1Au mois d'août 1944, la violence institutionnelle est exercée en partie par la Résistance et en particulier par les FFI et les FTP. Non pas qu'il n'y ait pas au même moment d'autres acteurs historiques à commettre des brutalités, tels les Allemands et les Alliés dans le cadre de la guerre mais aussi du droit commun, tels les particuliers commettant des actes relevant de la criminalité ou ressortant à la violence privée. Mais, concernant l'exercice de la violence comme moyen de contrôle, d'encadrement, de contrainte et de répression du corps social, exercice dévolu à l'appareil répressif d'État dans la société contemporaine (police, gendarmerie, armée, etc.), les FFI et les FTP, pour le moins, le partagent à la base avec les policiers et les gendarmes parfois placés sous leurs ordres, tout en fonctionnant les premiers jours de la Libération avec une relative autonomie.

2La Libération est à situer dans le contexte de guerre. Toutes les données concernant la violence à l'échelle départementale convergent sur ce point. Les quatre départements bretons vivent chacun la Libération dans des conditions événementielles spécifiques, marquées par des traditions culturelles propres, depuis le très modéré Ille-et-Vilaine jusqu'au bouillant Côtes-du- Nord : quelles que soient les formes de violence existantes, le décalage entre les départements est toujours majeur et orienté dans le même sens, que ce soit en quantité et en intensité. Cela étant, ils connaissent tous une évolution de la violence identique à quelques détails près. Le mois d'août 1944 correspond à un sommet de la brutalité, toutes formes d'agressivité confondues. Dès septembre les brutalités chutent (graphique n° 1). Non seulement les violences déclinent aussitôt en volume, mais elles perdent pareillement très vite en niveau de brutalité (graphique n° 2). Concernant les homicides, autrement dit la brutalité la plus extrême, il est clair qu'il s'agit là d'une violence spécifique au contexte de guerre à l'échelle régionale. Cette corrélation se vérifie pour chacun des quatre départements (graphique n° 3).

Graphique n° 1. L'épuration de voisinage en Bretagne à la Libération et après la Libération (en indice)

Graphique n° 2. Homicides en Bretagne Libération et après-Libération

Graphique n° 3. Homicides relevant de l'épuration de voisinage à la Libération et après (en valeur absolue)

3La violence de la Libération évolue dans le prolongement immédiat des luttes armées développées sous l'Occupation. Les homicides relevant du processus d'épuration ont été essentiellement commis par des groupes de résistants. Dans le Morbihan, sur l'ensemble de la période, les FFI et les FTP portent la responsabilité de deux mises à mort sur trois dans des proportions équivalentes. En raison de la dilution des responsabilités et de l'éparpillement des groupes, le quart des homicides serait le fait d'individus « inconnus ou incontrôlés ». Les parachutistes SAS et les soldats américains porteraient la responsabilité de 6 % des exécutions sommaires1, mais la part des SAS, arrivés tardivement, semble déterminante au mois d'août2. Toutes ces exécutions relèvent de la violence de guerre, elle correspondent à des brutalités extrêmes exercées par des individus après y avoir été autorisés ou en avoir reçu l'ordre de la hiérarchie. Mais dans le contexte de la France atomisée, celui de la phase d'insurrection, et dans le prolongement du processus d'une justice alternative née sous l'Occupation, la dilution de l'autorité morale et institutionnelle est telle que la responsabilité de l'encadrement à la base a été déterminante.

4Les différentes enquêtes sur l'épuration3 ont abouti au chiffre de 581 exécutions sommaires en Bretagne, la très grande majorité de ces violences s'étant produites sous l'Occupation et pendant l'insurrection. L'analyse qui suit s'appuie sur ces travaux. En ce qui concerne les 581 décès ils sont très légèrement revus à la hausse, la grille de lecture de cette analyse conduisant à intégrer des décès laissés de côté auparavant car relevant d'une autre problématique. Deux homicides correspondant à des décès survenus après des attentats à la bombe ont été rajoutés4. Ces deux homicides étaient involontaires, les motivations des poseurs de bombes étant d'intimider non de tuer, leurs victimes succombèrent au cours de l'incendie provoqué par le souffle des explosions. La base de calcul porte donc sur 583 homicides. Aux homicides pourraient être rajoutées les tentatives d'assassinat ou les parodies de tentatives d'homicide extrêmement violentes. Une double tentative de meurtre fut perpétrée le 26 septembre 1944, dans une ferme de Bédée. Deux femmes, la mère et sa fille, ont été mitraillées aux jambes. La mère a été touchée par quatre balles, la fille a été blessée par un seul projectile. Elles étaient « connues » pour avoir réalisé du marché noir5. De même, dans les Côtes-du-Nord, dix tentatives de meurtres relevant de cette problématique ont été recensées d'octobre 1944 à juillet 1945, auxquelles il faudrait rajouter huit blessés graves ayant été relevés dans les décombres de leur domicile à la suite d'un attentat à la bombe entre décembre 1944 et septembre 1945 (graphique n° 4). À l'échelle de la Bretagne, 28 homicides ont été recensés dans un contexte d'épuration de voisinage à partir de septembre 1944, ce qui correspond à un peu moins de 5 % du total des personnes exécutées dans ce cadre. Plus de 95 % des exécutions ayant été perpétrées dans le contexte de guerre, celui de l'Occupation et de la Libération-insurrection, elles relèvent de la violence de guerre. Les exécutions de septembre peuvent être également considérées comme ayant été commises dans un contexte de guerre. À cette date, les combats se poursuivent dans le Finistère, le Morbihan, la Loire Inférieure. Bon nombre de résistants vivent les premières semaines de septembre dans l'inertie du climat de l'insurrection. Lorsque à Prières un homme est fusillé par un peloton FFI le 18 septembre, c'est juste après qu'il ait signalé aux Allemands une position FFI au contact de la poche de Saint-Nazaire en formation, avant l'arrivée des troupes alliées6. En temps de guerre, il y a des actes de trahison qui ne se pardonnent pas. Dans la même phase, d'autres assassinats ont lieu sans que l'on connaisse les auteurs et a fortiori les mobiles. À Fougères, une femme et sa fille ont été abattues par balle le 15 août 1944. Des soldats noirs américains sont soupçonnés : des douilles américaines ont été retrouvées près des cadavres7. Mais, à cette date, la rumeur attribue aux noirs nord-américains toutes sortes d'exactions8. À Saint-Thurial, une autre femme fut tuée le 2 septembre 19449. Une quatrième femme a été assassinée à Caden le même jour, les meurtriers commettaient des vols à main armée sous couvert de punir des collaborateurs au nom des FFI10. Ce meurtre n'est pas retenu dans le lot des exécutions sommaires, à l'identique des précédents. Mais il est clair que, tout en posant des problèmes de validation statistique, la violence de sortie de guerre apparaît comme un phénomène social qui dépasse le cadre de l'épuration et de la guerre stricte. Indépendamment des assassinats perpétrés par des soldats américains11, trois autres meurtres de nature privée ont été recensés dans le Morbihan en octobre, encore une femme et deux FTP exécutés semble-t-il pour des motifs politiques12. L'intégration dans les calculs des meurtres d'étrangers hors combats fait augmenter les chiffres dans une forte proportion.

Graphique n° 4. Homicides et tentatives d'homicides dans les Côtes-du-Nord (en valeur absolue)

Graphique n° 5. Victimes des exécutions dans le Morbihan à la Libération, par origine nationale et par sexe

5Roger Leroux a recensé l'ensemble des exécutions qui ont eu lieu dans le Morbihan en août 1944 en retenant les étrangers13. Aux 75 exécutions sommaires mises en fiche pour le mois d'août dans les localités libérées du département sont rajoutées les trois exécutions du mois de septembre commises dans des conditions proches. Les quatre semaines d'août placent le Morbihan au premier rang en ce qui concerne les exécutions sommaires pour la Bretagne pendant cette période. Celles concernant les Français totalisent plus de la moitié (53 %) des personnes abattues dans le cadre de l'épuration de voisinage pour le mois d'août. Il occupe la seconde place, derrière les Côtes-du-Nord pour le total, les décomptes qui les concernent situant ces deux départements respectivement au huitième et neuvième rang à l'échelle nationale14. Le Morbihan est par conséquent un échantillon départemental offrant un niveau de violence élevé pour la Libération. La répression allemande utilisa différentes unités de miliciens15 et fut particulièrement féroce dans la région. Ces faits peuvent expliquer l'agressivité des maquis FFI et FTP, les premiers étant souvent encadrés par des parachutistes SAS. La massivité de ces homicides est aussi liée à une hétérogénéité assez forte qui est révélatrice de comportements de guerre. Tuer est devenu un acte courant. Une forme d'ostracisme, certes extrême, mais aussi intégré à cet instant précis. 45 % des 78 exécutés sont d'origines étrangère ou coloniale (graphique n°5). De nombreux prisonniers allemands ou des soldats étrangers portant l'uniforme allemand ont été fusillés. Ils correspondent au tiers du total de l'échantillon utilisé pour réaliser le graphique n°5. Les exécutions sont souvent collectives. À Landévant, dix soldats allemands furent fusillés par des FFI commandés par un officier parachutiste, le 9 août. Le même jour, à Landaul, huit soldats furent exécutés dans les mêmes conditions par un peloton FTP. Concernant l'exécution des soldats ennemis, même si la mécanique culturelle qui conduit ici à donner la mort est d'une autre nature, le phénomène proprement dit relève d'un acte voisin de l'exécution des « traîtres »16. Ce ne sont pas seulement des criminels de guerre et des combattants faits prisonniers après une embuscade que des résistants fusillent, il s'agit aussi de soldats de base qui se sont constitués prisonniers. On retrouve cette justice expéditive à l'égard d'autres individus rendus plus vulnérables par les circonstances, les étrangers en général. À Plouay, le 8 août, quatre civils travaillant pour l'organisation Todt, un Allemand et trois Tchèques ont été abattus. À Pontivy, le 5 août, ce sont quatre Nord-Africains17 que les FTP fusillent. En juin, les résistants de la région de Pontivy et ceux de Locminé avaient déjà abattus une dizaine d'Algériens18. Le 12 septembre, à Locmaria-Grandchamp, un autre Algérien a été fusillé par les gardes FFI qui avaient reçu la charge de l'escorter19. Pourtant les Nord-Africains n'étaient pas nombreux dans la région : les RG estimaient à une soixantaine de personnes la colonie maghrébine du Morbihan en juin 194520. Avec les étrangers et en particulier les Maghrébins, les exécutions posent problème. Certes la logique de guerre s'impose dans certains cas, l'un des Algériens était un milicien. Mais, en général, les Nord- Africains étaient de simples forains accusés de marché noir21. La même problématique peut être posée à l'égard de certains soldats allemands. Près de Questembert, un soldat allemand qui s'était rendu à un paysan a été fusillé par des parachutistes22. C'est selon une thématique voisine qu'un électricien de Plouasne racontait aux gendarmes la préparation de l'arrivée des Américains dans sa commune le 2 août 1944 :

« Je suis venu aussitôt trouver le chef de poste allemand [...] et je lui ai demandé s'il comptait se battre avec les Américains. Il m'a répondu "non" nous ne sommes pas capables de nous battre avec 7 fusils. Je l'ai aidé à ce moment là à enlever les culasses de telle sorte que ses soldats allemands ne pouvaient s'en servir. Je suis resté avec les 7 hommes de la garde dans le bureau de garde et les Allemands se considéraient comme prisonniers [...] Vers (20 heures) une voiture de la résistance d'Évran est arrivée et le chef de poste est sorti, il a levé les bras [...] les 4 occupants de la voiture ont fait sortir les Allemands. Ces derniers sortaient tous les bras en l'air et sans être équipés. Les 4 Français les ont fait ranger sur le bord de la route et avant qu'ils avaient fini de se ranger ils les ont mitraillés [...] Ces faits ont été si prompts qu'il m'a été impossible de donner aucune explication sur les Allemands.
J'estime que les Français ont mal agi en fusillant les Allemands puisque ces derniers étaient prisonniers et désarmés, et qu'ils n'ont opposé aucune résistance »23.

6La guerre n'explique pas tout. Deux mois à peine séparent cette déclaration des faits. Le récit critique de l'événement de cet habitant de Plouasne, au ton désabusé, est dû en partie à sa position d'acteur. Lui sait, à la différence des résistants : les Allemands avaient décidé de se rendre. Il les connaît personnellement et a probablement eu le temps de tisser des liens avec eux, s'accommodant de leur présence. Pas nécessairement des liens d'amitié mais des relations d'estime ou pour le moins de confiance réciproque.

7Ne préparent-ils pas ensemble l'arrivée des Américains ? Les résistants viennent d'Évran : ils ne fusillent pas des individus mais des soldats ennemis. En outre, la déclaration date d'octobre. Depuis deux mois, « l'euphorie de la Libération » est retombée, elle n'est plus que le souvenir évanescent de l'été, l'amertume dans le ton est aussi celle de l'automne 1944. Mais le décalage des positions d'acteurs dans le récit entre l'habitant de Plouasne et les résistants d'Évran signale également un écart culturel qui sépare des résistants armés, en état de guerre, qui n'hésitent pas à tuer, avec un homme paisible, plutôt spectateur de la Libération, aux pulsions violentes inhibées qui condamne l'acte commis par les FFI. Finalement il se sent tout aussi étranger aux résistants qu'aux Allemands. Lorsqu'il déclare : « j'estime que les Français ont mal agi en fusillant les Allemands », il les renvoie dos à dos, ne prend pas parti, et met la nationalité des résistants au même niveau que celle des soldats abattus. C'eût été différent s'il avait dit « les résistants », ou « les FFI », voire « ceux d'Évran », ou bien « j'estime que mes compatriotes ont », ou mieux encore « les patriotes ». Dès lors, il aurait signifié une identité commune avec les résistants.

Graphique n° 6. Raisons probables ayant entrainé une exécution sommaire dans le Morbihan en août 1945 (en valeur absolue)

8Pour certains résistants armés, donner la mort est devenu un geste dont la décision est facile à prendre, non pas seulement en tant qu'acte de guerre, mais aussi comme acte de justice. Parmi les étrangers mis à mort dans le Morbihan, certains ont été exécutés pour trafic (les Algériens), d'autres pour viol (un Tchèque qui avait gagné le maquis), et c'est une part importante des raisons qui ont conduit les FFI / FTP à abattre certains de leurs compatriotes. Il est remarquable que moins de la moitié des Français exécutés en août 1944 par des membres de la Résistance (33 au total, c'est à dire 42 % des 78) l'ont été pour des raisons de trahison avérée (graphique n° 6). Indépendamment de la collaboration économique, dix hommes (13 % du total) ont été fusillés en août 1944 pour des raisons de droit commun : brigandage, incendie de ferme, viol. Ces comportements violents illustrent une justice excessive dans le domaine de la morale, comme si la résistance à l'occupant avait développé chez certains un code d'honneur avec des prolongements rigoristes. La « police du maquis » a existé. Elle enquêtait sous l'Occupation sur les actes de banditisme caractérisé commis par des groupes de résistants24. Mais de là à exécuter des voleurs et des violeurs, il existe une frontière qui sépare un acte de répression de la criminalité d'une forme d'intransigeance morale extrême. Certes, les circonstances peuvent expliquer une répression aussi radicale, entre autres la nécessité de maîtriser à la base des groupes autonomes et armés, mais également de réprimer de véritable bandes de brigands qui mirent les circonstance à profit pour écumer les campagnes25. Cependant, le rapprochement de l'exécution des voleurs et des violeurs avec la mise à mort de onze femmes (14 %), abattues pour avoir été les maîtresses d'Allemands, conduit plutôt à pencher vers une explication par l'intransigeance morale. Rappelons que, la répression de cette forme de collaboration n'est pas anormale dans le contexte de la Libération, mais la mise à mort dans cette proportion est à la fois inhabituelle et excessive26. À l'échelle de l'ensemble des exécutions sommaires, elle reste élevée dans le Morbihan (12,5 %). Dans les Côtes-du-Nord, autre département breton également très violent, la répression à l'égard des femmes a été forte mais moins brutale : les exécutions pour cause de « collaboration sentimentale »27 totalisent 6.2 % du total28, soit deux fois moins (13 femmes dans les Côtes-du-Nord contre 27 dans le Morbihan).

9Tout autant révélatrices des excès et de la conviction d'accomplir un acte de justice sont les exécutions publiques. Quatre « collaborateurs » furent fusillés par des FTP le 8 août 1944 à Plouay, place de l'Église, devant plus de 500 personnes29. Ce fut le cas également pour dix soldats allemands à Landévant, par des FFI, le 9 août. Ce fut encore le cas d'une jeune femme exécutée par les « patriotes » à Pontrieux, le 12 août 1944 place de la mairie, après avoir été tondue30. Réalisation d'un acte de justice qui renoue avec les exécutions publiques (au demeurant, elles n'étaient supprimées que depuis 1939), ou volonté d'impressionner la population locale et d'asseoir le pouvoir de la Résistance par une exceptionnelle démonstration de force ? Ces faits ne sont pas rares, mais ils ne sont pas non plus systématiques. Ils constituent un ensemble de problèmes qui conduisent à poser la question de l'encadrement. En effet, s'ils sont à situer dans le contexte de la guerre et dans la cadre d'une culture de la violence : 1°) tous les départements n'ont pas connu une justice aussi excessive ; 2°) la population ne semble pas être partie prenante mais seulement spectatrice, quand elle est conviée. Quant à la responsabilité, elle relève essentiellement de la Résistance militaire : FFI, FTP et parachutistes ; 3°) il apparaît que lorsque des violences excessives surviennent, la responsabilité du chef de groupe est déterminante. Il ne s'agit pas de basculer dans un psychologisme primaire, mais il est évident que le contexte de guerre n'explique pas tout. Certes, tuer est devenu plus facile dans un environnement de lutte armée. Certes, les exécutions publiques montrent que les individus qui composent le peloton d'exécution et le chef de peloton ont le sentiment d'accomplir un acte de justice, qu'ils sont dans le droit, et pour le moins n'anticipent pas la possibilité qu'ils puissent être réprimés dans le futur pour cet acte. Il est vrai également que, en arrière plan des violences excessives, agissent non pas des pulsions provisoirement désinhibées par l'anomie passagère ou l'acte de guerre, ou le « déchaînement des foules », mais des individus plus ou moins responsables. Dans le Morbihan, des homicides ont été commis sous l'emprise de l'alcool, d'autres semblent être dus à des problèmes d'autorité, tel parachutiste voulant par exemple s'imposer31. Dans les Côtes-du-Nord, un chef de groupe FFI responsable d'un ensemble d'exactions accomplies dans le cadre de l'insurrection (menaces de mort, viols, pillages, incendies de fermes) et de la Libération (exécutions de soldats allemands, réquisitions abusives, violences diverses) cachait un passé crapuleux : condamné pour inceste en 1935, pour coups et blessures en 1943, il était venu se refaire une virginité dans les Côtes-du-Nord en 1943 en raison d'une réputation qui lui pesait en région parisienne (travailleur volontaire en Allemagne dès 1940, son fils s'était engagé dans la LVF en octobre 1943, lui-même était soupçonné d'avoir dénoncé son beau-fils à la « gestapo » et de faire du marché noir)32. Certains dans son groupe rechignaient mais la plupart suivaient, il est à signaler que les plus jeunes étaient âgés de 17 et 18 ans. Ils furent évidemment inquiétés après la Libération.

10Dans une période d'atomisation des responsabilités, comme ce fut le cas avec la constitution des groupes FFI ou FTP armés pendant la phase d'insurrection, la question de l'encadrement a été déterminante. « La guerre civile devient la chance des aventuriers et des paumés, la revanche des exclus et des déclassés, la seule voie des plus démunis et des intellectuels radicaux » a écrit Jean-Clément Martin33 : c'est là une caractérisation qui peut s'appliquer à la Libération dans la phase d'insurrection, sans en être un résumé, tant s'en faut, ce serait plus que réducteur ; elle permet de comprendre certains aspects des soi-disants « excès inévitables ». L'épuration par homicide est à intégrer dans un contexte global (et dans l'inertie de ce contexte) dont la violence est un des éléments constitutifs et dont elle ne doit pas être dissociée. La présence de la mort violente est massive, en raison des combats contre les troupes d'occupation et leurs supplétifs, mais aussi de la conduite des soldats en général, dont les Alliés nord-américains, mais encore des criminels endurcis par l'Occupation. Bien que répandus, les homicides demeurent une forme extrême de la violence résistante. La violence FFI au quotidien est beaucoup plus diluée et présente dans les localités.