investi le 22 mars 1639 et décédé le 9 mai 1648, Guillaume du Garspern jusqu’à son décès le 21 octobre 1663. La charge de sénéchal resta ensuite vacante jusqu’à son adjudication le 21 juillet 1668 au profit du sieur de Kerleino Bertrand Le Brun. L’office quittait l’aristocratie pour tomber dans les mains de la riche bourgeoisie marchande.

29L’office acheté, son possesseur devait y être confirmé par la maison de Penthièvre après une enquête approfondie portant notamment sur les bonnes vie et mœurs de l’intéressé et sur son appartenance religieuse. Bertrand Le Brun fut confirmé dans sa charge le 3 décembre 1668 par « Françoise de Loraine veuve de tres haut et tres puissant prince Cezar Duc de Vandosme, de Beaufort, et d’Estampes, de Mercoeur et de Penthièvre » après que celle-ci eut reçu un « bon et louable raport quy […] a esté fait de la personne de Bertrand Le Brun […] de ses sens suffisances loyauté prudhomme experiance capacité et bonne diligence au fait de Judicature » et qu’elle eut été informée « des bonnes vie et moeurs conversations et religion catholique apostolique et romainne dudit sieur de Kerlaino ».

30Le prix de l’office était élevé. En juillet 1668, il coûta 37 000 livres à Bertrand Le Brun. En septembre 1693, Claude Le Gac de Lansalut seigneur de la Villeneuve l’obtînt pour la somme de 44 100 livres14. L’importance et la dignité de la charge expliquent son coût élevé. Le sénéchal devait faire régner l’ordre et surtout la justice. Au xvi^e siècle, la charge de sénéchal de Guingamp s’étendait sur 56 paroisses mais, à partir du xvii^e siècle, 107 tribunaux étaient de la compétence de la cour ducale de Guingamp. La sénéchaussée guingampaise devenait ainsi la plus importante du duché de Penthièvre. Le sénéchal pouvait aussi rédiger des procès-verbaux en vue de réparations urgentes : le 30 juin 1643, Marc Antoine de la Boessière constatait les dégâts causés à la maison et four à ban nommé le four gestin15 par un incendie survenu dans la nuit du 7 au 8 février ; le 29 avril 1695, Claude Le Gac de Lansalut inspecta les ponts, portes et pavés de la ville pour dresser le procès-verbal des réparations urgentes à effectuer. Il devait encore assurer l’accueil des personnalités de passage tels que le gouverneur de Bretagne et l’évêque de Tréguier et présider aux assemblées de la communauté de ville. Le sénéchal de Guingamp avait donc de quoi s’occuper.

31En 1689 la Bretagne est dotée d’un intendant et divisée en subdélégations. Guingamp devient le siège de l’une d’elles16. Le subdélégué sera un maillon essentiel de la centralisation monarchique.

32De 1689 à 1789, le subdélégué guingampais fut tour à tour maître Jacques Mahé sieur de Keranno, également lieutenant de Guingamp prévôt et seul juge de police de la ville jusqu’en 1738 environ, Hamon de Porville en 1741-1756, le sieur de Rabault Charles Durand en 1758-1779 et Yves Le Mat en 1783-1787.

33Le domaine d’intervention du subdélégué était vaste. Tous les aspects de la vie économique et sociale (maladies épidémiques, récoltes, foires et marchés, misère…) l’intéressaient. Il jouait le rôle d’un informateur, renseignant l’intendant sur tout ce que celui-ci désirait savoir. En cas de problème, il demandait conseil à l’intendant qui, étant au courant de tout ce qui se passait dans la subdélégation, pouvait agir en conséquence.

34Agent d’exécution au service de l’intendant, le subdélégué suivait scrupuleusement les ordres, comme par exemple faire procéder à la confection du rôle de capitation.

35Le subdélégué a pu parfois profiter de sa fonction pour servir les intérêts de ses parents et amis, voire les siens propres. En 1736, Jacques Mahé sieur de Keranno aurait usé de ses charges de lieutenant et de subdélégué de Guingamp pour obtenir une lettre de cachet autorisant l’enfermement, au monastère des filles de la Charité de Montbareil, de sa nièce mademoiselle de Rocquancourt de Pennanrun. Il voulait l’empêcher d’épouser le sieur de Mac Nemara (Irlandais d’origine), médecin établi à Guingamp depuis environ 1727-1728, pour permettre aux frères de la jeune fille « de s’assurer sa succession, et de partager entre eux ses depouilles, dont ils se [seraient] déjà emparé » en 1736. Mais le plan échoua : grâce aux efforts du prétendant qui en appela « a son eminence Monseigneur le Cardinal Ministre », la jeune fille ne resta « que » dix-huit mois au couvent de Montbareil et put « promptement irlandiser ».

36L’administration ducale comptait d’autres officiers qui remplissaient des charges moins importantes et moins honorifiques, mais indispensables à son bon fonctionnement.

Les autres principaux officiers

37Ils étaient nombreux, en majorité des hommes de loi ou ayant affaire avec le milieu de la justice.

38Parmi eux le lieutenant et l’alloué (qui suppléaient le « premier magistrat civil et criminel ») ainsi que le juge prévôt et le procureur fiscal.

39Les familles Rostrenen, Raison, Du Quellenec et Henry remplirent les fonctions de lieutenant ou d’alloué de 1448 à 1523. Le sieur de la Villeléon Jean-Claude Binet fut lieutenant et juge ordinaire de la cour de Guingamp dans la seconde moitié du xvii^e siècle : c’est à ce titre qu’en février 1675, il mit le sénéchal Bertrand Le Brun « en la vraye reelle et actuelle pocession d’un bancq a demeure par luy faict pozer en ladicte eglise [paroissiale de Notre-Dame] suivant mandat et concession de monseigneur Louis Joseph duc de Vandosme et de Penthieuvre seigneur de ceste court […] en date du dixiesme avril dernier ». Son père, Jan Binet sieur de Kerleau, avait d’abord vendu son office de lieutenant de Guingamp à Charles Juhel en avril 1658 pour la somme de 15 800 livres. Mais faute de paiement, les héritiers du sieur de Kerleau (ses fils Louis et Jean-Claude Binet) firent saisir l’office. Celui-ci fut finalement adjugé en novembre 1669 pour la somme de 10 100 livres au sieur de la Villeléon qui le remplira jusqu’à sa mort en octobre 1691.

40S’agissant de la charge d’alloué, Morice de Kergaby sieur de Kerlay la remplissait en décembre 1567. Yves Loguello sieur de Cozmouster l’exerçait en juillet 1626 quand Louis Hinault, recteur de l’église paroissiale de Notre-Dame, baptisa « la plus petite des quatre cloches qui [étaient] en la tour neufve » : cette cloche « nommée la cloche de Nostre Dame17 », fut nommée « du nom de Caesar de Vendosme par l’advis de noble homme Yves Loguelo sieur de Cozmouster alloué de ceste jurisdiction de Guingamp et damoiselle Catherine Botbarec dame de Pechin ». Décédé en mars 1631, son successeur fut le sieur de Kerbino Laurent Moisan. Lui aussi eut l’honneur (car c’en était un) de donner son nom à une cloche paroissiale : le 15 avril 1656, Pierre Le Bricquer, vicaire perpétuel de l’église Notre-Dame, solennisa la bénédiction d’une cloche nommée « Laurents Jean » par Moisan et « Jeanne du Perrier dame douariere de Kersà Le Rucazre Le Runiou etc. comme parein et mareine ». Le sieur de Kerbino resta alloué jusqu’à son décès en janvier 1681.

41L’office de juge prévôt fut rempli notamment par Godefroy Bobony sieur de Kerguillouart dans les années 1620-1630. Son fils Claude Bobony sieur de Kergrist l’exerça à son tour jusqu’en décembre 1656, avant de présenter au sieur de Lermo François Bodin « acte de demission et resignation de son estat et office de juge provost dudit Guingamp » contre la somme de 8 000 livres. L’office demeurera de longues années entre les mains de la famille Bodin : François sieur de la Villeneuve l’exerça jusqu’au 9 septembre 1677 avant de le céder à son frère Laurent sieur de Lermo qui l’occupait encore en janvier 1687.

42Quant à la charge de procureur fiscal, « Berthellemy Pinart sieur de Cadouallan » en était le détenteur en décembre 1567. Yves Loguello, déjà cité, l’exerçait en février 1603 puis le sieur de Lanmelar Claude Guyomar en avril 1619. Jacques Duval sieur de la Marre la remplissait en 1650 : c’est à ce titre et en tant que « senechal de la cour abbatialle dudict Saincte-Croix » que le 24 avril, avec « damoiselle Catherine Questel compaigne espouze d’Escuier Laurent Moysant sieur et dame de Kerbiniou etc. », il parraina une cloche baptisée la « cloche de monsieur Sainct Jacques » dans l’église de Sainte-Croix. Claude Le Gac sieur de la Villeneuve prit place au barreau comme procureur fiscal de Guingamp le 2 mai 1671. L’office « tomba » ensuite (en 1688-1689) dans la famille Bobony, rempli successivement par Claude (fils du sieur de Kergrist mentionné plus haut) décédé en juillet 1703 et Joseph sieur de Kergré, toujours procureur fiscal en février 1718.

43Les autres principaux membres de l’administration ducale étaient le « greffier en cheff de la cour et jurisdiction de Guingamp » : « maître Robert Chauviere sr de Lamprat » en assurait les fonctions en février 1676, Yves Le Guales sieur de Kermorvan en mars 1716.

44Puis venaient les procureurs et les notaires, les premiers étant souvent (sinon toujours) également notaires18. En novembre 1674, les « procureurs postulanz en la dite jurisdiction de Guingamp » étaient seize : maîtres Ollivier Le Normand, Claude Poences, Yves Le Trividic, Pierre Merien, Simon Habert (ou Hubert), Pierre de Ploesquellec, Pierre Quintin, Rolland Haquard, Mathurin Cillart, Marc L’Helicoq, Pierre Hamon, Robert Chauvière, Yves Le Rumeur, Etienne Salaun, Jacques Le Boure et Pierre Ruello. En juin 1688, ils n’étaient plus que douze : le plus ancien Marc L’Helicoq sieur de Kerautret (pourvu le 30 octobre 1651 et reçu le 2 mars 1652), Pierre Hamon sieur du Pré (pourvu et reçu le 7 septembre 1667), Pierre Ruello sieur de Leurmain (pourvu le 8 mars et reçu le 14 août 1668), Jan Monrocq (pourvu le 1^er mai 1682), Jacques Le Roux sieur du Gartzmeur (pourvu le 27 novembre et reçu le 9 décembre 1682), François Bobony sieur de Kerguillouart (pourvu le 9 et reçu le 19 décembre 1682), Bertrand Gueguen sieur de Kermenguy (pourvu le 8 décembre 1682 et reçu le 2 janvier 1683), Pierre Brugiere sieur de Saint Martin (pourvu le 29 juin 1684), Mathieu du Lez sieur du même nom (pourvu le 25 août 1684), Rolland Le Leizour sieur du même nom (pourvu le 18 avril et reçu le 7 mai 1685), Etienne de Ploesquellec sieur de Kerpuns (pourvu le 4 et reçu le 24 novembre 1685) et Jan Bessonnes sieur de Chefdubois (pourvu le 30 novembre 1686 et reçu le 18 janvier 168719). Au même moment, on recensait 27 notaires et 18 sergents. Un arrêt du parlement de Rennes, daté d’octobre 1670, avait réduit et limité à douze le nombre de procureurs dans la juridiction de Guingamp, « avec deffence aux juges d’en admettre que par le decez de l’un d’iceux [procureurs] ou resignation estant de l’utilité publique ». Le but recherché était l’augmentation du prix de la charge pour rendre l’office moins accessible et éviter certains abus, nuisibles autant à la justice qu’au public. On estimait qu’un homme aisé remplira mieux l’office de procureur qu’un homme moins riche dont la principale préoccupation sera d’accroître ses gains (par exemple en poussant les gens à faire appel à ses services en les incitant à saisir la justice plus que de raison).

45Enfin, citons le(s) receveur(s) de la seigneurie de Guingamp. En mars 1535, cette charge était exercée par Henry Le Casme, en 1598 par Michel Even, en 1628 par le sieur de Rosmanach Pierre Bobony, en juin 1643 par François Le Goff sieur de Kereven. Le 1^er janvier 1672, le sieur de Lermo François Bodin et le sieur de Launay Philippe Even devenaient tous deux receveurs. Le montant de la somme à verser annuellement, pendant toute la durée du bail (généralement de neuf ans au xvii^e siècle), pour jouir de la ferme et recette « de la terre seigneurie et domaine » de Guingamp-Minibriac, prouve son caractère très productif : le sieur de la Fontaine Blanche Pierre de la Grève dut payer12400 livres tournois par an entre le 1^er juillet 1646 et le 30 juin 1656. Mais la jouissance d’une telle ferme comportait des risques. Les charges incombant au fermier étaient lourdes : il fallait entre autre payer les gages des officiers, acquitter les rentes et les charges ordinaires dues sur la seigneurie, entretenir ses édifices, assurer le paiement des frais consécutifs à tout procès criminel exigeant la présence du seigneur de Guingamp (et cela jusqu’à ce que la sentence définitive ait été rendue). Or les vassaux tardaient souvent à payer leurs rentes et les bâtiments dépendant de la seigneurie n’étaient pas plus que les autres à l’abri des intempéries (tempêtes, fortes pluies) et des incendies. L’adjudicataire ne devait pas espérer le moindre rabais sur le prix de sa ferme « pour peste, famine, sterilitte ou perte de fruis guaire civille ou estrangere […] ny pour autres cas inopiné ». Or, comment être certain d’échapper à des situations aussi dramatiques ? Le risque d’être emprisonné pour le non respect de ses engagements étant réel, le fermier présentait donc des cautions : en octobre 1645, les Guingampais Pierre Cillion sieur de la Villecario et François Bodin sieur de Lermo se portèrent cautions pour Pierre de la Grève.

Leur appartenance sociale

46Certaines charges furent longtemps exercées par des membres de la vieille noblesse. Par exemple, celle de gouverneur de la ville parce que la fonction revêtait un caractère éminemment militaire et que le second ordre du royaume était celui des « bellatores » (ceux qui combattent). De même de l’office de sénéchal, en raison du caractère héréditaire de la charge, définitivement assuré à partir de 1604 contre le versement d’un droit annuel, la paulette. Lorsque le sieur de Kerleino Bertrand Le Brun fut pourvu dans cet office, celui-ci était héréditaire « à polet perpetuel de deux cents livres par an ». Ce système facilitait donc la transmission de la charge au sein d’une même famille, d’une génération à l’autre.

47Les autres charges de l’administration ducale de Guingamp furent plutôt l’apanage des bourgeois. Les Binet, Juhel, Moisan, Bobony, Bodin et Duval – pour ce qui est des offices de lieutenant, d’alloué, de juge prévôt et de procureur fiscal – exercèrent un certain nombre de responsabilités au sein de la communauté de ville. Les fermiers receveurs de la seigneurie de Guingamp et la plupart des procureurs appartenaient également à la bourgeoisie20. Comment aurait-il pu en être autrement connaissant le prix de tels offices ? Rappelons qu’en 1669, Jean-Claude Binet devint lieutenant de Guingamp en échange de plus de 10 000 livres, alors qu’en 1658 son père avait vendu cette charge presque 16 000 livres. En 1630-1631, Laurent Moisan acheta l’office d’alloué 16 000 livres et, en 1650, Jacques Duval obtînt celui de procureur fiscal contre le paiement de 1 200 livres. En décembre 1656, Claude Bobony vendit sa charge de juge prévôt 8 000 livres. Quant à « l’etat et office de l’un des douze procureurs hereditaire de la cour ducalle senechaussée et prevotée de Guingamp », le 12 janvier 1765 maître Yves Le Coz le vendit pour la somme de 6171 livres à Jacques Flouriot, tandis que le 1^er août 1769, maître Jullien Vizien céda le sien à Jan Touboulic contre 6 900 livres. Le règlement de telles sommes, même étalé sur quelques années, n’était pas à la portée de toutes les bourses…

48Le subdélégué appartenait lui aussi au milieu bourgeois. Le sieur de Keranno Jacques Mahé (époux de Barbe Beaumanoir) était le fils de Guillaume Mahé sieur de Kerberiou, marchand guingampais encore en activité en 1675. Au moins trois représentants de cette famille furent maires de Guingamp dans la première moitié du xvii^e siècle : Pierre en 1605-1606, Ollivier sieur de Langoat en 1634-1635 et Jan sieur de Kerjegu en 1641-1642. Le frère de Jacques, Laurent Mahé recteur de Notre-Dame, décéda le 18 juin 1722 à l’âge de 60 ans alors qu’il était aussi directeur de l’Hôtel-Dieu de Guingamp21. Le subdélégué Hamon de Porville était peut-être un descendant du notaire et bailli guingampais Pierre Hamon sieur du Pré, bourgeois s’il en était (nous reparlerons de ce dernier). Charles Durand sieur de Rabault était l’époux d’une demoiselle Follet dont un parent, François Follet, appartenait à « la confraieye des marchandz de ceste ville establye en l’eglise parrochialle de Nostre Dame de Guingamp soubz les ouspices de Sainct Jullien » en novembre 1675. Quant à Yves Le Mat, qui fut aussi maire de Guingamp de 1770 à 1784, il était avocat à la cour et avait épousé Hélaine de Prépetit du Fresne.

49Issus de familles pratiquant l’endogamie sociale et géographique, nombre d’officiers ducaux guingampais étaient parents. Ainsi lorsque la situation l’exigeait, ils faisaient bloc. En octobre 1651, Marie Fougeré, veuve du sieur de la Goullière Nicolas Landois, perd tous ses procès contre l’unique héritier du défunt, le sieur de Kerpuns Etienne Landois, en raison des liens de ce dernier avec la plupart des officiers de la cour ducale de Guingamp : Etienne Landois est le beau-frère du frère de l’alloué, il est vassal du sénéchal Guillaume du Garspern seigneur du Lojou, son beau-père le sieur de Kereven François Le Goff est débiteur et vassal de François du Garspern (père du sénéchal). Le lieutenant Jan Binet, sieur de Kerléau, est proche parent de Janne Le Goff épouse d’Etienne Landois. Les « conseils » et avocats du couple sont collègues de maître Jan Le Goff (frère de Janne) avocat et juge de plusieurs juridictions ainsi que procureur fiscal du Pallacret. On comprend pourquoi Marie Fougeré désespérait de voir la justice guingampaise arbitrer en sa faveur : la cour ducale comptait trop de « parents et alliés grands amis et affectionnés » du sieur de Kerpuns. Le 11 août 1671, Yves Simon et sa femme Marguerite Merrien déposent plainte devant les juges de la sénéchaussée de Guingamp contre les deux receveurs de la seigneurie (François Bodin et Philippe Even) qui leur ont adjugé « la ferme des coustumes quy se levent en la ville de Guingamp » contre leur gré et demandent la révocation de l’acte d’adjudication. Mais « le seneschal est cousin […] des premiers enffens dudit Bodin l’alloué frere du pere de sa seconde femme et le lieutenant le meilleur de leurs amis et allié lesquels au lieu de juger cette revocation sur le champ pretextant que c’estoit une action personnelle quoy que mixe renvoyerent le 18me dudit mois d’aoust pleder devant le juge prevost22 ». Et ce dernier, comble de malchance pour les plaignants, était François Bodin sieur de la Villeneuve, « fils dudit Bodin » ! De cette façon « les supplians ne [pouvaient] esperer justice en ladite prevosté ny en la dicte seneschaussée de Guingamp y ayant aultant de parties qu’il y [avait] de juges d’advocatz et de procureurs dans lesdictes jurisdictions ».

50De toute évidence, il valait mieux réfléchir à deux fois avant d’engager des poursuites judiciaires contre l’allié (parent ou ami) d’un officier de justice.

51N’imaginons pas que pareille attitude n’avait pas cours ailleurs. En novembre 1618, Louise de Quellen préféra s’adresser aux juges de Guingamp plutôt qu’à ceux de la juridiction de Launay Botloy dont elle relevait parce que les premiers étaient « juges superieurs » des seconds. Ce détail était important car la plaignante s’attaquait à son mari, François Le Saint sieur du Plessix23, un des juges (au demeurant fort estimé de ses pairs) de la juridiction de Launay Botloy ! Il ne lui faisait a priori aucun doute que les juges de sa juridiction lui donneraient forcément tort. En revanche, le sieur du Plessix n’ayant aucune affinité particulière avec les juges de Guingamp, Louise de Quellen pouvait raisonnablement espérer une décision de justice équitable.

Les rapports de la communauté de ville avec le pouvoir (ducal et royal)

52Les relations entre les deux administrations (municipale et ducale) présentes à Guingamp sous l’Ancien Régime furent rarement conflictuelles, ce qui témoigne de la soumission de la communauté de ville à l’autorité supérieure.

Quelques tensions avec des officiers ducaux

53Néanmoins l’assemblée « generale et publicque de Mrs les nobles Bourgeix et habitans de la ville de Guingamp » fut parfois l’occasion d’un affrontement direct entre les hommes de la communauté et le sénéchal qui avait droit d’y assister. Le 12 février 1654, le seigneur de Resperes Guillaume du Garspern s’opposa « a ce que la creation d’un nouveau mair se [fît] devant autre que lui. ce droit luy [appartenant] privativement a tous autres en vertu du mandement de gouverneur qu’il [avait] de son Altesse auquel mandement il [sommait] la communauté de porter etat faute de quoy il se [pourvoirait] ». Trois ans plus tard, le 8 février 1657, le même sénéchal se distinguait à nouveau : « ayant voulu voir les derniers arrêtes et assemblées de cette communauté ou il [avait] allegué avoir quelque intérêt [mais] le sieur de Kerestollet [Guiomar Bobony] a present mair s’y etant opposé », Guillaume du Garspern se retira, « protestant de se pourvoir et de rediger son procès verbal ». Il s’agissait d’une querelle de compétences, le sénéchal estimant – à l’inverse de messieurs les nobles bourgeois – que sa charge lui donnait droit de présider à l’élection du maire et de consulter les décisions prises lors des réunions de la communauté de ville. Il se heurtait à celle-ci, fière et jalouse de ses prérogatives, au premier rang desquelles la faculté de se réunir en corps politique constitué pour décider, sous la présidence du maire élu, de l’action municipale. La remontrance faite le 26 décembre 1707 par le maire Garlan Bobony et le sieur du Cozquer Desjaulnay devant l’assemblée des nobles bourgeois en témoigne : les deux hommes dénoncent « qu’étant allés plusieurs fois pour prendre place dans le banc prohibitif qu’[a] cette communauté dans l’église paroissiale de Notre-Dame de cette ville, pour assister à l’office divin et aux prédications qu’on y [fait], ils le [trouvèrent] toutes les fois rempli de différentes personnes qui [n’étaient] point du corps de cette communauté ». Le comble fut atteint le jour de Noël : désirant s’asseoir, ils trouvèrent le banc de la communauté « encore tout occupé et ayant demandé place », celle-ci « leur fut refusée par des particuliers qui [n’étaient] pas même originaires de cette ville qui scandaleusement s’emportèrent même en invectives et termes peu convenables et peu conformes à l’état et qualité des remontrants et au respect qu’ils leur [devaient] ! ». C’en était trop. Dès le lendemain, la communauté demanda au recteur de lire et de faire publier, au prône de la grand-messe, l’interdiction faite à toute personne non membre de la communauté de prendre place sur le banc réservé à son seul usage. De la même façon, la communauté appréciait peu l’ingérence dans ses propres affaires du sénéchal gouverneur, même s’il était un éminent représentant du duc de Penthièvre et qu’elle tenait précisément tous ses droits et privilèges de ce Prince24.

54Au xviii^e siècle, un autre sujet opposa les hommes de la communauté de ville à ceux de la cour ducale : il s’agit des enfants exposés et abandonnés. L’article 533 de la Coutume de Bretagne stipulant que la nourriture et l’entretien de ces nouveau-nés incombaient au général de la paroisse dans laquelle ils avaient été trouvés, plus ces enfants étaient nombreux plus le général devait débourser pour subvenir à leurs besoins. Aussi à Guingamp, la communauté de ville priait-elle toujours avec insistance le procureur fiscal de la cour ducale de tout faire pour connaître le ou les auteurs d’une pareille exposition, comme en décembre 1747 après la découverte d’« un enfant exposé dans le degré de la maison de la demelle Charpentier marchande joignant les halles de cette ville ». Mais l’officier ducal ne manifestait pas toujours le zèle souhaité. C’est pourquoi, en février 1748, la communauté retarda la levée d’une somme de 600 livres destinée à la nourriture et l’entretien de deux enfants abandonnés : elle attendait que le procureur fiscal menât d’actives recherches pour retrouver les coupables. Elle pensait que si elle subvenait immédiatement aux besoins des enfants exposés, le procureur fiscal n’agirait pas, jugeant la survie (alimentaire et matérielle) des nourrissons assurée. Mais découvrir le ou les auteurs d’une exposition d’enfant n’était pas facile, cet acte (qui ne prenait que quelques secondes) étant commis autant que possible à l’abri des regards, notamment en raison de la peine de justice encourue par qui l’accomplissait et se faisait prendre. Le procureur fiscal pouvait cependant recourir au monitoire, une sorte d’appel à témoin par lequel il arrivait parfois à obtenir de précieux renseignements. Car des mères – c’était généralement elles qui exposaient leur enfant, mais pas toujours25 – ne furent pas toujours assez discrètes, à l’image de cette jeune femme « de Pommerit Le Vicomte cotté de la Potterie » qui, le 15 janvier 1744, après avoir « beu son vin et mangé son pain » dans une auberge de Botlezan tenue par Yvonne Briand, en sortit et, suivie du regard par la maîtresse de maison, « se rendit par le chemin au bas bout du cimittiere exposa son enfent sur le mure pris l’escallier y estant et s’en alla ». Au xviii^e siècle, le problème des enfants exposés et abandonnés trouvés sur le territoire de la cité (et particulièrement dans la paroisse Notre-Dame) devînt de plus en plus délicat à résoudre pour les hommes de la communauté de ville : alors que les finances de la municipalité étaient au plus bas, que les difficultés économiques touchaient un grand nombre d’habitants et que les demandes de secours affluaient de toute part, les expositions et abandons de nouveau-nés se multipliaient (tableaux 2 et 3, p. 98), fournissant autant d’occasions de conflits entre messieurs les nobles bourgeois et l’administration ducale.

55Des (petits) accrochages entre les hommes de la communauté de ville et certains officiers ducaux à Guingamp eurent bien lieu mais ils ne remirent jamais en cause la subordination de messieurs les nobles bourgeois au pouvoir ducal (et royal).

Mais une sujétion totale au pouvoir (ducal et royal)

56Les hommes de la communauté de ville étant souvent aussi des officiers ducaux majoritairement issus de la bourgeoisie aisée, leur attitude face au pouvoir ducal et royal ou à ses représentants fut une stricte obéissance. Citons les circonstances de l’établissement des pères Capucins sur le territoire de la cité : la délibération prise le 28 décembre 1614 attestant que les habitants « assemblés ont eté unaniment d’avis sous le bon plaisir de Madame de Mercoeur, de faire humbles prieres et suplications a Monsieur le provincial de l’ordre de Messieurs les Reverends peres Capucins et a messieurs les reverends peres deffiniteurs dudit ordre, à ce qu’ils leur plaise accorder aux dits habitans un couvent et famille des dits religieux Capucins », ne doit pas faire oublier que quelques jours plus tôt encore, les Guingampais étaient farouchement hostiles à la venue de ces réguliers. S’ils changèrent radicalement d’opinion, c’est parce que le gouverneur de la ville, Guillaume de Coatrieux marquis de la Rivière (partisan de l’installation des Frères Mineurs), leur fit clairement entendre son mécontentement. Les Guingampais se plièrent ainsi à la volonté du gouverneur, haut personnage avec lequel il était plus sage de se trouver en bons termes. Autre exemple en 1675 : ayant reçu le 3 mai une lettre du duc de Chaulnes (gouverneur de Bretagne) lui ordonnant d’établir immédiatement une garde devant « l’hôtel de ville » pour s’opposer à d’éventuels attroupements26, la communauté de ville s’exécuta aussitôt, arrêtant dès le 4 mai que l’on ferait la garde devant la maison du sénéchal gouverneur de la cité. Les comptes de miseurs et plus encore les registres de délibérations témoignent plus ou moins tous de la sujétion de messieurs les nobles bourgeois au pouvoir ducal et royal, y compris dans un domaine comme celui touchant à l’élection du maire de la cité. En dépit de quelques timides contestations, les hommes de la communauté de ville s’aligneront systématiquement sur la décision finale de l’autorité supérieure. C’est ainsi que le sieur de Keryou Ollivier Pocquet, élu maire le 11 février 1671, fut confirmé dans sa nouvelle charge « par arret de la cour du 18 du même mois », malgré la « contestation au sujet de cette election » de la part de quelques « nobles bourgeois ». Le 24 mars 1705, le comte de Toulouse (duc de Penthièvre) refusa l’agrément au sieur de Lespoul Callais devenu maire de Guingamp un mois plus tôt, le 25 février. Le 22 décembre 1706, un arrêt du Conseil stipula que « personne ne [serait] admis a […] faire les fonctions [de maire] qu’au preallable elle n’[eut] rempli les charges de gouverneur de l’Église et de l’Hotel Dieu ». Finalement, on a le sentiment d’une sorte de mise sous tutelle du maire de Guingamp : sa nomination est soumise à l’accord du duc de Penthièvre et à chaque fois que le maire se fait insulter par un(e) habitant(e), il en informe le conseil de SAS ou, à partir de 1689, rédige un procès-verbal aussitôt adressé à l’intendant de Bretagne, comme si l’insulte, à travers lui, touchait directement le pouvoir ducal et royal.

Tableaux 2 et 3 (à partir des seuls registres paroissiaux) – Enfants exposés et abandonnés à Guingamp de 1650 à 1789.

57L’action de la communauté de ville faisait également l’objet d’un contrôle régulier du gouverneur de Bretagne, de l’intendant, du parlement de Rennes ou de la Chambre des comptes de Nantes. Par exemple, le 2 août 1629, le maire de Guingamp était à Nantes où il présentait les comptes d’anciens miseurs pour examen devant la Chambre des comptes. L’action municipale dépendait en grande partie du bon vouloir de ces représentants du pouvoir. Pour preuve au xviii^e siècle : si messieurs les nobles bourgeois, pour effectuer des travaux de réparation indispensables, désiraient emprunter de l’argent, augmenter ou étendre les octrois afin d’obtenir les fonds nécessaires, il leur fallait d’abord en référer à l’intendant, puis obtenir son accord. Conformément aux règlements et édits en Bretagne valables pour toutes les villes, la communauté devait aussi parfois s’en remettre à lui pour la conduite de certains travaux : c’est l’intendant qui adjugea au sieur Beaumont les « ouvrages a faire pour le retablissement de la conduite des eaux potables en cette ville de Guingamp », ouvrages qui devaient être achevés pour le 15 juin 1737 mais qui ne l’étaient toujours pas le 23 septembre 1740.

58Le gouverneur de Bretagne, et après lui l’intendant de la province, intervenait aussi sur la question du logement des gens de guerre. C’est ainsi qu’en janvier 1676, le duc de Chaulnes ordonna à la communauté de ville de cesser d’importuner Jan Desau : officier au régiment de Picardie, ce Guingampais devait « estre exempt par ses services » du logement des troupes. Le 3 mars 1693, l’intendant Bechameil de Nointel déchargea quant à lui les habitants du faubourg Saint-Michel de ce logement peu apprécié. L’urgence de la situation obligea néanmoins parfois les hommes de la communauté à passer outre, comme en juin 1694 : apprenant, le 19, l’arrivée prochaine de près de 300 gentilshommes, la communauté de ville dut contraindre les habitants de Saint-Michel (où se trouvaient « touttes les bonnes hostelleries et escuries ») de participer au logement de tout ce petit monde. C’était, pourrait-on dire, un cas de force majeure.

59L’obéissance des Guingampais envers le duc de Penthièvre, qui était le seigneur de la ville, leur attirera des ennuis. Par exemple lors de la Ligue à la fin du xvi^e siècle : le duc de Mercoeur s’opposant au pouvoir royal et les Guingampais ayant pris le parti de leur seigneur, ils subirent le siège puis l’occupation de leur cité par les armées du roi de France. Pour autant, les habitants de Guingamp restèrent toujours très attachés aux ducs de Penthièvre. Le service funèbre réservé à Marie de Luxembourg dame de Mercoeur, morte le 6 septembre 1623 non loin de Paris, l’atteste : célébré dans l’église Notre-Dame le 1^er octobre, on fit « mettre une tente de drap noir et une lisiere de velours tout autour du coeur, au maître autel, au premier portrait et le long de la nef conduisant audit coeur depuis la principalle entrée avec ecussons et timbres » puis « faire une chapelle ardente et une lisiere au tour du coëur par le dehors ». Et l’on fit appel à « de bons chantres et supports pour celebrer le service » qui dura vingt-quatre heures. De même, la venue du couple princier donnait lieu à des réjouissances publiques : « leurs Altesses Serenissimes Monseigneur le duc et madame la duchesse de Penthievre en venant de Rennes pour aller a Brest [devant] passer en cette ville [de Guingamp] le 5 février prochain et loger au chateau des Salles », la communauté de ville décida le 16 janvier 1747 qu’« on ira au devant de leurs Altesses Serenissimes dans le plus grand nombre que faire se pourra ; que la milice bourgeoise prendera les armes ; que l’on fera des feus de joye ; que monsieur du Loiou sera prié de preter ses boettes qui seront tirées à l’arrivée de leurs Altesses Serenissimes et pendant la nuit ; que messieurs les juges de police seront priés d’ordonner que tous les habitans des rues par lesquelles leurs Altesses […] passeront tenderont devant leurs maisons et que toutte la ville sera illuminée pendant les nuits que leurs Altesses […] seront au chateau des salles ».

60Cela dit, la ville des duc et duchesse de Penthièvre présentait des inconvénients pour qui exerçait une activité marchande et étalait ou non sous la halle de la cité : il fallait payer des droits de coutume qui mécontentaient les marchands artisans et empêchaient le plein développement des échanges. En 1727, l’un d’eux fut un sujet de discorde entre l’administrateur de l’Hôpital Général (« maison nouvellement etablie par dame Beatrice Coupé dame de Kerprat sans la participation de la communauté ny lettres patentes du Roy ») et l’administrateur de l’Hôtel-Dieu (ce dernier « fondé par les ducs de Penthievre il y a plusieurs siecles ») : il s’agit du droit, à l’origine attribué au second établissement par ses fondateurs, « de lever et prendre tous les samedys une piece de chair vulgairement appellée « bourligoden » de tous les boeufs vaches et genisses qui s’exposent en vente dans la halle de la ditte ville [de Guingamp] par les bouchers d’ycelle, et des fauxbourgs ». Ce droit « s’est trouvé changé dans la suitte dans celuy de la Boucherie de Caresme », c’est-à-dire « dans celuy de percevoir le prix de l’adiudication quy se fait tous les ans de la liberté de vandre privativement et exclusivement à tous autres de la viande pendant le caresme27 ». Le conflit éclata quand l’administrateur de l’Hôtel-Dieu accusa l’Hôpital Général d’usurpation d’un droit qui n’appartenait qu’au seul Hôtel-Dieu. Il est vrai qu’à cette date, « les pauvres de l’Hôtel Dieu » se trouvaient « depouillés de leurs droits et de leur bien dans le tamps [alors] que la misere en [augmentait] le nombre et leurs besoins », et que l’Hôpital Général ne leur procurait « aucun soullagement ». Signalons au passage l’état de la cohue à Guingamp. Située en plein cœur de l’espace urbain (sur l’ancien martrait, l’actuelle place du centre) et symbole de l’essor commercial et artisanal de la cité, elle aurait dû faire l’objet de toute l’attention du seigneur de Guingamp auquel elle appartenait (et rapportait de l’argent) et qui ne pouvait pas ignorer l’état général du bâtiment, d’autant que plusieurs membres de l’administration municipale étaient marchands. Pourtant, au xviii^e siècle, ce lieu d’échanges présentait d’inquiétants signes de décrépitude. En octobre 1706, des réparations s’avéraient « extremement pressantes et […] indispensables » : les halles étant « des batimens tres anciens et faits tous de bois », plusieurs pièces devaient être changées. Il n’y avait plus aucune porte. Dès lors, la cohue devint un lieu privilégié d’attroupement nocturne pour certains paroissiens habitués à courir les rues. Ils se réunissaient presque chaque soir « soubs les halles de ladite ville qui leur [servaient] de retraitte estants toutes ouvertes dans le dessein de nuire au public et d’insulter indifferemment les passants qu’ils [rencontraient] ». Ouverte à tous les vents, la cohue était la cible d’actes de vandalisme : la nuit du 11 mars 1728, des malfaiteurs « demontèrent partie des boutiques qui [étaient] soubs les halles […] dans l’allée des marchands drapiers lesquelles boutiques [étaient] construites de planches et soutenües de piliers de bois et en detruisirent plusieurs autres construites de la même façon tant dans ladite allée des drapiers que dans celles des boulangers, tanneurs et sauniers et en volerent les planches ». En septembre 1748, l’allée des toiles était « remplie d’immondices et de salleté le public se servant des dittes halles comme de latrines et lieux commodes ». Comment s’étonner qu’à cette date les marchands toiliers avaient déserté leurs boutiques ? On ne peut s’empêcher de voir dans l’état pitoyable de ces halles le signe des difficultés de l’activité économique guingampaise au xviii^e siècle.

61Le droit dit « de pied fourché », auquel était soumis tout boucher pour chaque tête de bétail tuée, suscita lui aussi des protestations. Prétextant sa suppression par la déclaration royale du 9 juillet 1715, de nombreux bouchers refusèrent de le payer en ne tuant plus de bestiaux. Il faudra l’intervention du Comte de Toulouse qui, par lettre du 16 octobre 1715, informa la communauté de ville qu’il se verrait « faché que les habitans d’une ville » qui lui appartenait et pour laquelle il avait « une affection particulière [l’] obligeassent a donner sur eux un exemple de severité » afin de les faire rentrer « dans leur devoir ». L’avertissement était on ne peut plus explicite.

62Si les brasseurs ne pouvaient vendre leur bière au détail, les boulangers des faubourgs de Guingamp étaient eux aussi soumis à des règlements contraires à leurs affaires. Le 17 juin 1692, un arrêt du parlement de Rennes faisait « deffance a tous boulangers et a toutes autres personnes de porter du pain a vendre » à Guingamp « à autres jours qu’aux jours de foires et marchés et aux heures que se tiennent les dittes foires et marches a peine de pareille amande [de vingt livres] et confiscation des pains, farines et chevaux dont on se seroit servy pour les voitures ». Néanmoins, « au mepris de cet arrêt […] les boulangers de quelques fauxbourgs de Guingamp [continuèrent] de porter du pain dan la ville aux détraignables des fours bannaux de SAS » Marie Anne de Bourbon princesse douairière de Conty, obligeant les autorités « pour l’exemple, et pour arreter le cours de cet abus de faire saisir quelques pains dont on fit ordonner la confiscation ». Les intéressés protestèrent, réclamant « qu’il leur fut permis de vendre et débiter leurs denrées et marchandises en la ville de Guingamp, les exposer en vente dans leurs boutiques qu’ils [avaient] loués sous les halles, tous les jours de la semaine et comme ils en uzaient de tout tems immemorial avant ledit arrêt ». Il semblerait que dans un premier temps ils aient obtenu satisfaction : un arrêt du Parlement, daté du 10 janvier 1695, leur permet de « vendre leurs pains et farinnes à tous jours et heures dans les halles de Guingamp et chez les habitans », faisant « défences à toutes personnes de les troubler » car « les boullangers des fauxbourgs [doivent] jouir des mêmes privilèges que ceux de la ville ». Mais cette « victoire » fut de courte durée, l’arrêt du 17 juin 1692 étant peu après à nouveau publié pour être pleinement exécuté.

63Le commerce à Guingamp n’était donc pas libre. Outre les droits, devoirs et coutumes propres à la cité, artisans et commerçants devaient se plier à des arrêts ducaux et royaux contraires à leurs intérêts – pensons aux droits sur les cuirs et aux règlements concernant le textile28. Il leur arriva souvent de les contester mais ils finirent toujours par s’y conformer.

64Reste que la sujétion des hommes de la communauté de ville envers le pouvoir ducal et royal était une bonne chose pour Guingamp. Ils épargnaient ainsi à la population la répression, l’envoi de troupes armées ou l’application de mesures radicales peu propices à l’activité économique et, partant, au développement de la cité.

65La coexistence de deux administrations (municipale et ducale) composées chacune en majorité de bourgeois aisés souvent parents à des degrés divers, ne constituait pas a priori un obstacle au développement de la cité. Au contraire, la plupart de ceux-ci appartenant à des familles rompues aux activités commerciales, ils apparaissaient idéalement placés pour influer sur l’économie de la ville. Mais le pouvoir municipal ne paraît pas avoir jamais joui d’un degré d’autonomie suffisant pour être seul maître de la destinée de la cité. Ajoutons que l’argent fit cruellement défaut à la communauté de ville, l’obligeant à faire fréquemment appel aux autorités supérieures. Or comment faire des projets de développement et les réaliser en l’absence de ressources financières ? La communauté de ville ne pouvait rien entreprendre, peinant déjà à assurer les charges quotidiennes.

66Cependant les institutions politiques et leur fonctionnement ne sont pas seuls en cause. Les Guingampais ont eux aussi leur part de responsabilité.