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Les intellectuels catholiques dans la société française

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Claire Toupin-Guyot

Deuxième partie. Audace et obéissance au réel (1951-1958)

Chapitre 5. Une activité débordante et multiple

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Géographique :

France

Texte intégral

1Durant le printemps et l’été 1951, le CCIF avait subi une crise importante qui avait renforcé la partie intellectuelle de son foyer mais le laissait exsangue. La rentrée universitaire de 1951 faisait entrevoir une réorganisation : il fallait combler rapidement l’abîme financier, relancer les activités et tenir compte du nouveau climat franco-romain. Depuis l’été 1950, le Magistère romain avait en effet désavoué tout un courant théologique sur lequel le CCIF s’appuyait. Sans changer d’orientation, l’équipe entendait tirer les conséquences de ses succès et échecs. Les sections de recherche n’avaient jamais réussi à drainer suffisamment de chercheurs, la création d’une recherche catholique au sein du « 61 » paraissait donc compromise. À l’inverse, le formidable succès de la Semaine des intellectuels catholiques avait montré l’intérêt que portaient les catholiques aux interrogations métaphysiques. La crise financière et le climat de défiance conduisent le CCIF à chercher une voie praticable entre les demandes du public, les exigences romaines et ses propres convictions. C’est conscient de ces nouveaux impératifs et s’appuyant sur les outils mis en place depuis 1948 que le tandem Barrat-Berrar se lance dans l’aventure de la décennie 1950.

Le développement de la vulgarisation et de la formation continue

Débats ou conférences ?

  • 1 Né en 1921, dominicain spécialiste de théologie pastorale, il se rattache à l’école allemande et c (...)
  • 2 Né en 1915, romancier, il dirige une collection littéraire au Seuil.
  • 3 RD 14, avril 1951, p. 3-19.

2Le début des années 1950 est marqué par un renouvellement modeste des activités du Centre. Sur la proposition de Robert Barrat, l’équipe lance des grandes conférences culturelles afin de drainer un public plus large. Quelques débats avaient déjà été organisés dans l’amphithéâtre de la Sorbonne ou au Palais de Chaillot : le 15 février 1951, P. Bost, Chartier, Jacques Madaule, Henri Quéffelec, les pères Beirnaert et Liégé1 et le pasteur Westphal avaient montré que « Dieu a besoin des hommes » devant plus de deux mille neuf cents personnes. Un mois plus tard, deux mille cinq cents personnes s’étaient retrouvées à la Sorbonne pour écouter Robert Barrat, Albert Béguin, Luc Estang2, Stanislas Fumet et l’abbé Pézeril rendre hommage à Georges Bernanos3. Les conférences ou débats sur des sujets rassembleurs avaient donc toujours existé au CCIF : la nouveauté se trouvait dans leur multiplication. Le Centre devient alors un espace informatif sur des sujets classiques : sujets historiques d’ordre religieux comme ceux consacrés au monachisme d’Égypte ou aux mystiques espagnols du xvie siècle ; sujets littéraires présentant des écrivains français (Georges Bernanos, Paul Claudel, André Malraux, Jean-Paul Sartre) ; sujets artistiques valorisant quelques grands peintres du xxe siècle (Georges Braque, Paul Cézanne, Henri Matisse) et les grands maîtres des siècles précédents (Fra Angelico et Léonard de Vinci).

  • 4 Radio-Cinéma a été créée un an auparavant, sous la houlette de La Vie catholique illustrée.
  • 5 Robert Barrat à Jean-Pierre Chartier, 17 octobre 1952, p. 1, ARMA.
  • 6 Respectivement : 5 novembre 1952, avec J. Arbois, André Bazin, et Jean-Pierre Chartier. 18 décembr (...)
  • 7 « Le Défroqué », 13 mai 1954, avec L. Joannon, le père Lepoutre, le père Menessier, J.-L. Tallenay (...)
  • 8 La Strada de Federico Fellini, 7 décembre 1955 avec Philippe d’Harcourt, Jacques Madaule, le père (...)

3Cette nouveauté s’accompagne de la création de « débats-films ». L’objectif est d’organiser, conjointement avec la nouvelle équipe de Radio-Cinéma4, un débat hebdomadaire sur une œuvre du septième art. Le CCIF n’entend prendre ni la responsabilité du programme ni l’organisation pratique de la séance, mais se propose de présenter des axes de discussion et de dresser une liste de philosophes ou théologiens susceptibles de s’intéresser au sujet5. Si le projet avec l’équipe Radio-Cinéma n’aboutit pas, Robert Barrat organise quelques débats dès la rentrée universitaire de 1952 autour de « Jeux interdits », d’« Umberto D. » et de « Léon Morin, prêtre6 ». En 1953-1954, trois le sont7. L’intérêt retombe cependant assez vite : en 1954-1955, aucun débat n’est organisé, un seul l’est l’année suivante8.

4Qu’il y a-t-il de commun entre le CCIF de 1947 et celui-ci ? Les sujets sont plus classiques, la réflexion moins spéculative ; quant à la liste des collaborateurs, elle est manifestement plus éclectique :

Tableau des intellectuels venus au moins 5 fois (1952-1957)

Tableau des intellectuels venus au moins 5 fois (1952-1957)
  • 9 Proche ami d’Étienne Borne, il participe à la fondation du MRP, puis rejoint le parti gaulliste.
  • 10 C’est le seul à être profondément à gauche. Il participe d’ailleurs pendant quelques années au gro (...)
  • 11 Il joue au même moment un rôle important dans le mouvement de décolonisation qui touche le protect (...)

5Dans la période 1946-1951, les principaux intervenants étaient pour la plupart des philosophes et théologiens de première importance. Dans la nouvelle décennie, si certains fidèles n’ont pas disparu (Étienne Borne, le père Congar, le père Daniélou, Stanislas Fumet, Gabriel Marcel), d’autres s’éloignent (Henri-Irénée Marrou, le père Fessard, Jean Hyppolite, Jean Wahl et Jean Beaufret). Des personnalités plus conservatrices les remplacent : l’homme de lettres maurrassien Thierry Maulnier, l’écrivain catholique Daniel-Rops, le résistant et gaulliste Edmond Michelet9, ou encore l’universitaire Pierre-Henri Simon. Si quelques personnalités de gauche sont présentes – le journaliste Georges Suffert10, le polytechnicien André de Peretti11, le fondateur de La Vie catholique illustrée Georges Hourdin – ces années sont marquées par un rééquilibrage à droite. Cette évolution s’accompagne de deux nouveautés : la moindre part accordée aux philosophes et théologiens et l’ouverture aux hommes de terrain (hommes politiques et journalistes). Le CCIF perd indubitablement en rayonnement et en autorité intellectuelle auprès de la haute intelligentsia, mais il gagne un rééquilibrage budgétaire et peut-être aussi une image plus traditionnelle qui satisfait la hiérarchie ecclésiastique. Il entend se servir de cette façade de « respectabilité » pour promouvoir les idées qu’il défend à travers les Semaines, sa nouvelle revue et quelques rencontres privées.

Encore une revue ?

  • 12 2. Chiffre d’après le compte rendu 1950-1951, ARMA.

6Au début des années 1950, Recherches et Débats reste une revue très modeste : si elle produit des articles de très haut niveau intellectuel, si les débats qu’elle retranscrit sont également de qualité, elle ne draine pas pour autant un large lectorat. Le nombre de ses abonnés –autour de quatre cents– est faible et souligne les difficultés d’un Centre à se faire reconnaître et à s’imposer sur la scène intellectuelle12. Le succès que remporte la Semaine des intellectuels catholiques incite donc l’équipe à réorganiser la revue.

  • 13 « Projet de revue », confidentiel, non daté, mais certainement de 1949 ou 1950, ARMA.
  • 14 Sur Temps présent voir Yvon Tranvouez, « Chrétiens de gauche ou gauche catholique ? À propos de l’ (...)
  • 15 Ni dans les Papiers Stanislas Fumet ni dans le fonds conservé rue Madame.

7En 1949, un premier projet avait été établi pour mettre en place une revue plus générale. Trait d’union entre tous les catholiques, la revue devait apporter « un témoignage de vitalité intellectuelle et spirituelle13 ». Les objectifs étaient vastes : évoquer tous les problèmes de la chrétienté, valoriser la diversité des courants que draine l’Église, prendre soin d’entrer en contact avec les autres chrétiens et les non-croyants. Stanislas Fumet, ancien directeur de Temps présent14, est pressenti pour diriger cette nouvelle revue. L’équipe pense également solliciter Jean-Baptiste Duroselle pour la direction et Robert Barrat pour le secrétariat. Le projet n’aboutit pas : Stanislas Fumet a-t-il refusé de se lancer dans l’aventure ? Aucune trace de réponse ne subsiste dans les archives15. Recherches et Débats n’est que légèrement modifiée dans sa forme, acquérant un format plus standard. Cette très modeste transformation est insuffisante pour relancer la publication.

  • 16 6. La section « Ethnologie et chrétienté » était constituée de l’association du Cercle Rerum eccle (...)
  • 17 Le théâtre contemporain, octobre 1952, avec André Alter, Albert Béguin, Jean-Jacques Bernard, Maur (...)

8En février 1951, l’équipe propose d’établir des cahiers centrés sur un thème. Un an après, le projet est concrétisé chez Fayard. La revue conserve son titre Recherches et Débats mais supprime tous les suppléments, sauf ceux de l’UCSF et du groupe « Ethnologie » qui deviennent, l’un et l’autre, des bulletins associés à la nouvelle revue16. Si le premier cahier n’est pas encore entièrement organisé selon les vœux de l’équipe – puisqu’il ne comporte que des conférences prononcées rue Madame – c’est chose faite dès le second volume. Le théâtre contemporain se propose de porter témoignage de la vitalité du théâtre français en développant une réflexion sur la philosophie, l’athéisme et l’artifice, tout en étudiant différentes œuvres dramatiques significatives17. En 1952, l’équipe a trouvé la formule qui servira de modèle pendant plus de vingt ans : des cahiers centrés sur un thème, des débats et quelques chroniques. Au rythme de quatre numéros par an, le Centre présente un éventail de regards chrétiens ou non croyants sur le sujets les plus divers : confessionnels, culturels, sociaux…

  • 18 Cet agrégé d’histoire avait assez vite abandonné l’enseignement pour se consacrer à l’écriture. Il (...)

9Cette formule permet d’acquérir une nouvelle notoriété puisque la publication se fait au sein de la maison Fayard, grâce à l’appui de l’historien et romancier Daniel-Rops18. Conscient de l’importance d’une revue catholique dirigée par des laïcs, le fondateur du secteur religieux chez Fayard appuie alors de toute son autorité la nouvelle formule que le CCIF entend promouvoir.

  • 19 Minutier 1951-1952, ARMA.
  • 20 Lettre du père d’Ouince au père Provincial, 1947, p. 2, dossier « Études. Paris 1945-1947 », AFSJ.
  • 21 Michel Winock, « Esprit ». Des intellectuels dans la cité, op. cit, p. 256.
  • 22 Seuls deux cahiers sont boudés : celui sur la jeunesse (1293 invendus en 1963) et le second consac (...)
  • 23 Annie Cohen-Solal à propos de la revue des Temps modernes, dans Jean-Paul Sartre, 1905-1980, Galli (...)

10Le choix convainc le public : dès le premier numéro, mille cinq cents exemplaires sont vendus et, un an après, mille cent abonnés sont comptabilisés19. Le tirage est alors établi à trois mille cinq cents exemplaires, puis deux ans plus tard, à quatre mille. Certes Recherches et Débats reste modeste comparée à la quasi centenaire revue des Études dont le tirage en 1947 est de dix-huit mille20 ou à Esprit dont le tirage se situe entre dix mille et treize mille exemplaires21, mais elle se lance quand même dans l’aventure en entendant jouer un rôle de moyenne revue d’inspiration chrétienne. Les premiers numéros sont rapidement épuisés, les suivants sont vendus à plus de 80 %22. Grâce à cet instrument, le CCIF assoit son autorité sur la scène parisienne et peut jouer « désormais un rôle essentiel dans la lutte pour la conquête et la conservation du pouvoir symbolique23 », à côté de la revue amie Esprit et de la concurrente Les Temps modernes. Cette réussite conduit l’équipe à se lancer dans une aventure éditoriale ambitieuse.

Une encyclopédie catholique ?

  • 24 Première mention de ce projet dans une lettre de Robert Barrat à Stanislas Fumet, 22 septembre 195 (...)
  • 25 Lettre de Robert Barrat à Georges-Hubert de Radkowski, 11 mai 1953, p. 1, ARMA.

11C’est en septembre 1952 que Robert Barrat entreprend de créer une petite encyclopédie catholique pour présenter, sur les grands thèmes intéressants la religion, une synthèse rapide et sérieuse pour un public catholique cultivé. Une nouvelle fois, l’équipe fait appel à Stanislas Fumet24 mais c’est finalement le propre gendre du poète, Georges-Hubert de Radkowski, qui se lance dans l’aventure25. Dans une lettre, le secrétaire général précise le projet :

  • 26 Georges-Hubert de Radkowski à Mgr Baron, 30 septembre 1953, p. 1, ARMA.

« Les volumes de notre collection auront plutôt le caractère d’ouvrages d’une honnête et sérieuse vulgarisation. Ils se trouvent sur un palier au dessous des ouvrages sérieux proprement scientifiques […]. Tout ce que nous voulons c’est que ces volumes soient faits par des gens avertis qui ne risquent pas de déformer les faits ou de dégager, faute de culture suffisante et de jugement assez sûr, de fausses perspectives au problème traité26. »

  • 27 Liste des sujets dressés en 1953 avec la liste des potentiels rédacteurs, minutier 1953-1954, ARMA

12Tous les types de sujets doivent être abordés : le mariage, le célibat, la chasteté, le curé, l’évêque, la messe, la paroisse, le sens du pèlerinage ou encore l’évolutionnisme27. Une liste de rédacteurs est établie : pour la synthèse sur « le curé » sont ainsi pressentis le père Chéry, prieur dominicain de Clermont-Ferrand, le père Ducattillon, prieur d’un couvent dominicain de Paris et l’abbé Michonneau dont l’ouvrage Paroisse, communauté missionnaire est devenu un classique ; pour celui consacré à « l’évêque », Mgr Garrone, archevêque-coadjuteur de Toulouse et Mgr Guerry, archevêque de Cambrai et secrétaire de l’assemblée des cardinaux et archevêques sont sollicités. Ce ne sont donc pas particulièrement les proches du Centre qui sont pressentis, mais principalement des pasteurs dont la conformité à la tradition n’est pas soupçonnable.

  • 28 Daniel-Rops rappelle également l’initiative du CCIF et la récupération du projet par Fayard. Voir (...)

13C’est finalement trois ans plus tard que le projet est concrétisé, mais la collection a quitté le CCIF pour Fayard28. Cette perte froisse Stanislas Fumet qui s’en explique à Daniel-Rops, le directeur de la collection :

  • 29 Stanislas Fumet à Daniel-Rops, copie, 1er octobre 1955, dossier « Correspondance », Papiers Fumet, (...)

« J’ai reçu de Jean-Marie Paupert une invitation très gentille pour me prier de collaborer à une collection que vous devez diriger chez Fayard, et qui n’est autre que cette petite encyclopédie catholique, conçue naguère par le CCIF, dont mon gendre, G.-H. de Radkowski s’était activement occupée. Je suis un peu surpris de voir que le projet n’a pas été abandonné pour se fondre dans la collection ECCLESIA, ainsi que nous l’avions cru. La collection a même gardé le titre que je lui avais trouvé : JE SAIS, JE CROIS. Très heureux que ce soit Paupert, un charmant garçon et un camarade que mon gendre et ma fille estiment beaucoup, qui prenne la succession de Radkowski ; Mais que ces manières de Fayard à mon égard sont donc étranges29 ! »

  • 30 Voir sur cette traversée du désert, l’article déjà cité d’Étienne Fouilloux.

14Mécontentement bien compréhensible de Stanislas Fumet d’autant qu’en ces années 1950 il connaît plusieurs échecs qui l’éloignent de la scène publique : ses initiatives éditoriales échouent qu’il s’agisse d’entreprises collective ou personnelle, son œuvre a des difficultés pour être publiée30. Si la création n’aboutit pas au sein du CCIF par manque de moyens et de temps, le projet n’en est pas moins emblématique de ses nouvelles orientations : une approche globale du fait culturel et religieux. Beaucoup ont vu dans cette inflexion la seule volonté de Robert Barrat : certes le propre choix professionnel du secrétaire général semble illustrer cette orientation, car ce normalien qui aurait pu choisir la voie classique de la recherche et de l’enseignement, préfère la brûlante actualité. Mais il faut y ajouter deux autres raisons : d’une part, la crise de 1951 a conduit l’équipe à redéployer ses thèmes, d’autre part, le contexte franco-romain marqué par de multiples sanctions incite à la prudence. Certains en ont conclu trop rapidement que le secrétariat de Robert Barrat marquait la fin d’un CCIF de haut niveau philosophique et théologique. C’est réduire considérablement le travail qui a continué de s’y accomplir au sein de certains débats et cahiers ; c’est également oublier la recherche qui s’est développée dans les colloques privés et dans d’autres espaces largement oubliés de la mémoire collective.

Un espace privilégié de recherches et de rencontres

Les colloques fermés

  • 31 18 janvier 1954, p. 1, minutier 1953-1954, ARMA.
  • 32 La liste qui suit présente les invités des trois colloques. Une soixantaine de personnes fut solli (...)
  • 33 « J’aurais été heureux d’y participer. Maintenant la situation est vraiment trop confuse en ce qui (...)
  • 34 Né en 1900, un des meilleurs représentants de la théologie transcendantale soucieux de relire la d (...)
  • 35 Aumônier du groupe Laënnec.
  • 36 Né en 1904, il enseigne la théologie à Innsbruck. Il met à profit ses connaissances kantiennes et (...)
  • 37 Louis-Bertrand Geiger est dominicain, il défend une ligne thomiste classique.
  • 38 Né en 1908, il est l’ami de Jacques Maritain et développe une pensée thomiste classique.
  • 39 Dominicain de la province de Toulouse, il avait été en 1946 à l’origine, avec les pères Labourdett (...)
  • 40 De La Vie spirituelle.
  • 41 Roger Aubert est né en 1914, historien de l’Église (il enseigne à l’Université de Louvain), il s’i (...)
  • 42 Professeur de philosophie à la Faculté de théologie de Lille.
  • 43 Né en 1901, théologien du diocèse de Dijon au carrefour de la philosophie et de la théologie, il t (...)
  • 44 Enseignant à l’Institut catholique de Lyon.
  • 45 Né en 1891 à Genève, il est professeur de théologie dogmatique au grand séminaire de Fribourg et d (...)
  • 46 Carme et membre de la communauté d’Avon, consulteur du Saint-Office.
  • 47 Assomptionniste, directeur du journal La Croix.
  • 48 Professeur à l’Institut supérieur de philosophie de Louvain.
  • 49 Né en 1918, théologien hispano-indien au carrefour des cultures et des religions.
  • 50 Né en 1906, excellent connaisseur de la phénoménologie husserlienne et heidegerienne, il cherche à (...)

15Dans les années 1950, les colloques entre théologiens et philosophes étaient très rares. Il y avait bien eu quelques rencontres telles les journées sacerdotales franco-allemandes organisées à Maria Rosenberg dans le Palatinat qui avaient réuni en septembre 1949 une quarantaine de prêtres allemands et français autour de questions pastorales et théologiques ; ou encore la réunion luxembourgeoise de juillet 1949 rassemblant théologiens allemands, français et belges, sous l’initiative du père Liégé et du directeur du séminaire Saint-Jean de Luxembourg. Mais aucune n’avait donné lieu à un travail commun régulier. Émile Berrar estimait nécessaire de pallier ce vide en faisant du « 61 » ce lieu de rencontres. En 1951, il se lance donc dans l’organisation de colloques privés. « Ces réunions […] n’aboutissent pas à grande chose mais on y pose des problèmes, et des prêtres et des religieux qui ne se connaissent que par des polémiques des revues en arrivent à s’apprécier et à se mieux comprendre » précise ainsi l’assistant ecclésiastique au père Henry, directeur de La Vie spirituelle31. À peine un an après l’encyclique Humani generis, l’équipe du « 61 » persiste et signe : il faut trouver des endroits pour que la recherche théologique se développe, pour que les intellectuels catholiques se retrouvent et discutent à bâtons rompus. Le CCIF va donc trois ans de suite réunir une quarantaine d’intellectuels catholiques français et étrangers, laïcs et ecclésiastiques, philosophes et théologiens. La plupart de ceux qui comptent sur la scène théologique sont invités à ces rencontres32 : les jésuites Beirnaert, Bouillard, Daniélou, Fessard, Henry, de Lubac33, Malevez34, Malmberg, Marc, Notebaert, d’Ouince, Pierre35, de Rademakker, Rahner36, Rouquettte, Russo ; les dominicains : Congar, Chenu, Dubarle, Geiger37, Guérard des Lauriers, Labourdette38, Liégé, de Menasce, Nicolas39 Philippe (du Saulchoir), Serrand40 ; les abbés Aubert41, Brien, Chatillon, Colin, Dondeyne, Duméry, Hadot, Rogues, Vancourt42, Verneaux ; le père Bouyer, le chanoine Mouroux43, Mgr Jolivet44, Mgr Journet (il ne vient pas mais envoie une notedetravail en 195145), le père Dabosville, le père François de Sainte-Marie, le père Philippe de la Trinité46, le père Gabel47, le père Ortigues48, le père Panikkar49, le père Welte50. Les laïcs Blin, Borne, Carroi, de Fabrègues, Gouhier, Hahn, Joulia, Lacombe, Levert, Lewis, Marcel, Mercier, Müller de Fribourg, Poirier, Spire, Taboulot, Wahl et de Waelhens sont également présents.

  • 51 Abbé Duméry à l’abbé Berrar, 23 décembre 1950, p. 1, « dossier journées 20-20 janvier 1951 », AEBE

16L’originalité de ces réunions est double. La première est de rassembler des hommes issus de différents pôles de recherche : jésuites des Études et de Fourvière, dominicains du Saulchoir, carmes d’Avon, professeurs de l’Institut catholique de Paris ou des Facultés de Louvain, de Fribourg et de Maastricht. La seconde l’est davantage puisque se retrouvent à dialoguer des chercheurs dont les positions théologiques et philosophiques sont parfois très opposées. Se côtoient durant ces week-ends de travail, des thomistes dans la stricte ligne d’un Garrigou-Lagrange comme le père Guérard des Lauriers, des blondéliens comme le père Bouillard ; des thomistes ouverts et dont la pensée est renouvelée par une réflexion sur l’histoire comme le père Rahner et des thomistes plus stricts comme Mgr Journet ou le père de Menasce ; des théologiens sanctionnés comme le père Chenu ou le père Bouillard et des consulteurs du Saint-Office comme le père Philippe de la Trinité ! Les oppositions peuvent ainsi être multipliées. Il y a indubitablement ici une action originale et véritablement vertueuse qui incite les uns et les autres à se reconnaître et à s’accepter en humanisant des relations qui jusqu’alors restaient théoriques et souvent polémiques. L’abbé Duméry résumera l’originalité de la démarche en une phrase : « L’essentiel est qu’ils se voient, non qu’ils s’accordent51 ».

  • 52 Né en 1913, professeur à l’Université de Strasbourg, influencé par Gabriel Marcel, Edmund Husserl (...)
  • 53 Liste des invités et exposés des quatre conférenciers, carton CUC-CCIF, « CCIF 1948-1975 », APC.
  • 54 RD 13, supplément théologique, février 1951, p. 1-8.
  • 55 La crise des prêtres-ouvriers est à son paroxysme.
  • 56 « Foi théologale et phénoménologie », brochure spéciale du supplément théologique et philosophique (...)

17La diversité des invités se conjuguent avec la qualité des sujets choisis. En 1951, le week-end est consacré à la phénoménologie. Les conférenciers s’appuient sur les œuvres de Martin Heidegger, d’Edmund Husserl et de Paul Ricœur52 pour réfléchir à une nouvelle approche de la foi tout en soulignant la richesse et la valeur d’un dialogue entre la philosophie contemporaine et la théologie. En 1952, « Historicité et vérité » présente trois axes successifs : la place de la vérité dans une philosophie de l’historicité, la place de l’historicité dans une métaphysique de la vérité et le rapport entre dogme et histoire. La discussion est introduite par les exposés du père Welte, du chanoine Dondeyne, du père Geiger et du père Guérard des Lauriers. Dans ce cadre, sont étudiées les questions qui sont au cœur de tant de malentendus depuis la crise moderniste, tout particulièrement la part de l’histoire dans la définition du dogme53. La troisième rencontre consacrée au péché originel s’interroge à la fois sur le monogénisme et le polygénisme et sur le degré de véracité scientifique du texte biblique. Le père Bouyer présente un exposé sur la Bible, le jésuite Henry sur les documents ecclésiastiques consacrés au sujet et le père Labourdette sur les enjeux théologiques de la question. Ce thème conduit au cœur des apports et limites des recherches paléontologiques et ethnologiques. Le dernier colloque sur « Nature et morale » est tout aussi ambitieux. Le sujet touche à la définition de l’homme et envisage ses conséquences pratiques sur la morale. Pour préparer ce week-end, l’équipe avait réuni quelque temps auparavant le dominicain Henry, Étienne Borne, Henri Burgelin, l’abbé Colin, les pères Daniélou, Dubarle, Fessard et Olivier Lacombe. Le père Thomas Philippe avait été sollicité de son côté pour faire le point54. Le thème est donc bien préparé et pourtant la rencontre n’a pas lieu. Son échec est révélateur de la difficulté de rassembler, en ces années, des personnes dont les conceptions divergent, autour de sujets à risques et dans un contexte de plus en plus difficile55. Ces réunions se focalisent en effet sur les sujets les plus en pointe de la recherche théologique : apport de la recherche historique dans la formulation de la foi, redéfinition de certains points importants comme le péché originel ou la nature. Le premier colloque fait l’objet d’une publication spéciale de Recherches et Débats : publication de la conférence de l’abbé Vancourt, de celle du chanoine Dondeyne et du compte rendu de la discussion56. Les autres colloques ne bénéficient d’aucune diffusion dans Recherches et Débats. L’absence est doublement révélatrice : elle montre que la liberté de recherche depuis Humani generis ne doit pas dépasser les stricts cercles des spécialistes ; elle souligne les limites du travail du Centre : rassembleur, aiguillon, éveilleur, il ne peut ensuite construire une synthèse qui exige temps, compétence et autorité théologique. Aucun membre de l’équipe ne détient une telle capacité.

  • 57 Voir à ce sujet François Bedarida, « Les intellectuels français et le Vatican en 1952-1953, un épi (...)

18Dans ces colloques se trouve vraisemblablement la généalogie partielle des rencontres secrètes organisées par l’ambassadeur de France à Rome, Wladimir d’Ormesson, entre des Romains et des représentants de l’intelligentsia catholique durant l’été 1952 et 1953 qui devaient permettre d’échanger sur les sciences modernes, les courants philosophiques contemporains et les méthodes d’apostolat. Du côté français, c’est Henri Bédarida qui est alors chargé de réunir les intellectuels catholiques français57. Est-ce l’universitaire italianiste, bon connaisseur du milieu romain qui est ici sollicité ? Ou n’est-ce pas plutôt le président du CCIF ? Une première réunion a lieu du 28 juillet au 2 août 1952, la seconde l’année suivante. Certes les Romains ne sont pas présents aux réunions du « 61 », si ce n’est à travers la personnalité du père Philippe de la Trinité mais l’objectif reste le même : se connaître pour mieux dialoguer.

Un groupe œcuménique

  • 58 Étienne Fouilloux, Les catholiques et l’unité chrétienne du xixe au xxe siècle, itinéraires europé (...)
  • 59 Étienne Fouilloux titre ainsi l’après-guerre dans Les catholiques et l’unité chrétienne, op. cit., (...)

19L’après-guerre a vu fleurir une multiplicité de projets œcuméniques comme la création en septembre 1951 à Oxford d’un congrès international d’études patristiques par la petite équipe constituée des pères Daniélou et Sagnard et des révérends Cross et Mac Laughlin58, ou encore le groupe de recherche théologique organisé en 1948 autour du père Villain et qui réunit des théologiens catholiques et réformés. Conscient de ce « premier printemps59 », le CCIF se lance lui aussi dans un projet patristique et œcuménique et prend acte des nouvelles tendances qui se dessinent.

  • 60 Le premier est né en 1914, il est dominicain, aumônier de la Ligue Missionnaire des Étudiants de F (...)
  • 61 Centre d’études œcuméniques fondé par le père Dumont dont la vocation est d’abord de reconstituer (...)
  • 62 Il a rédigé une thèse sur Avvakum et les débuts du Raskol. La crise religieuse au xviie siècle en (...)
  • 63 Robert Barrat à Henri-Irénée Marrou, 22 octobre 1952, ARMA. Malheureusement ces réunions n’ont lai (...)
  • 64 Théologien protestant né en 1902, spécialiste du Nouveau Testament.
  • 65 Né en 1906, secrétaire puis directeur de la collection Sources chrétiennes dont la vocation est de (...)

20Pour mener à bien ce nouveau défi, l’équipe fait appel aux pères Dalmais et Le Guillou60 de l’équipe d’Istina61, afin de constituer un groupe de recherches. En octobre 1952, une première réunion rassemble le père Daniélou, le père Congar et Pierre Pascal62 chez l’abbé Berrar afin de dresser le plan de travail. Deux axes sont alors retenus : participer à la recherche scientifique sur les pères de l’Église et mettre en place un congrès international de patristique63. La petite équipe prend la décision de réunir sept fois par an des patrologues et dresse la liste des potentiels membres : Dom Amand, Cadiou, Pierre Courcelle, spécialiste des études augustiniennes, Oscar Cullmann64, le père Dalmais, Pierre Fabre, Robert Flacelière, professeur de littérature grecque, Guillaumont, le père Henry, Henri-Irénée Marrou, le père Mondésert des Sources chrétiennes65, Nautin, le normalien Jacques Perret, spécialiste de littérature latine, Jean-Rémy Palanque, professeur d’histoire ancienne à Aix-en-Provence, Pépin, Henri-Charles Puech, professeur d’histoire des religions au Collège de France, Roques, le père Sagnard. Ce sont des anciens « talas » spécialistes de l’antiquité (Marrou, Flacelière, Puech, Perret…) ou des ecclésiastiques patristiciens (Cullmann, Daniélou, Mondésert…), tous soucieux de dialoguer avec les protestants et orthodoxes.

21En novembre 1952, le projet est bien avancé comme l’atteste la lettre de Robert Barrat adressée au père Moubarak, prêtre libanais spécialiste du dialogue avec l’islam et disciple de Louis Massignon :

  • 66 Robert Barrat au père Moubarak, 20 novembre 1952, p. 1, ARMA.

« Nous songeons cette année à faire démarrer un groupe orient chrétien qui comporterait deux sections : l’une consacrée aux études patristiques […], une seconde consacrée à l’étude des problèmes que pose l’Orient chrétien : liturgie, mentalité etc.… Notre but étant d’une part d’intéresser le public catholique parisien aux chrétiens du Proche-Orient, d’autre part d’aider les représentants de ces Églises à prendre contact avec les intellectuels catholiques, à leur exposer leurs problèmes en toute simplicité et à discuter doctrinalement avec eux66. »

  • 67 Moine d’Amay-Chevetogne avant la guerre qui part ensuite à Alexandrie. Voir Étienne Fouilloux, Les (...)
  • 68 Robert Barrat au père Dalmais, 27 janvier 1953, p. 1-2, ARMA.
  • 69 Étienne Fouilloux, Les catholiques et l’unité chrétienne, op cit., p. 683.

22En décembre 1952, une lettre confirme le projet au père Euthyme Mercenier, directeur du didaskale, à Alexandrie67. Un mois plus tard, des différends entre Istina et le CCIF interrompent l’aventure68. Si un groupe « Chrétientés d’Orient et chrétientés d’Occident » est créé, il ne survit pas longtemps69. Robert Barrat est happé par une autre aventure, celle de l’émancipation du Maghreb. C’est en effet le 26 janvier, la veille de la lettre écrite au père Dalmais, qu’a lieu la conférence dénonçant la répression française au Maroc qui entraîne le CCIF dans une turbulence toute politique et éloigne le secrétaire général des problèmes œcuméniques. Si une association internationale d’études patristiques est fondée, elle l’est bien plus tard, en 1965, et sans le CCIF.

  • 70 Étienne Fouilloux, Une Église en quête de liberté, op. cit., p. 297.

23Les raisons de l’échec sont multiples : dissensions entre le « 61 » et le père Dumont, le directeur d’Istina, quant à une valorisation excessive de l’axe orthodoxe ; investissement de l’équipe dans les problèmes de la décolonisation, mais plus encore, sanctions subies par le père Congar, pilier de l’œcuménisme. En 1952, Vraie et fausse réforme dans l’Église paru dans la collection « Unam Sanctam » est interdit de toute nouvelle édition et de toute traduction, trois ans plus tard, son auteur est assigné à la maison de Cambridge avec une liberté d’écriture largement amoindrie70.

  • 71 Étienne Fouilloux, Les catholiques et l’unité chrétienne, op. cit., p. 611.
  • 72 Voir infra.

24Malgré l’échec de ce groupe œcuménique, l’initiative n’en est pas moins intéressante : elle souligne, une fois encore, que l’équipe du « 61 » se trouve au cœur d’une nébuleuse d’intellectuels catholiques dont le souci premier est le renouveau de la pensée catholique. Le dialogue avec les frères séparés se présente alors comme l’aboutissement logique de leur démarche théologique71. La réflexion œcuménique restera un thème privilégié du CCIF mais désormais il se fera la caisse de résonance des recherches menées ailleurs72.

25Publication, édition, œcuménisme… ces expériences, même partiellement abouties, sont riches de sens. Elles sont à l’image d’un catholicisme profondément ouvert qui a recours à l’histoire et aux sources chrétiennes, qui s’intéresse à la philosophie de l’intériorité et qui fait du dialogue avec les frères séparés un élément essentiel de la recherche. Par la difficulté de leur mise en place, elles soulignent les contraintes subies par les tenants de la nouvelle théologie. Faute de pouvoir développer comme il l’entend ces espaces de recherche, le Centre catholique des intellectuels français décide de faire des séances de la Semaine le lieu de discussion des recherches théologiques les plus modernes.

Les Semaines : à l’image de la double vocation du Centre

Visibilité d’une intelligentsia catholique internationale ?

  • 73 Lettre circulaire du 24 mars 1952, p. 1, « Dossier SIC 1952 », ARMA.
  • 74 Ouvrage de R. Egenter sur la liberté : Freiheit der Kinder Gottes.
  • 75 10 pages, 16 avril 1952, « Dossier SIC 1952 », ARMA.
  • 76 Lettre circulaire du 16 février 1955 qui présente le projet, 2 p, « Dossier SIC 1955 » ARMA.
  • 77 Pour plus d’informations, voir Claire Toupin-Guyot, op. cit., p. 167-168.

26En tant que section française du MIIC, le CCIF était conduit à faire des Semaines le lieu de rencontres entre intellectuels catholique de tous pays. Les différentes associations internationales de diplômés catholiques devaient dans ce cadre participer à la mise en place des problématiques. Après la crise de 1951, l’équipe cherche donc à renouveler les liens en invitant de nombreux étrangers à la Semaine73. L’appel est entendu. En 1952, lors de la Semaine consacrée à la liberté dans l’Église, plusieurs Allemands participent à la réflexion : Rolf Gogler fait parvenir un livre sur le sujet74 ; Gerhard Maetze adresse un « Exposé sur la liberté et le déterminisme du point de vue de la psychologie des profondeurs75 » ; Werner Leibbrand donne des indications bibliographiques ; quant au père Bernimont, directeur des Études religieuses à Liège, il envoie les articles parus dans la Civiltà cattolica depuis 1950. La demande est renouvelée l’année suivante pour la SIC consacrée à « Monde moderne et sens de Dieu », mais sans succès. Devant cet échec, les animateurs choisissent une nouvelle stratégie. Ils élaborent une liste de groupes linguistiques chargés d’entretenir des rapports avec chaque pays pour, dans une seconde étape, permettre l’élaboration d’un fichier de personnalités. L’objectif est une fois encore le même : agrandir le cercle des conseillers théologiques et philosophiques du CCIF à une dimension internationale76. Grâce à l’aide de la revue Dokumente, un premier groupe d’intellectuels français spécialisés dans les questions allemandes se constitue pour échanger des informations. Vingt-trois universitaires allemands sont ainsi sollicités pour élaborer la problématique de la SIC 195577.

  • 78 Voir « Tableau des intellectuels étrangers venus aux SIC (1952-1957) », Claire Toupin-Guyot, op. c (...)

27Malgré son indéniable réussite, l’expérience n’est pas renouvelée. Si la Semaine reste un haut lieu d’échanges entre intellectuels venus des quatre coins de l’Europe, elle n’aboutit cependant pas, à la communauté de travail rêvée : le Centre d’ailleurs entend définir lui-même les problématiques et faire appel, quand il le souhaite, à tel ou tel penseur. Le choix des orateurs le confirme. Certes, il y a le thomiste Jean de la Croix Kaelin, mais il est davantage invité en tant qu’aumônier du MIIC qu’en tant que secrétaire de la revue Nova et Vetera. Quant à Luigi Gedda, président très conservateur de l’Action catholique italienne, il reste bien isolé par rapport aux autres invités – Romano Guardini, Albert Dondeyne, Jacques Leclercq ou encore le démocrate-chrétien florentin Giorgio La Pira – dont la principale particularité est d’entretenir un dialogue avec la modernité78.

  • 79 Circulaire, p. 1, « Dossier SIC 1955 », ARMA.

28À l’origine, les séances de la Semaine étaient dialoguées. Pour donner à l’ensemble un ton plus cohérent, l’équipe avait préféré les exposés successifs ; la SIC s’était alors rapprochée du profil pédagogique des Semaines sociales. Pour pallier la disparition de l’échange intellectuel, le Centre décide de mettre en place des séances de travail privées79.

Expériences de recherches ?

  • 80 Journaliste à La Quinzaine puis à La lettre. Ses positions philocommunistes lui valent des difficu (...)
  • 81 Né en 1913, secrétaire de rédaction à La France catholique il est également directeur de la Nouvel (...)
  • 82 Né en 1913, il est une des figures majeures de la sociologie marxiste.
  • 83 Né en 1925, il travaille sur la société industrielle. Il devient, à partir des années 1960, un des (...)
  • 84 Philosophe spécialiste de Rousseau et de la temporalité. Il a participé à l’aventure de la revue D (...)
  • 85 Pour plus d’informations voir la liste des membres invités aux séances de l’après-midi, Claire Tou (...)
  • 86 Voir infra.

29L’expérience des après-midi de travail avaient été lancées en 1949 mais avaient été très vite abandonnées. Leur reprise en 1955 se fait sur de nouveaux principes : si – comme en 1949– elles se font en fin d’après-midi et reprennent le plus souvent les sujets de la veille elles s’en différencient par l’éventail des invités. En 1955, une soixantaine de personnes représentatives de l’intelligentsia catholique française est invitée : du progressiste Jacques Chatagner 80 au conservateur Louis-Henri Parias81. L’année suivante, un pas supplémentaire est franchi lorsque l’équipe décide d’inviter des non-croyants et des protestants : Lucien Goldmann82, Alain Touraine83, Pierre Burgelin84 et le pasteur Jean Bosc85 sont ainsi sollicités. Certes, leur place reste modeste et c’est surtout en tant que spécialistes qu’ils sont invités, mais désormais l’habitude est prise de faire appel à des hommes venus d’autres horizons. Quelques années plus tard, ce travail au sein des séances privées des Semaines aboutira à l’invitation, cette fois ci publique, de protestants (Paul Ricœur est ainsi le premier sollicité, en 1958), puis d’agnostiques (à partir de 195986).

Notes

1 Né en 1921, dominicain spécialiste de théologie pastorale, il se rattache à l’école allemande et cherche à donner à sa théologie un caractère scientifique.

2 Né en 1915, romancier, il dirige une collection littéraire au Seuil.

3 RD 14, avril 1951, p. 3-19.

4 Radio-Cinéma a été créée un an auparavant, sous la houlette de La Vie catholique illustrée.

5 Robert Barrat à Jean-Pierre Chartier, 17 octobre 1952, p. 1, ARMA.

6 Respectivement : 5 novembre 1952, avec J. Arbois, André Bazin, et Jean-Pierre Chartier. 18 décembre 1952, conférenciers inconnus ; 9 février 1953, père Menessier et Luc Estang, retranscrit dans RD 4, mai 1953, p. 247-256.

7 « Le Défroqué », 13 mai 1954, avec L. Joannon, le père Lepoutre, le père Menessier, J.-L. Tallenay, J. Mauduit ; « Avant le déluge » avec le père Thomas, Étienne Borne, Pierre Joulia, G. Lafon. « Hollywood et l’Ecriture sainte », 10 décembre 1953, avec les pères Flipo et Pichard, Henri Agel.

8 La Strada de Federico Fellini, 7 décembre 1955 avec Philippe d’Harcourt, Jacques Madaule, le père Barjon. Le cinéaste est invité deux fois sans succès.

9 Proche ami d’Étienne Borne, il participe à la fondation du MRP, puis rejoint le parti gaulliste.

10 C’est le seul à être profondément à gauche. Il participe d’ailleurs pendant quelques années au groupe des « Mal-Pensants » avant de rallier le camp des mendésistes. En 1958 il devient secrétaire du Club Jean-Moulin nouvellement constitué.

11 Il joue au même moment un rôle important dans le mouvement de décolonisation qui touche le protectorat marocain. Voir infra.

12 2. Chiffre d’après le compte rendu 1950-1951, ARMA.

13 « Projet de revue », confidentiel, non daté, mais certainement de 1949 ou 1950, ARMA.

14 Sur Temps présent voir Yvon Tranvouez, « Chrétiens de gauche ou gauche catholique ? À propos de l’hebdomadaire “Temps présent” (1937-1947) », dans Histoire et politique. Mélanges offerts à Edmond Monange, association des amis du Doyen Monange, Brest, 1994, p. 339-352 et son intervention au colloque Fumet : « D’un “Temps présent” à l’autre, Stanislas Fumet, le journalisme et la politique » (1937-1947), dans Stanislas Fumet ou la présence au temps, op. cit., p. 45-60.

15 Ni dans les Papiers Stanislas Fumet ni dans le fonds conservé rue Madame.

16 6. La section « Ethnologie et chrétienté » était constituée de l’association du Cercle Rerum ecclesiae et du Groupe René Grousset. Ce dernier rassemblait des historiens des religions et des praticiens de sociologie religieuse. Leur bulletin est produit au sein de Recherches et Débats à partir de 1951 et se consacre principalement aux problèmes rencontrés par les missionnaires. L’historique de ce groupement se trouve dans le bulletin 13 du supplément ethnologique RD 6, janvier 1954.

17 Le théâtre contemporain, octobre 1952, avec André Alter, Albert Béguin, Jean-Jacques Bernard, Maurice Bruezière, le père Carré, Léon Chancerel, René Clermont, André Franck, Henri Fluchère, Antoine Golea, Henri Gouhier, Rose-Marie Houdous, Georges Lerminier, Gabriel Marcel, le père Mambrino, Jean Mauduit, Roger Richard, José Van den Esch.

18 Cet agrégé d’histoire avait assez vite abandonné l’enseignement pour se consacrer à l’écriture. Il avait débuté sa carrière d’écrivain catholique pendant la guerre en rédigeant une Histoire sainte tirée à plus de deux cent cinquante mille exemplaires et un Jésus en son temps publié chez Fayard qui avait connu un énorme succès. Par la suite, l’auteur avait pris la direction de la nouvelle revue Ecclésia. Voir « Daniel-Rops », dans Catholicisme et dans Dictionnaire des intellectuels, op. cit. et « Fayard », dans Dictionnaire des intellectuels, op. cit.

19 Minutier 1951-1952, ARMA.

20 Lettre du père d’Ouince au père Provincial, 1947, p. 2, dossier « Études. Paris 1945-1947 », AFSJ.

21 Michel Winock, « Esprit ». Des intellectuels dans la cité, op. cit, p. 256.

22 Seuls deux cahiers sont boudés : celui sur la jeunesse (1293 invendus en 1963) et le second consacré à la justice (1163 invendus). D’après la liste établie en 1963, ARMA.

23 Annie Cohen-Solal à propos de la revue des Temps modernes, dans Jean-Paul Sartre, 1905-1980, Gallimard, « Folio Essais », 1985, p. 177-178.

24 Première mention de ce projet dans une lettre de Robert Barrat à Stanislas Fumet, 22 septembre 1952, p. 1, ARMA.

25 Lettre de Robert Barrat à Georges-Hubert de Radkowski, 11 mai 1953, p. 1, ARMA.

26 Georges-Hubert de Radkowski à Mgr Baron, 30 septembre 1953, p. 1, ARMA.

27 Liste des sujets dressés en 1953 avec la liste des potentiels rédacteurs, minutier 1953-1954, ARMA.

28 Daniel-Rops rappelle également l’initiative du CCIF et la récupération du projet par Fayard. Voir son article « Une initiative catholique de France », dans Carrefour, 8 mai 1957.

29 Stanislas Fumet à Daniel-Rops, copie, 1er octobre 1955, dossier « Correspondance », Papiers Fumet, BN. Voir également le témoignage de Jean-Marie Paupert dans Péril en la demeure, Éditions France- Empire, 1979, p. 150-154.

30 Voir sur cette traversée du désert, l’article déjà cité d’Étienne Fouilloux.

31 18 janvier 1954, p. 1, minutier 1953-1954, ARMA.

32 La liste qui suit présente les invités des trois colloques. Une soixantaine de personnes fut sollicitée, une quarantaine se réunit rue Madame.

33 « J’aurais été heureux d’y participer. Maintenant la situation est vraiment trop confuse en ce qui me concerne » écrit-il à l’abbé Berrar, 23 décembre 1950, p. 1. Il vient en 1953 pour le colloque sur le péché originel.

34 Né en 1900, un des meilleurs représentants de la théologie transcendantale soucieux de relire la doctrine traditionnelle aux nouveaux courants de pensée. Il enseigne à Louvain.

35 Aumônier du groupe Laënnec.

36 Né en 1904, il enseigne la théologie à Innsbruck. Il met à profit ses connaissances kantiennes et heidegeriennes pour établir un chemin théologique nouveau et original.

37 Louis-Bertrand Geiger est dominicain, il défend une ligne thomiste classique.

38 Né en 1908, il est l’ami de Jacques Maritain et développe une pensée thomiste classique.

39 Dominicain de la province de Toulouse, il avait été en 1946 à l’origine, avec les pères Labourdette et Bruckberger, d’une querelle sur la nouvelle théologie. M. Labourdette, M.-J. Nicolas, J. Bruckberger et varii auctores, Dialogue théologique, pièces du débat entre « La Revue Thomiste » d’une part et les R.R. P.P. de Lubac, Daniélou, Bouillard, Fessard, von Balthasar, SJ, d’autre part, Les Arcades, 1947, 151 p.

40 De La Vie spirituelle.

41 Roger Aubert est né en 1914, historien de l’Église (il enseigne à l’Université de Louvain), il s’intéresse tout particulièrement à l’histoire contemporaine et donne à cette matière une autorité scientifique.

42 Professeur de philosophie à la Faculté de théologie de Lille.

43 Né en 1901, théologien du diocèse de Dijon au carrefour de la philosophie et de la théologie, il trace une voie réflexive soucieuse de prendre en compte les questions que posent les nouveaux courants philosophiques en définissant une phénoménologie de la foi.

44 Enseignant à l’Institut catholique de Lyon.

45 Né en 1891 à Genève, il est professeur de théologie dogmatique au grand séminaire de Fribourg et directeur de la revue Nova et Vetera. C’est un fidèle de Jacques Maritain.

46 Carme et membre de la communauté d’Avon, consulteur du Saint-Office.

47 Assomptionniste, directeur du journal La Croix.

48 Professeur à l’Institut supérieur de philosophie de Louvain.

49 Né en 1918, théologien hispano-indien au carrefour des cultures et des religions.

50 Né en 1906, excellent connaisseur de la phénoménologie husserlienne et heidegerienne, il cherche à établir des ponts entre le message chrétien et ces nouvelles formulations philosophiques.

51 Abbé Duméry à l’abbé Berrar, 23 décembre 1950, p. 1, « dossier journées 20-20 janvier 1951 », AEBE.

52 Né en 1913, professeur à l’Université de Strasbourg, influencé par Gabriel Marcel, Edmund Husserl et Karl Jaspers.

53 Liste des invités et exposés des quatre conférenciers, carton CUC-CCIF, « CCIF 1948-1975 », APC.

54 RD 13, supplément théologique, février 1951, p. 1-8.

55 La crise des prêtres-ouvriers est à son paroxysme.

56 « Foi théologale et phénoménologie », brochure spéciale du supplément théologique et philosophique, septembre 1951, 40 p.

57 Voir à ce sujet François Bedarida, « Les intellectuels français et le Vatican en 1952-1953, un épisode inédit », dans Mélanges André Latreille, Lyon, 1972, p. 243-253. Les Français sont l’abbé Bonnet, l’abbé Chavasse, Étienne Borne, le père Dubarle, Joseph Folliet, Jean Guitton, Robert d’Harcourt, André Latreille, Alfred Michelin, Henri Bédarida, le père d’Ouince, André Lichnerowicz et le père Rouquette.

58 Étienne Fouilloux, Les catholiques et l’unité chrétienne du xixe au xxe siècle, itinéraires européens d’expression française, op. cit., p. 885.

59 Étienne Fouilloux titre ainsi l’après-guerre dans Les catholiques et l’unité chrétienne, op. cit., p. 523.

60 Le premier est né en 1914, il est dominicain, aumônier de la Ligue Missionnaire des Étudiants de France, spécialiste de Maxime le Confesseur et des liturgies d’Orient. Il participe au Cercle saint Jean-Baptiste, cercle fondé par Mère Marie de l’Assomption et le père Daniélou pour œuvrer au renouveau missionnaire. Voir à ce sujet Françoise Jacquin, L’histoire du Cercle saint Jean-Baptiste : l’enseignement du père Daniélou, Beauchesne, 1987, 271 p. Le deuxième est né en 1920, il s’intéresse à la théologie orientale.

61 Centre d’études œcuméniques fondé par le père Dumont dont la vocation est d’abord de reconstituer l’unité perdue avec les orthodoxes et qui peu à peu s’ouvre au dialogue avec l’ensemble des chrétiens.

62 Il a rédigé une thèse sur Avvakum et les débuts du Raskol. La crise religieuse au xviie siècle en Russie, en 1938. Voir Étienne Fouilloux, Les catholiques et l’unité chrétienne du xixe au xxe siècle, itinéraires européens d’expression française, op. cit, p. 391.

63 Robert Barrat à Henri-Irénée Marrou, 22 octobre 1952, ARMA. Malheureusement ces réunions n’ont laissé aucune trace.

64 Théologien protestant né en 1902, spécialiste du Nouveau Testament.

65 Né en 1906, secrétaire puis directeur de la collection Sources chrétiennes dont la vocation est de publier des auteurs de l’Église primitive avec un appareil critique important.

66 Robert Barrat au père Moubarak, 20 novembre 1952, p. 1, ARMA.

67 Moine d’Amay-Chevetogne avant la guerre qui part ensuite à Alexandrie. Voir Étienne Fouilloux, Les catholiques et l’unité chrétienne, op. cit., p. 404-406 et 664.

68 Robert Barrat au père Dalmais, 27 janvier 1953, p. 1-2, ARMA.

69 Étienne Fouilloux, Les catholiques et l’unité chrétienne, op cit., p. 683.

70 Étienne Fouilloux, Une Église en quête de liberté, op. cit., p. 297.

71 Étienne Fouilloux, Les catholiques et l’unité chrétienne, op. cit., p. 611.

72 Voir infra.

73 Lettre circulaire du 24 mars 1952, p. 1, « Dossier SIC 1952 », ARMA.

74 Ouvrage de R. Egenter sur la liberté : Freiheit der Kinder Gottes.

75 10 pages, 16 avril 1952, « Dossier SIC 1952 », ARMA.

76 Lettre circulaire du 16 février 1955 qui présente le projet, 2 p, « Dossier SIC 1955 » ARMA.

77 Pour plus d’informations, voir Claire Toupin-Guyot, op. cit., p. 167-168.

78 Voir « Tableau des intellectuels étrangers venus aux SIC (1952-1957) », Claire Toupin-Guyot, op. cit., p. 168.

79 Circulaire, p. 1, « Dossier SIC 1955 », ARMA.

80 Journaliste à La Quinzaine puis à La lettre. Ses positions philocommunistes lui valent des difficultés avec la hiérarchie catholique.

81 Né en 1913, secrétaire de rédaction à La France catholique il est également directeur de la Nouvelle Librairie de France où il publie une Histoire du Peuple français.

82 Né en 1913, il est une des figures majeures de la sociologie marxiste.

83 Né en 1925, il travaille sur la société industrielle. Il devient, à partir des années 1960, un des chefs de file de la sociologie française.

84 Philosophe spécialiste de Rousseau et de la temporalité. Il a participé à l’aventure de la revue Dieu vivant. Il joue un rôle dans les instances dirigeantes du protestantisme et travaille au dialogue interreligieux.

85 Pour plus d’informations voir la liste des membres invités aux séances de l’après-midi, Claire Toupin-Guyot, op. cit., p. 170-171.

86 Voir infra.

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Titre Tableau des intellectuels venus au moins 5 fois (1952-1957)
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