Chapitre 17. Le déclin de l'encadrement résistant
p. 305-313
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Index géographique : France
Texte intégral
1Les différents niveaux de mobilisation dans les populations observés à la Libération, selon qu'elles avaient fait de la Résistance, qu'elles avaient participé à l'insurrection, ou qu'elles relevaient de la zone grise expliquent la diversité des perceptions des individus face à la violence, et l'absence d'un consensus véritable à la Libération et dans l'immédiate après-Libération. Ce décalage culturel entre les populations vaut pour un autre élément constitutif des comportements et des imaginaires des temps de guerre : la croyance partagée dans un nouvel âge d'or après la guerre. Le « messianisme »1 de la Résistance, né dans la guerre, reposait d'abord sur le mythe national : l'illusion d'un peuple rassemblé autour de la France combattante2, et surtout, l'image des Résistants unis dans la lutte contre l'occupant3, ensuite sur l'espoir d'un monde meilleur après la guerre. Le premier mythe se vérifia à la Libération : la très grande majorité de la population reconnaissait alors la légitimité de la Résistance, pour le moins de la Résistance « authentique ». Il se vérifia également dans les velléités de constituer un parti de la Résistance. Le second mythe prit corps dans la direction commune du CNR du 15 mars 1944 connue sous le titre de « programme du CNR », c'est-à-dire dans le rêve d'une société humaine reposant sur la démocratie sociale qui, après les quinze années de crise, exorciserait les systèmes totalitaires monstrueux et neutraliserait la sauvagerie du modèle libéral. L'utopie de la Résistance n'était pas partagée à la Libération, y compris par la France combattante elle-même, divisée sur nombre de points politiques. « En somme, la Résistance est unanime, à la Libération, pour écarter les collaborateurs et les vichystes, pour accepter provisoirement la direction du général de Gaulle dont la popularité est immense, pour s'engager dans une politique de réformes économiques et de progrès social, pour faire appel au suffrage universel. Elle ne l'est pas sur la forme du régime politique », écrit Henri Michel4. Les Résistants ordinaires partageaient le sentiment que la libération militaire devait amener un changement plus profond, mais, pour beaucoup, cette idée n'allait pas au-delà de l'intuition. Rapportant un entretien qu'elle avait eu avec le lieutenant FFI dit Stéphane, une cultivatrice du canton d'Évran racontait : « le 24 août (1944) [...] au cours de l'entrevue que nous avons eue, il a tenté de m'expliquer vainement ce qu'il entendait par rénovation nationale »5. Ceux de la zone grise souhaitaient avant tout le retour à la paix, à l'ordre, et la fin des restrictions. Cependant, conjointement à la coalescence progressive de la population par la dynamique du sentiment patriotique et l'adhésion à une épuration du voisinage par la violence modérée, l'utopie de la Résistance a élargi son rayonnement. Au moment des municipales, si le programme des réformes du CNR n'est pas consensuel, il n'en n'est pas moins vrai que l'aspiration générale à l'unité débouche sur l'absence de divisions et d'oppositions frontales face au programme du CNR. La gauche et les principales organisations de résistance constituant le parti du mouvement s'en réclament ardemment ; quant aux populations plus frileuses qui se rattachent au parti de l'ordre, elles n'affirment pas d'opposition déclarée à l'esprit de réformes sociales, voire même, elles les acceptent à mots couverts, sans parler de réformes, sans employer l'expression de rénovation et sans se référer au CNR. Le phénomène a été observé plus haut ; un sondage réalisé par le SSS, en mars 1945, clarifie cette idée (tableau n°10).
Tableau n° 10. L'opinion moyenne et le programme du CNR Question : « Approuvez-vous, oui ou non, le programme du CNR ? »

2La position de l'opinion moyenne par rapport au programme du CNR témoigne de la perturbation que la volonté unitaire produisit sur les imaginaires politiques : quelques semaines avant la fin de la guerre et dans l'attente des municipales, les Françaises et les Français sont à la fois partagés, déconcertés, embarrassés par ce qui était perçu comme l'utopie de la Résistance. Au-delà des fluctuations de détail, certaines proportions relevées quelques semaines auparavant se vérifient : entre 40 et 50 % de l'opinion développait des sympathies à l'égard de la Résistance (tableau n°5). On retrouve des taux voisins en mars. Surtout, le programme du CNR ne produit pas d'antipathies : moins de 10 % de la population le désapprouve. Certes, vraisemblablement une partie importante de la population ne le connaît pas, notamment dans les campagnes, mais la masse des sans opinions doit également vérifier une sensibilité complexe. Tout en témoignant de la réticence à l'égard de la Résistance, l'opinion ne veut pas se couper de l'idée de Résistance. Ainsi, sans adhérer à l'utopie CNR marquée très à gauche, les populations qui partageaient d'autres sensibilités politiques n'assumaient pas l'expression d'une hostilité ouverte à un programme politique qui était présenté comme l'idéal de la Résistance. Depuis le 15 mars 1944, la direction commune du CNR a fait du chemin : un an après, au printemps 1945, même si elle ne réunit pas, elle ne divise pas pour autant.
3La première étape majeure du déclin des institutions issues de la Résistance est située à l'apogée du sentiment d'un patriotisme consensuel, au moment des municipales et de la fin de la guerre. Là où les CLL étaient encore actifs, notamment dans les Côtes-du-Nord, ils ont été mobilisés pour la préparation des élections6. Une fois les élections passées, la municipalité élue était dotée d'une légitimité bien supérieure à celle des comités ; qu'ils aient gagné les élections ou qu'ils les aient perdues, ils n'avaient plus de raison d'exister. Le CLL de Trégastel est le seul que l'on puisse suivre étape après étape ; il s'agit du type même du comité local résistant militant7. Il vérifie cette chronologie. Mobilisé jusqu'en mai 1945, les élections gagnées, la victoire fêtée, le comité se relâche ; il programme seulement deux séances entre début mai et début août. Enfin, il ne se réunira que trois fois jusqu'en mars 1946 : à deux reprises pour protester contre une instruction judiciaire dirigée contre le secrétaire de l'ex-comité d'épuration, et une fois à la suite de la dissolution du FN. Ainsi, la fin de la guerre et la première étape du retour de la démocratie sonnent le glas de l'encadrement résistant, resté mobilisé jusque-là.
4Le déclin de l'encadrement résistant est néanmoins retardé par l'organisation des États Généraux de la Renaissance Française (EGRF). Haute valeur symbolique, 1789 venait télescoper 1945. A l'initiative du CNR, les CDL reçurent la responsabilité de faire remonter depuis toutes les communes des cahiers de doléances, et de désigner des délégués départementaux aux États Généraux ; ils se réunirent entre le 10 et le 14 juillet, à Paris, pour préparer la Renaissance Française. L'objectif déclaré était de rassembler les projets de société depuis la société civile afin de faire parvenir des propositions immédiates aux pouvoirs publics, notamment en matière de ravitaillement et d'organisation de la vie matérielle, mais aussi de remettre un document de réflexion à la future assemblée nationale dans la perspective de la refonte de la constitution. À l'échelle nationale la mobilisation de l'opinion fut un échec8 ; l'enquête départementale de l'IHTP confirmant cette assertion à l'échelle locale9.
5Il était difficile qu'il puisse en être autrement. L'organisation préparatoire à la rédaction des cahiers et à la désignation des délégués fut précipitée ; elle ne pouvait raisonnablement déboucher sur des résultats concrets. Ce ne fut pourtant pas la faute des CDL, qui se démenèrent pour préparer l'événement. Les délais furent ridiculement courts. À la mi-juin 1945, les CDL d'Ille-et-Vilaine et des Côtes-du-Nord adressèrent à leurs correspondants locaux un questionnaire d'une dizaine de pages dactylographiées très ambitieux ; ceux du Finistère et du Morbihan utilisèrent la voie de presse. Un état économique et social de la commune devait être réalisé et les habitants devaient faire des propositions en matière de réorganisation de l'armée, de réformes sociales concernant la législation du travail, l'enseignement, l'hygiène, la santé, l'enfance, les loisirs, la retraite, le rôle des femmes dans la cité, en matière de réformes constitutionnelles depuis la commune jusqu'à l'Empire et, enfin, devaient réfléchir sur les droits du citoyen et de la personne humaine. Les communes avaient quinze jours, au mieux, pour réunir les habitants, débattre de l'ensemble des points et rédiger le cahier de doléances. Les délais étaient parfois encore plus réduits. Dans le Finistère, les instructions partirent du CDL le 7 juin mais ne parvinrent aux CLL qu'une semaine après10. En Ille-et-Vilaine, Charles Foulon, secrétaire du CDL, dans une lettre datée du 8 juin dans laquelle il présentait les EGRF, demandait au maire de Pleumeleuc de lui adresser le cahier de doléances en quatre exemplaires pour le 15 juin ! L'assemblée cantonale était programmée pour le 17 ; la synthèse départementale était prévue pour le 26 juin11. Cette initiative de démocratie directe surestima largement la capacité des mouvements de résistance et des comités à mobiliser sur ces thèmes. La situation est variée selon les départements, mais quelques points valent pour tous. Bien que les quatre départements aient été représentés à Paris par plusieurs dizaines de délégués chargés de présenter les cahiers de synthèse, l'opinion moyenne s'est désintéressée de l'opération ; les cahiers n'auraient été rédigés que par quelques militants.
6En Ille-et-Vilaine, l'échec est complet : aucune assemblée ne s'est tenue dans les communes rurales ; sur 250 documents envoyés aux CLL et aux municipalités, seulement une dizaine sont remontés12. Les jugements du préfet et du commissaire de la République sont sans appel pour le département : « la masse de l'opinion est restée complètement indifférente »13. Dans les trois départements occidentaux, la préparation a eu lieu selon les modalités prévues. Des réunions publiques ont été organisées, en général, dans les grandes villes et dans les chefs-lieux de canton14, mais il apparaît pour le Finistère et le Morbihan que les mouvements de résistance et les partis n'ont pas été capables de sensibiliser au-delà de leurs cercles militants. Dans le Finistère, les cahiers de doléances furent rédigés essentiellement par des militants communistes et des membres du FN, bien que la SFIO et les radicaux-socialistes, ainsi que Libération-Nord, Libération-Vengeance et la CGT avaient participé à leur élaboration. Par ailleurs, le MRP et la CFTC refusèrent de se joindre aux réunions préparatoires et le MLN déclara publiquement qu'il se désintéressait des EGRF. En effet, en dehors de quelques réunions exceptionnelles par l'affluence (500 personnes à Landerneau, 400 participants à Concarneau), les assemblées n'ont attiré que peu de monde en dehors des militants, y compris dans les grandes villes : 85 personnes à Quimper, 30 à Brest.
7Même les Côtes-du-Nord ne feraient pas exception. Le préfet Avril, normalement bien informé (il était encore président du CDL au début de l'opération), l'atteste : « les États Généraux de la Renaissance Française n'ont jamais passionné la population du département »15. Pourtant, les Côtes-du-Nord sont le seul département où les CLL ont véritablement joué un rôle important de relais. Au moins 82 communes (21 % des localités) ont fait remonter leurs doléances via les comités locaux16. Les cahiers sont d'une grande hétérogénéité17. Certains ont été écrits avec une très belle plume, développant les idées sur plusieurs pages ; d'autres se contentent de répondre point par point au questionnaire. Certaines localités ont adressé un cahier par organisation, ce qui est révélateur certes de divisions locales, mais aussi du sérieux avec lequel cette opération était perçue et de la capacité de mobilisation locale sur les thèmes de rénovation. La commune de Plouisy adressa un cahier rédigé par le CLL-FN, tandis que la SFIO et l'UJRF envoyèrent chacune le leur séparément. En contrepartie, certaines communes mirent en avant fièrement l'œcuménisme local : le cahier de Ploulec'h (829 habitants) aurait été corédigé par les délégués du CLL accompagnés de membres du MRP, du parti radical, de la SFIO, du PCF, du FN, du MNPGD et de la CGT, la « foule » ayant été consultée. Quant au CLL de Saint-Méloir-des-Bois, pris de court ou moribond, il se contenta d'adresser sa confiance aux États Généraux de la Renaissance Française. De même, Plélauff signale que le temps nécessaire à une discussion sérieuse n'était pas suffisant et Guingamp regrette l'arrivée trop tardive du questionnaire. Le volume des cahiers est très varié : il s'égrène d'un petit feuillet pour celui rédigé par le FN de Belle-Isle-en-Terre, à seize pages pour celui du comité des prisonniers de guerre de Trégastel. Certains sont vides de toute proposition, comme celui de Trélévan malgré les vingt-quatre signatures qui parafent solennellement le document. À Lescouet-Gouarec (777 habitants), l'affaire a été prise très au sérieux. L'assemblée dite « réunion populaire de la rédaction du cahier de doléances de la commune » fut tenue le dimanche 17 juin en fin d'après-midi, dans la salle de réunion de la mairie. Le maire qui la présidait, était entouré de cinq assesseurs : deux prisonniers rapatriés, le président de la CGA, un représentant du FN et un membre du PCF. Trois secrétaires étaient chargés de prendre les notes et de rédiger le cahier : un instituteur, un cultivateur et le secrétaire de mairie. La réunion fut ouverte par le directeur de l'école, lui-même président du FN : il commença par présenter les buts de la réunion et donna connaissance du questionnaire transmis par le CDL, puis fit un exposé historique sur les cahiers de doléances de 1789 et retraça la situation de la France à la veille de la Révolution. Les doléances sont souvent très concrètes ; les questionnaires conduisaient d'ailleurs à des réponses précises. Le CLL de Plestin-les-Grèves demande que les propriétaires soient obligés d'installer l'eau courante dans leurs immeubles, que la gratuité du transport dans les trains soit supprimée pour les employés de la SNCF. L'UFF de la Roche- Derrien souhaite l'abolition de la prostitution, à l'identique de la commune de Plouhan qui exige la fermeture des maisons de tolérance. Le conseil municipal de Peaule demande la démission du ministre de la guerre Diethelm ; Pléhérel réclame le droit de vote à 18 ans. Les thèmes généraux tournent autour de l'épuration, de la régénération et de la purification de la France, du rang et de la modernisation. Le programme du CNR et la thématique des réformes, de la justice sociale et de la IVe république inspirent la plupart des cahiers. Le système de représentations de la Libération est très présent et agissant, mais orienté dans le sens de l'utopie CNR, de la renaissance française plutôt que du seul redressement, les principaux animateurs des assemblées d'habitants étant les militants du FN, du PCF et de ses satellites (UFF, CGA, UJRF, etc.), et de la gauche en général (SFIO, CGT, radicaux de gauche).
8Il est difficile d'évaluer la réalité de la mobilisation de la population lors de la rédaction des cahiers. Les préfets ne sont pas d'un grand secours sur ce point. Mais il semble, au moins en ce qui concerne les Côtes-du-Nord, que, même si les réunions préparatoires ont pris des formes très variées, des véritables assemblées d'habitants aux simples réunions de militants ou d'association (les pharmaciens de Tréguier), elles vérifient néanmoins encore en juin / juillet 1945 la vitalité du CDL des Côtes-du-Nord et sa capacité à mobiliser encore une partie importante de son réseau de CLL via notamment le FN, mais aussi et peut être surtout, grâce aux organisations politiques et syndicales.
9Pendant cette phase de la fin du printemps et du début de l'été 1945, les institutions issues de la Libération et de la Résistance s'éteignent. On n'observe plus de manifestations significatives des CLL à partir de juin / juillet 1945 en Bretagne (les Côtes-du-Nord mises à part), époque à laquelle les CDL s'assoupissent dans le Morbihan et le Finistère. Dans les Côtes-du- Nord, les comités locaux semblent encore actifs en août, dans la mesure où, lorsque le CDL leur adresse un courrier, ils répondent le plus souvent. En fait, il s'agit de coquilles vides, le mode de fonctionnement du CLL de Trégastel est exemplaire : à partir de l'été 1945, il existe toujours une adresse, un tampon, un réseau d'individus et un local pour se réunir, mais l'organisme ne fonctionne plus. Les mouvements de résistance eux-mêmes entrent en déclin en étant absorbés par le débat et la vie politique. La tentative de créer un parti de la Résistance avait déjà échoué à la veille des municipales. Pendant l'été 1945, la concurrence entre deux partis naissants prétendant fédérer la Résistance, l'Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), centriste, et le Mouvement unifié de la renaissance française (MURF), « simple appendice » du PCF18, accéléra le délitement des organisations de résistance. L'ensemble des rapports constate la léthargie des différents mouvements dès le début de l'été 1945. Les militants quittaient les organisations pour militer au sein des partis ou transformaient leur organisation en association d'anciens combattants. Les adhérents de Libération-Vengeance quittèrent le mouvement pour entrer au MRP ; Libération-Nord était déjà pratiquement inactif (sauf dans le nord-Finistère), certaines sections s'interdisant toute activité politique ; tandis que le MLN était déchiré entre l'UDSR qui souhaitait rassembler les forces de la Résistance entre la droite et le parti communiste19, et le MURF, sur son extrême gauche. Les organisations de résistance arrêtèrent de fonctionner pendant l'été 1945 : les réunions cessent, les mouvements ne parviennent plus à recruter et enregistrent la démission de leurs cadres20. Seul le FN, lui aussi « peu actif » en tant qu'organisation dans les Côtes-du-Nord, conserve néanmoins encore une audience importante dans la région : fin août, Le Patriote de l'Ouest titrait toujours à 30 000 exemplaires21. Les élections d'octobre sonnèrent le glas des organisations de résistance encore vivaces, les partis politiques achevant de phagocyter les mouvements. Le 29 novembre 1945, le FN était dissous en Ille-et-Vilaine, officiellement pour rallier le MURF22. Il s'était déjà sabordé dans les Côtes-du-Nord sans que le responsable départemental, François, de sensibilité d'extrême-gauche mais non encarté, ait donné des consignes formelles à ses adhérents. Il avait suggéré de constituer une amicale des anciens résistants, l'ADAR, tout en proposant à ceux qui le souhaitaient de s'affilier au MURF. Dans son rapport du 16 novembre, Le Gorgeu le confirme : « la Résistance ne joue plus aucun rôle politique dans la région »23, le relais étant désormais totalement assumé par les partis. Il observe leur agonie, fin 1945, en des termes acerbes : constatant les difficultés de la presse résistante à survivre en raison de la disparition de son lectorat, il écrivait : « cet état de choses démontre plus que tout autre indice la désuétude des anciennes organisations de résistance »24.
10La section FN de Trégastel mit plusieurs mois à réagir à la dissolution du FN des Côtes-du-Nord. Une réunion fut organisée tardivement, le 27 janvier 1946, pour décider du sort de la section locale. Rien ne ressortit de cette assemblée. Sur les 103 adhérents de la section locale, 30 auraient été présents selon les militants du cru25. Le 20 janvier 1946, le général de Gaulle démissionnait sans éclats ; sept jours après, le FN de Trégastel se saborda dans l'indifférence de ses adhérents qui l'avaient déjà déserté. Le 26 mars 1946, le commissariat de la République était supprimé ; trois jours plus tard, le CLL de Trégastel se réunissait une dernière fois. À la base, comme au sommet, une page était tournée.
11La communauté française n'était pas consensuelle en sortant de l'Occupation. La Libération ne fut pas un grand moment « d'unanimité nationale »26 comme avaient pu l'être, certes avec des limites, l'union sacrée en août 191427, et le 11 novembre 1918. À la fin de l'été 1944, trop d'épreuves, trop d'inconnues, trop de troubles empêchaient d'être unanimes, les réalités vécues ne pouvaient que rendre prudent. Sans que l'on doive exagérer la force des haines, la virulence des querelles, la stratégie duale du PCF et l'âpreté des luttes pour le pouvoir, le temps de la Libération fut plutôt le temps du conflit pour les uns et celui de l'attente circonspecte pour les autres. En effet, la structure majeure de la psychologie des masses dans l'instant des journées libératrices, consiste dans le décalage entre une minorité mobilisée et une majorité qui n'est pas passée à l'acte et dont une partie avait cherché à vivre hors la guerre, ce décalage induisant des écarts culturels au sein d'une même communauté. Cependant, au-delà d'un réel marqué par les affrontements, la volonté de faire l'unité était très présente. Les appels l'exprimant n'étaient pas velléitaires ; formulés avec la plus grande sincérité, ils voulaient exorciser la pulvérisation de l'été 1940, réduire la déchirure des années noires, recouvrer une sorte de robe sans couture. Dans le prolongement des imaginaires secrets et contradictoires de l'Occupation, mais cette fois-ci à découvert, les imaginaires de la Libération convergèrent sur la recherche de l'unité nationale et la réalisèrent en partie dans l'après- Libération. Aussi un dernier élément reste à analyser pour comprendre les mécanismes culturels de la sortie de guerre en Bretagne, celui des fondements qui constituaient l'identité nationale au lendemain de l'Occupation.
Notes de bas de page
1 Buton P. et Guillon J.-M. (s.d.), op. cit., p. 57.
2 Cf. notamment le discours du général de Gaulle du 18 avril 1942, prononcé à la radio de Londres, qui, donnant une définition large de la France combattante et de la Résistance, opposait la nation à une poignée de traîtres, les gens de Vichy, dont la nationalité française n'était à aucun moment suggérée. Cf. de Gaulle C., Discours... op. cit., p. 190- 192.
3 Sur le sentiment unitaire qui prévalait chez les résistants ordinaires, cf. Azéma J.-P., « Des résistants à la Résistance », dans Azéma J.-P. et Bédarida F. (s.d.), tome2, op. cit., p. 269.
4 Michel H. et Mirkine-Guetzévitch B., Les idées politiques et sociales de la Résistance, PUF, 1954, p. 37.
5 ADCA 2 W 100, dossier Stéphane, PV de gendarmerie, 9-10-1944.
6 C'est un des points importants de l'ordre du jour du congrès des CLL des Côtes-du-Nord du 5 avril 1945, alors que la position officielle du CDL était de refuser l'organisation des élections tant que les prisonniers et les déportés n'étaient pas rentrés, cf. ADCA 1140 W 1, congrès des CLL du 5 avril, notes de séances.
7 ADCA 1 J 16 n° 6342, PV du CLL.
8 Madjarian G., op. cit., p. 209.
9 Buton P. et Guillon J.-M. (s.d.), op. cit., p. 53.
10 ADIV 43 W 136, rapport du préfet, 4-07-1945.
11 ADIV 43 W 136, préparation des EGRF.
12 ADIV 43 W 167, rapport du préfet, 3-07-1945.
13 Ibid.
14 ADIV 43 W 172, rapport du préfet, 30-06-1945 ; ADIV 43 W 136, rapport du préfet, 4-07-1945.
15 ADIV 43 W 168, rapport du préfet, 1-08- 1945.
16 ADCA 1140 W 82 cahiers de doléances des CLL et associations, revenus au CDL.
17 Les précisions qui suivent ont été collectées dans les cahiers eux-mêmes.
18 Buton P., Les lendemains... op. cit., p. 191.
19 Duhamel É., « Pleven et Mitterrand », Vingtième siècle, n°45, 1995, p. 68.
20 ADIV 43 W 136, rapport des RG du Morbihan, 24-07-1945 ; RG des Cotes-du-Nord, 25-07- 1945 ; RG de Brest, juillet 1945.
21 ADIV 43 W 137, rapport des RG d'Ille-et-Vilaine, 5-09-1945.
22 ADIV 43 W 138, rapport du CR, 1-12- 1945.
23 ADIV 43 w 138, rapport du CR, 16-11-1945.
24 ADIV 43 W 138, rapport du CR, 16-01-1946.
25 ADCA 1 J 16 n° 6342, lettre du CLL au FN, 27-01-1946.
26 Rémond R., Notre siècle 1918-1991, Fayard, 1991, p. 343-344.
27 Becker J.-J., 1914... op. cit., p.369-485 ; du même auteur, « L'Union sacrée. L'exception qui confirme la règle ? », dans Azéma J.-P., Rioux J.-P. et Rousso H. (s.d.), op. cit., p. 113.
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