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Les chemins de la peste

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Frédérique Audoin-Rouzeau

Chapitre IV. L'absence de la « puce indienne » en Europe : l'intérêt pour Nosopsyllus fasciatus et les autres puces

Texte intégral

La puce du rat d'Europe à l'étude : Nosopsyllus fasciatus

Nosopsyllus fasciatus, puce vectrice

  • 1 Le terme de « pectinées », qui n’est plus usité aujourd’hui par les spécialistes, désigne les puce (...)
  • 2 W. G. Liston, « Plague, rats and fleas », Journal Bombay Nat. Hist. Soc., vol. XVI, 1905, p. 253, (...)

1L'identification et la différenciation de Xenopsylla cheopis, de Nosopsyllus fasciatus, de Pulex irritans (la puce de l'homme) et de Leptopsylla segnis (la puce de la souris), s'était faite dès le début des recherches en Inde, à commencer par la séparation de Xenopsylla cheopis et de Pulex irritans opérée par C. Rotschild en 1903. En 1904, W. G. Liston exposait à son tour que la puce commune infestant les rats indiens n'était pas Nosopsyllus fasciatus ou Typhlopsylla musculi (ancienne appellation de Leptopsylla segnis), comme en Europe, mais une puce non pectinée1, Pulex cheopis (ancienne appellation de Xenopsylla cheopis), identique aux spécimens de Sydney et Brisbane nommés Pulex pallidus par Tidswell2.

  • 3 N. C. Rothschild, « Note on the species of fleas found upon rats, Mus rattus and Mus decumanus, in (...)

2En 1906, C. Rotschild exposa avec clarté l'existence de deux espèces différentes de puces de rat, l'une, Nosopsyllus fasciatus, inféodée aux climats froids et tempérés, l'autre, Xenopsylla cheopis, aux zones chaudes. Il mit en évidence l'extrême rareté de cette dernière en Europe : Ceratophyllus fasciatus [c'est-à-dire Nosopsyllus fasciatus] est la puce ordinairement trouvée sur Mus decumanus [ancienne appellation de Rattus norvegicus, le Rat surmulot] en Grande-Bretagne, et c'est aussi le cas, apparemment, dans toute l'Europe septentrionale et centrale. [...] Mus rattus [ancienne appellation de Rattus rattus, le Rat noir] est rare dans les Iles Britanniques et lors des rares occasions où j'eus l'opportunité d'examiner les puces capturées sur lui, il s'agissait de C. fasciatus. [...] Une autre espèce de puce qui, bien qu'extrêmement rare en Europe [...] semble être l'une des espèces les plus communément trouvées sur les rats sous les climats plus chauds, est Pulex cheopis. J'en donnai la première description (1903) à partir de spécimens capturés sur des hôtes variés [...]. C'est une puce non pectinée, appartenant à un groupe dont la première espèce fut décrite par Taschenberg en 1880 [...]3.

  • 4 J.-C. Beaucournu, « Origine biogéographique de Nosopsyllus fasciatus (Bosc, 1800) (Siphonaptera – (...)

3J.-C. Beaucournu a rappellé récemment que Nosopsyllus fasciatus était essentiellement une puce de climat atlantique européen : Dans les Iles britanniques ou en France, présente dans tous les biotopes ouverts, elle est capturée en période estivale toute l'année : sous influence méditerranéenne, en Europe, ce sera parfois la seule puce ou la puce dominante produite par les enquêtes de terrain. Si elle reste abondante en hiver, elle aura la suprématie en été [...]4.

  • 5 Indian Plague Commission, 1907, op. cit., p. 414.
  • 6 Dans une série d’expériences ultérieures, Bacot [1915] a utilisé des lots de 100-300 N. fasciatus (...)

4La Commission des Indes ne négligea pas cette autre puce de rat — que l'on trouve en faible nombre dans certaines régions froides de l'Inde — et prouva, on l'a vu, sa capacité à transmettre le bacille5. En 1914, A. W Bacot et C. J. Martin démontrèrent son aptitude au blocage. En 1915, A. W. Bacot fit la preuve de la durabilité de son pouvoir infectant6.

  • 7 C. R. Eskey et V. H. Haas, « Plague in the western part of the United States », Bull. U. S. Publ. (...)
  • 8 C. M. Wheeler et J. R. Douglas, « Sylvatic plague studies, V. The determination of vector efficien (...)

5Ultérieurement, C. R. Eskey et V. H. Haas comparèrent la capacité de transmission individuelle de Xenopsylla cheopis et de Nosopsyllus fasciatus et établirent que 20 % des unes comme des autres puces infectées devenaient pestigènes, après une durée d'incubation plus longue chez la seconde que chez la première (41 jours contre 21 jours) mais une survie plus longue après blocage pour Nosopsyllus fasciatus que pour Xenopsylla cheopis (4,3 jours contre 2,8 jours). Le taux de transmission était plus bas chez Nosopsyllus fasciatus, de 33 %, pour 42 % chez Xenopsylla cheopis7. D'après Wheeler et Douglas, le taux de transmission de Xenopsylla cheopis est de 43 %8.

  • 9 A. L. Burroughs, 1947, op. cit.

6A. L. Burroughs9 entreprit à son tour de tester l'efficacité vectorielle de neuf espèces de puces, comparée à celle de Xenopsylla cheopis. A cette date, l'existence de la peste sylvatique (également nommée « selvatique »), c'est-à-dire des rongeurs sauvages, avait depuis longtemps été mise en évidence et désignée comme responsable originelle des épizooties parmi les rats, quand elle n'était pas la source directe d'une peste humaine. Depuis les années 1920, les études s'étaient multipliées aux fins d'estimer l'efficacité vectrice des puces propres aux nombreux rongeurs sauvages susceptibles, selon leurs mœurs et leurs préférences, de transmettre la peste aux rongeurs domestiques qu'ils côtoyaient. C'est pourquoi, dans une Amérique du Nord où l'existence d'un réservoir de peste sylvatique avait été reconnue, A. L. Burroughs s'intéressa, outre aux puces de rat et d'homme, à l'efficacité vectrice de sept espèces de puces de rongeurs sauvages d'Amérique.

7Sur les 48 Nosopsyllus fasciatus infectées lors de ces expériences, 11 se bloquèrent (dont une en 4 jours et une en 29 jours, marges minimales et maximales de formation du blocage), dont 5 transmirent la maladie, que le blocage fût complet ou incomplet, provoquant 10 transmissions. Une puce transmit deux fois avant d'être « solidement » bloquée, dès le lendemain, prouvant l'efficacité d'un début de blocage. Une autre puce transmit au 23e jour sans avoir non plus présenté de blocage mais, mourant le lendemain, la formation du bouchon ne put être observée. Le taux de transmission de Nosopsyllus fasciatus fut établi en moyenne à 21,3 %, ± 15,7 %, bien que 12,5 % des puces fussent vectrices. Enfin, 48 % des puces s'étaient libérées de l'infection à leur mort. Cette expérience montra la moindre efficacité vectorielle de Nosopsyllus fasciatus par rapport à Xenopsylla cheopis (taux de transmission de 66 %, ± 23,4 %, avec 37,7 % de puces vectrices), mais cette puce se rangeait malgré tout en seconde et bonne place parmi les vectrices. En comparaison, hormis Echidnophaga gallinacea qui présenta une bonne efficacité vectorielle (25 %) et Orchopeas sexdentatus sexdentatus (sur rongeurs sauvages du genre Neotoma) dont le taux de transmission fut établi à 17 %, les six autres espèces de puces testées montrèrent des taux de transmission beaucoup plus bas et furent jugées très inefficaces.

8A. L. Burroughs confirma ainsi la place de Nosopsyllus fasciatus parmi les bons vecteurs de la peste. D'autant, conclut-il, que dès l'instant où beaucoup de puces bloquées ne transmirent pas, il est probable que les efficacités vectorielles déterminées de manière expérimentale sont plus basses qu'elles ne doivent l'être dans la nature, où les puces bloquées ont un accès constant à un hôte et peuvent piquer beaucoup plus fréquemment, augmentant les chances de transmission.

  • 10 R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 376.
  • 11 Ibidem, p. 379 et 380.

9Il faut noter ici, tant pour Xenopsylla cheopis que pour Nosopsyllus fasciatus, que les temps d'incubation avant blocage relatés par les expérimentateurs ne sont pas à prendre comme valeurs absolues. Car la température peut bouleverser très notablement ces durées d'incubation et les réduire de beaucoup. R. Pollitzer estime qu'on ne peut [...] accepter l'hypothèse de Burroughs que les puces bloquées ont une importance moindre durant les épidémies car, s'opposant aux idées exprimées par Eskey, Eskey et Haas et Meyer, elle ne tient pas compte de l'influence déterminante exercée par les variations de la période d'incubation extrinsèque. Il n'est guère possible de douter que, dans les conditions climatiques prédominantes durant les saisons pesteuses, la période d'incubation extrinsèque soit courte. En conséquence, de nombreuses puces sont bloquées et par conséquent deviennent pestigènes en peu de temps, infectent rapidement de nombreux rongeurs et créent de la sorte des circonstances favorables à une nouvelle et rapide extension du fléau10. Pollitzer cite les expériences de Webster & Chitre selon lesquelles le facteur principal de diffusion de la peste est en rapport avec le phénomène du blocage. Pendant la saison épidémique, très liée à des conditions étroites de température et d'humidité, une proportion beaucoup plus grande de puces infectées devient capable de transmettre l'infection. Quoi qu'il en soit, conclut Pollitzer, il est capital que des températures adéquates, parce qu'elles réduisent la période d'incubation extrinsèque, entraînent une augmentation rapide du nombre de puces bloquées, et qu'un degré d'humidité favorable soit capable d'augmenter le temps de survie de ces puces pestigènes11.

Nosopsyllus fasciatus pique l'homme

10Mais l'aptitude de Nosopsyllus fasciatus à communiquer la maladie de rat à cobaye n'apportait pas pour autant la preuve de sa dangerosité pour l'homme. Encore fallait-il que cette puce ne dédaigne pas l'être humain comme hôte secondaire, en cas de disparition des rats.

  • 12 J.-C. Gauthier et A. Raybaud, « Recherches expérimentales sur le rôle des parasites du rat dans la (...)
  • 13 Les résultats de J.-C. Gauthier et A. Raybaud sont exposés dans : J.-C. Gauthier et A. Raybaud, 19 (...)
  • 14 H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 129 (trad. pers.).

11Dès 1903, J.-C. Gauthier et A. Raybaud publièrent leurs travaux sur l'aptitude de Nosopsyllus fasciatus à piquer l'homme12. Cependant cette capacité restait encore controversée et les avis très discordants : Il a existé jusqu'ici, observent H. Chick et C. J. Martin, de considérables divergences d'opinion concernant la facilité avec laquelle cette puce attaque l'homme. Selon Wagner (cité par Tiraboschi 1904, p. 180), Tiraboschi (1904, p. 266) et Galli-Valerio (1907) cette puce ne pique pas l'homme. D'un autre côté, Gauthier et Raybaud (1903 et 1909)13 et Mc Coy et Mitzmain (1909) montrèrent que, lorsqu'elle était affamée, elle piquait l'homme aisément14.

  • 15 […] mes expériences sur le Ceratophyllus fasciatus [Nosopsyllus fasciatus] ont été moins nombreuse (...)
  • 16 C. Tiraboschi, « Etat actuel de la question du véhicule de la peste », Archives de Parasitologie, (...)
  • 17 G. Girard, 1943, op. cit., p. 7.
  • 18 In : C. Tiraboschi, 1907, op. cit., p. 615.

12H. Chick et C. J. Martin entreprirent donc en 1911 une vaste série d'expériences pour résoudre cette question. Pour ces auteurs, la source des résultats divergents obtenus jusqu'ici tenait essentiellement à la variété de puces que peuvent porter les rats selon les diverses régions du monde et aux risques d'erreur. Et en effet, de l'aveu même de C. Tiraboschi, une confusion entre Nosopsyllus fasciatus et d'autres espèces de puces aurait été à l'origine de ses résultats négatifs15. C. Tiraboschi confirma néanmoins son point de vue défavorable à Nosopsyllus fasciatus en 190716, sans faire état de nouvelles expériences, mais conforté par les conclusions identiques du chercheur Galli-Valerio, qui déniait aux puces des rongeurs la faculté de piquer l'homme. Les échecs rencontrés par Galli-Valerio auraient également pour cause, selon G. Girard, une confusion d'espèces17. Remarquons également que Galli-Valerio, s'il reconnaissait la transmission de la peste de rat à rat, niait absolument la possibilité du passage de la maladie du rat à l'homme18. Contre toute évidence, il se montrait un fervent adversaire de la transmission par Xenopsylla cheopis elle-même. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que ce chercheur ait refusé à Nosopsyllus fasciatus ce qu'il déniait à l'insecte vecteur de l'Inde.

  • 19 H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 129.
  • 20 Ibidem, p. 130 (trad. pers.).

13Les résultats de Chick et Martin concernant Nosopsyllus fasciatus, basés sur de larges expérimentations, furent concluants et tout à fait différents de ceux de Tiraboschi et Galli-Valerio : Nous avons effectué quelques centaines d'expériences sur cette question et nous ne pouvons pas comprendre la conclusion négative à laquelle ont abouti Tiraboschi et Galli-Valerio19. Leurs travaux furent basés sur 517 expériences menées avec 364 puces et huit personnes différentes exposées à leurs attaques. Les puces étaient mises à jeûner depuis 24 heures jusqu'à 14 jours. Elles n'étaient pas laissées sur l'homme plus de deux minutes. Fréquemment, la puce piquait instantanément ou dans les quelques premières secondes. Parfois il s'écoulait un temps plus long mais généralement inférieur à une minute. Dans quelques cas, malgré l'effort manifeste de l'insecte, aucun sang n'était absorbé. Mais en général les chercheurs pouvaient sans difficulté observer le sang pénétrer dans l'appareil digestif en jets rapides. La proportion de puces piquant l'homme variait de 36 % à 77 %, avec une valeur moyenne de 59,6 %. Le pourcentage est identique lorsque les Nosopsyllus fasciatus étaient placées sur des rats, dans les mêmes conditions expérimentales (59 piqûres obtenues sur 101 puces en jeu, soit 58,4 %). Il fut également établi que, sur les huit personnes exposées aux morsures, on observait une préférence marquée des insectes pour certains individus. La différence entre les diverses personnes est assez grande pour garantir la conclusion que l'idiosyncrasie proposée est bien une réalité20.

  • 21 Ibid., p. 131.
  • 22 Ibid., p. 135 (trad. pers.).

14Nosopsyllus fasciatus, conclurent les auteurs, pique donc l'homme aussi aisément qu'elle pique le rat21. Lorsque le bras de l'homme est placé à côté d'un rat, les résultats sont négatifs. Mais lorsque le bras de l'homme n'est éloigné du rat que de 15 centimètres, les puces piquent l'homme. Chick et Martin considèrent donc que Xenopsylla cheopis comme Nosopsyllus fasciatus sont les espèces de puces de rat qui, lorsqu'elles ont faim, attaquent l'homme. Ils estiment dès lors que Nosopsyllus fasciatus est un vecteur de la peste tout aussi efficace que la puce des climats chauds : Il n'y a aucune raison de penser que [...] Ceratophyllus fasciatus ne serait pas un agent aussi efficace que Xenopsylla cheopis dans la transmission de la peste, comme démontré en Inde22.

  • 23 C. Strickland, 1914, op. cit.
  • 24 E. Roubaud, « Invasion domiciliaire spontanée produite par la puce des rongeurs indigènes, Ceratop (...)

15En 1914, les études de C. Strickland l'amenèrent de même à conclure que Nosopsyllus fasciatus se nourrissait rapidement sur l'homme, confirmant les travaux précédents23. Ajoutons les observations de E. Roubaud qui constata lors de l'infestation d'un habitat par ces puces qu'elles « attaquèrent nettement » les occupants24.

  • 25 J.-C. Beaucournu, « A propos du vecteur de la peste en Europe occidentale au cours de la deuxième (...)

16L'entomologiste J.-C. Beaucournu estime que cette puce « a certainement pu maintenir une épizootie murine » et qu'elle « était d'ailleurs, au niveau des rongeurs, le seul vecteur potentiel. » Il précise néanmoins que, s'il est certain que Nosopsyllus fasciatus peut piquer l'homme, en conditions expérimentales, cette puce est « hautement accidentelle » sur lui25. Cette rareté limiterait donc son rôle de vecteur. Ces observations, exactes, ne sont nullement à remettre en cause mais ne paraissent pas constituer un obstacle à une épidémisation par son entremise. Il est en effet incontestable qu'en conditions naturelles ordinaires, Nosopsyllus fasciatus demeure sur son hôte primaire, le rat, sur lequel elle se reproduit, et ne visite guère l'homme qu'elle ne cherche pas alors à piquer. Les expériences de Chick et Martin ont très bien mis en valeur cette préférence évidente, puisque lorsque le bras d'un homme était placé à côté d'un rat, les puces ne piquaient que le rat et délaissaient l'homme. En revanche, si le rat était éloigné, elles attaquaient l'homme. Si cette puce mord si bien l'homme en laboratoire, contrairement à ce qui s'observe dans la nature, c'est que deux paramètres majeurs sont introduits dans les expériences : d'une part les puces ont été auparavant affamées, d'autre part aucun rat ne leur est proposé. Cette mise à jeun détermine donc, expérimentalement, une modification importante du comportement ordinaire de Nosopsyllus fasciatus qui, faute de rat, son hôte de prédilection, consent alors rapidement à se nourrir sur l'homme.

17Or précisément, les conditions d'une épizootie pesteuse ne sont en aucun cas comparables à des conditions ordinaires. Il ne semble pas que l'on puisse inférer du comportement d'une puce en situation normale celui qu'elle adoptera en situation anormale, c'est-à-dire lorsque la peste sévit parmi les rats. Dans les circonstances exceptionnelles qui sont celles d'une épizootie, les puces de rat se retrouvent en effet placées dans les mêmes conditions qu'en laboratoire : c'est-à-dire privées de leurs hôtes privilégiés et à jeun. Dès lors elles deviennent hautement susceptibles de s'attaquer à l'homme pour survivre.

  • 26 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 23.
  • 27 R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 339.
  • 28 L. F. Hirst, The Conquest of plague. A study of the evolution of epidemiology, Clarendon Press, Ox (...)

18En la défaveur de l'efficacité de Nosopsyllus fasciatus sont souvent alléguées les mœurs de cette puce, beaucoup plus sédentaire que Xenopsylla cheopis. Passant plus de temps dans le nid de son hôte que sur ce dernier, ce comportement pourrait limiter son expansion dans l'habitat humain. R. Jorge résume en 1928 cette différence de mode de vie : Il y a des espèces qui vivent spécialement dans la fourrure de l'animal, et l'accompagnent fidèlement, telle la Xenopsylla cheopis, tandis que d'autres, à tendance sédentaire, aiment à rester au nid, telle la Ceratophyllus fasciatus26. Plus tard, R. Pollitzer décrit cette même habitude : En ce qui concerne les puces de rats communes, on tient généralement pour acquis que N. fasciatus, qui se nourrit à des intervalles espacés, passe la majorité de son temps en dehors du corps de ses hôtes tandis que X. cheopis, qui se nourrit fréquemment, a une tendance beaucoup plus marquée à demeurer dans le pelage des rats27. De même F. Hirst, en 1953 : R. rattus vit non seulement en association plus étroite avec l'homme que son rival mais l'espèce de puce vagabonde qu'il porte communément [X. cheopis] est bien plus susceptible d'attaquer l'homme quand elle abandonne le corps refroidi du rat pesteux que l'autre espèce de puce essentiellement attachée au nid [N. fasciatus] [...]28.

  • 29 E. Roubaud, 1931, op. cit.

19E. Roubaud expose en 1931 un point de vue différent sur l'expansion de Nosopsyllus fasciatus : Cependant le rôle pestigène de cette puce [...] apparaît considérablement limité par ses habitudes sédentaires, sur lesquelles tous les auteurs sont d'accord. [...] Il m'a été permis d'observer cet été un cas également très net [en référence à celui signalé à Groningue] d'infestation d'une habitation de campagne par la même espèce de puces, en dehors de toute constatation de multiplication anormale ou de mortalité chez les rongeurs. Pendant le courant de juillet, à différentes reprises, les occupants de la maison purent capturer des puces dans les différentes pièces. Sur 18 puces recueillies et soumises à mon examen, il s'agissait dans 16 cas de Ceratophyllus fasciatus. A noter que ces puces attaquèrent nettement et piquèrent surtout les enfants. Elles n'étaient nullement sédentaires mais au contraire dispersées dans toute la maison. [...] Les raisons de cette émigration anormale de Ceratophyllus fasciatus [...] demeurent obscures. Je pense qu'elles sont liées à l'hibernation de rats ou de souris dans le sous-sol de l'immeuble ou sous la toiture. Après l'hiver, les rongeurs ayant abandonné les locaux, les larves présentes continuèrent à se développer [...] et, en l'absence de leurs hôtes naturels, les puces envahirent les pièces habitées. Quelles que soient d'ailleurs les causes [...], cette observation permet d'affirmer que dans certaines circonstances naturelles favorables [...], C. fasciatus peut se répandre dans les habitations et attaquer l'homme, sensiblement dans les mêmes conditions que X. cheopis29.

20Cette tendance de Nosopsyllus fasciatus à demeurer dans le nid de l'hôte ne nous paraît pas non plus constituer un frein à son activité pestigène. Là encore, dans les conditions anormales d'une épizootie, cette puce se verra contrainte de quitter le nid déserté à la recherche d'autres hôtes susceptibles de la nourrir, et se répandra alors dans l'habitat plus largement qu'en conditions ordinaires. D'autre part, il fut démontré ultérieurement que la très pestigène Xenopsylla cheopis ne vivait pas constamment fixée sur son hôte mais pouvait se trouver en grande abondance à l'état libre dans les sols des maisons ou dans les terriers.

L'incrimination de Nosopsyllus fasciatus

  • 30 A. W. Bacot, Rapport sur les puces et les rats en Grande-Bretagne, 1919-1920, in : R. Jorge, 1928, (...)

21Les diverses études menées sur la puce du rat d'Europe convergèrent donc massivement vers l'établissement d'une dangerosité équivalente à celle de Xenopsylla cheopis. L'absence avérée de cette dernière en Europe tempérée, hors les zones portuaires, la prépondérance massive de Nosopsyllus fasciatus sur le rat d'Europe, son aptitude à piquer l'homme facilement en l'absence du rat, confirmée en 1911 puis en 1914 et, enfin, sa capacité à développer un blocage proventriculaire et à transmettre, démontrée en 1914, firent considérer la puce de rat européenne comme un vecteur tout aussi efficace que la « puce indienne ». Dès 1919, Bacot l'estime l'espèce la plus dangereuse d'Europe : [...] Ceratophyllus fasciatus [...] est un porteur et un transmetteur de peste avéré, pique l'homme, peut être nourrie de son sang et est probablement l'espèce la plus dangereuse que nous ayons dans l'Europe septentrionale quant à la possibilité de transmission à l'homme [...]30.

  • 31 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 31, 32, 33.

22Si bien que R. Jorge n'hésite pas, en 1928, à désigner avec force Nosopsyllus fasciatus comme la puce responsable des épidémies passées et actuelles d'Occident : Une autre puce a conquis aussi le grade de collaboratrice de la cheopis aux Indes et de remplaçante sous les climats froids, la puce dénommée européenne, la Ceratophyllus fasciatus. [...] La présence de cette dernière aux Indes était tout à fait négligée ; [...] Son pourcentage sur le total des puces n'est que de 3,5 en moyenne ; mais on la retrouve toujours, dans les montagnes et dans la plaine, pendant la saison froide, en proportions variables. [...] Il est à signaler que la présence de la Ceratophyllus dans les districts occidentaux des Provinces- Unies [Inde] coïncide avec la saison de la peste. [...] Cette puce possède bien le cachet pestigène. Elle pique et infecte le rat, elle pique aussi l'homme, pouvant lui inoculer la peste. [...] il y a une grande période pestilentielle pendant laquelle elle a dû tenir le haut du pavé. Les vagues pandémiques qui ont déferlé en Europe de l'Orient à l'Occident, faisant des hécatombes formidables, ont été déchaînées forcément par la seule puce pestigène qui habitât l'Europe, la Ceratophyllus31.

23A cette date déjà, et avant que les expériences ultérieures de C. R. Eskey & V. H. Haas et de A. L. Burrouhgs ne viennent confirmer son potentiel vecteur, la responsabilité de Nosopsyllus fasciatus dans la première et la seconde pandémie paraît donc définitivement établie.

Nosopsyllus fasciatus tombe dans l'oubli

24Cependant, le sujet perdant de son actualité au cours des trente dernières années du xxe siècle, l'absence de Xenopsylla cheopis dans les régions tempérées et l'existence de sa remplaçante Nosopsyllus fasciatus allaient être peu à peu oubliées.

  • 32 G. Gueniot-Le Minor, 1981, op. cit., p. 65.
  • 33 C’est à l’entomologiste J.-C. Beaucournu qu’on doit d’avoir fort utilement rappelé l’impossibilité (...)

25Le souvenir des théories émises à partir du cas indien, intensément étudié, allait contribuer à ne laisser en bonne place dans les mémoires que l'importante Xenopsylla cheopis, dans les milieux scientifiques non spécialisés, chez les historiens par exemple, ou dans certaines thèses de médecine (G. Gueniot-Le Minor la désigne ainsi comme la puce des rats de Paris durant la Peste des chiffonniers de 192032). D'autre part les écrits de G. Girard et de F. Hirst, qui considéraient à tort Xenopsylla cheopis comme la puce vectrice d'Occident, jouèrent aussi leur part dans l'oubli de Nosopsyllus fasciatus33. Enfin et surtout, la diffusion d'une théorie nouvelle incriminant la puce de l'homme dans l'épidémisation des pestes d'Occident allait concourir à effacer le nom de la puce du rat d'Europe.

La puce de l'homme : Pulex irritans

L'incapacité vectorielle individuelle de Pulex irritans

  • 34 Le nom de « puce de l’homme » attribué à Pulex irritans est en réalité scientifiquement impropre : (...)
  • 35 D. T. Verjbitski, 1908, op. cit., p. 162.
  • 36 J. D. Long, « Bubonic plague on the west coast of South America in 1934 », Public Health Reports, (...)
  • 37 A. Ramos Diaz, Boletin de la Oficina sanitaria panamericana, 17, 1938, p. 776 et sv.
  • 38 On trouve souvent citée l’expérience de Wu Lien-Teh et R. Pollitzer (1929) qui ont infecté des cob (...)

26On a vu comment les travaux de la Commission des Indes avaient très tôt discrédité la puce de l'homme34, Pulex irritans, comme vecteur possible de la peste. Si la puce humaine était pestifère, comme toutes les espèces de puces, elle se montrait très faiblement pestigène. R. Pollitzer rappelle que les autres expériences de transmission menées avec la puce humaine, celles de D. T. Verjbitski (qui ne parvint à infecter un rat qu'une fois sur 13, avec des lots de 10 Pulex irritans35), celles de Long36, de Colichon Arbulu et de Ramoz Diaz37, n'avaient pu aboutir qu'en mettant à piquer simultanément un nombre élevé de puces38.

27A ces médiocres capacités vectorielles de la puce de l'homme s'ajoutait l'idée d'une auto-élimination rapide du bacille au sein de son organisme, au contraire de Xenopsylla cheopis et de Nosopsyllus fasciatus. La dissection des puces montrait une décroissance très rapide de l'abondance du bacille dans l'appareil digestif, avec disparition au 5e jour, mais l'expérience fut menée sur un faible nombre d'insectes. S'ajoutaient enfin les arguments de la brève et faible septicémie humaine et du caractère occasionnel de la présence de Pulex irritans sur le rat.

28Ces rares cas de transmissions réussies par lots peu de jours après le dernier repas infectant posaient la question de la transmission dite « mécanique de masse », par rapport à la transmission individuelle.

29A. L. Burroughs fut le seul à entreprendre des expériences avec des puces humaines isolées. Elles montrèrent que Pulex irritans était incapable de transmettre la peste à titre individuel et ne pouvait y parvenir qu'en masse. Toutes les puces employées par Burroughs étaient infectées sur des souris inoculées (qui développent une septicémie plus intense encore que les rats), en étant mises à piquer dans les derniers instants avant la mort, au moment où la bacillémie atteignait son maximum. Sur 57 puces d'homme infectées, une seule, un mâle, se bloqua au 11e jour puis mourut le lendemain. Aucune de ces puces ne transmit. A leur mort, seules 31 % de ces puces étaient encore infectées, un chiffre qui, pour être assez bas par rapport à Nosopsyllus fasciatus ou à Xenopsylla cheopis, montrait néanmoins que la théorie de l'auto-élimination rapide du bacille était à envisager avec prudence. Si l'on doit retenir des expériences de Burroughs l'incapacité vectorielle individuelle de Pulex irritans, on doit noter aussi qu'il prouva que cette espèce, contrairement à ce qu'on en venait à supposer, était capable de se bloquer, mais très rarement : dans 1,75 % des cas chez Pulex irritans, au lieu de 23 % chez Nosopsyllus fasciatus, 58 % chez Xenopsylla cheopis, 23 % chez E. gallinacea. Les espèces de puces non vectrices, ou presque, présentaient un pourcentage de blocage très faible, de 0 % à 3 %.

30Ces expériences confirmaient donc la justesse des vues de Bacot et Martin en démontrant une relation très forte entre l'aptitude au blocage et la capacité de transmission. La très faible prédisposition de Pulex irritans à se bloquer allait dans le sens de sa très faible dangerosité.

La transmission mécanique de masse

31A. L. Burroughs montrait également que ces puces à capacité vectorielle individuelle faible ou nulle étaient toutes capables de transmettre en masse, plus ou moins bien selon les espèces et leur tendance à se nourrir fréquemment. Il se livra avec Pulex irritans à des expériences de transmission par lots et les réussit avec respectivement 60 et 80 puces, placées sur un cobaye sain 24 heures après leur dernier repas infectant, soit avant qu'elles aient pu amorcer un éventuel processus de blocage. Ces puces d'homme avaient été infectées sur du sang de souris hautement bacillémique.

  • 39 A. L. Burroughs, 1947, op. cit., p. 388 (trad. pers.).

32Burroughs, qui ne croit pas à la possibilité d'une infection efficace par les excréta de la puce, sinon par occasion rarissime, attribue la réussite de l'infection de masse à la simple contamination des trompes des puces, ayant auparavant été en contact avec un sang bacillémique. Toute puce ayant piqué un hôte septicémique présente en effet sur sa trompe une petite quantité de bacilles résiduels qu'elle introduit dans l'organisme du nouvel hôte qu'elle piquera à la suite. Le nombre de bacilles déposés sur une trompe est toujours beaucoup plus faible que celui inoculé par une régurgitation du sang dans la piqûre. Cette condition nécessite donc un grand nombre d'insectes en jeu : Les morsures de nombreuses puces aux proboscis souillés peuvent déterminer une infection sur un hôte sensible, alors que la morsure d'une puce au proboscis souillé en serait incapable, écrit Burroughs39. C'est donc l'addition du nombre de bacilles introduits lors de la pénétration des trompes qui détermine la réussite de l'infection. Il faut ainsi, pour une transmission positive avec Pulex irritans, des piqûres nombreuses et concomitantes, réalisées dans un temps très court après le dernier repas infectant (24 à 72 heures), c'est-à-dire avant que les bacilles exposés à l'air libre sur les trompes ne soient naturellement détruits.

33Cette contamination par introduction des bacilles déposés sur les trompes est appelée communément « transmission mécanique de masse », par opposition à la transmission dite « biologique ». En effet, la transmission mécanique ne repose que sur une contamination provisoire des trompes, sans que l'organisme de la puce soit encore devenu infectant. Il ne s'agit donc que d'un simple transfert des bacilles persistant sur l'appareil vulnérant. Ce type d'infection diffère essentiellement de la transmission « biologique », qui suppose une réaction pathologique de l'organisme de la puce, modifié par l'ingestion du sang infecté, le développement d'un blocage et l'infection par régurgitation.

34Ces transmissions mécaniques de masse, très rarement obtenues avec des lots de 10 ou 20 (pouvant piquer plusieurs fois de suite en 3 jours), réussissent avec des groupes de 60 à 100 insectes.

35Il faut ici rappeler le biais induit par les conditions d'expérimentation : toutes ces transmissions de masse positives ont été effectuées avec des Pulex irritans fortement contaminées sur des rongeurs en pleine septicémie, dont le sang présente alors une bacillémie bien plus élevée que lors de la septicémie humaine. Le nombre de bacilles déposé sur les trompes des puces s'en trouve ainsi considérablement accru. Il est essentiel de garder à l'esprit que ces résultats de laboratoire, depuis ceux de la Commission des Indes jusqu'à ceux de A. L. Burroughs, diffèrent donc nécessairement des transmissions de masse qui pourraient advenir, en conditions naturelles, d'homme à homme.

La rareté de Pulex irritans sur le rat

36La puce humaine serait donc capable d'infecter l'homme par transmission mécanique de masse après s'être nourrie sur des rats pesteux septicémiques. Mais, ainsi qu'on l'a brièvement évoqué, toutes les recherches menées ont mis en évidence la rareté de cette espèce sur le rat.

  • 40 C. Tiraboschi, « Les rats, les souris et leurs parasites cutanés dans leurs rapports avec la propa (...)
  • 41 Indian Plague Commission, 1908, op. cit., p. 246 (trad. pers.).
  • 42 H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 123 (trad. pers.).

37Dès 1904, C. Tiraboschi témoigna du caractère occasionnel de cette présence : [...] en général le Pulex irritans est plutôt rare sur ces Rats [d'Italie] ; au contraire je l'ai rencontré un peu plus fréquemment sur les Rats de navires [port de Gênes] provenant de localités contaminées par la peste. [...] D'après Wagner [...], parmi les puces recueillies sur les Rats à Odessa pendant la peste, il y avait un ou deux exemplaires seulement de Pulex irritans L. ; cette espèce était au contraire abondante parmi les très nombreux spécimens de Puces recueillies sur les Hommes, dans les villages de la Russie et dans les cabanes des Kirghises, pendant la peste. Sur 250 échantillons de Puces prises chez les « rats de navires » [...], à Marseille, Gauthier et Raybaud ont trouvé 2 exemplaires seulement de Pulex irritans, tous deux sur le même Rat40. En 1908, la Commission des Indes publia des conclusions similaires : [...] la puce de l'homme, Pulex irritans, [...], se rencontre guère sur un autre hôte que l'homme. Nous l'avons rarement trouvée sur les rats et les cobayes41. Les études de Chick et Martin aboutirent au même résultat : La puce du chien [...], la puce du chat [...], la puce de la poule [...] et la puce de l'homme [...] se rencontrent aussi quelquefois sur les rats, mais elles semblent n'être que des visiteurs occasionnels42.

  • 43 R. Jorge, 1928, op. cit.
  • 44 Ibidem, p. 125.
  • 45 Ibid., p. 131.
  • 46 Ibid., p. 187.
  • 47 Ibid., p. 228.
  • 48 Ibid., tableau p. 238.
  • 49 Ibid., tableau p. 244.

38Le rapport de R. Jorge en 192843 rassembla sur ce point des témoignages concordants issus de nombreuses régions du monde : en Algérie, le Dr L. Raynaud examina les parasites de 920 167 rats et souris de 1908 à 1924. Il identifia les espèces suivantes : Xenopsylla cheopis, Ctenopsylla musculi, et Ceratophyllus fasciatus. Ctenocephalus serraticeps (canis) était peu répandue (5 % en moyenne) tandis que Pulex irritans était « à peine signalée » (4 %)44. En Tunisie, on releva deux Pulex irritans sur 843 rats surmulots examinés45. En Inde, on trouva [sur les rats examinés] Pulex irritans en petit nombre, surtout dans les districts de Shahjahanpur et Banda et dans les montagnes46. Au Japon, on la rencontrait « généralement sur l'homme, mais rarement chez les rats47 ». Même rareté de Pulex irritans aux Etats-Unis, relevée par H. S. Cumming : Dans les régions des Etats-Unis où des cas de peste ont été constatés, Xenopsylla cheopis a été trouvée en nombre relativement considérable. A San Francisco, elle existait pendant toute l'année. Il en était de même de Ceratophyllus fasciatus. On y rencontrait en moins grand nombre Ctenopsylla (Leptopsylla) musculi, Pulex irritans, Ctenoce-phalus canis et Ctenocephalus felis. [...] A la Nouvelle-Orléans, [...] Pulex irritans n'a jamais été vue par le rédacteur de la note [...]48. A New-York, pendant l'année 1926, d'après le rapport du Dr T. Clark, sur 635 navires fumigés, 12808 rats morts furent recueillis sur lesquels on récolta 6274 puces, dont 5521 Xenopsylla cheopis., 653 Nosopsyllus fasciatus., 54 Leptopsylla musculi (segnis), 9 Ctenocephalus canis ou felis, et 1 seule Pulex irritans49.

  • 50 P. Cartana Castella et J. Gil Collado, Estudio de la ratas y de sus ectoparásitos en ocasion del b (...)

39Même conclusion encore de P. Cartana Castella et Gil Collado en Espagne, qui estiment que la puce de l'homme est la plus rare des puces rencontrées sur le rat : La P. irritans fréquente peu le rat, qui n'est pas pour elle un hôte désirable, et elle ne se dirige vers lui que faute d'un hôte plus adéquat50. Les décomptes effectués à Barcelone font en effet état de 35 Pulex irritans trouvées sur 8 074 rats examinés, pour 1 985 Xenopsylla cheopis et 1 643 Nosopsyllus fasciatus.

  • 51 G. Blanc, « Une opinion non conformiste sur le mode de transmission de la peste », Revue d’Hygiène (...)

40G. Blanc, en 1956, témoigne de la répugnance de Pulex irritans à piquer le rat et le cobaye : Le même obstacle de la répugnance qu'ont les Pulex à se nourrir sur des rongeurs, se retrouve dans les expériences de transmissions par piqûre. [...] ces repas répétés sur rongeurs amèneront chez Pulex une mortalité très forte et précoce, mortalité qui ne se produira pas chez Xenopsylla51.

  • 52 J.-C. Beaucournu et H. Launay, Les puces (Siphonaptera) de France et du Bassin méditerranéen occid (...)

41Selon l'entomologiste J.-C. Beaucournu également, le rat est un hôte « accidentel » pour la puce de l'homme52.

42Ces témoignages tous concordants montrent assez combien Pulex irritans est occasionnelle sur le rat. Ses possibilités d'infecter un homme en masse après s'être infectée sur un rat sont donc extrêmement faibles : il faudrait envisager, pour une transmission positive, que 60 à 80 puces d'homme abandonnent des rats morts pour attaquer simultanément un homme dans les 24 à 72 heures suivant leur dernier repas. Ce mode de transmission rat-homme via Pulex irritans est donc hautement improbable.

43L'ensemble de ces études, démontrant la faible intensité de la septicémie humaine, la quasi inaptitude de la puce de l'homme à se bloquer, sa nulle ou très faible capacité vectorielle individuelle, sa seule possibilité d'infecter par transmission mécanique de masse, après contamination des trompes sur un rongeur (transmission efficiente avec des lots de 60 à 80 insectes, exceptionnelle avec des lots plus réduits), mais rendue improbable en raison de sa rareté sur les rats, convergent toutes vers une quasi impuissance de la puce de l'homme à jouer un rôle dans le processus d'épidémisation. En 1928, R. Jorge ne lui accorde donc qu'une place extrêmement limitée.

Les autres puces examinées en Europe

44Bien que, concernant les épidémies européennes, Nosopsyllus fasciatus et Pulex irritans aient focalisé l'attention, les autres espèces de puces susceptibles de répandre la maladie furent également soumises à étude. On s'intéressa ainsi à l'autre puce du rat noir d'Europe, Ctenophthalmus agyrtes, et à toutes les puces fréquentant l'habitat humain : principalement à la puce du chien et du chat domestiques (Ctenocephalidesfelis felis), à la puce des carnivores sauvages (Ctenocephalides canis, nommée « puce de chien »), à la puce de la souris domestique, Leptopsylla segnis, aux puces des oiseaux (Ceratophyllus gallinae et Echidnophaga gallinaceaa) et à celle du lapin (Spilopsyllus cuniculi).

L'autre puce du rat d'Europe : Ctenophthalmus agyrtes

  • 53 C. J. Martin et S. Rowland, « Observations sur la peste causée par les rats dans l’East Suffolk », (...)
  • 54 Ces résultats sont cités par A. W. Bacot, dans son rapport de 1919-1920 sur les puces et les rats (...)

45Cette puce parasite également les rats d'Occident mais elle est moins fréquente que Nosopsyllus fasciatus. L'examen des parasites dans le foyer infectieux du Suffolk en Angleterre, mené par Martin et Rowland en 1910-1911, montra que sur 568 rats inspectés en novembre 1910, on recueillit 584 puces dont 324 Nosopsyllus fasciatus et 259 Ctenophthalmus agyrtes53. Les récoltes de l'été suivant, conduites par Strickland et Merriman, livrèrent 3 293 puces recueillies sur 822 rats, dont 60 % étaient des Nosopsyllus fasciatus et 38 % des Ctenophthalmus agyrtes. C. fasciatus était surtout récoltée sur les rats pris près des habitations humaines et Ct. agyrtes sur les rats capturés dans les haies54.

  • 55 H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 133.

46L'aptitude de Ctenophthalmus agyrtes à piquer l'homme fut testée par Chick et Martin qui réalisèrent 98 expériences avec 68 de ces puces et quatre personnes. Dans tous les cas, les résultats furent négatifs. Dans une autre expérience, 19 Ctenophthalmus agyrtes furent placées sur un bras sans qu'aucune ne piquât. Posées immédiatement après sur un rat, onze d'entre elles se précipitèrent et se nourrirent. Les expérimentateurs conclurent donc que ces puces de rat ne montraient aucune inclination à se nourrir sur l'homme55.

47Cette totale répugnance pour le sang humain place Ctenophthalmus agyrtes hors de la chaîne épidémique entre rats et hommes.

La puce du chat et du chien domestique : Ctenocephalides felis felis

  • 56 Ellle était alors nommée Ctenocephalus serraticeps lorsqu’elle n’était pas différenciée entre feli (...)

48Cette puce du chien et du chat domestiques retint dès l'origine l'attention des chercheurs56.

  • 57 Daniel Defoe, A Journal of the plague year, 1ère éd. 1722, Penguin Classics 1986, 256 p., p. 136.
  • 58 M. Lucenet, Les grandes pestes en France, Aubier, 1985, 284 p., p. 235.

49Très tôt d'ailleurs en Occident, chiens et chats furent suspectés de transporter la maladie dans leur fourrure et on ne compte plus les édits municipaux qui, depuis le xvie siècle, interdisaient en temps de peste la circulation de ces animaux dans les rues ou ordonnaient leur destruction massive. Des exemples célèbres de telles hécatombes nous sont donnés à Londres, pendant la grande peste de 1665, au cours de laquelle D. Defoe estime que 40 000 chiens et cinq fois plus de chats auraient été abattus57, ou à Marseille en 1720, où des milliers de chiens et de chats flottaient dans les eaux du vieux port, exterminés sur ordre des échevins58. La méfiance envers les chats et chiens de compagnie ou de rue s'éveilla donc précocement, passant hélas à côté de la véritable cible.

  • 59 C. Tiraboschi, 1904, op. cit., p. 258 et 239.

50En 1904, C. Tiraboschi observa Ctenocephalus serraticeps, en dehors des carnivores, sur l'homme, le lièvre, le lapin, les rats. Il précisa que des exemplaires de cette puce portés sur son corps l'avaient piqué de suite59.

  • 60 P.-L. Simond, 1905, op. cit., p. 31.
  • 61 P.-L. Simond, 1910, op. cit., p. 447.

51P.-L. Simond envisagea également l'éventualité vectorielle de cette puce car elle est abondamment répandue dans le monde entier, [...] pullule dans les habitations en Asie plus encore qu'en Europe et attaque non seulement le chien et le chat, mais l'homme et une foule d'autres animaux. Mais Simond note que le chien ou le chat sont réfractaires à des inoculations de très petites quantités de virus60, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas susceptibles de contracter la peste par piqûre, et donc inaptes à infecter leurs propres parasites. Cependant le chat peut parfois s'infecter, soit peut-être par ingestion de rats malades (pénétration du bacille par les muqueuses), soit par piqûres de puces en masse. Simond précise que l'on possède des observations assez nombreuses de chats domestiques qui ont contracté la peste naturelle dans des villes où régnait une épidémie. [...] On a pensé que son immunité naturelle n'est pas assez solide pour le protéger lorsqu'il dévore journellement des rats pesteux. Toutefois, il n'est nullement démontré que l'infection chez lui s'opère par voie digestive ; elle peut tout aussi bien résulter d'un grand nombre de piqûres de puces infectées. Le fait que les chats qui meurent de la peste présentent ordinairement des bubons du cou n'est pas contraire à cette supposition61.

52Cette puce, qui n'est pas rare sur l'homme, ne pourrait donc être qu'occasionnellement dangereuse pour lui, mais s'avérerait en revanche plus menaçante si elle parasitait ordinairement le rat sur lequel elle s'infecterait à coup sûr, à supposer bien sûr qu'elle soit un bon vecteur.

  • 62 P.-L. Simond, 1905 ; op. cit., p. 29.
  • 63 H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 123 (trad. pers.).
  • 64 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 35.
  • 65 Ibidem, p. 228 et p. 238.
  • 66 P. Cartana Castella et J. Gil Collado, 1934, op. cit., p. 15 (trad. J. Muñoz Lacasta).

53On chercha donc rapidement à mesurer le degré de fréquentation des rats par Ctenocephalides felis. Elle a été observée sur les Rats d'habitation, note Simond, en France, par Gauthier et Raybaud, en Italie par Tiraboschi, en Australie par Tidswell et Thompson, dans l'Inde par Hankin, au Brésil par O. Gonçalves Cruz et par Lutz62. Selon Chick et Martin, cette puce peut en effet se rencontrer sur les rats mais elles semblent être seulement des visiteurs occasionnels63. R. Jorge, dans son rapport de 1928, conclut que Les Ctenocephalus canis et felis savent très bien piquer le rat et l'homme64. Au Japon ou aux Etats-Unis, elles se fixent souvent sur le rat65. Pour Cartana Castella et Gil Collado qui l'observent durant l'épidémie de Barcelone en 1931, c'est la puce du chat, qui peut aussi parasiter fréquemment le rat sous nos climat66.

54Toutes les observations concourraient donc, à juste titre, à établir la présence occasionnelle mais non pas rare de Ctenocephalides felis sur le rat, et donc son infectiosité en temps de peste, faisant de cette puce un transmetteur potentiel très inquiétant pour l'homme qu'elle ne dédaigne en aucune manière. Mais les études qui furent menées concernant la capacité de cette puce à transmettre révélèrent toutes une efficacité vectorielle tout à fait négligeable, sinon totalement nulle.

  • 67 Indian Plague Commission, 1907, op. cit., p. 414.
  • 68 In : R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 400.
  • 69 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 35.

55Ainsi la Commission des Indes enregistra 100 % d'échecs lors de ses 27 expériences menées pour tenter de transmettre la peste de cobaye à cobaye à l'aide de cette puce67. D. T. Verjbitski aurait obtenu quelques succès en 1902 en exposant des rats sains aux piqûres de lots de 10 puces de chat nourries 12-48 heures avant sur des animaux infectés68. R. Jorge estime dans son rapport que Les Ctenocephalus canis et felis [...], malgré leur infectiosité reconnue, ne semblent colporter le virus ni inter-murin ni inter-humain. [...] une confirmation de plus qu'à ces puces il manque le pouvoir d'envenimer la piqûre, peut-être par défaut de blocage69. A titre d'exemple, le rapport sur les puces infectées durant l'épidémie de Yura au Japon en 1908, indique que, sur 442 Ctenocephalus felis récoltées, aucune ne fut trouvée porteuse du bacille.

  • 70 Cité in : R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 364 et p. 401.

56Lors des expériences de Eskey et Haas (1940), sur 28 puces de chat nourries sur un cobaye pesteux, 2 seulement s'infectèrent, se montrant de sorte beaucoup moins aptes à contracter l'infection que les puces de rongeurs70.

  • 71 Cité in : ibidem.

57Wheeler et Douglas obtinrent des résultats positifs en mettant à piquer un lot de 50 puces de chat sur un cobaye immédiatement après la mort de leur hôte infecté (souris), et avec le même lot mis à piquer sur un nouveau cobaye deux jours après la mort du cobaye contaminé71. Mais il s'agit là de simples transmissions mécaniques de masse. Ces deux auteurs n'ont enregistré en revanche que des échecs en effectuant des épreuves individuelles de transmission avec cette puce, bien que 12 des 14 insectes utilisés aient été reconnues infectés.

  • 72 A. Herivaux et C. Toumanoff, « Epidémiologie de la peste à Saïgon-Cholon (1943). L’étude de la fau (...)
  • 73 In : R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 400.

58Selon Pollitzer, Herivaux et Toumanoff72 ne sont pas parvenus à infecter des rongeurs avec des puces de chat, ni avec des puces de chien, récoltées dans des maisons ayant abrité des pesteux. On doit, de ce fait, conclut-il avec eux, [...] douter que, dans les conditions naturelles, les puces habituelles de chat et de chien interviennent dans la transmission de la peste73.

  • 74 J.-C. Beaucournu, 1995, op. cit., p. 241.
  • 75 Euryxène : qui s’adapte à de nombreux hôtes.
  • 76 R. Devignat, « Particularités de la peste au Congo belge », Revue médicale de Liège, 7, 1952, p. 7 (...)
  • 77 R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 401.

59Selon J.-C. Beaucournu74 enfin, Devignat (1952) travaillant dans l'actuel Zaïre, où Pulex irritans n'existait pas alors mais était remplacée par Ctenocephalides felis strongylus (beaucoup plus euryxène75 que la forme nominative), estime que la transmission indirecte d'homme à homme par la puce humaine Ctenocephalides felis ne semble pas possible [...]. C'est probablement une des raisons pour lesquelles les cas de peste humaine (dans l'Ituri) sont relativement rares et les épidémies limitées dans l'espace76. En effet les inoculations par broyats effectuées par Devignat se sont montrées positives à plusieurs reprises, mais même ses expériences de transmission de masse avec Ctenocephalides felis strongylus se sont soldées par des échecs77.

60Ainsi, Ctenocephalides felis felis, bien qu'assez bien placée pour opérer un relais entre rat et homme, serait un très mauvais vecteur, voire nul. On s'accorde généralement à l'éliminer de la chaîne épidémique, sauf cas exceptionnels.

La puce du chat et du chien sauvages : Ctenocephalides canis

  • 78 J.-C. Beaucournu, 1995, op. cit., p. 240.

61Cette puce ne fut pas tout de suite différenciée de Ctenocephalides felis. Ses hôtes sont pourtant différents car, là où C. felis parasite chats et chiens des maisons, C. canis est inféodée aux carnivores sauvages. Mais selon J.-C. Beaucournu, cette puce aurait pu cependant vivre dans l'habitat médiéval : C. canis, d'origine paléarctique, est inféodé aux carnivores selva-tiques, renard, chacal... de cette région ; le chien sera parasité si les conditions de vie, et de gîte, sont presque naturelles : niche creusée dans un trou de falaise calcaire, chien vivant en semi-liberté ; aux siècles passés, le climat des habitations restant quelque peu drastique, quant au confort, C. canis devait pouvoir y vivre [...]78. Cependant C. canis est beaucoup moins agressive que C. felis et sans doute moins tentée qu'elle de parasiter homme et rat.

  • 79 H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 123.
  • 80 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 228 et 238.
  • 81 Ibidem, p. 35.
  • 82 P. Cartana Castella et J. Gil Collado, 1934, op. cit., p. 16 (trad. J. Muñoz Lacasta).

62Elle fut, comme Ctenocephalides felis, repérée occasionnellement sur des rats, par Chick et Martin79, par les collaborateurs de R. Jorge qui la signalent sur le rat au Japon ou aux Etats-Unis80. R. Jorge associe Ctenocephalides canis à Ctenocephalides felis pour déclarer que cette puce sait très bien piquer le rat et l'homme81. A Barcelone, Cartana Castella et Gil Collado, signalent que C. canis n'est pas fréquente sur les rats et qu'on l'y rencontre de manière occasionnelle82.

  • 83 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 35.
  • 84 R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 399.

63De même que pour Ctenocephalides felis, R. Jorge conclut que la puce des carnivores sauvages est une piètre vectrice de la maladie83. R. Pollitzer, résumant les diverses expériences effectuées, estime également que la puce commune du chat Ct. felis felis et la puce du chien Ct. canis se sont montrées toutes les deux faiblement vectrices de la peste84.

64Enfin, une donnée historique indirecte milite à l'encontre de l'une ou l'autre de ces deux puces : la progression très rigoureuse de la peste par voisinage, par rues et par quartiers juxtaposés, si souvent observée par le passé dans les villes et les villages des xive-xviiie siècles en Occident, où chiens et chats errants abondaient et parcouraient librement la cité d'un bout à l'autre, incite à éliminer ces puces de carnivores du processus épidémique.

La puce de la souris : Leptopsylla segnis

  • 85 Cette puce fut antérieurement nommée Typhlopsylla musculi, Ctenopsylla musculi, Ctenopsyllus muscu (...)

65Concernant cette puce, l'accord est unanime. Leptopsylla segnis, la puce commune de la souris domestique Mus musculus, peut parasiter le rat, mais occasionnellement, sauf en quelques exceptions où elle peut abonder85.

  • 86 D. S. Kettle, Medical and Veterinary Entomology, Wallingford, Oxon, C.A.B. International, 1990, 65 (...)
  • 87 G. Guerrini, « Topi, pulci e peste in Giappone », Giornale della Reale Società Italiana d’Igiene, (...)

66Elle peut s'infecter, mais plus difficilement que d'autres86. Pourtant, dans la ville japonaise de Yura, en 1908, sur 132 Leptopsylla segnis recueillies, 44,6 % étaient infectées87. Les témoignages de souris pesteuses sont assez rares mais non absents.

  • 88 P. Cartana Castella et J. Gil Collado, 1934, op. cit., p. 17.

67Les visites de Leptopsylla segnis sur les rats seraient également sans danger puisque, ainsi que le rappellent Cartana Castella et Gil Collado88, les cas de rats pesteux trouvés avec des bubons cervicaux sont très rares alors que cette région est la zone de piqûre privilégiée de la puce de la souris.

  • 89 in : R. Jorge, 1928, op. cit., p. 126-127.

68Un consensus général s'accorde à reconnaître que cette puce, bien que pestifère, est inapte à transmettre la peste : ainsi le rapport du Dr L. Raynaud pour l'Algérie indique que la puce de la souris [...] ne transmet pas la peste. Si l'on met, au laboratoire, une souris saine à côté d'une autre mourante de peste, les puces de cette dernière se jettent sur la première, qui n'est cependant pas infectée89.

69Les souris étant très sensibles au bacille, tout indiquerait donc qu'elles ne seraient pas infectées par leurs propres parasites mais par ceux du rat, qui les visitent occasionnellement.

  • 90 C. Tiraboschi, 1904, op. cit., p. 180.
  • 91 H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 132-133.

70Outre ce faible pouvoir vectoriel, chacun s'accorde en outre à reconnaître que la puce de la souris est d'autant moins dangereuse qu'elle ne pique pas l'homme. A la suite des expériences de Galli-Valerio (1900) et de Tidswell (1903), C. Tiraboschi n'aboutit à son tour qu'à des résultats négatifs : Pour ce qui regarde cette espèce, mes expériences ont été si extraordinairement nombreuses et exécutées sur un nombre si grand d'individus et dans des conditions si favorables pour la réussite positive des expériences, que je ne peux admettre pour cette espèce la possibilité de piquer l'Homme, ni même par exception ; d'ailleurs personne n'a jamais obtenu des résultats positifs avec des exemplaires bien déterminés de cette Puce90. D. T. Verjbitski, en 1904, ne parvint pas plus à les faire piquer, en dépit de 40 expériences menées sur lui-même. En 1911, Chick et Martin signalèrent malgré tout que Mc Coy et Mitzmain (1909) et Gauthier et Raybaud (1910) avaient noté que cette puce pouvait, à l'occasion, piquer l'homme. Les deux chercheurs effectuèrent donc une série d'expériences avec 46 puces de souris, affamées depuis 24 heures. Quatre d'entre elles seulement s'attachèrent à l'homme et mordirent mais, après examen, il fut constaté qu'une seule d'entre elles avait ingéré du sang humain91.

  • 92 R. Jorge, Les anciennes épidémies de peste en Europe, comparées aux épidémies modernes, Instituto (...)
  • 93 R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 396.

71L'ensemble de ces constatations permet à R. Jorge d'écrire en 1932 que le consensus des expérimentateurs et des épidémiologistes exempte la souris de toute nocivité ; elle peut attraper la peste, mais ne la communique pas à l'homme, parce que sa puce, Leptopsylla segnis, a du dégoût pour le sang humain92. R. Pollitzer conclut vingt ans plus tard dans le même sens : Il est généralement admis que la place tenue par L. segnis dans la transmission de la peste est presque négligeable pour deux raisons : d'une part, son pouvoir vecteur est faible ; d'autre part, elle ne pique l'homme qu'avec la plus grande répugnance93.

  • 94 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 31.
  • 95 P. A. Buxton, « The recorded distribution of certain fleas », Bulletin of Entomological Research, (...)
  • 96 Wu Lien-Teh et al., 1936, op. cit., p. 275 (trad. pers.).

72A l'appui de cette inocuité, R. Jorge fournit l'intéressant exemple de la Tasmanie, indemne de peste dans les premières années du siècle alors que l'Australie est infectée : Dans la Nouvelle Galles du Sud et dans le Queensland, où la peste a sévi de 1900 jusqu'à 1909, les rats sont très infectés de cheopis ; tandis qu'en Tasmanie, entièrement indemne de peste, on n'a jamais trouvé la puce indienne, et la puce murine commune est la Leptopsylla musculi94. Ajoutons que la carte de répartition des principales espèces de puces dans le monde, établie par P. A. Buxton en 1941, montre toujours cette absence de Xenopsylla cheopis en Tasmanie alors qu'elle est présente sur toute la côte sud-est de l'Australie. Il est important de noter également que, d'après cette même cartographie, Pulex irritans est présente en revanche en Tasmanie comme en Australie95. Wu Lien-Teh et al. ne manquent pas de relever ce fait : Un frappant exemple de la connexion étroite unissant X. cheopis et les épidémies de peste bubonique est fourni par l'étude de la peste en Australie. Les Etats les plus infectés pendant les années 1900-1909 furent le New South Wales et le Queensland, où les rats étaient fortement parasités par X. cheopis. En revanche, Victoria, qui ne souffrit que légèrement de la peste, ne présentait qu'une très petite population de cheopis, tandis que la Tasmanie, exempte de cheopis, n'a jamais été infestée par la peste (Cumpston and McCallum, 1926)96.

Les puces de la volaille et des passereaux : Ceratophyllus gallinae et Echidnophaga gallinácea

73Ces puces communes sur la volaille et sur certains oiseaux, et susceptibles d'investir l'habitat humain, ont été peu longtemps suspectes.

  • 97 J.-C. Beaucournu et H. Launay, 1990, op. cit.

74Ceratophyllus gallinae est la puce des basses-cours d'Europe. Elle vit sur les passereaux, les poules, les canards et les pigeons. Mais elle ne parasite pas le rat ni aucun autre rongeur, à l'exception du rat musqué, dont l'apparition en Europe date du xxe siècle, du loir, sensible à la peste, et qui peut constituer pour elle un hôte occasionnel, et du renard. En outre l'homme n'est pour elle qu'un hôte accidentel97. Qui pénètre dans un poulailler ou manipule un passereau se trouve recouvert de ces puces en grande abondance mais constate qu'elles l'abandonnent vite et sans le piquer. Cette puce ne saurait donc constituer un relais ni de rat à homme, ni d'homme à homme, et elle se place hors du processus épidémique.

  • 98 Ibidem.
  • 99 Schuberg et Manteufel, 1910, cité in : H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 123.
  • 100 R. Pollitzer, 1954, op. cit, p. 355.
  • 101 D. S. Kettle, 1990, op. cit., p. 506.
  • 102 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 35.
  • 103 A. L. Burroughs, 1947, op. cit.
  • 104 J.-C. Beaucournu, 1995, op. cit.

75Echidnophaga gallinacea, dont la poule est l'hôte primaire, est une puce des régions chaudes et, comme Xenopsylla cheopis, ne s'acclimate pas en zones tempérées sinon dans certains biotopes particuliers comme les zones côtières du bassin méditerranéen et surtout portuaires98. Sa dangerosité en Occident ne concernerait donc que quelques lieux précis et pour une très courte durée. A la différence de Ceratophyllus gallinae, elle parasite le rat qui est pour elle un hôte secondaire. Elle peut même être très fréquente sur lui en certaines régions, ainsi à Dar-es-Salam (Afrique de l'Est) où elle formait 22 % des puces récoltées sur les rats99. En Inde, elle est relativement abondante sur les rats des quartiers résidentiels ou des zones suburbaines, ou encore dans les zones rurales à proximité des basses-cours100. Selon Kettle101 et Burroughs, Echidnophaga gallinacea s'attache à la tête de son hôte, autour du museau ou aux oreilles, et les rongeurs s'en débarrassent aisément et vite en en dévorant la plupart. Le rapport de R. Jorge indique que ces puces ne semblent [pas] colporter le virus, ni inter-murin, ni inter-humain102. Les expériences de Burroughs montrèrent cependant que Echidnophaga gallinacea était un bon vecteur individuel, au même rang que Nosopsyllus fasciatus103. Mais le fait que cette espèce ne fréquente l'homme qu'à titre très accidentel ne permet pas non plus de la retenir comme un agent de transmission, ni épisodiquement en Europe, ni généralement dans les régions chaudes. J.-C. Beaucournu n'évoque pas non plus ces deux espèces parmi les puces vectrices potentielles de la peste104.

La puce du lapin : Spilopsyllus cuniculi

  • 105 J.-C. Beaucournu et H. Launay, 1990, op. cit.

76Il est très rarement parlé de cette puce. En effet, comme celle du hérisson, cette espèce exclusive ne tolère que son seul hôte primaire, le lapin de garenne105. Aussi n'est-elle pas envisagée parmi les possibles vecteurs de la maladie.

1928 : les puces vectrices identifiées

77Ainsi, après trente années de recherches initiées par P.-L. Simond, seules quelques espèces pouvaient finalement prétendre au titre incontesté de vecteur de la peste :

  • au premier chef, Xenopsylla cheopis, la propagatrice universellement admise de la peste dans les zones chaudes et tempérées chaudes. Plus tard, on la reconnut épaulée par son efficace congénère Xenopsylla brasiliensis, et relayée en certaines régions par Xenopsylla astia aux performances vectorielles plus médiocres
  • dans les zones tempérées, seule Nosopsyllus fasciatus, la puce commune du rat noir, se présentait comme le vecteur des épidémies d'Occident. On avait prouvé qu'elle était apte au blocage et qu'elle piquait volontiers l'homme.

78Ctenocephalides felis et canis étaient reconnus très mauvais vecteurs, de même que l'autre puce du rat, Ctenophthalmus agyrtes, ou bien celle de la souris, Leptopsylla segnis, deux espèces auxquelles en outre le sang humain répugnait. Les puces des oiseaux et du lapin étaient également mises hors de cause.

79Quant à Pulex irritans, la puce de l'homme, trente années d'expérimentation avaient montré qu'elle ne pouvait transmettre que par lots importants et tout récemment infectés, c'est-à-dire par transmission mécanique de masse. La probabilité que de tels lots se nourrissent sur un rat pesteux étant très improbable, c'est seulement dans le cas d'un passage d'homme à homme qu'une transmission de masse pouvait se produire par son entremise. Mais cette transmission mécanique interhumaine se trouvait soumise à une série de conditions qui la limitaient de beaucoup :

  • que la septicémie du malade soit assez intense pour contaminer valablement les trompes des puces pour 24 à 72 heures
  • qu'un lot important de puces ait piqué quasi simultanément le malade au bref stade de sa septicémie
  • que ce même lot, lors d'une veillée mortuaire, ait quitté le cadavre pour une même et unique victime nouvelle, sans se répartir sur différents hôtes humains.
  • 106 Voir fig. n° 1 (page suivante) résumant cette première théorie épidémiologique.

80Un tel enchaînement de conditions, bien sûr envisageable mais néanmoins de caractère exceptionnel, rendait donc considérablement moindre pour un homme le risque d'être infecté en masse par Pulex irritans que celui d'être infecté par la piqûre efficiente d'une seule Nosopsyllus fasciatus échappée depuis plusieurs jours d'un cadavre d'homme ou de rat. Dans son rapport rassemblant les études des ses nombreux collaborateurs, R. Jorge n'hésitait donc pas à consacrer Nosopsyllus fasciatus, dès 1926, comme l'unique puce responsable des épidémies historiques et modernes de l'Occident106.

81Le processus de l'épidémisation de la peste se trouvait donc enfin résolu : transfert de la peste sylvatique des rongeurs sauvages aux rats domestiques via leurs puces communes, puis transfert subséquent des rats aux hommes, via les puces de rat Xenopsylla pour les zones chaudes et Nosopsyllus fasciatus pour les zones tempérées. Restaient à comprendre de nombreux aspects épidémiques : l'émergence ou les réémergences de la maladie ; l'existence de foyers invétérés ; la capacité du bacille à survivre dans la profondeur de la terre, périodiquement réexhumé des terriers profonds par les rongeurs sauvages, voire par les rongeurs domestiques ; le rôle des rongeurs sauvages sensibles ou résistants, les processus variables d'épidémisation selon les régions ; l'avortement de la troisième pandémie en Europe. Restait enfin à accroître toujours les moyens de lutte contre la maladie.

82Mais, en dépit de ces questions qui demeuraient en suspens en 1928, la chaîne épidémique était comprise, et les puces vectrices opérant la transmission entre le rat et l'homme étaient dûment et définitivement désignées dès cette date, pour l'Asie, l'Afrique du Nord et l'Europe.

Figure n° 1 : Première théorie d’épidémisation de la peste, 1898-1932.
Rats → puces de rat → hommes → puces de rat → hommes ➡ Epidémie

Figure n° 1 : Première théorie d’épidémisation de la peste, 1898-1932.Rats → puces de rat → hommes → puces de rat → hommes ➡ Epidémie

Légende
N. f. = Nosopsyllus fasciatus (puce de rat) ; X. c. = Xenopsylla cheopis (puce de rat)

Notes

1 Le terme de « pectinées », qui n’est plus usité aujourd’hui par les spécialistes, désigne les puces pourvues de « peigne » (ou plus précisément de cténidie), pseudo-soies larges et épaisses rangées comme les dents d’un peigne, au bord postérieur du prothorax (premier segment thoracique). Ainsi Xenopsylla et Pulex sont non « pectinées », Nosopsyllus et Ctenocephalides le sont (J.-C. Beaucournu, comm. pers.).

2 W. G. Liston, « Plague, rats and fleas », Journal Bombay Nat. Hist. Soc., vol. XVI, 1905, p. 253, cité in : Indian Plague Commission, « Experiments upon the transmission of plague by fleas. Historical introduction », « Reports on Plague Investigations in India, Journal of Hygiene, vol. VI, 1906, p. 425-434.

3 N. C. Rothschild, « Note on the species of fleas found upon rats, Mus rattus and Mus decumanus, in different parts of the world, and on some variations in the proportion of each species in different localities », in : Indian Plague Commission, « Reports on Plague Investigations in India, Journal of Hygiene, vol. VI, 1906, p. 483 (trad. pers.).

4 J.-C. Beaucournu, « Origine biogéographique de Nosopsyllus fasciatus (Bosc, 1800) (Siphonaptera – Ceratophyllidae) et observations sur son hôte primitif », Biogeographica, 74 (3), 1998, p. 125-132, p. 126.

5 Indian Plague Commission, 1907, op. cit., p. 414.

6 Dans une série d’expériences ultérieures, Bacot [1915] a utilisé des lots de 100-300 N. fasciatus à jeun, infectées en se nourrissant sur des souris pesteuses moribondes. Elles furent ensuite gardées dans des cages recouvertes de toile cirée et conservées à une température moyenne de 7,5 °C. En mettant des souris saines dans ces cages de temps en temps, Bacot a pu démontrer que la peste persistait chez les puces des trois cages, respectivement pendant 29, 34 et 47 jours. In : R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 394.

7 C. R. Eskey et V. H. Haas, « Plague in the western part of the United States », Bull. U. S. Publ. Health Serv., n° 254, 1940, p. 1-83.

8 C. M. Wheeler et J. R. Douglas, « Sylvatic plague studies, V. The determination of vector efficiency », Journal infect. Diseases, 77, 1945, p. 1-12.

9 A. L. Burroughs, 1947, op. cit.

10 R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 376.

11 Ibidem, p. 379 et 380.

12 J.-C. Gauthier et A. Raybaud, « Recherches expérimentales sur le rôle des parasites du rat dans la transmission de la peste, Revue d’Hygiène et de Police sanitaire, vol. XXV, n° 5, 1903.

13 Les résultats de J.-C. Gauthier et A. Raybaud sont exposés dans : J.-C. Gauthier et A. Raybaud, 1903, ibidem, et J.-C. Gauthier et A. Raybaud, « La puce du rat (Ceratophyllus fasciatus) pique l’homme », Compte-Rendus de la Société de Biologie, vol. LXVII, 1909, p. 859.

14 H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 129 (trad. pers.).

15 […] mes expériences sur le Ceratophyllus fasciatus [Nosopsyllus fasciatus] ont été moins nombreuses et sous la dénomination de Ceratophyllus fasciatus j’ai confondu d’abord le véritable Ceratophyllus fasciatus et une espèce nouvelle très semblable au Ceratophyllus fasciatus et que j’ai nommée Ceratophyllus italicus. Comme nous le verrons plus loin, les différences entre le Ceratophyllus fasciatus Bosc et les espèces voisines (Ceratophyllus consimilis W., C. mustelae W., C. lagomys W., C. italicus Tirab., C. penicilliger Grube, etc.) sont si petites et si difficilement appréciables que l’on peut bien douter si les Puces signalées par des auteurs tels que Tidswell et Gauthier et Raybaud sous le nom de Pulex fasciatus soient vraiment des Ceratophyllus fasciatus ou plutôt l’une ou l’autre des espèces voisines. Il faut donc répéter les expériences avec des individus de toutes ces espèces soigneusement et exactement déterminées. In : C. Tiraboschi, « Les rats, les souris et leurs parasites cutanés dans leurs rapports avec la propagation de la peste bubonique », Archives de Parasitologie, VIII, n° 2, 1904, p. 161-349, p. 179-180.

16 C. Tiraboschi, « Etat actuel de la question du véhicule de la peste », Archives de Parasitologie, 11/4, 1907, p. 545-620, p. 596.

17 G. Girard, 1943, op. cit., p. 7.

18 In : C. Tiraboschi, 1907, op. cit., p. 615.

19 H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 129.

20 Ibidem, p. 130 (trad. pers.).

21 Ibid., p. 131.

22 Ibid., p. 135 (trad. pers.).

23 C. Strickland, 1914, op. cit.

24 E. Roubaud, « Invasion domiciliaire spontanée produite par la puce des rongeurs indigènes, Ceratophyllus fasciatus Bosc. », Bull. Soc. Path. Exotique, vol. 24, 1931, p. 383-84.

25 J.-C. Beaucournu, « A propos du vecteur de la peste en Europe occidentale au cours de la deuxième pandémie », Bull. de la Soc. Française de Parasitologie, 13, n° 2, 1995, p. 233-251, p. 240.

26 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 23.

27 R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 339.

28 L. F. Hirst, The Conquest of plague. A study of the evolution of epidemiology, Clarendon Press, Oxford, 1953, 478 p. (trad. pers.).

29 E. Roubaud, 1931, op. cit.

30 A. W. Bacot, Rapport sur les puces et les rats en Grande-Bretagne, 1919-1920, in : R. Jorge, 1928, op. cit., p. 61-62.

31 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 31, 32, 33.

32 G. Gueniot-Le Minor, 1981, op. cit., p. 65.

33 C’est à l’entomologiste J.-C. Beaucournu qu’on doit d’avoir fort utilement rappelé l’impossibilité pour Xenopsylla cheopis de vivre sur le continent européen, hormis temporairement dans les cales des bateaux accostant et dans certaines zones portuaires, en petites colonies précaires vites anéanties par le froid, ou dans des biotopes isolés particuliers et rares, tels des carrières ou des caves d’immeubles chauffées (J.-C. Beaucournu, 1995, op. cit., p. 238-240).

34 Le nom de « puce de l’homme » attribué à Pulex irritans est en réalité scientifiquement impropre : selon J.-C. Beaucournu en effet, l’homme n’était pas à l’origine l’hôte primitif de cette puce, mais les carnivores sauvages. Tardivement, au Paléolithique sans doute, elle serait passée sur l’homme. Depuis, cette puce est bel et bien inféodée à l’espèce humaine et dispersée par elle.(J.-C. Beaucournu, « Les puces synanthropes », Bull. de la Soc. Française de Parasitologie, t. 8, n° 1, 1990, p. 145-148.)

35 D. T. Verjbitski, 1908, op. cit., p. 162.

36 J. D. Long, « Bubonic plague on the west coast of South America in 1934 », Public Health Reports, 50, n° 29, Washington, 1935, p. 923-932.

37 A. Ramos Diaz, Boletin de la Oficina sanitaria panamericana, 17, 1938, p. 776 et sv.

38 On trouve souvent citée l’expérience de Wu Lien-Teh et R. Pollitzer (1929) qui ont infecté des cobayes avec des lots de trois et de deux Pulex irritans, prélevées lors de l’épidémie de Mandchourie en 1928, dans la région de Tungliao. Mais cette transmission n’en est en réalité pas une car elle fut effectuée par injection au cobaye du broyat des puces mortes, et non pas par piqûre naturelle (Wu Lien-Teh et al., 1936, op. cit., p. 300). On cite également, parmi les plus petits lots de Pulex irritans étant parvenus à transmettre, les résultats de G. Blanc et M. Baltazard (G. Blanc et M. Baltazard, 1945, op. cit.), sur lesquels on reviendra longuement ultérieurement.

39 A. L. Burroughs, 1947, op. cit., p. 388 (trad. pers.).

40 C. Tiraboschi, « Les rats, les souris et leurs parasites cutanés dans leurs rapports avec la propagation de la peste bubonique », Archives de Parasitologie, VIII, n° 2, 1904, p. 161-349, p. 249.

41 Indian Plague Commission, 1908, op. cit., p. 246 (trad. pers.).

42 H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 123 (trad. pers.).

43 R. Jorge, 1928, op. cit.

44 Ibidem, p. 125.

45 Ibid., p. 131.

46 Ibid., p. 187.

47 Ibid., p. 228.

48 Ibid., tableau p. 238.

49 Ibid., tableau p. 244.

50 P. Cartana Castella et J. Gil Collado, Estudio de la ratas y de sus ectoparásitos en ocasion del brote epidémico de peste en Barcelona en 1931, Comisión Permanente de Investigaciones sanitarias, Dirección General de Sanidad, Madrid, Publicationes oficiales de la C.P.I.S., 1934, 116 p., p. 41 (trad. J. Muñoz Lacasta).

51 G. Blanc, « Une opinion non conformiste sur le mode de transmission de la peste », Revue d’Hygiène et de Médecine sociale, IV/6, 1956, p. 535-562, p. 552.

52 J.-C. Beaucournu et H. Launay, Les puces (Siphonaptera) de France et du Bassin méditerranéen occidental, Faune de France 76, Fédération Française des Sociétés de Sciences Naturelles, Paris, 1990, 548 p.

53 C. J. Martin et S. Rowland, « Observations sur la peste causée par les rats dans l’East Suffolk », Rep. Local Government Board, nouvelle série, 52, 1911, cité in : R. Jorge, 1928, op. cit., p. 58.

54 Ces résultats sont cités par A. W. Bacot, dans son rapport de 1919-1920 sur les puces et les rats en Grande-Bretagne, lui-même cité par R. Jorge, 1928, op. cit. p. 58-62.

55 H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 133.

56 Ellle était alors nommée Ctenocephalus serraticeps lorsqu’elle n’était pas différenciée entre felis et canis, ou bien Pulex felis, puis Ctenocephalus felis, et parfois simplement appelée la « puce du chat », bien qu’elle fréquentât l’un et l’autre animal de la maison.

57 Daniel Defoe, A Journal of the plague year, 1ère éd. 1722, Penguin Classics 1986, 256 p., p. 136.

58 M. Lucenet, Les grandes pestes en France, Aubier, 1985, 284 p., p. 235.

59 C. Tiraboschi, 1904, op. cit., p. 258 et 239.

60 P.-L. Simond, 1905, op. cit., p. 31.

61 P.-L. Simond, 1910, op. cit., p. 447.

62 P.-L. Simond, 1905 ; op. cit., p. 29.

63 H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 123 (trad. pers.).

64 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 35.

65 Ibidem, p. 228 et p. 238.

66 P. Cartana Castella et J. Gil Collado, 1934, op. cit., p. 15 (trad. J. Muñoz Lacasta).

67 Indian Plague Commission, 1907, op. cit., p. 414.

68 In : R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 400.

69 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 35.

70 Cité in : R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 364 et p. 401.

71 Cité in : ibidem.

72 A. Herivaux et C. Toumanoff, « Epidémiologie de la peste à Saïgon-Cholon (1943). L’étude de la faune pulicidienne des rats dans ses rapports avec la transmission de la peste », Bull. Soc. Path. Exot., t. 41, 1948, p. 47-59.

73 In : R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 400.

74 J.-C. Beaucournu, 1995, op. cit., p. 241.

75 Euryxène : qui s’adapte à de nombreux hôtes.

76 R. Devignat, « Particularités de la peste au Congo belge », Revue médicale de Liège, 7, 1952, p. 761-768.

77 R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 401.

78 J.-C. Beaucournu, 1995, op. cit., p. 240.

79 H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 123.

80 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 228 et 238.

81 Ibidem, p. 35.

82 P. Cartana Castella et J. Gil Collado, 1934, op. cit., p. 16 (trad. J. Muñoz Lacasta).

83 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 35.

84 R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 399.

85 Cette puce fut antérieurement nommée Typhlopsylla musculi, Ctenopsylla musculi, Ctenopsyllus musculi ou Ctenopsylla segnis.

86 D. S. Kettle, Medical and Veterinary Entomology, Wallingford, Oxon, C.A.B. International, 1990, 658 p., p. 506.

87 G. Guerrini, « Topi, pulci e peste in Giappone », Giornale della Reale Società Italiana d’Igiene, Fasc. I, Anno XLIV, Milano, 1927, p. 1-8, p. 7.

88 P. Cartana Castella et J. Gil Collado, 1934, op. cit., p. 17.

89 in : R. Jorge, 1928, op. cit., p. 126-127.

90 C. Tiraboschi, 1904, op. cit., p. 180.

91 H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 132-133.

92 R. Jorge, Les anciennes épidémies de peste en Europe, comparées aux épidémies modernes, Instituto Central de Higiene, Lisboa, 1932, 24 p., p. 18.

93 R. Pollitzer, 1954, op. cit., p. 396.

94 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 31.

95 P. A. Buxton, « The recorded distribution of certain fleas », Bulletin of Entomological Research, vol. 32, 1941-1942, p. 119-122.

96 Wu Lien-Teh et al., 1936, op. cit., p. 275 (trad. pers.).

97 J.-C. Beaucournu et H. Launay, 1990, op. cit.

98 Ibidem.

99 Schuberg et Manteufel, 1910, cité in : H. Chick et C. J. Martin, 1911, op. cit., p. 123.

100 R. Pollitzer, 1954, op. cit, p. 355.

101 D. S. Kettle, 1990, op. cit., p. 506.

102 R. Jorge, 1928, op. cit., p. 35.

103 A. L. Burroughs, 1947, op. cit.

104 J.-C. Beaucournu, 1995, op. cit.

105 J.-C. Beaucournu et H. Launay, 1990, op. cit.

106 Voir fig. n° 1 (page suivante) résumant cette première théorie épidémiologique.

Table des illustrations

Titre Figure n° 1 : Première théorie d’épidémisation de la peste, 1898-1932.Rats → puces de rat → hommes → puces de rat → hommes ➡ Epidémie
Légende LégendeN. f. = Nosopsyllus fasciatus (puce de rat) ; X. c. = Xenopsylla cheopis (puce de rat)
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