Changements dans l’économie

1Au xiii^e siècle, l’agriculture prit le pas sur l’élevage. Les terres labourées acquirent plus de valeur que les pâturages et les bois. L’extension croissante de l’agriculture fit véritablement apprécier les terres fertilisées. Dans certaines parties du pays, sur certains types de domaines, on passa de l’agriculture itinérante à une exploitation régulière des terres : le sol n’était plus cultivé jusqu’à l’épuisement mais la période d’exploitation des terres était réduite de 3 à 5 ans et on défrichait de nouvelles terres avant de revenir aux surfaces cultivées auparavant, où l’herbe avait repoussé entre temps, mais qui étaient restées fertiles. Cela favorisa le passage à un véritable assolement : le travail de la terre s’effectua toujours sur le même territoire, par champs définitivement destinés à la culture, qu’on laissait délibérément reposer de temps en temps.

2Le travail de la terre gagna non seulement en intensité, mais aussi en superficie. Les forêts de l’intérieur du pays furent défrichées, les terres ainsi conquises mises en culture. Outre la population servile et les hospites qui bénéficiaient de privilèges, les abbayes cisterciennes des régions entourées d’épaisses forêts (Pilis, Pásztó, Saint-Gothard, etc.) contribuèrent notablement à ces travaux de défrichement et de préparation à la mise en culture. L’agriculture s’étendit également aux régions périphériques du bassin des Carpates où la majorité des nouvelles terres labourées fut obtenue en défrichant les forêts des anciennes marches.

3Au cours du xiii^e siècle, la charrue asymétrique et le coutre figurent de plus en plus dans les sources écrites. Le terme d’aratrum (charrue) y est de plus en plus souvent utilisé pour désigner une unité de terrain qu’une charrue peut labourer, soit une surface de 3 à 4 hectares. La généralisation de la production de céréales est attestée par l’obligation de fournir le pain à laquelle était soumise la population servile. Presque toutes les couches de la population se livraient aux travaux agricoles. Le nombre de moulins à eau augmenta. On vit apparaître aussi des moulins à fouler. La culture de la vigne et des arbres fruitiers, requérant des compétences particulières, se répandit également. À partir de vestiges de graines et de plantes, les recherches de botanique historique ont permis d’établir que dans la dernière période de l’époque árpádienne on récoltait des pommes, des cerises, des griottes, des noix, des noisettes, des pêches, des petits pois, des haricots, des lentilles, du sarrasin et des melons.

4L’élevage, malgré son recul par rapport à l’agriculture, conserva cependant une certaine importance. Les membres de la population asservie disposaient de plus en plus de leurs propres bêtes. L’élevage à l’étable s’accrut mais la proportion de l’élevage en plein air, surtout de chevaux et de moutons, resta non négligeable. Les serfs étant tenus de fournir de la volaille (oies et poules) à leur seigneur, nous pouvons en déduire qu’ils avaient aussi des basses-cours. L’apiculture se répandit dans l’ensemble du pays, la pêche et la chasse ne perdirent rien de leur importance première.

5L’un des principaux changements intervenus au xiii^e siècle dans le domaine économique fut la disparition de l’organisation du travail basée sur le prædium. On vit apparaître des exploitations indépendantes dont la majorité, dans la première moitié du xiii^e siècle, était encore des tenures, puisque les terres « privées » des serfs étaient la propriété du seigneur qui avait tout pouvoir sur elles et pouvait les céder avec leurs habitants. La terre « privée » n’était donc pas encore héréditaire, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas encore de relation indissociable entre la terre et l’« usager » qui l’exploitait de manière indépendante. Parallèlement, à partir du début du xiii^e siècle, les sources témoignent de l’apparition d’exploitations appelées locus curiarum, (ou mansus, sessio) (en hongrois jobbágytelek*), en particulier dans la partie occidentale du pays. À partir de la seconde moitié du xiii^e siècle, elles se généralisèrent comme unités de travaux agricoles. Le seigneur terrien n’en était plus que virtuellement propriétaire et, dans des circonstances normales, il ne pouvait plus retirer leur terre aux paysans. Peu à peu, ces biens devinrent héréditaires, et ainsi apparut l’organisation double bien connue aux époques suivantes : la maison paysanne avec jardin, située dans l’enceinte du village et, sur le terroir, les champs et autres terres qui en dépendaient.

6La disparition du prædium témoigne en dernier ressort des failles apparues dans l’agriculture naturelle, même si celle-ci ne recula que lentement. Le prædium était incapable de se renouveler, comme le révèle la destinée des sujets redevables de prestations d’artisanat, quel que soit le type de domaines féodaux où ils vivaient. Le processus de leur élévation sociale s’interrompit dans les premières décennies du xiii^e siècle. Comme le prædium se réduisit à la seule réserve du seigneur, ces serviteurs travaillaient au centre du domaine, dans les ateliers du seigneur. Les seigneurs féodaux voulurent résoudre cette crise de l’exploitation prædiale en recourant à des moyens divers selon les types de propriétés. Dans les domaines ecclésiastiques, on fit peser sur les paysans qui effectuaient aussi des travaux d’artisanat de plus en plus de charges qui n’avaient rien à voir avec leur activité et même l’entravaient : ils furent soumis à l’obligation de transport et durent payer une redevance sur leur production. Les artisans des domaines de la Couronne distribués par le roi tombaient aux mains de nouveaux maîtres. Ils n’avaient plus l’assurance d’être suffisamment libérés des corvées agricoles pour se consacrer à leur métier. Aucune voie ne menait du prædium féodal à l’artisanat libre. Ce n’est pas dans les prædia que l’artisanat se sépara de l’agriculture. Après l’invasion des Tatars, les documents écrits font très souvent état du dépeuplement des villages d’artisans. Ce phénomène était dû dans une faible mesure aux ravages commis par les Tatars. La cause principale en fut la multiplication des corvées : l’augmentation des services agricoles auxquels étaient soumis les artisans les poussa à quitter les prædia pour s’établir dans des lieux où ils pouvaient exercer leur métier.

7Les échanges du commerce extérieur ne connurent pas de changements notables au xiii^e siècle. En revanche, le commerce intérieur s’étendit considérablement. C’est surtout dans la seconde moitié du siècle qu’à côté des marchands « professionnels » un nombre croissant de paysans devenus producteurs apportèrent eux-mêmes leurs produits au marché. De plus en plus souvent furent créés dans les domaines seigneuriaux des marchés libres (forum liberum) sur lesquels le roi ne percevait pas de droits. En effet, une partie des taxes revenait aux particuliers ayant bénéficié d’une donation royale, et les seigneurs qui voulaient se livrer au commerce s’arrangeaient pour obtenir une exemption du souverain. Sur les marchés étaient principalement vendus des produits de l’agriculture (du blé et des bêtes : porcs, chevaux, moutons). Le vin, le poisson et le sel circulaient dans l’ensemble du pays. Les serfs (servus et libertinus), ainsi que la terre et les propriétés firent aussi l’objet de transactions au xiii^e siècle.

8Avec l’extension de l’économie monétaire, on prit l’habitude d’hypothéquer la terre. Dans la seconde moitié du siècle, plusieurs sortes de redevances étaient déjà perçues en monnaie. L’avènement du marché financier fit disparaître du commerce intérieur l’usage de l’argent non frappé (sous forme de lingots) et des deniers de Friesach. La monnaie frappée en Hongrie dans les premières décennies du xiii^e siècle était de valeur médiocre, ce n’est que sous le règne de Béla IV et de ses successeurs (surtout André III) que furent émises des pièces d’argent d’une valeur supérieure et plus stable. Mais les pièces continuèrent d’être renouvelées chaque année, ce qui amena à l’époque d’Étienne V et de Ladislas IV une considérable dévaluation de la monnaie royale. Avec la création d’offices affermés de monnayage, on frappa de la monnaie en plusieurs endroits du pays, et plus seulement à Esztergom. En 1255, on commença également à frapper de la monnaie dans le banat de Slavonie.

Développement des villes

9Le développement des villes au xiii^e siècle diffère en bien des points de l’orientation amorcée au xii^e siècle. Les véritables villes, celles qui ont vu le jour au xiii^e siècle, ne sont plus (ou plus principalement) caractérisées par leur fonction de centres économiques, mais par les fonctions que leur conféra l’évolution de la division du travail dans la société. De nombreux centres administratifs, en premier lieu des chefs-lieux de comitat, furent détruits et déclinèrent par suite de l’invasion des Tatars, ou pour d’autres raisons. Les agglomérations où se trouvait un centre administratif de l’Église, ou bien celles qui tombèrent sous domination ecclésiastique, avaient une situation particulière.

10L’influence de l’Église se renforça à Esztergom : une cité archiépiscopale fut créée au pied de la citadelle et le quartier des udvornici passa lui aussi progressivement aux mains du chapitre d’Esztergom. La cité royale, c’est-à-dire la colonie des Latins (vicus Latinorum), principalement des marchands défendant leurs privilèges face à la prédominance de l’Église, joua un rôle primordial dans l’évolution d’Esztergom : sur ce territoire restreint naquit une ville dépendant du roi, qui devint ville franche par la suite. La cité de Nagyvárad, où s’étaient également établis des Latins appelés Olaszi (Italiens), jouissant de droits autonomes, fut fondée dès l’origine sur une terre appartenant au chapitre. Étant située à un important carrefour, elle remplit des fonctions économiques notables (surtout grâce à ses marchands) mais la situation juridique de ses habitants dépendait de l’issue de la lutte qu’ils menèrent contre leur seigneur ecclésiastique. La ville de Gyὄr obtint sa charte de franchise en 1271 mais une partie de la cité, dont les habitants n’étaient pas concernés par les libertés acquises, resta sous la domination du chapitre. Le développement urbain d’Óbuda fut rapidement interrompu : à la suite de donations faites par Imre et André II, ses habitants tombèrent sous la domination de la collégiale, ce qui n’attira ni les marchands, ni les artisans.

11La ville de Székesfehérvár connut un développement particulier au xiii^e siècle. Le roi Béla IV accorda en 1237 à ses habitants (cives) une charte d’affranchissement ratifiant l’ensemble des libertés dont ils jouissaient auparavant : ils furent exemptés de droits de douane dans tout le pays et aux portes de la ville. Les hospites qui s’y étaient établis bénéficièrent également de ces franchises. Ils pouvaient élire librement leurs douze jurés et leur juge, lequel était compétent pour toutes les affaires. Les libertés concédées à l’origine aux Latins s’étendirent ainsi à un cercle élargi et les Latins constituèrent la classe dirigeante de la population de Székesfehérvár dont l’effectif avait augmenté. En garantissant certains des privilèges qu’ils accordèrent aux villes au xiii^e siècle, les rois se référaient souvent à l’exemple des citoyens de Székesfehérvár. La situation changea considérablement après l’invasion des Tatars, lorsque Béla IV établit les citoyens de Székesfehérvár dans l’enceinte de la ville en 1249. Ils y conservèrent la libre administration de leurs affaires mais furent soumis aux prérogatives de leur seigneur ecclésiastique.

12De nouvelles villes virent le jour au cours du xiii^e siècle, comme par exemple Pest, habitée au début du siècle par des musulmans, commerçants et preneurs à ferme d’offices. Grâce à sa situation géographique favorable et à la proximité du passage permettant de traverser le Danube, une foire animée et fréquentée s’y établit. L’installation d’Allemands entre 1218 et 1225 donna une forte impulsion à l’urbanisation de Pest. Ils s’associèrent au commerce avec des pays lointains, importèrent le travail des métaux (fabrication de cloches), plantèrent de la vigne sur les collines de Buda. Pest obtint les mêmes privilèges que les citoyens de Székesferhérvár avant même l’invasion des Tatars, probablement en 1231. Ces libertés s’étendaient des environs de la citadelle de Pest (la forteresse romaine) au quartier appelé Újbécs (Nouvelle Vienne), là où se concentraient les musulmans. Béla IV renouvela la charte des hospites de Pest en 1244. En 1247, à l’annonce d’une nouvelle invasion tatare, commença la construction de la citadelle sur la colline de Buda et les citoyens de Pest vinrent s’y établir. Buda, la nouvelle ville, bénéficia des privilèges acquis par Pest en 1244. Le nom de Nagyszombat, (« grand samedi ») indique que cette localité était un lieu de marché ; des commerçants allemands s’y établirent dans les années 1220. Cette cité obtint en 1238 l’un des plus anciens statuts de ville. Kassa peut également être considérée comme une ville neuve. Localité de peu d’importance avant l’invasion mongole, elle s’urbanisa de manière planifiée avec l’arrivée d’Allemands entre 1230 et 1249. Ce sont également des Allemands qui fondèrent Besztercebánya, dont la charte date de 1255.

13Les privilèges des villes dérivaient des libertés accordées aux colons étrangers (hospites). Ces colons, indépendamment de leur activité, avaient obtenu ou fait reconnaître par les rois de Hongrie le droit dont ils jouissaient depuis longtemps d’être jugés par leurs propres juges et d’assimiler d’autres groupes de population. Cependant, les droits des hospites et le statut des cités se différencièrent assez tôt. Les droits des villes en matière juridique étaient plus étendus que ceux des hospites. Le magistrat d’une ville était compétent pour toutes les affaires de la cité, celui des hospites ne traitait que des affaires mineures. En cas d’appel, les villes dépendaient du roi. Les hospites ne pouvaient s’adresser qu’au représentant du roi ou à leur seigneur. L’obtention du droit des hospites ou même du statut de cité ne signifiait nullement en soi qu’une agglomération s’urbanisait.

14Le statut des cités au xiii^e siècle comprenait des libertés dans trois domaines : économique, juridique et religieux. Les privilèges économiques montrent à l’évidence que les villes étaient surtout habitées par des marchands et, dans une moindre mesure, par des artisans. Toutes les chartes garantissaient des libertés liées au commerce mais, par ailleurs, elles n’interdisaient pas d’exercer un métier artisanal à une distance déterminée de la ville. Il y avait un marché hebdomadaire dans presque toutes les cités. L’institution d’une foire nationale qui se développa dans la seconde moitié du xiii^e siècle à Székesfehérvár et à Buda (les deux cités les plus urbanisées de l’époque) indique que l’administration du commerce était passée des mains du roi à celles des cités. Les principales villes se développèrent le long de voies importantes, près des régions frontalières, aux points de jonction de régions distinctes : ce n’est pas par hasard que les développements de Sopron, Pozsony et Kassa suivirent l’exemple de celui de Székesfehérvár et Buda.

15Dans la seconde moitié du xiii^e siècle, les villes furent exemptées de redevances foncières (terragium). Elles obtinrent certains revenus seigneuriaux et finirent par exercer des droits féodaux sur leur propre territoire. Le fait que la juridiction des ispáns de comitat cessa de s’exercer sur les cités fut un critère déterminant. Contrairement à celles qui étaient tombées sous la domination de l’Église ou y étaient restées, les villes dépendant du roi avaient l’avantage de lui être soumises non comme à un seigneur féodal mais comme au souverain du pays. Dans le domaine juridique, les deux privilèges fondamentaux des villes, l’élection des juges et le libre exercice de la justice, figurent dans toutes les chartes depuis 1230, date de la charte de Szatmárnémet. La principale liberté dans le domaine religieux consistait à élire le curé de la paroisse.

16Avant l’invasion mongole, la politique des rois de Hongrie concernant les villes devint contradictoire. D’une part, par leurs donations, les souverains mirent en danger, voire interrompirent le processus de développement des cités, mais d’autre part, c’est précisément au cours de ces décennies que la délivrance de chartes de privilèges prit un essor considérable. Après l’invasion des Tatars, Béla IV considéra les villes comme de possibles alliés politiques. En conséquence, il accorda de plus en plus souvent des privilèges à certaines agglomérations (aux hospites ou aux citoyens qui y vivaient). Mais, vers la fin du siècle, de nombreux facteurs vinrent entraver l’urbanisation. Par exemple, en 1288, Ladislas IV donna Nitra à l’évêque qui y résidait, ce qui mit fin au développement de la cité. De même, vers la fin du siècle, les aristocrates laïques en pleine ascension s’efforcèrent d’assujettir les villes qui se trouvaient sous leur juridiction. Au cours des décennies de violences féodales liées à l’organisation de territoires aux mains de seigneurs, les acquis de la longue période d’urbanisation furent menacés.

Transformations de la société

17Il y eut trois grands changements dans la société du xiii^e siècle. Les deux principaux concernent la population servile. Les villes issues du développement économique et de la division du travail attirèrent les sujets ­principalement voués à des travaux agricoles. Ceux-ci vinrent constituer le noyau des citadins, bourgeois et gens du peuple, qui exerçaient un artisanat, se livraient au commerce ou effectuaient toutes sortes de travaux. L’avènement de la population urbaine comme catégorie sociale indépendante est l’un des acquis significatifs de la société du xiii^e siècle. Il n’aurait pas été possible sans les transformations qui avaient affecté l’ensemble de la population servile au cours de ce siècle et qui se concrétisèrent par l’autre grande conquête sociale, l’unification juridique des serfs.

18Le point de départ se situe dans les évolutions déjà présentes au xii^e siècle. Se poursuivant dans les premières décennies du xiii^e siècle, elles aboutirent à une certaine unification économique : le nombre de ceux qui disposaient d’une maison, d’une terre et d’une exploitation indépendante s’accrut par rapport à ceux qui ne possédaient rien mais la situation juridique restait pratiquement inextricable. Dans les décennies précédant l’invasion des Tatars, les sources distinguaient plusieurs groupes au sein de la population servile. Celui des esclaves totalement démunis était en recul, cependant il n’avait pas encore tout à fait disparu. Ceux-ci n’avaient pas de terre, ni même de maison. Ils étaient désignés comme véritables serfs (veri servi) et traités comme des biens mobiliers, vendus et achetés. Vivant seuls pour la plupart, ils ne fondaient pas de famille. Le groupe le plus proche d’eux était celui des serfs appelés mansio, mansus. La maison qu’ils occupaient ne leur appartenait pas en propre. Leur seigneur pouvait selon son gré dissocier leur famille en en cédant n’importe quel membre. Ils recevaient de la terre, une charrue et des bêtes pour leur usage, mais n’en étaient pas propriétaires. Le groupe des libertini, vivant surtout sur les domaines de seigneurs laïques, se distinguait plus nettement des deux groupes précédents. Ils étaient serfs par leur condition juridique : ils pouvaient être vendus ou cédés, mais le seigneur ne pouvait pas rompre leurs liens familiaux. Ils avaient certains biens mobiliers et immobiliers : leur maison était à eux ou le devint avec le temps ; de même, leur rattachement à leur terre se stabilisa, et ils en furent de plus en plus souvent propriétaires. On leur reconnut le droit de rachat, c’est-à-dire qu’ils pouvaient obtenir un affranchissement total en contrepartie d’une forte somme. Le libertinus avait sa propre exploitation : il payait l’impôt et la dîme. Un autre groupe distinct était constitué par les conditionarii. Ceux-ci avaient obtenu une conditio, c’est-à-dire qu’ils jouissaient d’un certain statut juridique et n’étaient redevables que de prestations déterminées. Ils n’étaient pas vendus comme les libertini. S’ils étaient le plus souvent cédés en même temps que leur terre, c’est que le lien qui les y rattachait s’était consolidé, et qu’elle était considérée comme leur « propre » terre. Les conditionarii étaient les plus nombreux dans les domaines royaux et ecclésiastiques. Ceux de l’abbaye de Pannonhalma engagèrent diverses actions entre 1226 et 1240 pour améliorer leur condition et alléger leurs charges. Béla IV mit fin à leurs procès à la veille de l’invasion tatare.

19Les libres (liberi) disposaient évidemment d’une exploitation autonome. Mais certains d’entre eux n’étaient pas encore indépendants sur le plan économique. Ce sont eux qui, dans les nombreux procès intentés au cours du premier tiers du xiii^e siècle pour l’obtention du statut d’hommes libres, défendirent obstinément leurs libertés individuelles et soulignèrent le fait qu’ils étaient des libres à part entière (omnino liber). Mais la seule obtention des libertés communes ne signifiait pas encore qu’ils échappaient à la condition servile. Au milieu du xiii^e siècle, il fallait pour cela posséder sa propre terre. Ainsi s’explique le fait que les iobagiones castri qui étaient des semi-libres par leur statut juridique, c’est-à-dire qu’ils ne jouissaient pas de toutes les libertés, purent s’élever jusqu’à la classe dirigeante grâce à leurs propriétés, tandis que les liberi qui, ne disposant pas de biens fonciers, travaillaient la terre d’autrui, continuèrent d’appartenir à la population servile. Dans les premières décennies du xiii^e siècle, tandis que les serfs au statut d’esclaves choisissaient souvent la fuite pour trouver des conditions de vie plus favorables, les liberi faisaient valoir dès cette époque leur droit de migration. Ils devaient demander l’autorisation de partir, pouvaient emporter leurs biens mobiliers, mais devaient payer une redevance foncière (terragium).

20L’invasion des Tatars représenta une impulsion déterminante pour l’unification juridique de la population servile et le processus déjà amorcé s’accéléra à la suite des dévastations. La main-d’œuvre paysanne venant à manquer dans tout le pays, sa valeur augmenta. Après l’invasion mongole, l’agriculture se développa rapidement dans les régions montagneuses et frontalières. De nombreux prædia, en tant qu’ » entreprises » basées sur les corvées, ne se relevèrent plus après les ravages, les survivants se dispersèrent. Ceux qui fuyaient les domaines royaux et ecclésiastiques se dirigeaient vers les propriétés privées de plus en plus nombreuses et étendues, où ils étaient attendus et accueillis par les seigneurs en contrepartie de divers avantages. De très nombreux éléments de la population servile visaient à obtenir la garantie écrite des libertés des hospites, qui comprenaient le droit de se déplacer librement. Ils l’obtinrent de différentes manières, et dans un premier temps, cela ne concerna que peu d’entre eux. Certains groupes de migrants ou de vagabonds fugitifs se mêlèrent aux hospites. Dans d’autres cas, ce sont des hospites qui s’établirent parmi eux. Bon nombre de serfs s’élevèrent de leur condition sur leur lieu de résidence d’origine, accompagnant souvent ce processus de révoltes et de refus de service.

21Dans les dernières décennies du xiii^e siècle, ces changements modifièrent profondément la stratification de la population servile. À la fin du siècle, les veri servi comme les libertini avaient pratiquement disparu, de même, le nombre des conditionarii diminua considérablement, ils s’enfuirent de leurs terres, ou ceux qui restaient étaient peu à peu considérés comme des iobagiones (jobbágyok). Ceux-ci constituèrent la majeure partie de la population paysanne de Hongrie dès le dernier tiers du xiii^e siècle. Ceux qui s’établirent dans les régions inhabitées étaient la plupart du temps appelés jobbágyok quelle qu’ait été leur condition antérieure. L’usage du terme de jobbágy, qui avait auparavant le sens de serf, se répandit très rapidement pour qualifier la population paysanne libre de changer de résidence : il désigna le sujet d’un domaine féodal qui disposait de certains droits (principalement de se déplacer, de léguer sa terre, de posséder des biens mobiliers etc.), et était en même temps soumis à des obligations déterminées, qui toutefois ne pesaient plus sur sa personne, mais sur la terre qu’il cultivait et, dans un nombre croissant de cas, qu’il possédait. Au cours du xiii^e siècle, les droits des hospites et ceux des paysans appelés jobbágyok ne coïncidaient pas encore exactement, les premiers étaient fixés par écrit, et n’étaient réservés qu’à une élite paysanne restreinte, tandis que la majeure partie de la paysannerie bénéficiait des droits de jobbágy, qui par ailleurs se rapprochaient de plus en plus de ceux des hospites. Un édit du conseil royal non daté, mais remontant à la fin du xiii^e siècle ou au début du xiv^e siècle, accorde aux paysans ou aux jobbágyok des nobles c’est-à-dire aux sujets des domaines laïques le droit de migration, qui pendant longtemps encore ne fut pas accordé aux populations des domaines royaux ou ecclésiastiques. Ceci indique qu’à la fin du xiii^e siècle, le processus d’harmonisation des statuts juridiques de la population servile n’était pas encore achevé mais il avait considérablement avancé et pouvait servir de base à l’unification qui s’effectua au xiv^e siècle.

22Le troisième changement fondamental de société au xiii^e siècle est l’évolution de la petite noblesse. L’avènement de cette classe de nobiles regni (nobles du royaume) ne s’est pas produit en droite ligne. La branche la plus vigoureuse était celle des servientes regis, des vassaux du roi, qui avaient émergé de la masse des libres grâce à leurs possessions. De nombreuses données renvoient à leur ancien statut d’hommes libres du commun (liber). On peut considérer comme leurs lointains ancêtres les guerriers (miles) de l’époque d’Étienne I^er, ou, plus récemment, les hommes libres qui servaient à la cour royale. Le terme de serviens regis apparaît relativement tard, sa première occurrence dans un document authentique date de 1217. Le serviens regis était directement rattaché au roi en souvenir de son ancien statut de libre à qui il devait un service militaire. Du point de vue légal, il relevait uniquement de la juridiction des institutions royales. Le serviens pouvait accéder au statut de noble (nobiles) par deux voies. D’une part, de manière spontanée, c’est-à-dire que la société le reconnaissait comme noble sans intervention particulière du roi ; ce fut bien sûr très rapidement le cas des plus riches, plus proches de l’aristocratie. Les moins fortunés manifestèrent leur désir d’être anoblis en se désignant eux-mêmes à partir des années 1240 comme nobiles servientes. Les notions de nobilis et de serviens ne tardèrent pas à être de valeur égale. Cette évolution fut entérinée en 1267 par le renouvellement de la Bulle d’or, où les notions de serviens regis et de nobilis regni sont assimilées.

23Les autres éléments de la petite noblesse (iobagiones castri, diverses sortes de gens du roi, par exemple les gardes) étaient généralement anoblis par le roi. On a conservé de nombreuses chartes d’anoblissement datant en particulier de l’époque de Béla IV, d’Étienne V et de Ladislas IV. Les officiers de châteaux exprimèrent leur désir d’être anoblis en faisant précéder, à partir des années 1250, le terme qui désignait leur statut social de l’adjectif « noble » (nobiles iobagiones castri). Mais il arriva aussi que certains d’entre eux accèdent pour ainsi dire naturellement à la noblesse, sans avoir été anoblis. Étant issue d’origines diverses, la petite noblesse n’a évidemment pas pu s’unifier en quelques décennies. Outre les nobles du royaume (nobiles regni) il existait une classe de nobles locaux (particularis), jouissant de libertés restreintes et redevables de services déterminés. Il s’agissait en particulier des iobagiones des domaines ecclésiastiques qui avaient reçu un prædium en récompense des services rendus, c’est pourquoi ils étaient qualifiés de prædialis. À cette classe appartenaient également les sujets et garde-frontières royaux des territoires périphériques, les decem lanceati de la Zips, les filii iobagionum de Turócs et de Liptó. Les titres de noblesse des provinces ducales n’avaient de valeur que dans la région et non dans l’ensemble du royaume. Les nobles de Transylvanie payaient l’impôt, ils devaient l’hospitalité au voïvode ; les nobles de Slavonie, eux, payaient une redevance en peaux de fouines. Dans de nombreux cas, les membres de la noblesse locale s’efforcèrent d’obtenir le statut de nobles du royaume, mais la plupart des différences entre ces deux catégories ne se sont estompées qu’au xiv^e siècle.

24Plusieurs rois du xiii^e siècle ont considéré la petite noblesse en ascension comme un possible soutien politique. L’organisation de la propriété par Béla IV après l’invasion tatare a également servi les intérêts des nobles. André III a favorisé l’établissement de la noblesse dans les comitats et s’est efforcé d’en élargir les attributions. Pendant tout le xiii^e siècle, les membres de la noblesse en formation luttèrent pour conserver les liens qui les rattachaient directement au roi, ou pour échapper à la dépendance juridique des puissants aristocrates. Le système de dépendance de droit privé, l’institution de la propria familia, escorte privée impliquant un rapport de dépendance féodale apparut relativement tard en Hongrie, dans la deuxième moitié du xiii^e siècle. Il amena essentiellement la création de liens féodaux, de rapports de vassalité qui n’étaient toutefois pas aussi rigoureux ni aussi contraignants qu’en Europe occidentale, et qui faisaient moins l’objet d’un règlement légal. De nombreux nobles, ou des individus ou familles au statut juridique proche de la petite noblesse, s’inféodaient de leur plein gré à un puissant seigneur et remplissaient diverses fonctions dans sa propria familia. Cependant, il arriva souvent qu’un aristocrate recoure à la force pour augmenter sa propria familia. Plusieurs ordonnances de congrégations, textes de lois et autres décisions de la fin du xiii^e siècle et du début du xiv^e siècle, garantirent aux nobles le droit de choisir librement celui qu’ils voulaient servir. Nous ne connaissons guère de documents ­enregistrant des accords de familiarité (familiaris), quant aux conditions des nombreuses inféodations forcées, elles n’ont pas fait l’objet d’accords écrits. Il ressort des sources écrites que les vassaux d’un seigneur terrien (dominus terre) accomplissaient des tâches de gestion et d’intendance du domaine (ils étaient dans ce cas qualifiés d’officiales) ; ils représentaient leur maître dans les affaires de droit public ou privé, mais ils effectuaient le plus souvent un service militaire. Les armées des grands seigneurs, qui se développèrent dans les décennies suivant l’invasion tatare, étaient principalement basées sur le service militaire de ces vassaux (familiares). Avec l’avènement de la noblesse moyenne, c’est-à-dire quand cette classe sociale fut désignée par le terme de nobiles, un autre changement intervint dans la terminologie de la société hongroise. Les plus puissants aristocrates laïques, à qui l’adjectif noble était encore exclusivement réservé au début du xiii^e siècle, furent de plus en plus souvent appelés barons à partir des années 1230. Ainsi l’élite laïque fut-elle constituée de deux groupes, les barons et les nobles, représentant deux éléments constitutifs de la société future.

L’Église et la culture

25L’organisation de l’Église séculière poursuivit son édification au xiii^e siècle. En 1229, le pape Grégoire IX autorisa la création du diocèse de Sirmie. De nouveaux archidiaconés furent fondés dans les régions périphériques nouvellement peuplées. Dans la première moitié du siècle, les archidiacres quittèrent leurs résidences et vinrent s’établir dans les évêchés où ils devinrent des chanoines, membres des chapitres cathédraux. À cette époque, la vie communautaire disparut des chapitres, les chanoines habitaient séparément et se partageaient les revenus. Au cours du siècle, les chapitres parvinrent à obtenir une plus grande part de la dîme, au détriment du bas clergé. Au xiii^e siècle, les chanoines élisaient effectivement les évêques, ils disposaient d’une fortune personnelle, jouissaient d’autonomie juridique, ce qui augmenta le poids et l’autorité des chapitres dans la société ecclésiastique.

26Les ordres religieux connurent d’encore plus grands changements. Au xiii^e siècle, on fonda relativement peu de monastères bénédictins en Hongrie. Le plus connu est celui de Ják, dont l’abbaye est une des plus belles réalisations de l’architecture hongroise du xiii^e siècle. Elle a été conçue à l’origine dans le style roman tardif, et porte quelques caractéristiques de l’art gothique. L’influence des bâtisseurs de Ják est sensible dans plusieurs autres édifices moins importants. Le monastère bénédictin de Lébény peut-être construit dès 1208, fondé par la famille de Gyὄr, compte également parmi les monuments du roman tardif de Hongrie. Au cours du siècle, les souverains comme les aristocrates laïques fondèrent surtout des monastères cisterciens ou de prémontrés. L’intense activité des particuliers dans la fondation puis l’entretien des monastères privés (familiaux), témoigne du ­succès de cette institution en Hongrie. À l’abbaye de Prémontrés de Zsámbék, ainsi qu’à l’abbaye cistercienne de Bélháromkút construite peu avant l’invasion tatare dans le comitat de Borsod, les églises présentent nettement des caractéristiques du gothique précoce.

27Parmi les ordres mendiants, les dominicains arrivèrent en Hongrie en 1221, les franciscains en 1229. Les moines des ordres plus anciens vivaient cloîtrés dans leurs monastères, se souciaient peu des problèmes quotidiens, et n’avaient pratiquement aucun contact avec la population, c’est pourquoi ils ne pouvaient espérer de grands succès dans leurs entreprises contre les hérétiques. Les moines mendiants avaient fait vœu de pauvreté, ils allaient parmi le peuple, subvenant à leurs besoins en travaillant et en mendiant. Ils encouragèrent les sciences et furent des propagateurs tenaces de la foi chrétienne. Béla IV en particulier fit preuve d’une grande sollicitude envers les ordres mendiants, d’abord les dominicains, puis les franciscains. L’ordre des chartreux, puis celui de Saint-Paul, firent leur apparition en Hongrie au xiii^e siècle. L’ordre basilite de rite grec recula. En 1221, le pape Honorius III ordonna expressément de remplacer les moines grecs de Visegrád par un ordre de rite romain.

28Le concile de Buda de 1279 a donné une image en général fidèle, mais déplorable, de la société ecclésiastique de Hongrie. Ses décisions interdirent aux prélats de vivre dans le luxe, de porter des vêtements richement ornés. Il fut interdit aux prêtres de tenir auberge chez eux, de se battre, de voler, de provoquer des incendies, de faire du commerce, de prononcer et d’exécuter des condamnations à mort, de porter l’épée, d’engager des remplaçants, de vivre avec une femme. Les ordres monastiques furent également soumis à une règle plus sévère : les moines devaient s’habiller modestement, porter l’habit de leur ordre, ne pouvaient quitter leur monastère, ni se livrer à des distractions telles que la chasse, mais devaient respecter strictement leurs obligations religieuses (jeûne, prière, etc.). En même temps, le concile manifesta une plus grande exigence spirituelle que les précédents. Tandis que les desservants des paroisses n’étaient tenus que de posséder un missel, les archidiacres devaient connaître le droit canon et les sept arts libéraux.

29Les écoles des abbayes et des chapitres, qui assuraient une instruction rudimentaire, constituaient encore au xiii^e siècle l’avant-garde de l’enseignement en Hongrie. L’école de Veszprém où était enseigné le droit, et qui fut détruite lors d’une attaque dévastatrice en 1276, constituait une exception. Le fait que dans les chapitres, les clercs (magistri ou rectores) qui étudiaient à l’étranger bénéficient de revenus de chapelles, est un indice de l’élévation des exigences culturelles. Leurs frais d’études étaient couverts par leur stallum au chapitre, ainsi que la part de la dîme obtenue au détriment des prêtres desservants. Les chanoines de Hongrie allaient étudier, en particulier le droit, à Paris, puis dans la seconde moitié du siècle, à Bologne. À partir de 1260, il y eut à la cour du roi des membres du clergé versés en droit dont les écrits, chartes et ouvrages historiques, sont autant de preuves de leur connaissance du droit romain et du droit canon.

30Les archevêques et évêques étaient de niveaux culturels très disparates. Seuls les plus éminents ont produit des œuvres littéraires. Bernard, archevêque de Spalato, précepteur du roi Imre, rédigea au début du xiii^e siècle un recueil de textes contre les hérétiques et un recueil de sermons. Paul de Hongrie, le premier prieur de la province dominicaine, écrivit un manuel de confession. Certains d’entre eux furent chroniqueurs : Rogerius, archidiacre de Nagyvárad, Thomas, archidiacre de Spalato, mester Ákos, prévôt et chancelier de la reine, et Simon Kézai prêtre de la cour de Ladislas IV. On ne connaît pas l’auteur des Lamentations sur la Hongrie dévastée par les Tatares (Planctus destructionis regni Ungarie per Tartaros), un des plus beaux poèmes latins de Hongrie, composé peu après l’invasion tatare de 1241-1242. Vers 1288, à la demande de Lodomer, archevêque d’Esztergom, un moine augustinien composa en vers une histoire du roi saint Étienne. Des légendes furent également écrites au xiii^e siècle. Deux versions de celle de Ladislas, canonisé en 1192, datent des premières années du siècle. La première Légende de sainte Marguerite, encore rédigée en latin, date d’environ 1271 ; elle était destinée à apporter la preuve que Marguerite, la fille de Béla IV, morte au couvent de dominicaines de l’île aux Lièvres en 1270, avait mené une vie sainte. Des émissaires du pape vinrent en 1276 en Hongrie recueillir en vue de sa canonisation des témoignages dont nous n’avons que des fragments (toutefois, Marguerite ne fut canonisée qu’en 1943). La fille d’André II, Élisabeth, mariée en Thuringe, fut canonisée en 1235 par le pape Grégoire IX.

31La rédaction de diplômes augmenta considérablement, comme en témoigne l’évolution du nombre des chartes royales. Nous avons connaissance de 50 diplômes royaux rédigés au cours des 24 ans de règne de Béla III, près de 350 sous André II (30 ans), environ 1150 sous Béla IV (35 ans) et 1350 en arrondissant sous Ladislas IV (18 ans). Ce qui contribua notablement à cet essor, c’est l’existence de lieux préposés à la délivrance de diplômes (loca credibilia) créés entre temps, et le fait que la rédaction de diplômes fût assurée par un plus grand nombre d’instances (autorités ecclésiastiques et laïques, comitats de la noblesse, villes, etc.) qu’auparavant. La correspondance fit également de rapides progrès, le nombre de lettres augmenta considérablement. L’apparition de la charge de vice-chancelier en 1209 est liée au nom de Robert, futur évêque de Veszprém, mais ce n’est que dans les dernières années du règne d’André II qu’elle acquit droit de cité lorsque Ugrin, archevêque de Kalocsa, devint chancelier, alors que son haut rang ecclésiastique ne lui permettait pas de se livrer à cette activité. Une autre fonction fut encore créée à la chancellerie du roi en 1267, celle de secrétaire (notarius secretarius), responsable du sceau royal, et fut confiée à l’ispán de la chapelle royale (comes capelle).

32La culture était encore presque exclusivement aux mains de l’Église, mais l’apparition de la culture chevaleresque lui conféra un caractère un peu plus laïque, et quelques traductions de poèmes augmentèrent l’usage de la langue hongroise. La chevalerie se répandit en Hongrie au xiii^e siècle, avec ses armes et ses pratiques, et des tournois furent organisés. Il reste peu de traces de cette culture dans la littérature du xiii^e siècle. On sait que Peire Vidal et Gaucelm Fecit, deux célèbres troubadours venus d’Aragon avec l’épouse du roi Imre, ont séjourné en Hongrie. Les conteurs, jongleurs et trouvères ont probablement contribué au remplacement de la poésie épique de tradition orale par la poésie courtoise. C’est certainement dans les premières décennies du xiii^e siècle que fut traduit en hongrois le texte latin du roman de Troie, mais cette traduction n’a pas été conservée. Le fait que cette version hongroise ait été à son tour traduite en slave du sud montre qu’elle est due à un seul auteur qui avait fait des études à l’étranger et possédait une culture classique, peut-être s’agit-il du chroniqueur Anonymus. La Geste que ce dernier a rédigée, ainsi que la légende de Ladislas rapportant les mérites du « roi-chevalier » ont, dans une certaine mesure, rempli en Hongrie la fonction de littérature chevaleresque.

33De nombreuses œuvres témoignent de l’usage croissant de la langue hongroise. Grâce aux Fragments de Königsberg, nous avons connaissance de quelques vers composés à la fin du xii^e siècle ou au début du xiii^e siècle, dont la copie date toutefois de 1250. De même, la Complainte de Marie en hongrois ancien (Ómagyar Mária-siralom), un très beau poème empreint de sentiments profondément humains, a probablement été composée et notée au milieu du xiii^e siècle.

34En dépit des atteintes qui lui furent portées, l’Église accrut sa puissance et son influence dans les sept premières décennies du xiii^e siècle, et conquit une position de plus en plus élevée dans la hiérarchie sociale. Une charte accordée en 1222 par André II ratifia l’ensemble des privilèges dont les églises bénéficiaient et conféra au clergé des droits pratiquement seigneuriaux. C’est sur cette base que les plus puissantes institutions de l’Église (en particulier l’archevêché d’Esztergom et l’évêché de Zagreb) s’affranchirent peu à peu du pouvoir royal, pour devenir des provinces autonomes. C’est ce que montre en particulier la charte de privilèges accordée à l’église d’Esztergom par Béla IV en 1262. En 1270, Étienne V fit don du comitat d’Esztergom à l’archevêque et à l’archevêché et, à partir de cette date, les archevêques d’Esztergom portèrent le titre d’ » ispán héréditaire du comitat d’Esztergom ». De même, en 1272, Étienne V admit que cette église eût son propre palatin. Les grandes propriétés ecclésiastiques devançaient les propriétés seigneuriales laïques par leur organisation et leur haut degré de développement et, d’un certain point de vue, il était inévitable que l’une d’elles, celles de l’archevêque d’Esztergom, qui jouait en outre un rôle politique prédominant, ait été la première à vouloir se constituer en province souveraine au milieu du xiii^e siècle. Mais, au cours du dernier tiers ou quart du xiii^e siècle, l’évolution sociale et politique entrava la réussite de cette tentative, et en quelques décennies, la propriété laïque surpassa celle de l’Église.