Un siècle de leçons d'histoire
|2e partie. Du côté de l'histoire enseignée
Chapitre V. Les inerties
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1Bien que des initiatives personnelles se dessinent pour revaloriser la discipline, ce n’est qu’exceptionnellement que la crise est analysée sous l’angle des responsabilités propres aux historiens. Cependant, avant même l’amplification des critiques en 1930, Robert Schnerb s’interroge : « Devons-nous accuser nos collègues des autres branches ? » et recommande aux historiens de procéder à une modification des méthodes, des programmes et de la conception même de l’enseignement. Mais cette réflexion chemine difficilement. La corporation est portée à développer davantage un discours en termes de complot contre la discipline qui a pour but de légitimer une attitude défensive qu’un débat sur l’enseignement historique, lequel n’est guère souhaité que par des francs-tireurs.
- 1 Piobetta (B.) Le Baccalauréat de 1902 à nos jours, Paris, Bailliere & fils, 1937.
- 2 Falcucci (C.), L’humanisme dans l’enseignement secondaire, Toulouse, Privat, 1939.
- 3 Payot (J.), La faillite de l’enseignement, Paris, Alcan, 1937.
2Il est certain que le système scolaire en hiérarchisant les disciplines plus en fonction de leur importance aux examens que pour leur valeur éducative ne contribue pas à éviter ce genre d’attitude. Une grande partie des solutions aux difficultés que traverse l’enseignement historique reste subordonnée à l’évolution des études secondaires, études dont trois ouvrages publiés de 1937 à 1939, le Baccalauréat1 de Piobetta, L’humanisme dans l’enseignement secondaire2 de Falcucci et La faillite de l’enseignement3 du recteur Payot dressent un bilan négatif. L’esprit des études joue en faveur de la tradition. Le poids des examens, la surcharge des programmes, l’immobilisme des pédagogies sont des problèmes transversaux à toutes les disciplines et, selon M. Bloch et L. Febvre, n’épargnent pas l’Université. En outre, professeurs et élèves renforcent par leurs comportements la logique d’un système d’études dont une idée élitiste de l’intelligence fédère toutes les parties, les premiers parce qu’ils profitent des privilèges culturels fondés sur le savoir, les seconds parce qu’ils en attendent la certification d’un niveau qui détermine leur accès à certaines carrières. Or cette conscience des uns et des autres accentue les particularismes de l’enseignement secondaire, alors que le projet de réaliser « l’école unique » plaide en faveur de l’unification des cursus, des méthodes, voire du recrutement du corps enseignant. Ces diverses questions qui pèsent sur les choix disciplinaires constituent le terrain d’action de la Société des professeurs d’histoire et de géographie fondée pour défendre l’intérêt professionnel des enseignants des deux disciplines.
- 4 Isaac (J.), Intervention à l’assemblée extraordinaire du 3 avril 1938, BSHM, 38e A, n° 9, 1938, p. (...)
3« Les programmes importent moins que les méthodes, et les méthodes moins que les hommes », déclare J. Isaac à l’assemblée de la Société d’histoire moderne4. Est-ce rendre les professeurs responsables de la lenteur de l’évolution pédagogique ? Est-ce plutôt – et c’est dans ce sens que J. Isaac l’entendait – considérer que le problème essentiel qui détermine les autres est celui du recrutement et de la formation du personnel qui, déjà soulevé en 1899 par la commission d’enquête, n’avait été suivi d’aucun règlement vraiment nouveau ? Les deux propositions sont-elles d’ailleurs contradictoires et ne peut-on pas penser que la question de la formation professionnelle est restée sans réponse à cause du conservatisme institutionnel et corporatiste ?
Le conservatisme professionnel
4La réforme de 1902, en multipliant les disciplines scolaires et les catégories professionnelles, est à l’origine d’associations corporatives dont le rôle ne va cesser de grandir dès avant la guerre de 1914. Les principales structures sont en place dans les années qui suivent la réforme : associations pédagogiques et amicales qui, en 1924, vont se constituer en syndicats, associations de spécialistes. Parmi celles-ci, la Société des professeurs d’histoire et de géographie s’est ouverte, depuis 1920, aux enseignants de l’enseignement primaire supérieur et de l’enseignement universitaire. Mais les questions abordées sont quasiment toutes relatives à l’enseignement secondaire, dans la continuité de l’acte de fondation du 10 mars 1910 et de l’action menée les premières années.
Une stratégie défensive
5Si on fait une étude transversale des thèmes traités par le Bulletin de 1911 à 1939, on est frappé par la récurrence de deux sujets, celui des épreuves des examens et concours où l’histoire peut gagner quelque prestige : concours d’entrée à Saint-Cyr et à l’École normale supérieure, concours général et baccalauréat, et surtout celui des horaires avant et après chaque projet ou réforme, 1911, 1923, 1925, 1931, 1937, où la politique de la Société consiste à lutter pour le maintien du statu quo, la référence étant les trois heures hebdomadaires minima pour les deux disciplines instituées par la réforme de 1902. S’il est certain qu’au-delà de sa valeur symbolique, le refus de la réduction des heures vise à défendre les intérêts matériels des professeurs, les questions les plus importantes se trouvent toutefois abordées prioritairement sous l’angle quantitatif, sans que soit envisagée qu’une diminution des horaires puisse être compensée par des dispositions accroissant la qualité de l’enseignement. Les programmes, par exemple, sont examinés par rapport à ceux qui les ont précédés et aux heures imparties mais leur philosophie n’est guère l’objet de discussion. Il faut cependant noter un vif intérêt pour les situations pédagogiques qui, de l’avis de leurs instigateurs, ont entraîné une amélioration de l’enseignement. La sollicitude pour le matériel est du même registre.
- 5 Hirsch, « L’histoire et la géographie au congrès international de Genève-Grenoble », BSPHG, n° 49, (...)
- 6 Citron (S.), « Positivisme, corporatisme et pouvoir dans la Société des professeurs d’histoire et (...)
6En général, le comité de la Société, élu par l’assemblée générale annuelle, s’efforce de contrôler les débats sur la discipline et en assure l’information. Un exemple est fourni par l’attitude qu’il adopte en 1926 à propos du VIIIe congrès international de l’enseignement secondaire, sis à Genève qui, cette année-là, porte sa réflexion sur l’enseignement de l’histoire et de la géographie. Dans son allocution lors de l’assemblée générale du 27 décembre 1925, le président Morizet appelle ses collègues à exprimer leur avis en ces termes : « Il me semble [en effet] que nous ne devons pas laisser des individualités si sympathiques soient-elles prendre seules la parole, mais que c’est l’opinion mûrement réfléchie de la totalité du corps enseignant des historiens et des géographes français qui doit s’exprimer5 ». Or la Société et encore moins ses instances dirigeantes ne représentent en 1925 la totalité des enseignants des deux disciplines. D’après les calculs de Suzanne Citron, pas plus de sept personnes n’ont exercé de fonction au sein du bureau entre 1911 et 1931 et pendant la même période, 41 ont été élues au comité, soit 4 % du millier de membres atteint en 19316. D’autre part, les deux organes sont largement dominés par les professeurs de lycée parisiens. Toujours selon les mêmes sources, avant 1931, sur ces quarante et un membres du comité, sept appartiennent à des établissements provinciaux et trois à la catégorie des professeurs de collège. De surcroît, la représentation des adhérents à l’assemblée générale est très faible – moins de 5 % en général –. Cependant, la Société s’arroge le droit de parler au nom des enseignants puisqu’elle les représente officiellement auprès de l’administration centrale et notamment du directeur de l’enseignement secondaire avec qui elle dialogue par l’intermédiaire de son bureau. Au nom de cette représentativité, elle dénie toute autre valeur qu’informative aux avis qui s’expriment dans le Bulletin, tribune ouverte aux communications individuelles qui n’engagent que leurs auteurs, ou en dehors d’elle. Il en résulte que toute position qui ne coïncide pas avec les analyses des organes de direction de l’association a peu de chances de se faire entendre.
7La Société a un rôle accru par le fait que certains de ses membres actifs soient ou aient été membres du CSIP. Il en résulte une confusion de fonctions et une identité de politique. La Société appuie l’action du délégué des agrégés d’histoire, action que lui-même peut télécommander. Elle risque fort d’y perdre son indépendance. De 1908 à 1939, les trois professeurs élus au CSIP sont respectivement Auguste Moniot, Henri Busson et Albert Troux. Les trois sont signataires de la circulaire du 10 mars 1910 appelant à la constitution de l’association. A. Moniot est ensuite membre du comité. H. Busson, délégué de 1923 à 1934, est secrétaire général de la société de 1910 à 1911, puis de 1920 à 1923, année où il est élu président jusqu’à ce qu’il succède à Moniot comme délégué des agrégés. En 1934, lui succède à son tour A. Troux membre de la Société depuis 1910, fondateur de la Régionale de Nancy.
Tableau 8. Du CSIP à la Société des professeurs d’histoire et de géographie, une présence permanente. (N.B. : Pendant les mandats de Busson, Morizet qui avait, en alternance avec lui, rempli les fonctions de secrétaire général, préside la Société et assure ainsi la continuité de son action pendant vingt-cinq ans.)

- 7 L’Université, organe de la Fédération générale de l’enseignement, dénonce en décembre 1931 cette c (...)
- 8 Busson (H.), « Déclaration de candidature, A MM. les Agrégés d’histoire », 25 octobre 1927, RU, 36(...)
- 9 Ibid., élections du 4 novembre 1931, RU, 40e A, 1931, 2, p. 157-159.
- 10 Troux (A.), Ibid., RU, 47e A, 1938, 2, p. 71.
- 11 Citron (S.), Aux origines de la Société des professeurs d’histoire et de géographie, Thèse de 3e c (...)
8Cette représentation au CSIP donne à la politique défensive de la Société sa raison d’être et son champ d’application, et pèse, en retour, sur les options du Conseil7. Les professions de foi qu’H. Busson et A. Troux adressent aux agrégés d’histoire épousent les analyses qu’on peut lire dans le Bulletin. En 1927, H. Busson évoque le « sérieux danger » dans lequel était l’enseignement historique et géographique quatre ans auparavant lors de sa première élection et plus qu’un programme pour le mandat qu’il sollicite, il fait un bilan de son action précédente, s’engageant à poursuivre la défense de la cause des deux disciplines8. Ayant eu à faire face à la campagne contre le « surmenage », il présente en 1931 son troisième mandat comme une lutte contre les « attaques incessantes », un « redressement » des propositions ministérielles et se loue d’avoir pu, grâce « à l’élan donné par la société des professeurs d’histoire et de géographie, à l’action de son Comité et de ses Régionales… limiter nos pertes dans toute la mesure du possible9 ». Ceci est toutefois exprimé avec la plus grande courtoisie à l’égard des représentants des autres disciplines, sur un ton très modéré et tolérant. En revanche, la circulaire d’A. Troux en 1938 est formulée avec plus de pugnacité10 ; le vocabulaire est emprunté au registre des faits militaires : « certaines positions ont été conservées, voire améliorées et l’avenir permettra sans doute de rectifier celles qui n’ont pas subi sans dommage de sérieux assauts ». Mais la stratégie est la même. Il s’agit de défense, « obstinée » ajoute-t-il à la deuxième répétition du mot défense dans le paragraphe final, de sauvegarde morale et matérielle, d’horaires conservés, du maintien du statu quo et l’énoncé de ces semi-victoires remplace le programme. Lue à travers ces textes, l’histoire de la discipline se réduit à une somme de gains et de pertes. Certes, les rapports des sessions du CSIP, notamment en 1931 et 1937-1938, font état de transactions très serrées entre le ministère et les représentants des diverses disciplines, mais le cumul des fonctions enferme la direction de la Société dans des préoccupations matérielles et institutionnelles et accentue le « chauvinisme de la spécialité11 » propre à tout regroupement d’essence corporative. Si la satisfaction des représentants des professeurs d’histoire est d’avoir « sauvé » des heures, obtenu un cœfficient plus élevé à telle ou telle épreuve, on comprend pourquoi certains historiens se désolaient que les questions de fond ne fussent pas posées.
9Or, si elles ne sont pas posées par la Société et que l’expression personnelle est en partie verrouillée, l’organisation syndicale, quant à elle, n’offre pas de plus grandes possibilités de discussion sur les sujets purement disciplinaires. Ainsi, le Syndicat national des professeurs de lycées renvoie-t-il aux associations de spécialistes le règlement des conflits internes. D’ailleurs la défense de l’intérêt professionnel est conçue par ce syndicat en des termes proches de ceux de la Société. Les convergences se font au service d’un discours qui, dans le cadre du respect des horaires et des programmes, prône la plus grande liberté des maîtres et l’éclectisme des méthodes et expliquent le mélange des fonctions. Moniot a été ainsi un des artisans de la création de la Fédération des lycées en 1905, puis son vice-président. Morizet, son secrétaire général de 1911 à 1919, puis président de 1922 à 1933, est secrétaire de la Fédération nationale des professeurs de lycée en 1910, ensuite président et vice-président du syndicat national.
- 12 BSPHG, n° 77, novembre 1938, p. 9.
- 13 Le Congrès de 1928, par exemple, se prononce pour qu’au début de chaque année, les professeurs d’u (...)
10Aux yeux des professeurs, la liberté pédagogique est un précieux privilège. Elle est la garantie de leur pouvoir dans la classe et de leur indépendance intellectuelle. Ce point de vue, longuement exposé par les professeurs réunis en 1907 au Musée pédagogique et rappelé en de nombreuses circonstances, est plus de vingt-cinq ans après tout aussi déterminé. Cela explique que le débat sur les méthodes que la Régionale de Nancy avait souhaité ait avorté. Il n’a pas lieu d’être. Telle est la réponse de la Régionale de Rennes qui, réunie le 10 juin 1933 à la Faculté des lettres sous la présidence d’Armand Rébillon, écarte d’emblée la discussion, « considérant que chaque maître doit bénéficier au maximum de liberté dans la conception de l’esprit et dans les choix des moyens de son enseignement12 ». Cet avis est partagé par la majorité des Régionales. Quant aux communications individuelles, elles se résument à cinq réponses. Aussi n’est-il pas étonnant qu’A. Troux juge utile d’étoffer la synthèse de quelques remarques personnelles. Cela lui donne l’occasion de se prononcer de nouveau, dans la conclusion de son compte rendu, en faveur de la liberté de la méthode. Cette attitude, très représentative du libéralisme et de l’individualisme universitaires qui prévalent parmi les professeurs de l’enseignement secondaire, comme le montrent les déclarations des congrès du Syndicat national des professeurs de lycée13, ne favorise pas les transformations des pratiques et explique que des procédés d’enseignement très divers se chevauchent dans les années 1930. En effet, dans l’élaboration des textes officiels, le ministère prend acte de cette volonté du corps professoral et il rappelle que les professeurs sont libres de leurs jugements et méthodes. D’autre part, il formule peu d’interdictions et rédige les instructions dans des termes suffisamment flous pour que les professeurs ne se sentent pas contraints par les règlements. Il en résulte une entente tacite sur cette question entre les instances dirigeantes de l’instruction secondaire et les professeurs et toute immixtion pédagogique autre que celle du corps d’inspection est très mal ressentie, notamment celle des autorités administratives.
- 14 Seul, Legaret a un itinéraire atypique. Étudiant en mathématiques, il prépare l’agrégation d’histo (...)
- 15 Lacoste, « À propos d’un recueil de textes, un enseignement méprisé », BSPHG, n° 71, mars 1932, p. (...)
11Or, les inspecteurs d’Académie choisis parmi les professeurs de lycée et les inspecteurs généraux de la discipline appartiennent socialement et culturellement au même monde que les élus au CSIP et les membres les plus actifs de la Société des professeurs d’histoire et de géographie. Si certains ont été des contestataires que l’institution a promus parce qu’ils avaient des idées et du dynamisme, et qu’il valait mieux qu’ils fussent à l’intérieur du système que sur les marges, ils défendent, du fait même de leur fonction, une certaine idée de l’enseignement dont ils favorisent de maître en maître la transmission. Gallouédec, Pagès, Petit-Dutaillis, Isaac, Huby ont été des étudiants brillants de l’ENS et sont d’anciens professeurs dont une partie de la carrière s’est déroulée comme celles de Moniot, Busson, Morizet et Troux : un poste en province, puis à Paris, une réussite professionnelle couronnée par une activité qui dépasse le cadre de l’établissement scolaire et donne à celui qui l’exerce l’accès à des milieux influents et, corollairement, un certain prestige social14. Ainsi se trouvent réunies toutes les conditions d’une symbiose de pensée entre des hommes qui, à des titres différents, pèsent sur l’orientation de la discipline. Alors que les uns ont pour fonction de participer à l’élaboration des règlements de l’Instruction publique, les autres de les appliquer et les troisièmes d’être théoriquement un contre-pouvoir, tous sont les gardiens de la culture humaniste qui les a formés. Leur action s’inscrit essentiellement dans la continuité. Mais ce faisant, ils ne contribuent pas à ce que les habitudes et les conceptions du corps enseignant évoluent. La pire des maladresses – ou provocations – d’un professeur de Nancy est d’inviter ses collègues à la réflexion en ces termes : « Nous n’avons (donc) rien à perdre même en faisant une tentative aventureuse. Le grand défaut de nos méthodes c’est précisément qu’elles manquent d’aventure15 ». Car, dans sa majorité, le corps des professeurs de l’enseignement secondaire masculin, en raison de sa position sociale, préfère la stabilité.
La défense d’un pouvoir social
- 16 BSPHG, n° 74, janv. 1933, p. 479-480.
12Le corporatisme catégoriel se double d’un corporatisme disciplinaire. Ainsi pour les professeurs d’histoire, le prestige de la matière qu’ils enseignent fonde-t-il le leur. Le questionnaire de la régionale de Nancy, relatif aux méthodes, est à ce propos explicite16. La première question porte sur l’enseignement de l’histoire : « est-il réellement peu estimé… », la seconde est ainsi formulée : « Le professeur d’histoire est-il moins considéré que ses collègues ? ». Beaucoup de questions d’ordre pédagogique qu’on s’attendrait à voir traitées en termes d’élèves se trouvent appréhendées sous cet angle, et notamment celles du baccalauréat et de l’utilité du manuel.
- 17 Piobetta (J.-B.), Examens et concours, Paris, PUF, 1943.
- 18 « L’enquête sur le baccalauréat », BSPHG, n° 52, juin 1927, p. 8.
- 19 Busson (H.), Session du Conseil supérieur de l’Instruction publique, du 31 janvier au 11 février 1 (...)
- 20 Troux (A.), « La question du surmenage », BSPHG, n° 62, janvier 1930, p. 146.
- 21 Lanoir (M.), Disciplines et compositions de « mémoire », BSPHG, n° 82, janvier 1935, p. 192-197.
13Cinquante ou soixante ans après avoir passé le baccalauréat, les anciens élèves se rappellent que l’histoire y était une matière orale du second groupe d’épreuves. Aussi même s’ils disent que ce n’était pas pour eux une matière accessoire, l’examen hiérarchise de fait les disciplines, l’importance d’une matière pour les élèves se mesurant à l’importance des sanctions. Les professeurs partagent la même analyse et Piobetta peut citer au nombre des dérives que le poids du baccalauréat entraîne le fait que « chaque professeur évalue son importance moins d’après le rôle que la discipline qu’il enseigne peut jouer dans l’éducation de ses élèves, que d’après le cœfficient que les examens et concours accordent à cette discipline17 ». On comprend dès lors que la question de l’épreuve écrite ait pris une si grande importance dans l’activité de la Société après la guerre, alors que l’enquête qu’elle conduit en 1925 ne conclut à la nécessité d’introduire une composition qu’à une faible majorité, 31 voix contre 2618. Mais pour la Société des professeurs d’histoire et de géographie, cette mesure mettrait la discipline à parité avec les autres matières littéraires et, surtout, marquerait « la fin de l’ostracisme ». Il est ainsi significatif que le combat cesse, pour quelques années en 1931, parce que, dans le cadre du nouveau règlement du baccalauréat qui allège l’écrit, l’association accepte la réunion des deux disciplines histoire et géographie dans la même interrogation, assortie d’une faible augmentation des cœfficients, selon l’argument qu’avec ce nouveau régime « nos disciplines ne resteront plus seules (souligné dans le texte) dans la catégorie si dépréciée aux yeux des candidats des matières d’oral19 ». Peu importe qu’elles y restent, qu’elles demandent toujours autant de révisions aux élèves, l’important c’est que la physique en première A et A’ et les langues vivantes en première B ne soient plus des matières d’écrit. Or, en défendant la dignité de l’enseignement historique et géographique à travers le statut de leurs disciplines au baccalauréat, parce que celui-ci non seulement sanctionne les études secondaires mais en est, pour l’opinion, la face la plus visible, bon nombre de professeurs défendent – et Piobetta l’a bien perçu – leur propre prestige. « Trop de grands élèves se paient notre tête durant toute une année20 », déclare A. Troux. Trop de professeurs des autres disciplines, et même l’Administration, admettent que n’importe qui peut enseigner l’histoire. Le professeur de sciences forge une culture scientifique, le professeur de philosophie une culture philosophique, mais « un bon phonographe » remplace le professeur d’histoire21.
- 22 Weill (G.), « L’application des nouveaux programmes », RU, 15e A, 1906, 1, p. 106-116.
- 23 Quinzaine universitaire, n° 378, 1/12/1938, p. 141.
- 24 Lettre de L. D…, élève au lycée de L…, 1933-1940.
- 25 Lettre de M. C…, élève au collège d’A…, 1931-1939.
14Les réactions des professeurs d’histoire à propos de l’usage du manuel montrent particulièrement que la crainte de la dévalorisation de la discipline se confond avec celle d’une atteinte à leur situation. Alors que les textes ministériels engagent à la complémentarité de l’enseignement oral et du manuel, les professeurs, la réfutant, définissent leur rôle en l’opposant à celui du livre. Le maître, celui dont la parole fait autorité, enseigne sans livre parce qu’il enseigne ce qui n’est pas dans le livre. Il crée. C’est le fil de sa pensée qu’il déroule devant les élèves, sans servitude à quelque instrument. En 1906, H. Busson, alors professeur au lycée de Bordeaux, s’exclame « Comment ? Expliquer un chapitre de manuel c’est rendre presqu’inutile l’emploi d’un agrégé22… » ce qui sous-entend que le cas des professeurs adjoints, ex-répétiteurs, peut être différent, leur fonction étant par définition de faire répéter. De même, l’usage du manuel établit la distinction entre la pédagogie de l’école primaire et celle de l’enseignement secondaire, puisque dans les classes primaires, le maître lit la leçon d’histoire à voix haute, deux fois même, s’il suit les conseils d’E. Lavisse. C’est pourquoi la sensibilité à cette question, si vive lors de la conférence de L. Gallouédec au Musée pédagogique, ne faiblit pas trente ans après. « Le professeur ne doit pas s’effacer derrière le manuel23 », déclare A. Troux devant la commission pédagogique du Syndicat national des professeurs de lycée, craignant de voir s’établir « une liberté dirigée ». Son attitude est largement partagée. Les instructions officielles de 1938 notent que des professeurs « font profession » d’ignorer le manuel. L’un de nos correspondants croit se rappeler, nous l’avons noté ci-dessus, que « la lecture du manuel était vaguement tolérée, parfois déconseillée, à l’exception des légendes concernant les diverses illustrations24 ». Un autre, élève d’un autre lycée, évoquant le recours ponctuel au manuel ou aux documents, indique « Mais le professeur n’aurait pas laissé submerger le cours25 ».
- 26 Lacoste, « À propos d’un recueil de textes, un enseignement méprisé », BSPHG, op. cit.
- 27 Troux emploie cette expression à propos de la radio devant la commission pédagogique du Syndicat n (...)
- 28 JO 1938, Annexes, p. 1199.
15Avec dérision, le professeur qui publie l’article « un enseignement méprisé » remarque : « notre profession est la seule où l’acquisition d’un outil commode ne provoque pas une véritable satisfaction26 ». Le propos pourrait s’appliquer aussi bien à la radiophonie et à tous les procédés qui, en faisant avec le cours « double usage27 », font écran au savoir et aux talents du professeur et empêchent qu’il remplisse la haute mission dont il se croit investi, celle de porter haut le flambeau de la culture française pour le transmettre aux jeunes générations. On comprend dès lors que le discours sur la pédagogie active, où le professeur a un rôle d’intervenant et où la relation maître-élèves est modifiée, ait cassé non seulement des habitudes mais une représentation du métier. Il n’est pas certain, par exemple, que la recommandation d’exercer « une autorité amicale28 » qui figure dans les instructions de 1938 ait été comprise. L’attitude professorale consistait plutôt à marquer son territoire en instituant une distance souvent infranchissable entre le maître et l’élève. Là encore, entre la froideur hautaine et la familiarité qu’on trouve notées dans les rapports d’inspection, le ton juste était un signe supplémentaire de distinction.
- 29 Compte rendu de l’activité de la Société, RU, 47e A 1938, p. 75.
16Ainsi, en défendant leur discipline et le cours magistral comme le procédé le mieux adapté à celle-ci – ce qu’aucun texte officiel ne dément –, les professeurs d’histoire défendent-ils une certaine image des maîtres de l’enseignement secondaire et donc d’eux-mêmes. L’enjeu est social. Le niveau de culture certifié par les diplômes donnant accès à l’enseignement, les qualités intellectuelles et pédagogiques que reconnaît l’institution au cours de la carrière de l’enseignant définissent des prérogatives économiques et un pouvoir qui permet aux professeurs de lycée, voire de collèges, souvent issus des couches moyennes, de faire partie de la petite bourgeoisie des villes de province. La nomination d’un agrégé à Paris qui, pour les meilleurs, intervient dans un délai moyen de cinq à six ans après l’obtention du premier poste élargit le capital social, rapproche des établissements de l’enseignement supérieur et, en termes financiers, accorde les mêmes avantages qu’une maîtrise de conférence en province. Implicitement donc, les professeurs de l’enseignement secondaire cultivent sur le plan professionnel ce qui permet d’affirmer leur distinction des instituteurs. Cette stratégie est surtout le fait des professeurs agrégés qui, au sein de leur propre association, défendent leur statut. Les historiens y sont d’ailleurs largement représentés, puisque trois des neuf membres du Bureau de la Société des agrégés en 1938 sont des professeurs de la discipline (le président Gaston Martin, Lesourd et Villat29). On peut toutefois penser que même pour les licenciés, l’enseignement dans un établissement secondaire donnait l’illusion d’un relatif prestige social. Le fait de participer à la culture de l’élite suffisait à les convaincre – ou à ce qu’ils fassent semblant de croire – qu’une barrière les séparait des instituteurs.
17Les trois débats qui se déroulent autour de l’école unique, de la gratuité de l’enseignement secondaire et du surmenage, montrent combien les professeurs attachés au maintien de la qualité de la culture lycéenne, craignent une primarisation du secondaire. De même que la promotion des répétiteurs au grade de professeurs-adjoints en 1902 avait été à l’origine de la création des premières sociétés de spécialistes, ou que les revendications des chargés de cours avaient provoqué en 1914 la constitution de la Société des agrégés, celle en 1925 du Syndicat national des professeurs de lycée se fait exclusivement sur des bases catégorielles et le refus de se rallier en 1928 à la Fédération générale de l’enseignement et, en 1936, à la CGT affirme contre les courants unitaires la volonté de défendre l’identité de l’enseignement secondaire et avec elle le prestige de la fonction professorale. Au sein du front uni par la revendication d’un enseignement secondaire de qualité que forment durant plus de vingt ans ces instances elles-mêmes en étroite relation avec le CSIP, le corporatisme de la Société des professeurs d’histoire et de géographie est la traduction sur le plan disciplinaire de la représentation que les professeurs ont de leur fonction et de leur identité, représentation exacerbée par le débat autour de l’école unique. Pour beaucoup d’entre eux, les collèges et surtout les lycées restent l’antichambre de l’enseignement supérieur, regroupant l’aristocratie des élèves sous la houlette d’un corps enseignant qui, souvent naturellement porté par sa formation à reproduire l’exemple universitaire, le fait avec d’autant meilleure grâce qu’il se sent – ou se veut – culturellement plus proche des professeurs de faculté que des maîtres de l’école primaire. Le Bulletin ouvre largement ses colonnes aux comptes rendus bibliographiques, chichement aux expériences pédagogiques. Se cultiver est une disposition d’esprit, mais devenir pédagogue dans l’enseignement secondaire serait déroger. Enseigner est au moins autant un art qu’un métier.
La préparation au professorat
La question de la formation professionnelle
- 30 Langlois (C-V.), « L’agrégation d’histoire », Conférences du Musée pédagogique, Paris, 1907.
18Dans la série des conférences organisées en 1907 sur l’enseignement de l’histoire, celle consacrée à l’agrégation est faite par C-V. Langlois, directeur du Musée pédagogique30. Il y présente les trois qualités fondamentales qui font un bon professeur : l’aptitude générale à enseigner, l’expérience et la conscience, et indique, à propos de l’aptitude à enseigner, qu’elle s’apprécie à partir de la culture du candidat d’une part, de son intelligence et ses talents d’exposition d’autre part. Ces remarques, qui prennent place dans une réflexion sur la fonction de l’agrégation, traduisent une opinion de la préparation professionnelle partagée par les milieux professoraux. L’intelligence, l’art d’exposer sont des dons naturels, gratuits et incommunicables. Ils ne s’apprennent ni ne se transmettent. Magister non fit sed nascitur, la maxime fleurit dans tous les discours consacrés au sujet. Si C-V. Langlois la nuance, il la reconnaît toutefois exacte. La question de la préparation au professorat ne se pose pas.
- 31 Monod (G.), « La nouvelle agrégation d’histoire », Bulletin historique, RH, t. 60, 1896, 1, p. 359 (...)
19En effet, par le fait même de ces prédispositions, le maître sait enseigner : il a le savoir et la méthode et la force intérieure que lui procure ce savoir lui donne envie de le transmettre. L’idée selon laquelle est inutile l’apprentissage du métier de professeur n’est donc pas un préjugé de gens ignorants mais s’inscrit dans la logique de la conception de l’enseignement et de l’enseignant. Enseigner c’est, par le don de soi-même, adapter les connaissances à ceux qui les reçoivent. Plus on est savant et plus on a d’intelligence pour pouvoir faire cette transposition du savoir qui suppose, en histoire, qu’on tire de la tumultueuse foule des faits et des personnages ceux qui méritent le coup de lumière et vont s’imprimer par l’art de la parole dans la mémoire de l’élève, mieux on enseigne. On ne sait pas assez si l’on ne sait que ce qu’on enseigne. C’est pourquoi les facultés, chargées de fournir à la nation les cadres de son système d’instruction en même temps que ses chercheurs, oscillent entre la spécialisation accrue des études conforme à leurs objectifs scientifiques et un enseignement supérieur, entendu comme post-secondaire. La lente démultiplication de la licence ès lettres traduit ces hésitations. Au sein même du courant réformateur, des personnalités influentes, comme G. Monod notamment, expriment leur opposition à une spécialisation précoce et exclusive des études supérieures31. Une solide formation intellectuelle prépare à toutes les situations.
- 32 Chervel (A.), Histoire de l’agrégation, Paris, Kimé, 1993.
- 33 JO, 1900, Documents parlementaires, Chambre des députés, S.E., Annexe n° 1196, Rapport VI, Prépara (...)
20L’expérience, que C-V. Langlois a citée, est une des autres raisons pour lesquelles la formation professionnelle est inutile. Les modalités mêmes de l’agrégation qui, du décret de Fortoul à la réforme universitaire des années 1880, en font un certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire ouvert aux professeurs de collège et aux chargés de cours en lycée exerçant depuis plusieurs années32, établissant ainsi institutionnellement qu’une des possibilités d’être recruté comme professeur agrégé est d’avoir déjà enseigné, sont la reconnaissance qu’une des formes de la préparation au concours d’accès au professorat des lycées est le professorat lui-même… Les conclusions du rapport de la commission d’enquête de 1899 vont dans le même sens. Malgré l’absence de préparation, la plupart des professeurs paraissent assez habiles pour y suppléer et arrivent très vite à réussir, après quelques hésitations et tâtonnements33.
- 34 Isambert-Jamati (V.), Les savoirs scolaires…, Paris, éditions universitaires, 1990.
- 35 RU, 9e A, 1900, 2, congrès international de l’enseignement secondaire, juillet-août 1900. La propo (...)
- 36 Langlois (C-V.), Questions d’histoire et d’enseignement, Paris, Hachette, 1906.
- 37 Monod (G.), « La nouvelle agrégation d’histoire », Bulletin historique, RH, t. 60, 1896, 1, p. 359 (...)
21Ce sentiment de réussite explique sans doute que les avis des professeurs agrégés du secondaire, recueillis lors de l’enquête, soient partagés sur la nécessité d’une formation professionnelle34. La question a cependant une telle acuité que le congrès international de l’enseignement secondaire de 1900 présidé par A. Croiset, doyen de la Sorbonne, l’inscrit à son ordre du jour et exprime le vœu « que les maîtres de l’enseignement secondaire reçoivent une éducation pédagogique, à la fois théorique et pratique, par l’histoire de la pédagogie, la discussion des méthodes et des exercices professionnels d’application35 » résumant en quelque sorte la doctrine de l’Instruction publique en la matière à la veille de la réforme de 1902. En revanche, les professeurs de l’enseignement supérieur ne sont pas favorables à la préparation au professorat ; selon C-V. Langlois, beaucoup d’universitaires se désintéressent de la question parce que leur activité scientifique les absorbe36 ; d’autres sont franchement hostiles à une activité qui leur demanderait du temps et de l’attention et les empêcherait de se consacrer à l’investigation scientifique, « le luxe le plus flatteur de la vie universitaire ». Si la vanité dont il se moque a sans doute sévi, le juste équilibre de la recherche et des tâches pédagogiques se posait, y compris pour les professeurs les plus réformateurs, comme un problème difficile à résoudre. La réforme universitaire orientait, en effet, de plus en plus l’enseignement supérieur vers une préparation des examens aux dépens de sa spécificité, les progrès de la science et de la connaissance. Plus d’une fois, E. Lavisse a insisté sur le poids que la préparation de l’agrégation exerçait sur l’enseignement supérieur, tant d’ailleurs pour les élèves, auxquels on demande « un travail immense » que pour les professeurs. Les craintes de G. Monod ne sont pas moindres37.
- 38 JO, 1900, Documents parlementaires, Chambre, S.E., Annexe n° 1196. L. Bourgeois, cité dans les con (...)
22À la fin du siècle, prévaut donc l’opinion qu’il n’y a pas lieu de réformer le système de préparation au professorat puisqu’« aucune nation ne possède un corps enseignant supérieur à celui de la France, offrant des garanties plus hautes et plus solides, dont les membres aient à un plus haut degré le sentiment du devoir et de l’honneur, une vie plus digne et plus de dignité de caractère, une instruction aussi étendue et aussi forte, en un mot tout ce qu’un père demande quand il confie à un autre son autorité38 ». Après un tel panégyrique d’un ministre de l’Instruction publique, tout entier consacré aux vertus intellectuelles et morales mais où ne figure l’évocation d’aucune compétence strictement pédagogique, les professeurs étaient confortés dans leur idée personnelle qu’on n’apprend pas à faire la classe. Être professeur, c’est être licencié ou agrégé.
- 39 Marion (H.), « Le mouvement des idées pédagogiques dans l’enseignement supérieur », RIE, t. 18, 18 (...)
23Pourtant, le projet d’une préparation pédagogique est l’une des facettes de la réforme de l’instruction à laquelle s’attellent les républicains. L’idée avait déjà inspiré l’action des Conventionnels lors de la création de l’École normale et, pour les réformateurs du dernier quart du xixe siècle, héritiers des idéaux de la Révolution, la formation des débutants représente un levier puissant pour substituer à la routine pédagogique des périodes précédentes un enseignement raisonné. Il s’agit de créer les conditions du renouveau intellectuel et moral de la nation en donnant aux établissements secondaires publics des « professeurs non seulement instruits mais inspirés des bonnes méthodes39 » et capables d’initiative et de réflexion sur leur propre métier qui formeront les esprits éclairés et indépendants dont la démocratie française a besoin. C’est donc une nécessité politique et c’est la raison pour laquelle, alors que la question ne semble pas se poser pour l’opinion publique, elle est portée au devant de la scène dans le sillage de la réforme scolaire et notamment par les personnalités de l’Université pour qui l’action pédagogique est une mission qui complète et prolonge la diffusion de la science.
24Les historiens les plus prestigieux de la fin du siècle défendent cette position. Pour E. Lavisse, la préparation des professeurs est un pan de la réforme de l’enseignement supérieur et, au même titre qu’elle, un devoir de l’Université envers la nation. D’autre part, considérant qu’il y a une pédagogie de l’enseignement historique, il juge nécessaire de l’enseigner aux étudiants, afin qu’eux-mêmes remplissent au mieux leur devoir de professeur et d’éducateur moral. Aussi, abordant le sujet en de nombreuses occasions depuis 1880, souvent dans des allocutions aux étudiants, a-t-il eu un rôle primordial dans la prise en compte de cette question par la commission d’enquête de 1899. En outre, ses diverses fonctions de directeur des études à la Sorbonne, de président du jury de l’agrégation, puis de directeur de l’École normale supérieure à partir de 1903, lui donnent les moyens d’orienter les choix institutionnels.
- 40 Lavisse (E.), « L’enseignement et les examens », Questions d’enseignement national, Paris, 1885.
- 41 Ibidem.
25Ses idées au début des années 1880 sont nettes et ambitieuses. « Il faut organiser dans les facultés l’apprentissage du professorat », c’est-à-dire, « mettre les professeurs en contact avec la vie réelle, soit en demandant au recteur d’envoyer dans les facultés de temps à autre une classe de lycée, afin que les étudiants fassent devant de vrais élèves de vraies leçons, soit en envoyant… les étudiants au lycée40 ». S’il ne développe pas la première proposition, conscient des problèmes matériels qu’elle induit, il dresse pour la seconde les grandes lignes d’un projet qu’il va défendre jusqu’à ce qu’il soit adopté – dans des termes cependant modifiés –, mais qui ne concerne que la formation des candidats à l’agrégation, élèves de l’ENS inclus. « Chacun d’eux pourrait être attaché à un professeur de lycée ; il ne gênerait point son tuteur ; il assisterait une fois par semaine à une classe ; de loin en loin, il dirigerait un exercice, correction de copie ou explication : quatre ou cinq fois l’an, il ferait toute une classe. Il apprendrait ainsi qu’autre chose est la science, autre chose l’enseignement, et qu’il existe un art d’approprier les connaissances aux forces intellectuelles des enfants à qui on doit les communiquer. Il rapporterait à la faculté les résultats de son expérience, et le maître, à propos des leçons qui continueraient d’être faites devant lui, introduirait ces discussions de méthode, dont nous ne sentons pas assez l’utilité41 ».
- 42 Lavisse (E.), « Réforme nécessaire », RU, 1re Année, 1892, 1, p. 1 à 8.
26L’opinion d’E. Lavisse se démarque nettement des autres puisqu’il affirme que le professorat, s’il est un art, est aussi un métier qui s’apprend par une pratique. Son propos est teinté de réalisme en même temps que d’idéalisme. En effet, il entend bien ne pas perturber les habitudes des professeurs de l’enseignement secondaire et imagine donc une présence discrète et souple de l’étudiant ; mais, convaincu de la nécessité de lier les deux enseignements et fort de son propre exemple, il croit pouvoir associer à l’apprentissage les maîtres du supérieur et anticipe leur disponibilité. C’est une position d’avant-garde où peu le suivent en 1882. En 1892, il inaugure le premier numéro de la Revue universitaire par un article intitulé « la réforme nécessaire » où, à la lumière de ses conclusions en tant que président de jury de l’agrégation, il répète que préparer les jeunes au professorat est une priorité42. Il cherche donc à convaincre qu’une éducation professionnelle est nécessaire et ensuite à la définir. Il a en cela le soutien des professeurs de la Société de l’enseignement supérieur et des plus hautes personnalités scientifiques et universitaires parmi lesquelles le chimiste M. Berthelot, M. Bréal, A. Croiset, le doyen de la faculté de médecine Dreyfus-Brisac, le philosophe Espinas et les historiens Langlois, Monod, Rambaud et Seignobos.
- 43 Seignobos (C.), « L’enseignement de l’histoire en Allemagne », RIE, t. 1, 1881, 1, p. 563-600.
- 44 JO, 1900, Documents parlementaires, Chambre, S.E., Annexe n° 1196, Rapport VI, p. 467 sq.
27Dans la perspective d’une réforme, les enseignements des expériences étrangères sont recherchés. Le ministère de l’Instruction publique charge C. Seignobos de s’informer des formes de la préparation pédagogique en Allemagne et en publie le compte rendu dans la RIE43. Si l’enquêteur prend soin d’indiquer que les dispositions sont très diversement appliquées et que la question elle-même est très controversée en Allemagne, il soulève les principales options qui s’offrent en France et qu’on retrouve dans le débat national en 1899. Quelle doit être la part de la théorie et de la pratique dans la préparation pédagogique au professorat ? Faut-il donner à l’enseignement théorique de la pédagogie, pour les spécialistes d’une discipline, le contenu qu’ont défini H. Marion et E. Durkheim, en charge de cet enseignement à la Sorbonne ? Si le métier de professeur s’apprend par la pratique, le stage est-il la forme la plus appropriée ? Si tel est le cas, où le placer dans les études et comment l’organiser ? Dépositions orales et réponses écrites – en fait surtout les positions des recteurs et inspecteurs– donnent lieu au rapport final de la commission d’enquête rédigé par le député Gueneau. Concluant que la préparation professionnelle est jugée insuffisante à la majorité des déposants, il reprend une grande partie des propositions et de l’argumentaire développés par E. Lavisse44.
28Après avoir rappelé l’urgence de la réforme, E. Lavisse expose son plan, limité aux futurs professeurs agrégés, sensiblement nouveau depuis celui de 1882, puisqu’il place l’année de formation après le concours. Se trouvent ainsi séparées la formation scientifique et la formation pédagogique, E. Lavisse en escomptant les jeunes agrégés aient tout le temps nécessaire pour se consacrer à l’apprentissage de leur métier. Fidèle à son habitude de différencier la théorie de la pratique de l’enseignement et souhaitant conjuguer les deux aspects dans la formation, il envisage la première sous la forme de cinq à six heures de cours hebdomadaires dispensés par l’Université sur trois sujets, la philosophie de l’éducation, l’histoire de l’éducation, et les systèmes d’éducation dans divers pays, complétés par des conférences relatives à la spécialité. La formation pratique est prévue sous la responsabilité morale d’un professeur, sous forme d’assistance à une classe dans un lycée, une ou deux fois par semaine, et si possible de visite des écoles primaires. On retrouve dans ce projet un des vœux les plus chers d’E. Lavisse, à savoir que les enseignants forment un corps, le sentiment des solidarités donnant la conscience d’une mission commune. E. Lavisse bat en brèche l’individualisme des catégories et des disciplines. En regroupant les agrégés de toutes les disciplines dans les cours de pédagogie théorique, il conçoit l’année de préparation comme une année de recueillement et d’entraînement dit-il. Il espère forger la conscience de la grande armée des lycées français aux frais de l’État, les agrégés étant boursiers de l’Université l’année de la préparation. Il trace là les grands axes d’une réforme de l’École normale supérieure souhaitée par plusieurs intervenants au cours des débats de 1899, par laquelle celle-ci retrouverait sa vocation première, celle d’un institut pédagogique.
- 45 Les propositions sont présentées à la Chambre des députés le 14/2/1902 et au Sénat le 10 juillet.
29Amendé par les idées qu’ont émises les autres membres conviés à déposer, le plan d’E. Lavisse constitue l’ossature des propositions qu’A. Ribot soumet aux Chambres en 190245. Entérinant le principe d’une préparation à l’enseignement composée de deux parties distinctes, l’une scientifique, l’autre pratique, la commission s’est prononcée pour l’élargissement des modalités de la préparation professionnelle aux licenciés. En second lieu, elle a dessiné l’activité du stagiaire avec plus de netteté, recommandant qu’elle aboutisse au rapport de ses expériences élargies au cadre de l’établissement, études, récréations, promenades, conseils ; « le professeur a besoin de connaître complètement tous les détails de la vie des élèves et d’une maison d’éducation ». La durée du stage proposée est de six mois à un an. La dernière modification apportée au plan d’E. Lavisse montre que la commission a opté pour une intensité plus grande du stage. En effet, prenant acte de la méfiance envers les cours théoriques de pédagogie – tous les déposants n’avaient pas la foi d’E. Lavisse – le rapport final propose prudemment le renforcement de l’observation sur le terrain et laisse une grande latitude aux facultés pour l’organisation des cours de pédagogie. « Ainsi, les questions théoriques auraient-elles plus d’importance pour les professeurs de lettres que pour ceux de sciences dont l’enseignement est mieux déterminé et laisse moins de place à l’éducation morale ». Cette concession à E. Lavisse ne cache pas l’inquiétude des membres de la commission quant au caractère facilement dogmatique d’un enseignement théorique – notamment la philosophie de l’éducation – dont ils cernent mal le contenu.
30Mais les conclusions du rapport traduisent la forte actualité de la question pédagogique à l’orée du siècle. Le discours d’A. Ribot est sans équivoque. Alors même que des cours de pédagogie sont déjà insérés dans certains cursus d’étudiants, lesquels font, comme les élèves de l’ENS un stage d’une quinzaine de jours dans un lycée, conformément à la circulaire ministérielle du 17 novembre 1888, l’intention des réformateurs est d’étendre et de développer ce dispositif afin que, mis en œuvre par des enseignants mieux formés, le nouveau plan remplisse ses objectifs. C’est pourquoi A. Ribot devant les députés cible l’enjeu comme étant celui de l’éclat des études secondaires.
- 46 BAIP, n° 1596, 1903, p. 1002-1004.
- 47 BAIP, n° 1627, 1904, p. 807-808.
- 48 BAIP, n° 1735, 1906, p. 677.
31Approuvée par le Parlement, la préparation au professorat forme, à partir de 1902, un dispositif complet pour les agrégés. Les futurs professeurs apprennent ce qu’ils auront à enseigner. La formation universitaire y pourvoit. Ils doivent savoir plus que ce qu’ils enseigneront et donc, en histoire, s’être exercés aux méthodes de l’investigation scientifique. Ceci est l’objet du DES. Ils sont censés enfin savoir enseigner et pour cela, recevoir dans le cours de leurs études universitaires une initiation aux questions professionnelles dispensée à l’École de la rue d’Ulm, réunie par le décret du 10 novembre 190346 à l’Université de Paris dont elle devient l’institut pédagogique, tandis que l’arrêté du 18 juin 190447, réorganisant les agrégations, institue l’obligation du stage. Mais en n’en fixant pas institutionnellement la durée et surtout en ne donnant ni contenus précis ni corollairement de modalités d’évaluation transparentes à l’enseignement de culture pédagogique, il dévalue de facto la préparation qu’il prétend instituer. Aucun diplôme sanctionnant l’aptitude professionnelle n’est délivré, le stage donnant lieu à un certificat du recteur attestant que le candidat au titre d’agrégé y a satisfait dans les conditions déterminées par les règlements48. Dans les faits, le certificat est délivré sur avis du proviseur du lycée où l’étudiant est stagiaire et on voit mal comment, sinon dans des cas exceptionnels, les autorités administratives pouvaient refuser de donner le titre d’agrégé à un professeur qui avait réussi le concours de l’Université.
- 49 Durkheim (E.), L’évolution pédagogique en France, Paris, PUF, 1969, (2e éd.).
32L’arrêté de 1904 entérine donc le fait qu’un niveau de formation professionnelle n’est pas nécessaire pour être recruté comme enseignant du secondaire et que la meilleure initiation au métier, pour ceux qui ne sont pas « nés » professeurs, réside dans l’imprégnation par le milieu. Or, si ce n’est guère contestable, il n’est pas sûr que ce soit suffisant. La lecture du cours d’E. Durkheim sur l’histoire de l’enseignement secondaire en France montre bien que les ambitions des républicains radicaux et laïques étaient plus élevées49. Le stage, placé sous la tutelle d’un maître expérimenté, incite en effet à la reproduction d’un modèle, alors que le but de la préparation professionnelle devait être de conduire les futurs maîtres à s’interroger, de façon à ce que de ce questionnement, naisse une opinion sur ce qu’est l’enseignement et, par suite, un choix raisonné de leurs pratiques. Mais pour que la formation fût cette véritable propédeutique qu’E. Durkheim concevait dans son cours, et non des conférences jugées plus ou moins superflues, il eût déjà fallu qu’une épreuve permît d’évaluer la solidité de la réflexion pédagogique de l’étudiant.
33En l’absence de celle-ci, le recrutement des professeurs s’effectue, après la mise en application de la réforme de 1902 comme avant, par l’agrégation où le jury, chargé de sélectionner les candidats, dans les mêmes épreuves, juge les connaissances et essaie de déceler comment le futur professeur va enseigner. La préparation au professorat en vient donc à se confondre avec celle de l’agrégation. Ce faisant, se trouvent exclues de toute initiation au métier la quasi-totalité des professeurs de collège et à peu près la moitié des professeurs de lycée. Les dispositions de 1904 marquent donc un retrait par rapport aux projets des années 1880. Le nombre de licenciés ayant augmenté, il devenait de plus en plus difficile matériellement d’organiser un stage pour l’ensemble des enseignants. Il n’en reste pas moins que la solution adoptée était en contradiction avec le discours le plus courant selon lequel plus un maître était savant, mieux il enseignait, à moins qu’elle ne fût en conformité avec une conception élitiste du professorat, limité au seul corps des agrégés.
L’agrégation
- 50 Langlois (C-V.), « L’agrégation d’histoire », Conférences du Musée pédagogique, Paris, 1907.
34En 1907, C-V. Langlois notait : « Il y aurait positivement pour les érudits de l’avenir une thèse à faire sur l’histoire de l’agrégation d’histoire50 », tant depuis trente ans les réformes avaient été nombreuses. En effet, en raison du caractère mixte de l’agrégation, concours terminal des études universitaires et concours de recrutement des professeurs de l’enseignement secondaire classique, les législateurs ont instauré une répartition des programmes et des épreuves qui, à partir de 1880, ne pouvait être intangible puisque les études universitaires et secondaires étaient elles-mêmes en pleine mutation.
- 51 Lavisse (E.), « Le concours pour l’agrégation d’histoire et de géographie », RIE, t. 1, 1881, p. 1 (...)
35Après l’échec des agrégations de synthèse mises en place par Fortoul, l’agrégation d’histoire et de géographie est réorganisée par le règlement du 11 juillet 1860. Elle comprend alors quatre compositions écrites, trois explications de textes (grec, latin, français) deux leçons (une en histoire, une en géographie). Passée exclusivement par les élèves de l’École normale supérieure et des professeurs chargés de cours, elle prend un visage nouveau au début des années 1880, consécutivement à la création des bourses d’agrégation et la réforme des études universitaires. Il semble que le nombre croissant de candidatures ait entraîné un relèvement du niveau du concours, réputé difficile et éprouvant. Ainsi E. Lavisse dit-il des épreuves écrites qu’elles demandent une rare patience au travail, une mémoire propre à retenir quantité de matières indigestes51.
36L’objectif du concours en 1880 est d’évaluer le savoir général, l’aptitude professionnelle et l’aptitude scientifique du candidat. Les épreuves se répartissent donc en trois types, les épreuves de savoir général, les épreuves professionnelles et les épreuves d’érudition.
- 52 Langlois (C-V.), op. cit., p. 29.
37Les épreuves de savoir général comprennent quatre compositions écrites (histoire ancienne, histoire du Moyen Âge, histoire moderne et géographie) de six heures chacune. Les épreuves professionnelles sont constituées de deux leçons d’une heure préparées sur un sujet donné vingt-quatre heures à l’avance dans le programme d’histoire et de géographie des lycées, la correction de copies provenant du concours général, épreuve instituée par Fortoul en 1855, ayant été supprimée en 1885. Les épreuves d’érudition, enfin, consistent en une explication de trois textes, et une épreuve orale appelée « leçon de thèse » ou « leçon d’érudition », où, sur une question d’histoire, le candidat défend son travail contre une argumentation adverse. Mais tous ces exercices très lourds, puisqu’il n’y a pas moins de dix épreuves, étaient, si l’on en croit C-V. Langlois et E. Lavisse, en réalité mécaniques et fictifs : « on n’avait appris bon gré, mal gré qu’à jouer les apparences de l’érudition52 ».
- 53 BAIP, n° 1123, 1894, p. 190-199.
- 54 BAIP, n° 1137, 1894, circulaire du 17 novembre relative à l’agrégation d’histoire, p. 677 à 683.
38Une réorganisation importante intervient en 189453. Son objectif est double : d’une part affirmer le caractère professionnel du concours, d’autre part valoriser l’apprentissage scientifique et méthodologique des candidats, de façon à ce que les études historiques bénéficient de « bons ouvriers ». Dans les faits, l’harmonisation de ce double programme conduit à la distinction des deux faces du concours et à l’institution d’un diplôme d’études supérieures d’histoire et de géographie, l’année antérieure à celle du passage de l’agrégation. Dorénavant allégée d’une partie de ses attributions, l’agrégation peut remplir sa véritable fonction, celle de discriminer les candidats qui, montrant le plus d’aptitudes au professorat, sont dignes d’être agrégés, c’est-à-dire, rappelle explicitement le projet d’arrêté soumis au Conseil supérieur de l’Instruction publique, associés au corps d’enseignement secondaire. C’est en ce sens qu’il faut entendre l’introduction au second degré de l’admissibilité, d’une leçon d’histoire dont le sujet est pris dans les programmes de lycée, qui remplace la leçon de thèse et marque la volonté ministérielle d’affirmer plus nettement le caractère pédagogique du concours. La leçon elle-même est suivie « de questions pédagogiques sur la manière d’approprier la leçon à l’âge et à l’intelligence des élèves, sur les sujets de lectures, de devoirs et d’interrogations qui s’y rattachent ». Se reconnaît là le style d’E. Lavisse et il est certain qu’il a cru que ces dispositions qu’il a très largement inspirées, ne serait-ce que parce qu’il était président du jury, pouvaient donner à la préparation du concours une dimension de véritable préparation au professorat. Les conférences des facultés lui paraissaient notamment le cadre où les étudiants pouvaient être entraînés à l’exercice et, à ce propos, la circulaire ministérielle suggère quelques exemples aux enseignants du supérieur. Enfin dans un long développement sur les réformes de « cette éducation pédagogique », le ministre G. Leygues demande aux recteurs de prendre des dispositions pour que les étudiants soient admis à faire un stage en lycée54. La troisième série d’épreuves confère l’admission. Elle inclut deux leçons, une de géographie et une d’histoire, et une leçon critique dont le sujet est choisi par le jury dans le mémoire rédigé pour l’examen du diplôme d’études.
- 55 Lavisse (E.), « Une réforme nécessaire », RU, 1re A, 1892, p. 1 à 8.
- 56 Elles figurent dans la proportion de sept sur huit, alors qu’antérieurement elles n’occupaient que (...)
39« On naît ou on ne naît pas professeur. Or le système actuel est qu’aucune épreuve ne permet de reconnaître ceux qui sont ou ne sont pas nés55 ». Ce jugement d’E. Lavisse qui, sans doute pour éviter toute polémique, ne remet pas en cause le postulat du don, éclaire le sens de la nouvelle organisation. L’aptitude à enseigner est entendue comme la maîtrise d’une culture et le talent d’exposition. La réforme tente donc d’atténuer le caractère d’érudition du concours en attribuant aux épreuves permettant que le jury décèle ces aptitudes une place très largement accrue56. Mais l’instauration de ces épreuves fondées sur des compétences d’ordre général ne se traduit pas, en amont, par une véritable préparation pratique du professorat.
40Or, la difficulté à définir les épreuves qui fassent de l’agrégation un concours réellement professionnel va se manifester dans les sessions qui suivent la réforme de 1894 et être à l’origine de nombreuses modifications.
- 57 BAIP, n° 1273, 1897, p. 88-89.
- 58 Ibidem.
- 59 Langlois (C-V.), op. cit., p. 48.
41L’arrêté du 16 juillet 189757 supprime d’abord les questions pédagogiques devenues purement formelles, si l’on en juge d’après le témoignage de Langlois, et redéfinit l’épreuve de façon à ce qu’à partir d’un sujet tiré au sort vingt-quatre heures à l’avance dans les programmes de lycée, le candidat fasse preuve de « sa capacité à approprier son enseignement à l’intelligence des écoliers et à donner à l’histoire toute sa valeur éducative58 ». Mais ce nouveau règlement, visant à remédier à la médiocrité des résultats qu’a donnés l’épreuve de 1894, se traduit à son tour par des conclusions peu probantes : « Le principal avantage de cette épreuve pédagogique a été de contredire trop souvent les règles de la véritable pédagogie : nous avons entendu beaucoup d’obscures dissertations sur des sujets très clairs59… ». Aussi le concours est-il réorganisé pour la session de 1904.
- 60 BAIP, n° 1627, 1904, p. 809-810.
42L’arrêté du 18 juin 190460, dont l’article 1 institue le stage, fixe dans l’article 2 les épreuves du concours. Les épreuves préparatoires du premier degré sont quatre compositions écrites de sept heures. L’épreuve préparatoire du second degré est une leçon d’histoire sur un sujet tiré des parties du programme de lycée non comprises dans le programme de l’écrit. Les épreuves définitives se composent d’une leçon d’histoire et d’une leçon de géographie sur un sujet choisi dans le programme de l’écrit. Chacune des leçons se prépare en cinq heures, avec mise à disposition des candidats des ouvrages déterminés par le jury, et dure trois quarts d’heure. La liaison avec les programmes scolaires reste donc étroite dans l’épreuve de la seconde admissibilité qui constitue un banc d’essai décisif puisque les candidats n’ont plus une journée entière à leur disposition pour faire le nécessaire travail de sélection que suppose l’enseignement d’une question. D’ailleurs, de l’avis de C-V. Langlois, le concours a favorisé les enseignants chevronnés aux dépens des étudiants. Cela semble dans la logique de la réforme de 1902 qui souhaitait promouvoir au rang de professeurs agrégés les chargés de cours des lycées.
- 61 BAIP., n° 1735, 1906, p. 307.
43Parallèlement, l’arrêté du 26 juillet 1906 définit les modalités du stage pédagogique prévu en 190461. Il intervient avant l’agrégation et comprend une préparation théorique, équivalente au moins à vingt conférences relatives à l’enseignement secondaire et aux diverses disciplines, et un apprentissage professionnel défini comme l’assistance et la participation progressive à des classes de lycée ou de collège, soit consécutivement pendant trois semaines au moins, soit pendant un trimestre à raison de deux classes au moins par semaine. Le stage et l’assiduité aux conférences donnent lieu à un rapport adressé au recteur à partir duquel est ou non délivré un certificat de stage. En cas de non délivrance, le stagiaire peut recourir auprès du ministre qui statue en section permanente du CSIP.
- 62 Langlois (C-V.), « L’agrégation d’histoire », Conférences du Musée pédagogique, Paris, 1907.
- 63 BAIP, n° 2538, 1924, p. 585.
44C-V. Langlois qui prononce sa conférence peu de temps après la parution de l’arrêté voit dans ces dispositions l’aboutissement de la question que pose la bivalence du concours62. Comparant l’institution du certificat de stage à celle du DES, il croit l’agrégation débarrassée de ses épreuves « pseudo– pédagogiques » après l’avoir été de ses « épreuves pseudo– scientifiques », et note que le rejet de la pédagogie hors du concours est « un gain solide et définitif ». Il n’exprime pas là une quelconque hostilité à la pédagogie mais considère que la règle du jeu est clarifiée. Ce faisant, il accorde beaucoup de crédit à un stage qui, déjà amputé de quelques mois dans les propositions de la commission d’enquête, est devenu la copie de celui qui était prévu par la circulaire de 1894, également concentré en une quinzaine de jours ou réparti sur quelques mois dans l’année, à raison d’une classe ou deux par semaine, et validé par un rapport que le recteur transmettait au doyen de la faculté. De même, il était illusoire de croire qu’un enseignement organisé sans qu’aucun examen ne le sanctionne, n’était pas condamné à plus ou moins brève échéance. De fait, l’arrêté modifiant les dispositions de 1906 en date du 7 juillet 192463 fixe la préparation théorique à un nombre de conférences ne pouvant être inférieur à cinq pour les questions générales, deux pour les questions disciplinaires, prévues au premier trimestre de la préparation du DES ou l’année de licence. Ainsi, l’enseignement de nature pédagogique se trouve-t-il réduit à la portion congrue.
- 64 Langlois (C-V.), « Rapport du concours d’agrégation », RU, 18e A, 1909, 2, p. 281-294.
- 65 Diehl (C.), « Rapport du concours de 1920 », RU, 30e A, 1921, 1, p. 161.
45Dès lors que se soldait ainsi le projet de la préparation au professorat, les jurys d’agrégation restaient les seuls habilités à se prononcer sur les aptitudes des candidats à enseigner. Si, depuis 1904, le premier oral assurait cette fonction, il est réaménagé, pour la session de 1909, sous la forme d’une leçon dite « pédagogique », préparée en trois heures sur un sujet vaste inscrit cette fois au programme de l’écrit. Cette organisation reste en vigueur jusqu’en 1914 et au concours de 1919. Alors que C-V. Langlois s’en était déclaré très satisfait64, le rapport de 1920 fait le bilan de la suppression de la leçon pédagogique, suppression due à son caractère artificiel, et au fait que « les jurys ne sachent pas trop ce qu’il faille en attendre65 ». Un tel aveu, après d’incessants tâtonnements, signe l’échec de l’épreuve où devaient être évaluées les compétences pédagogiques.
- 66 RU, 15e A, 1906, 2, p. 291.
- 67 RU, 21e A, 1912, 1, p. 1-18.
- 68 A.D. Ille-et-Vilaine, 1T (R). Dossier A. R…, IG, 1908.
46« Montrez-vous professeur66 », conseille encore Foncin, et, en 1911, l’inspecteur général Jallifier lui fait écho en indiquant dans le rapport du concours : « Tirer d’un sujet tout ce qu’il convient d’utile pour l’éveil de l’imagination, disposer les faits en bon ordre et enchaîner logiquement les idées, tracer le dessin d’une question et en indiquer la couleur en termes sobres et précis, c’est du premier coup se révéler professeur67 ». L’épreuve exige donc du candidat qu’il fasse preuve de la même habileté professionnelle, c’est-à-dire du même sens historique et des mêmes qualités d’élocution, que le professeur en exercice. L’inspection générale toujours représentée dans le jury évalue la leçon pédagogique à l’aune du cours, de même qu’elle évalue le cours à l’aune de la leçon. Le rapport d’un professeur de haut mérite de l’académie de Rennes, établi en 1908 par l’inspecteur Jallifier, porte ainsi cette mention « une fine leçon d’agrégation ne dépassant pas d’ailleurs la portée des élèves auxquels il s’adressait68 ».
- 69 C. Diehl avait été vice-président du jury de 1910 à 1914. Son mandat de président est interrompu e (...)
- 70 JO, 1936, 68e A, n° 110, 9 mai 1936, Arrêté du 25/4/1936, p. 4812.
47À partir de 1920, l’agrégation entre dans une phase de stabilité que traduit et renforce en même temps la stabilité du jury, présidé de 1919 à 1935 par Charles Diehl, professeur à la faculté des lettres de Paris, membre de l’Institut69. La vice-présidence est confiée à un inspecteur général de la discipline, Gidel puis Petit-Dutaillis. Parmi les trois autres membres, désignés par le ministre, siège un professeur de lycée ou de collège parisien. L’oral d’admissibilité comporte, dès lors, une leçon unique d’histoire préparée en six heures, sur un sujet choisi dans les programmes de lycée et l’oral d’admission se compose de deux leçons prises dans le programme de l’écrit. En 1937, le candidat choisit pour le premier oral entre une leçon d’histoire ou une leçon de géographie et présente au second oral une leçon d’histoire et une leçon de géographie70.
48La leçon hors-programme remplace donc la leçon « pédagogique ». Quoique très différente par sa conception, elle doit permettre au jury d’éliminer les candidats qui, bien qu’ayant satisfait aux épreuves écrites, n’ont pas manifesté pas les qualités professionnelles suffisantes pour être admis à concourir à l’oral d’admission, plus centré sur les connaissances. On peut cependant en faire une lecture inverse ; la leçon hors-programme peut offrir aux candidats sous-admissibles la possibilité d’aborder l’oral dans une position plus favorable qu’après les épreuves écrites s’ils ont réussi à se démarquer du lot.
- 71 Langlois (C-V.), « L’agrégation d’histoire », Conférences du Musée pédagogique, Paris, 1907.
49On ne peut guère contester que la leçon hors-programme mette en jeu des qualités d’ordre professionnel et ait été appréhendée comme un exercice pédagogique probant. L’analyse qui en est faite par C-V. Langlois, à propos d’une de ses formes antécédentes, la leçon-conférence, explique la rémanence de l’épreuve. « On n’y réussissait qu’avec du talent et on y réussissait sauf accident en proportion de son talent. Ce n’est pas le premier venu qui, disposant de quelques livres peut, du jour au lendemain, bâtir un exposé qui se tient, net, instructif et agréable sur n’importe quelle question71 ». En effet il est important que le sujet soit relativement nouveau pour le candidat car ses aptitudes professionnelles résident dans la capacité qu’il a à le maîtriser rapidement et suffisamment pour le rendre clair à son auditoire. Mais en même temps les termes qu’emploie C-V. Langlois traduisent l’emprise de l’idéologie du don. Celui-ci se décèle d’autant mieux que l’épreuve est plus difficile. L’épreuve permet donc d’identifier surtout les candidats brillants. Or, de façon très constante, les rapports du concours soulignent que les prestations sont médiocres ou peu satisfaisantes en raison du manque de connaissances et de réflexion et des faiblesses de l’exposé oral.
50Chargée de faire un premier tri sur des aptitudes professionnelles, l’épreuve n’est pas dénuée d’une ambiguïté qui perce dans les rapports du jury. Celui-ci, tout en rappelant que la leçon n’est pas une leçon d’érudition et que le jury évalue l’intelligence de l’exposé, les qualités plus que les défauts, déplore l’ampleur des lacunes des candidats, surtout en histoire médiévale. Le fait que le Moyen Âge ait été souvent la plus mal lotie des périodes étudiées dans le secondaire n’y est peut-être pas totalement étranger… D’autre part, en raison même de son caractère hors-programme, l’épreuve devient de plus en plus une épreuve de connaissances bibliographiques. L’évolution des rapports rend très nettement cet infléchissement. À partir de la fin des années 1920, une partie du compte rendu de la leçon d’admissibilité est consacrée à cette question qui, à côté des considérations relatives aux compétences générales, prend une place accrue. Il est significatif que, parallèlement, les notices bibliographiques du Bulletin de la Société des professeurs d’histoire et de géographie s’étoffent également.
- 72 Pagès (G.), Rapport session 1937, RU, 47e A, 1938, 1, p. 193-221.
51La leçon suscite donc de nombreuses critiques. Le jury lui-même s’inquiète du fait que les candidats « ne sont plus capables d’aborder l’épreuve sans risques et sans inégalités72 ». Si la première remarque fait allusion à la faiblesse des connaissances, la seconde concède que, comme le regrettent les candidats, « l’épreuve n’évite pas la loterie ». Le président du jury, G. Pagès, ne manque pas cependant d’anticiper la critique en ajoutant que la part de chance s’accroît au fur et à mesure que s’abaisse la culture historique.
- 73 Ibid. Cette situation qui avait marqué la session de 1935, est signalée dans les causes de la réfo (...)
- 74 Bloch (M.) et Febvre (L.), « Pour le renouveau de l’enseignement historique », Annales d’histoire (...)
- 75 RU, 34e A, 1925, 1, p. 385 sq.
- 76 Exemple : 1931, 11 professeurs sur 21 admis ; 1932, 9 sur 23, 1934, 9 sur 22 ; 1935, 11 sur 24 ; 1 (...)
52De fait, même si le jury la prend en compte dans sa notation, l’inégalité des sujets est réelle. En effet, le jury veille dans le choix des questions à l’équilibre des périodes, alors que l’histoire contemporaine est la plus enseignée. Dans les faits, beaucoup de sujets ne sont donc pas susceptibles d’être traités devant une classe. Certains sont trop pointus et difficiles à maîtriser au bout de six heures. Il est arrivé ainsi que le candidat ne puisse rien dire, situation dont le jury s’alarme73. Sur d’autres questions, le candidat, au contraire, possède des connaissances préalables et dispose d’une bibliographie accessible. Enfin, à l’inégalité des sujets, s’ajoute le fait que le « hors-programme » n’en est pas véritablement un pour les professeurs de collège et les chargés de cours. M. Bloch et L. Febvre74 en concluent que l’épreuve évalue plus l’expérience que l’aptitude. De même, G. Glotz, président du jury en 1924, note que les trois meilleures prestations ont été le fait de trois professeurs de collège75. Cependant, ce rapport est le seul où nous ayons pu relever pareille assertion. L’examen des résultats n’éclaire guère sur ce point. Le pourcentage des candidats exerçant le métier d’enseignant est très variable selon les sessions76. Par ailleurs, on peut admettre que l’oral d’admissibilité ait compensé quelque peu les difficultés que ces candidats rencontraient dans la préparation du concours.
- 77 Bloch (M.) et Febvre (L.), op. cit., p. 119.
53Dans le réquisitoire sévère de M. Bloch et L. Febvre contre l’agrégation, la leçon hors-programme est la première cible. « Terreur des candidats, jeu absurde du jury avec le hasard, la leçon « en dehors du programme » ne mérite qu’on s’occupe d’elle que pour la tuer77 ». Ils considèrent que les leçons prises dans les questions fixées pour le programme de l’écrit évaluent aussi bien – ou aussi mal – les mérites professionnels et qu’elles sont beaucoup plus équitables.
- 78 RU, 47e A, 1938, 1, p. 307-318.
54Lorsque le concours est interrompu par la guerre, l’éventualité d’une nouvelle réforme se pose. G. Pagès est, en effet, très réservé sur les effets des modifications intervenues en 1937. Il se prononce, au nom du jury, dans le rapport de la session de 1938, pour une réorganisation large du concours, voire des études supérieures78.
- 79 Bloch (M.) et Febvre (L.), op. cit.
- 80 Pagès (G.), RU, 47e A, 1938, 1, p. 193-221.
55La leçon hors-programme dans les années vingt et trente concentre autant de critiques que celle instituée en 1894 dans le but analogue de sélectionner « les meilleurs professeurs ». Aucun agrégé ne l’aurait faite ainsi devant des élèves, accusent M. Bloch et L. Febvre79. Effectivement, quelles que soient les qualités personnelles du candidat qu’elle mette en valeur, elle ne permet pas au jury de connaître comment il aurait adapté les connaissances aux besoins de son auditoire. Même si l’inspecteur général Foncin, président du jury de 1897 à 1907, exhortait les étudiants à se figurer qu’ils étaient devant des élèves, Debidour, inspecteur général, soulevait un problème réel quand il regrettait dans le rapport de 1903 que les candidats « ne [puissent] user de la méthode interrogative et explicative. » En ce sens, l’épreuve n’évalue pas l’ensemble des compétences professionnelles. En outre, elle entretient une image du concours nuisible à la conception même de l’enseignement de l’histoire et de la géographie et du métier de professeur. En effet, redoutée des candidats, et reconnue explicitement par le jury comme « l’épreuve la plus dangereuse80 » à l’oral, elle repose sur le principe qu’un professeur doit fournir la preuve qu’il est capable d’enseigner toute l’histoire. Or cette idée favorise la mémorisation, le psittacisme et toutes les attitudes passives par rapport au savoir.
- 81 BAIP, n° 1123, 1894, p. 190-199.
56Aucune réforme de l’agrégation n’a mis fin aux paradoxes du concours. Bien que celui-ci ait pour fonction de recruter les professeurs de l’enseignement secondaire, il ne comporte aucune épreuve pratique. S’il en a été ainsi, c’est parce que le titre d’agrégé, ouvrant bien d’autres portes que celles du professorat, il importait que les exigences restassent élevées. Or ce qui fait le prix du concours, ce sont justement ses doubles exigences en matière scientifique et professionnelle81. Ceux qui déplorent que des compétences distinctes ne donnent pas lieu à des épreuves séparées sont isolés. Ils sapent l’esprit même de l’agrégation.
57En outre, les épreuves professionnelles, consistant à évaluer la capacité à enseigner à partir de critères universitaires, et notamment un niveau de savoir et l’aptitude à l’exposer devant un jury de spécialistes des études historiques, le caractère érudit du concours a pris le pas sur les autres aspects, tant dans la réalité où l’essentiel de la sélection se fait sur les résultats des quatre compositions (tableau 9, p. 251) que dans la représentation qu’en avaient les candidats. Le concours provoque donc un bachotage important.
Un système sclérosé
- 82 Bloch (M.) et Febvre (L.), « Pour le renouveau… », op. cit., p. 127.
- 83 Diehl (C.), « Rapport sur le concours de l’agrégation », RU, 41e A, 1932, 1, p. 289 sq.
58De la présidence de jury d’E. Lavisse à celle de G. Pagès en 1935, les rapports signalent combien l’agrégation est un concours éprouvant physiquement et moralement. Seule parmi les agrégations à comporter une sous-admissibilité, elle est le plus lourd des concours de l’enseignement secondaire et en même temps un des plus difficiles, si on en juge au nombre d’admis par rapport au nombre de candidats ayant composé aux quatre épreuves écrites (Tableau 9 p. 251 et graphiques 1 et 2, p. 252-253) et à la présence de « chevaux de retour82 », selon l’expression de M. Bloch et L. Febvre qui considéraient que l’agrégation devenait une promotion à l’ancienneté. On peut toujours penser qu’ils extrapolent, à partir de certaines sessions, notamment celle de 1931, à propos de laquelle C. Diehl employait lui-même la formule de « concours de liquidation83 » et celle de 1933, où sur 23 admis, 2 seulement sont des candidats nouveaux. Le jury ne manque pas de préciser qu’un des vingt et un autres passait le concours pour la neuvième fois, ce qu’il aura lu avec plaisir… La session de 1933 est donc médiocre. A contrario, les « bonnes » sessions sont celles où le nombre de candidats se présentant pour la première fois est élevé parmi les admis.
Tableau 9. Pourcentages des candidats à l’agrégation sélectionnés à chaque degré du concours entre 1923-1933 (source : BSPHG, n° 82, janvier 1935).

N.B. : 1) Les épreuves écrites éliminent en moyenne les 2/3 des candidats ; 2) Les deux oraux éliminent en moyenne chacun un nouveau tiers du contingent précédent ; 3) Globalement, une régulation se fait entre le premier oral et le deuxième. Lorsque les épreuves du premier ont été plus sélectives que la moyenne, celles du second le sont moins.
- 84 RU, 33e A, 1924, 2, p. 97 sq.
- 85 RU, 34e A, 1925, 1, p. 385 sq.
- 86 Ibidem.
- 87 RU, 47e A, 1938, 1, p. 193-221.
59Or la difficulté du concours et la lourdeur de la préparation tendent à accréditer l’idée que l’histoire consiste à emmagasiner des connaissances, d’autant plus que, face à la médiocrité des leçons, le jury recommande aux candidats de « travailler davantage84 ». Il n’est guère étonnant que le rapport postérieur note : « Trop d’étudiants et trop de professeurs apprennent l’histoire et la géographie comme des écoliers qui préparent une composition85 ». La nature des épreuves et l’interprétation qu’en font les agrégatifs, à la lumière de la coutume du jury, conduisent à une préparation que les rapports qualifient de « hâtive » et « aveugle ». En effet, le défaut de culture historique étant signalé comme la cause de la médiocrité, les candidats essaient de mémoriser le plus de connaissances possible ou, dans l’épreuve hors-programme, rassemblent une masse d’informations mal dominées. En 1924, G. Glotz écrit : « Il ne s’agit pas de se farcir la tête de faits et de dates, à coups de manuels, mais de méditer quelques grandes œuvres d’histoire et de prendre contact avec quelques documents bien garnis86 ». Treize ans après, G. Pagès, dans des termes similaires, relève que « trop de candidats donnent l’impression qu’à leurs yeux, préparer l’agrégation d’histoire-géographie, c’est uniquement se garnir la mémoire du plus grand nombre possible de connaissances relatives au programme87 » et ajoute : « Ce que l’on observe chez trop peu d’entre eux, c’est l’état d’esprit de futurs professeurs qui s’intéressent spontanément à l’histoire et à la géographie et qui, tout en préparant un concours, restent préoccupés d’affermir et d’étendre leur culture historique et géographique ».
Graphique 1. Nombre de candidats sélectionnés à chaque degré de l’agrégation d’histoire entre 1923-1933 (source : BSPHG, n° 82, janvier 1935).

Graphique 2. Evolution des effectifs à l’agrégation masculine d’histoire et géographie entre 1897-1938 (source : BAIP, complétés par les rapports du jury de l’agégation, Revue Universitaire, années 1897-1938).

- 88 Monod avait mis en garde contre le resserrement des questions du programme. Alors que le programme (...)
60De fait, l’institution depuis 1894 de questions inscrites au programme expose les nouveaux professeurs, beaucoup plus que les générations qui les ont précédés, à enseigner des questions qu’ils n’ont jamais étudiées, alors que, comme l’avait craint G. Monod88, le bachotage n’a pas régressé. En outre, les jeunes professeurs projettent plus ou moins consciemment dans leur enseignement la manière dont ils ont vécu leur propre apprentissage de l’histoire, en l’occurrence à travers des thèmes étroits où primaient les connaissances factuelles et abondaient les détails. Ayant eu des horizons bornés par le concours et la conception de l’histoire qu’il véhicule, ils risquent de borner ceux de leurs élèves. La préparation de l’agrégation est donc, dans le contexte des mutations des années trente, accusée d’entretenir dans l’enseignement secondaire un esprit de routine.
- 89 Bloch (M.) et Febvre (L.), « À propos d’un concours », Annales d’histoire économique et sociale, 6(...)
61Au premier rang de ses contempteurs, se situent L. Febvre et M. Bloch. Le premier article qu’ils consacrent au sujet, en date du 31 mai 1934, s’intitule « À propos d’un concours89 ». Dressant un état des thèmes traités dans les leçons d’histoire à l’oral en 1933, les deux directeurs des Annales d’histoire économique et sociale se demandent si la très faible minorité des questions économiques et sociales correspond aux tendances des recherches, à l’état même de la production historique et aux besoins de l’enseignement secondaire. Cette réflexion est reprise dans un second article le 31 mars 1937, portant comme titre « Pour le renouveau de l’enseignement historique », mais dont le développement est consacré au problème de l’agrégation, celui-ci étant présenté comme le plus brûlant. En effet, la réorganisation du concours venait d’être approuvée par le CSIP mais la question restait débattue. Pour M. Bloch et L. Febvre –, mais ils se croient autorisés à se dire porte-paroles et les rapports de la fin des années trente confirment leurs propos – l’agrégation « courbe sous le poids de ses routines la liberté intellectuelle des maîtres comme de leurs élèves », tant par le choix des sujets que par la manière dont ils sont traités. La leçon intitulée « les quatre premiers Capétiens » qu’ils citent à bon escient est un exemple de « cadre désuet qui, à l’instar du bon Mézeray, prétend sous les noms de quatre personnages parfaitement inconnus, sans doute médiocres et de peu d’actions, grouper un pêle-mêle de faits disparates » –. Aussi, l’enseignement est-il aussi stéréotypé que la production historique française, d’autant plus que par conscience professionnelle, les professeurs de l’enseignement supérieur sacrifient leurs travaux personnels à l’exigence de modeler leurs cours sur le programme.
- 90 Bloch (M.) et Febvre (L.), « Pour le renouveau…», op. cit. L. Febvre avait déjà exposé en partie c (...)
62Aussi M. Bloch et L. Febvre souhaitent-ils d’autres sujets et d’autres épreuves90. Ils expriment le vœu que soit introduite l’explication de textes, « pierre de touche de l’intelligence et de l’exactitude d’esprit » nécessaires aux futurs enseignants. L’importance de cette épreuve dans la formation des étudiants justifie la place qu’ils lui proposent, c’est-à-dire le remplacement de la leçon hors-programme dans la seconde admissibilité. Le barrage établi jusqu’alors sur une « pseudo–érudition » se ferait alors sur l’intelligence. Au demeurant, cette nouvelle architecture de l’agrégation ne remet pas plus en cause que les précédentes le dogme des dons naturels. Mais M. Bloch et L. Febvre en escomptent un état d’esprit nouveau dans les enseignements supérieur et secondaire où « la routine s’échange de l’un à l’autre et fait tache d’huile ». Par la préparation à l’enseignement secondaire, c’est-à-dire sa professoralisation, l’enseignement supérieur est « tiré en arrière », empêché de se renouveler, puisque ce sont les contenus et les pratiques de l’enseignement secondaire qui déterminent les programmes et les modalités de l’agrégation, lesquels ralentissent à leur tour les évolutions de l’enseignement secondaire. Ainsi se creuse notamment le décalage entre l’historiographie et l’histoire scolaire. L’agrégation entretient donc le conformisme intellectuel alors qu’elle doit contribuer à la diffusion d’une nouvelle culture scolaire.
- 91 Bloch (M.) et Febvre (L.), « À propos d’un concours », op. cit.
63L’intérêt de cette réflexion de M. Bloch et de L. Febvre réside dans le fait qu’ils ont clairement perçu que la préparation du concours de recrutement pouvait être un des leviers de la transformation des pratiques professorales. La place qu’ils attribuent à l’explication de textes en est une illustration frappante. Prévu par eux en remplacement de la leçon hors-programme, l’exercice, devenu familier aux candidats, serait plus facilement introduit dans les classes. L’explication de textes leur semble donc un outil pour orienter le concours et sa préparation dans un sens plus formateur et, à travers les effets qu’on peut en espérer, « les courants mentaux du présent91 », et donc des jeunes générations. Les professeurs seraient recrutés, en effet, en fonction de leur propre capacité à penser l’histoire et non à la savoir, capacité qui les disposerait à enseigner une histoire explicative plus que récitative et à développer le jugement et l’esprit critique de leurs propres élèves.
- 92 RU, 47e A, 1938, 1, p. 193 à 221.
64Dans cette perspective, le rôle du jury est essentiel parce qu’il peut infléchir la direction du concours par les nouvelles questions qu’il choisit de soumettre à l’approbation du ministre et par l’intermédiaire du rapport qui s’adresse aux candidats. Le rapport n’est pas en effet seulement un bilan des épreuves précédentes. Il informe les candidats de l’esprit que le jury entend donner au concours et dessine des lignes de conduite. Le rapport de G. Pagès en 1938 en est un exemple net. « Constatant que beaucoup de candidats… semblent encore croire que l’histoire politique est toute l’histoire », il indique que les candidats doivent savoir qu’ils seront à bon droit accusés d’être incomplets92, s’ils négligent les autres aspects. Le rapport, à condition qu’indépendamment des remaniements, la sensibilité du jury reste la même suffisamment longtemps pour avoir un impact, peut donc être un outil pour transformer de l’intérieur l’agrégation et, à travers elle, faire évoluer la conception de l’histoire. Or, hormis la place conquise par les questions d’histoire de l’art, sans doute parce que celle-ci figure depuis 1925 au programme des séances d’exercices pratiques, les innovations ne sont guère encouragées durant la période 1919-1935. Seul, l’inspecteur général Petit-Dutaillis, l’année où il préside le concours, demande explicitement aux candidats d’apprendre à présenter et à commenter une photographie.
- 93 Bloch (M.) et Febvre (L.), « Pour le renouveau… », op. cit., p. 114-129.
65Si la nature du concours rejaillit sur l’histoire enseignée, le fait qu’il n’y ait pas d’épreuves strictement professionnelles et que ni le stage ni les conférences pédagogiques n’interviennent dans le recrutement rend a contrario difficile de connaître dans quelle mesure les futurs professeurs sont réellement prêts à exercer leur métier. L’absence de témoignages et d’articles sur les conférences, ajoutée au fait qu’elles aient été réduites de vingt en 1907 à cinq au minimum, n’est pas a priori un indice de leur succès, mais elles trouvent un certain crédit auprès de M. Bloch et L. Febvre, lorsqu’elles sont « faites avec tact et sans mépris pour l’utile terre-à-terre des besognes quotidiennes93 ».
- 94 Thalamas (A.), Note sur la conférence de Langlois « L’agrégation d’histoire », Conférences du Musé (...)
- 95 Gueneau, « À propos du stage pédagogique », RU, 30e A, 1921, 2, p. 115 et sq.
- 96 BSPHG, n° 80, juin 1934, Extraits de presse, p. 309.
- 97 Thalamas (A.), Conférences du Musée pédagogique, op. cit., p. 177.
66En fait, l’essentiel de la préparation proprement pédagogique repose sur le stage, mais il semble avoir de plus en plus mauvaise presse. En 1899, les déposants devant la commission d’enquête conviennent que le stage est utile mais qu’il est trop court et, jusqu’à ce que l’arrêté de 1906 soit publié, le projet d’un stage d’une année, condition de l’admission des candidats à l’agrégation, est défendu par le courant réformateur. A. Thalamas présente ainsi concrètement quels problèmes le stage permet de traiter94 : comment on peut agir avec des élèves pour obtenir la discipline dans une classe ; comment choisir un devoir, le corriger, ajoutant que le moment le plus profitable de la formation est le temps d’échanges entre le professeur et les stagiaires avant et après la classe. Mais les dispositions du 26 juillet 1906, confirmées par celles de 1924 qui, cependant, placent le stage l’année du DES, conduisent vite à sa dévalorisation auprès des étudiants et des professeurs du secondaire et du supérieur. M. Bloch et L. Febvre ne lui accordent par exemple aucune grâce. Accusé par les enseignants de désorganiser les cours – l’article des Annales y fait une rapide allusion – il est considéré par les étudiants comme une perte de temps. Ceux-ci n’ont en effet qu’un très rapide et très incomplet aperçu des méthodes de l’enseignement secondaire. Ils ont peu d’occasions d’assurer eux-mêmes le cours et lorsqu’ils le font, les conditions sont totalement factices, le professeur expérimenté étant présent. Cependant, ceux des enseignants qui sont prêts à le défendre mettent en valeur ce qui suffisait à le justifier95, la capacité du stagiaire à intéresser sa classe, retenir son attention. Avec perspicacité, un parent d’élève cernait l’enjeu du stage en ces termes : « Si j’étais membre de quelque jury d’agrégation, je féliciterais sans doute le candidat capable de parler avec érudition et jugement, mais je ne lui délivrerais son diplôme que s’il m’avait prouvé qu’il était aussi capable de transmettre simplifiée, à de jeunes enfants, cette pensée savante. Simplifier est un art difficile qui suppose une connaissance de l’enfant et de ses possibilités, toute une science pédagogique… Il serait temps… de penser un peu à ceux pour qui elle (l’agrégation) a été instituée les élèves96 ». Ceux-ci étant fort souvent des petits êtres remuants, A. Thalamas rappelait en 1907 que beaucoup de jeunes agrégés, ayant été jetés à l’eau pour qu’ils apprennent à nager, s’étaient noyés97.
- 98 Febvre (L.), Éducation et instruction, t. XV, 15-10-1, l’Encyclopédie française, Paris, 1939.
67Restée traditionnelle par ses programmes et ses épreuves et soigneusement distincte d’une préparation pédagogique limitée à une sensibilisation au métier de professeur, l’agrégation paraît, à la fin des années trente, de moins en moins adaptée à sa fonction de recrutement de professeurs dotés de compétences professionnelles et capables de renouveler l’enseignement historique. Elle apparaît aux nouveaux pionniers de l’historiographie française comme un bastion du conservatisme, mettant en péril les études historiques. À propos de l’agrégation de 1938, L. Febvre écrit avec aigreur dans l’Encyclopédie française qu’elle est un concours « pour déceler la routine naissante d’un enseignement de vulgarisation » et que ce n’est pas seulement du temps perdu, mais aussi de « l’esprit adultéré98 ».
- 99 Cette référence est donnée par A. Chervel, Histoire de l’agrégation, Paris, Kimé, 1993. En ce qui (...)
68Il est certain que, perçue et vécue comme un concours d’érudition, l’agrégation incite à concevoir l’enseignement historique comme un enseignement où la mémoire prévaut sur l’intelligence et le contenu sur les méthodes. Or cette préparation scientifique et un simulacre de formation pédagogique résument la préparation au professorat des agrégés, soit en 1936 la majorité des enseignants de lycée en France (65 % d’après une enquête de la Société des agrégés) et la quasi-totalité dans les établissements parisiens (97 %)99. Quant aux licenciés qui enseignent dans les collèges et constituent une importante fraction des professeurs de lycée, s’ils n’ont été ni candidats à l’agrégation, ni étudiants du DES, ils n’ont reçu aucune initiation à leur métier, bien qu’il ait été envisagé, dans la logique du sens étymologique de licence, que celle-ci comportât un certificat pédagogique. Mais, à l’ordre du jour dans les années où la pédagogie était portée par un vent favorable, la proposition n’a pas de suite dans l’entre-deux-guerres.
Le discrédit de la pédagogie
- 100 Langlois (C-V.), « Rapport sur le concours de l’agrégation », RU, 38e A, 1909, 2, p. 281 à 294.
- 101 Pacot, « La pédagogie dans les conseils d’enseignement », RU, 35e A, 1926, 1, p. 24 sq.
69On distingue nettement deux périodes, l’une de 1880 à 1910 où la promotion de la pédagogie par les pouvoirs publics relève de la foi en la science et les progrès de l’esprit humain et de la volonté délibérée de lutter contre les forces du passé, l’autre des années 1910 – la crise du français – à la fin des années 1930 où, dans une sorte de revanche de la culture classique, filtre, à travers les attitudes corporatistes et la conception du recrutement des professeurs et de la formation professionnelle, le discrédit dans lequel est tenue la pédagogie par les praticiens de l’enseignement secondaire. Ainsi alors que C-V. Langlois peut écrire, en 1909, que pour l’opinion, l’agrégation a pris un caractère pédagogique plus accentué100, un chroniqueur de la Revue universitaire considère comme une banalité dans les années 1920 de juger les professeurs brouillés sinon avec la pédagogie du moins avec le mot en raison de ce qu’il évoque101.
- 102 JO, 1900, Documents parlementaires, Chambre, S.E., Annexe n° 1196, p. 468.
- 103 Déposition orale de Lavisse, JO, 1899, Documents parlementaires, S.O., Annexe 866, p. 1014 sq.
- 104 Langlois (C-V.), « La préparation à l’enseignement », Questions d’histoire et d’enseignement, nouv (...)
70Mais, même dans la période la plus faste, c’est-à-dire celle de la réforme de l’École normale supérieure, celle aussi où E. Durkheim fait cours à l’intention des candidats à l’agrégation, la méfiance envers la pédagogie a peu faibli. L’inspecteur d’Académie J. Gautier en fait état devant la commission Ribot : « Il y a dans le personnel de l’enseignement secondaire une sorte de crainte, de dédain, presque de mépris à l’égard de la pédagogie102 ». E. Lavisse, quant à lui, lance au cours de sa déposition : « Pour revenir à l’éducation pédagogique, je suis bien obligé d’avouer qu’elle n’est pas en grande estime dans l’enseignement secondaire. Les mots mêmes, pédagogie, pédagogue, semblent ridicules. Soit ! À la place de la pédagogie, mettons sciences de l’éducation, et enseignons cette science103 ». La proposition ne manque pas, aujourd’hui, de faire sourire… L’allocution de C-V. Langlois à la première promotion des étudiants qui expérimentent en 1905104 les nouvelles formes de la préparation pédagogique qu’il est censé leur présenter est une trace indirecte de ces préjugés puisqu’il emploie quantité de précautions oratoires avant d’y parvenir et développe d’abord longuement une contre-argumentation aux lieux communs sur la pédagogie. Lorsqu’il arrive enfin à « définir ce mystérieux quelque chose » autour duquel il tourne depuis un quart d’heure – ce sont ses propres termes – c’est en fait pour minimiser les transformations qu’introduit la réforme. C’est pourquoi il parle, tant il sait que le public n’est pas vraiment enthousiaste, de formation d’un esprit « propédagogique », beaucoup de pédagogie en étant trop. Le terme de pédagogie renvoie en effet à des notions plus ou moins floues, voire contradictoires.
La pédagogie, un art vulgaire
71La pédagogie, telle que la conçoivent dans le contexte de la réforme scolaire les républicains, est, nous l’avons indiqué dans la première partie, une « théorie pratique », c’est-à-dire une connaissance des faits éducatifs et une réflexion sur la pratique de l’enseignement qui permettent d’éclairer les choix auxquels est confronté le professeur. La rationalisation du métier ou la volonté d’introduire la raison républicaine dans l’enseignement est une des formes de la bataille idéologique et politique à laquelle se livrent les radicaux au début du siècle.
- 105 Ibid.
- 106 Conclusions du rapport VI. JO, 1900, Documents parlementaires, Chambre, S.E., Annexe n° 1196, p. 4 (...)
72La pédagogie est donc souvent réduite par ses détracteurs à une théorie de l’éducation, c’est-à-dire à un savoir abstrait empruntant une partie de son contenu à la philosophie – dont elle est née – et à la psychologie. Selon la conception qui se dégage des dépositions de 1899, la pédagogie, ayant un caractère général et brassant des données hétéroclites, se noie dans des brouillards philosophiques. N’ayant en fait rien à enseigner, elle devient « pompeuse et vulgaire, gorgée de truismes et de niaiseries105 ». Aussi cette pédagogie est-elle inutile dans un enseignement de spécialité et l’alourdit-elle. Elle est d’autant plus pesante que présentée comme une théorie, elle risque fort de prendre la forme d’un enseignement de certitudes, rigide et imposé. Or les professeurs des facultés et des lycées sont hostiles à tout enseignement qui, ayant le caractère d’un dogme ou d’un catéchisme officiel, serait une atteinte à leur liberté intellectuelle. Les conclusions de la commission d’enquête en prennent acte, puisque le rapporteur mentionne à propos de la formation professionnelle que « les cours dogmatiques et théoriques de pédagogie, où le jeune étudiant est exposé à se perdre dans les abstractions et les idées générales ne peuvent guère servir à cette préparation106 ». En conséquence, nous l’avons vu, la commission Ribot optait pour une préparation au professorat axée sur le stage.
- 107 Agathon, L’esprit de la nouvelle Sorbonne…, Paris, 1911, p. 98-100 Le cours de pédagogie de Durkhe (...)
- 108 Durkheim (E.), L’évolution pédagogique en France, Paris, 1969 (2e éd.). Dans le chapitre premier q (...)
- 109 Mathiez (A.), cité dans la rubrique « Échos : la haute culture française est-elle en péril ? », RU(...)
73La critique de la pédagogie est particulièrement acerbe, au début du siècle, de la part des adversaires de la République qui présentent l’enseignement d’E. Durkheim comme un instrument de la tyrannie positiviste107. L’objet du cours d’E. Durkheim consacré à l’évolution pédagogique en France est d’aborder les problèmes de l’éducation, non sous l’angle théorique mais sous l’angle historique, afin de montrer que la culture scolaire évolue en fonction des sociétés qui la produisent et qu’elle n’a rien ni d’arbitraire ni d’immuable108. E. Durkheim attend donc de l’histoire de l’enseignement les mêmes effets que ceux que C. Seignobos attribuait à l’enseignement de l’histoire, à savoir une attitude positive, ouverte aux transformations graduelles, à égale distance du respect superstitieux de la tradition et de l’engouement passager pour les innovations, et le cours peut être lu comme une caution de la réforme des études. Quand, en 1904, E. Durkheim vient professer à l’École normale supérieure, un des hauts lieux des traditions de l’enseignement français, ses détracteurs y voient le summum du travail de sape de la culture classique auquel la République est accusée de se livrer. Toutefois, l’hostilité à la pédagogie dépasse largement les sphères de l’opposition politique. On la trouve formulée même sous la plume d’hommes de progrès attachés à la haute culture française, s’inquiétant des périls qui la menacent. A. Mathiez écrit par exemple : « Guérissons-nous de cette pédagogie qui a fait dans l’enseignement les mêmes ravages que sa sœur, la démagogie dans la politique109 ».
- 110 Langlois (C-V.), « La préparation professionnelle à l’enseignement secondaire », op. cit.
- 111 Le Lannou (M.), Un bleu de Bretagne, Paris, Hachette, 1979.
74En effet, si l’opinion se défie de la théorie, la pédagogie entendue au sens pratique, comme l’art de conduire et de faire la classe, n’est pas moins dépréciée. D’une part, les apprentissages techniques sont assimilés à un ensemble de recettes qui, par leur caractère bassement utilitaire quand l’enseignement secondaire et supérieur se veut spéculatif, rompent avec les traditions les plus prestigieuses de l’éducation, rendant très aléatoire la promotion interne des enseignants qui se démarquent du lot par leurs actions pédagogiques. D’autre part, l’application uniforme de méthodes valables pour tous les enseignants et pour tous les élèves, l’imposition d’un moule unique, brisent « l’initiative, l’originalité, l’élasticité, la variété, la liberté110 ». L’apposition de tant de substantifs indique avec force que les enseignants voient non seulement la culture, mais aussi leur personnalité menacées s’ils se mettent à faire de la pédagogie. Il est intéressant de retrouver sous la plume de Maurice Le Lannou, l’écho de cette opinion. Retraçant sa jeunesse en 1979, il écrit à propos de ses professeurs du lycée de Saint-Brieuc où il entre en 1917 : « À la différence des maîtres de la communale, ceux-ci ne semblaient point invités à professer quelque credo pédagogique que ce fût… Cela laissait aux professeurs leurs fantaisies quand les instituteurs tendaient à s’aligner sur un mode officiel111 ». Il ne s’agit point là de souvenirs mais d’un jugement a posteriori qui reflète la perception qu’a eue de son métier un professeur, lui-même normalien, agrégé et universitaire émérite. Ce qui semble compromis par la pédagogie, qu’elle soit une théorie ou une pratique, c’est la liberté des professeurs du secondaire, liberté qui assoit leur position sociale par opposition aux « pédagogues ».
- 112 Langlois (C-V.), « La préparation professionnelle à l’enseignement secondaire », op. cit.
- 113 Ibid.
- 114 Thalamas (A.), Conférences du Musée pédagogique, Paris, 1907.
75La mise à distance de la formation pédagogique est la condition de l’exercice de leurs talents. Introduire l’uniformité dans l’enseignement secondaire, c’est priver les meilleurs de la possibilité d’exercer leurs talents individuels et remplacer l’art d’enseigner par la médiocrité. En ce sens, la pédagogie est un art vulgaire au sens étymologique. Pratiquée par le plus grand nombre des enseignants qui enseignent à tous les élèves, elle ne saurait concerner l’élite qui professe plus qu’elle enseigne. En matière professionnelle, on ne peut confondre l’instituteur et le professeur. L’intrusion d’un apprentissage professionnel est donc perçue comme l’abaissement d’un statut social, le risque d’une primarisation de l’enseignement secondaire. « Les professeurs, déclare C-V. Langlois, sont convaincus qu’ils ont mieux à faire qu’à apprendre leur métier comme des instituteurs112. Pour eux, c’est du temps perdu, soustrait à la culture et à des tâches plus nobles, puisque « le maître secondaire, instruit à l’Université peut grâce aux connaissances supérieures qu’il possède, deviner spontanément bien des choses qu’on a dû montrer et démontrer au maître d’école113 ». Ainsi l’alignement de la formation des professeurs sur celle des instituteurs, postulant que l’aptitude professionnelle s’acquiert – laborieusement s’il le faut – et ne consacre pas des dons, signifie-t-il, comme nous l’avons déjà noté à propos de l’adoption des procédés venus de l’enseignement primaire, la négation de leur distinction et même une forme de double déchéance intellectuelle et sociale. Or, ces préjugés à l’égard des instituteurs ne sont pas le fait seulement d’une minorité d’enseignants imbus de leur fonction. Ils sont en effet tellement intériorisés qu’on en retrouve l’expression même sous la plume des esprits les plus critiques à l’égard de l’enseignement secondaire. La note qu’A. Thalamas rédige suite à la conférence de C-V. Langlois en est extrêmement révélatrice. Revendiquant une formation pédagogique imitée de celle des Écoles normales parce que « c’est un fait d’expérience qu’à l’école, les maîtres coulés sont une exception, tandis que dans les lycées et collèges, c’est presque la règle114 », il n’a pas omis de spécifier que, pourtant, la moyenne intellectuelle des maîtres est inférieure à celle des professeurs secondaires…
- 115 Gérard (A.), « À l’origine du débat des Annales : positivisme historique et système universitaire (...)
- 116 Le seul rapport où les candidats sont engagés à utiliser les photographies correspond à la courte (...)
76Le corps universitaire étant encore moins sensible à la question pédagogique que les professeurs du secondaire, comme s’en désole C-V. Langlois, la professoralisation attribuée à l’enseignement supérieur115 se réduit en fait à l’enseignement des matières des programmes de l’agrégation, mais reste très en deçà des espoirs du courant moderniste qui en faisait un facteur d’osmose des deux ordres et de la partie de son action. L’apprentissage de l’exercice du métier ne franchit pas les portes de l’Université et le fossé entre l’enseignement supérieur et l’enseignement secondaire qu’avaient voulu éviter les réformateurs, se creuse. L’évolution de la composition du jury de l’agrégation en est un indice clair. Après avoir été porté à trois sur cinq ou six membres selon les années, consécutivement aux propositions qui s’étaient dégagées lors de l’enquête de 1899, le nombre de professeurs de lycée ou collège dans le jury est rapporté en 1919 à deux sur cinq116. Les éphémères années de gloire de la pédagogie, ou disait Péguy, de la pédagomanie, ont pris fin.
Une occupation superflue
77Alors que la Société des professeurs d’histoire et de géographie est ouverte aux membres de l’enseignement primaire supérieur, les comptes rendus de leurs activités souvent moins traditionnelles que celles de leurs collègues du secondaire occupent peu de place dans le Bulletin. Sans doute ces professeurs sont-ils minoritaires dans la Société mais celle-ci ne cherche pas à les intégrer parce qu’enseigner dans le secondaire n’a pas la même signification que dans le primaire supérieur. Il s’agit surtout de conduire au baccalauréat une minorité d’élèves jugés aptes à l’obtenir en lui transmettant des savoirs. Les procédés que l’institution propose pour le premier cycle, dans le prolongement des instructions pour le cours moyen, tels que la lecture de récits historiques ou le projection d’images, sont perçus comme infantilisants. C’est à l’élève de s’élever à la connaissance, ce n’est pas à l’instruction de s’abaisser au niveau de l’élève. Aussi l’organisation du travail ou les moyens de faire apprendre les élèves sont-ils des préoccupations rares, comme le montrent l’indifférence pour les apprentissages méthodologiques des élèves ou la non-assistance aux conseils de classe. Ceux-ci doivent en effet assurer une liaison pédagogique entre les professeurs et veiller pour le profit de l’élève à l’unité des méthodes au-delà de l’hétérogénéité des matières. Mais les intérêts disciplinaires et les égoïsmes prévalent, libres de s’épanouir dans un système qui, de toutes façons, n’est pas conçu pour évaluer les progrès des élèves mais pour certifier ou non un niveau de savoir auquel il est admis que tous les jeunes gens ne peuvent accéder.
- 117 Cousinet (R.), 1881-1973, adhérent à la Société Binet-Simon, crée en 1921 l’association « La nouve (...)
- 118 Bloch (M.) et Febvre (L.), « Pour le renouveau de l’enseignement historique », AHES, 9e A, mars 19 (...)
78C’est pourquoi, sans que soient surestimées les mutations des pratiques de l’enseignement primaire, dans la doctrine duquel l’accent est mis dès 1923 sur une pédagogie active, associant l’enfant à la construction de la leçon, aucun écho de l’action de cette minorité de maîtres qui emploie, en liaison avec des mouvements pédagogiques, les méthodes nouvelles n’atteint l’enseignement secondaire, alors que le Bulletin de la Société aurait pu être là aussi un relais entre le corps enseignant et les initiatives de l’École moderne française ou de la « Nouvelle Éducation ». Notamment, les expériences de « la méthode du travail libre par groupes » dirigées à partir de 1920 par R. Cousinet, d’abord instituteur puis inspecteur de l’enseignement primaire, appliquées à l’enseignement historique, cherchent à montrer qu’il est possible de concevoir un travail en histoire fondé sur un projet mobilisant les intérêts de l’enfant117. Or si le Bulletin fait état des innovations qui ponctuent également l’enseignement secondaire, nous avons cité l’exemple de L. François, la mise en relations avec d’autres évolutions pédagogiques n’est pas faite. En outre, le mépris de toute considération sur la psychologie de l’enfant – qui pouvait d’ailleurs légitimer les pédagogies en marge de l’institution – explique qu’aucune information ne soit diffusée sur les travaux d’H. Wallon et de J. Piaget, résolution stigmatisée par M. Bloch et L. Febvre – ce dernier collabore avec H. Wallon à l’Encyclopédie française –. « Nous jugeons indispensable que des hommes destinés par métier à travailler à la formation de jeunes esprits ne continuent pas à avoir le droit de tout ignorer des beaux résultats obtenus, durant les trente ou quarante dernières années, par la psychologie de l’enfance… Là, non ailleurs, est la vraie pédagogie118 ».
- 119 Piobetta joint sa voix au concert des plaintes. Devant l’hypertrophie des candidats (sic), il dépl (...)
79De fait, émergeaient là de nouveaux outils pour la réflexion des enseignants, au-delà des centres d’intérêts habituels de la discipline. Mais, utiles pour une pédagogie de la réussite se proposant de rendre le savoir accessible au plus grand nombre d’élèves, ils pouvaient être ignorés de l’enseignement secondaire dont la logique était au contraire sélective et élitiste et d’un système d’instruction où les ordres restaient strictement cloisonnés. Ainsi, le parti pris d’ignorer la pédagogie s’imprimait-il comme une des marques, voire des traditions de l’enseignement secondaire, inhérentes à l’objet de cet enseignement et à sa clientèle. Enseignement intellectuel et désintéressé, il s’adressait à des élèves qui étaient supposés avoir acquis les connaissances élémentaires et savoir déjà travailler ; ceux qui n’étaient pas qualifiés pour le recevoir n’avaient pas leur place dans les lycées et collèges. Les autres qui, à partir de 1933, recevaient dans les lycées et collèges un enseignement gratuit avaient prouvé leurs aptitudes à l’examen d’entrée en sixième. Pourtant, à chaque nouvelle génération d’élèves ou de candidats au baccalauréat, face à l’augmentation des effectifs dans la seconde moitié des années trente, les professeurs ne manquaient pas de s’indigner d’une baisse de niveau119…
80Aussi, si la réalité des classes et le renouvellement des conceptions historique et pédagogique dans les années 1930 ont multiplié potentiellement pour les enseignants les occasions de se questionner sur leurs pratiques et sur les buts de l’enseignement historique, la majorité, toutefois, ne semble-t-elle pas être intervenue dans le débat des méthodes. Déjà portés à reproduire le modèle d’enseignement qui les a formés, parce qu’ils n’en ont pas connu d’autre, – les professeurs interrogés disent tous avoir ainsi procédé au début de leur carrière – les professeurs vont se préoccuper plus de ce qu’ils enseignent que du « comment » ils enseignent, du contenu que de l’élève. Cette conception du métier tend à assurer la permanence d’une tradition française illustrée souvent brillamment, selon laquelle la maîtrise d’une culture supérieure confère directement l’aptitude pédagogique. Mais, de C. Seignobos ou E. Durkheim à L. Febvre, elle est fermement combattue par les partisans du renouveau des disciplines comme un facteur d’immobilisme et la cause du misonéisme dont l’enseignement secondaire fait preuve.
- 120 Bruhat (J.), « Pour des cours périodiques de perfectionnement scientifique », BSPHG, n° 86, janv. (...)
- 121 Ibidem.
81Or aucune structure ne supplée à l’absence de formation pédagogique, puisqu’aucune forme de formation continue n’est instituée. Une des premières demandes semble être, en janvier 1936, celle de Jean Bruhat120 qui émet, auprès de la Société des professeurs d’histoire et de géographie, le vœu que soient créés des cours de perfectionnement pour les professeurs en exercice. Sa demande, bien qu’elle ne porte que sur une remise à niveau scientifique, provoque un véritable tollé. Les Régionales de Lyon et de Montpellier y voient une mesure de défiance vis-à-vis des collègues considérés comme incapables de se perfectionner eux-mêmes121. On peut imaginer dès lors les réactions qu’aurait provoquées l’idée d’un recyclage pédagogique. Les conférences pédagogiques, cénacle de pairs et microcosme de la Société des professeurs d’histoire et de géographie, seules trouvaient grâce, mais elles étaient très ponctuelles. La réduction de la durée et la faible importance du stage pédagogique ont également bridé les échanges et les confrontations. Ainsi l’individualisme naturel des enseignants a-t-il été renforcé par l’isolement. Chacun choisissait les moyens de son enseignement, mais refuser la pédagogie en tant que savoir constitué ne préjuge en rien des comportements que les enseignants ont adoptés dans leurs classes. La lente amélioration dans les années trente des cahiers où les plans sont plus clairement établis, les termes du vocabulaire historique soulignés, l’illustration du cours moins rare, montre que la routine n’est pas complètement installée dans les classes à l’heure où la réforme scolaire de 1938 rappelle les enseignants à leurs devoirs pédagogiques.
- 122 Georgin, « La pédagogie à l’Exposition », RU, 47e A, 1938, 1, p. 40.
- 123 BSPHG, n° 88, juin 1936 : L’histoire et la géographie ont obtenu deux stands de 10 m2 et deux vitr (...)
82L’échec des initiatives pédagogiques portées par le mouvement de réforme du début du siècle, mais devenues sans intérêt lorsque l’enseignement secondaire s’installe dans la stabilité, redonne tout son éclat à l’art d’enseigner, protégé par l’intangible principe de la liberté professorale. En 1937, l’Éducation nationale aborde l’Exposition universelle, fière de son enseignement secondaire et de donner, à travers lui, « un élan vers la culture » à la jeunesse française122. Bien qu’elle soit consacrée à la pédagogie et que la Société des professeurs d’histoire et de géographie l’ait préparée fiévreusement, demandant aux collègues d’envoyer des leçons-types et de déployer tous leurs efforts pour « montrer » (sic) ce qu’est leur discipline123, cet engouement passager ne saurait faire illusion. L’aspect démonstratif de la manifestation n’empêche pas la pédagogie d’être devenue une question accessoire, ce que reflète la place moindre qu’elle occupe dans les revues générales d’enseignement, place conquise par les notices bibliographiques et les textes réglementaires. L’histoire de la formation professionnelle est très représentative de cette évolution. Au centre de l’enquête de 1899, le débat ne rebondit guère dans les années trente, même sous les plumes de ceux qui vilipendent l’agrégation. Les règlements de 1906 et 1924 ont défini un statu quo dont s’accommodent étudiants et professeurs.
- 124 Prost (A.), Histoire de l’enseignement en France, Paris, A. Colin, 1968.
83Pourtant, en raison de la gratuité des études, la clientèle des lycées et collèges s’élargit124. Parallèlement, de nouveaux chantiers dans les sciences humaines sont ouverts à la connaissance et des transformations profondes affectent l’histoire. Or ces mutations n’ont guère d’écho. L’attitude de repli personnelle ou corporatiste qu’adoptent les enseignants et la stratégie de la Société des professeurs d’histoire et de géographie qui défend non seulement ses adhérents mais sa propre existence focalisent les débats sur les programmes et les horaires. L’inertie dont fait preuve la corporation des historiens de l’enseignement secondaire traduit la crainte de changements qui, en remettant en cause les valeurs culturelles de celui-ci, atteindraient leur pouvoir en tant qu’individus dans leurs classes et face à leurs élèves et en tant que groupe social.
- 125 Isaac (J.) et Troux (A.), « Ce que sera l’Information historique », I.H., 1e A, oct.-nov. 1938, n° (...)
84Des voix appellent au renouveau. Mais agir sur l’agrégation, comme souhaitent le faire M. Bloch et L. Febvre, est peser sur un seul des verrous. Chargés de fonctions importantes au sein même de l’institution, J. Isaac et A. Troux cherchent à mettre à profit la réforme de 1938 pour tracer la voie d’un rajeunissement de l’enseignement historique. Dans cette optique, ils créent l’Information historique, organe de liaison entre l’histoire érudite et l’histoire enseignée, et sur le plan pédagogique, organe de liaison entre les professeurs d’histoire eux-mêmes125. Dans un contexte de mutations qui s’accélèrent, les horizons pédagogiques paraissent devoir s’élargir pour éviter à l’enseignement de l’histoire la sclérose.
- 126 Gerbod (P.), « La place de l’histoire dans l’enseignement secondaire de 1802-1880 », I.H., mai-jui (...)
85Plusieurs études ont contribué à identifier la période de la Troisième République à une sorte d’âge d’or de l’enseignement historique, tant dans les classes primaires que secondaires126. Si certaines sont antérieures à ce qu’on a pu appeler dans les années 1970 la crise de l’histoire, la plupart du temps la notion d’âge d’or est construite rétrospectivement, à un moment de difficultés réelles ou surévaluées. Cet âge d’or est le plus souvent attribué au fait que les desseins de l’enseignement historique sont clairs, en cohérence avec les besoins de la nation, ce qui l’installe dans les structures institutionnelles de l’école. L’histoire est le message d’une société fière de s’enseigner.
- 127 Dubief (H.), « Les cadres réglementaires dans l’enseignement secondaire de la 3e république », Col (...)
- 128 Peyrot (J.), « Les réalités de l’enseignement de l’histoire des années 1930 aux environs de 1960 » (...)
86Contradictoirement, certains développent selon une périodisation similaire le thème de crise. C’est le cas d’Henri Dubief ouvrant en novembre 1981 le colloque intitulé « Cent ans d’enseignement de l’histoire – 1881-1981 – ». Celui-ci conclut ses propos en ces termes : « L’histoire est restée en définitive ce qu’elle était : le souffre-douleur de l’enseignement secondaire et le premier devoir des historiens pendant toute la période fut souvent de faire face à la guerre qui leur était faite127 ». Quant à lui, Jean Peyrot, président de l’Association des Professeurs d’histoire et géographie de l’enseignement public, situe son intervention dans la problématique d’une crise à l’autre, de celle de 1925-1932 à celle des années 1963-65128. Son analyse épouse celle que faisaient ses prédécesseurs dans la même fonction.
- 129 On peut considérer que se sont cristallisées, surtout a posteriori, des critiques extensibles à l’ (...)
87On ne peut nier que l’histoire scolaire ait traversé des moments difficiles et ait été la cible d’une opinion dressée contre la pratique répétitive du résumé à apprendre129. Les leçons d’histoire demandent aux élèves un important effort de mémorisation qui occupe tout le temps du travail personnel qu’ils leur consacrent. Pourtant, il nous semble que les formes dans lesquelles les programmes sont mis en œuvre renforcent la stabilité de l’édifice qu’E. Lavisse avait en partie façonné. Finalement c’est sa pédagogie qui irrigue le corps des professeurs jusqu’à la fin des années 1930, avec des inflexions dues à l’évolution des moyens et des connaissances relatives
à l’enfant. La relation maître-élève, fondée sur l’autorité du savoir, fait
de l’enseignement la transposition du savoir savant qu’on pense les élèves capables, grâce à leurs facultés intellectuelles, et notamment la mémoire et l’imagination, d’assimiler une fois qu’on l’a simplifié, débarrassé des détails superflus. Or, dans la mesure où l’évolution de l’historiographie se fait sur les marges de l’institution et sans rupture brutale, l’histoire scolaire garde une référence scientifique qui coiffe de l’autorité de la vérité ce qui est enseigné.
- 130 Gastinel (G.), Éducation et instruction, t. XV, 15-06-8 l’Encyclopédie française, Paris, 1939.
- 131 Isaac (J.), Combat pour la vérité, Paris, 1970.
88On pourrait donc considérer que la période 1880-1939 fut, en effet, l’âge d’or de l’enseignement historique si on se réfère aux divers équilibres qui peuvent s’établir entre les composantes d’une discipline d’enseignement. À l’adéquation des programmes et des finalités, s’ajoute l’équilibre qui régit les relations maître-élèves. Le maître est la porte d’accès au savoir, le médiateur entre le savoir défini par les programmes et l’élève. Or la maîtrise de ce savoir, certifiée par le passage dans la classe supérieure, puis par le diplôme du baccalauréat, est l’objectif pratique des études. De façon moins directement pragmatique, les professeurs pensent qu’ils impriment à leurs élèves une certaine image de la culture. Ainsi, Georges Gastinel, inspecteur général honoraire, présente-t-il l’enseignement comme « un commerce fécond entre un esprit adulte déjà maître de lui avec de jeunes esprits qui se cherchent encore130 », tandis que Jules Isaac exalte dans le métier de professeur ce rôle qui consiste à « entraîner les élèves dans quelques ascensions, vers des hauteurs où l’on respire un air stimulant, purifiant131 ». Certes, la réalité de toutes les classes n’est pas aussi idyllique, mais l’enseignement repose sur l’idée tacite d’un partage des références et des valeurs par les professeurs et les élèves, non seulement tous, comme l’écrivait G. Monod, « citoyens d’une même France » mais aussi tous héritiers de la même culture. Quant aux boursiers, nul ne doute que leur volonté de réussir les conduise à intérioriser les règles du système scolaire. Dans les deux cas, la situation ne pousse pas à l’innovation pédagogique. La pédagogie historique reste imprégnée des canons de l’enseignement classique et la représentation qu’ont les professeurs de leur fonction les pousse à conserver des exigences élevées.
89Ces équilibres expriment plus largement l’adaptation de l’enseignement secondaire à la société. La culture intellectuelle et désintéressée relaie le latin comme barrière et niveau. Ainsi les études secondaires s’inscrivent-elles dans une tradition séculaire d’humanisme présentée comme une des expressions de la pérennité de l’esprit français, voire de la fidélité à un idéal. Il en résulte que les innovations sont filtrées. La pédagogie de C. Seignobos, dont d’autres, après lui, reprennent le flambeau, est condamnée, dans des structures inchangées, à rester une utopie.
- 132 Febvre (L.), Avant propos du tome XV, l’Encyclopédie française, Paris, 1939.
90Dans un propos empreint de pessimisme, L. Febvre constate que « quand il s’agit d’éducation, le plateau du passé – par rapport à celui du présent – reçoit, on peut le dire, sa double charge132 ». Sans doute, pourrait-on l’appliquer à l’enseignement de l’histoire qui, dans les années 1930, face à d’autres directions possibles, choisit de maintenir la tradition tout en absorbant quelques nouveautés périphériques.
Notes
1 Piobetta (B.) Le Baccalauréat de 1902 à nos jours, Paris, Bailliere & fils, 1937.
2 Falcucci (C.), L’humanisme dans l’enseignement secondaire, Toulouse, Privat, 1939.
3 Payot (J.), La faillite de l’enseignement, Paris, Alcan, 1937.
4 Isaac (J.), Intervention à l’assemblée extraordinaire du 3 avril 1938, BSHM, 38e A, n° 9, 1938, p. 9-11.
5 Hirsch, « L’histoire et la géographie au congrès international de Genève-Grenoble », BSPHG, n° 49, nov. 1926, p. 26-28.
6 Citron (S.), « Positivisme, corporatisme et pouvoir dans la Société des professeurs d’histoire et de géographie », Revue Française de Science Politique, nos 4-5, août-oct. 1977, p. 691-716.
7 L’Université, organe de la Fédération générale de l’enseignement, dénonce en décembre 1931 cette collusion : « Les associations de spécialités ont établi leur contrôle exclusif sur les élections. Dans ces conditions, le conservatisme du Conseil supérieur se comprend aisément ». Cité par Gerbod (P.), « Associations et syndicalismes universitaires de 1929 à 1937, Le mouvement social, n° 73, oct.-déc. 1970, p. 79-110.
8 Busson (H.), « Déclaration de candidature, A MM. les Agrégés d’histoire », 25 octobre 1927, RU, 36e A, 1927, 2, p. 455-456.
9 Ibid., élections du 4 novembre 1931, RU, 40e A, 1931, 2, p. 157-159.
10 Troux (A.), Ibid., RU, 47e A, 1938, 2, p. 71.
11 Citron (S.), Aux origines de la Société des professeurs d’histoire et de géographie, Thèse de 3e cycle, Paris, 1974.
12 BSPHG, n° 77, novembre 1938, p. 9.
13 Le Congrès de 1928, par exemple, se prononce pour qu’au début de chaque année, les professeurs d’un même enseignement fixent les grandes lignes de leur action, mais que la plus grande liberté soit laissée à chaque professeur de ses méthodes d’enseignement, Bulletin officiel du syndicat national des professeurs de lycée et du personnel de l’enseignement secondaire féminin, n° 199, avril 1928.
14 Seul, Legaret a un itinéraire atypique. Étudiant en mathématiques, il prépare l’agrégation d’histoire et de géographie à Lyon en 1906 puis enseigne à l’École supérieure de commerce de Paris et à HEC. Notice nécrologique, BSPHG, n° 101, mars 1940, p. 10.
15 Lacoste, « À propos d’un recueil de textes, un enseignement méprisé », BSPHG, n° 71, mars 1932, p. 216-227.
16 BSPHG, n° 74, janv. 1933, p. 479-480.
17 Piobetta (J.-B.), Examens et concours, Paris, PUF, 1943.
18 « L’enquête sur le baccalauréat », BSPHG, n° 52, juin 1927, p. 8.
19 Busson (H.), Session du Conseil supérieur de l’Instruction publique, du 31 janvier au 11 février 1928, RU, 37e A, 1928, 1, p. 130-139.
20 Troux (A.), « La question du surmenage », BSPHG, n° 62, janvier 1930, p. 146.
21 Lanoir (M.), Disciplines et compositions de « mémoire », BSPHG, n° 82, janvier 1935, p. 192-197.
22 Weill (G.), « L’application des nouveaux programmes », RU, 15e A, 1906, 1, p. 106-116.
23 Quinzaine universitaire, n° 378, 1/12/1938, p. 141.
24 Lettre de L. D…, élève au lycée de L…, 1933-1940.
25 Lettre de M. C…, élève au collège d’A…, 1931-1939.
26 Lacoste, « À propos d’un recueil de textes, un enseignement méprisé », BSPHG, op. cit.
27 Troux emploie cette expression à propos de la radio devant la commission pédagogique du Syndicat national des lycées, Quinzaine universitaire, n° 386, mai 1939, p. 429.
28 JO 1938, Annexes, p. 1199.
29 Compte rendu de l’activité de la Société, RU, 47e A 1938, p. 75.
30 Langlois (C-V.), « L’agrégation d’histoire », Conférences du Musée pédagogique, Paris, 1907.
31 Monod (G.), « La nouvelle agrégation d’histoire », Bulletin historique, RH, t. 60, 1896, 1, p. 359-366.
32 Chervel (A.), Histoire de l’agrégation, Paris, Kimé, 1993.
33 JO, 1900, Documents parlementaires, Chambre des députés, S.E., Annexe n° 1196, Rapport VI, Préparation des professeurs, p. 467 sq.
34 Isambert-Jamati (V.), Les savoirs scolaires…, Paris, éditions universitaires, 1990.
35 RU, 9e A, 1900, 2, congrès international de l’enseignement secondaire, juillet-août 1900. La proposition est émise par R. Picavet, directeur de la RIE, et soutenue avec force par E. Rabier, directeur de l’enseignement secondaire ;
36 Langlois (C-V.), Questions d’histoire et d’enseignement, Paris, Hachette, 1906.
37 Monod (G.), « La nouvelle agrégation d’histoire », Bulletin historique, RH, t. 60, 1896, 1, p. 359-370.
38 JO, 1900, Documents parlementaires, Chambre, S.E., Annexe n° 1196. L. Bourgeois, cité dans les conclusions du rapport VI, p. 469.
39 Marion (H.), « Le mouvement des idées pédagogiques dans l’enseignement supérieur », RIE, t. 18, 1889, 2, p. 293-300.
40 Lavisse (E.), « L’enseignement et les examens », Questions d’enseignement national, Paris, 1885.
41 Ibidem.
42 Lavisse (E.), « Réforme nécessaire », RU, 1re Année, 1892, 1, p. 1 à 8.
43 Seignobos (C.), « L’enseignement de l’histoire en Allemagne », RIE, t. 1, 1881, 1, p. 563-600.
44 JO, 1900, Documents parlementaires, Chambre, S.E., Annexe n° 1196, Rapport VI, p. 467 sq.
45 Les propositions sont présentées à la Chambre des députés le 14/2/1902 et au Sénat le 10 juillet.
46 BAIP, n° 1596, 1903, p. 1002-1004.
47 BAIP, n° 1627, 1904, p. 807-808.
48 BAIP, n° 1735, 1906, p. 677.
49 Durkheim (E.), L’évolution pédagogique en France, Paris, PUF, 1969, (2e éd.).
50 Langlois (C-V.), « L’agrégation d’histoire », Conférences du Musée pédagogique, Paris, 1907.
51 Lavisse (E.), « Le concours pour l’agrégation d’histoire et de géographie », RIE, t. 1, 1881, p. 137-151.
52 Langlois (C-V.), op. cit., p. 29.
53 BAIP, n° 1123, 1894, p. 190-199.
54 BAIP, n° 1137, 1894, circulaire du 17 novembre relative à l’agrégation d’histoire, p. 677 à 683.
55 Lavisse (E.), « Une réforme nécessaire », RU, 1re A, 1892, p. 1 à 8.
56 Elles figurent dans la proportion de sept sur huit, alors qu’antérieurement elles n’occupaient que six places sur dix, note le rapport au Conseil supérieur, BAIP, n° 1123, 1894, p. 193.
57 BAIP, n° 1273, 1897, p. 88-89.
58 Ibidem.
59 Langlois (C-V.), op. cit., p. 48.
60 BAIP, n° 1627, 1904, p. 809-810.
61 BAIP., n° 1735, 1906, p. 307.
62 Langlois (C-V.), « L’agrégation d’histoire », Conférences du Musée pédagogique, Paris, 1907.
63 BAIP, n° 2538, 1924, p. 585.
64 Langlois (C-V.), « Rapport du concours d’agrégation », RU, 18e A, 1909, 2, p. 281-294.
65 Diehl (C.), « Rapport du concours de 1920 », RU, 30e A, 1921, 1, p. 161.
66 RU, 15e A, 1906, 2, p. 291.
67 RU, 21e A, 1912, 1, p. 1-18.
68 A.D. Ille-et-Vilaine, 1T (R). Dossier A. R…, IG, 1908.
69 C. Diehl avait été vice-président du jury de 1910 à 1914. Son mandat de président est interrompu en 1924 (Glotz le remplace) et en 1927.
70 JO, 1936, 68e A, n° 110, 9 mai 1936, Arrêté du 25/4/1936, p. 4812.
71 Langlois (C-V.), « L’agrégation d’histoire », Conférences du Musée pédagogique, Paris, 1907.
72 Pagès (G.), Rapport session 1937, RU, 47e A, 1938, 1, p. 193-221.
73 Ibid. Cette situation qui avait marqué la session de 1935, est signalée dans les causes de la réforme de la leçon hors-programme. Le jury tient, cependant, à préciser qu’elle s’est produite exceptionnellement.
74 Bloch (M.) et Febvre (L.), « Pour le renouveau de l’enseignement historique », Annales d’histoire économique et sociale, 9e Année, mars 1937, n° 48, p. 114-129.
75 RU, 34e A, 1925, 1, p. 385 sq.
76 Exemple : 1931, 11 professeurs sur 21 admis ; 1932, 9 sur 23, 1934, 9 sur 22 ; 1935, 11 sur 24 ; 1936, 12 sur 25 ; 1937, 12 sur 27 ; 1938, 20 sur 32.
77 Bloch (M.) et Febvre (L.), op. cit., p. 119.
78 RU, 47e A, 1938, 1, p. 307-318.
79 Bloch (M.) et Febvre (L.), op. cit.
80 Pagès (G.), RU, 47e A, 1938, 1, p. 193-221.
81 BAIP, n° 1123, 1894, p. 190-199.
82 Bloch (M.) et Febvre (L.), « Pour le renouveau… », op. cit., p. 127.
83 Diehl (C.), « Rapport sur le concours de l’agrégation », RU, 41e A, 1932, 1, p. 289 sq.
84 RU, 33e A, 1924, 2, p. 97 sq.
85 RU, 34e A, 1925, 1, p. 385 sq.
86 Ibidem.
87 RU, 47e A, 1938, 1, p. 193-221.
88 Monod avait mis en garde contre le resserrement des questions du programme. Alors que le programme devait être, à l’origine en 1894, purement limitatif, il lui paraît être devenu un rétablissement déguisé des anciennes thèses d’érudition et regrette qu’il « enferme » de plus en plus les professeurs. Monod (G.), « L’enseignement de l’histoire », Bulletin historique, RH, t. 95, 1907, 3, p. 337-345.
89 Bloch (M.) et Febvre (L.), « À propos d’un concours », Annales d’histoire économique et sociale, 6e Année, mai 1934, n° 27, p. 265-266.
90 Bloch (M.) et Febvre (L.), « Pour le renouveau…», op. cit. L. Febvre avait déjà exposé en partie ce point de vue dans la leçon d’ouverture du cours d’histoire de la civilisation moderne prononcée au Collège de France le 13 décembre 1933. Febvre (L.), « Examen de conscience d’une histoire et d’un historien », Revue de synthèse, t. 7, 1934, 4, p. 93-106.
91 Bloch (M.) et Febvre (L.), « À propos d’un concours », op. cit.
92 RU, 47e A, 1938, 1, p. 193 à 221.
93 Bloch (M.) et Febvre (L.), « Pour le renouveau… », op. cit., p. 114-129.
94 Thalamas (A.), Note sur la conférence de Langlois « L’agrégation d’histoire », Conférences du Musée pédagogique, Paris, 1907.
95 Gueneau, « À propos du stage pédagogique », RU, 30e A, 1921, 2, p. 115 et sq.
96 BSPHG, n° 80, juin 1934, Extraits de presse, p. 309.
97 Thalamas (A.), Conférences du Musée pédagogique, op. cit., p. 177.
98 Febvre (L.), Éducation et instruction, t. XV, 15-10-1, l’Encyclopédie française, Paris, 1939.
99 Cette référence est donnée par A. Chervel, Histoire de l’agrégation, Paris, Kimé, 1993. En ce qui concerne le nombre des agrégés d’histoire et de géographie, on peut plus précisément l’établir à partir du nombre d’inscrits aux élections de leur délégué au CSIP (Cf. tableau 4).
100 Langlois (C-V.), « Rapport sur le concours de l’agrégation », RU, 38e A, 1909, 2, p. 281 à 294.
101 Pacot, « La pédagogie dans les conseils d’enseignement », RU, 35e A, 1926, 1, p. 24 sq.
102 JO, 1900, Documents parlementaires, Chambre, S.E., Annexe n° 1196, p. 468.
103 Déposition orale de Lavisse, JO, 1899, Documents parlementaires, S.O., Annexe 866, p. 1014 sq.
104 Langlois (C-V.), « La préparation à l’enseignement », Questions d’histoire et d’enseignement, nouvelle série, Paris, 1906, p. 271-291.
105 Ibid.
106 Conclusions du rapport VI. JO, 1900, Documents parlementaires, Chambre, S.E., Annexe n° 1196, p. 469.
107 Agathon, L’esprit de la nouvelle Sorbonne…, Paris, 1911, p. 98-100 Le cours de pédagogie de Durkheim est au centre des critiques contre la nouvelle Sorbonne. Et les attaques contre la tyrannie sociale de la République se confondent avec la dénonciation de la tyrannie personnelle. À l’intérieur de ce système de pensée, Agathon fait feu de tout bois et dénonce le cours de pédagogie comme un ensemble d’aphorismes. L’exemple qu’il cite, placer les élèves myopes aux premiers rangs, nous rappelle des débats qui se sont tenus beaucoup plus récemment à propos du rapport d’évaluation des trois premiers IUFM.
108 Durkheim (E.), L’évolution pédagogique en France, Paris, 1969 (2e éd.). Dans le chapitre premier qui reproduit l’introduction du cours, Durkheim expose l’intérêt pédagogique de la question, p. 11-21.
109 Mathiez (A.), cité dans la rubrique « Échos : la haute culture française est-elle en péril ? », RU, 29e A, 1910, 2, p. 225-226.
110 Langlois (C-V.), « La préparation professionnelle à l’enseignement secondaire », op. cit.
111 Le Lannou (M.), Un bleu de Bretagne, Paris, Hachette, 1979.
112 Langlois (C-V.), « La préparation professionnelle à l’enseignement secondaire », op. cit.
113 Ibid.
114 Thalamas (A.), Conférences du Musée pédagogique, Paris, 1907.
115 Gérard (A.), « À l’origine du débat des Annales : positivisme historique et système universitaire », Au berceau des Annales, le milieu strasbourgeois, l’histoire en France au début du xxe siècle, Presses IEP Toulouse, 1983.
116 Le seul rapport où les candidats sont engagés à utiliser les photographies correspond à la courte suppléance de Diehl par l’inspecteur général, vice-président du jury. On doute qu’il faille y voir une simultanéité fortuite dans un jury où la présidence est confiée de façon prolongée à un universitaire.
117 Cousinet (R.), 1881-1973, adhérent à la Société Binet-Simon, crée en 1921 l’association « La nouvelle éducation » qui publie jusqu’en 1939 une revue du même nom.
118 Bloch (M.) et Febvre (L.), « Pour le renouveau de l’enseignement historique », AHES, 9e A, mars 1937, n° 48, p. 114-129.
119 Piobetta joint sa voix au concert des plaintes. Devant l’hypertrophie des candidats (sic), il déplore que le baccalauréat, devenu de moins en moins rare, ait de moins en moins de valeur…, « comme une oeuvre d’art » ajoute-t-il. Le Baccalauréat de 1902 à nos jours, Paris, 1937.
120 Bruhat (J.), « Pour des cours périodiques de perfectionnement scientifique », BSPHG, n° 86, janv. 1936, p. 236-238. Jean Bruhat a fait partie rue d’Ulm du noyau des jeunes intellectuels marxistes. Professeur au lycée Clémenceau de Nantes et compagnon de route du Parti communiste, il a lié son nom à l’histoire de la Commune, éditée aux Éditions sociales.
121 Ibidem.
122 Georgin, « La pédagogie à l’Exposition », RU, 47e A, 1938, 1, p. 40.
123 BSPHG, n° 88, juin 1936 : L’histoire et la géographie ont obtenu deux stands de 10 m2 et deux vitrines dans la section de l’enseignement secondaire.
124 Prost (A.), Histoire de l’enseignement en France, Paris, A. Colin, 1968.
125 Isaac (J.) et Troux (A.), « Ce que sera l’Information historique », I.H., 1e A, oct.-nov. 1938, n° 1.
126 Gerbod (P.), « La place de l’histoire dans l’enseignement secondaire de 1802-1880 », I.H., mai-juin 1965, p. 123-130. L’expression est reprise par J.N. Luc.
127 Dubief (H.), « Les cadres réglementaires dans l’enseignement secondaire de la 3e république », Colloque Cent ans d’histoire, RHMC, n° hors-série, 1984, p. 10 à 18.
128 Peyrot (J.), « Les réalités de l’enseignement de l’histoire des années 1930 aux environs de 1960 », op. cit., p. 193-207.
129 On peut considérer que se sont cristallisées, surtout a posteriori, des critiques extensibles à l’ensemble des pratiques du secondaire. Nos correspondants insistent largement sur le fait que, dans toutes les disciplines, la part de la mémorisation était importante. Ils ne le font sans doute pas uniquement pour nous être agréables.
130 Gastinel (G.), Éducation et instruction, t. XV, 15-06-8 l’Encyclopédie française, Paris, 1939.
131 Isaac (J.), Combat pour la vérité, Paris, 1970.
132 Febvre (L.), Avant propos du tome XV, l’Encyclopédie française, Paris, 1939.
Table des illustrations
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Titre | Tableau 8. Du CSIP à la Société des professeurs d’histoire et de géographie, une présence permanente. (N.B. : Pendant les mandats de Busson, Morizet qui avait, en alternance avec lui, rempli les fonctions de secrétaire général, préside la Société et assure ainsi la continuité de son action pendant vingt-cinq ans.) |
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Titre | Tableau 9. Pourcentages des candidats à l’agrégation sélectionnés à chaque degré du concours entre 1923-1933 (source : BSPHG, n° 82, janvier 1935). |
Légende | N.B. : 1) Les épreuves écrites éliminent en moyenne les 2/3 des candidats ; 2) Les deux oraux éliminent en moyenne chacun un nouveau tiers du contingent précédent ; 3) Globalement, une régulation se fait entre le premier oral et le deuxième. Lorsque les épreuves du premier ont été plus sélectives que la moyenne, celles du second le sont moins. |
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Titre | Graphique 1. Nombre de candidats sélectionnés à chaque degré de l’agrégation d’histoire entre 1923-1933 (source : BSPHG, n° 82, janvier 1935). |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8847/img-3.png |
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Titre | Graphique 2. Evolution des effectifs à l’agrégation masculine d’histoire et géographie entre 1897-1938 (source : BAIP, complétés par les rapports du jury de l’agégation, Revue Universitaire, années 1897-1938). |
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© Presses universitaires de Rennes, 1999