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Les Bretons au lendemain de l'Occupation

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Luc Capdevila

Première partie. Le plus grand nombre dans l'attente de la Libération, entre violence, souffrance et peur (juin - août 1944)

Chapitre 1. L'insurrection généralisée est le fait d'une minorité

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Cf. Sainclivier J., La Bretagne dans la guerre, 1939-1945, Ouest-France, 1994, p. 179-211 ; Bougea (...)
  • 2 Bougeard C., op. cit., p. 10-11.
  • 3 Sainclivier J., op. cit., p. 176.

1Entre le débarquement de Normandie et la libération de Paris, la Bretagne connaît une libération rapide et efficace en raison de la conjugaison des actions de la Résistance et de l'offensive des forces alliées, dès lors que saute le verrou d'Avranches le 31 juillet1. La Bretagne est une région patriote. Bien que sa culture politique l'ait tournée spontanément vers le maréchal Pétain, la forte densité des troupes d'occupation dès la fin juin 1940, en raison de son intérêt stratégique, l'a poussée à rejeter d'emblée l'occupant2. En 1944, les maquis sont nombreux, mais la population résistante demeure très minoritaire : tout au plus 1 à 2 % de la population adulte aurait fait partie de la Résistance organisée avant le 6 juin 19443. La Résistance a la sympathie d'une partie de la population civile. Elle occupe des positions de force, en particulier en Bretagne centrale, mais des actions prématurées, à la veille du débarquement, et après, montrent qu'elle reste très vulnérable. Les « patriotes » (c'est ainsi que l'on nommait les maquisards ou les FFI - FTP en Bretagne) en s'exposant, parfois de manière inconsidérée, accentuent l'agressivité des troupes d'occupation. Ils participent, ainsi, au processus de brutalisation caractéristique de la fin de l'Occupation, entraînant la population civile dans la tourmente. Nonobstant une répression féroce et sanglante, qui atteint en particulier les cadres des mouvements, la Résistance répond massivement aux consignes de sabotage et met en œuvre les différents plans d'insurrection qui préparent l'offensive alliée. Au-delà, plusieurs dizaines de milliers d'hommes portant le brassard FFI, s'engagent dans les combats de la Libération, dépassant largement les espérances alliées.

2Néanmoins ce n'est pas par les combats, qui restent le fait d'une minorité, que la population s'associe au processus de libération, mais par les souffrances qu'elle endure en étant emportée par l'événement le plus souvent malgré elle. Bien qu'incontestablement patriotes, les Bretons ne sont pas un peuple en armes.

  • 4 De Gaulle C., Discours et messages. Pendant la guerre 1940-1946, Le livre de poche, 1970, p. 192.
  • 5 Kedward R., In search of the maquis. Rural Résistance in Southern France, 1942-1944, Clarendon Pre (...)

3« La libération nationale ne peut être séparée de l'insurrection nationale » avait déclaré à la radio de Londres le général de Gaulle le 18 avril 19424. Dans son esprit, il s'agissait d'une insurrection morale ; l'auteur de Vers l'armée de métier ne pouvait imaginer le peuple français en armes chassant l'envahisseur. Mais nombreux furent les résistants qui y crurent et agirent dans ce sens, les communistes en particulier. Des maquis, en reprenant entre autres cette citation dans leurs tracts, poussèrent à la mobilisation générale pendant l'été 1944, y compris en s'adressant aux femmes5. Les enjeux étaient militaires, ils étaient politiques aussi. Impliquer la population dans le processus de libération, c'était légitimer et consolider la Résistance, dans la phase d'insurrection et pour l'après-Libération.

  • 6 Buton P., Les lendemains qui déchantent. Le Parti Communiste Français à la Libération, PFNSP, 1993 (...)
  • 7 Laborie P., L'opinion... op. cit., p. 313.
  • 8 Bougeard C., « L'opinion en Bretagne », dans Azéma J.-P. et Bédarida F., Vichy et les Français, Fa (...)
  • 9 Buton P. ; op. cit., p. 104.
  • 10 ADF - 178 W 20 & 178 W 21 - Enquêtes communales sur l'histoire de l'occupation et de la libération

4Or, « à l'échelle de la France, insurrection nationale est synonyme d'échec »6. Pierre Laborie travaillant plutôt sur des données de la France méridionale, à partir des enquêtes du contrôle technique, estime à 20 % au plus l'opinion moyenne favorable au maquis ; elle ne dépasserait les 30 % d'opinion favorable qu'à compter du 5 août 19447. Même s'il faudrait légèrement revoir cette chronologie pour la Bretagne plus précocement libérée, les psychologies locales marient des sentiments semblables. On retrouve cette ambivalence de l'opinion, qui oscille entre le désir de la libération et la peur de la guerre, cette hésitation la plongeant dans l'attentisme, dans l'attente d'une libération venue de l'extérieur qui tout en lui évitant de s'engager lui épargne les souffrances. Christian Bougeard, à partir des synthèses préfectorales note cette difficulté à saisir l'opinion. Tout en considérant que « la situation est mûre pour une insurrection généralisée » au printemps 1944, car « la quasi totalité de la population attend impatiemment la libération du pays », il nuance ce propos en précisant : « même si elle craint les combats et l'épuration qui a déjà commencé »8. Sauf quelques villes atypiques, Paris et Marseille, l'agglomération lilloise, Limoges et Thiers, qui par leurs images de barricades, de peuple en armes, de chaînes de femmes et d'enfants assistant les francs-tireurs, ont envahi la mémoire nationale car elles représentaient « la France libérée par elle même », les villes françaises ont été libérées sans le peuple. Philippe Buton a dressé une typologie des modes de libération locale9. Le type 1 correspond au mode insurrectionnel. Le type 2 est un mode mixte dans lequel les FFI jouent un rôle important, parfois décisif mais aussi en collaboration avec les forces alliées ; la participation populaire y est négligeable. Dans le type 3, le rôle de la Résistance est marginal, la libération est de la responsabilité des Alliés ou est due au départ des Allemands. La carte levée par Philippe Buton signale une Bretagne sans type 1 ; trois villes sont du type 2 : Brest, Guingamp et Lannion ; toutes les autres sont du type 3. L'enquête communale sur l'histoire de l'Occupation et de la Libération, entreprise en 1949-1950 sous les auspices du Ministère de l'Éducation Nationale, a reçu un écho favorable dans le Finistère. 134 communes ont répondu, soit 44 % des municipalités du département, réparties sur la quasi totalité des cantons10. Ce sont surtout les petites communes rurales qui ont retourné le questionnaire. Cette enquête confirme la synthèse de Philippe Buton concernant les grandes villes et les villes moyennes. Sur ces 134 communes, 94, soit 70 %, sont libérées de fait par le départ des Allemands. Dans certains cas, ils sont partis depuis plusieurs semaines, parfois depuis plusieurs mois ; quelques communes n'en ont même jamais vu pendant l'Occupation. Vingt-deux (16 %) ont été libérées par les Alliés souvent accompagnés des FFI, 14 par les FFI, 4 signalent des combats, sans précision. Si cet échantillon permet de mesurer une réalité proche, il montre à quel point la population civile s'est trouvée à l'écart des actions qui conduisirent à la Libération.

  • 11 dans 1944 Libération de Saint-Malo. Témoignages, Société d'Histoire et d'Archéologie de l'Arrondis (...)

5Il est parfois surprenant, à l'écoute ou la lecture de témoignages, d'entendre des Français raconter leur libération en spectateur. Louis Blanc, organiste à la cathédrale de Saint-Malo, a rédigé un journal pendant le siège de la ville. Le titre programme est à lui seul évocateur : « Journal du siège de Saint-Malo (citadelle) défendue par les Allemands attaquée par les Américains ». La ville de Saint-Malo est considérée comme l'enjeu d'une guerre germano-américaine, ce qui est confirmé dans la suite du récit. Le 6 août, au début du siège, il se réfugie avec d'autres, dans une pièce voisine de la salle des coffres de la Société Générale dont il connaît le directeur : « tous s'installent pour passer la nuit. Il y a quelques matelas où l'on s'étend tout habillé. D'autres s'installent sur des pliants. On ne dort guère que d'un œil car l'artillerie américaine et allemande continuent leur duel »11. Certes, il a de la sympathie pour les Américains et du ressentiment pour les Allemands, mais il est extérieur aux combats proprement dits. Parfois, les récits sont neutres : ils racontent une guerre que se livrent Allemands et Américains, à laquelle les Français sont presque étrangers, comme si effectivement, depuis 1940, la France en avait fini avec les combats. Parfois, le reproche est fait aux Alliés d'avoir à nouveau plongé la France dans la guerre. Un réfugié en Lécousse, en l'occurrence un ecclésiastique, après les bombardements de Fougères, confesse ainsi sur le papier son amertume, le 23 juin 1944 :

  • 12 ADFV- 2J111 - Souvenirs d'un Fougerais réfugié en Lécousse du 9 au 25 juin 1944, avec ses impressi (...)

« Toute la nuit, les misérables qui ont accompli cette œuvre de mort, ont survolé la ville, pour voir, si, après 15 jours, on essayait de la relever de ses ruines, de ses cendres - les assassins ont de ces retours criminels vers leurs victimes ! Les monstres de l'aviation amie, mais seulement sur le papier et sur le bout des lèvres, ont pu constater que leur œuvre première a bien fait, de Fougères, une ville morte, et pour longtemps. »12

6Ces notes écrites, dans le feu de l'été 1944, ne sont pas des récits isolés. Il ne faut pas leur prêter plus de sens qu'elles n'en contiennent, ni leur donner trop de portée générale. Elles signalent des hommes dans l'attente, dans la crainte aussi, qui remettent la Libération à d'autres. Louis Blanc introduit le récit du siège ainsi : « Trois fois hélas ! l'événement si redouté des Malouins vient d'arriver ». Il s'agit de l'arrivée des troupes alliées venues en découdre.

  • 13 Crémieux-Brilhac J.-L., Ici Londres... op. cit., tome 5, p. 143-145.
  • 14 De Gaulle C., Mémoires de guerre, tome 2, Pion, 1956, p. 343 - 344.

7De Gaulle décrivait l'insurrection bretonne avec des termes pleins d'emphase, et pas nécessairement élogieux pour tous les partisans (notamment les FTPF), qui rappellent les émissions diffusées par la BBC sur la Bretagne en août 194413. « La Bretagne foisonne de maquisards, surtout dans les Côtes-du-Nord et le Morbihan où le terrain leur est favorable. [...] (fin juin) la résistance s'enflamme. Trente mille hommes entrent en campagne, les uns organisés en unités régulières, les autres menant en détail une sorte de chouannerie »14. Dans les faits, l'insurrection générale ne s'est pas réalisée. Par contre, les FFI se sont mobilisés. Après le débarquement, pendant la phase d'insurrection généralisée, les effectifs de la Résistance gonflent dans de fortes proportions qu'il reste difficile à chiffrer. Même si, par la suite, les résistants discutent de l'authenticité du titre de résistance pour ceux dont l'engagement est postérieur au 6 juin 1944, même si dans la France libérée les « résistants authentiques », les « gaullistes de la première heure » et les autres « bons Français », traitent, narquois voire méprisants, de « résistants de la dernière heure », de « RMS » (résistants du mois de Septembre) dans le midi, ceux qui ne se sont engagés que tardivement dans les « fifis » (FFI), il n'en demeure pas moins vrai qu'il fallait de l'audace pour s'enrôler dans des formations de combat. Tout le monde n'a pas eu ce courage. Les partisans payèrent un lourd tribut, pendant ces mois d'été et, au-delà, sur les fronts de Saint-Nazaire et Lorient. Morts au champ d'honneur, exécutions sommaires, tortures et déportations, furent le lot de plusieurs centaines de jeunes gens engagés dans la mêlée de la Libération et de l'aprés-Libération.

  • 15 Buton P., « La France atomisée », dans Azéma J.-P. et Bédarida F., op. cit., t. 2, Seuil, 1993, p. (...)
  • 16 Bougeard C., op. cit., p. 102.
  • 17 Philippe Buton estime que les effectifs FFI auraient été multipliés par cinq, à l'échelle national (...)
  • 18 Baudot M., op. cit., p. 135.
  • 19 Sainclivier J„ La Bretagne... op. cit., p. 205.
  • 20 Blumenson M., op. cit., p. 501.
  • 21 Selon le même mode de calcul, on obtient 8 % pour le Finistère (FFI non armés inclus), 4 % pour l' (...)

8L'aspect le plus spectaculaire et le plus massif du gonflement des effectifs de la Résistance concerne les formations de combat, FFI et FTPF. Les chiffres sont délicats à manier. Il n'existe pas de statistiques exactes en raison de la nature même des groupes francs tireurs. Le volume même des combattants est très fluctuant, il gonfle progressivement jusqu'à la Libération mais décroît assez rapidement ensuite. Philippe Buton estime à 500 000 les FFI en armes dans la France libérée15, soit 1,25 % de la population totale. Avec 35 000 FFI début août 1944, au maximum, soit 1,5 % de la population totale des quatre départements16, la Bretagne serait légèrement au-dessus de la moyenne nationale. Même si ce chiffre de 35 000 peut sembler important, il faut le rapporter à d'autres réalités. Il reste massif car il s'agit d'une mobilisation spontanée et rapide17, à telle enseigne que le problème de l'accueil est majeur. Répondre en termes d'encadrement, de formation, d'armement, d'équipement, à un afflux de la jeunesse qui souhaitait s'engager n'a pas été simple, ni d'ailleurs résolu. 10 000 FFI n'auraient pas pu être mobilisés dans le Finistère faute d'armes18 ; Jacqueline Sainclivier évaluant à seulement 50 à 75 % la part des 35 000 FFI bretons convenablement armés19. En effet, Martin Blumenson ne compte que 20 000 hommes dans l'armée de l'intérieur20. Le problème de la capacité à répondre positivement à cette vague de mobilisation spontanée, expression d'un élan patriotique réel, montre qu'il eût été difficile d'encadrer plus de 35 000 hommes. Malgré tout, rapportée à la population totale et aux autres exemples de mobilisations, organisées celles-là, la vague de l'été 1944 n'apparaît pas comme un raz-de-marée patriote. 1,5 % de la population totale. En 1939, avec 5 millions de mobilisés, c'est 12,5 % des Français, soit dix fois plus, qui ont été incorporés ; plus de 500 000 Bretons avaient été mobilisés entre 1914 et 1918. Dans les Côtes-du-Nord, département qui connut la mobilisation la plus forte, on dénombre 15 000 FFI au maximum, soit au mieux quatre fois moins d'hommes par rapport aux 60 000 conscrits de 1939. Certes, il faut nuancer : les conditions sont très différentes. La mobilisation de 1939 fut exceptionnelle par son ampleur : l'État Major incorpora la totalité des classes d'âge soumises à obligation militaire. En 1944, moins d'hommes sont disponibles, les prisonniers, les déportés, les STO. Cette mobilisation est volontaire, improvisée, tous n'ont pu trouver un cadre d'enrôlement. Mais les faits sont là. Seule une minorité participe aux combats. Rapportés à la population masculine âgée de 19 à 40 ans qui représente la très grande majorité du plafond des 35 000 FFI, ce sont 11 % des hommes de cette tranche de la population qui se mobilisèrent, même de manière éphémère, dans les compagnies de patriotes, les Côtes-du-Nord offrant un cas à part en réunissant 22 % des hommes de cette catégorie21.

9Toutes les communes n'ont pas connu de compagnies FFI. Dans l'enquête communale déjà citée, à la question : « existait-il dans votre commune un maquis ou des groupes FFI », 46 répondent « non » ou n'ont pas répondu, sur les 134. Quand elle n'ont pas donné de réponse, d'autres éléments dans le questionnaire laissent supposer raisonnablement qu'elles n'en n'avaient pas, soit parce qu'à la question concernant l'existence de résistants dans la commune la réponse est aussi négative, soit parce qu'au sujet de la libération ou de l'occupation le secrétaire de mairie, ou le maire, rapporte qu'il n'y a pas eu de combats, que les Allemands sont partis avant l'été 1944, voire qu'ils ne sont jamais venus. Autrement dit, 34 % de l'échantillon correspond à des communes qui n'ont pas été directement impliquées dans le processus de libération. Certaines communes peuvent ne pas signaler de compagnies FFI tout en revendiquant des résistants engagés dans des localités voisines, ou ayant participé à des réseaux. Néanmoins, au total 12 déclarent ne pas avoir recensé un seul résistant, une treizième qualifie sa résistance comme insignifiante, 11 ne répondent pas. Le Finistère passe pour un département plutôt mobilisé, une part importante du territoire a donc vraisemblablement échappé à la dynamique de libération de l'été 1944.

  • 22 Crémieux-Brilhac J.-L., « La bataille des Glières et la guerre psychologique », RH2GM, n° 99, 1975 (...)

10Par delà cette mobilisation réalisée, se développe, tout aussi minoritaire, en dehors des jeunes hommes et des terres de maquis, une mobilisation rêvée. Nombre de jeunes gens s'engagent dans les FTPF ou les FFI au moment de le Libération, ils acquièrent alors une identité résistante plus ou moins consistante. Mais il y a aussi tous ceux qui s'approprient une culture du maquis, en s'identifiant à un proche, à un parent, à un ami, voire en s'étant préalablement rêvé le fusil suspendu à l'épaule, à l'écoute de l'épopée des Glières rapportée par radio Londres22, ou des récits d'exploits des partisans de la région. Tous ceux en particulier qui n'ont pas franchi le pas, parce qu'ils n'ont pas osé, parce que l'occasion ne s'est pas présentée, parce que d'autres priorités les hantaient. Dans l'extrait de lettre qui suit, un médecin de Guingamp s'adresse, le 20 août 1945, à Henri Avril, à l'époque préfet, précédemment président du comité de Libération du département. Il lui demande d'intercéder, auprès de la justice, pour obtenir la commutation d'une peine, qu'il juge trop lourde, punissant quatre jeunes hommes ayant passé à tabac un fermier, accusé de collaboration par la rumeur. Il est intéressant de voir de quelle manière ce médecin construit pour lui et pour son fils une identité de partisan :

  • 23 ADCN, 2W96.

« Mon cher Ami,
Te serait-il possible d'intervenir en faveur de quatre amis de maquis de mon fils [...]
Ce sont des types qui ont fait des choses remarquables dans les FFI. Deux d'entre eux faisaient partie du groupe de 30 hommes qui firent prisonniers 300 SS à Beuzec dans le Finistère, après avoir donné l'assaut le 26 Août à une position fortifiée [...] Bref ils étaient toujours volontaires [...] (suit le récit du délit et la condamnation)
Je plaide d'autant plus volontiers leur cause que mon fils m'a dit froidement : “j'aurais été sûrement avec eux si tu m'avais laissé aller aux FFI après la libération de Guingamp” »23.

11Au début de la lettre, il semble évident que son fils est monté au maquis, ainsi que les quatre garçons. Si on s'en tient au reste de la lettre, il apparaît que les quatre FFI se sont engagés une fois la libération de Guingamp terminée, puis sont partis se battre fin août dans le Finistère. Quant à son fils, il souhaitait s'engager mais a dû rester dans la maison familiale. Le père comme le fils ont de l'admiration pour ces jeunes gens, mais plus encore, il leur attribue par l'expression « maquis » une dimension de résistants. Il ne s'agit pas de jouer sur les mots, mais de comprendre qu'en utilisant l'expression « quatre amis de maquis de mon fils », ce père donne à son fils, à lui-même et à ces quatre garçons, une identité de combattants de la Résistance héroïque, celle du plateau des Glières, celle de Saint-Marcel ou du Vercors. Les témoignages de jeunes gens ayant vécu ces moments insistent sur les occasions manquées, l'errance à la recherche de compagnies FFI, ou de la 2e DB suivant les sensibilités, l'interdiction du père enfermant son fils dans la chambre pour l'empêcher de partir. Cette mémoire des occasions manquées s'amplifie après la Libération, se dilate en d'éternels regrets, y mêlant une gloire potentielle perdue ou volée. Elle noue, dès l'été 1944, un lien qui associe tous ces partisans velléitaires, tous ces patriotes virtuels et contrits, par leur imaginaire, à la libération du pays.

  • 24 Cf. Kelly M., « The reconstruction of masculinity at the Liberation », dans Kedward H.R. et Wood N (...)

12Rares sont les femmes à avoir pris les armes. Les formes d'action qu'elles pratiquaient dans la Résistance étaient plus en relation avec les représentations paisibles de la nature féminine que l'on organisait à l'époque, agents de liaison, soutien logistique au maquis etc. Pour les femmes, le rêve de la mobilisation passe par d'autres vecteurs. Le chant populaire qui suit, écrit par une femme lors des journées libératrices montre combien, elle aussi, avait besoin, à sa manière, de s'associer aux FFI, par son imaginaire. Non pas en s'identifiant à eux, cela lui était impossible, mais en voyant en eux ses sauveurs, son identité féminine ne l'autorisant pas à s'imaginer au combat. Neuf couplets et le refrain sont consacrés aux patriotes et seulement un au général de Gaulle, un à l'Angleterre, un aux États-Unis ; quant à l'URSS, il est vrai qu'elle n'a pas directement participé à la libération de la France. Cette chanson populaire, bien entendu, fait fi du réel. Donner autant de poids aux FFI repose sur des sentiments patriotiques exclusifs. Mais elle dénote un état d'esprit particulier qui montre en quoi cette mobilisation spontanée dépasse largement les enjeux militaires. Cet hymne aux patriotes sauveurs de la France participe des crispations d'un imaginaire social en crise. La France « immortelle », promue « champ d'honneur », est sauvée par elle-même, c'est donc qu'elle n'a jamais perdu la guerre. L'Angleterre, modèle de Résistance, devient le maître artisan de la défaite allemande, faisant de la France, par conséquent, son compagnon. Quant aux États-Unis, ils arrivent tardivement, comme en 1918, ils n'apparaissent dans le dernier couplet que pour rembourser la dette contractée auprès de La Fayette. Ainsi la libération FFI fait écran à la débâcle de 1940. Mais les FFI sauveurs, c'est aussi la manifestation du retour du masculin24. Les « femmes « et les « mères » sont mises sous la protection de leurs « petits gâs » et, cette fois-ci, elles n'ont pas été déçues. La société patriarcale, en crise depuis la fin de la Première Guerre mondiale, était contestée en raison des réalités sociales. Le processus d'émancipation de la femme, qui s'inscrit dans la durée, a été accéléré par les défaillances successives des hommes depuis la Grande Guerre : la longue absence de 1914 à 1919, les théories de mutilés, d'invalides, de dépressifs et de disparus laissant veuves et orphelins, puis l'incapacité à faire front pendant l'été 1940, et à nouveau les absents, prisonniers, déportés, clandestins. Ainsi, la libération FFI, pour cette femme, est l'événement qui accorde une réalité ajustée avec un imaginaire social en mutation.

  • 25 ADM, M 13 224, chanson patriotique écrite par Mme Le Cavez de Vannes adressée au préfet, 16- 08-19 (...)

Chant populaire de la Libération25
« Le Patriote »
(air de Auprès de ma blonde)
- refrain -
C'est le « patriote »,
qui nous a sauvés, sauvés,
C'est le « patriote »,
qui nous a sauvés

  • Cher petit gâs de France.
    Tu nous as tous sauvés (bis)
    Et grâce à ta vaillance.
    Nous voici libérés
  • Quand par les soirs d'orage
    Dans les ajoncs. fleuris (bis)
    Tu dépistais la rage
    De ces boches maudits
  • En plaine et en montagne
    Tu « travaillais » sans peur
    (bis) Et toutes nos campagnes
    Étaient le « Champ d'honneur »
  • Patriotes sublimes
    Hélas ! que de félons (bis)
    Ont jeté dans l'abîme
    Vos cœurs pleins de rayons !
  • Souvent couverts de terre
    Et vêtus de haillons (bis)
    Vivant dans la misère
    Nos gâs ont tenu bon !
  • Quittant femmes et mères
    Et vos petits enfants (bis)
    Pour la plus triste guerre
    Ah ! Que vous étiez grands !
  • Qui dira la souffrance
    De ces vaillants enfants (bis)
    Qui sont morts pour la France
    Tués à moins de vingt ans...
  • Mais en terre française
    Dormez chers petits gâs (bis)
    Et notre « Marseillaise »
    Toujours vous bercera
  • Car voici la « Victoire »
    Vous nous l'avez gagnée (bis)
    Et notre « Jour de Gloire »
    Par vous est arrivé
  • Vous écriviez « l'Histoire »
    De la France immortelle (bis)
    De Gaulle et la Victoire
    Vont la faire si belle
  • Dernier bastion du monde
    L'Angleterre a tenu (bis)
    Sa flotte fendant l'onde
    L'ennemi s'est rendu
  • Puis voici l'Amérique
    Qui nous vient de là-bas (bis)
    « Patriotes héroïques
    LA FAYETTE, NOUS VOILA ! »

13Que ce soit par l'insurrection réalisée ou par l'insurrection rêvée, seule une minorité de la population s'inscrit dans le processus de libération par le canal de l'action militaire. L'intégration du plus grand nombre au processus de Libération passe par d'autres aspirations.

Notes

1 Cf. Sainclivier J., La Bretagne dans la guerre, 1939-1945, Ouest-France, 1994, p. 179-211 ; Bougeard C., Histoire de la Résistance en Bretagne, Gisserot, 1992, p. 93-111 ; Baudot M., Libération de la Bretagne, Hachette, 1973, 223 p ; Blumenson M., La Libération. L'histoire officielle américaine, Charles Corlet, 1994, (1961 pour la première édition), p. 479-586 ; Wauquier (chef de bataillon), « La Libération de la Bretagne, 1er août - 1er septembre 1944 », Revue d'Histoire de l'Armée, n° 12, 1952, p. 117-143 ; et Crémieux-Brilhac J.-L., La France Libre. De l'appel du 18 juin à la Libération, Gallimard, 1996, p. 879-881.

2 Bougeard C., op. cit., p. 10-11.

3 Sainclivier J., op. cit., p. 176.

4 De Gaulle C., Discours et messages. Pendant la guerre 1940-1946, Le livre de poche, 1970, p. 192.

5 Kedward R., In search of the maquis. Rural Résistance in Southern France, 1942-1944, Clarendon Press, 1993, p. 188.

6 Buton P., Les lendemains qui déchantent. Le Parti Communiste Français à la Libération, PFNSP, 1993, p. 103.

7 Laborie P., L'opinion... op. cit., p. 313.

8 Bougeard C., « L'opinion en Bretagne », dans Azéma J.-P. et Bédarida F., Vichy et les Français, Fayard, 1992, p. 542.

9 Buton P. ; op. cit., p. 104.

10 ADF - 178 W 20 & 178 W 21 - Enquêtes communales sur l'histoire de l'occupation et de la libération.

11 dans 1944 Libération de Saint-Malo. Témoignages, Société d'Histoire et d'Archéologie de l'Arrondissement de Saint-Malo, fac-similé manuscrit publié en 1944 p. 30-67.

12 ADFV- 2J111 - Souvenirs d'un Fougerais réfugié en Lécousse du 9 au 25 juin 1944, avec ses impressions et ses réflexions du moment, par l'Abbé Alphonse Jarry, 27 pages dactylographiées en novembre 1945.

13 Crémieux-Brilhac J.-L., Ici Londres... op. cit., tome 5, p. 143-145.

14 De Gaulle C., Mémoires de guerre, tome 2, Pion, 1956, p. 343 - 344.

15 Buton P., « La France atomisée », dans Azéma J.-P. et Bédarida F., op. cit., t. 2, Seuil, 1993, p. 385.

16 Bougeard C., op. cit., p. 102.

17 Philippe Buton estime que les effectifs FFI auraient été multipliés par cinq, à l'échelle nationale, passant de 100 000 à 500 000, entre le débarquement et août 1944.

18 Baudot M., op. cit., p. 135.

19 Sainclivier J„ La Bretagne... op. cit., p. 205.

20 Blumenson M., op. cit., p. 501.

21 Selon le même mode de calcul, on obtient 8 % pour le Finistère (FFI non armés inclus), 4 % pour l'Ille-et-Vilaine et 17 % pour le Morbihan.

22 Crémieux-Brilhac J.-L., « La bataille des Glières et la guerre psychologique », RH2GM, n° 99, 1975, p.42-72.

23 ADCN, 2W96.

24 Cf. Kelly M., « The reconstruction of masculinity at the Liberation », dans Kedward H.R. et Wood N., The Liberation of France. Image and Event, BERG Publishers, 1995, p. 117-128 ; Burch N. et Sellier G., La drôle de guerre des sexes du cinéma français, 1930-1956, Nathan, 1996, 400 p. ; Capdevila L„ « Le mythe du guerrier et la construction sociale d'un “éternel masculin” après la guerre », Revue Française de Psychanalyse, 1998, n° 2, 4P. 607-623.

25 ADM, M 13 224, chanson patriotique écrite par Mme Le Cavez de Vannes adressée au préfet, 16- 08-1944

© Presses universitaires de Rennes, 1999

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