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Classer les archives et les bibliothèques

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Véronique Sarrazin
, 
Patrice Marcilloux
, 
Bénédicte Grailles
, 
et al.

Première partie. Historiques

Les classifications dans les bibliothèques universitaires françaises (1878-1962)

Véronique Sarrazin

Texto completo

  • 1 Constantin L.-A., Bibliothéconomie : nouveau manuel complet pour l’arrangement, la construction et (...)
  • 2 Voir Pallier D., « Une histoire récente », D. Renoult (dir.), Les bibliothèques dans l’université,(...)
  • 3 Les pratiques réelles pourraient être mieux saisies en dépouillant les rapports aux Archives natio (...)

1Le premier manuel de bibliothéconomie français, publié en 1841, l’atteste : une collection de livres ne formera une bibliothèque « que lorsqu’ils seront classés, catalogués et rangés d’une manière convenable à l’étude1 ». La construction et la mise en œuvre d’une classification sont au cœur de l’activité mais aussi de la fierté professionnelle des bibliothécaires français jusqu’au début du XXe siècle ; c’est ce qui leur permet d’affirmer leur compétence bibliographique en même temps que de fournir à leurs usagers les matériaux de leurs travaux, dans des bibliothèques publiques conçues avant tout comme des lieux d’étude. Aussi peut-on s’interroger sur les choix faits en la matière dans les bibliothèques universitaires, bibliothèques d’étude par excellence. Lorsqu’elles renaissent en France, après la guerre de 1870, elles sont au cœur du projet de refondation de l’enseignement supérieur2. La création du droit de bibliothèque et la circulaire du 31 décembre 1873 qui l’accompagne, posent quelques jalons : ils prescrivent leur accessibilité à tous les étudiants, et, pour ce faire, leur attribuent des moyens financiers importants et un personnel compétent. Si l’État investit lourdement dans ces universités rénovées et leurs bibliothèques, c’est parce que les enjeux sont aussi scientifiques que nationalistes : il s’agit de rivaliser avec les universités allemandes, établissements d’étude et de recherche. Dans cette refondation, on ne s’est pas préoccupé seulement des moyens attribués aux bibliothèques mais aussi de leur mode de fonctionnement, du traitement des documents et de l’accueil du public, et donc de leur classification comme outil de gestion et clé d’accès à des fonds spécifiques et pour des usagers spécifiques. Il y a peu d’études sur le sujet. En revanche, des sources de trois types permettent trois angles d’approche. La production réglementaire est abondante. Trois textes essentiels jalonnent la question des classifications : l’instruction du 4 mai 1878, qui reste valable pendant trois quarts de siècle, et les deux circulaires de décembre 1951 et mai 1962, la dernière ouvrant la voie à la situation actuelle. Ces textes dessinent la conception du traitement des collections, souvent élaborée par des bibliothécaires et voulue par les autorités politiques. Cette réglementation et sa mise en œuvre ont suscité réflexions et débats au sein de la profession. On peut les suivre à travers les revues professionnelles, les congrès et, plus indirectement, dans les manuels de bibliothéconomie ; ces débats ont, à leur tour, influé sur l’évolution de cette réglementation. Enfin, on dispose de quelques informations sur les pratiques réelles, à travers des rapports et des articles publiés à l’occasion de travaux de rénovation. C’est cependant la source la plus maigre3. On envisagera donc surtout les théories de la classification en bibliothèque universitaire plus que les pratiques qui n’apparaissent souvent qu’en creux des discours, en suivant les grandes inflexions au fil du temps.

Le cadre de classement fixé en mai 1878

La volonté d’une classification uniforme

  • 4 Sauf mention spécifique, toutes les citations de cette partie sont tirées de l’Instruction général (...)

2Alors qu’elles amorcent tout juste leur développement et que leurs fonds sont encore peu abondants, « l’arrangement » des bibliothèques universitaires est encadré par une circulaire ministérielle, le 4 mai 18784. Celle-ci a été rédigée par des professionnels des bibliothèques, J. Chantepie, qui a exercé à l’École normale supérieure, et E. Lorédan Larchey, conservateur-adjoint à la Mazarine puis à l’Arsenal. Tous deux ont donc géré des fonds utilisés par des étudiants ; Chantepie a, en outre, effectué en 1873 une mission en Allemagne, pour étudier sur place ces bibliothèques avec lesquelles on souhaite rivaliser. Le préambule de l’instruction souligne deux défauts importants des collections existantes : « L’absence presque totale de moyens de contrôle, la diversité des méthodes d’enregistrement et de classement. » Pour y remédier, on prescrit une classification unique, instrument de contrôle et de conservation plutôt que de recherche. Le premier devoir du bibliothécaire est « de conserver avec la fidélité la plus scrupuleuse le dépôt dont il est constitué le gardien responsable » et, pour cela, il « doit toujours être en mesure de fournir à son successeur ou à l’inspecteur délégué par le ministre les moyens de reconnaître exactement la situation de la Bibliothèque dans toutes ses parties ».

  • 5 Cousin J., Bibliographie et bibliothéconomie : de la classification des bibliothèques, Paris, G. P (...)
  • 6 Barrau-Dihigo L., « La bibliothèque de la Sorbonne », Bibliothèques, livres et librairies, III, Pa (...)

3Cette classification uniforme contraste fortement avec les usages contemporains des bibliothèques publiques françaises, qui n’ont pas de cadre général de classification comme il en existe pour les archives territoriales depuis 1841. La doctrine dominante des manuels de bibliothéconomie est qu’il n’y a pas de classification universellement valable. Chaque bibliothécaire doit choisir parmi les systèmes bibliographiques existants, éventuellement en adapter un. En 1884, Jules Cousin affiche sa fierté d’avoir établi un « système bibliographique », qui certes « se rattache directement au système de classification adopté par Brunet » mais sans l’avoir « copié servilement5 ». De même, en 1912, dans une conférence à l’intention de futurs bibliothécaires, on fait un mérite à Lebas, responsable de la bibliothèque de la Sorbonne en 1846, d’avoir « débrouillé le désordre » en créant un nouveau système6. Le choix, l’aménagement voire la création d’un bon système de classification sont donc pour les responsables des bibliothèques d’étude non seulement une habitude professionnelle mais un sujet de fierté. Ce travail ainsi que la rédaction de notices savantes leur permettront de rédiger le catalogue méthodique, monument emblématique des richesses de leur fonds et chef d’œuvre de leur propre compétence.

  • 7 Minot J., Histoire des universités françaises, Paris, PUF, 1991, p. 45-50.
  • 8 Barnett G. K., Les bibliothèques publiques en France de 1789 à 1839, Paris, Promodis, 1987, p. 95- (...)

4C’est donc une nouveauté que de prescrire un cadre unique, avec des instructions de catalogage précises. Ce souci d’harmonisation, voire de normalisation, peut être un écho de la centralisation administrative. Les universités sont désormais sous la ferme et unique direction de l’État, méfiant à l’égard de toute manifestation d’autonomie7. L’uniformité souhaitée vise aussi à favoriser la coopération. Déjà une circulaire de 1833 incitait les bibliothèques municipales à adopter une classification unique pour améliorer les échanges8. Les nouvelles bibliothèques des universités doivent travailler ensemble. D’une part, il n’existe encore que des bibliothèques de facultés qui doivent être réunies en une bibliothèque unique et centrale : l’harmonisation des catalogues est un préalable nécessaire à cette fusion. La coopération doit aussi se faire par l’échange de publications académiques et l’organisation du prêt entre les bibliothèques. L’identité des procédures de classification facilitera la connaissance réciproque des fonds et la circulation des ouvrages.

  • 9 « Instruction sommaire sur le classement des bibliothèques populaires », U. Robert, Recueil de loi (...)
  • 10 Elle donne en exemple la Bibliographie des Mazarinades de la Société d’histoire de France ou la Bi (...)

5Cependant, si le principe de l’uniformité est clair, l’application prévue est plutôt souple. L’instruction de mai 1878 renvoie à celle de 1876 pour les bibliothèques populaires, qui précisait que « les bibliothécaires n’oublieront point que ce cadre est fait uniquement pour les guider dans l’ordre de leur catalogue méthodique. Libre à chacun d’en prendre tout ou partie, dans la mesure de ses ressources9 ». La liberté laissé aux responsables improvisés des bibliothèques populaires vaut, a fortiori, pour ceux – reconnus comme savants – des collections universitaires : il est « évident que les bibliothécaires de nos établissements scientifiques développeront encore certaines divisions de ce classement ; ils seront conduits à ces perfectionnements par la richesse même des spécialités de leurs dépôts ». La classification choisie n’est donc qu’un cadre général susceptible d’adaptations, en fonction de la distribution thématique des fonds mais aussi de leur importance quantitative et de leur état. Il faut en effet tenir compte de « l’ordre ancien », lorsqu’il existe, et du coût – en argent, en temps et en désorganisation du service – d’un reclassement général des volumes. Ainsi les bibliothèques qui « comptent déjà un grand nombre d’ouvrages et où il existe un inventaire et des catalogues régulièrement tenus » ne sont pas automatiquement soumises à la nouvelle classification. On prévoit que les « délégués du ministère » (probablement l’inspection des bibliothèques) aviseront aux mesures à prendre « pour raccorder les anciens travaux avec le nouveau procédé de classement » : soit l’application de la classification universitaire sera limitée aux nouvelles acquisitions, soit on maintiendra intégralement la classification existante. C’est la solution adoptée à Paris, dans les bibliothèques de la Sorbonne et des facultés de Droit, Médecine et Pharmacie, aux fonds très abondants. L’instruction de 1878 envisage même de faire l’économie de la classification, lorsqu’il existe, sur un sujet donné, une bibliographie récente et qui fait autorité10 : le bibliothécaire peut alors se contenter d’y reporter, dans les marges, les numéros d’inventaire des exemplaires de son fonds. Cela doit offrir un « double avantage : rapidité dans le travail et netteté d’aspect ; on pourra, en outre, renseigner plus complètement le travailleur » sur la documentation existante dans et hors de la bibliothèque. Mais les volumes concernés ne seront pas repris dans le catalogue méthodique et n’apparaîtront pas bien aux yeux des lecteurs.

6La volonté d’uniformité est donc tempérée par les exigences de l’économie, laissant ainsi une réelle marge d’autonomie aux responsables des bibliothèques, ce qui peut expliquer leur large acceptation de ces directives, tout autant que la nature de la classification choisie.

Brunet, la référence incontournable

  • 11 Viardot J., « Livres rares et pratiques bibliophiliques » et « Nouvelles bibliophilies », Histoire (...)
  • 12 L’Instruction de 1876 est d’ailleurs transmise avec la circulaire de mai 1878, aux responsables de (...)
  • 13 Circulaire du 18 octobre 1909, publiée dans Revue des bibliothèques, 1909, p. 460.
  • 14 Arrêté de création du CAFB, dans Bulletin administratif du ministère de l’Instruction publique, 18 (...)

7La classification préconisée est celle du Manuel du libraire et de l’amateur de livres de Brunet. Élaborée au début du XVIIIe siècle par des libraires, pour rédiger les catalogues des collections vendues aux enchères, elle a été reprise par le Manuel de Brunet qui, édité sept fois de 1802 à 1865, s’est imposé comme un usuel bibliographique11. Les cinq grandes catégories de cette classification (Théologie, Jurisprudence, Sciences et arts, Belles-Lettres, Histoire) reflètent un contexte déjà ancien d’équilibres thématiques de la production et de la hiérarchie des savoirs. Son usage n’est pas spécifique aux bibliothèques universitaires : le ministère de l’Instruction publique la recommande en 1876 aux bibliothèques populaires12 et l’impose, en 1909, aux bibliothèques des collèges et lycées13. C’est, pour lui, la classification de référence, celle dont on vérifie la maîtrise dans les épreuves du certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire [CAFB], créé en 1879 pour exercer en bibliothèque universitaire14. La classification choisie n’a donc pas été conçue pour les collections universitaires, ni même pour les bibliothèques publiques ; on l’a simplement transposée.

  • 15 « Instruction sommaire… », U. Robert, Recueil de lois…, op. cit., p. 235.
  • 16 Rouveyre É., Connaissances nécessaires à un bibliophile, Paris, É. Rouveyre, 1899, p. 38.
  • 17 Cousin J., De l’organisation et de l’administration des bibliothèques : manuel théorique et pratiq (...)
  • 18 Cels A., « Compte-rendu du Manuel du bibliothécaire de J. Cousin », Bibliographie de Belgique, no (...)
  • 19 Cousin J., De l’organisation et de l’administration…, op. cit., p. 66.
  • 20 Rouveyre É., Connaissances nécessaires, op. cit., p. 21.
  • 21 Ibid., p. 22 et 39.
  • 22 Advis pour dresser une bibliothèque, chapitre vii, Paris, Targa, 1627.

8Le principal argument donné pour justifier ce choix est que cette classification est la « plus répandue » et donc la plus familière aux bibliothécaires comme aux lecteurs. On trouvait déjà le même argument pour l’appliquer aux bibliothèques populaires : elle est « généralement la plus suivie » et comme le Manuel de Brunet « se trouve dans presque toutes les bibliothèques de chefs-lieux des départements », il est facilement à disposition des bibliothécaires novices15. L’argument semble approuvé par la profession, puisqu’il est relayé par les manuels de bibliothéconomie. Pour Rouveyre, c’est un ordre « conforme à des conventions généralement reçues16 ». Pour Cousin, il « est devenu classique et il répond parfaitement à tous les besoins, aussi bien à ceux du commerce qu’à ceux de la science. C’est celui d’ailleurs que recommandent spécialement les instructions ministérielles17 ». Son ancienneté, gage d’efficacité aux yeux des Français, n’est pas aussi bien vue partout : Cels, conservateur de la bibliothèque universitaire de Bruxelles, le qualifie d’« antique et solennel » et bien éloigné de « ce qui a été fait de plus récent et de meilleur18 ». Le deuxième argument en sa faveur est son adaptation à une collection encyclopédique, « pour l’arrangement d’une grande bibliothèque19 », pour une « grande bibliothèque formée sur un plan qui embrasse tous les genres20 », ce que doivent devenir les bibliothèques centrales des universités en réunissant les bibliothèques des facultés. Le dernier argument est sa relative simplicité, au moins dans son cadre de départ en cinq grandes catégories. Rouveyre reconnaît que même si « son système n’est plus à la hauteur de la transformation de la science », il reste le plus pratique, en présentant « un ordre peu savant mais fort clair, par cela même qu’il est moins savant21 ». On cite G. Naudé, référence incontournable en matière de bibliothéconomie : « Je croy que le meilleur [classement] est toujours celui qui est le plus facile, le moins intrigué, le plus naturel, usité22. »

Pratiques recommandées et application réelle

9La classification ne se reflète pas dans le classement matériel. Comme toutes les bibliothèques publiques françaises, les bibliothèques universitaires sont en communication indirecte, avec – progrès appréciable – un magasin séparé de la salle de lecture. Le rangement s’y fait par ordre d’entrée et par format, en réservant une série de numéros d’inventaire pour chaque format. La classification est un instrument de recherche, matérialisée par un catalogue méthodique. Selon les instructions de catalogage, les notices comportent cinq éléments : en haut de la fiche, l’indication de deux niveaux de classification (la classe et la division), avec la date d’édition de l’ouvrage. Plus bas, en petits caractères, l’identité bibliographique complète de l’ouvrage et le numéro d’inventaire qui permet de le trouver en rayon. C’est donc une classification simplifiée, à deux niveaux, dessinant de grandes catégories qui peuvent prendre parfois des proportions énormes : ainsi la classe « Sciences médicales », division « Anatomie », de la bibliothèque d’une université comptant une faculté de médecine.

  • 23 Laude J., « Les bibliothèques universitaires de province », Bibliothèques, livres et librairies, I (...)
  • 24 Vanrycke P., « Les thèses et dissertations académiques », Congrès international des archivistes et (...)

10Il est difficile de savoir comment se fait réellement le travail de catalogage. Les statistiques trimestrielles fournies au ministère rendent compte de son avancement, pas de sa qualité. Les indices dont on dispose ne sont guère encourageants. J. Laude, responsable de la bibliothèque universitaire de Clermont-Ferrand, qualifie le catalogage de ses confrères de province de « combien rudimentaire, insuffisant, embryon de catalogue qui semble destiné à rester toujours à l’état d’embryon23 ». Il y a aussi toute une partie des fonds auxquels on n’applique pas la classification Brunet : ce sont les diverses publications académiques, acquises par dépôt et par échange. À Lille, « comme dans toutes les bibliothèques universitaires françaises, [les thèses] sont classées à part et constituent un fonds spécial avec une cote spéciale » ; on y expérimente un nouveau système, grâce auquel « les thèses ne s’égarent plus dans les cartons24 ». Ailleurs, on se contente souvent de les classer par ordre d’arrivée. Ces écrits académiques représentent une grosse part des fonds, tant par le développement de la recherche universitaire que par la médiocrité des budgets d’acquisitions : en 1926, ils forment au moins 50 % des collections provinciales.

11Le ministère de l’Instruction publique a souhaité fonder un bon modèle de bibliothèques universitaires, garantissant la qualité uniforme de certains outils bibliothéconomiques. Pour l’obtenir, il a fait preuve d’autorité, s’appuyant sur de multiples circulaires et sur les recteurs, qui président aussi, de droit, les universités. Il a cependant aussi fait preuve de prudence et d’habileté, en retenant un modèle de classification traditionnel et en l’appliquant avec une certaine souplesse, pour ne pas heurter les usages des bibliothécaires français. Ce faisant, il a évité les oppositions mais aussi un réel débat de fonds sur la classification et ses enjeux. C’est seulement à la fin du XIXe siècle, alors que les bibliothèques universitaires françaises fonctionnent déjà depuis plus de 15 ans, qu’une discussion s’amorce avec l’arrivée en Europe de la classification décimale.

Brunet versus Dewey

1895, les bibliothécaires français confrontés à la classification décimale

  • 25 Levie F., L’homme qui voulait classer le monde : Paul Otlet et le Mundaneum, Bruxelles, Les Impres (...)
  • 26 Mémorial de la Librairie française, 30 janvier 1896 ; 19 mars 1896, 17 décembre 1896 ; 24 décembre (...)
  • 27 Maire A., Manuel pratique du bibliothécaire, Paris, 1896 ; Graesel A. (traduit par Laude J.), Manu (...)
  • 28 Delisle L., « Compte rendu de Decimal Classification and Relative Index for Librairies… 5th. Editi (...)
  • 29 Funck-Brentano F., « L’office international de bibliographie et la classification décimale », Corr (...)
  • 30 Polain M.-L., « Le système décimal en bibliographie et les publications de l’office international (...)

12En 1876, Dewey, responsable de la bibliothèque universitaire de Columbia, publie une nouvelle classification, répartissant les ouvrages en 10 classes, elles-mêmes subdivisées 10 sous-classes etc. – d’où son nom de classification décimale – la cote de l’ouvrage étant signifiée par un indice chiffré. Elle est introduite en Europe par le bibliographe Otlet, au congrès bibliographique de Bruxelles en 189525. Il en fait la promotion dans le Mémorial de la Librairie française le 23 janvier 1896, ouvrant ainsi une discussion qui se poursuit pendant un an26 et rebondit aussi dans d’autres revues. La publication contemporaine de plusieurs manuels de bibliothéconomie27 et la création du Bureau bibliographique à Paris en 1898 entretiennent le débat. Dans leur majorité, les bibliothécaires français se montrent méfiants, voire hostiles à l’égard de cette classification : Delisle reconnaît qu’elle donne de « bons résultats » dans les bibliothèques universitaires américaines, mais il serait « dangereux » de vouloir l’applique dans « nos vieilles bibliothèques28 ». Plus radical, Funck-Brentano la qualifie de « carcasse américaine », un « système fait tout entier d’à peu près29 », et Polain juge que « elle ne doit être adoptée en aucune façon30 ».

  • 31 Les citations de ce paragraphe sont tirées de l’article d’Otlet dans le Mémorial de la Librairie f (...)
  • 32 Vanrycke P., « Les thèses et dissertations académiques… », art. cit., p. 487-490.

13Pourtant, la classification décimale pourrait sembler adaptée aux bibliothèques d’étude. À la différence de la Brunet, elle a été élaborée par le responsable d’une bibliothèque universitaire pour traiter son fonds. Les arguments en sa faveur soulignent d’ailleurs son intérêt pour ce type de collection. Sa rigueur quasi-géométrique la rend plus « scientifique31 » ; c’est un instrument savant au service de savants. Elle permet un encodage dense et précis de l’information, remplaçant par « un petit nombre de signes » une notice de contenu. Elle permet d’affiner l’analyse selon le degré souhaité ; elle est ainsi « susceptible d’un développement infini », une capacité d’évolution utile pour des bibliothèques universitaires dont les fonds doivent être à la pointe de l’actualité bibliographique. Elle s’exprime en langage mathématique. Les chiffres ne transcrivent pas des mots mais des idées : la même notion s’exprime ainsi de la même façon dans tous les pays, sans barrière linguistique, ce qui favorisera la circulation des informations sur les fonds conservés, et celle des notices, avec un projet de catalogage uniforme international. La classification décimale ouvre ainsi la perspective d’un « langage bibliographique universel d’une rare précision ». Or, les bibliothèques universitaires françaises s’inscrivent dans un système d’échanges internationaux, troquant leurs publications académiques avec 41 consoeurs étrangères32. Au-delà même des échanges, les acquisitions étrangères sont importantes et un « langage bibliographique universel » en faciliterait le choix et le traitement. Ces arguments sont pertinents par rapport à une certaine conception des bibliothèques universitaires, conception qui ne correspond pas forcément à celle des bibliothécaires français, ni aux réalités auxquelles ils sont confrontés.

Une classification faussement scientifique

  • 33 Polain M.-L., « Le système décimal en bibliographie… », art. cit., p. 69.
  • 34 Delisle L., « Compte rendu de Decimal classification… », art. cit., p. 156.
  • 35 Cousin J., De l’organisation et de l’administration…, op. cit., p. 26.
  • 36 Funck-Brentano F., « L’office international de bibliographie… », art. cit., p. 40-41.

14En vantant la classification Dewey comme « scientifique », ses partisans ont sans doute froissé la susceptibilité des bibliothécaires français qui s’efforcent, depuis longtemps, de créer des systèmes bibliographiques fondés sur le système des sciences. La rigueur décimale, séduisante au premier regard, est rapidement dénoncée comme « anti-scientifique et on ne peut plus arbitraire. On peut même dire que c’est enfantin33 ». Elle est artificielle, répartissant les ouvrages en 10 classes parce qu’il y a 10 chiffres, sans refléter une division logique des branches du savoir. C’est un cadre trop rigide, pour des contenus qui ne se prêtent pas toujours « à la rigueur des divisions et subdivisions décimales34 ». Ainsi, en philologie, au-delà des deux premières catégories concernant les généralités, elle prévoit sept catégories pour sept grandes langues (anglais, allemand, français, italien etc.) et une 10e pour toutes les autres ; celle-ci peut à nouveau être subdivisée en 10 mais il y a beaucoup plus de 10 langues restantes… Les Français y opposent un système raisonné et signifiant, comme la Brunet, « système logiquement distribué et présentant, dans une suite facile à saisir, les différentes branches des connaissances humaines35 ». Même s’ils en reconnaissent « quotidiennement, à l’usage, les redoutables défauts », elle est cependant « plus large et plus raisonnable » que la classification décimale36. Ce n’est pas tant l’ordre établi par Brunet que l’on défend que sa capacité – depuis longtemps démontrée – à admettre des aménagements. La conception dominante en France reste que :

  • 37 Formule imprimée telle quelle dans Maire A., « Les classifications méthodiques en bibliothèque », (...)

« IL NE PEUT Y AVOIR DE CLASSIFICATION BIBLIOGRAPHIQUE ABSOLUE37. »

  • 38 Funck-Brentano F., « L’office international de bibliographie… », art. cit., p. 36.
  • 39 Mémorial de la Librairie française, 1896, p. 186 et p. 795 ; Delisle L., « Compte rendu de Decimal (...)

15Le bibliothécaire doit pouvoir adapter la classification à son fonds ; c’est sa responsabilité et son talent propre. La Dewey peut certes rendre service au projet de répertoire universel qui pour avancer rapidement, doit « procéder mécaniquement38 » mais pas pour un catalogage de précision. Le codage de l’information sous une forme purement chiffrée est lui aussi contesté. Pour atteindre une grande finesse d’analyse, il faut multiplier les subdivisions : la cote qui en résulte est une longue suite chiffrée, peu maniable39. En outre, si les chiffres sont universels, ce n’est pas le cas des notions auxquels ils renvoient. Tout le monde n’a pas la même conception du monde et, selon les pays, on classera les éphémérides en astronomie (sciences) ou en chronologie (histoire). Le placement d’un volume dans une catégorie ou une autre reste arbitraire, et susceptible de varier d’une bibliothèque à l’autre.

Une classification mal adaptée au contexte français

  • 40 Delisle L., « Compte rendu de Decimal classification… », art. cit., p. 156 et p. 160.
  • 41 Ibid., p. 164.

16La Dewey a été pensée pour « des établissements récemment créés de toutes pièces et consistant principalement en publications modernes », par contraste avec « les collections européennes dont les vieux fonds ne sont pas encore noyés dans les produits de la librairie contemporaine40 ». En effet, les bibliothèques universitaires françaises détiennent d’importants fonds anciens, hérités de l’Ancien Régime ou reçus de différents donateurs. Or, la classification Dewey manque d’éléments pour leur saisie. Elle manque aussi de détails pour cerner certaines « anciennes institutions qui ont disparu ou qui sont fort peu connues en Amérique41 », comme les ordres religieux ou le droit coutumier, objets d’importantes études en Europe. Sans le dire clairement, les Français expriment aussi une fierté nationale blessée : la classification Dewey consacre 7 sous-sections à l’histoire des États-Unis (973 à 979) mais une seule à chacun des grands états européens ; quant à la Corse, elle est placée dans l’histoire de l’Italie.

  • 42 Maire A., « Les classifications méthodiques… », art. cit., p. 18-28.

17Même ceux qui reconnaissent l’intérêt intellectuel de la Dewey se montrent réticents sur sa mise en œuvre pratique. Elle se présente à la fois comme une classification intellectuelle et comme un cadre de rangement pour des bibliothèques en accès libre – comme le sont les collections américaines – permettant ainsi de combiner la recherche en catalogue et sur rayons. Ce n’est pas le cas des bibliothèques universitaires françaises, où le dogme de la conservation s’oppose au libre accès généralisé. La Dewey devrait donc s’y appliquer au catalogue et au rangement en magasin. Mais elle perd alors beaucoup de son intérêt par rapport au rangement adopté par les universités françaises42. Par la distinction des formats, il assure un stockage dense et une meilleure conservation ; la simplicité de la numérotation facilite le rangement et la communication quand les longues séries chiffrées de la classification décimale peuvent générer des erreurs de lecture. Alors même qu’en bibliothèque universitaire les communications sont plus nombreuses qu’en bibliothèque municipale, la circulation des volumes doit être simplifiée.

  • 43 Delisle L., « Compte rendu de Decimal classification… », art. cit., p. 163.
  • 44 Ibid., p. 168. Même remarque chez Maire A., « Les classifications méthodique… », art. cit., p. 23.
  • 45 Cousin J., De la construction et de l’installation des bibliothèques universitaires, Paris, 1886 ;(...)
  • 46 Laude J., « Les bibliothèques universitaires de province », art. cit., p. 149.

18Appliquer la Dewey en France impliquerait donc « d’exposer nos vieilles bibliothèques à une désorganisation complète43 », ce qui ne serait envisageable que sous trois conditions : de vastes locaux, des bibliothécaires « instruits, aussi actifs que prudents » et aidés d’un personnel subalterne « intelligent, docile et laborieux44 », ce dont on ne dispose pas. Les bibliothèques universitaires récemment bâties, l’ont été pour un stockage dense et souvent à peine suffisant 10 ans après leur construction ; les autres sont logées dans les facultés, entre amphithéâtres et laboratoires, sans possibilité d’extension45. Le personnel est aussi dramatiquement insuffisant : on trouve rarement plus de deux bibliothécaires et un garçon de salle dans les universités de province, et parfois, comme à Clermont-Ferrand, l’unique bibliothécaire doit aussi gérer la bibliothèque municipale46. Il est inimaginable d’effectuer une pareille réorganisation avec des moyens qui suffisent à peine à assurer l’entretien courant des collections.

  • 47 Maire A., article dans Mémorial de la Librairie française, 7 janvier 1897, p. 5 ; id., « Les class (...)

19Si la classification Dewey est largement condamnée, la Brunet ne rallie pas tous les suffrages et les bibliothécaires se montrent conscients de ses défauts. Certains réfléchissent à l’élaboration d’une nouvelle classification, en s’inspirant notamment de la classification Lebas en usage à la Sorbonne47. Cependant, ces débats n’ont pas d’incidence sur les pratiques. Dans les bibliothèques universitaires, les instructions de 1878 restent en vigueur et les bibliothécaires n’ont, de toute façon, pas les moyens d’envisager une reclassification. L’arrivée de la classification décimale leur a surtout permis de fonder leurs usages sur des arguments rationnels, de principe ou de circonstance. Mais au-delà du débat sur la classification à choisir, s’amorce bientôt une réflexion sur la nécessité de la classification en elle-même.

Classification méthodique ou indexation ?

Le « catalogue-dictionnaire » de Cutter

  • 48 Cels A., art. cit.
  • 49 Mémorial de la Librairie française, 30 janvier 1896, p. 71 : l’article reprend les chiffres d’une (...)
  • 50 Delisle L., Instructions élémentaires et techniques pour la mise et le maintien en ordre des livre (...)

20En 1876, un autre américain, Cutter, publie ses Rules for a dictionary catalog : ce catalogue enregistre les différents ouvrages sous des termes qui en définissent le contenu, termes rangés par ordre alphabétique ; il s’agit donc d’une indexation par matière. Sa méthode est connue et pratiquée en Belgique, dans les années 188048. En 1896, son succès aux États-Unis est brandi par certains Français contre la Dewey : 46,5 % des grandes bibliothèques y pratiqueraient la méthode Cutter contre moins de 10 % pour la méthode Dewey, et même celles-ci la doubleraient d’un catalogue-dictionnaire49. Cependant, la description de cet outil – « qui rappelle notre classification Brunet » – révèle sa méconnaissance en France. On commence pourtant à envisager un « répertoire alphabétique de sujets ou de matières50 » comme solution d’attente, pour pallier les retards dans la confection du catalogue méthodique.

  • 51 Giraud-Mangin M., « Les bibliothèques municipales devant l’opinion », Bibliothèques, livres et lib (...)
  • 52 Jousserandot L., « Une visite à la bibliothèque municipale de Lyon », Revue du livre et des biblio (...)
  • 53 Jousserandot L., « Examen critique des Règles et usages de Charles Mortet », ibid., p. 22-29.

21Jusqu’en 1918, le débat sur l’indexation reste marginal et presque purement théorique. Rares sont les bibliothèques françaises qui en ont tenté l’expérience51. En revanche, dans l’entre-deux-guerres, l’indexation gagne du terrain dans les bibliothèques municipales, qui affirment leur rôle de lecture publique. Les catalogues sur registres sont convertis en fichiers et mis à la disposition d’un public désormais plus diversifié, pour lequel on souhaite un accès simplifié à l’information bibliographique. Avec le catalogue méthodique, le lecteur qui cherche un ouvrage sur les papillons doit aller dans la classe Sciences, puis dans la division Zoologie, pour aboutir à la sous-division Lépidoptères ; avec l’indexation-matières, il cherche directement au terme « papillon ». C’est donc un raccourci. La Revue du livre et des bibliothèques, devenue organe de l’Association pour le développement de la lecture publique, en fait la promotion : c’est l’instrument idéal, « le seul vraiment pratique », « le plus simple et celui qui permet les recherches les plus rapides52 », par contraste avec les catalogues méthodiques « longs à consulter53 ». Le Manuel du bibliothécaire de Crozet le recommande en 1932. Le débat sur l’indexation aborde la question de sa pertinence en bibliothèque universitaire, marginalement dans les années 1930, plus directement après 1945. Les arguments s’articulent autour de deux aspects : le travail du catalogueur qui de classificateur devient indexeur ; la commodité et la performance comparées des deux systèmes pour les lecteurs.

Avantages et inconvénients pour le catalogueur

  • 54 Cousin J., Bibliographie et bibliothéconomie, op. cit., p. 5 ; Maire A., « Les classifications mét (...)
  • 55 Grolier G. de, « Un catalogue par matières est-il nécessaire ? », Revue du livre, no 10, septembre (...)
  • 56 Il en existe aux États-Unis, publiées sous l’égide de l’Association américaine des bibliothèques ( (...)

22Dans un premier temps, l’indexation semble surtout une solution pour l’actualisation du catalogue méthodique. Toute classification nécessite des remaniements, notamment pour les domaines scientifiques en forte évolution. L’exemple généralement utilisé est la bactériologie, ignorée encore vers 1870 et absente de la première version de la Dewey ; elle est devenue ensuite une branche scientifique de première importance mais a dû être placée dans une sous-sous-catégorie. Au contraire, le catalogue-dictionnaire, avec son ordre alphabétique neutre, permet toutes les intercalations, un avantage important pour des bibliothèques universitaires qui doivent suivre les évolutions scientifiques. Cependant, les tenants de la classification54 soutiennent que, si celle-ci est bien faite, avec un cadre général rigoureux et des sous-catégories assez souples, il suffit d’ajouter des subdivisions, sans modifier l’économie générale de la classification. La vraie compétence du bibliothécaire – insistent-ils – est justement d’adapter le cadre de classement à ses besoins ; le catalogue matières n’est qu’un pis-aller. Un second argument est la nécessité pour tout catalogueur d’analyser le contenu de l’ouvrage, puis de choisir des termes de description55. La classification, avec son cadre préconçu et logique, fournit une aide appréciable dans des bibliothèques qui doivent traiter des documents très spécialisés et parfois en langue étrangère. L’indexation matière est beaucoup plus hasardeuse, surtout en l’absence de liste des autorités matières56. Les responsables des bibliothèques universitaires, tous formés à la classification, y sont plus à l’aise que dans l’indexation, qu’ils ont tendance à tirer vers une indexation hiérarchisée. On voit donc que, dans l’optique du catalogueur, les arguments hésitent entre le maintien d’une classification méthodique et l’indexation. La prise en compte de l’intérêt des lecteurs est alors déterminante.

Le meilleur outil de recherche pour les lecteurs

  • 57 Maire A., Manuel pratique, op. cit., p. 165 : 5 au minimum.
  • 58 Grolier G. de, « Un catalogue par matières… », art. cit., p. 240 ; Labrosse H., « La bibliothèque (...)
  • 59 Grolier G. de, « Un catalogue par matières… », art. cit., p. 242.

23Intellectuellement, la classification offre un meilleur outil descriptif, puisqu’en inscrivant un ouvrage dans une catégorie, sous un terme qui le définit (par exemple : Lépidoptères), elle le situe en même temps par rapport à d’autres catégories qui l’englobent (Zoologie) ou s’en distinguent (Coléoptères), le cernant assez précisément. L’indexation ne donne qu’un terme, aussi précis que possible mais qui ne décrit l’ouvrage que de façon sommaire. Bien sûr, on peut prévoir plusieurs termes d’indexation, une solution intéressante dans l’idéal mais impraticable dans les bibliothèques universitaires françaises, où le manque de personnel qualifié ne permet pas de produire le nombre de notices nécessaires aux besoins d’une recherche approfondie57. C’est une question de faisabilité mais aussi de démarche : même en multipliant les renvois, l’indexation a ses limites. Elle est commode pour une recherche courante car le lecteur trouve toujours quelque chose. Mais comme l’information est dispersée sous différents termes, il ne peut être certain d’avoir tout trouvé, ce qui est gênant pour un chercheur qui veut être certain d’avoir identifié tout ce que la bibliothèque avait comme ressources sur son sujet58. La classification méthodique, en structurant la recherche du général au particulier, en regroupant les ouvrages sur le même sujet, en établissant des liens entre les disciplines voisines permet de faire le tour de la question. Elle est donc mieux adaptée à sa démarche. Elle a aussi une valeur pédagogique, accompagnant la progression du chercheur, l’incitant aussi (en faisant apparaître les liens entre les domaines) à élargir ses perspectives au lieu de s’enfermer dans un domaine étroit, risque important dans des études universitaires de plus en plus pointues59. Ainsi, les avantages intellectuels de la classification restent largement reconnus pour les bibliothèques universitaires ; mais le travail du lecteur doit aussi être envisagé d’un point de vue matériel et, là, l’indexation semble parfois préférable.

  • 60 Maire A., Manuel pratique, op. cit., p. 163-165.
  • 61 Labrosse H., « La bibliothèque de Rouen », art. cit., p. 142-148.

24Toutes les bibliothèques publiques françaises restent jusqu’aux années 1960 en communication indirecte, avec cependant une évolution notable au XXe siècle, puisque les catalogues sont progressivement mis à disposition des lecteurs sous la forme de fichiers, une forme qui limite l’intérêt de la classification méthodique. Celle-ci doit permettre une vision globale des savoirs et des ressources. Lorsqu’elle n’est accessible que sur catalogue, il vaut mieux que ce soit sous la forme d’un volume, avec une table des matières décrivant la structure d’ensemble. La forme du fichier atténue les liaisons et la hiérarchie que la classification établit entre les domaines du savoir ; elle n’est pas non plus toujours très lisible sur des fiches surchargées de catégories et sous-catégories. On cherche des solutions pratique : des intercalaires de couleur qui visualisent les grandes subdivisions, une typographie hiérarchisée sur la fiche60 mais ce n’est pas toujours satisfaisant. Le catalogue méthodique « n’est vraiment pratique qu’en registre61 » et si le catalogue doit prendre la forme d’un fichier, l’indexation devient alors préférable.

  • 62 Grolier G. de, « La Bibliothèque publique et le lecteur », Revue du livre, janvier 1936, p. 2-14.
  • 63 Barrau-Dihigo L., « La bibliothèque de la Sorbonne », art. cit., p. 89.
  • 64 Beaulieux C., « Les transformations de la bibliothèque de l’université de Paris », Annales de l’un (...)

25Celle-ci rend d’ailleurs de plus en plus de services à des publics universitaires qui évoluent. Son intérêt en lecture publique est son caractère intuitif, qui permet à tout lecteur d’effectuer d’emblée une recherche, alors que la classification méthodique nécessite un apprentissage. Les usagers des bibliothèques universitaires sont des « gens qui savent ce qu’ils veulent et ce qu’ils peuvent obtenir des livres62 » et ils n’ont pas besoin qu’on leur facilite l’accès à l’information. Dès 1912 cependant, on reconnaît à la Sorbonne que, très complexe, le catalogue méthodique « ne peut servir qu’au bibliothécaire et à quelques initiés » et on amorce un « vaste répertoire des matières sur fiches63 », mis à disposition des lecteurs en 193264. À partir de 1945, les effectifs universitaires gonflent rapidement. Les nouveaux étudiants, de profils socio-culturels variés, sont souvent moins familiers des classifications et comme, dans leur grande majorité, ils ne dépassent pas le 1er cycle, leurs besoins documentaires sont finalement assez restreints : ils peuvent se contenter d’un fichier-matière.

  • 65 Funck-Brentano F., « De l’utilité des bibliographies critiques dans les bibliothèques », Congrès i (...)
  • 66 Malclès L.-N., « Rapport sur les bibliothèques universitaires en France », Bulletin de l’Associati (...)

26En fait, face aux problèmes pratiques posés par le catalogue méthodique et aux limites intellectuelles de l’indexation, on prône – pour les chercheurs – le recours à la bibliographie, complétée par un catalogue alphabétique auteurs et anonymes pour repérer l’ouvrage dans le fonds. La bibliographie critique est « l’auxiliaire indispensable du travailleur65 ». La Société des études historiques a, dans cette perspective, commencé la publication de bibliographies thématiques ; parmi leurs souscripteurs, on compte en 1900, six bibliothèques universitaires françaises et quatre étrangères. Dans l’entre-deux-guerres, les bibliothèques universitaires se dotent de salles de bibliographie66 et les bibliothécaires, experts de la science bibliographique, dispensent des cours aux jeunes chercheurs. Quant aux étudiants ordinaires, en attendant de faire l’apprentissage de la bibliographie, ils sont assistés par le fichier-matière, reconnu comme le plus pratique.

  • 67 Delsaux M., « Hommage à Barrau-Dihigo », Bulletin d’information de l’Association des bibliothécair (...)
  • 68 Cahiers des bibliothèques de France, 1953, p. 99.
  • 69 Labrosse H., « La bibliothèque de Rouen », art. cit., p. 142.

27Ainsi l’indexation, présentée en 1890 comme une alternative, par défaut, au catalogue méthodique, est affirmée dans les années 1950 comme « l’instrument de travail capital pour une bibliothèque universitaire67 » et « la nécessité d’un catalogue matière dans une bibliothèque universitaire ne peut être contestée68 ». Le regard porté sur le catalogue méthodique a changé. Même si on en reconnaît toujours les avantages intellectuels, on le décrit désormais comme « certainement le cauchemar de tous les bibliothécaires69 ». Au vu des conditions matérielles des bibliothèques françaises (magasins saturés, communication indirecte, personnel insuffisant), la classification méthodique est aussi difficile à mettre en place qu’à maintenir, et finalement peu utile aux usagers. La Brunet, discréditée, est progressivement abandonnée dans l’entre-deux-guerres et même dans les quelques bibliothèques qui l’entretiennent encore, on développe, par nécessité ou conviction, le fichier-matière. L’exemple de la Sorbonne en 1932 a certainement accéléré le processus. La même année, le CAFB est réformé en DTB (diplôme technique des bibliothèques) et l’épreuve technique de « classement » devient une épreuve de « catalogage » auteur et matière. L’évolution des pratiques, partie du milieu professionnel, est généralisée et officialisée par l’instruction de la direction des Bibliothèques de France (DBF) du 12 novembre 1951, qui remplace enfin celle de mai 1878. Les bibliothèques universitaires doivent désormais mettre à disposition des lecteurs trois catalogues sur fiches : auteurs, matières et périodiques.

L’avènement du libre accès et le retour de la classification

Un débat qui reste ouvert

  • 70 Salvan P., « Rapport sur les catalogues », Journées d’étude des bibliothèques universitaires, déce (...)
  • 71 Cahiers des bibliothèques, 1953, p. 100.
  • 72 Salvan P., « Rapport sur les catalogues », art. cit., p. 12.
  • 73 Ibid., p. 13.
  • 74 Cahiers des bibliothèques, 1953, p. 101.

28Cette circulaire n’a pas clos le débat sur la classification. Le fichier-matière, prescrit comme prioritaire, n’interdit pas (selon les moyens disponibles) la rédaction d’un catalogue méthodique. Et de fait, si toutes les bibliothèques universitaires reconnaissent la nécessité du premier, plusieurs parmi les plus importantes (Strasbourg, Rennes, Aix-Marseille, Lyon) défendent l’intérêt du second. Comme outil de gestion interne, le catalogue méthodique donne une vision globale des fonds, pour concevoir une politique d’acquisitions70. C’est aussi un instrument adéquat pour orienter les lecteurs en début de recherche, pour les « renseigner rapidement sur les ressources de la bibliothèque dans telle ou telle discipline71 ». Il est réclamé par les chercheurs, qui apprécient de trouver regroupés les ouvrages de leur spécialité72. Enfin, la normalisation du catalogage, qui s’engage dans toutes les bibliothèques publiques françaises, paraît plus aisée par l’adoption d’un cadre unique de classement que par l’indexation matière73. La discussion aboutit à l’intérêt de cumuler les deux systèmes comme « deux instruments de travail qui se complètent l’un l’autre74 » mais, par manque de moyens, la priorité reste au catalogue matières.

  • 75 Bulletin d’information de la direction des Bibliothèques de France, no 12, décembre 1952, p. 10-13  (...)
  • 76 Salvan P., « Le personnel des bibliothèques universitaires », Cahiers des bibliothèques de France,(...)
  • 77 Salvan P., « Rapport sur les catalogues », art. cit., p. 13.

29Quant au choix éventuel d’une classification, rien n’est précisé que la nécessité d’un accord entre tous les établissements75. L’hostilité à la classification décimale reste marquée. C’est une corvée « heureusement épargnée » aux bibliothèques universitaires françaises76. On peut y recourir mais seulement « si l’on s’abstient de pousser trop loin l’analyse77 ». Pourtant, un nouveau contexte va signer le retour à la classification et l’implantation durable de la classification décimale.

L’adoption du libre accès

  • 78 Pallier D., « Une histoire récente », art. cit., p. 21-22.
  • 79 « Compte rendu des journées d’étude des bibliothèques universitaires, novembre-décembre 1961 », Bu (...)

30Dans l’après-guerre, l’État a développé une vraie politique en faveur des bibliothèques publiques, avec d’importants investissements. Pourtant, au début des années 1960, les statistiques révèlent que, malgré ces efforts, le pourcentage d’étudiants fréquentant les bibliothèques universitaires stagne, ce que l’on impute notamment à la lourdeur des procédures de communication78. On décide alors l’évolution vers le libre accès parallèlement à une réorganisation des bibliothèques en deux niveaux, intellectuels et souvent aussi matériels79. Le 1er niveau est destiné aux étudiants de 1er cycle surtout, voire de licence : très nombreux, ils savent rarement se servir des outils bibliographiques et n’ont pas forcément besoin de l’apprendre, puisque – aux deux tiers – ils arrêtent leurs études avant la licence. Pour eux, on aménage une grande salle de travail équipée d’usuels en libre accès. Le 2e niveau est destiné aux étudiants entrés en recherche, à ceux qui préparent les concours d’enseignement et, bien sûr, aux enseignants. Pour eux aussi, les ouvrages sont en libre accès mais beaucoup plus nombreux et sans que les épis qui les regroupent en « sections spécialisées » empêchent la circulation d’un espace thématique à un autre. Ne restent en magasin que les ouvrages les plus fragiles ou les plus rarement demandés. L’essentiel est désormais en libre accès.

  • 80 Bléton J., « Constructions et aménagements nouveaux réalisés en France pour les bibliothèques entr (...)
  • 81 Condamin J., « La nouvelle bibliothèque universitaire scientifique de Reims », BBF, no 4, 1967, p. (...)

31Cette mutation implique évidemment d’importants travaux de reclassement, de catalogage et de réaménagements matériels, rendus possibles par les constructions en cours80. Elle est plus ou moins rapide selon l’importance des fonds et des moyens engagés. En 1967, la bibliothèque de sciences à Reims peut se vanter d’être presque entièrement en libre accès : c’est une collection modeste (environ 7 000 vol.) dans une faculté récente (1959) qu’on vient de doter de bâtiments neufs. L’installation s’y est faite d’emblée selon les instructions de 196281. En revanche, la bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris, beaucoup plus importante, a dû attendre 1989.

Des classifications multiples

32L’instruction de juin 1962 impulse le retour à une classification méthodique mais pas pour tous les ouvrages, ni de la même manière pour tous. Le 1er niveau est clairement dérivé du modèle antérieur, puisque le libre accès est réduit à une collection d’usuels, collection cependant étoffée et classée en CDU [Classification décimale universelle]. Dans le magasin correspondant, les ouvrages restent classés par format et ordre d’entrée, comme depuis 1878. Le 2e niveau, destiné aux chercheurs, est plus complexe. Le fonds d’ouvrages de référence en libre accès, beaucoup plus important, est lui aussi en CDU. Mais le fonds complémentaire en magasin est réparti en 20 catégories thématiques lettrées, qui reflètent les filières universitaires françaises ; sous chaque lettre, les ouvrages sont rangés par ordre d’entrée. Les dernières acquisitions doivent être mises en libre accès dans la salle des chercheurs, en conservant cette classification lettrée. Au bout d’un an ou deux, selon le statut intellectuel acquis par l’ouvrage, il rentre en magasin à sa place ou est reclassé en CDU, dans le fonds en libre accès.

33On pratique donc différentes classifications, méthodiques ou non, pour le rangement en magasin et pour les ouvrages en libre accès. La première raison donnée est de faciliter le travail des bibliothécaires. L’instruction précise qu’ils peuvent, s’ils en ont les moyens, tout classer immédiatement en CDU ; sinon, l’adoption d’une classification simplifiée en magasin doit accélérer le travail. Pourquoi alors ne pas conserver dans tous les magasins le rangement classique par format et ordre d’entrée ? La classification thématique du magasin du 2e niveau est en fait aussi destinée aux chercheurs. Pour faciliter leur travail, on envisage – ce qui est déjà réellement pratiqué dans nombre de bibliothèques universitaires – qu’ils aient un accès au magasin, sous certaines conditions de sécurité. La classification lettrée leur permet alors de s’orienter thématiquement, et le rangement par ordre d’entrée d’y repérer facilement les dernières acquisitions. Cependant la classification principale est bien la CDU, également mise en œuvre dans le catalogue méthodique, qui doit englober l’ensemble des volumes de la bibliothèque, quel que soit leur emplacement.

Pourquoi la CDU ?

  • 82 « Instruction concernant les nouvelles sections… », art. cit., p. 402.
  • 83 Béthery A., « Liberté bien ordonnée… », BBF, no 6, 1988, p. 451.
  • 84 Salvan P., Instructions sommaires pour l’organisation des bibliothèques publiques, Paris, 1954, p. (...)
  • 85 Ibid., p. 20.
  • 86 « Instruction concernant les nouvelles sections… », art. cit., p. 402.

34On peut légitimement se poser la question alors même qu’elle est loin de faire l’unanimité parmi les bibliothécaires français. Certains arguments circonstanciels, avancés au XIXe siècle en faveur de la Brunet, jouent désormais en faveur d’une classification décimale : c’est désormais la plus courante, non seulement dans le monde mais aussi dans les bibliothèques françaises de lecture publique82. Elle correspond mieux aussi aux disciplines désormais enseignées dans le secondaire et à l’université83. Enfin, elle est utilisée dans différents outils bibliographiques, ce qui en facilite l’usage par les bibliothécaires qui peuvent ainsi récupérer l’indice84. Elle existe sous deux formes : la Dewey et la CDU, version européenne affinée par des éléments complémentaires de l’indice numérique, permettant de cerner la période, la zone géographique ou le type d’approche. En France, les bibliothèques de lecture publique se rallient à la Dewey alors que l’on impose la CDU aux bibliothèques universitaires. À la différence de 1878, il y a donc ici un choix spécifique. On souligne sa finesse d’analyse pour des fonds spécialisés et des recherches pointues85. C’est aussi un outil polyvalent qui « convient tant au classement des documents qu’à l’indexation des notices catalographiques ou bibliographiques86 ». Elle doit devenir la clé unique de recherche, en rayon comme en catalogue.

Une mise en œuvre plus délicate que prévu

  • 87 « Journées d’étude sur la CDU », BBF, no 8, 1962, p. 415-416.
  • 88 Laurent P., « La bibliothèque universitaire de Rouen », BBF, 1965, p. 261-269.
  • 89 Daumas A., « La nouvelle bibliothèque scientifique universitaire de Nice », BBF, 1965, p. 47-53.
  • 90 Condamin J., « La nouvelle bibliothèque universitaire… », art. cit., p. 152-153.
  • 91 Ibid.
  • 92 Sansen J.-R., « L’accès aux documents dans les bibliothèques universitaires », BBF, no 6, 1988, p. (...)
  • 93 Daumas A., art. cit., p. 53.
  • 94 « Recommandations concernant le traitement des documents », BBF, no 6, 1988, p. 461.
  • 95 Voir Condamin J., art. cit., p. 151.
  • 96 Voir « Recommandations concernant… », art. cit., p. 461-462.

35Elle se heurte d’abord à des problèmes de circonstance : le passage au libre accès progresse lentement, ne concernant encore que 20 % des fonds en 1987. La recherche se fait donc toujours et surtout sur catalogue et on retrouve l’incommodité – déjà rencontrée – d’un catalogue méthodique sur fiches ; la finesse d’analyse de la CDU rend ce catalogue encore plus complexe à élaborer, à intercaler et à consulter. Si le principe de la classification décimale semble connu, les spécificités de la CDU le sont visiblement moins. La direction des Bibliothèques de France en est consciente puisque, dès juin 1962, elle organise des journées d’étude sur la CDU, auxquelles chaque bibliothèque universitaire doit envoyer au moins un représentant87. L’instruction de juin 1962 souligne aussi « la nécessité absolue d’une signalisation très claire », en détaillant l’emplacement de multiples panonceaux : à l’entrée de la bibliothèque, auprès des catalogues, à l’entrée de chaque section, en bout de travée, en haut des rayonnages, au rebord des tablettes… On prévoit même des « fantômes » de couleur parmi les livres, pour faire apparaître les scansions de la CDU. À Rouen88 comme à Nice89, on met effectivement en place de grands panneaux à l’entrée, montrant l’architecture globale de la CDU et expliquant les signes employés. Au gré des initiatives, on ajoute d’autres dispositifs : à Nice, on choisit des bibliothécaires compétents en CDU pour assurer le service public ; à Reims90, on organise des visites pour les nouveaux étudiants et on publie un petit guide du lecteur. La mise en place s’accompagne donc d’un travail d’information et de formation, des personnels comme des usagers. Il ne s’agit pas seulement d’aider ces derniers à se repérer mais aussi de limiter les déclassements, dans des collections désormais en accès libre91. On procède aussi à des adaptations, d’autant que l’instruction de juin 1962 accorde une « certaine latitude d’adaptation ». Il s’agit souvent de simplifier l’indice numérique, dont la grande précision tend à disperser les volumes dans les rayonnages92 ; mais on aboutit parfois à une classification trop sommaire, entraînant des « voisinages fort peu satisfaisants93 » sur les étagères. Le problème est aussi que, selon les disciplines et les types de supports, la CDU convient plus ou moins. Dès la fin du XIXe siècle, les juristes avaient dénoncé les insuffisances de la Dewey concernant leur domaine. Les facultés de médecine sont autorisées à conserver leur propre classification94. Ici et là, les bibliothèques, de leur propre mouvement, procèdent à des adaptations en fonction des problèmes rencontrés. À Reims, le personnel autant que les lecteurs peinent à retrouver les périodiques classés en CDU. Comme en général ils sont connus par leur titre, on les reclasse tout simplement par ordre alphabétique : « Cet ordre moins rationnel semble plus pratique et les utilisateurs actuels le respectent davantage95. » La CDU n’est donc pas la panacée attendue et, encore une fois, on aboutit à une grande disparité dans les pratiques96.

Conclusion

36La classification est donc généralement considérée comme l’outil par excellence de la recherche en bibliothèque d’étude. Pourtant, les bibliothèques universitaires ont connu, de ce point de vue, un sort variable, dû aux circonstances matérielles autant qu’aux mentalités bibliothéconomiques. La mise en œuvre d’une classification demande des moyens, des bibliothécaires bien formés et, surtout, elle ne déploie toutes ses potentialités que dans le cadre du libre accès, en guidant le chercheur vers un ensemble d’ouvrages à explorer, consulter et choisir. Mais, en France, la permanence de la communication indirecte a, jusqu’à une date récente, pesé sur la mise en œuvre et sur la réflexion en matière de classification. Le problème est peut-être aussi la conception qu’ont les responsables des bibliothèques d’étude de la classification et de leur rôle en ce domaine.

37À leurs yeux, la classification doit être le reflet d’un ordre scientifique autant qu’un outil pratique. Ils ont donc du mal à en accepter les imperfections. Ils ont aussi une vision ambitieuse de leur propre rôle, qui est d’adapter, voire d’élaborer une classification, plutôt que de l’appliquer simplement. À deux reprises (1878 et 1962), la tutelle étatique a essayé de leur imposer un cadre uniforme de classification, sans vraiment y parvenir. En 1988, les universités ont gagné en autonomie et l’État ne fait plus que des recommandations ; les bibliothèques universitaires adoptent alors en général la classification Dewey en l’appliquant avec souplesse. C’est sans doute leur engagement dans la coopération entre elles (SUDOC) aussi bien qu’avec les bibliothèques municipales, facilité par l’outil informatique, qui est désormais le meilleur facteur d’harmonisation de cette classification.

Notas

1 Constantin L.-A., Bibliothéconomie : nouveau manuel complet pour l’arrangement, la construction et l’administration des bibliothèques, Paris, Roret, 1841, p. 30.

2 Voir Pallier D., « Une histoire récente », D. Renoult (dir.), Les bibliothèques dans l’université, Paris, Cercle de la Librairie, 1994, p. 11-42.

3 Les pratiques réelles pourraient être mieux saisies en dépouillant les rapports aux Archives nationales, F 17bis mais, faute de temps, cet article s’appuie essentiellement sur des sources imprimées.

4 Sauf mention spécifique, toutes les citations de cette partie sont tirées de l’Instruction générale relative au service des bibliothèques universitaires, 4 mai 1878, publiée dans Robert U., Recueil de lois, décrets, ordonnances, arrêtés, circulaires etc. concernant les bibliothèques publiques, Paris, 1883, p. 115-137.

5 Cousin J., Bibliographie et bibliothéconomie : de la classification des bibliothèques, Paris, G. Pedone-Lauriel, 1884, p. 4.

6 Barrau-Dihigo L., « La bibliothèque de la Sorbonne », Bibliothèques, livres et librairies, III, Paris, 1913, p. 76.

7 Minot J., Histoire des universités françaises, Paris, PUF, 1991, p. 45-50.

8 Barnett G. K., Les bibliothèques publiques en France de 1789 à 1839, Paris, Promodis, 1987, p. 95-97.

9 « Instruction sommaire sur le classement des bibliothèques populaires », U. Robert, Recueil de lois, décrets…, op. cit., p. 236.

10 Elle donne en exemple la Bibliographie des Mazarinades de la Société d’histoire de France ou la Bibliographie biographique d’Oettinger, complète jusqu’en 1854.

11 Viardot J., « Livres rares et pratiques bibliophiliques » et « Nouvelles bibliophilies », Histoire de l’édition française, Paris, Fayard, 1990, respectivement t. II, p. 590-599 et t. III, p. 390-393.

12 L’Instruction de 1876 est d’ailleurs transmise avec la circulaire de mai 1878, aux responsables des bibliothèques universitaires, pour leur servir de guide.

13 Circulaire du 18 octobre 1909, publiée dans Revue des bibliothèques, 1909, p. 460.

14 Arrêté de création du CAFB, dans Bulletin administratif du ministère de l’Instruction publique, 1879, p. 625.

15 « Instruction sommaire… », U. Robert, Recueil de lois…, op. cit., p. 235.

16 Rouveyre É., Connaissances nécessaires à un bibliophile, Paris, É. Rouveyre, 1899, p. 38.

17 Cousin J., De l’organisation et de l’administration des bibliothèques : manuel théorique et pratique du bibliothécaire, Paris, 1882, p. 54.

18 Cels A., « Compte-rendu du Manuel du bibliothécaire de J. Cousin », Bibliographie de Belgique, no 11, 1883.

19 Cousin J., De l’organisation et de l’administration…, op. cit., p. 66.

20 Rouveyre É., Connaissances nécessaires, op. cit., p. 21.

21 Ibid., p. 22 et 39.

22 Advis pour dresser une bibliothèque, chapitre vii, Paris, Targa, 1627.

23 Laude J., « Les bibliothèques universitaires de province », Bibliothèques, livres et librairies, II, 1913, p. 148.

24 Vanrycke P., « Les thèses et dissertations académiques », Congrès international des archivistes et des bibliothécaires, Bruxelles, 1910, p. 491.

25 Levie F., L’homme qui voulait classer le monde : Paul Otlet et le Mundaneum, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2008, p. 51-74.

26 Mémorial de la Librairie française, 30 janvier 1896 ; 19 mars 1896, 17 décembre 1896 ; 24 décembre 1896 ; 7 janvier 1897.

27 Maire A., Manuel pratique du bibliothécaire, Paris, 1896 ; Graesel A. (traduit par Laude J.), Manuel de bibliothéconomie, 1897 ; Rouveyre É., Connaissances nécessaires, op. cit., 1899.

28 Delisle L., « Compte rendu de Decimal Classification and Relative Index for Librairies… 5th. Edition, by M. Dewey », Journal des Savants, 1896, p. 155-159.

29 Funck-Brentano F., « L’office international de bibliographie et la classification décimale », Correspondance historique et archéologique, 1896, p. 41.

30 Polain M.-L., « Le système décimal en bibliographie et les publications de l’office international de bibliographie », Revue des bibliothèques, 1896, p. 68.

31 Les citations de ce paragraphe sont tirées de l’article d’Otlet dans le Mémorial de la Librairie française, no 2, 23 janvier 1896.

32 Vanrycke P., « Les thèses et dissertations académiques… », art. cit., p. 487-490.

33 Polain M.-L., « Le système décimal en bibliographie… », art. cit., p. 69.

34 Delisle L., « Compte rendu de Decimal classification… », art. cit., p. 156.

35 Cousin J., De l’organisation et de l’administration…, op. cit., p. 26.

36 Funck-Brentano F., « L’office international de bibliographie… », art. cit., p. 40-41.

37 Formule imprimée telle quelle dans Maire A., « Les classifications méthodiques en bibliothèque », Bulletin de l’Association des bibliothécaires français, 1908, p. 22.

38 Funck-Brentano F., « L’office international de bibliographie… », art. cit., p. 36.

39 Mémorial de la Librairie française, 1896, p. 186 et p. 795 ; Delisle L., « Compte rendu de Decimal classification… », art. cit., p. 168.

40 Delisle L., « Compte rendu de Decimal classification… », art. cit., p. 156 et p. 160.

41 Ibid., p. 164.

42 Maire A., « Les classifications méthodiques… », art. cit., p. 18-28.

43 Delisle L., « Compte rendu de Decimal classification… », art. cit., p. 163.

44 Ibid., p. 168. Même remarque chez Maire A., « Les classifications méthodique… », art. cit., p. 23.

45 Cousin J., De la construction et de l’installation des bibliothèques universitaires, Paris, 1886 ; Laude J., « Les bibliothèques universitaires de province », art. cit., p. 132-134.

46 Laude J., « Les bibliothèques universitaires de province », art. cit., p. 149.

47 Maire A., article dans Mémorial de la Librairie française, 7 janvier 1897, p. 5 ; id., « Les classifications méthodiques… », art. cit., p. 18-28 ; Rouveyre E., Connaissances nécessaires, op. cit., p. 50-55.

48 Cels A., art. cit.

49 Mémorial de la Librairie française, 30 janvier 1896, p. 71 : l’article reprend les chiffres d’une enquête de l’American Library Association, 1893.

50 Delisle L., Instructions élémentaires et techniques pour la mise et le maintien en ordre des livres d’une bibliothèque, chapitre xix. Publiées en 1890, reprises dans la Revue des bibliothèques en 1908, rééditées en 1910.

51 Giraud-Mangin M., « Les bibliothèques municipales devant l’opinion », Bibliothèques, livres et librairies, II, 1913, p. 160, présente comme une exception à imiter le récent catalogue par « mots-types » de la bibliothèque municipale de Nantes.

52 Jousserandot L., « Une visite à la bibliothèque municipale de Lyon », Revue du livre et des bibliothèques, janvier-mars 1935, p. 7-11.

53 Jousserandot L., « Examen critique des Règles et usages de Charles Mortet », ibid., p. 22-29.

54 Cousin J., Bibliographie et bibliothéconomie, op. cit., p. 5 ; Maire A., « Les classifications méthodiques… », art. cit., p. 19.

55 Grolier G. de, « Un catalogue par matières est-il nécessaire ? », Revue du livre, no 10, septembre-octobre 1934, p. 240.

56 Il en existe aux États-Unis, publiées sous l’égide de l’Association américaine des bibliothèques (ALA) puis de la Congress Library depuis 1895. Les premières listes françaises sont initiées par la Revue des livres en 1935.

57 Maire A., Manuel pratique, op. cit., p. 165 : 5 au minimum.

58 Grolier G. de, « Un catalogue par matières… », art. cit., p. 240 ; Labrosse H., « La bibliothèque de Rouen », Congrès international des bibliothécaires, Paris, 1923, p. 142-148.

59 Grolier G. de, « Un catalogue par matières… », art. cit., p. 242.

60 Maire A., Manuel pratique, op. cit., p. 163-165.

61 Labrosse H., « La bibliothèque de Rouen », art. cit., p. 142-148.

62 Grolier G. de, « La Bibliothèque publique et le lecteur », Revue du livre, janvier 1936, p. 2-14.

63 Barrau-Dihigo L., « La bibliothèque de la Sorbonne », art. cit., p. 89.

64 Beaulieux C., « Les transformations de la bibliothèque de l’université de Paris », Annales de l’université de Paris, no 8, 1934, p. 415.

65 Funck-Brentano F., « De l’utilité des bibliographies critiques dans les bibliothèques », Congrès international des bibliothécaires, Paris, Welter, 1901, p. 119. Voir aussi Grolier G. de, « Un catalogue matières », art. cit., p. 234-235 ; Salvan P., « Rapport sur les catalogues », Journées d’étude des bibliothèques universitaires, décembre 1952, p. 19.

66 Malclès L.-N., « Rapport sur les bibliothèques universitaires en France », Bulletin de l’Association des bibliothécaires de France, 1937, p. 61-65.

67 Delsaux M., « Hommage à Barrau-Dihigo », Bulletin d’information de l’Association des bibliothécaires de France, no 4, mars 1950, p. 7.

68 Cahiers des bibliothèques de France, 1953, p. 99.

69 Labrosse H., « La bibliothèque de Rouen », art. cit., p. 142.

70 Salvan P., « Rapport sur les catalogues », Journées d’étude des bibliothèques universitaires, décembre 1952, p. 12.

71 Cahiers des bibliothèques, 1953, p. 100.

72 Salvan P., « Rapport sur les catalogues », art. cit., p. 12.

73 Ibid., p. 13.

74 Cahiers des bibliothèques, 1953, p. 101.

75 Bulletin d’information de la direction des Bibliothèques de France, no 12, décembre 1952, p. 10-13 ; Cahiers des bibliothèques de France, 1953, p. 105.

76 Salvan P., « Le personnel des bibliothèques universitaires », Cahiers des bibliothèques de France, no 1, 1953, p. 30.

77 Salvan P., « Rapport sur les catalogues », art. cit., p. 13.

78 Pallier D., « Une histoire récente », art. cit., p. 21-22.

79 « Compte rendu des journées d’étude des bibliothèques universitaires, novembre-décembre 1961 », Bulletin des bibliothèques de France [BBF], no 2, 1962, p. 60-63 ; et « Instruction concernant les nouvelles sections des bibliothèques universitaires, 20 juin 1962 », BBF, no 8, 1962, p. 401-410.

80 Bléton J., « Constructions et aménagements nouveaux réalisés en France pour les bibliothèques entre 1945 et 1985 », Les bibliothèques, tradition et mutation, Lausanne, Bibliothèque cantonale et universitaire, 1987, p. 17-41.

81 Condamin J., « La nouvelle bibliothèque universitaire scientifique de Reims », BBF, no 4, 1967, p. 145-154.

82 « Instruction concernant les nouvelles sections… », art. cit., p. 402.

83 Béthery A., « Liberté bien ordonnée… », BBF, no 6, 1988, p. 451.

84 Salvan P., Instructions sommaires pour l’organisation des bibliothèques publiques, Paris, 1954, p. 24.

85 Ibid., p. 20.

86 « Instruction concernant les nouvelles sections… », art. cit., p. 402.

87 « Journées d’étude sur la CDU », BBF, no 8, 1962, p. 415-416.

88 Laurent P., « La bibliothèque universitaire de Rouen », BBF, 1965, p. 261-269.

89 Daumas A., « La nouvelle bibliothèque scientifique universitaire de Nice », BBF, 1965, p. 47-53.

90 Condamin J., « La nouvelle bibliothèque universitaire… », art. cit., p. 152-153.

91 Ibid.

92 Sansen J.-R., « L’accès aux documents dans les bibliothèques universitaires », BBF, no 6, 1988, p. 461.

93 Daumas A., art. cit., p. 53.

94 « Recommandations concernant le traitement des documents », BBF, no 6, 1988, p. 461.

95 Voir Condamin J., art. cit., p. 151.

96 Voir « Recommandations concernant… », art. cit., p. 461-462.

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