Les chemins de la peste
|Chapitre VIII. L'argument épidémiologique des foyers familiaux
Texte intégral
1On l'a dit, depuis 1900, les observations des « bouffées familiales » avaient fait beaucoup pour accréditer l'idée de la dangerosité de la puce de l'homme. G. Blanc et M. Baltazard ne négligèrent pas cet aspect épidémique dans leur enquête marocaine. Il forme un de leurs arguments secondaires majeurs.
Les bouffées familiales au Maroc (1930-1941)
L'enchaînement des cas
2Comme leurs prédécesseurs, G. Blanc et M. Baltazard appuient eux aussi leur théorie d'une transmission par la puce humaine sur l'observation des chapelets de cas enchaînés de malade à visiteur.
3Mais en réalité une étude attentive de ces enchaînements révèle des impossibilités notables qui interdisent, dans la majorité des cas, de songer à la puce de l'homme comme vecteur.
4Pour assurer une transmission d'homme à homme, rappelons que Pulex irritans ne peut se contaminer que sur un pestiféré en phase terminale septicémique. Elle ne dispose, comme mode d'infection, que de la seule transmission mécanique de macro-masse, dans les trois jours suivant la pollution de sa trompe (à l'exception de 0,19 % de capacité de blocage, dans une conjoncture exceptionnelle). Dans ces conditions, le délai écoulé entre le décès de la première victime et l'apparition de la maladie chez son « contact » est donc au minimum de 1 à 2 jours (avec piqûres en masse immédiates et incubation très rapide chez la nouvelle victime), en moyenne de 4 à 5 jours, à l'extrême limite de 9 jours (avec piqûres dans les trois jours et durée d'incubation maximale et rare de 6 jours chez la nouvelle victime). Soit, entre le décès d'un homme et le second décès consécutif au premier, un délai maximal de 24 jours et minimal de 6 jours (à l'extrême rigueur de 3 à 4 jours, en admettant une incubation d'1 jour et une évolution mortelle très rapide et très rare de 2 à 3 jours). Hors ces délais, il n'est pas envisageable que la contamination se soit opérée d'homme à homme par ses propres ectoparasites : en deçà de 6 jours d'écart entre le premier décès et le (ou les) décès consécutif, l'atteinte nouvelle est nécessairement le fait d'une contamination simultanée par le même lot de puces et non pas d'un passage enchaîné d'homme à homme. Au delà de 24 jours d'écart entre les décès successifs, il ne peut s'agir que d'une contamination par une puce de rongeur apte à conserver ou à développer son pouvoir vectoriel dans le temps.
L'épidémie de l'azib el Guarnia et du douar Moulay Djilali Laïdi
5La petite épidémie de 23 cas observée par le Dr Duthu en 1941, amorcée à la petite ferme de l'azib el Guarnia, fait partie des épisodes cités en faveur du rôle de la puce de l'homme. Son examen détaillé fournit pourtant des exemples nets d'impossibles transmissions interhumaines via Pulex irritans :
Arkia bent Lahoucine, du douar Moulay Djilali Laïdi, se rend à l'azib el Guarnia à l'occasion du décès par peste de sa parente Adda Soussia, morte le 13 février, et rapporte de son voyage un lot de vêtements. Elle meurt dans son douar le 20, et ses puces humaines n'ont donc pu s'infecter sur elle que ce jour. Puis, cinq personnes ayant été en contact avec elle meurent, dont une le 23, une le 24 et deux le 25, soit trois à cinq jours après son décès. Ses contacts succombent donc dans un délai extrêmement court. Le décès survenu le 23, particulièrement, ne peut en aucun cas découler de la morsure des puces humaines infectées de Arkia bent Lahoucine. Force est donc d'admettre que, lors de son retour au douar, le 14 ou le 15 février, les vêtements rapportés par Arkia bent Lahoucine renfermaient des puces déjà infectées, aptes à transmettre la maladie dès cette date, dix jours avant le décès des contacts. Bien sûr, on peut envisager que ces puces importées aient été des puces humaines, déjà infectées sur sa parente Adda Soussia à l'azib el Guarnia. Mais Pulex irritans transmet mécaniquement en macro-masse, avec des lots en moyenne minimaux de plus de 400 insectes. Il faudrait donc admettre, puisque cinq personnes et Arkia bent Lahoucine elle-même ont été atteintes, que les vêtements renfermaient au minimum quelque 2400 puces humaines infectées, s'étant réparties sur cinq personnes dès son arrivée, c'est-à-dire que sa parente, Adda Soussia, portât sur elle et dans ses habits ces 2 400 puces, qui l'auraient toutes piquée lors de son agonie. Si ce processus est envisageable, il est évidemment très extrême. De loin plus probable est qu'Arkia bent Lahoucine ait importé quelques puces de rat infectées, aptes à transmettre individuellement, et qu'elles se soient distribuées lors du partage des habits au douar Moulay Djilali Laïdi.
L'épidémie de la Chaouïa
- 1 J. Gaud, 1931, op. cit.
6La démonstration de l'impossible rôle de la puce humaine est tout aussi probante s'agissant de l'épidémie marocaine de la Chaouïa, observée par Gaud en 19301, elle aussi à l'origine de la théorie de la contagion via Pulex irritans :
- 2 G. Blanc et M. Baltazard, 1945, op. cit., p. 180.
Rheija bent Ahmed quitte son village avec sa mère pour faire le sarclage et la moisson dans la région des Ouled Saïd, où des cas de peste se produisent. Nul ne met en doute que, dans ce contexte de moissonnage, la jeune fille fut contaminée par des puces de rat attirés sur les lieux par les céréales. En effet, ainsi que le notèrent par la suite G. Blanc et M. Baltazard, les rats abondent hors des douars et des fermes, dans les champs de céréales où ils font ample provision de grains qu'ils entassent dans leurs terriers. De sorte que, la moisson, qui envoie les hommes aux champs et le glanage qui y amène les femmes, favorisent la contamination par les puces, qui abandonnent les cadavres des rats, ainsi d'ailleurs que la pratique qui consiste à envoyer les enfants démolir les terriers où ils récupèrent d'incroyables quantités de grains2
Des cas de peste ayant été signalés dans la région, il est hors de doute que les deux femmes contractèrent la maladie aux champs, par l'intermédiaire de puces de rat. Revenues dans leur douar libre de toute épizootie, elles n'en portent pas moins sur elles, outre des puces d'homme, des puces de rat infectées.
La jeune fille tombe malade sur le chemin du retour, arrive à son douar Hadadja le 10 et meurt le 18. Ses puces humaines ne purent donc s'infecter et la quitter qu'à cette date, le 18. Or sa voisine, Zohra bent Moussa, qui venait la visiter, meurt le 20, puis le père de cette dernière le 22. Il est inenvisageable que Zohra et son père aient pu être contaminés par des puces humaines ayant quitté Rheija le 18, ce qui donnerait une impossible incubation et évolution mortelle en deux jours pour Zohra et en deux ou quatre jours pour son père. En revanche, la jeune fille étant rentrée malade au village dès le 10, c'est à compter de cette date que son amie Zohra put être infectée par une morsure de puce, et nécessairement par une de ces mêmes puces de rat qui avaient contaminé au préalable son amie dans les champs. Le cas de Rheija signale donc une importation de quelques puces de rat infectées. Dans ce douar, l'épidémie fait sept cas et s'arrête.
L'épidémie de la région des Aït Immour
7Ce sont de tels exemples qui incitèrent Blanc et Baltazard à rassembler d'autres observations au Maroc visant à démontrer la justesse de l'hypothèse d'une transmission par Pulex irritans. Leur terrain d'étude fut la région des Aït Immour, à l'ouest de Marrakech, où la peste sévissait en 1940.
- 3 C’est-à-dire Rattus rattus alexandrinus, le Rat d’Alexandrie, sous-espèce de Rattus rattus.
- 4 C’est-à-dire le Rat noir, Rattus rattus rattus.
- 5 G. Blanc et M. Baltazard, 1945, op. cit., p. 180, 182.
8Le contexte, pour le moins, n'est pas sans rats ni sans épizootie. Les auteurs notent qu'à cette époque, et surtout dans la région de Marrakech, se produisait une extraordinairepullulation de rongeurs, ravageant les récoltes, minant les sols (au point que le terrain d'atterrissage de Marrakech avait dû être interdit), obligeant les pouvoirs publics à mettre en place un plan de dératisation en même temps que partout, sur les routes et jusque dans les cours des maisons, ils pouvaient voir des rats malades se traîner et mourir. [...] Il n'est pas de maison, ajoutent les auteurs, si propre et si bien entretenue soit-elle, pas de noualla, où ne s'ouvrent un ou plusieurs terriers de rats. Alexandrinus3 et Rattus4 vivent en commensalisme absolu avec l'homme, circulant dans les cours, les silos, les chambres, forant leurs galeries à travers les murs de terre et sous le sol battu des pièces5. Peu de temps après cette pullulation, la peste humaine faisait son apparition.
9Les sondages effectués par les deux chercheurs montrèrent la présence de la peste murine dans la région prospectée mais l'indice enzootique n'était alors pas très élevé.
10Un réexamen attentif des « bouffées familiales » décrites par G. Blanc et M. Baltazard dans les 29 douars, azibs ou fermes prospectés, et devant confirmer à leurs yeux la responsabilité de la puce de l'homme, frappe surtout par la contagiosité très réduite et l'impossibilité fréquente que la maladie ait été transmise via Pulex irritans en raison, une fois encore, de délais soit trop courts soit trop longs écoulés entre les décès successifs :
Notons par ailleurs que les chercheurs étaient appelés par le médecin dès qu'un décès était signalé et que l'entrée de la maison était interdite à la famille du mort, ce qui rend possible des contaminations dans la maison même, mais des passages interhumains très improbables lorsque les cas se produisirent dans des maisons différentes, dès l'instant où le principe rituel de la veillée mortuaire était proscrit. Ces précautions prises tant avec le cadavre qu'avec ses vêtements (non distribués), ont certainement limité l'épidémie, mais n'auraient pu empêcher des propagations au sein même de la maison touchée.
On ne dispose malheureusement pas d'information concernant l'origine du premier cas : visiteur d'un malade revenant au village, homme, femme ou enfant de retour des champs ?
Sur 22 localités retenues présentant des cas de peste confirmée et où le ou les malades sont morts sur place et non au lazaret, permettant de la sorte une propagation de la maladie, on en relève 11 où ne s'est produit qu'un seul décès, sans suite pour les habitants de la maison ou du village (dans deux localités, deux cas étaient survenus, dans des maisons différentes, mais une seule personne était morte au village, l'autre malade ayant guéri ou étant mort au lazaret. Dans une troisième localité, le deuxième décès est celui d'un nourrisson qui meurt de peste non confirmée dans une autre maison, où les parasites récoltés (35 Xenopsylla et 5 Pulex broyées) n'infectent pas le cobaye.
Dans 4 localités, il ne s'est produit que deux décès, sans suite pour les autres habitants. Ces morts ont toutes eu lieu dans des maisons différentes. Dans tous ces cas, il est impossible d'imputer le deuxième décès à une infection issue des puces humaines du premier mort : ainsi, à la zaouia de Sidi Ali Raïssi, la première victime meurt au lazaret, la seconde deux mois et demi plus tard au village, écart bien trop long pour envisager l'action de puces humaines. A l'azib Hamara, le premier décès survient le 24 janvier, le second le 24 février, un délai là encore beaucoup trop long pour imputer le second aux puces d'homme de la première victime. A l'ouled Aguilid, deux femmes meurent dans deux maisons différentes, le 26 et le 27 janvier, sans qu'elles aient donc pu s'infecter l'une l'autre. A l'ouled Allouch, un homme décède le 30 janvier. Sa voisine est déjà alitée depuis six jours et n'a donc pu contracter la peste de son voisin.
Dans 6 localités sur les 22, ont lieu entre 4 et 14 décès :
- Au douar Maouch, Miloud meurt le 6 novembre. Son fils Mustapha échappe aux recherches, revient habiter treize jours dans la maison, puis tombe malade le 20 novembre, soit 15 jours après le décès de son père, temps d'incubation beaucoup trop long pour être imputé à des lots de Pulex irritans passés du père au fils. En revanche, il est tout à fait possible que Mustapha ait été piqué par des puces de rat infectées demeurées dans la maison paternelle. Il guérit et ne peut donc communiquer aucune puce humaine pestigène à son entourage. Le 21, le décès d'une femme dans le douar pourrait être théoriquement imputé au père, mais elle habitait une autre maison et, ainsi qu'on l'a dit, les visites au mort furent proscrites dans ce contexte sous surveillance.
- Au douar Bou Riel, 4 décès ont lieu entre le 19 et le 25 décembre, dans quatre maisons différentes, ce qui rend très improbable un passage de puces humaines entre ces victimes (sauf dans le cas minimal d'une incubation de 1 jour et de maladies toutes très courtes de 2 à 4 jours pour chacune d'elles, et en supposant là encore que des visites aient pu être rendues). Une contamination multiple simultanée en est plus certainement la cause.
- Au douar Ben Aïssaoui, 8 cas se produisent, dont 6 décès : 2 surviennent en même temps dans une même maison, 2 autres également ensemble dans une autre maison. Il s'agit donc là encore de contaminations simultanées et non pas de passages en chaîne de l'un à l'autre malade. Dans la troisième maison infectée, 4 personnes meurent en l'espace de 4 jours, décès donc non attribuables à une transmission par la puce humaine, et 2 autres tombent malades. Ces deux derniers cas (mais on ne connaît pas la date du jour de l'apparition de la maladie), pourraient seuls être théoriquement imputés aux puces des précédents morts.
- Au douar Raqueb, on compte 4 cas, dont 2 mortels. Là non plus, une transmission interhumaine n'est pas envisageable : le premier décès a eu lieu 17 jours avant que la sœur de la victime ne déclare la maladie, temps d'incubation trop long pour impliquer la puce d'homme. Les trois cas « en chaîne » survenus dans la maison d'en face ne sont pas non plus reliables entre eux par cette puce : en effet, Hadda meurt le 10 janvier. Son frère, malade, reçoit du sérum le 28 janvier. En admettant que la maladie se soit déclarée le 25, l'incubation est trop longue entre le décès de Hadda et l'atteinte du frère. De même, la mère tombe malade le 18 février : elle n'a pu contracter l'infection des puces humaines de son fils, puisque guéri, ni de celles de sa fille, décédée cinq semaines plus tôt. Il est donc beaucoup plus certain que quelques puces de rongeurs infectées avaient investi cette maison, y faisant trois victimes.
- A l'ouled Bousseta, on compte 8 décès. Les deux premiers surviennent dans la même maison à « quelques jours » d'intervalle. La seconde victime meurt le 29 janvier. Les deux cas suivants, Thamo et Zohra, simultanés, ont lieu dans une autre maison le 3 février, soit plus d'un mois après, et ne peuvent donc être reliés aux cas précédents, via la puce humaine. Dans une autre maison succombent successivement 4 personnes, le 6, le 11, le 12 et le 14 février. La première victime, Hamid, n'a pu prendre l'infection des puces humaines de Thamo et Zohra, décédées 3 jours plus tôt (délai trop court). On peut envisager théoriquement que les trois victimes suivantes aient pu être infectées par les puces humaines de Hamid, mais en supposant pour les deux premières des temps d'incubation et de maladie très courts.
Enfin, 14 cas ont lieu au douar Aït Attman Heusseine et à la zaouia de Sidi Zouine :
- Au douar Aït Attman Heusseine, 4 personnes sont malades en même temps, dont l'une meurt le 24 novembre, alors que se déclarent trois nouveaux cas, et un autre le 25. Cette simultanéité interdit de proposer des passages de puces humaines entre ces huit personnes, mais suggère une contamination groupée due à un lot de puces de rat contaminées.
- A la zaouia de Sidi Zouine, on relève 14 décès. Il faut noter que ce village, où le nombre de victimes paraît élevé en comparaison de ce qu'on observe dans les autres localités, compte 3000 habitants. Ces 14 décès ont lieu dans huit maisons différentes et dans deux cellules. La première victime décède le 14 décembre et la seconde le 24 janvier, après un délai bien trop étendu de 42 jours pour admettre un passage de puces humaines de l'une à l'autre. On peut envisager pour les décès suivants, qui s'échelonnent entre le 7 février et le 23 mars, des transmissions entre maisons différentes (mais rien n'est indiqué, là encore, sur les éventuels liens de famille et visites, en principe interdits). Dans la maison où se produisent 4 cas, la mère est décédée 8 jours avant que ses enfants ne soient touchés, ce qui rend une transmission par Pulex irritans théoriquement possible, ainsi que pour deux voisins atteints en même temps.
11On le voit, sur l'ensemble des villages analysés, très rares sont les cas où il est possible d'admettre une transmission par les puces humaines. Pour la majorité des décès survenus, les délais trop courts ou bien trop longs écoulés entre les morts et l'apparition des nouveaux cas, ou bien la simultanéité des atteintes, interdisent d'envisager un passage en chaîne par la puce de l'homme, par transmission mécanique de macro-masse en trois jours.
12Cette épidémie marocaine observée par G. Blanc et M. Baltazard paraît donc fort mal illustrer les fameuses « bouffées familiales » via Pulex irritans, si souvent invoquées par eux, pas plus que celles antérieures du douar Moulay Djilali Laïdi ou de la Chaouïa. Au contraire, ces cas simultanés ou échelonnés dans un temps très court, ou bien séparés par plusieurs semaines, indiquent :
- soit des atteintes liées à l'importation, unique ou répétée, de quelques lots de Xenopsylla cheopis infectées dans le village, à partir des travaux aux champs, sans que la maladie se communique aux rats de la localité ;
- soit quelques morts de rats dans le village ou dans une maison, sans extension épizootique, déterminant des décès humains en nombre réduit.
13La présence de Pulex irritans et de poux en grand nombre dans les vêtements des morts n'a pas entraîné d'épidémisation dépassant au maximum 14 décès pour un bourg de 3000 habitants. Certes les conditions d'isolement des cadavres ne permettent pas d'analyser cette peste rurale comme on pourrait le faire d'une épidémie évoluant sans surveillance. Mais, telle que se présente la maladie dans la région des Aït Immour, elle n'évoque en rien une peste à allure épidémique, quelle qu'intense que soit l'infestation des habitants par des parasites humains.
14G. Blanc et M. Baltazard ont pourtant conclu que cette peste des Aït Immour revêtait, bien que limitée, l'aspect des épidémies « historiques » parce qu'elle était due à une transmission interhumaine viala puce de l'homme. Il est difficile de comprendre ce qui a pu, hormis leur conviction, les amener à choisir le parasite humain comme responsable de ces cas observés. En effet la puce de rat Xenopsylla cheopis était loin d'être absente de ces maisons marocaines.
La présence de Xenopsylla cheopis au Maroc et les « puces libres »
15Dans ces maisons, les récoltes de puces aux domiciles des pestiférés morts révéla en effet la présence de Pulex irritans mais aussi de Xenopsylla cheopis.
- 6 Ibidem, p. 184.
16Les Pulex irritans furent capturées grâce au piège Delanoë (large plateau à bords bas, en tôle émaillée blanche à demi rempli d'eau), aussitôt après l'évacuation du cadavre ou le lendemain, puis quatre ou cinq jours après, de sorte que les puces à jeun se précipitent en plus grand nombre dans le piège. Quant aux Xenopsylla cheopis,elles étaient facilement capturées, notent les auteurs, soit au rat blanc, soit mieux par triage des poussières du sol, spécialement des angles de la pièce où l'on trouvait d'ailleurs le plus souvent un trou de rat6.
17Ces récoltes livrèrent presque six fois moins de puces de rat que de puces d'homme : 3 594 puces capturées dans 52 maisons ou nouallas des 29 villages, azibs ou fermes, révélèrent 3 012 Pulex irritans pour 582 Xenopsylla cheopis. Les vêtements des morts (33 examinés) livrèrent 3 872 poux (moyenne de 117 par vêtement). Si cette capture montrait une nette infériorité quantitative des puces de rat, elle ne prouvait pas moins sa présence, en lots souvent infectés, dont G. Blanc et M. Baltazard ne tinrent curieusement pas compte dans leur interprétation de la transmission.
18D'autre part, ce plus faible nombre de Xenopsylla cheopis a été aisément remis en cause par G. Girard, démontrant qu'une technique de capture appropriée, différente de celle du piège Delanoë, était nécessaire pour récolter les puces de rat.
- 7 Dès le début de ses recherches, F. Estrade réalise l’extrême difficulté qu’il y a à attraper des X (...)
- 8 G. Girard, 1943, op. cit., p. 21-22.
19En effet, lors de l'enquête de G. Girard en terrain pesteux à Madagascar, les puces récoltées dans les cases des Malgaches avec le piège Delanoë étaient presque toutes des puces d'homme. Cette abondance, ajoutée à l'absence de véritable épizootie murine, plaidait à première vue en faveur d'une transmission par Pulex irritans. Mais, écrit G. Girard, nous devions nous orienter dans une autre voie après avoir pris connaissance des travaux de Hirst, King, Pandit aux Indes, confirmés au Sénégal par Cazanove et Advier, sur la présence à l'état libre, dans les débris de céréales, de X. cheopis, contrairement à l'opinion communément admise que les puces de rat vivaient constamment fixées sur leur hôte, à moins qu'elles ne fussent dans leurs terriers. Nous devions alors démontrer qu'il était possible, à l'aide d'un ingénieux appareil dû à notre collègue F. Estrade7, de trouver en quantité parfois prodigieuse, plusieurs centaines, des X. cheopis de tous âges, vivant librement dans les poussières des cases, à condition de les chercher là où il fallait. Et tandis que pendant 10 ans nous n'avions guère récolté que des P. irritans et des Ctenocephalus canis dans les maisons infectées, la nouvelle technique mise en œuvre par un personnel spécialement éduqué nous faisait recueillir au cours de 68 prélèvements effectués en 1934 dans les cases de villages infectées de peste humaine ou murine, ainsi que dans les magasins à riz y attenant, 1313 X. cheopis contre 158 P. irritans8.
- 9 G. Girard, 1977, op. cit., p. 260.
- 10 G. Girard, 1943, op. cit., p. 23.
- 11 G. Girard, « Considérations sur l’épidémiologie de la peste. Caractéristiques des centres endémiqu (...)
20De même qu'au Maroc, la peste était endémique à Madagascar, avec des apparitions saisonnières limitées (le nombre de victimes de peste à Madagascar, une des régions les plus touchées, loin derrière l'Inde, durant les quarante premières années du siècle, ne dépassa pas quelques dizaines de milliers9). Dans de nombreux hameaux se déclaraient un à deux cas sans suite, malgré l'infestation des maisons par P. irritans sans compter les punaises et les poux dont les Malgaches sont loin d'être exempts10. Et pourtant la peste n'était endémique que sur les hauts plateaux de la région centrale de l'île, les épisodes côtiers n'ayant été que transitoires. Or Xenopsylla cheopis n'est pas retrouvée dans les poussières des habitations au-dessous de 600 à 500 m d'altitude11.
- 12 F. Estrade, 1934, op. cit.
21On peut donc regretter que G. Blanc et M. Baltazard, en 1940, n'aient pas utilisé le piège élaboré par F. Estrade, dont le fonctionnement était publié depuis 193412, pour évaluer la densité réelle des Xenopsylla cheopis dans les maisons marocaines et fournir un compte-rendu objectif les concernant, ni mieux tenu compte des conclusions de G. Girard en milieu malgache pareillement infesté d'ectoparasites humains, également connues dès 1934 et 1935. Que les puces de rat aient été dès l'abord négligées comme vecteur par G. Blanc et M. Baltazard ne s'explique donc guère dans l'étude du cas marocain. Car non seulement elles sont présentes dans toutes les maisons marocaines, mais sans doute en bien plus grand nombre que ne le laissent croire les récoltes effectuées avec le seul piège Delanoë.
22L'existence des puces de rat libres étant connue en 1940 ainsi que le moyen de les piéger en nombre, c'est donc de manière assez subjective que Xenopsylla cheopis, en contexte d'enzootie murine, fut écartée du processus de transmission par G. Blanc et M. Baltazard au profit de Pulex irritans.
La peste au Maroc : peste faible ou « peste rurale » ?
La faible extensivité des pestes rurales marocaines
23Il était cependant embarrassant pour G. Blanc et M. Baltazard de conclure une étude mettant en avant Pulex irritans comme puce vectrice exclusive, avec pour terrain d'enquête des douars marocains infestés de puces humaines mais où l'épidémie était toujours restée très limitée, comme lors de celle de la Chaouïa ou celle observée par le Dr Duthu (23 cas sur 498 personnes exposées ; notons cependant qu'au cours de cette épidémie, des mesures d'isolement des contacts furent prises).
- 13 G. Blanc, 1956, op. cit., p. 547.
24G. Blanc lui—même reconnaît l'aspect très restreint des ces pestes rurales marocaines : A l'origine, toujours, l'épizootie et sa mortalité considérable qui libère un grand nombre de puces infectées. Peu de temps après commencent d'apparaître les premier cas humains, rares, sporadiques, et qui restent toujours isolés s'ils ne sont pas mortels. A partir des cas humains mortels, de petites bouffées épidémiques, mais limitées à la maison ou au groupe de maisons, sans extensibilité très grande. Peu souvent, des transports par l'homme à partir d'un tel foyer et la création d'un nouveau foyer limité. Ces foyers de maison ou de famille s'éteignent rapidement, de nouveaux foyers apparaissent, que l'on peut presque toujours centrer sur un cas unique antérieur, en général à coup sûr d'origine murine [...]13.
La puce humaine inefficace ?
25Cette auto-limitation de la peste marocaine se heurte à une sérieuse contradiction : s'il fallait en effet incriminer comme agent responsable les puces d'homme passant du cadavre aux personnes venues pour la veillée ou pour le partage des vêtements, au vu de la densité particulière de cette puce au Maroc, la chaîne de contagion serait pour ainsi dire sans fin, et exponentielle, de contact en contact, jusqu'à ce que la saison froide ou la baisse d'humidité entraîne la mort des puces et l'extinction de l'épidémie. Or ce n'est jamais le cas, du moins dans les épidémies observées depuis 1930 dans les douars. La contamination du douar Hadadja est particulièrement exemplaire, où la maladie fait cinq victimes puis, « sans s'étendre davantage », passe au douar voisin. Comment une telle fin a-t-elle pu avoir lieu si la très abondante Pulex irritans était le vecteur de la peste ? Avec Pulex, aucun argument ne se présente pour rendre compte du peu de durée et d'extensivité de ces bouffées épidémiques.
26En revanche, s'il s'agit d'une peste importée par un ou quelques lots isolés de puces de rat infectées, récoltées dans les champs, se distribuant dans la maison ou quittant le cadavre pour quelques personnes saines, on comprend aisément que, après quelques passages, le lot de puces infectées et bloquées achève rapidement sa durée de vie et disparaisse, l'épidémie s'éteignant alors de ce fait.
- 14 Ibidem, p. 547-548.
27G. Blanc contourne cette très notable difficulté en attribuant la faible extensivité de la maladie au caractère rural des contextes : C'est là le type de la peste rurale, à extension géographique lente et irrégulière, meurtrière par épisodes, mais à évolution lente. Il est facile de comprendre pourquoi la peste dans ses foyers ruraux, de village à village ou de ferme à ferme a une extension aussi faible, comparée à celle du typhus par exemple. Seuls les pesteux en état de septicémie, c'est-à-dire au stade agonique, incapables de se déplacer, peuvent infecter leurs ectoparasites. La contagion interhumaine est donc strictement limitée aux gens qui pénètrent dans la pièce mortuaire, ou à ceux qui manipulent ou se partagent les vêtements du mort, gens en général de la famille, de la ferme ou du village. Le transport des ectoparasites infectés à distance est donc pratiquement nul, à l'inverse de ce qui se passe dans le typhus, où l'individu en incubation ou en début de maladie, encore valide, véhicule déjà, dans ses déplacements, des ectoparasites infectés et leurs déjections. Mais si la peste rurale garde pratiquement toujours cet aspect de grande endémie ou, si l'on préfère, de petites épidémies juxtaposées, il est hors de doute que dans les grandes épidémies urbaines, celles-là même qui ont assuré à la peste sa réputation catastrophique, le rat et les puces jouent un rôle beaucoup plus effacé, et la transmission interhumaine passe au premier plan. Si la peste murine est presque toujours présente à l'origine de l'épidémie et même pendant celle-ci, l'entassement et la promiscuité des citadins, la multiplication des cadavres, créent, si le parasitisme humain est suffisant, une épidémie interhumaine en nappe à évolution foudroyante. C'est le type des grandes épidémies urbaines de l'antiquité et du moyen âge14.
La limitation des pestes urbaines marocaines
- 15 B. Parrenne, La troisième pandémie de peste (de 1894 à nos jours). Historique et incidence humaine (...)
28Si l'explication proposée par G. Blanc pour cette endémicité était exacte, on devrait donc assister dans les grandes villes marocaines à des épidémies « en nappe à évolution foudroyante ». Or ce n'est nullement le cas : aux faibles épidémies rurales correspondent dans le même temps de faibles épidémies urbaines. L'intensité des épidémies marocaines est affaire de date et non pas de contexte. Les deux fortes épidémies du xixe siècle sont attribuables, selon B. Parrenne, aux dernières manifestations de la deuxième pandémie : celle de 1799 fait 65 000 victimes à Fez, 20 000 à Rabat et 50 000 à Marrakech. Le xxe siècle ne connaît que trois épisodes dont seul le premier, la grande épidémie des Doukkala, est assez sévère, qui enlève en 1911-12 plus de 14 000 personnes. Elle est suivie en 1929-30 de l'épidémie de la Chaouïa, à point de départ urbain puis à dissémination rurale, qui cause de novembre 1929 à juin 1 930 152 décès sur 362 sujets atteints. Enfin, l'épidémie de 1940-1945 (celle partiellement observée dans les douars par G. Blanc et M. Baltazard), qui touche pourtant de grandes villes comme Agadir, Casablanca, Rabat et Marrakech, totalise environ 5 000 cas. Ainsi que l'expose B. Parrenne, l'incidence de la peste diminue à partir de 1930 au Maroc et les nombres de décès annuels enregistrés de 1940 à 1945 sont de 1 099, 2 337, 583, 393, 200, 828 (à Casablanca en 1945) et de 0 en 194615.
- 16 C. Sanguy, « Rapport sur l’épidémie de peste survenue à Casablanca en 1944 », Archives de l’Instit (...)
29On est donc très loin, dans ces grandes villes marocaines infestées d'ectoparasites humains, des « nappes à évolution foudroyante » prédites par G. Blanc et M. Baltazard pour les contextes urbains. L'épidémie de Casablanca de 1944, analysée par C. Sanguy, permet de se faire une idée plus précise de cette faible extensivité16. En 1944, 45 cas de peste avec 29 décès sont déclarés au Bureau d'Hygiène de Casablanca, auxquels il faut ajouter 33 décès suspects qui n'ont pas été déclarés. Casablanca totalise donc cette année-là 78 cas dont 62 décès.
- 17 hôtel traditionnel.
- 18 C. Sanguy, 1945, op. cit., p. 373-374.
30Les 33 décès suspects, dont une partie ne fut connue qu'après l'enquête, n'ont donc fait l'objet d'aucune mesure d'isolement. A partir d'eux, l'épidémie aurait largement pu se répandre dans la ville. Il n'en fut rien et la peste urbaine de Casablanca s'est donc révélée plus que mineure, bien qu'elle se soit développée en plus d'une dizaine de foyers différents. Cette peste est si limitée que parfois un seul individu est atteint dans un moulin, dans un fondouk17 ou dans une famille, alors que de nombreuses autres personnes, placées dans des conditions qui nous paraissent identiques, ne le sont pas. [...] dans le personnel ouvrier de certains établissements céréalistes [...], une ou deux contaminations, alors que cinquante à cent autres ouvriers avaient des occupations identiques, faisaient partie de la même équipe et, de plus, vivaient ensemble en dehors des heures de travail18.
31Toutes les conditions étaient ainsi réunies pour que la puce humaine, abondante à Casablanca, épidémise violemment la maladie au sein de cette population dense, de ces ouvriers partageant les mêmes logements. Pourtant rien de tel ne se produisit, bien au contraire. En analysant les détails de cette micro-épidémie, qui démontre à l'évidence l'incapacité de Pulex irritans à jouer un rôle de vecteur épidémique, la responsabilité du rat et de sa puce apparaît en revanche avec clarté. Les cas se déclarent chaque fois dans des lieux favorables à leur présence : dépôt de grains et de fourrage entouré de fumier et d'ordures, four où logent des chiffonniers, des clochards, fondoucks des plus insalubres, où toutes les causes de pullulation de rats sont réunies, moulins, entrepôt de laine et de tapis où la promiscuité de l'homme et du rat était « au maximum », logement d'un matelassier, d'un travailleur portuaire, de fripiers, de boulangers.
32Cette limitation des pestes marocaines du xxe siècle, dans les villages comme dans les villes, indique assez clairement que Pulex irritans n'y épidémisa pas la maladie. Si seule la puce de rat est donc en cause, la faible extension de la maladie ne pourrait s'expliquer que par une tout aussi faible extension parmi les rats.
Faiblesse de l'épizootie marocaine
- 19 Ibidem, p. 367.
33Et en effet, la faiblesse des épizooties est un fait alors remarqué au Maroc : l'épizootie murine n'est pas constatée à Casablanca en 1944 et l'enquête menée sur les rats capturés ne révèle pas de rats pesteux. On peut, écrit C. Sanguy, en se basant sur ces résultats, estimer que la population murine de Casablanca est restée indemne en 1944 dans son ensemble ; quelques colonies ont pu être infectées vraisemblablement par des apports extérieurs du bled, mais ces derniers n'ont toutefois jamais été suffisants pour la contaminer d'une façon massive19. Aussi, si l'origine des cas se situe toujours dans des zones insalubres, concentrant des grains, des chiffons, des papiers, des laines, des farines, là où la promiscuité homme/rat est intense, la quasi absence d'une peste murine empêche le développement d'une peste humaine, la mort des rats n'étant pas assez importante pour que leurs puces aient besoin de parasiter les hommes. Le fait que les quelques rats touchés n'aient pas contaminé les rats de Casablanca milite en faveur de leur immunité, amorcée depuis le début du siècle. Cette résistance des rats est sans doute également à l'origine de la limitation de la peste dans les villages. G. Blanc et M. Baltazard avaient d'ailleurs noté eux-mêmes dans leur région d'enquête que l'indice enzootique n'était pas très élevé.
34Cette rapide revue des pestes au Maroc, en villes ou en villages, montre assez que la transmission via la puce de l'homme n'a pas joué le rôle que lui attribuent G. Blanc et M. Baltazard et qu'on est très loin, en 1930 ou en 1940-1945, des chiffres de mortalité de 1799. La faiblesse des épidémies qu'ils observent dans les douars est comparable à la faiblesse relevée à la même période dans les villes. Elle n'est donc pas le fait d'une basse démographie ni d'une absence de mobilité. Son explication tient au fait que l'épidémie humaine s'est exactement calquée sur le degré de l'épizootie murine : peu de rats touchés, peu de puces libérées, peu d'hommes atteints.
Peste rurale, peste urbaine
35Il importe de revenir enfin sur cette notion de « type même de peste rurale » qui, selon G. Blanc et M. Baltazard, resterait très limitée en raison de l'immobilité des malades agonisants, par opposition à la notion de « peste urbaine » qui, par effet d'entassement, déterminerait la vive allure épidémique.
36Il est bien évident que, dans les villes de l'Occident médiéval et moderne, la promiscuité, les contacts, mais aussi la nature du tissu urbain, les ruelles étroites, la juxtaposition des maisons au long des rues, permettant le passage des rats fuyant de greniers en greniers leurs congénères morts, l'accumulation des cadavres dans les rues et les maisons, favorisaient à l'extrême les transferts de puces, qu'elles soient de rat ou d'homme.
- 20 F. Hildesheimer, Fléaux et société : de la Grande Peste au choléra. XIVe-XIXe siècle, Hachette, Co (...)
37Il est également évident que les structures urbaines comprenant de vastes entrepôts de tissus, de laine, de grains, de papiers, des abattoirs, des boucheries, des tanneries, des marchés, ainsi que les désastreuses conditions d'hygiène publique, les latrines à ciel ouvert dans les ruelles, les multiples dépôts d'immondices encombrant les passages, les ordures jetées par les fenêtres, les rues non empierrées où stagnaient les eaux usées, offraient aux rats d'exceptionnelles conditions de pullulation, intensifiant grandement la violence des épidémies. Si bien qu'une peste urbaine prend souvent en effet un caractère de gravité accru par rapport à une peste rurale. Plus la ville sera grande, plus nombreuses seront ses structures « à risque », plus insoluble sera l'évacuation des immondices, plus abondants seront les rats, et plus forte sera l'épidémie. La ville devient une véritable nasse : A travers le lacis des venelles encombrées d'immondices, écrit F. Hildesheimer, dans l'entassement des maisons peu salubres, l'épidémie se propage malgré toutes les précautions prises, et la protection des murailles se transforme en piège mortel pour les habitants qui s'y trouvent renfermés. Non que l'épidémie épargne les campagnes, mais elle s'y dilue plus facilement. Du fait de la dispersion de l'habitat (comme de la moindre densité des sources) le phénomène épidémique y paraît moins frappant20.
38Mais l'histoire fournit assez d'exemples qui montrent que ce contraste n'est pas aussi creusé que l'entendent Blanc et Baltazard. Bien qu'il soit délicat d'avancer des chiffres trop précis pour l'Occident des xive-xviiie siècles, faute d'archives rurales nombreuses, l'écart de mortalité entre campagne et ville paraît environ du simple au double.
- 21 R. Fossier, « Aperçus sur la démographie médiévale », in : Population & démographie au Moyen Age, (...)
39Pour R. Fossier, évoquant les atteintes de la peste du xive siècle : C'est le niveau de la ponction qui fait problème, en raison des très grandes inégalités observées, quand on l'a pu, entre villes et campagnes [...] ; en parlant de 35 à 40 % de morts en ville, et de 5 à 20 % à la campagne, sur une période de cent ans, on sera sans doute dans les limites du plausible21.
- 22 C. Guilleré, « Nouvelles recherches sur les épidémies à la fin du xive siècle. L’exemple de Vic (C (...)
40Dans la petite ville de Vic (2100/2300 habitants), les registres de sépultures font apparaître, pour la grave crise de 1371, environ 9 % de décès par peste22.
- 23 J. Brossollet et H. H. Mollaret, 1994, op. cit., p. 74.
41Pour J. Brossollet, et H. H. Mollaret, on considère généralement que la mortalité fut du quart dans les villes et du huitième dans les campagnes23.
- 24 cité in : F. Hildesheimer, 1993, op. cit., p. 145.
42Pour A. Croix, la moyenne de mortalité rurale serait en Bretagne de 8 % à 10 % au xviie siècle, mais [...] l'irrégularité définit ce type de mortalité24.
- 25 J.-N. Biraben, 1975, op. cit., t. I, p. 299.
43On dispose de plus de chiffres pour l'épidémie de Provence de 172022, au cours de laquelle 80 % des décès se sont produits dans les villes de 5 000 habitants et plus. Selon J.-N. Biraben, les quatre villes de 10 000 habitants et plus sont dans les fortes mortalités (c'est également le cas d'Avignon [...]). Concernant les 20 petites villes de 2 000 à 9 999 habitants, on peut seulement dire que leur distribution est intermédiaire entre celle des paroisses rurales où les faibles mortalités dominent et celle des villes de 10000 habitants et plus25. Lors de cette peste, 17 % des localités perdirent plus de la moitié de leurs habitants et 34 % plus du tiers.
- 26 F. Stephan, 1987, op. cit., et J.-N. Biraben, 1975, ibidem.
- 27 A. Feroci, La peste bubonica in Pisa nel medio evo en nel 1630, Pisa, Nella Tipografia Vannucchi, (...)
44De manière générale, la peste suit donc indiscutablement une courbe plus faible en milieu rural qu'en milieu urbain. Mais si certains villages sont en deçà du seuil moyen, d'autres l'excèdent de loin. On ne peut ici qu'en donner quelques exemples significatifs : en 1720-22 en Provence, on relève ainsi une mortalité massive de 61,9 % à Corréjac (109 habitants), de 40 % à Saint-Frézal (110 habitants), de 41,5 % à Grèzes (400 habitants), de 32 % à Montrodat (500 habitants)26. Dans la campagne environnante de Pise en 1630-1631, on note également les chiffres très forts de 75 % de morts à Montemagno (362 habitants), de 67 % à Uliveto, Caprona e Noce (269 habitants), de 40 % à Lugnano (177 habitants), de 45 % à Vico Pisano (678 habitants), etc.27 Si la peste rurale est en moyenne plus faible qu'en ville, le fait n'est pas pour autant systématique.
- 28 J.-N. Biraben, 1975, op. cit., t. I, p. 131.
45Pour les villes, il faut également faire remarquer qu'après le xive siècle, le chiffre moyen de 35 % à 50 % de pertes donné par R. Fossier est trop fort, même si des villes ont en effet parfois perdu près de la moitié de leur population. Mais, pour ne citer que les plus célèbres, la grande peste de Moscou enlève en 1770-1771 26 % des habitants, la grande peste de Londres en 1665, 16 %. A l'inverse des exemples donnés pour la campagne, on trouve également quantité de villes à peine touchées, selon les épidémies, selon les années. Ainsi Tarascon qui ne vit que 3 % de ses 7 000 habitants succomber à la grande peste de 172128, quand d'autres villes proches en perdaient la moitié.
46La peste urbaine dans l'Occident médiéval et moderne est donc en général plus forte, du double ou parfois du triple, que la peste rurale. Le fait n'a rien de surprenant, pour les raisons que l'on a rapportées. Mais il faut garder à l'esprit que les atteintes réduites ne sont pas systématiques en milieu rural, pas plus que les ravages massifs ne le sont en ville.
Les bouffées familiales à Paris (1920)
47De la même manière que les pestes marocaines, les bouffées familiales de Paris avaient au début du xxe siècle contribué à renforcer l'idée d'une contagion par la puce de l'homme lors des veillées mortuaires. Rappelons qu'au début de ce siècle, le rite de la veillée mortuaire était systématiquement observé, dans tous les milieux sociaux, d'où l'attention des médecins à l'égard de cette pratique générale.
48Mais l'examen attentif de l'échelonnement des cas survenus à Paris révèle en réalité la responsabilité de la puce du rat et de nombreuses impossibilités pour un rôle actif de la puce humaine.
Les rats de Paris et les cas de peste
- 29 E. Joltrain, 1921, op. cit., p. 71.
49Cette peste, dont le premier cas rétrospectivement identifié date de 1917, éclate à Paris en mai 1920 et fait 92 cas confirmés (166 déclarations), dont 32 victimes sur les 44 cas non traités et 2 victimes sur les 52 cas traités29.
- 30 G. Gueniot-Le-Minor, 1981, op. cit., p. 66.
50Elle affecte surtout la bordure nord de Paris, le xviie et le xviiie arrondissements, puis la bordure est, dans les xixe, xxe et xie arrondissements. Elle fait également quelques victimes dans le centre et le sud, dans le IIe et le XVe arrondissements. Intra muros, on dénombre 51 cas. Elle atteint simultanément la couronne de la banlieue limitrophe du nord et de l'est, où elle fait 44 cas, à Nanterre, Levallois-Perret, Clichy, Saint-Ouen, Aubervilliers, Pantin, Bagnolet, Montreuil. Grâce aux vaccinations entreprises, aux mesures de désinsectisation et de dératisation et à l'immunité des rats d'Europe au xxe siècle, la peste de Paris fut donc très limitée, comme dans tous les ports européens depuis 1900 (cf. infra, « L'extension minime de la troisième pandémie en Europe »). Elle ne disparaît pas totalement après 1920, pas plus que les rats pesteux, puisque de 1921 à 1934 il y eut encore 45 cas humains en corrélation avec 159 cas de peste murine30.
51C'est le mode de propagation de la maladie, par contacts de famille ou de voisinage, qui orienta les soupçons sur le rôle de Pulex irritans dans la contagion.
- 31 Ibidem, p. 20-21.
52Pourtant, le facteur rat fut au premier plan de son déroulement. La maladie fut introduite sur les quais de la Seine par un ou plusieurs bateaux, et le premier cas eut lieu en décembre 1917 à Levallois-Perret, où [...] les mariniers y transportaient différentes denrées et du charbon provenant d'Angleterre, embarqués au Havre. Ce fut ainsi que des rats pesteux embarqués des ports d'Angleterre furent débarqués à Paris par l'intermédiaire des péniches qui remontaient la Seine du Havre à Paris. Les habitants de ce quartier avaient remarqué une augmentation inhabituelle du nombre de rats, et qu'un grand nombre d'entre eux mourait. Mais cette mortalité avait été attribuée à la campagne de dératisation entreprise31.
- 32 Ibid., p. 28.
- 33 Ibid., p. 29.
- 34 Ibid., p. 32.
- 35 Ibid., p. 25.
53Outre cette pullulation anormale de rats, facteur aggravant souvent noté à l'origine d'une épidémie, et la constatation d'une épizootie, cette peste frappa essentiellement des populations misérables, habitant des cités de taudis aux ruelles semées d'immondices, et vivant du commerce des vieux chiffons -d'où son nom de « Peste des chiffonniers ». L'enquête épidémiologique à la cité des Portes de Saint-Ouen, cité des chiffonniers, révéla l'état lamentable des habitations. Il y avait autour et dans les maisons des tas d'ordures et de chiffons. De nombreux rats vivants côtoyaient les rats morts, et les puces étaient très abondantes. Les habitants eux-mêmes étaient couverts de piqûres de puces. Dans cette cité, il y eut 7 cas de peste dont 2 décès, et 2 cas ambulatoires32. Même insalubrité à Levallois-Perret, et même milieu professionnel de chiffonniers. On sait combien les ballots de tissus attirent les rats, qui en usent pour y construire leurs nids : Dans la cour voisine de cette maison [atteinte] habitait Monsieur Pagenel, chiffonnier, qui y entassait ses chiffons. Certains de ces ballots étaient également déposés devant une maison en construction, se trouvant juste en face de la maison des Blin [...]. Dans cet entrepôt se trouvaient de nombreux rats et l'on remarqua même au début du mois de mai une véritable épizootie avec de nombreux décès parmi ces rongeurs33. Situation identique à Bagnolet : Le logement de Monsieur Dany faisait partie d'une cité de chiffonniers d'environ 300 personnes, identique, mais plus vaste que celle de Saint-Ouen. Des rats et des puces s'y trouvaient en grand nombre. Une épizootie eut lieu un mois avant la présence de cas humains34. A Clichy, les victimes sont également des chiffonniers ou des parents ou des relations de chiffonniers. Des cas humains peuvent pourtant se produire sans qu'on ait remarqué de cadavres de rats, comme à Glasgow : à Clichy, cité Bender, [...] le logement de la victime se trouvait en face d'une maison servant d'entrepôt de chiffons [...]. Par ailleurs, dans cette impasse, la présence de nombreux rats et de nombreuses puces avait été remarquée, sans toutefois que fût notée une épizootie35.
- 36 Ibid., p. 31.
- 37 Ibid., p. 40.
54Les concordances entre habitats dépourvus d'hygiène, amas d'ordures, décharges, entrepôts de chiffons, présence de rats et de puces et déclenchement de la maladie sont trop systématiques à Paris pour qu'on en dresse ici toute la liste. D'autant qu'il est important de noter que les chiffonniers de Clichy, de Levallois-Perret, de Saint-Ouen, se rendaient tous les jours à Saint-Ouen à « La Broyeuse », dépôt d'ordures ménagères de la ville, où ils récoltaient des chiffons qu'ils allaient ensuite revendre aux « chiffons en gros36 ». Les enfants de Nanterre allaient jouer dans une carrière à deux cents mètres de chez eux : Il s'y trouvait de nombreux détritus et les ordures de Puteaux et de Suresnes. On y voyait de nombreux rats et de nombreux cadavres37.
- 38 Ibid., p. 37.
- 39 Ibid., p. 38.
55A Paris intra muros, tous les cas recensés ont un rat mort pour origine : dans le XIe arrondissement, la victime avait ramassé dans sa cave des cadavres de rats, de même qu'une victime dans le XIXe. Dans le XVIIe, les victimes habitaient une maison où l'on avait remarqué de nombreux rats, jusque dans la cuisine et dans la chambre38. La première victime avait ramassé un cadavre dans la cuisine. Dans le IIe arrondissement, rue de la Paix, les deux persones atteintes travaillaient dans le sous-sol d'un hôtel, on l'on avait remarqué la présence de nombreux cadavres de rats39. Dans le XVe enfin, la victime travaillait chez un marchand de charbon arrivant par bateau.
- 40 H. Violle, 1921, op. cit., p. 16, dit à propos de Xenopsylla cheopis qu’elle fut trouvée en propor (...)
- 41 L. Tanon, « Le laboratoire de prophylaxie de la peste à la Préfecture de police », Annales d’Hygiè (...)
- 42 E. Dujardin-Beaumetz, « Le rôle pathogène des rats et la dératisation », Le Journal médical frança (...)
- 43 E. Joltrain, 1921, op. cit., p. 67.
56Très nombreux sont donc les éléments qui indiquent, à Paris, l'évidente relation entre le déroulement de la peste et la présence des rats et de leurs puces. A l'époque, les rats et leurs puces (en majorité des Nosopsyllus fasciatus mais parfois aussi des Xenopsylla cheopis dont on trouva quelques exemplaires40) furent naturellement incriminés, et plusieurs années de recherches furent consacrées à l'examen bactériologique et entomologique des rats de Paris et de sa banlieue, au Laboratoire de prophylaxie de la peste de la Préfecture de police de Paris41. En 1921, E. Dujardin-Beaumetz, de l'Institut Pasteur, publia un acte d'accusation contre le danger que représentait le rat et dressa la liste de tous les moyens urgents à mettre en place pour s'en défaire42. E. Joltrain constata que les populations les plus fréquemment atteintes sont celles qui vivent dans des conditions particulièrement défavorables d'hygiène, chiffonniers, habitant des masures malpropres, infestées de rats et de vermine. Il estima que le rat jouait un rôle prépondérant par l'intermédiaire de sa puce dans l'éclosion de la maladie. A cet égard, des exemples typiques, dont nous avons pu suivre l'enchaînement précis, prennent véritablement la valeur de faits expérimentaux43.
Critique du rôle de la puce de l'homme
57Mais E. Joltrain, en 1921, attribua une part des contagions familiales au transfert des Pulex irritans lors des veillées des morts.
- 44 G. Gueniot-Le-Minor, 1981, op. cit., p. 65.
58En 1981, les conclusions ambiguës de G. Gueniot-Le Minor sur cette peste de Paris tentent de faire la part entre les faits épidémiologiques, qui tous mettent en évidence la présence des cadavres de rats, et la théorie de G. Blanc et M. Baltazard. Aussi l'auteur incrimine-t-elle à la fois la puce de rat (désignée ici à tort comme Xenopsylla cheopis) et la puce de l'homme, responsable de la transmission interhumaine de la peste. D'autres ectoparasites, poursuit l'auteur, tels que les poux peuvent également être responsables de la transmission de la peste comme le démontrèrent Blanc et Baltazard44. La possibilité que des puces de rat aient pu parasiter ces victimes, constamment exposées aux cadavres des rongeurs par leur métier et leurs conditions de vie, n'est pas évoquée. Le fait que ces puces aient pu ensuite infecter les participants aux veillées mortuaires n'est pas non plus suggéré.
59Il est instructif d'examiner de près ces veillées mortuaires et ces bouffées familiales qui firent soupçonner la responsabilté de la puce humaine à Paris : car, au sein des familles touchées, on retrouve à nouveau, entre les décès et les nouvelles atteintes, ces délais trop courts ou trop longs qui interdisent d'incriminer le parasite humain :
- 45 Ibidem, p. 28.
A Clichy, dans la famille Rubietti qui subit 4 cas, le père déclara la maladie le 5 mai et en mourut le 16. Son fils la déclara 24 jours après, le 9 juin : il s'agit donc là d'atteintes nettement séparées, et non d'un transfert de puces d'homme entre les deux victimes.
A Levallois-Perret, une épizootie fut remarquée parmi les nombreux rats d'un entrepôt de chiffons. La capture d'un rat malade détermina deux cas presque simultanés (à un jour d'intervalle) dans la maison voisine.
A Clichy toujours, et dans le foyer le plus important de toute l'épidémie, celui de la famille Fournier dans la cité Hauptoul, les trois premiers cas se déclarèrent aussi presque simultanément, chez M. Fournier père et chez deux de ses voisins. M. Fournier père meurt le 23 juillet et sa femme tombe malade le lendemain du décès, suite à un délai d'incubation donc très court, mais possible. Elle décède à son tour rapidement et la veillée dut avoir lieu au plus tard le 27 juillet. Suite à la veillée des deux parents, le fils tombe malade le 29, sa femme le 30, une autre belle-fille le 31, la fille le 2 août, la petite-fille le 4, une seconde fille Fournier le 7, une troisième à une date non précisée. En outre, la jeune fille qui gardait chez elle l'enfant Fournier déclare la maladie le 31 juillet (suite au probable passage des parents venus récupérer leur enfant après la veillée). Ces 7 cas de famille sont tous reliables à la veillée mortuaire, ainsi que celui de la garde d'enfant infectée par une visite aussitôt rendue après la veillée. Aucune de ces victimes n'est décédée prématurément, et aucune n'a pu donc opérer un nouveau passage de puces sur un membre de la famille. Si bien qu'il faut admettre, dans le cas d'une transmission via Pulex irritans, que les puces ayant infecté tous les présents auraient toutes quitté le cadavre de Mme Fournier mère lors de la veillée (M. Fournier père étant décédé plusieurs jours plus tôt). Pour infecter huit personnes, il a donc fallu, en suivant notre estimation minimale à moyenne de 400 à 500 Pulex irritans nécessaires pour déterminer une transmission mécanique de masse, que 3 200 à 4 000 puces humaines aient quitté le cadavre de Mme Fournier mère, ce qui paraît à l'évidence un nombre considérable (ou 1 600 à 2 000 puces éventuellement distribuées entre le père et la mère). Face à ce chiffre exceptionnel, on relève des faits beaucoup plus simples : avant ou en même temps que la maladie des Fournier, deux cas se déclarent chez des voisins, l'un cité Hauptoul, au début juillet, l'autre dans la cité Bender voisine, le 20 juillet, (presque en même temps que M. Fournier père). Les deux victimes sont guéries par sérothérapie et n'ont donc pu infecter leurs puces. Dans le premier cas, la description de l'habitat est éclairante : il se trouve en face de l'entrepôt des chiffons des Fournier et, dans cette impasse, on avait noté la présence de nombreux rats et de nombreuses puces. Il est donc bien évident qu'une petite épizootie sévissait dans l'entrepôt de chiffons des Fournier, ayant déterminé trois atteintes entre le début du mois et le 20 juillet, et que des lots de puces infectées avaient ainsi été introduits dans leur logement. La fille de la concierge de la cité, qui avait été dans l'appartement des Fournier la veille de leur mort, tombe malade le 3 août, signe sans doute d'une assez grande quantité de puces présente dans la maison. L'élément rat et puce est donc clairement identifié dans ce cas comme dans les autres et il apparaît beaucoup plus logique d'attribuer les dix cas de peste de cette bouffée familiale à une vingtaine de puces de rat, importées du dépôt de chiffons, et passant sur les participants à la veillée, plutôt que d'envisager l'action de plusieurs milliers de puces d'homme quittant le corps des Fournier. On relève aussi qu'une des filles des Fournier, habitant le logement face à celui de ses parents, est tombée malade le 7 août, soit après un délai d'incubation trop long de 7 à 8 jours. Il est plus probable que cette autre transmission fut effectuée plus tardivement par les puces de rat ayant colonisé le secteur.
Les autres foyers familiaux furent encore plus réduits. Celui de Saint-Ouen présente un malade en juin puis, deux mois plus tard, trois cas simultanés dans une même famille, le 10 août. Un enfant en contact avec cette famille est atteint le 12 août, bien avant qu'aucun décès n'ait pu libérer des puces humaines infectées. Les autres cas sont non mortels. Il s'agit donc de 7 cas échelonnés ou simultanés, issus d'une même source d'infection. A Saint-Ouen, l'épizootie est même remarquée : [...] il y avait autour des maisons des tas d'ordures et de chiffons. De nombreux rats vivants côtoyaient les rats morts, et les puces étaient très abondantes. les habitants eux-mêmes étaient couverts de piqûres de puces45.
60La peste de la bordure de Paris peut être presque constamment reliée à l'activité directe des chiffonniers et aux épizooties se déclarant dans les entrepôts de chiffons. Le cas exemplaire de la veillée mortuaire de la famille Fournier (3 200 à 4 000 puces humaines éventuelles sur les deux victimes de la maison pour pouvoir déterminer les huit infections successives), démontre que la transmission par Pulex irritans relèverait de conditions de parasitisme exceptionnelles, là où une poignée de puces de rat, bel et bien existante au départ de la bouffée épidémique, suffit amplement à expliquer la contagion.
Faiblesse de l'épizootie de Paris
61D'autre part, et malgré les pratiques de vaccination (1 200 interventions), qui ne furent pas toujours acceptées par les personnes exposées, le caractère mineur de la peste de Paris est frappant. Dans les conditions d'insalubrité décrites et dans des milieux où la veillée mortuaire était de rigueur, on peut aisément concevoir que, si la puce humaine avait été vectrice, les ravages de la maladie eussent été bien plus étendus dans ces cités abritant plusieurs milliers de personnes vivant dans une grande proximité. L'auto-limitation de la peste de Paris, comme celle du Maroc, semble bien plus évidemment en rapport avec une faiblesse parallèle de l'épizootie, en effet constatée : L. Tanon a pu établir qu'en 1921, 1 rat sur 200 (0,5 %) était en moyenne infecté, et 1 sur 300 en 1922, où les cas humains furent rares. Les lots de puces infectées sur les cadavres des rats ne passaient donc qu'épisodiquement sur les hommes, déterminant une petite bouffée épidémique parmi les visiteurs de la maison touchée, jusqu'à « épuisement » de ce lot. Mais dans l'ensemble, le réservoir de rats résistants était si vaste que les puces trouvaient aisément un nouveau rat sain — qu'elles préfèrent toujours à l'hôte humain — sur lequel se porter, ceci expliquant le faible nombre d'atteintes.
62Ajoutons qu'il est en outre impossible que les chiffonniers aient pu être contaminés par des puces d'homme présentes dans les ballots de chiffons. Les entrepôts de chiffons de Paris ne servant pas de refuge à des pestiférés moribonds, il est impossible, si des Pulex irritans s'y trouvaient, qu'elles se soient trouvées infectées. Quant à d'éventuelles Pulex portées par les rats malades, elles étaient en trop petits nombres pour pouvoir transmettre à un homme maniant les ballots, puisque 60 à 80 piqûres de Pulex infectées par du sang de rongeur sont nécessaires pour contaminer un homme par transmission mécanique de masse.
63Ces éléments épidémiologiques (faiblesse de l'épizootie, faiblesse de l'épidémie, délais trop courts ou trop longs entre les décès, relation rats-chiffons-atteintes), convergent donc tous, dans la peste de Paris, vers la seule responsabilité de la puce du rat d'Europe, Nosopsyllus fasciatus.
Les bouffées familiales à Glasgow (1900)
- 46 M. van Ermengem, 1900, op. cit.
- 47 Ibidem, p. 639.
64Exactement de la même façon, la peste de Glasgow fit soupçonner par M. Van Ermengem46 la responsabilité de la puce humaine, en raison des bouffées familiales mais aussi de l'absence d'une épizootie visible47.
Les rats de Glasgow
65Le cas de l'épidémie de Glasgow n'est pourtant pas aussi convaincant que le voudrait Van Ermengem : Glasgow est un port et rien ne permet d'éliminer assurément les rats du processus, quand bien même on n'en retrouva pas de cadavres (la découverte des cadavres n'est pas toujours chose évidente, les animaux mourant souvent dans leurs trous, spécialement dans les pays froids, et particulièrement en période de très faible épizootie (cf. infra, « L'énigme de l'épizootie cachée »).
- 48 Ibid., p. 625.
66La peste de Glasgow s'étendit de début août à mi-septembre 1900 et toucha 34 personnes (27 cas officiels), causant 14 décès. Cette peste, accompagnée par des traitements par sérothérapie et des mesures d'isolement des contacts (mais pas de vaccination), fut donc presque cinq fois moins forte que celle de Paris en 1920. L'absence de rats morts visibles est donc ici d'autant plus compréhensible que la maladie fut extrêmement limitée et que l'enzootie fut donc sans nul doute très discrète. Ajoutons que lorsque le Dr Van Ermengem arrive à Glasgow, le 20 septembre, pour observer les lieux et procéder à l'examen des rats capturés, les atteintes de l'épidémie ont déjà cessé depuis quelques jours, le dernier malade s'étant présenté à l'hôpital la veille. Aucun nouveau cas ne surviendra48. Les chances pour Van Ermengem de découvrir lui-même des rats morts étaient donc nulles, et les témoignages éventuels de la micro-épizootie, remontant au mois de juillet, n'étaient plus immédiats.
- 49 Ibid., p. 627.
67Il est déjà certain, comme le note Van Ermengem lui-même, que l'introduction de la maladie se fit à Glasgow par voie maritime et donc, comme toujours, par l'intermédiaire des rats de navire et de leurs puces. L'enquête n'identifia pas avec certitude le bateau porteur mais « une affection s'accompagnant de tuméfactions ganglionnaires » avait sévi parmi l'équipage d'un bateau entré au port au mois de mai 1900. D'autre part la première famille touchée comptait un ouvrier des docks, qui mourut de peste. L'importation d'un lot de puces en provenance du port est donc probable dans cette première maison atteinte, celle de la famille Bogan, à Kingston. Ce quartier est éloigné du port et surtout habité par des familles d'ouvriers de manufactures (dont on ne connaît malheureusement pas le type de production). Enfin, il y loge, selon les termes de Van Ermengem, une population interlope, livrée à la prostitution et qui a pu donner asile bien des fois à des gens de mer49. La relation port-rats ou manufactures-rats est donc assez bien établie au départ de l'épidémie.
68Les cas survinrent dans trois foyers distincts de la ville et dans un quatrième en banlieue, à Govan, faubourg de Glasgow et lieu portuaire. Les trois premiers cas de la famille Bogan donnèrent lieu à 21 cas de voisinage. Le second foyer (2 ou 3 cas) se situe dans un quartier éloigné du premier et sans que les victimes aient été en relation avec les 24 premières. Le troisième foyer (1 cas), est également sans rapport avec les autres. Mais on sait que la jeune ouvrière atteinte travaillait dans une « manufacture de crins », un lieu tout désigné pour être infesté par des rats. On voit mal, sans l'intervention du rat et de ses puces, comment ces quatre foyers auraient pu se développer séparément.
- 50 Ibid., p. 627, p. 638.
69D'autre part on retrouve à Glasgow le facteur d'insalubrité. Les conditions d'hygiène décrites dans les maisons des victimes rappellent fortement celles des foyers de Paris ou de Barcelone, où l'infestation par des rats était notoire : Les premiers cas ont apparu [...] dans deux rues voisines, très populeuses et habitées surtout par des familles d'ouvriers de manufactures. [...] Plusieurs de ces maisons sont très anciennes, entre autres celle habitée par la famille Malloy [2e maison touchée] et qui passe pour une des plus insalubres du quartier [...]. Les maisons sont obscures, mal ventilées. Elles sont basses, peu spacieuses et surpeuplées. Mais ce qui frappe surtout le visiteur, c'est l'état de saleté qui règne à l'intérieur de certains de ces logements. Parmi les ménages les plus pauvres de notre pays, en ville comme à la campagne, nous n'en avons pas vu beaucoup d'aussi mal tenus. [...] Beaucoup de ces maisons ont des arrière-cours étroites et malpropres. Elles servent de réceptacles d'immondices de toute nature. Une particularité de ces habitations, c'est /'ash-pit, le trou aux cendres, situé au fond de la courette, où l'on déverse toute espèce d'ordures ménagères et qui sert souvent aussi de latrines. On ne nous accusera pas de calomnier Glasgow, puisque le service d'inspection [...] a relevé, en trois semaines, 670 maisons se trouvant dans un état de malpropreté insigne50.
L'enchaînement des cas
70Enfin, comme pour Paris, l'examen attentif de l'enchaînement des cas révèle ici encore des impossibilités majeures à l'encontre d'une transmission par Pulex irritans :
Dans le premier foyer de Rose Street et de Thistle Street, et le plus important, les trois morts dans la famille Bogan surviennent les 7, 9 et 12 août, pour la petite-fille, la grand-mère et le grand-père docker. Le délai de 5 jours écoulé entre le premier et le troisième décès paraît extrêmement court — mais néanmoins théoriquement possible, à l'extrême limite — pour envisager un passage de puces humaines de l'enfant au grand-père, mais le docker est le plus suspect d'avoir introduit le premier des puces de rat infectées dans la maison. Le décès de la grand-mère, deux jours après l'enfant, ne peut en aucun cas être rapportable à un passage de puces humaines de l'une à l'autre. Il s'agit donc ici nécessairement d'atteintes simultanées et non pas en chaîne, laissant suspecter l'entrée dans la demeure d'un lot de puces de rat rapportées du port.
L'épidémie gagna ensuite la famille Malloy dont tous les membres avaient visité les premiers malades ou pris part à la veillée mortuaire de la grand-mère Bogan, tenue le 9 et le 10 août. Les quatre cas, quasi simultanés là encore, se déclarèrent les 18/19, les 20, 21 et 22 août, soit 9 à 13 jours après le décès de Madame Bogan (le 9), et donc dans des délais trop longs pour admettre une transmission mécanique de masse par Pulex irritans, même en comptant une exceptionnelle incubation de six jours. Les quatre cas de la famille Malloy sont donc attribuables à un transfert de puces de rat infectées de la famille Bogan.
Plus tard encore, le 25 août, on découvre 3 cas simultanés dans la famille Tierney, ayant été « en relation » avec la famille Bogan, mais la date exacte de la déclaration de leur maladie n'est pas précisée. Puis, vers le 8-11 septembre (date non exactement précisée), une femme ayant visité les Bogan mourants décède à l'hôpital, et sa fille est trouvée morte dans la chambre, soit après un intervalle trop long de 30 à 33 jours entre les décès, ne permettant pas non plus d'envisager l'action de Pulex irritans.
Le 30 septembre, sont malades J. Cunningham, ayant dormi une nuit dans une chambre donnant sur le même palier que celui des Bogan, et leur voisin P. Ford, soit 18 jours après le décès de M. Bogan (le 12 août), là encore après un temps d'incubation trop long pour une action de puces d'homme.
On voit donc que l'examen des temps écoulés entre la mort des Bogan et la déclaration de la maladie chez leurs visiteurs rend improbable ou le plus souvent impossible une transmission par Pulex irritans. Au total, 12 personnes se sont contaminées par contact avec la famille Bogan (sans contamination intermédiaire par décès de l'une de ces personnes). En reprenant les chiffres minimaux à moyens de 400 à 500 puces d'homme pour assurer une transmission mécanique, il faudrait donc envisager que 4 800 à 6 000 puces se soient échappées des cadavres de la petite-fille Bogan et de sa grand-mère pour se répartir sur les visiteurs, un nombre réellement considérable. L'action d'une vingtaine ou d'une trentaine de puces de rat est beaucoup plus admissible, les puces infectées rapportées par M. Bogan ayant pu contaminer quelques rats de la maison et déclencher une micro-épizootie locale.
Le foyer secondaire de la famille Malloy, avec une veillée mortuaire tenue les 21 et 22 août, détermine à son tour 6 transmissions. Les deux premiers malades, atteints le 29 août, et les quatre autres, atteints entre le 29 et le 31, ont pu en théorie être victimes d'un passage de puces d'homme. Cela impliquerait néanmoins que 2 400 à 3 000 puces aient quitté le corps de C. Malloy lors de la veillée, un chiffre encore spectaculaire là où une dizaine de puces de rat rapportées de chez les Bogan a pu amplement suffire à disséminer l'infection.
Enfin, le décès de K. Muir, le 28 août, déclenche 4 cas quasi simultanés dans sa famille, tous admis à l'hôpital les 15 et 16 septembre, la maladie s'étant sans doute déclarée un peu plus tôt. La famille Muir était en relation avec Mme Tierney, mais les infections des familles furent quasi synchrones. Là encore, l'intervalle entre le décès de K. Muir et les atteintes des autres membres de la famille Muir est trop long, de 13 à 20 jours, pour que se soit produite une action des puces d'homme, sauf éventuellement pour la jeune femme décédée le 16. De plus, si K. Muir avait dû déterminer l'infection des quatre personnes de sa famille par l'intermédiaire de ses propres parasites, ce sont 1 600 à 2 000 puces d'homme qui se seraient libérées lors de la veillée de son corps.
71Comme pour Paris et pour d'autres exemples de bouffées familiales dont on a pu réexaminer au cas par cas les dates des décès et des déclarations de maladie avec précision, on constate qu'à Glasgow la majorité des transmissions de famille et de voisinage ne put être le fait des puces humaines. Force est donc d'invoquer le transfert d'homme à homme de puces de rat infectées.
L'épidémiologie à Porto et à Barcelone (1900, 1931)
72La relation entre conditions insalubres, entrepôts de chiffons, dépôts d'ordures urbains, rats et peste humaine, se retrouve dans bien des lieux d'Europe alors touchés par la troisième pandémie. Porto et Barcelone en sont de bons exemples.
La peste de Porto
73A Porto, dès 1900, le rôle de premier plan des rats et d'une micro-épizootie de quartier est déjà bien établi. C'est dans ce port que la troisième pandémie entra pour la première fois en Europe, dès 1897, où les cas furent alors assimilés à une fièvre typhoïde. Elle y fit 300 victimes dont 100 décès. [...] M. Calmettea démontré, écrit le Dr Métin, que [...] la peste a été apportée à Porto [...] probablement par des ballots de coton ou de grains venant de pays contaminés. Dans ces balles de coton, qui contiennent toujours des graines en quantité, il y avait des rats pesteux qui sont allés mourir dans les égouts du quartier de Fonte- Taurina [...].
- 51 E. Métin, La peste de Porto, Paris, Impr. Nationale, Extr. des Annales d’Hygiène et de Méd. Coloni (...)
74Il est particulièrement intéressant de remarquer que, d'année en année, l'emplacement des maisons atteintes ne varie pas : les quartiers où sévissait cette prétendue fièvre typhoïde en 1897 [14 décès] et en 1898 [24 décès] sont identiquement les mêmes que ceux où on observe le plus fréquemment la peste en 1899 [32 décès]. Si l'on note sur une carte les rues où se sont produits des décès, on constate que les annotations se superposent presque mathématiquement. Ce sont les mêmes rues et pour ainsi dire les mêmes maisons51.
La peste de Barcelone
- 52 M. Boucher, Etude sur la distribution géographique de la peste dans le monde, Thèse de médecine., (...)
75Ainsi en est-il également de Barcelone, en 1931 : En Espagne, aucun cas de peste n'avait été enregistré depuis 1923 lorsque le 27 août 1931, 5 cas de peste dont 2 mortels ont été signalés par les trieurs de chiffons à Hospitalet, localité située à quelques kilomètres de Barcelone. Quatre cas nouveaux ont été signalés en septembre au même endroit [...]. Des puces et des rats morts ont été trouvés dans les ballots de chiffons infectés sur lesquels les malades avaient travaillé52. Cette peste fit 28 cas en 1922, 2 cas en 1923, 1 cas en 1925, toucha une famille en 1930 et fit 26 cas en 1931.
- 53 P. Cartana Castella et J. Gil Collado, 1934, op. cit., p. 77-81.
- 54 Ibidem, p. 95, (trad. J. Muñoz Lacasta).
76Cartana Castella et Gil Collado examinent le contexte de chacune de ces petites poussées53. Chaque fois, des rats morts sont découverts et, dans la plus importante poussée de 1931, on retrouve, comme à Paris et à Glasgow, le rôle prééminent des conditions de vie insalubres et des grands dépôts d'ordures, favorisant d'importantes concentrations de rats. Toutes les victimes étaient en contact avec ces décharges ou avec les trieurs d'ordures qui les fréquentaient : L'étude de cette épidémie permet de conclure qu'elle fut précédée par une épizootie concomitante ; autrement dit, la poussée épidémique de 1931 présente toutes les caractéristiques d'une épidémie d'origine murine. [...] Les trois foyers ont comme trait commun l'existence des dépôts d'ordures ménagères de la capitale, ordures qui [...] constituent les lieux de rassemblement les plus importants de la population murine. La quasi totalité des atteintes concernèrent des individus en contact immédiat avec ces ordures (travailleurs chargés du tri et de la réutilisation des déchets), ou des voisins des entrepôts de vieux tissus (qui, en raison de leur relations commerciales avec le tri d'ordures, étaient situés dans la même zone)54.
Conclusions sur l'épidémiologie familiale
77Les épidémies à « bouffées familiales » ou de voisinage, qui ont fait naître le soupçon de la contagion via la puce humaine, comme celles de Glasgow, de Paris, du Maroc, montrent donc toutes, quand on se penche sur les détails des faits épidémiques, la grande improbabilité du rôle de cette puce et mettent au contraire en lumière la responsabilité de premier plan du rat et de ses puces. S'ajoute le facteur-clef de l'insalubrité et, dans les villes, celui des dépôts d'ordures et des entrepôts de chiffons, ou bien, en zones rurales, des champs de céréales, toutes zones propices à de vastes concentrations de rongeurs. Les premières victimes humaines, et parfois les seules, sont les sujets en contact avec ces lieux bien particuliers ou avec un secteur portuaire. Lorsque l'épizootie est faible, l'épidémie adopte le même visage : avec une mort des rats limitée en même temps que très localisée (Paris, Glasgow), ou quasi nulle (dans les villages du Maroc alors que l'épizootie sévit dans la campagne), l'importation de petits lots de puces infectées échappées des rats des champs ou des décharges urbaines détermine de courtes bouffées qui s'éteignent rapidement.
- 55 C. R. Eskey et V. H. Haas, 1940, op. cit.
- 56 A. L. Burroughs, 1947, op. cit., p. 380-381.
78Le pouvoir vecteur individuel des puces de rat est limité dans le temps, soit que les puces bloquées meurent d'inanition, soit qu'elles se débarrassent du blocage et du bacille. Dans les expériences de Eskey et Haas, le plus grand nombre de transmissions successives enregistré pour une Xenopsylla cheopis est de 10 (11 réalisées par une Opisocrostis labis)55. Dans les expériences de Burroughs, Xenopsylla cheopis transmit généralement 1 à 3 fois, une d'entre elles 4 fois, soit du jour au lendemain, soit sur une longue période de 12 ou 15 jours56. Aussi, si le lot de puces infectées importé ne rétrocède pas la maladie aux rats résistants du nouveau village, ou de la nouvelle maison, la bouffée s'éteint donc avec lui, et l'enchaînement des cas prend fin.
Notes
1 J. Gaud, 1931, op. cit.
2 G. Blanc et M. Baltazard, 1945, op. cit., p. 180.
3 C’est-à-dire Rattus rattus alexandrinus, le Rat d’Alexandrie, sous-espèce de Rattus rattus.
4 C’est-à-dire le Rat noir, Rattus rattus rattus.
5 G. Blanc et M. Baltazard, 1945, op. cit., p. 180, 182.
6 Ibidem, p. 184.
7 Dès le début de ses recherches, F. Estrade réalise l’extrême difficulté qu’il y a à attraper des X. cheopis, « même dans les poussières où elles se trouvent en grand nombre. » Le piège qu’il fait construirelui permet de « prélever toutes les puces, cheopis ou autres qui se trouvent dans un lot de poussières à examiner. » Son fonctionnement se fait en deux temps : les poussières sont d’abord très rapidement jetées dans un grand entonnoir à évasement double, fixé à un plateau mobile. Celui-ci est ensuite aussitôt ajusté sur une cuve fixe, aux bords inclinés vers l’intérieur, de 20 cm de hauteur, et emplie de liquide (eau, fly-tox, alcool, etc.). L’entonnoir est alors ôté. Les puces contenues dans les poussières sautent hors du plateau mobile, à bords très bas, et, incapables de sortir de la haute cuve, elles tombent dans la rigole circulaire où elles se noient. (F. Estrade, 1934, op. cit., p. 458-461).
8 G. Girard, 1943, op. cit., p. 21-22.
9 G. Girard, 1977, op. cit., p. 260.
10 G. Girard, 1943, op. cit., p. 23.
11 G. Girard, « Considérations sur l’épidémiologie de la peste. Caractéristiques des centres endémiques asiatiques et africains », Revue de Méd. et d’Hyg. d’Outre-Mer, 281, 1959, p. 1-11, p. 8.
12 F. Estrade, 1934, op. cit.
13 G. Blanc, 1956, op. cit., p. 547.
14 Ibidem, p. 547-548.
15 B. Parrenne, La troisième pandémie de peste (de 1894 à nos jours). Historique et incidence humaine pays par pays, Thèse de méd., Acad. de Paris, Univ. René Descartes, Faculté de Médecine Cochin-Port-Royal, 1983, p. 47-48.
16 C. Sanguy, « Rapport sur l’épidémie de peste survenue à Casablanca en 1944 », Archives de l’Institut Pasteur du Maroc, vol. III, Cah. 5, 1945, p. 355-381.
17 hôtel traditionnel.
18 C. Sanguy, 1945, op. cit., p. 373-374.
19 Ibidem, p. 367.
20 F. Hildesheimer, Fléaux et société : de la Grande Peste au choléra. XIVe-XIXe siècle, Hachette, Coll. « Carré Histoire », 1993, 175 p., p. 96.
21 R. Fossier, « Aperçus sur la démographie médiévale », in : Population & démographie au Moyen Age, Comité des travaux historiques et scientifiques, sous la dir. d’O. Guyojeannin, 1995, p. 9-23, p. 16.
22 C. Guilleré, « Nouvelles recherches sur les épidémies à la fin du xive siècle. L’exemple de Vic (Catalogne). La mortalité de 1372 à 1407 », in : Population et démographie du Moyen Age, 1995, op. cit., p. 119-142.
23 J. Brossollet et H. H. Mollaret, 1994, op. cit., p. 74.
24 cité in : F. Hildesheimer, 1993, op. cit., p. 145.
25 J.-N. Biraben, 1975, op. cit., t. I, p. 299.
26 F. Stephan, 1987, op. cit., et J.-N. Biraben, 1975, ibidem.
27 A. Feroci, La peste bubonica in Pisa nel medio evo en nel 1630, Pisa, Nella Tipografia Vannucchi, 1892.
28 J.-N. Biraben, 1975, op. cit., t. I, p. 131.
29 E. Joltrain, 1921, op. cit., p. 71.
30 G. Gueniot-Le-Minor, 1981, op. cit., p. 66.
31 Ibidem, p. 20-21.
32 Ibid., p. 28.
33 Ibid., p. 29.
34 Ibid., p. 32.
35 Ibid., p. 25.
36 Ibid., p. 31.
37 Ibid., p. 40.
38 Ibid., p. 37.
39 Ibid., p. 38.
40 H. Violle, 1921, op. cit., p. 16, dit à propos de Xenopsylla cheopis qu’elle fut trouvée en proportion importante à Paris sur des Mus decumanus [= Rattus norvegicus] et cela durant même tout le cours de la saison froide. Cette information laisse cependant sceptique, tant par ses « nombres importants » que par la mention de la « saison froide », et l’on est en droit de se demander si une confusion n’est pas à l’origine de cette affirmation. En effet, Violle dit que cette puce est désignée parfois sous le nom de Loemopsylla (confusion avec Leptopsylla segnis, la puce de la souris ?) et surtout, dans son article sur les puces pendant la peste de Paris, il n’évoque que Pulex irritans et Pulex cheopis, sans faire aucune allusion à la plus commune puce du rat d’Europe, Nosopsyllus fasciatus. Cette impasse laisse donc craindre une erreur de détermination. Que quelques Xenopsylla cheopis aient néanmoins été importées par bateaux à Paris, mais en colonies restreintes et rapidement tuées par le froid, est cependant certain. Le rapport de L. Tanon sur les puces recueillies sur les rats de Paris, de Clichy, Issy et St-Ouen en 1922 montre, sur 662 rats, 82 puces dont 72 % sont des Nosopsyllus fasciatus, 14 % des Pulex irritans et une seule fois la Xenopsylla cheopis. (L. Tanon, « Le laboratoire de prophylaxie de la peste à la Préfecture de police », Annales d’Hygiène Publique, Industrielle et Sociale, (nouvelle série), I, 1923, p. 606-625, p. 623.)
41 L. Tanon, « Le laboratoire de prophylaxie de la peste à la Préfecture de police », Annales d’Hygiène Publique, Industrielle et Sociale, (nouvelle série), I, 1923, p. 606-625.
42 E. Dujardin-Beaumetz, « Le rôle pathogène des rats et la dératisation », Le Journal médical français, X, 1921, p. 76-84.
43 E. Joltrain, 1921, op. cit., p. 67.
44 G. Gueniot-Le-Minor, 1981, op. cit., p. 65.
45 Ibidem, p. 28.
46 M. van Ermengem, 1900, op. cit.
47 Ibidem, p. 639.
48 Ibid., p. 625.
49 Ibid., p. 627.
50 Ibid., p. 627, p. 638.
51 E. Métin, La peste de Porto, Paris, Impr. Nationale, Extr. des Annales d’Hygiène et de Méd. Coloniale, 1900, 52 p., p. 6 et p. 8-9.
52 M. Boucher, Etude sur la distribution géographique de la peste dans le monde, Thèse de médecine., Faculté de Médecine de Paris, 1933, 93 p., p. 40.
53 P. Cartana Castella et J. Gil Collado, 1934, op. cit., p. 77-81.
54 Ibidem, p. 95, (trad. J. Muñoz Lacasta).
55 C. R. Eskey et V. H. Haas, 1940, op. cit.
56 A. L. Burroughs, 1947, op. cit., p. 380-381.
© Presses universitaires de Rennes, 2003