1Symptomatiques de la fiscalité d’Ancien Régime et supprimés à ce titre par la loi des 19-25 février 1791, les octrois qui frappaient les objets de consommation furent rétablis par le Directoire pour remédier à la situation catastrophique des finances municipales. Une première loi, du 9 germinal an V, posa le principe du recours aux contributions indirectes locales en cas d'insuffisance des centimes additionnels. Elle fut suivie, le 27 vendémiaire an VII, par une autre loi qui institua dans la capitale un octroi « municipal et de bienfaisance ». L'exemple parisien ne tarda pas à être imité par de nombreuses villes de province : en l'an XI, elles étaient déjà près de 5001. Par la suite, leur total continua d'augmenter puis se stabilisa autour de 1500, un chiffre demeuré constant durant le xix^e siècle. Pour autant, il ne faudrait pas conclure de cette stagnation numérique à un déclin relatif de l'institution car la population assujettie doubla entre 1823 et 1896, passant de 6 à 12 000 000 de personnes. Sur la même période, les résultats nets furent quant à eux multipliés par six2.

2Un tel succès s'explique par l'évolution de la législation d'abord restrictive : le produit de l'octroi était primitivement destiné aux seules missions d'assistance. Or, à partir du décret du 17 mai 1809 (art. 1), les taxes furent affectées aux besoins généraux des communes. En conséquence, l'imposition bénéficia d'une réelle faveur qui ne fut pas même démentie par la montée des critiques. Il est vrai que l'octroi présentait indéniablement des avantages que ses défenseurs rappelèrent avec constance : il atteignait les populations qui profitent vraiment des services municipaux ; il était relativement indolore, comme peut l'être tout impôt indirect ; son recouvrement était aisé. Enfin, il procurait aux communes des revenus immédiats, mieux adaptés que les centimes additionnels perçus par l'administration fiscale et reversés à échéances périodiques.

3Élément essentiel de la fiscalité locale, l’octroi repose sur une assise territoriale qui peut être étudiée dans une perspective d’histoire juridique, à partir des textes législatifs, réglementaires, jurisprudentiels et doctrinaux qui ont amplement contribué à sa définition durant tout le siècle. Ces différentes sources, parfois concurrentes, le plus souvent complémentaires, mettent en évidence la double caractéristique du territoire de l’octroi : il s’agit tout d’abord d’un espace essentiellement urbain faisant, ensuite, l’objet d’une stricte délimitation qui souligne encore davantage, en retour, la spécificité de la ville.

Le territoire de l’octroi : un espace essentiellement urbain

4Durant le xix^e siècle, le législateur et le juge administratif s’emploient à favoriser la coïncidence entre l’espace urbain et le rayon de l’octroi. Partant, s’il importe que le périmètre soit circonscrit à l’agglomération, il a aussi vocation à s’identifier à la totalité de cet espace urbain, nonobstant les divisions administratives. Reléguée au second plan en vertu de tels principes, la réalité communale ne disparaît pas pour autant. Elle revient de temps à autre sur le devant de la scène comme le prouve l’exemple parisien.

Le périmètre circonscrit à l’agglomération

5On chercherait en vain des développements fournis consacrés au mot « agglomération » dans les grands répertoires de droit du xix^e siècle. Lorsqu’ils ne sont pas tout bonnement silencieux comme l’est le Dalloz, ils demeurent pour la plupart peu loquaces, à l’instar du Béquet. Il n’y a guère que le Dictionnaire de l’administration française de Block qui offre quelques indications. On y lit ainsi que l’agglomération désigne une « réunion de plusieurs personnes ou de plusieurs choses en un tout compact. Une commune peut se composer d’habitations non groupées en ville ou village, ou seulement d’un groupe plus ou moins resserré de maisons, ou à la fois d’habitations juxtaposées ou agglomérées et d’habitations isolées ». Et le texte se termine sur cette remarque : « Il peut être […] important de fixer les limites de l’agglomération ; c’est une simple question de fait »3.

6Admise par tous les acteurs juridiques sans être reconnue par aucun texte, cette notion joue un rôle capital dans la fixation du rayon de l’octroi car il est rare que celui-ci couvre l’ensemble du territoire d’une commune.

7Déjà, en posant le principe de l’assujettissement des faubourgs, l’article 26 de l’ordonnance du 9 décembre 1814 en avait exclu les « dépendances rurales entièrement détachées du lieu principal ». Par la suite, si la loi de finances du 28 avril 1816 avait maintenu une telle distinction à l’égard du droit d’entrée, perçu au profit de l’État, elle paraissait l’avoir abrogée pour les octrois : l’article 147 attribuait en effet aux conseils municipaux la détermination des limites du périmètre, sans autre précision4. Les autorités locales en conclurent qu’elles n’étaient plus tenues par les restrictions posées antérieurement, selon une interprétation bientôt validée par le Conseil d’État et la Cour de Cassation qui jugèrent que la perception était désormais permise en dehors de l’agglomération5. Dans les faits, l’exonération des propriétés rurales put être conservée, mais la Cour de Cassation précisa qu’elle devait être entendue de manière rigoureuse : les établissements industriels n’étaient pas susceptibles d’en profiter6.

8Dans le dernier tiers du xix^e siècle, cependant, la jurisprudence administrative revint sur sa première attitude et s’efforça pratiquement de limiter la compétence des municipalités en matière de périmètre. D’une part, elle refusa d’étendre le rayon de l’octroi à des champs, à des jardins, à des parcs ou à des terrains vagues et plus largement à des territoires inhabités ou reculés, dont la surveillance se serait avérée tout à la fois difficile et onéreuse7. Il ne fallait pas davantage décourager les activités agricoles8. Dans le décret de suspension du 23 août 1882 relatif à l’octroi d’Antrain, en Ille et Vilaine, le Conseil d’État rappela que le périmètre ne devait pas trop s’éloigner de l’agglomération principale ni comprendre, par une disposition spéciale du règlement, les habitations construites à une certaine distance des chemins y conduisant, en l’espèce des maisons qui se trouvaient à 20 mètres des différentes voies de communication9.

9Autorisée, l’extension le fut, d’autre part, sous réserve que les zones détachées du centre bénéficient intégralement des avantages de la ville : services municipaux de police, d’éclairage, de balayage, entreprises de transports, de distribution de gaz et d’eau10. Enfin, même considérées comme remplissant toutes les conditions pour être atteintes par la taxe, ces zones purent se voir appliquer un régime plus avantageux, différent de celui de l’agglomération11. En 1886, la ville de Calais fut ainsi amenée à établir un tarif spécial pour la partie de son territoire située en dehors de l’enceinte fortifiée12. Dans certaines localités, l’extension de l’octroi déboucha de la sorte sur la mise en place d’un double périmètre à l’intérieur d’un même espace administratif. Une telle situation devait néanmoins rester exceptionnelle compte-tenu des inégalités qu’elle était susceptible d’engendrer13.

Le périmètre coïncidant avec l’agglomération (au delà du ressort communal)

10Parce qu’étroitement dépendant d’une réalité urbaine qui dépasse les divisions administratives, le périmètre de l’octroi peut être appelé à englober plusieurs communes. Il en est ainsi dans le cadre de l’octroi de banlieue.

11Le décret du 17 mai 1809 avait admis la possibilité d’assujettir « les banlieues et dépendances des villes », y compris « les portions de banlieue appartenant à un autre territoire »14. Prolongeant la législation impériale, l’article 152 de la loi du 28 avril 1816 énonça à son tour que « des perceptions pourront être établies dans les banlieues autour des grandes villes, afin de restreindre la fraude ». Le but avoué de l’institution était donc de rendre plus difficile l’introduction clandestine des objets imposés en organisant une double ligne de contrôle. Il s’agissait également d’assurer le rendement normal des taxes en prévenant l’exode des habitants vers des zones affranchies15.

12La création d’un tel octroi fut toujours subordonnée à l’accomplissement de certaines formalités. Dans un premier temps, on se contenta d’une délibération du conseil municipal de la grande ville, ainsi qu’en témoignent les visas de l’ordonnance du 11 juin 1817, instaurant l’octroi de la Seine16. Une métropole pouvait donc imposer sa volonté aux localités limitrophes sans respecter le principe de l’initiative communale, pourtant consacré par l’article 147 de la loi du 28 avril 1816 et observé par le gouvernement qui ne chercha jamais à établir des taxes d’office17. Encore fallait-il que cette grande ville fût d’une réelle importance. En 1836, les communes de Saint-Pierre, Saint-Médard, Saint-Jean-d’Août et Nonères obtinrent ainsi l’annulation de l’ordonnance royale élargissant le rayon de l’octroi de Mont-de-Marsan, au motif que la population du chef-lieu des Landes s’élevait à moins de 4 000 personnes, un total jugé insuffisant18.

13Par la suite, pour atténuer le caractère autoritaire des extensions, le Conseil d’État en vint à requérir la consultation préalable des conseils municipaux concernés19, conformément du reste aux dispositions du décret impérial de 180920. Cependant, consultation ne signifiait pas nécessairement approbation, bien qu’aucun cas de désaccord ne soit connu après 1854, date à laquelle le revirement intervint. Le débat en resta donc au stade théorique, mais il n’est pas inutile de noter que les auteurs de l’article « Octrois » du Répertoire Béquet écartent sans hésitation la règle de l’initiative communale. Pour Michel Tardit et André Ripert, tous deux membres du Conseil d’État, « l’opposition d’une petite commune ne devrait pas empêcher la réalisation d’une mesure qui peut présenter un intérêt très général et […], dans le silence des textes spéciaux à l’octroi de banlieue, il n’y pas lieu d’exiger l’assentiment des municipalités intéressées. Il suffit qu’elles aient été entendues »21.

14Malmenée du point de vue de l’établissement, l’autonomie communale était néanmoins préservée quant à l’affectation du produit de la perception. L’article 152 de la loi du 28 avril 1816 disposait en effet que « les recettes faites dans [l]es banlieues appartiendront toujours aux communes dont elles seront composées ». Cependant, le tarif mis en place différa souvent de celui en vigueur dans la ville principale, dans la mesure où il ne prescrivit que des droits réduits et ne porta que sur certaines denrées se prêtant particulièrement à la fraude. Ce fut le cas de l’octroi de la Seine, englobant toutes les communes des arrondissements de Sceaux et de Saint-Denis22 et perçu exclusivement sur les eaux-de-vie, esprits et liqueurs23.

La situation particulière de la capitale

15Il ressort des considérations qui précédent que le territoire de l’octroi est loin de correspondre à l’espace administratif. Dans le premier cas, le périmètre s’identifie à la seule portion agglomérée de la commune alors que les parties rurales en sont exclues ; dans le second, les taxes s’étendent aux objets de consommation introduits dans un espace continu couvrant plusieurs communes et incluant parfois toutes les localités d’un même arrondissement. Sans être totalement occultée, la réalité municipale s’efface donc le plus souvent devant les exigences fiscales. Néanmoins, il peut arriver qu’une volonté politique fasse correspondre les surfaces urbaine et communale. Le cas de Paris est à cet égard exemplaire tant l’extension de ses limites sous le Second Empire paraît étroitement liée à la question de l’octroi24.

16L’établissement de l’enceinte continue voulu par la loi du 3 avril 1841 s’étant opéré sans modification de la réglementation, il existait intra-muros deux périmètres distincts : d’une part, celui de la capitale, fondé par la loi du 27 vendémiaire an VII (18 octobre 1798) et obéissant à des dispositions spéciales25 ; d’autre part, celui de l’octroi de la Seine, créé en 1817, et comprenant plus spécialement les communes de Passy, Auteuil, Batignolles-Monceaux, Montmartre, La Chapelle, La Villette, Belleville, Charonne, Vaugirard et Grenelle… qui se trouvaient, en totalité ou en partie, dans l’intervalle entre les frontières de Paris et les fortifications. La loi du 16 juin 1859 vint mettre un terme à cette situation. L’économie du texte est particulièrement révélatrice de l’optique dans laquelle l’agrandissement fut décidé. Si les trois premiers articles s’attachent au nouveau découpage administratif et à ses modalités (annexion et suppression de plusieurs communes, réorganisation territoriale des localités suburbaines et de Paris désormais divisé en 20 arrondissements, modification de son conseil municipal), l’article 4 traite quant à lui explicitement des conséquences fiscales de telles mesures. Il prévoit qu’ » à partir du 1^er janvier 1860, le régime de l’octroi de Paris sera étendu jusqu’aux nouvelles limites de cette ville ». Les trois articles suivants sont eux-aussi consacrés à la même matière, dont on mesure par là l’importance26.

17L’exposé des motifs de la loi, présentée le 3 mai 1859, apporte un éclairage supplémentaire qui corrobore cette première impression. Il précise d’emblée que « le projet ne se borne pas à changer les territoires et à modifier l’existence municipale de ces populations, il les met sous le régime de l’octroi de Paris »27. D’ailleurs comme le rappelle le rapporteur, la Chambre des députés, saisie en 1841 par les opposants à l’extension, refusa d’en prononcer l’ajournement pour une période de 20 années. Elle se contenta d’inviter le gouvernement à lui soumettre un texte lorsque « le moment lui paraîtrait venu d’étendre le rayon de l’octroi jusqu’aux fortifications ». Or, en 1859, une telle décision ne pouvait plus être différée : elle fit donc l’objet d’une double justification, tout à la fois urbaine et financière. Sur le premier point, et l’ordre de la présentation n’est pas insignifiant, « l’aspect général » de la capitale et de sa banlieue (je cite le rapporteur) « est celui d’une unique ville ; et dans la réalité, tous ces territoires sont les immenses faubourgs de la cité qui leur a donné naissance ». Au delà de l’enceinte de Paris, « une ville considérable s’est créée, qui se confond avec lui et qui l’enveloppe ». Par delà la diversité administrative et fiscale, l’idée d’un continuum urbain est ainsi le premier argument employé en faveur de l’annexion. Il est relayé, second point, par une évidence difficilement contestable au regard de la situation parisienne sous le Second Empire : les communes de la banlieue ne possèdent pas les ressources nécessaires à leur développement. Il faut en effet des moyens financiers considérables pour remplacer des « rues étroites et obscures » par de « larges voies, pleines d’air et de soleil », pour multiplier les kilomètres de voies publiques, pour étendre le réseau d’égouts, « une des merveilles de la science appliquée à la salubrité », pour secourir convenablement les indigents, pour garantir la sécurité des habitants, pour satisfaire aux besoins spirituels par la construction et l’entretien d’édifices cultuels. Voilà l’entreprise impériale doublement légitimée.

Le territoire de l’octroi : un espace urbain délimité

18Coïncidant parfois avec le ressort communal, en adéquation surtout avec l’espace urbain, le territoire assujetti doit en tout état de cause être strictement délimité et matérialisé, faisant ainsi mieux ressortir les contours de la ville.

La délimitation concrète du territoire de l’octroi

19La délimitation du périmètre incombe au conseil municipal. En vertu de l’article 26 de l’ordonnance royale du 9 décembre 1814, elle doit figurer dans le règlement soumis à l’approbation du chef de l’État au moment de la création de l’octroi. Chargé depuis 1842 de l’examen de la proposition communale, le Conseil d’État exige qu’un certain nombre de renseignements lui soient communiqués, concernant l’étendue et la disposition du territoire ou l’importance respective des agglomérations et des dépendances rurales28. Il demande pareillement que le périmètre soit défini de manière très précise. La délibération municipale doit contenir la description détaillée des limites proposées, plan à l'appui. En conséquence, le tracé ne saurait être établi d’une manière conditionnelle. Il est impossible d’autoriser une extension hypothétique, subordonnée à une circonstance en expectative, comme la construction d’une gare dont l’emplacement n’est pas encore arrêté29. À l’avenant, on ne peut décider que les bâtiments d’une ferme seront exclus du rayon de l’octroi tant que leur destination restera inchangée30. S’il peut être opportun d’apporter des modifications au périmètre, il faut savoir que celles-ci obéissent aux formes mêmes qui sont requises pour l’établissement des taxes. Dans ce sens, le Conseil d’État subordonne l’élargissement à la production de pièces justificatives démontrant la nécessité d’augmenter les ressources communales ou l’utilité de lutter contre les fraudes favorisées par un tracé défectueux31. La haute juridiction dénonce catégoriquement tout ce qui conduirait à la satisfaction des intérêts particuliers d’une localité dont les autorités s’avèrent par moment peu scrupuleuses. Elle éconduit les municipalités qui sollicitent sans cesse l’extension du périmètre afin d’atteindre les habitants établis au dehors, ou qui y voient un moyen de terminer un litige, à l’instar de la ville de Clermont désireuse de trancher à son avantage le différend l’opposant au propriétaire d’une usine32.

20D’une manière plus concrète, le tracé du périmètre doit suivre une ligne continue. Il ne suffit pas d’en indiquer quelques points, comme par exemple l’emplacement des poteaux d’octroi. D’ailleurs, en l’absence de précision, le juge considère que le territoire assujetti doit s’arrêter aux dernières maisons de l’agglomération urbaine33. Nécessairement continue, cette ligne n’en est pas pour autant abstraite. Elle doit s’appuyer sur les obstacles naturels ou artificiels du territoire communal : cours d’eau, route, relief du sol, clôture, enceinte fortifiée… Sur la base de repères parfaitement visibles et non d’ouvrages soustraits au regard comme des canalisations souterraines, il s’agit d’éviter l’incertitude et de prévenir les infractions, ce qui aboutit parfois à des situations singulières. Ainsi, dans la mesure où la jurisprudence prend comme limite de l’octroi l’axe de la route, les habitations se trouvant du côté de l’agglomération seront comprises dans le périmètre quand celles bâties en face ne le seront pas. Le constant souci d’exactitude qui anime le Conseil d’État rencontre parfois des obstacles qui empêchent la fixation du tracé. C’est le cas des communes maritimes car, par principe, la mer échappe à la réglementation des autorités locales. Cependant, la Cour de Cassation considère que l’octroi peut être étendu aux portions de mer qui cessent d’être libres, étant conquises et rattachées à la terre ferme par des ouvrages artificiels34.

21La délimitation précise du rayon de l’octroi a pour effet de restreindre la perception des taxes à la zone définie, mais aucune partie du territoire compris dans cette zone ne saurait en être exonérée. Les juridictions judiciaires ont été amenées à clarifier certaines situations relatives aux moyens de transports. Concernant les navires, s’ils bénéficient d’exemptions, les marchandises qu’ils transportent sont soumises aux droits à mesure de leur déchargement35. Celles-ci, même déposées à quai, ne sont pas considérées comme introduites dans le périmètre tant que leur destinataire n’en a pas pris possession36. La situation des chemins de fer est globalement analogue, malgré quelques différences qui ne sont pas sans conséquence. En effet, bien que les compagnies ferroviaires disposent elles aussi d’exemptions, les voies ferrées et les gares auxquelles elles aboutissent ne sont pas tenues pour des lieux neutres, placés fictivement hors du territoire assujetti, et par suite affranchies du payement des droits. Certes, il n’y a pas lieu de percevoir les taxes lorsque les objets ne font que traverser le périmètre, mais il en est autrement des marchandises parvenues à destination, quand bien même elles ne sortiraient pas de la gare ou de ses dépendances37. La Cour de Cassation a tranché en ce sens dans une espèce où le déchargement n’avait pas été effectué ; cependant, les wagons contenant les biens en cause avaient été détachés et remisés dans une cour dépendant des magasins destinées au dépôt38. Dans la même optique, des passagers ne peuvent introduire au buffet d’une gare située à l’intérieur du rayon de l’octroi, des objets tels que du gibier compris dans le tarif, sans en faire la déclaration39.

La matérialisation du territoire de l’octroi

22Pour que le recouvrement des droits puisse valablement être opéré, il importe que les redevables soient informés de l’assujettissement à l’octroi du lieu dans lequel ils pénètrent. Reprenant les termes du décret impérial du 17 mai 1809, l’article 26 de l’ordonnance royale du 9 décembre 1814 prévoit que « les limites du territoire auquel la perception s’étendra seront indiqués par des poteaux, sur lesquels seront inscrits ces mots : Octroi de… » (suivi du nom de la commune). Et l’article 27 de ce texte, s’attachant à l’introduction des objets, poursuit dans ce registre informatif : « Les tarifs et règlements sont affichés dans l’intérieur et à l’extérieur de chaque bureau, lequel sera indiqué par un tableau portant ces mots : Bureau de l’octroi. »

23La jurisprudence a peu à peu précisé la portée de ces deux articles. Relativement aux poteaux indicateurs, les tribunaux ont conclu dès 1811 que leur établissement était une mesure d’ordre public : par conséquent, si leur existence exclut toute excuse de bonne foi, leur absence supprime, en revanche, l’élément essentiel de la contravention40. La signalisation est donc tenue pour une obligation qui s’impose partout où les particuliers ont un libre accès, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les voies publiques et les voies privées à usage du public41. Dans le même sens, lorsqu’une île faisant partie du territoire d’une commune est comprise dans le périmètre de l’octroi, des poteaux indicateurs doivent être installés aux divers points par lesquels on peut y pénétrer, soit en bateau, soit à marée basse, en voiture ou à pied. La question s’était posée en 1895 pour l’île Tristan qui relevait de Douarnenez. L’installation d’un écriteau, pour une seule des voies d’accès, avait été jugée insuffisante par le tribunal correctionnel de Quimper et par la cour d’appel d’Angers42.

24Si le juge judiciaire reste fermement attaché au principe énoncé en 1809 et rappelé en 1814, il en promeut, à partir du Second Empire, une interprétation plus favorable aux municipalités. Il vient en effet à considérer que l’absence de poteaux n’exclut la contravention que dans les parties du territoire assujetti autres que le lieu principal43 ; pour celui-ci, il y est suppléé par la présence des bureaux de l’octroi qui révèlent aux introducteurs que la ville est sujette aux taxes44.

25Partant, il importe que ceux-ci soient parfaitement localisés, en particulier lorsqu’il s’agit des bureaux périphériques. La pratique administrative exige que le règlement en fixe le nombre, l’emplacement et la destination. Les autorités communales ne peuvent se contenter de mentionner qu’elles en installeront sur les points où il sera jugé utile de le faire45. D’ailleurs, toute modification entraînant création ou suppression de bureaux suppose l’agrément de l’autorité supérieure qui se prononce sur la base des exigences de la perception et de la lutte contre la fraude.

26En dehors des bureaux proprement dits, situés aux abords de l’agglomération, des postes d’observation peuvent être disposés sur les limites du périmètre et dans d’autres lieux comme les gares. Ceux-ci sont appelés à rendre d’estimables services car les personnes domiciliées dans le rayon, mais au delà des barrières, ne sont pas tenues de justifier du paiement des droits46. Il convient donc de rendre hermétique la « frontière » de l’octroi. En conséquence, les redevables sont astreints à procéder, auprès de ces postes d’observation, à la déclaration des objets qu’ils transportent. Les préposés leur délivrent des certificats au vu desquels la perception des taxes est effectuée au bureau désigné à cet effet. Au reste, dans la mesure où l’article 27 de l’ordonnance du 9 décembre 1814 porte qu’ » il ne pourra être introduit d’objets assujettis à l’octroi que par les barrières ou bureaux désignés à cet effet », les communes en ont déduit qu’elles avaient le pouvoir de prescrire des chemins d’accès par lesquels les marchandises devaient être introduites dans la zone de l’octroi. Cependant, il est impératif de préciser l’emplacement des locaux réservés à certaines déclarations47. De la même manière, la Cour de Cassation veille à la signalisation des bureaux et à l’affichage des tarif et règlement. Le non-respect de ces obligations est exclusif de toute contravention, même si le prévenu a personnellement connaissance de l’existence de l’octroi48.

27Destinés à alimenter les finances communales, ayant une assise territoriale essentiellement urbaine, parfaitement délimitée, repérée et balisée, les octrois imposent durant tout le xix^e siècle une démarcation institutionnelle relativement stricte entre deux mondes. Venant de la campagne, les contemporains qui franchissaient les barrières et se soumettaient aux formalités, étaient donc parfaitement conscients d’entrer en ville.