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Les intellectuels catholiques dans la société française

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Claire Toupin-Guyot

Deuxième partie. Audace et obéissance au réel (1951-1958)

Chapitre 8. Un certain gallicanisme théologique ?

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Voir Étienne Fouilloux, Histoire du christianisme, op. cit., p. 156 et sequentes et le témoignage (...)
  • 2 Il reste très difficile de déterminer les différents démêlés entre le Centre et Rome, principaleme (...)

1En se donnant comme priorité le dialogue avec la modernité culturelle, le Centre catholique des intellectuels français se rend susceptible d’entrer en conflit avec un « système romain » caractérisé par un autoritarisme intellectuel, un thomisme étroit, un rejet de l’individualisme, du cogito de Descartes et de l’idéalisme kantien et de toute forme d’historicité1. Paradoxalement, le Centre catholique des intellectuels français n’a jamais connu de condamnations. Les dépêches de Wladimir d’Ormesson au ministère des Affaires étrangères qui sont un excellent baromètre des crises franco-romaines n’en évoque aucune concernant le « 61 ». La présence de l’autorité archiépiscopale de Paris à chaque Semaine, voire du Nonce, souligne plutôt l’appui hiérarchique dont peut se prévaloir le CCIF. Ayant pour vocation de rassembler l’ensemble des intellectuels catholiques dans un vaste dialogue avec la pensée profane, le CCIF apparaît plutôt comme un instrument unificateur au service de la catholicité. Et pourtant, en parcourant les titres des débats, en lisant les cahiers et les comptes rendus des Semaines on peut s’en étonner car nombre de propos tenus sont novateurs2.

La montée des suspicions et les premières crises

Les prolégomènes

2Sans connaître de sanctions, le CCIF n’est pas pour autant exempt de conflits avec le Magistère. Ces tensions se situent principalement dans la dernière décennie du pontificat de Pie XII, tout spécialement après la crise de l’encyclique Humani generis qui ne touche pas directement le CCIF mais qui le déstabilise.

Tableaux des activités théologiques (1952-1957).

Tableaux des activités théologiques (1952-1957).

3Les premières remarques magistérielles avaient été prononcées en 1948 lorsque René Rémond avait déclaré la vacuité d’une doctrine sociale :

  • 3 SIC 1948, p. 148.

« L’expression “doctrine sociale de l’Église” n’est pas heureuse ; prêtant à confusion, elle fait équivoque […]. Si donc, quand on parle de doctrine, on pense à un ensemble de réformes d’un ordre aussi concret, en ce sens, il n’existe pas de doctrine sociale de l’Église. Je sais bien qu’on a déclaré dans Paris, on l’a même affiché sur les murs, que les catholiques avaient un plan. Pour mon compte, j’estime qu’il n’y a pas de plan et qu’à le répéter, on prête aux pires confusions3. ».

  • 4 Dans un témoignage à l’auteur, Mgr Berrar a rappelé les pressions qu’il avait subies afin qu’il n’ (...)
  • 5 Le père Fessard sera exclu quelque temps plus tard du secrétariat de Recherches de science religie (...)

4L’exposé avait mécontenté certains Romains qui l’avaient fait savoir à l’assistant ecclésiastique, mais cette affaire en était restée là. La Semaine 1948 avait eu bien d’autres avantages : elle avait rétabli la présence rayonnante de l’intelligentsia catholique, une visibilité qui ne déplaisait pas à une hiérarchie soucieuse d’un certain retour des chrétiens dans la cité4. Il faut donc attendre la publication de l’encyclique Humani generis, durant l’été 1950, pour que se noue la première véritable affaire. Celle-ci ne touche pas directement le Centre puisque ce sont les jésuites qui sont sanctionnés (les pères Bouillard, de Lubac, Durand et Ganne et le père Fessard5). Mais l’équipe s’inquiète de l’interprétation maximaliste qui pourrait être faite d’une encyclique qui pose brutalement le problème de la liberté de recherche. Sa première réaction est donc de manifester à l’égard des pères jésuites son soutien :

  • 6 10 juillet 1950, p. 1, Papiers Bouillard, AFSJ.

« Les nouvelles de Fourvière m’ont consterné – précise l’abbé Berrar au père Bouillard – et je me sens touché comme s’il s’agissait de moi-même. Permettez-moi de vous dire ma très fraternelle sympathie pour vous et votre œuvre en cette tragique circonstance […] je ne doute pas que dans dix ans justice ne soit faite et que tout le travail accumulé ne puisse porter tous ses fruits. Vous me direz ce que vous devenez, dès que votre situation sera précisée. Il faut que d’une manière ou d’une autre nous continuions à bénéficier de votre travail6. ».

  • 7 Voir à ce propos Christian Ponson, « Joseph Vialatoux, le philosophe lyonnais des Semaines sociale (...)

5Pendant l’été, des Lyonnais se mobilisent autour du philosophe et industriel Victor Carlhian, un proche des Semaines sociales. Ce dernier demande au président Henri Bédarida de faire du CCIF le porte-parole d’une protestation contre les sanctions dont sont victimes les jésuites de Fourvière7. Du 5 juillet au 8 août, plusieurs lettres sont échangées entre Victor Carlhian, André Latreille, Joseph Vialatoux et Henri Bédarida. Le 4 août, le premier écrit :

  • 8 Victor Carlhian à Henri Bédarida, brouillon de lettre, 4 août 1950. Papiers Carlhian, AAL.

« La leçon qu’il faut tirer de ces éléments fâcheux est qu’il faut se hâter de réclamer pour les travailleurs intellectuels l’usage de la liberté scientifique nécessaire à l’exercice même de leur tâche quotidienne. Comment pourraient-ils travailler s’ils se voyaient menacer à chaque instant de désaveux, exposés à voir suspecter leurs intentions et leurs conclusions. Il n’est pas tolérable que dans l’Église une petite coterie de théologiens cherche à constituer un parti de l’orthodoxie en allant à l’encontre de la constitution divine de l’Église qui ne reconnaît qu’aux successeurs des apôtres la fonction de juges de la foi.
Aucune école ne doit avoir la prétention d’ériger son système en dogme et à s’ériger en partie de l’orthodoxie.
Ne croyez-vous pas qu’un appel à l’épiscopat, ligué de noms éminents, adressé à la Commission des cardinaux et archevêques pour cette liberté scientifique ne pourrait pas être prise (sic) par le Centre catholique des intellectuels français. Il est contre-indiqué que cet appel […] semble partir de Lyon car on soupçonnerait la Faculté de Fourvière.
André Latreille que je viens de voir vous écrira à ce sujet. Je crois qu’en lui fournissant la matière il ne refuserait pas à en assumer la rédaction. Cette matière vous pourriez la rassembler […]. Si on pouvait obtenir une collaboration internationale cela serait précieux. À Pax Romana pourriez-vous opérer quelques sondages. Il ne faudrait pas que la France seule apparaisse en flèche8. ».

6Le 7 août, Henri Bédarida accepte que le mouvement parte de Pax Romana et demande à Roger Millot de faire voter une motion au congrès d’Amsterdam :

  • 9 Henri Bédarida à Victor Carlhian, 7 août 1950, p. 1. Papiers Carlhian, AAL.

« Je crois, moi aussi (contrairement à l’avis de certains timorés qui préfèrent… inquieta non movere), qu’un appel du CCIF, signé de personnalités appartenant à l’Institut de France, aux Universités et à quelques sociétés savantes de province, pourrait être présenté utilement à la prochaine assemblée des cardinaux et archevêques […]. J’avais l’intention de (HB parle du prochain congrès de Pax Romana) de leur proposer de faire adopter, en marge du programme fixé du congrès, une motion sur le désarmement matériel et spirituel, condition d’une paix véritable : motion qui répondrait à une suggestion du RP d’Ouince dans son récent article des Études. Il reste possible de proposer aussi un texte sur les droits et usages effectifs de la liberté scientifique pour les catholiques9 ».

  • 10 André Latreille à Victor Carlhian, 8 août 1950. Papiers Carlhian, AAL.
  • 11 André Latreille à Joseph Vialatoux, 20 août 1950, notes prises par Christian Ponson dans les papie (...)

7Le 8 août, André Latreille informe Carlhian qu’il a lui aussi fait une demande au CCIF dans le même sens10. Le 20 août le projet est accepté : André Latreille fait mention du mémoire du CCIF à Joseph Vialatoux11 et pourtant à la rentrée d’octobre 1950, aucun texte n’est établi. Henri Bédarida donne sa démission comme président du CCIF ; quant à Roger Millot, il tente de profiter de la situation délicate de l’assistant ecclésiastique pour l’exclure du Centre. Pour l’abbé Berrar et ses amis la crise est désormais ailleurs : elle se situe au cœur du « 61 ».

  • 12 Le philosophe Henri Gouhier tente de son côté d’élaborer une protestation sans davantage de succès (...)

8Si le Centre se désengage finalement du processus, les prolégomènes de l’affaire restent intéressants : le « 61 » apparaît aux yeux de ceux qui souhaitent un renouvellement de la théologie, un espace suffisamment important pour pouvoir porter la protestation. Le mouvement n’aboutit pas pour deux raisons : d’une part, la défection d’une bonne partie de l’intelligentsia catholique12, d’autre part, la crise interne qui interrompt le processus. Le plaidoyer pour la liberté de recherche viendra finalement d’Henri Bédarida lui-même qui, courageusement, dans son avant-propos du compte rendu de la SIC 1950, rappellera les principes de recherche en soulignant la valeur de certains penseurs… ceux-là même qui ont maille à partir avec le Saint-Office !

  • 13 Jean Daniélou, Yves de Montcheuil et Gaston Fessard ont été dénoncés à Rome en cette année comme l (...)
  • 14 Le père Rondet est démis de ses fonctions de préfet des études en juillet 1951.
  • 15 « Avant propos », Henri Bedarida, p. 5-6. Publication du troisième trimestre 1950.

« La “Semaine de 1950” de même que les précédentes, devant être considérée comme un tout, nous demandons aux lecteurs, comme nous avons demandé aux auditeurs, de ne pas isoler de son contexte tel exposé ou telle phrase. Nous les prions de rattacher eux aussi chaque élément et chaque détail à l’ensemble, non seulement du travail de la semaine mais encore de nos travaux de l’année. Car pour situer exactement les textes du présent recueil, il faut tenir pour acquis les bases doctrinales que nous avons rappelées dans la modeste mais vaillante publication périodique intitulée Recherches et Débats du centre. Loin de nous dégager même indirectement de l’Église, loin de nous substituer aux organismes qualifiés pour dispenser cet enseignement, les universités et les Instituts catholiques par exemple, nous avions pour poser la doctrine authentique sur les questions qui nous ont occupés pendant la “Semaine” fait appel aux concours de théologiens qualifiés : monsieur le chanoine Cerfaux, le professeur Daniélou13, le RP Rondet14 du scolasticat de Fourvière. […] Le christianisme nous autorise à une libre recherche dans tous les domaines où les silences de Dieu laissent à l’esprit humain son autonomie et sa mission propre15. ».

  • 16 RD 11-12, octobre-novembre 1950, p. 3-4. Critique raisonnée donc de l’encyclique bien éloignée des (...)

9De son côté, l’abbé Berrar dans un article pour Recherches et Débats analyse l’encyclique et en propose une interprétation minimaliste : Humani generis ne ferme pas complètement la voie à la recherche, il faut cependant faire une nécessaire différenciation entre ce qui est de l’ordre de la recherche et ce qui est de l’acquis16.

10Si dans cet épisode le CCIF n’a fait que subir le contrecoup de la crise (puisqu’une partie de ses collaborateurs est réduite au silence), par la suite, ce sont ses propres activités qui sont critiquées par la Curie romaine. Les suspicions lancées par Roger Millot et le projet d’un manifeste d’intellectuels catholiques mené par le « 61 » ont éveillé les soupçons.

Liberté de recherche et autorité dans l’Église

  • 17 Dossier uniquement constitué des invitations étrangères, ARMA.
  • 18 Robert Barrat au père Congar, 24 mars 1952. L’équipe d’ailleurs n’omettra pas de signaler dans la (...)
  • 19 Compte rendu de la SIC 1952, p. 53.
  • 20 Idem, p. 43.

11En 1952, l’équipe organise une Semaine sur la liberté. Successivement sont abordées la liberté de recherche théologique, la liberté de l’homme moderne face à l’État et aux techniques, la liberté intérieure et la part de déterminisme, la liberté temporelle, la liberté de recherche scientifique et médicale, la liberté dans les arts sacrés et profanes17. Pour exposer ces sujets, l’équipe fait appel au père Congar dont l’ouvrage Vraie et fausse réforme dans l’Église a été interdit de toute réédition et de toute traduction depuis le 6 février 1952. L’équipe veut alors lui manifester son appui en le conviant à la première séance de la Semaine18. La soirée d’ouverture qui a pour ambition de poser le nécessaire équilibre entre « Église, foi et dogme » est donc traitée par les pères Congar et Daniélou et Jean Guitton. Ce dernier commence son intervention par l’épisode du modernisme et l’achève sur ces « maîtres confondus avec les novateurs et sacrifiés19 ». Il rappelle la nécessaire prudence de l’Église en termes d’enseignement et insiste sur la soumission au Magistère et sur la richesse de la diversité des écoles de théologie. Il souligne enfin que l’infaillibilité doctrinale n’appartient qu’à l’Église mais « dans des conditions parfaitement définies20 ». Deux ans après la querelle de la nouvelle théologie, l’exposé de Jean Guitton constitue d’une certaine manière l’épilogue de l’affaire du Manifeste dont le CCIF devait être le porte-parole. Victor Carlhian avait d’ailleurs demandé au philosophe de l’aider à rédiger un texte sur la liberté de recherche :

  • 21 Victor Carlhian à Jean Guitton, date indéterminée mais certainement du début octobre 1950, Papiers (...)

« Je crois que votre mémoire doit insister surtout sur la liberté intellectuelle dont doivent jouir les chercheurs. Il ne faut pas qu’un moindre lapsus, insuffisance, perspective neuve ne les traite en suspects et en mauvais catholiques. Ils ne revendiquent pas d’être à l’abri de la critique, mais ils désirent qu’on leur fasse la justice de ne pas douter de leur foi et de leurs intentions21. »

12L’exposé du philosophe augustinien est-il le fruit de l’appel lyonnais ? C’est une hypothèse plausible.

  • 22 Compte rendu de la Semaine, p. 211.

13Les séances suivantes s’interrogent sur la liberté dans la recherche scientifique, celle de l’artiste et celle des hommes dans un monde technique. La sixième séance est consacrée à « L’Église et les libertés dans l’histoire » en la présence d’Adrien Dansette, de Carlos Santamaria et du père Rouquette. Dans sa conférence intitulée « Le problème du pluralisme religieux », le jésuite évoque le problème de la tolérance et de l’intolérance civique en se demandant « dans quelle mesure et comment le catholicisme contemporain admet la liberté légale de culte et de propagande pour les non-catholiques22 ». Il souligne l’opposition de l’Église catholique à la laïcité au xixe siècle, valorise la séparation de l’Église et de l’État au début du siècle et rappelle enfin la nécessaire liberté de conscience.

  • 23 Le père Gabel répond à la polémique dans son journal, sans succès : les Romains trouvent le cathol (...)
  • 24 « Y a-t-il un malaise chez les catholiques français », 30-31 mars 1952, Le Monde, p. 1-2.

14Ces interventions provoquent l’irritation d’une partie de ceux qui se trouvent de l’autre côté des Alpes. La contrariété romaine est d’ailleurs accentuée par un article du journal Le Monde sur la Semaine23 et surtout par l’article anonyme paru dans le même journal sous le titre : « Y a-t-il un malaise dans le catholicisme français » qui dénonçait les « ragots issus de feuilles d’extrême droite » et stigmatisait les suspicions romaines24.

  • 25 Né en 1904, dominicain de la province de Toulouse.
  • 26 Papiers Gagnebet, « Pour Vatican II », III, 1, 69, 3 novembre 1952, Istituto per le scienze religi (...)
  • 27 Idem., p. 2.
  • 28 Le père Rouquette n’en était pas à son premier avertissement. En octobre 1950, il avait fait paraî (...)

15La Semaine fait donc l’objet d’une analyse du père Rosaire Gagnebet, professeur de théologie à l’Angelicum et qualificateur du Saint-Office depuis 195425. Dans ce document adressé certainement aux cardinaux membres du Saint-Office, le dominicain s’attache à démontrer les erreurs d’un groupe qui a : « […] un goût très prononcé pour la liberté26 ». Deux séances sont visées : « Liberté, foi et dogme » et « L’Église et les libertés dans l’histoire ». Deux interventions retiennent plus précisément l’attention du père Gagnebet : celle de Jean Guitton et celle du père Rouquette. Le premier ne subit pas trop de critiques même si le rapporteur note que : « Monsieur Guitton manifeste cependant une crainte exagérée d’être gêné dans sa libre recherche par les interventions du Magistère27 ». En revanche, l’intervention du jésuite fait l’objet d’un examen complet28, passé au laminoir de la pensée léontine, il est sévèrement critiqué pour ne pas avoir dénoncé le danger d’une société non chrétienne.

  • 29 Quelques mois plus tard, un débat était organisé autour de la pièce Sur la terre comme au ciel de (...)

16Ce rapport doctrinal soulignait un problème majeur : celui de la place accordée aux laïcs dans l’élaboration du contenu de la foi29. La crise des prêtres-ouvriers laissait présager de nouvelles tensions. Le CCIF n’allait-il pas devenir le porte-parole des catholiques troublés par la nouvelle sanction romaine ?

Une position intermédiaire dans la crise des prêtres-ouvriers ?

  • 30 « Les Saints vont-ils en enfer ? », dans RD 3, janvier 1953, p. 239-248. Sur cette crise, voir « P (...)
  • 31 « Le fossé que le groupe de meneurs communistes travaille, avec une diabolique habileté, à creuser (...)
  • 32 « Il est certain que le témoignage de pauvreté, le contact vécu de tous les instants avec les mass (...)

17L’équipe jusqu’alors avait assez peu évoqué l’expérience de la mission en France. En janvier 1953, une chronique du père Voillaume sur Les Saints vont en enfer avait souligné la richesse d’un livre qui rendait hommage à l’apostolat des prêtres-ouvriers tout en montrant les limites du roman30. Quelques mois plus tard, l’équipe exige que deux articles (le premier a été rédigé par Louis de Mijolla sur les chefs d’entreprise, le second par Alfred Frisch sur la doctrine sociale) établissent un jugement plus modéré sur la dépendance des prêtres-ouvriers à l’égard du parti communiste. Le paragraphe de Louis de Mijolla est publié sans retouche31. L’auteur a-t-il refusé ? L’équipe a-t-elle accepté de céder pour plaire à un membre influent du Comité des Amis du CCIF ? Il est impossible de répondre. La chronique d’Alfred Frisch est, quant à elle, remaniée directement par l’équipe32.

  • 33 Mgr Chevrot à Melle Frontier, cousine du père Féret. Lettre dont la copie a été envoyée par Melle (...)
  • 34 Parmi les autres signataires se trouvent Hubert Beuve-Méry, Claude Bourdet, Mgr Chevrot, Jean- Mar (...)

18Peu de temps après, Mgr Chevrot, curé de la paroisse Saint-François Xavier, demande au CCIF de participer à un manifeste rendant hommage aux ecclésiastiques sanctionnés33. Parmi les signataires se trouvent bien Étienne Borne, le secrétaire général du Centre et le père Dubarle, l’assistant ecclésiastique de l’UCSF34 mais dans cette affaire le CCIF a plutôt une attitude d’apaisement :

  • 35 Abbé Berrar à Mgr Veuillot, 11 mars 1954, p. 1, AEBE.

« Peut-être avez-vous vu la déclaration d’un certain nombre d’intellectuels catholiques – précise ainsi Émile Berrar à Mgr Veuillot. Nous avons réussi à la rendre anodine. Elle l’était par son texte qui émanait de François Péroux (sic), mais des démarches nombreuses ont réussi à éviter ou à faire retirer la signature de François Mauriac, Daniel-Rops, Stanislas Fumet, Marroux (sic), Massillon (sic), et d’autres, si bien qu’il ne prenait pas l’allure de manifeste. Inutile de vous dire que le CCIF a été plutôt un élément de paix dans toute cette affaire35. ».

  • 36 Une séance est consacrée à la littérature (« Dieu dans la littérature actuelle », avec Albert Bégu (...)
  • 37 Philosophe lyonnais, professeur de Première supérieure au lycée lyonnais du Parc. Grand ami d’Emma (...)
  • 38 Jean Lacroix élargit cette conférence qu’il publie sous forme de livre chez Casterman en 1958 sous (...)
  • 39 Trois ans plus tard, lors de l’audience de l’abbé Berrar au Saint-Office, le choix de Jean Lacroix (...)

19Le positionnement du CCIF est donc moins marqué puisqu’il juge inopportun de se lancer dans une entreprise trop critique à l’égard du Magistère romain et préfère se désolidariser des positions jugées progressistes de certains prêtres-ouvriers. C’est une fois encore sur le plan théorique que l’équipe du « 61 » tente de pallier ces réserves publiques. En 1953, elle en avait posé les premiers jalons en mettant ce monde qui ne croit pas et qui a perdu tout sens du mystère au cœur des débats36. Les orateurs de la Semaine avaient été invités à s’interroger sur la compatibilité entre le christianisme et le monde moderne. Le personnaliste Jean Lacroix37 avait été sollicité pour soulever le problème de l’ignorance de Dieu. Dans un exposé sur « le sens et la valeur de l’athéisme38 », il avait présenté les différentes formes d’athéisme intellectuel depuis le xviiie siècle, puis souligné la purification que constituait pour la foi l’expérience de l’athéisme moderne. Néanmoins, le choix du titre avait choqué : certains refusaient de donner une valeur positive à un mouvement dont l’essence était la négation du christianisme, d’autre y voyaient un procès intenté à l’Église, d’autres enfin se choquaient du choix de l’orateur, homme de gauche convaincu39.

  • 40 Né en 1908, converti au catholicisme, il entre chez les dominicains puis est envoyé étudier la con (...)

20Dans une autre séance, les problèmes spécifiques de la christianisation des classes populaires avait été abordé en présence de l’un des premiers prêtres-ouvriers, le père Loew40, du père de Féligonde et de l’abbé Coudreau. Le premier avait évoqué son expérience personnelle, le deuxième avait apporté sa réflexion de liturgiste et le troisième – spécialiste de catéchèse – s’était interrogé sur les différentes méthodes d’évangélisation. Si aucun n’avait fait mention de la crise de la Mission de Paris, tous insistaient sur la nécessaire conservation de méthodes spécifiques pour l’évangélisation du milieu ouvrier. Ces propos étaient confirmés lors de l’allocution finale du cardinal Feltin :

  • 41 SIC 1953, p. 10.

« Les milieux les plus déshérités, les milieux des humbles et des pauvres constituent sans doute, ceux qui, de nos jours, doivent être l’objet d’une sollicitude accrue. La présence de Dieu doit s’y attester par des laïcs sans doute, mais aussi par des prêtres dont le rayonnement, parfois dans un silence crucifiant, constitue un appel riche de fécondité41. ».

  • 42 Né en 1915, après des années d’études en Extrême-Orient, il est nommé à Lyon professeur d’Ethnolog (...)
  • 43 Né en 1918, professeur de Droit à la Faculté de Grenoble, membre du comité directeur d’Esprit, il (...)
  • 44 La conférence du père Hans Urs von Baltahsar n’est pas publiée : « […] afin d’éviter toute erreur (...)
  • 45 Voir infra le paragraphe sur la décolonisation.

21La Semaine suivante s’interroge d’ailleurs sur les modes d’apostolat à pratiquer au sein de la société française et dans les autres civilisations. Pour la première fois dans l’histoire des Semaines, le Centre propose une réflexion entièrement axée sur l’homme avec le souci constant de ne pas tomber dans une pensée trop spéculative. Les orateurs sont ainsi invités à réfléchir sur les origines de l’homme : « L’homme a commencé » (André Leroi-Gourhan42 et Jean Guitton) ; les rapports de classes et les conflits entre hommes de couleur : « L’homme est en conflit avec l’homme » (Henri Bartoli43, René Rémond, Georges Suffert et le père Thomas) ; la sexualité : « Ils furent créés homme et femme » (Marcel Eck, Roger Pons, Pierre-Henri Simon et le père Carré). Deux autres séances sont plus philosophiques avec : « L’homme est un problème pour l’homme » (Gabriel Marcel et Robert Garric) et la mort (Étienne Borne et le père Hans Urs von Balthasar44). Quant à la dernière séance intitulée « Le Christ aussi est homme », elle souligne de manière forte la nécessité de l’engagement temporel. François Mauriac condamne l’antisémitisme et la torture45. Le père Dabos ville oriente quant à lui son intervention sur l’humanité du Christ. Une réflexion théologique qui peut aussi s’entendre comme une confirmation de l’apostolat des prêtres-ouvriers :

  • 46 SIC 1954, p. 229-231.

« Jésus acceptera tout de son temps […]. Il accepte le débat, la polémique, les succès douteux, les échecs constants. Il ne dissipe guère les équivoques qui pèsent sur sa conduite en mainte occasion […]. C’est par cette insertion temporelle que nous sommes rachetés, c’est par elle que nous touchons au Christ, par elle que dans toute la force du mot, nous pouvons communier à Lui46. ».

22Dans cette nouvelle affaire franco-romaine, l’équipe a préféré une fois encore l’analyse théorique. Néanmoins, son moindre engagement public ne signifie aucunement l’absence de soutien aux personnalités sanctionnées comme le confirme la lettre qu’adresse l’abbé Berrar au père Congar :

  • 47 « Chronique de la purge », dossier 14, 13 février 1954, p. 1-2, Papiers Congar, AFD.

« Cher père, permettez-moi de vous dire notre respectueux attachement, notre fidèle sympathie […]. Nous sommes touchés avec vous par cette mesure de police d’un autre âge. Il n’y a qu’à prier pour que cette épreuve de la foi et de l’espérance ne soit pas trop forte pour vous. Et à agir : un certain nombre d’intellectuels s’y emploient mais sans trop savoir avec quelles armes lutter, tout semblant mêlé les motivations, les pressions, les critiques qui ont annoncé cette cascade de décisions47. ».

23Par mesure de précaution le CCIF choisit de ne pas être à la tête du manifeste. Cette nouvelle affaire est révélatrice de la méthode poursuivie par le Centre et de son positionnement au sein du catholicisme français : faire valoir du strict point de vue théorique le bien-fondé de la Mission de Paris, refuser toute polémique politique et enfin temporiser les indignations afin de conserver une part d’expression. Le CCIF en ces années connaît l’influence agissante de certains réseaux intégristes à Rome ; pour travailler utilement, il sait qu’il doit accepter de ne pas mener le combat en tête de ligne. Les mesures disciplinaires à l’égard de certains amis sont donc condamnées mais en privé. Les problématiques choisies pour la Semaine 1955 soulignent d’ailleurs la position du Centre : ne rien céder sur les principes tout en restant sur le terrain spéculatif.

« L’Église et les Civilisations » : une courageuse Semaine

  • 48 Étienne Borne à Georges Hourdin, lettre non datée, p. 2, carton 36 n∞19, AEBO.

« Beaucoup de bénédictions, des applaudissements
pour notre “courage”,
mais des engagements réticents48. ».

Des problématiques hardies

  • 49 L’expression fait référence à l’article de Frédéric Ozanam, dans Le Correspondant titré : « Passon (...)
  • 50 Projet de la SIC 1955, p. 2, AICP.

24Cette Semaine des intellectuels catholiques qui souhaite s’interroger sur la valeur des civilisations constitue un véritable plaidoyer pour une Église ouverte et moderne. Le programme élaboré par la petite équipe est d’ailleurs très ambitieux : « L’Église n’est pas cléricale, l’Église conteste et comprend le communisme, l’Église ne cesse de “passer aux barbares49”, l’Église parle toutes les langues humaines, l’Église ne redoute pas une civilisation de la science et la technique et l’Église croit à l’avenir du monde50 » sont les sujets qui doivent être successivement abordés ! L’équipe pense alors inviter Jean Villot, le directeur du Secrétariat de l’épiscopat mais celui-ci est très réservé sur la séance consacrée au communisme :

  • 51 Mgr Jean Villot à Étienne Borne, 28 juillet 1955, p. 1, AEBE.

« Vous savez trop combien j’apprécie l’action et le rayonnement du CCIF pour douter de mon désir de vous être agréable. Il me faut cependant vous avouer en toute franchise et cordialité : la présentation donnée au débat du mardi 15 novembre […] m’incite à ne participer à la Semaine qu’en qualité de simple auditeur. Certes, je comprends la nécessité d’une réflexion chrétienne sur le communisme envisagé dans l’ordre de la civilisation, je pense même que le CCIF a vocation pour étudier ce problème mais je ne crois pas qu’il soit opportun de l’aborder actuellement devant un aussi large auditoire, et l’énoncé du programme ne fait qu’accentuer cette manière de voir. Traversant Paris dimanche dernier, j’ai voulu prendre conseil de S. Em. le cardinal Feltin avant de vous répondre. Il ignorait le détail de la semaine, mais il pense, lui aussi, que le CCIF s’aventurera ce jour-là sur un terrain miné51. ».

25L’équipe persiste. Ce choix exigeant la conduit à expliciter et à justifier sa position :

  • 52 SIC 1955, p. 222.

« On espère donc – précise Étienne Borne – avec peut-être un excès de naïveté, désarmer la malveillance des soupçonneux, prompts à usurper des rôles inquisitoriaux et désarmer les roueries des trop habiles qui ont déjà cherché à annexer notre pensée à la politique52. ».

26Lors de la première séance, les orateurs s’interrogent sur la pertinence du concept de civilisation chrétienne. Tous en refusent le fondement et en soulignent les dangers. Le père Daniélou le fait à travers une analyse historique. François Mauriac, quant à lui, préfère apporter un témoignage en rappelant la situation de l’Afrique du Nord et en critiquant (sans le nommer) l’attitude du MRP, il précise ainsi :

  • 53 SIC 1955, p. 43. Un mois auparavant le 3 octobre 1955 dans L’Express, François Mauriac avait lancé (...)

« Il n’empêche que les partis d’inspiration chrétienne, ceux dont la clientèle est en majorité catholique, sont encore entraînés trop souvent, et nous entraînent encore avec eux, infiniment loin de la montagne des Béatitudes53. ».

  • 54 « J’ai voulu les soumettre à notre ami Latreille que j’ai pu voir hier. Je l’ai trouvé en parfait (...)

27La deuxième séance prolonge la réflexion du romancier puisqu’elle se focalise sur les liens qui peuvent s’établir entre l’Église et une société civile. Tous les orateurs condamnent une institution trop attachée à un pouvoir politique et s’interrogent sur le concept de la laïcité. Joseph Vialatoux ayant refusé de s’exprimer par crainte de voir ses théories (formulées en 1949 et en 1951 dans Esprit et Terre humaine) condamnées54, c’est Henri-Irénée Marrou qui est chargé de montrer les ambiguïtés de la civilisation médiévale. Puis René Rémond explique le déroulement du processus qui conduit à la laïcité et met en garde contre des formes cachées de cléricalisme :

  • 55 SIC 1955, p. 64.

« […] cette illusion de croire résoudre toutes les difficultés à coup de recettes morales qui met la bonne volonté au-dessus de la compétence, ce frère du confessionnalisme qui conduira les catholiques à voter pour un bon catholique, fût-il inapte, plutôt que pour un candidat qui a peut-être l’étoffe d’un homme d’État, mais qui a le malheur de ne point être catholique, c’est encore du cléricalisme55. ».

  • 56 Le jésuite a été sanctionné pour cette conférence ! SIC 1955, p. 68.
  • 57 SIC 1955, p. 75.
  • 58 Ce Manifeste était signé par Georges Alesi, Robert Barrat, Jean Baboulène, Jean Bayet, Michel Carr (...)
  • 59 En décembre 1955, L’Osservatore romano répondait à l’appel de François Mauriac du 3 octobre 1955 e (...)
  • 60 L’intervention de René Rémond est mal interprétée : « Bien que je ne fis que dresser un constat qu (...)

28Quant à l’abbé Berrar, il ne peut s’empêcher d’évoquer « […] l’excellente conférence du R.P. Rouquette à la Semaine des Intellectuels catholiques de 1952 (qui) garde tout son intérêt et son actualité56 », puis de souligner le bien fondé du texte rédigé par l’Assemblée des cardinaux et archevêques qui rappelait que les « candidats aux élections ne doivent se présenter ni sous l’étiquette catholique, ni faire état de leur qualité de membres d’une organisation catholique57 ». Cette séance met en valeur une des difficultés principales de l’intelligentsia catholique : gérer le hiatus entre conviction religieuse et conviction politique. Ces exposés participent donc à la clarification du problème. Un mois après la SIC, en pleine campagne électorale, le 23 décembre 1955, Le Monde publie un manifeste signé par plusieurs intellectuels catholiques. Ce texte rappelle que l’enjeu des élections de 1955 n’est pas, comme le laissent supposer certains, le problème de la laïcité, mais celui de la politique à suivre en outre-mer. Il insiste sur la nécessité de dépasser la querelle scolaire (et le refus des intellectuels catholiques d’être les complices d’une opération cléricale vis-à-vis de la République) pour se focaliser sur la question des nationalismes58. Si dans ce cadre polémique qui oppose principalement François Mauriac aux tenants d’un certain cléricalisme59, le CCIF reste en dehors la crise, la triple intervention de François Mauriac, de René Rémond et de l’abbé Berrar, un mois auparavant, à la Mutualité a préparé le terrain de réflexion60.

  • 61 Né en 1900, il est président de l’œuvre de la Propagation de la Foi pour la section de Paris penda (...)
  • 62 Compte rendu des Études, janvier 1956, p. 120-122.

29Les orateurs des séances suivantes soulignent le bien-fondé des questions que pose le communisme tout en insistant sur la nécessaire ouverture de l’Église aux autres civilisations. Mgr Chappoulie61 développe ainsi toute une réflexion sur l’inculturation et ses enjeux. Si la Semaine reçoit l’appui très favorable de La Croix et des Études62, elle indispose toute une partie de l’intelligentsia catholique qui juge les responsables du Centre inconséquents dans le choix de leurs invités comme dans la problématisation des sujets.

La décomposition de quelle intelligence63 ?

  • 63 Carrefour le 24 novembre 1955 présente la SIC 1955 sous ce titre : « La décomposition de l’intelli (...)
  • 64 Carrefour, 24 novembre 1955.
  • 65 Le premier dans Rivarol, 24 novembre 1955 ; le second dans Combat, 15 novembre 1955.
  • 66 Décembre 1955, article très critique sur la première séance. Voir Études, janvier 1956, article du (...)

30Dans un violent article, Louis Salleron parle de « décomposition de l’intelligence64 ». De leur côté, Jean Madiran et Pierre de Boisdeffre font entendre leurs critiques stigmatisant la partialité des invités65. C’est aussi l’avis du journal des étudiants du Centre Richelieu, Tala Sorbonne, très sévère dans son compte rendu de la SIC et dans les orientations générales du CCIF66. Que reproche-t-on ? Principalement d’avoir posé en termes d’institution ecclésiastique les différents problèmes.

  • 67 SIC 1955, p. 221.

« Nous avions paru aux yeux de certains – précisait Henri Bédarida dans son exposé de clôture – jouer les enfants terribles, et les formules à éffet (sic) inscrites au programme de telles de nos séances de la Semaine engageaient beaucoup l’Église. Mais les laïcs sont en droit de penser que, selon le mot du Souverain Pontife, ils ne sont pas seulement dans l’Église, mais sont aussi l’Église en communion avec la hiérarchie catholique. Comment dès lors, pourrait-on nous reprocher de parler de ce qui fait notre foi et notre vie67 ? ».

  • 68 « Un premier « tort », à mon sens, ce fut, au début du tournant politique et social, de trop solli (...)

31C’est justement ce problème du rapport entre l’Église enseignante et l’Église enseignée qui indispose. L’appui de la hiérarchie (des représentants de l’autorité ecclésiastique président la séance d’ouverture et la séance finale) conduit à une « mobilisation des crosses68 » qui attend du CCIF fidélité et prudence doctrinale.

  • 69 Selon le témoignage de René Remond, dans Le catholicisme français et la société politique, op. cit (...)

32Malgré les dénonciations, le compte rendu intégral de la Semaine est publié (il sera néanmoins retardé69) ; d’autres groupes proches du Centre en revanche sont sanctionnés. Lors d’une entrevue entre un responsable des assomptionnistes (le père Dufault, supérieur général ou le Père Colette, vicaire général) et le dominicain Paul Philippe, commissaire au Saint-Office, ce dernier fait état d’une lettre d’un Français de Rome envoyée à Mgr Villot :

  • 70 Notes prises par le responsable aa, archives des Augustins de l’Assomption, Rome, cote TR 61, prêt (...)

« Cette lettre regrette qu’en rapportant les conférences de la Semaine des intellectuels catholiques, La Croix n’ait pas assez insisté sur certaines réserves nécessaires. Ne pas oublier le lecteur moyen… On trouve qu’à la Semaine des intellectuels il se dit des choses qui ne devraient pas se dire, même devant un auditoire spécialisé : s’il faut en parler dans La Croix, il faut que ce soit avec les correctifs nécessaires70. ».

33Le journal des assomptionnistes reçoit un avertissement.

  • 71 24 novembre 1955, article de Michel François pour L’Express. Le 14 novembre 1955, France Observate (...)
  • 72 Jean-Dominique Durand, « La grande attaque de 1956 », dans Cahiers Jacques Maritain, 30, juin 1995 (...)
  • 73 Étienne Fouilloux, Une Église en quête de liberté, op. cit., p. 298-300.

34Si la Semaine a profondément mécontenté la Curie, elle a également fortement séduit la presse non confessionnelle de gauche. L’Express ne tarit pas d’éloges sur le petit groupe, soulignant l’effort de renouvellement et l’ouverture des animateurs71. En cette année 1955, le Centre acquiert indubitablement la reconnaissance d’une bonne partie de la sphère intellectuelle parisienne. Il s’appuiera sur ce nouveau contexte extérieur pour continuer son travail de réflexion alors que les relations franco-romaines se dégradent fortement. La deuxième moitié de la décennie est en effet marquée par différentes affaires : difficultés de Jacques Maritain72 et des Informations catholiques internationales, départ forcé du père Gabel de La Croix, rapport rédigé par Mgr Joseph Lefebvre à l’assemblée plénière de l’épiscopat qui manifeste un raidissement doctrinal73, crise du catéchisme autour des démissions de Joseph Colomb et de François Coudreau.

Le nécessaire rééquilibrage exigé par Rome et ses réalités

« Demain, ce sera peut-être notre tour74 »

  • 74 Abbé Berrar au père Congar, 13 février 1954, dossier 14, p. 2, Papiers Congar, ADP.
  • 75 Émile Berrar s’en plaint fortement au nonce Marella : « Je me rendrai à Rome sans doute à la fin d (...)
  • 76 Notes pour l’audience du chanoine Berrar, 9 février 1956, p. 2.
  • 77 Né en 1913, ancien élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, professeur de philosophie (...)

35Dénoncé régulièrement par des auditeurs et par certains journaux comme La France catholique ou La Pensée catholique75, le CCIF est invité en 1956 à s’expliquer devant le Saint-Office. Plusieurs faits lui sont reprochés : le goût pour les nouveautés théologiques, l’importance donnée aux laïcs dans la définition de certains éléments de la foi, l’insuffisance de respect accordée aux autorités hiérarchiques et l’absence d’équilibre entre les invités. Plusieurs thèmes font également l’objet de critiques : l’école, le communisme, la théologie morale, la philosophie. Les griefs portent enfin sur une certaine tendance à l’historicisation, à l’individualisme, à l’idéalisme et au subjectivisme. Après l’audition de l’abbé Berrar, le CCIF est « invité » à préparer les activités de la Semaine sous la responsabilité directe de l’épiscopat76. L’équipe envoie donc au Saint-Office le programme et la liste des orateurs prévus pour la SIC 1956. Le sujet choisi est « Monde moderne et sens du péché ». Pour répondre à ces questions de théologie morale, l’équipe a fait appel à des philosophes comme Pierre Jouguelet77 et Gabriel Marcel, des praticiens comme Charles Baudoin, Marcel Eck, Charles-Henry Nodet, des ecclésiastiques comme le père Lebret, le chanoine Mouroux, l’abbé Oraison et le père Voillaume ; et enfin, quelques hommes de lettres comme Albert Béguin, Luc Estang, Julien Green, François Mauriac et Pierre-Henri Simon. Mais la liste envoyée au Saint-Office ne convient pas :

  • 78 Documents du Saint-Office du 21 juin 1956 du cardinal Pizzardo, p. 1, AEBE, pour plus d’informatio (...)

« […] les Éminentissimes Pères du Saint-Office pensent qu’il ne sera pas difficile aux organisateurs de cette Semaine de choisir pour chaque conférence des orateurs parmi les nombreuses personnalités proposées sans qu’il soit besoin d’inviter quelques-uns d’entre eux dont certaines positions ont fait mauvaise impression sur l’opinion catholique ou qui ont encouru le blâme du Saint-Office pour des écrits touchant certains principes moraux […]. On aura ainsi l’occasion d’ouvrir ces Semaines à un nombre toujours plus grand d’intellectuels catholiques français dont la doctrine est au-dessus de tout soupçon78. ».

36Albert Béguin et Julien Green se désistent eux-mêmes, le premier pour des raisons de santé, le second parce qu’il décline toute intervention publique. L’équipe accepte de ne pas solliciter François Mauriac et l’abbé Oraison mais se refuse à éconduire Gabriel Marcel et Luc Estang. Pour remplacer les absents, l’équipe fait appel à Daniel-Rops, André Frossard et Gustave Thibon. Virage à droite ? C’est ce que craint Georges Hourdin :

  • 79 Georges Hourdin à Étienne Borne, 3 octobre 1956, p. 1, « Dossier SIC 1956 », ARMA.

« On m’avait dit que la Semaine de cette année serait à droite, et comme je recevais le sujet sans avoir le nom des conférences (sic) je me suis permis de me faire auprès de vous l’écho des rumeurs que j’avais entendues. Là encore j’agissais avec une simplicité fraternelle. Nous connaissons tous les difficultés que vous savez dans ce moment-ci. Nous les avons toutes résolues comme vous tant bien que mal en tenant compte du contexte et des désirs romains. Je ne vous jetterai pas la pierre. Ajouterai-je que je vous ai fait cette réflexion, non parce que vous ne m’aviez rien demandé, mais parce que les noms cités étaient des noms de traditionalistes et cela m’avait fait un peu souci […].
PS : ne quittez pas le CCIF dans ce moment-ci. Les difficultés que vous connaissez sont celles que j’ai traversées toutes ces années-ci. J’ai l’impression que pour les trois journaux dont je m’occupe l’atmosphère s’éclaircit. Je suis convaincu qu’il en sera de même pour le CCIF. J’avais peur qu’on vous ait imposé des choses plus dures79. ».

  • 80 Voir sur ce point la lettre du père Fessard du 2 août 1956 dans Gabriel Marcel et Gaston Fessard, (...)

37Certes le philosophe-paysan Gustave Thibon a été invité, mais il n’en est pas à sa première intervention : il est venu à la SIC 1949 et à celle de 1951, chaque fois sollicité comme le témoin philosophique de Simone Weil. Daniel-Rops est un pilier du CCIF, quant à André Frossard, l’ancien rédacteur de Temps présent est gaulliste. Le virage à droite en reste donc là. D’ailleurs si l’équipe cède sur quelques personnalités, elle refuse de laisser partir Gabriel Marcel et Luc Estang, c’est-à-dire les deux seules personnes dont les livres ont publiquement été sanctionnés. La pièce de théâtre de Gabriel Marcel Croissez et multipliez a reçu un avertissement du Saint-Office80. Le roman Les Stigmates de Luc Estang, après un avis défavorable en 1949, a été finalement retiré des ventes en 1950. En revanche si effectivement Albert Béguin, le directeur d’Esprit est en difficultés avec les autorités hiérarchiques, cela reste inconnu du public. Le CCIF fait donc le choix (simple hasard ?) d’inviter à sa tribune les deux intellectuels catholiques qui ont été publiquement sanctionnés. Pour contrer les exigences hiérarchiques, l’équipe oriente le traitement du thème en un sens plus technique. Tour à tour, les orateurs exposent l’enjeu du péché dans ses formes individuelles et collectives en montrant les faillites économiques, sociales et internationales. Elle accepte cependant de revenir sur Morale sans péché d’Angelo Hesnard. Un an auparavant, les collaborateurs de Recherches et Débats avaient souligné le bien-fondé du livre, l’heure est désormais à la condamnation : le père Daniélou se charge donc de rappeler le lien nécessaire entre morale et péché.

  • 81 La présence de Luigi Gedda est d’ailleurs signalée généreusement par l’Osservatore romano qui cent (...)
  • 82 Voir sur les positions de Jacques Chevalier, Philippe Chenaux, Entre Maurras et Maritain, une géné (...)

38Un an plus tard, la Semaine 1957 est organisée sous le signe de la biologie. Des spécialistes de l’apparition de la vie, des géologues, des paléontologues et des généticiens sont invités à montrer la valeur de la science et ses limites. Parmi eux se trouvent deux représentants de la droite la plus conservatrice : Jacques Chevalier, ancien secrétaire d’État à l’éducation et à la famille sous Vichy et Luigi Gedda, certes éminent spécialiste de génétique, mais également président très conservateur de l’Action catholique italienne81. Si en invitant Jacques Chevalier, c’est davantage le philosophe bergsonien, maître d’Emmanuel Mounier et de Jean Guitton, qui est reçu, le public et les journaux retiendront seulement la facette politique du personnage82. La liste semble plus conforme aux directives romaines et Mgr Jean Villot accepte de présider la dernière séance de la Semaine alors qu’il avait refusé de le faire lors des deux précédentes.

L’indépendance d’esprit

  • 83 Abbé Berrar à Henri-Irénée Marrou, 5 février 1954, 2 p., ARMA.

391950-1957 : sept années difficiles pour le catholicisme français, sept années pendant lesquelles le CCIF a fait l’objet de remarques, de critiques puis d’interdictions. S’il put bénéficier dans la plupart des cas des meilleures têtes chercheuses catholiques, il fut conduit au fil des ans à montrer sa fidélité au pape et son orthodoxie doctrinale. Les quelques appuis dont bénéficie l’abbé Berrar sont alors importants : Pierre Veuillot à la section française de la secrétairerie d’État reste un fidèle ami ; Mgr Lambruschini, notaire au Saint-Office, donne également conseils et incite parfois à la prudence, quant à Jean Villot à la direction du Secrétariat de l’épiscopat, il rend compte à l’abbé Berrar des dangers et prévient parfois certaines difficultés en expliquant le travail qui s’accomplit au « 61 ». Devant les menaces, l’équipe plie : elle accepte de rééquilibrer les tendances et choisit des sujets plus techniques. Néanmoins, pendant cette décennie « de plomb » elle sait conserver une grande liberté, acceptant, malgré les risques, d’évoquer certains sujets difficiles. Elle ne se plie pas à toutes les directives hiérarchiques : en 1954, malgré les demandes pressantes de l’archevêque de Paris et de Mgr Villot, elle refuse ainsi d’organiser une soirée pour fêter les quinze ans de pontificat de Pie XII83. En 1959, il est vrai, l’équipe acceptera de rédiger un cahier sur la personnalité pacellienne.

  • 84 Tout particulièrement l’article du Père Roguet sur les progrés liturgiques sous le pontificat pace (...)
  • 85 Un seul article est consacré à l’homme et rédigé par Mgr Garrone.
  • 86 RD 27, juin 1959, p. 70.

40C’est l’abbé Biard qui en a décidé la mise en place pour contrer les premiers textes « pieolâtres » lus dans la presse84. La vie de l’Église sous le pontificat de Pie XII insiste davantage sur les évolutions (liturgiques, exégétiques, missionnaires…) que sur la stricte personnalité de Pie XII85. L’éventail des collaborateurs est large : personnes qui ont connu des difficultés avec la Curie comme le père Rouquette, le chanoine Leclercq de Louvain ou encore le père Lyonnet (seul le troisième rédige un article), « romanisés » comme Daniel-Rops ou le père Nicolas de Toulouse. Si le cahier est globalement positif à l’égard de l’œuvre pacellienne (la plupart soulignent son ouverture à l’égard de la pastorale liturgique ou des études scripturaires), Francis Davis n’oublie pas de signaler que les dernières années du pontificat ont été marquées par une « […] période de prudence et de réserve86 ».

  • 87 19 octobre 1956, « Existe-t-il une liberté de recherche dans l’Église ? ».
  • 88 « Insinuer devant l’opinion, gratuitement et sans mandat, qu’une telle décision est une erreur des (...)

41Quand les interdictions romaines paraissent trop abusives, le CCIF n’hésite pas à prendre publiquement la défense des sanctionnés. En 1956, l’abbé Berrar, dans un entretien donné à Témoignage chrétien, parle de « malentendu » lorsqu’il évoque la nouvelle mise à l’écart d’Yves Congar87 ! Cette remarque lui vaut à la fois les foudres du père Ducattillon, le prieur provincial des dominicains88… mais aussi de nombreux témoignages d’amitié, tout particulièrement ceux des pères Congar, Chifflot, Chenu, Liégé, Lelong et de Mgr Veuillot ! Lorsque Jacques Maritain est attaqué à Rome par le père Messineo dans un article de la Civiltà cattolica. Le « 61 » n’hésite pas une fois encore à prendre la parole.

  • 89 Voir à ce sujet Jean-Dominique Durand, « La grande attaque de 1956 », art. cit. et Philippe Chenau (...)
  • 90 Proposition du comité directeur du 17 janvier 1947, p. 1, ARMA.
  • 91 « Sa conférence […] a fait sensation… Il est très important qu’il soit en Europe actuellement » pr (...)

42Dans son article, le jésuite avait violemment critiqué Humanisme intégral, il avait également condamné les courants démocrates-chrétiens89. Neuf mois après la comparution de l’assistant ecclésiastique devant le Saint-Office, le Centre organise une soirée hommage à Jacques Maritain, et en juillet 1957, alors que certains courants du catholicisme français sont sanctionnés, l’équipe publie un cahier sur sa pensée. Fait d’autant plus méritoire que les responsables du CCIF ne sont pas de stricts maritainiens. Certes, ils ont dès les origines entretenu des relations amicales avec le philosophe : ils lui avaient ainsi demandé de présider le comité d’honneur des amis du CCIF90 et l’avaient invité à la Semaine 194991. Ils lui reconnaissaient également le grand mérite d’avoir éclairci les rapports entre monde et foi, mais ils n’approuvaient pas pour autant toutes ses positions. Si le vice-président du CCIF, Olivier Lacombe, est un fidèle du Foyer de Meudon, le reste de l’équipe se situe soit dans un courant augustinien (c’est le cas de Borne), soit dans un thomisme historicisé (c’est le cas de Berrar). Ce choix se situe bien au-delà d’un simple positionnement théologique :

  • 92 Père Chenu à Étienne Borne, p. 2, carton 1 n∞31, AEBO.

« J’éprouverais une peine extrême plus encore d’esprit que de cœur si personne en France ne réagissait fermement précise le père Chenu à Étienne Borne. Maritain a tenu pendant vingt-cinq ans dans la pensée catholique une première (sic) place. Laisser passer cette vile attaque serait consentir à couvrir d’une suspicion grave ces vingt-cinq ans de pensée et d’action92. ».

  • 93 Ancien élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, il commence une carrière d’expert poli (...)
  • 94 Les conférences sont publiées dans RD 19, Jacques Maritain, juillet 1957, 218 p.
  • 95 L’ouvrage parut en 1920.

43Le 10 décembre 1956, un hommage unanime est rendu au philosophe en la présence de Jacques de Bourbon-Busset93, d’André Frossard, de Stanislas Fumet, de Maurice de Gandillac et d’Olivier Lacombe94. Les témoignages insistent sur la qualité d’écoute, le rayonnement, la rigueur de la pensée, l’esprit multiple, l’intérêt international comme philosophique et enfin la richesse de la réflexion maritainienne sur les problèmes temporels. Le cahier Jacques Maritain rassemble les proches du philosophe : Michel Ambacher, Georges Brazzola, Luc Estang, le frère Louis Gardet, l’abbé Charles Journet, le père Kaelin, Olivier Lacombe. Seul le jésuite Joseph de Finance, qui enseigne à la Grégorienne, l’est un peu moins mais son article n’est pas pour autant défavorable. Olivier Lacombe décrit la métaphysique de l’être en s’appuyant sur plusieurs textes du philosophe. Georges Brazzola reprend la réflexion sur la poésie. Luc Estang relève l’actualité de Philosophie et scolastique95. Enfin, Michel Ambacher analyse l’importance de cette pensée pour le renouveau de la philosophie de la nature. L’appui chaleureux formulé en ces pages touche Jacques Maritain qui fait parvenir à Etienne Borne une lettre de remerciement :

  • 96 25 septembre 1957, p. 1-2, carton 8, AICP.

« Je vous remercie très affectueusement, car je sais que s’il a vu le jour c’est grâce à votre approbation et à celle du chanoine Berrar. Mais avant tout c’est des pages que vous avez écrites que je veux vous dire ma profonde gratitude. Je les ai lues avec une émotion toute nourrie de souvenirs précieux pour moi qu’elles évoquent. Si vos chemins sont plus augustiniens que thomistes, je sais bien que toute vôtre âme est dévouée à la recherche du vrai et de « l’obéissance au réel » […]. À vous de tout cœur96. ».

  • 97 « Projet de programme pour rencontre », p. 1, dossier « Groupe philo. », carton 10, AICP.
  • 98 Les sujets de leurs exposés n’ont pu être déterminés.
  • 99 Lettre circulaire signée par l’abbé Berrar, Étienne Borne et Joseph Folliet, juillet 1957, p. 1, « (...)

44Malgré les pressions, le CCIF a montré la valeur de certains courants catholiques alors que ceux-ci étaient la cible d’une partie de la Curie. Conscient des déchirures qui se multiplient au sein du catholicisme français, il tente par deux fois d’organiser une rencontre. Une première tentative est lancée pour septembre 1957 afin de proposer à Pontigny « dans un climat de recueillement et de liberté un dialogue entre des catholiques dont les options politiques ou philosophiques peuvent être très diverses97 ». L’abbaye cistercienne de Pontigny avait regroupé pendant l’entre-deux-guerres les décades de Paul Desjardins. Elle était devenue le bien de la Mission de Paris qui y avait établi son siège. Le projet, sans doute lancé par Étienne Borne et Odette Laffoucrière, avait prévu de demander à Olivier Lacombe une conférence philosophique sur l’accord et le désaccord dans l’expérience humaine, à Jean Guitton un exposé sur les tensions qui brisent l’unité et celles qui la servent ; quant au père Chenu et à Joseph Folliet, ils devaient contribuer à clarifier eux aussi la question98. En juillet, le projet est réorganisé : il s’agit désormais de réfléchir à « Foi chrétienne et décision temporelle ». Sont pressentis pour participer à la réunion le père Congar, Olivier de Costa de Beauregard, le père Daniélou, le chanoine Dondeyne, Joseph Folliet, Henri-Irénée Marrou, Gabriel Marcel ainsi que le père Wenger99. L’enjeu a donc changé : l’équipe était partie d’une réflexion sur le dialogue et ses nécessités, elle s’oriente désormais sur le problème de l’engagement dans le monde et dans l’Église. L’échec de ce nouveau projet est symptomatique de la difficulté en ces années de valoriser le dialogue entre tendances différentes.

45En ces années noires du catholicisme français, le CCIF a su conserver la direction qu’il avait choisie – celle du dialogue entre foi et modernité culturelle – après avoir fait le deuil de la synthèse catholique. Il devient alors le réceptacle et la caisse de résonance de ce qui est fait dans les autres lieux de pensée catholique : scolasticat de Fourvière, Saulchoir, Esprit, Témoignage chrétien ou encore petits foyers intellectuels comme la rue de Tournon ou le Collège philosophique. Ce choix idéologique est assumé par l’abbé Berrar puis par le tandem Berrar-Borne, l’un et l’autre ayant une approche commune de l’intelligence au service de la foi.

  • 100 C’est la démonstration du sociologue Jean Tavarés.

46La Semaine des intellectuels catholiques a été largement présentée comme espace de célébration des courants orthodoxes de la pensée catholique100, elle est effectivement un espace de consécration et de visibilité de l’intelligentsia catholique. Chaque année, la manifestation est attendue, elle fait l’objet de nombreux comptes rendus dans les plus grands journaux nationaux comme dans les journaux locaux. Mais la Semaine est tout autant l’expression des courants théologiques en recherche : par les problématiques choisies, par l’éventail des personnes invitées, et enfin par les réactions qu’elle suscite de Rome ou de la partie conservatrice du catholicisme, cet espace de rencontres est novateur.

47Par son engagement en faveur du décolonialisme ou des époux Rosenberg, l’équipe a été définie comme un mouvement de gauche ; ses prises de position en faveur de ceux qui constituent, aux yeux du Magistère romain, des théologiens en voie de modernisme rampant ont confirmé cette image progressiste. Néanmoins, la présence au secrétariat général d’Étienne Borne dont les positions politiques démocrates-chrétiennes sont connues, la collaboration régulière d’un Jean Guitton ou d’un Stanislas Fumet brouillent l’image. Centre à gauche disent certains, centre insuffisamment à gauche disent d’autres. Claude Bourdet, fondateur de L’Observateur et de ce qui constitue un des courants de la Nouvelle Gauche, regrette ainsi l’étroitesse de l’éventail d’ouverture. La critique est exacte mais partielle :

  • 101 Robert Barrat à Claude Bourdet, 7 novembre 1952, p. 2, ARMA.

« Il nous faut tenir compte de la pesanteur du milieu catholique – précise ainsi Robert Barrat – qui nous reproche d’être des progressistes chrétiens voire même des pseudo-communistes. Je vous assure qu’étant donné notre situation, nous faisons tout ce que nous pouvons pour ouvrir l’esprit de notre public à la pensée moderne et à des attitudes intellectuelles qui n’ont rien à voir avec l’intégrisme de la réaction ou tout simplement de la pensée catholique traditionnelle de droite101. ».

  • 102 René Remond, « Droite et gauche dans le catholicisme français contemporain », dans Revue française (...)
  • 103 Termes qui définissent le catholicisme de droite, idem, p. 807.

48Caractérisant le catholicisme de droite et de gauche, René Rémond soulignait pour ce dernier, le goût pour la progression de la vérité et la prise en compte du monde, du sujet et de son expérience vécue102. Le CCIF est une caisse de résonance de ce catholicisme là : il refuse tout manichéisme et tout concordisme103. Plutôt situé à gauche du catholicisme, il accepte de faire parler les tenants du catholicisme de droite : par vocation et parfois par… opportunité, il y va de sa propre survie car comme l’aimait à le rappeler Henri Bédarida :

  • 104 SIC 1954, p. 13.

« Notre désir est de lutter contre la disposition, contre l’émiettement en chapelles ou en clans. […] Je crois pouvoir affirmer hautement chez nous qu’il n’y a aucun exclusivisme, si ce n’est à l’égard de ce qui peut avoir un relent de sectarisme ou de fanatisme. Qui se refuse au dialogue et à l’échange, celui-là s’exclut lui-même de notre travail. Qui proclame que tout est dit, celui-là s’oppose de ce fait à une entreprise modeste de recherche et de synthèse. Qui par habitude et gratuitement soupçonne dans une activité religieuse quelque secrète intention temporelle ou quelque opération médiocrement politique celui-là montre qu’il n’a pas le sens de la liberté chrétienne […]. La mission de notre centre […] est de porter témoignage pour la liberté de l’intelligence chrétienne, de montrer par l’exemple et par le fait ce qu’il y a de libérateur dans la foi104. ».

Notes

1 Voir Étienne Fouilloux, Histoire du christianisme, op. cit., p. 156 et sequentes et le témoignage de Stanislas Breton dans son autobiographie De Rome à Paris, itinéraire philosophique, Desclée de Brouwer, coll. « Éclats », 1992, p. 65 et 78-80.

2 Il reste très difficile de déterminer les différents démêlés entre le Centre et Rome, principalement parce que les dossiers du Saint-Office comme la plupart de ceux conservés à l’Archevêché de Paris restent fermés. Si certains éléments ont pu être relevés, c’est grâce aux archives de témoins ou de congrégations et par recoupements successifs. L’inaccessibilité d’un des versants conduit inévitablement à surévaluer le point de vue du CCIF. L’ouverture de nouveaux fonds permettra de reprendre l’analyse.

3 SIC 1948, p. 148.

4 Dans un témoignage à l’auteur, Mgr Berrar a rappelé les pressions qu’il avait subies afin qu’il n’invitât plus par la suite René Rémond.

5 Le père Fessard sera exclu quelque temps plus tard du secrétariat de Recherches de science religieuse. Voir Étienne Fouilloux, Une Église en quête de liberté, op. cit., p. 290 et sequentes.

6 10 juillet 1950, p. 1, Papiers Bouillard, AFSJ.

7 Voir à ce propos Christian Ponson, « Joseph Vialatoux, le philosophe lyonnais des Semaines sociales », dans Cent ans de catholicisme social, op. cit., p. 453-484.

8 Victor Carlhian à Henri Bédarida, brouillon de lettre, 4 août 1950. Papiers Carlhian, AAL.

9 Henri Bédarida à Victor Carlhian, 7 août 1950, p. 1. Papiers Carlhian, AAL.

10 André Latreille à Victor Carlhian, 8 août 1950. Papiers Carlhian, AAL.

11 André Latreille à Joseph Vialatoux, 20 août 1950, notes prises par Christian Ponson dans les papiers Vialatoux, communiquées à Étienne Fouilloux en juin 1995.

12 Le philosophe Henri Gouhier tente de son côté d’élaborer une protestation sans davantage de succès. Lettre d’Henri Gouhier au père Bouillard, 16 août 1950, C3 « Affaire de Fourvière », 42 à 47 bis, Papiers Bouillard, AFSJ. Maurice de Gandillac et Étienne Gilson se refusent en effet à le suivre. Henri Gouhier en sera profondément affecté comme il l’explique à Gabriel Marcel, 17 août 1950, 3 p., Papiers Marcel, BNF.

13 Jean Daniélou, Yves de Montcheuil et Gaston Fessard ont été dénoncés à Rome en cette année comme le rappelle le livre d’Henri de Lubac Mémoires sur l’occasion de mes écrits, op. cit, annexes IV, p. 254. Certaines de leurs publications sont retirées des bibliothèques en octobre 1950. Voir Étienne Fouilloux Une Église en quête de liberté, op. cit., p. 294.

14 Le père Rondet est démis de ses fonctions de préfet des études en juillet 1951.

15 « Avant propos », Henri Bedarida, p. 5-6. Publication du troisième trimestre 1950.

16 RD 11-12, octobre-novembre 1950, p. 3-4. Critique raisonnée donc de l’encyclique bien éloignée des remarques élogieuses de Tala Sorbonne, la revue du Centre Richelieu.

17 Dossier uniquement constitué des invitations étrangères, ARMA.

18 Robert Barrat au père Congar, 24 mars 1952. L’équipe d’ailleurs n’omettra pas de signaler dans la brève notice biographique consacrée au père Congar deux ouvrages : Vraie et fausse réforme dans l’Église et Chrétiens désunis ! SIC 1952, p. 259.

19 Compte rendu de la SIC 1952, p. 53.

20 Idem, p. 43.

21 Victor Carlhian à Jean Guitton, date indéterminée mais certainement du début octobre 1950, Papiers Carlhian, AAL.

22 Compte rendu de la Semaine, p. 211.

23 Le père Gabel répond à la polémique dans son journal, sans succès : les Romains trouvent le catholicisme français trop novateur. D’après une lettre de Mgr Veuillot à l’abbé Berrar, 28 juin 1952, p. 1, AEBE.

24 « Y a-t-il un malaise chez les catholiques français », 30-31 mars 1952, Le Monde, p. 1-2.

25 Né en 1904, dominicain de la province de Toulouse.

26 Papiers Gagnebet, « Pour Vatican II », III, 1, 69, 3 novembre 1952, Istituto per le scienze religiose Bologne, p. 1, prêt Étienne Fouilloux.

27 Idem., p. 2.

28 Le père Rouquette n’en était pas à son premier avertissement. En octobre 1950, il avait fait paraître un article dans les Études sur l’encyclique Humani generis fort peu apprécié à Rome, Papiers Rouquette, H Ro 51. 3, AFSJ.

29 Quelques mois plus tard, un débat était organisé autour de la pièce Sur la terre comme au ciel de l’Autrichien, Hochwälder. Cette œuvre, qui était à l’affiche depuis plusieurs mois, évoquait l’histoire du démantèlement des réductions au Paraguay au xviiie siècle et posait, au-delà de l’aspect historique, la question de l’obéissance à l’Église. Les propos du Père Féret sur l’autorité de l’Église sont jugés trop laxistes. Selon le père François Leprieur, c’est Louis Barjon qui aurait accusé le père Féret : Quand Rome condamne, dominicains et prêtres-ouvriers, Terre humaine, Plon-Cerf, 1989, p. 555.

30 « Les Saints vont-ils en enfer ? », dans RD 3, janvier 1953, p. 239-248. Sur cette crise, voir « Prêtres-ouvriers », dans Catholicisme.

31 « Le fossé que le groupe de meneurs communistes travaille, avec une diabolique habileté, à creuser de plus en plus entre certains milieux ouvriers et l’ensemble du pays se traduit de manière émouvante par les réactions des prêtres dévoués qui ont cherché à pénétrer dans les milieux ouvriers et s’y incorporer aussi totalement que possible. Nous voyons quelques-uns de ces prêtres accepter eux-mêmes le dogme de la lutte des classes et de la violence salutaire et adhérer à la CGT. Leur désir d’être coupé du milieu bourgeois, même et surtout lorsqu’ils lui appartenaient, est aussi fort que celui d’un Français pendant la guerre avec l’Allemagne ou sous l’occupation, de ne pas avoir de contacts avec l’ennemi. La constatation de cette coupure est angoissante pour tout chrétien », Louis de Mijolla, « Sidérurgie et plan Schuman », dans RD 5, octobre 1953, p. 70. Le passage souligné est celui qui posait problème.

32 « Il est certain que le témoignage de pauvreté, le contact vécu de tous les instants avec les masses ouvrières, le pont qu’ils établirent entre certains milieux et l’Église par une compréhension plus immédiate de leur mentalité et de leurs exigences suffiraient à légitimer leur forme de vie. On ne peut, d’autre part, que s’incliner devant la générosité qu’elle suppose. Pourtant on a peine à les suivre, quand certains d’entre eux ne se contentent pas d’adhérer à des syndicats communistes et de participer par solidarité à des manifestations politiques, mais vont presque à épouser la presque totalité de la thèse marxiste, y compris la lutte des classes toujours plus ou moins chargé de haine », Alfred Frisch, « Marxisme, socialisme et conscience chrétienne », dans RD 5, p. 181-182.

33 Mgr Chevrot à Melle Frontier, cousine du père Féret. Lettre dont la copie a été envoyée par Melle Frontier au père Féret, 17 février 1954.

34 Parmi les autres signataires se trouvent Hubert Beuve-Méry, Claude Bourdet, Mgr Chevrot, Jean- Marie Domenach, le père Maydieu, le père de Solages. Voir Le Monde, 25 février 1954, p. 4. François Leprieur, Quand Rome condamne, op. cit., p. 292.

35 Abbé Berrar à Mgr Veuillot, 11 mars 1954, p. 1, AEBE.

36 Une séance est consacrée à la littérature (« Dieu dans la littérature actuelle », avec Albert Béguin, Jean-Jacques Bernard, Jacques Madaule et Roger Pons), une deuxième à l’aspect scientifique de la question (« Mentalité technique et indifférence religieuse », avec Albert Conquet, le chanoine Dondeyne, Pierre Joulia, Lucien Morren, Michel Polonovski et René Royer) ; une séance est philosophique (« Sens et valeur de l’athéisme contemporain », avec Jean Guitton, le père Henry, Olivier Lacombe et Jean Lacroix) ; une séance est pastorale (« Les masses ouvrières ont-elles perdu le sens de Dieu ? », avec le chanoine Bonnet, les pères Loew et de Féligonde et l’abbé Coudreau).

37 Philosophe lyonnais, professeur de Première supérieure au lycée lyonnais du Parc. Grand ami d’Emmanuel Mounier, il participe à l’aventure d’Esprit et collabore également aux Semaines sociales. Il tient la critique philosophique au journal Le Monde.

38 Jean Lacroix élargit cette conférence qu’il publie sous forme de livre chez Casterman en 1958 sous le titre de Le sens de l’athéisme moderne. Sur Jean Lacroix voir Bernard Comte, « Semaines sociales et personnalisme : la médiation de Jean Lacroix 1935-1947 », dans Cent ans de catholicisme social à Lyon et en Rhône Alpes, op. cit., p. 484-516.

39 Trois ans plus tard, lors de l’audience de l’abbé Berrar au Saint-Office, le choix de Jean Lacroix sera reproché à l’assistant ecclésiastique : « il ne se serait pas hors de propos de susciter une mise au point sur ce sujet de grande importance de la part de théologiens compétents à propos de points obscurs, paradoxaux et même erronés que contient cette conférence ». Notes pour l’audience du Chanoine Berrar, aumônier du CCIF, du 9 février 1956, p. 1, AEBE. Au début des années 1960, le livre de Jean Lacroix sera considéré comme « […] a good critical and un-biaised analysis of atheism » !, Bollettino di informazione, secretariatus pro non credentibus, anno III, n∞2, p. 35.

40 Né en 1908, converti au catholicisme, il entre chez les dominicains puis est envoyé étudier la condition ouvrière à Marseille. Il devient alors docker. Lors de la séance, le père Loew précisera : « Si j’avais su, il y a sept ou huit mois, que j’aurais à parler à des masses ouvrières et du sens de Dieu à l’heure ou tant de questions graves sont débattues, je n’aurais pas accepté de prendre la parole. Il a des choses dont en ce moment, nous ne devons pas parler […] donc volontairement, je n’aborderai pas le sujet, car seul le Cardinal peut en parler et c’est à lui que revient ce rôle », SIC 1953, p. 199.

41 SIC 1953, p. 10.

42 Né en 1915, après des années d’études en Extrême-Orient, il est nommé à Lyon professeur d’Ethnologie (seconde chaire créée après celle de Marcel Griaule à la Sorbonne).

43 Né en 1918, professeur de Droit à la Faculté de Grenoble, membre du comité directeur d’Esprit, il est spécialiste du marxisme et des théories sur le travail humain.

44 La conférence du père Hans Urs von Baltahsar n’est pas publiée : « […] afin d’éviter toute erreur d’interprétation sur l’important sujet théologique des fins dernières, i.e. R. P. (sic) a longuement explicité dans un nouveau texte la conférence qu’il avait prononcée. La dimension du présent volume ne nous a malheureusement pas permis d’inclure cet important travail. Il paraîtra prochainement aux éditions Desclée de Brouwers » (sic). p. 98. Ce point n’a pas été élucidé.

45 Voir infra le paragraphe sur la décolonisation.

46 SIC 1954, p. 229-231.

47 « Chronique de la purge », dossier 14, 13 février 1954, p. 1-2, Papiers Congar, AFD.

48 Étienne Borne à Georges Hourdin, lettre non datée, p. 2, carton 36 n∞19, AEBO.

49 L’expression fait référence à l’article de Frédéric Ozanam, dans Le Correspondant titré : « Passons aux barbares et suivons la révolution », 10 février 1848.

50 Projet de la SIC 1955, p. 2, AICP.

51 Mgr Jean Villot à Étienne Borne, 28 juillet 1955, p. 1, AEBE.

52 SIC 1955, p. 222.

53 SIC 1955, p. 43. Un mois auparavant le 3 octobre 1955 dans L’Express, François Mauriac avait lancé l’idée d’un front républicain rassemblé autour de Mendès France.

54 « J’ai voulu les soumettre à notre ami Latreille que j’ai pu voir hier. Je l’ai trouvé en parfait accord de pensée avec moi. Son récent séjour à Rome ne laisse aucun doute dans sa pensée : si nous réimprimons aujourd’hui ce que nous avons imprimé en 1949, ça ne passerait pas ; ça a passé de justesse. Ne fournissons pas l’occasion de mobiliser à nouveau des armes, qui cette fois auraient la chance de nous tuer ! », Joseph Vialatoux à Étienne Borne, p. 3, prêt Étienne Fouilloux.

55 SIC 1955, p. 64.

56 Le jésuite a été sanctionné pour cette conférence ! SIC 1955, p. 68.

57 SIC 1955, p. 75.

58 Ce Manifeste était signé par Georges Alesi, Robert Barrat, Jean Baboulène, Jean Bayet, Michel Carrouges, Paul-Henry Chombart de Lauwe, Jean Delumeau, Jean Devisse, Luc Estang, Jean-Marius Gatheron, Paul Germain, Jean Lacroix, Henri-Irénée Marrou, François Mauriac, Marcel Pacaut, Guy Raynaud de Lage, Marcel Reinhard, René Rémond, Robert Ricatte, Pierre-Henri Simon, Georges Suffert, François Tricaud, Joseph Vialatoux et Jacques Viard.

59 En décembre 1955, L’Osservatore romano répondait à l’appel de François Mauriac du 3 octobre 1955 en soulignant les erreurs du prix Nobel de littérature : « En aucun cas les catholiques ne peuvent accorder leur voix à un ennemi déclaré de leur foi et dont l’action tend directement ou non à détruire l’Église et même la religion ». Article reproduit dans Bloc-notes de François Mauriac, p. 201. Quelques jours plus tard l’abbé Vancourt de l’Institut catholique de Lille dans un article de La Croix du Nord, dénonçait ceux qui autour de François Mauriac veulent supprimer la présence de l’Église dans la société, article reproduit dans La France catholique du 13 janvier 1956.

60 L’intervention de René Rémond est mal interprétée : « Bien que je ne fis que dresser un constat qui prenait appui sur l’histoire et qui se gardait de porter condamnation du passé, la simple affirmation de la propension du cléricalisme fut mal reçue de certains qui jugèrent le propos attentatoire ». Témoignage dans Le catholicisme français et la société politique, Éditions de l’Atelier, coll. « Églises/Sociétés », 1999, p. 145.

61 Né en 1900, il est président de l’œuvre de la Propagation de la Foi pour la section de Paris pendant l’entre-deux-guerres, puis directeur du Secrétariat de l’épiscopat de France de 1945 à 1949. Il est nommé par la suite évêque d’Angers, il prend très vite position pour une émancipation progressive des peuples colonisés.

62 Compte rendu des Études, janvier 1956, p. 120-122.

63 Carrefour le 24 novembre 1955 présente la SIC 1955 sous ce titre : « La décomposition de l’intelligence ».

64 Carrefour, 24 novembre 1955.

65 Le premier dans Rivarol, 24 novembre 1955 ; le second dans Combat, 15 novembre 1955.

66 Décembre 1955, article très critique sur la première séance. Voir Études, janvier 1956, article du père Russo qui répond à Tala Sorbonne.

67 SIC 1955, p. 221.

68 « Un premier « tort », à mon sens, ce fut, au début du tournant politique et social, de trop solliciter les bénédictions, l’appui, la tutelle des autorités religieuses. Il y aurait eu une façon d’être « catholique » de se placer même sur le terrain confessionnel, sans mobiliser les mitres et les anneaux, car il fallait s’attendre dès lors à ce qui est arrivé par la suite, la mobilisation des crosses » ; 3 septembre 1924, document extrait de « Deux lettres à Paul Archambault », présentation et annotation de Yves Palau, « Des catholiques et de la politique, les transformations doctrinales du catholicisme social, 1900-1930 », dans Revue française d’histoire des idées politiques, 4, 1996, p. 386.

69 Selon le témoignage de René Remond, dans Le catholicisme français et la société politique, op. cit., p. 145.

70 Notes prises par le responsable aa, archives des Augustins de l’Assomption, Rome, cote TR 61, prêt Étienne Fouilloux.

71 24 novembre 1955, article de Michel François pour L’Express. Le 14 novembre 1955, France Observateur, quant à lui, évoque l’aventure du CCIF : « Le centre français des intellectuels catholiques (sic) a été précisément fondé d’abord dans la clandestinité, puis en 1945 par des professeurs de sciences et de lettres soucieux tout à la fois de sauver les valeurs chrétiennes à l’intérieur des mouvements modernes et de montrer aux chrétiens qu’une certaine « gauche » incarnait davantage ces valeurs que les partis de l’ordre et de la tradition », p. 4.

72 Jean-Dominique Durand, « La grande attaque de 1956 », dans Cahiers Jacques Maritain, 30, juin 1995, p. 2-31.

73 Étienne Fouilloux, Une Église en quête de liberté, op. cit., p. 298-300.

74 Abbé Berrar au père Congar, 13 février 1954, dossier 14, p. 2, Papiers Congar, ADP.

75 Émile Berrar s’en plaint fortement au nonce Marella : « Je me rendrai à Rome sans doute à la fin du mois de janvier. D’après ce qui vient de m’être dit, il y aurait quelques inquiétudes au sujet de la SIC […]. J’aimerais à ce sujet avoir des directives. Malheureusement des sources d’information comme l’article de la France catholique ne sont pas faites pour éviter les malentendus », 14 décembre 1955, p. 1-2. Voir sur La Pensée catholique le mémoire de DEA de Paul Airiau, La Pensée catholique, 1946- 1956 : romanité à la française ou intégrisme ?, Institut d’études politiques de Paris, 1995, 400 p.

76 Notes pour l’audience du chanoine Berrar, 9 février 1956, p. 2.

77 Né en 1913, ancien élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, professeur de philosophie au lycée du Parc à Lyon. Il est un collaborateur régulier de la Chronique sociale de France.

78 Documents du Saint-Office du 21 juin 1956 du cardinal Pizzardo, p. 1, AEBE, pour plus d’informations voir Claire Toupin-Guyot, op. cit., p. 267-270.

79 Georges Hourdin à Étienne Borne, 3 octobre 1956, p. 1, « Dossier SIC 1956 », ARMA.

80 Voir sur ce point la lettre du père Fessard du 2 août 1956 dans Gabriel Marcel et Gaston Fessard, Correspondance (1934-1971), présentée et annotée par Henri de Lubac, Marie Rougier et Michel Sales, introduction par Xavier Tilliette, Beauchesne, 1985, p. 378.

81 La présence de Luigi Gedda est d’ailleurs signalée généreusement par l’Osservatore romano qui centre son article uniquement sur son intervention ! « La conclusione della settimana di studio degli intellettuali cattolici francesi », dans Osservatore Romano, 17 novembre 1957.

82 Voir sur les positions de Jacques Chevalier, Philippe Chenaux, Entre Maurras et Maritain, une génération intellectuelle catholique, (1920-1930), Le Cerf, coll. « Sciences humaines et religions », 1999, p. 230 et Jean-Marie Mayeur, La question laïque, xixe-xxe siècles, Fayard, 1997, p. 168.

83 Abbé Berrar à Henri-Irénée Marrou, 5 février 1954, 2 p., ARMA.

84 Tout particulièrement l’article du Père Roguet sur les progrés liturgiques sous le pontificat pacellien. Témoignage de l’abbé Biard à l’auteur.

85 Un seul article est consacré à l’homme et rédigé par Mgr Garrone.

86 RD 27, juin 1959, p. 70.

87 19 octobre 1956, « Existe-t-il une liberté de recherche dans l’Église ? ».

88 « Insinuer devant l’opinion, gratuitement et sans mandat, qu’une telle décision est une erreur des Supérieurs et qu’ils ont besoin de lumière pour la réparer, est une offense grave à leur autorité ». Père Ducattillon au directeur de Témoignage chrétien, lettre non datée (copie envoyée à l’abbé Berrar), p. 1, AEBE.

89 Voir à ce sujet Jean-Dominique Durand, « La grande attaque de 1956 », art. cit. et Philippe Chenaux, « Paul VI et Jacques Maritain », dans Jacques Maritain et ses contemporains, sous la direction de Bernard Hubert et Yves Floucat, Desclée, 1991, p. 334 et sequentes.

90 Proposition du comité directeur du 17 janvier 1947, p. 1, ARMA.

91 « Sa conférence […] a fait sensation… Il est très important qu’il soit en Europe actuellement » précise Jean de Menasce, le 11 mai 1949, « Une amitié dominicaine de Charles Journet : le père Jean de Menasce », dans Charles Journet, un théologien en son siècle, 1891-1975, par Guy Bedouelle. Même satisfaction de la part de Charles Journet dans Journet-Maritain, correspondance, volume III, 1940-1949, Éditions Saint-Augustin, Parole et Silence, 1998, p. 741-749.

92 Père Chenu à Étienne Borne, p. 2, carton 1 n∞31, AEBO.

93 Ancien élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, il commence une carrière d’expert politique, puis se consacre à l’écriture littéraire.

94 Les conférences sont publiées dans RD 19, Jacques Maritain, juillet 1957, 218 p.

95 L’ouvrage parut en 1920.

96 25 septembre 1957, p. 1-2, carton 8, AICP.

97 « Projet de programme pour rencontre », p. 1, dossier « Groupe philo. », carton 10, AICP.

98 Les sujets de leurs exposés n’ont pu être déterminés.

99 Lettre circulaire signée par l’abbé Berrar, Étienne Borne et Joseph Folliet, juillet 1957, p. 1, « dossier philo », carton 10, AICP.

100 C’est la démonstration du sociologue Jean Tavarés.

101 Robert Barrat à Claude Bourdet, 7 novembre 1952, p. 2, ARMA.

102 René Remond, « Droite et gauche dans le catholicisme français contemporain », dans Revue française de science politique, 4, décembre 1958, p. 803 et sequentes.

103 Termes qui définissent le catholicisme de droite, idem, p. 807.

104 SIC 1954, p. 13.

Table des illustrations

Titre Tableaux des activités théologiques (1952-1957).
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© Presses universitaires de Rennes, 2002

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