Le cinéma-vérité
|3. 1963 Critiques du discours de l'effacement et contre-modèles
Chapitre III. Le « cinéma-spectacle » comme contre-modèle
Texte intégral
1960, 1963 : La Punition de Jean Rouch
- 1 À noter que le film s’intitule durant toute la première partie de ce projet Liberté ou La découver (...)
- 2 L’équipe de Chronique tourne les séquences de micro-trottoir le 20 septembre puis la « confrontati (...)
- 3 La Découverte de la liberté (titre provisoire), Films de la Pléiade, archives Braunberger, fonds L (...)
1Moyen métrage diffusé en mars 1963, La Punition et les Fausses Rencontres de Jean Rouch se distingue par une généalogie très particulière1. Tourné en 1960, abandonné durant plusieurs années, ce projet est remonté durant les polémiques de 1963 et constitue à ce titre un contre-modèle au discours de l’effacement, interprétation largement appuyée par Rouch lors des entretiens qu’il accorde à la sortie du film. L’essentiel des scènes est enregistré le week-end du 15 et 16 octobre 1960, soit durant le tournage de Chronique d’un été2. Rouch mobilise une partie de l’équipe technique (Michel Brault, Roger Morillère, Louis Boucher), des participants (Nadine Ballot, Modeste Landry) et emploie les mêmes appareils (caméra Coutant KMT reliée avec fil de synchronisme à un magnétophone Nagra caché dans le sac d’école de la jeune fille). Malgré toutes ses similitudes avec Chronique, La Punition s’en démarque nettement. Le projet se fonde sur un scénario qui définit ainsi l’idée du film : « Il s’agit de faire jouer et réagir les acteurs devant le thème : la recherche de la liberté3. » Envoyé aux participants quelques jours avant les prises, ce texte de six pages comprend quelques dialogues (le reste sera improvisé) et indique précisément les attitudes et les réactions des personnages.
- 4 Raymond Bellour et Maurice Frydland, « Aux sources du cinéma-vérité », Cinéma 63, no 72, janvier 1 (...)
- 5 Jean-Claude Darnal est surtout connu comme compositeur, mais il joue régulièrement en solo à la té (...)
2La Punition raconte l’histoire d’une jeune fille, Nadine (Nadine Ballot), renvoyée de son lycée pour la journée. Errant dans Paris, cette dernière fait successivement la connaissance d’un étudiant en géographie (Jean-Claude Darnal), retrouve son ami Landry (Modeste Landry) puis se laisse aborder par un riche ingénieur (Jean-Claude Simon). Nadine propose tour à tour aux trois hommes de s’enfuir avec elle mais, devant leur refus, elle rentre simplement chez ses parents en fin de journée. Afin de limiter les problèmes de montage posés par les vingt-cinq heures de rushes de Chronique, Rouch souhaite cette fois-ci expérimenter un tournage très rapide dans l’ordre des scènes ; méthode baptisée « montage à la prise de vues » qui permet de ne pas avoir à « amputer » la matière filmée. Selon Rouch, cet idéal n’est possible qu’à condition de suivre avec précision un scénario détaillé. À la sortie de La Punition, dont le tournage totalise 10 heures de prises, il regrettera de n’avoir pas imposé une « histoire écrite » encore plus précise aux acteurs4. Outre le canevas fictionnel, Rouch sélectionne pour incarner le personnage de l’étudiant en géographie un chanteur assez connu, Jean-Claude Darnal5. Ce choix invite le spectateur de l’époque – lequel identifie probablement le jeune musicien – à situer d’emblée la réalisation comme une histoire inventée.
- 6 « Lettre de Me P. Louvet, avoué de Jean-Claude Simon à Monsieur le Président du tribunal de grande (...)
3Le tournage d’octobre 1960 traduit une volonté de poursuivre l’expérience fructueuse de La Pyramide humaine : réaliser une fiction improvisée en profitant de la caméra KMT à disposition et de la présence de Brault à Paris (dont le retour à Montréal est programmé dans les jours qui suivent). Mais on peut supposer que Rouch n’envisage pas que ce tournage aboutisse un jour à un film exploitable. En effet, l’ethnologue ne mentionne jamais ce second travail dans les entretiens qu’il accorde parallèlement à la presse à propos de Chronique et ne sollicite aucun producteur pour financer le projet ou obtenir l’aide du CNC. Ce caractère improvisé aura une autre conséquence : les participants tournent sans avoir signé de contrat. Ce n’est qu’en février 1963 que Pierre Braunberger, des Films de la Pléiade, rétribue financièrement Nadine Ballot et Jean-Claude Darnal. Ce manque de précision sur le statut de l’expérience aura de fâcheuses conséquences, puisque Jean-Claude Simon, un ami de Rouch qui incarne l’ingénieur, s’oppose en 1963 à la diffusion du film. Sans doute inquiet du traitement médiatique subi par les participants de Chronique, Simon intente une action en justice auprès du tribunal de grande instance de la Seine, arguant avoir « réalisé, avec l’un de ses amis, le cinéaste Jean Rouch, un film en court métrage, destiné à des projections purement privées [sans] avoir jamais assisté à la projection du film, ignorant dans quel esprit le découpage [a été effectué]. Jean-Claude Simon a, dans les milieux d’affaires, une situation particulièrement en vue à laquelle une telle publicité porterait un préjudice considérable6 ». Le tribunal ne donne pas suite à sa requête, mais cette affaire témoigne du statut expérimental et privé de ce petit tournage de 1960.
4Après avoir dormi deux ans et demi dans des tiroirs, La Punition n’est véritablement relancé qu’en février 1963 (des plans de coupe sont tournés, la synchronisation est effectuée). Si Rouch prend alors la décision de le montrer publiquement, c’est sans doute parce que ce projet fictionnel lui permet d’illustrer une nouvelle conception du « cinéma-vérité » qu’il défend déjà verbalement dans la presse à l’hiver 1962. En décembre 1962 (Festival de Tours), en janvier (entretien à Cinéma 63) et en juillet 1963 (Nouvelles littéraires) Rouch salue certes les réussites techniques, mais s’interroge sur le principal problème du « cinéma-vérité » : son insuccès. L’engouement médiatique est inversement proportionnel à l’intérêt du public, et cette question taraude Rouch qui pointe alors la diffusion des films :
- 7 Jean Rouch s’exprime de la sorte au Festival de Tours en décembre 1962 lors d’une table ronde réun (...)
« Morin et moi découvrions des enregistrements d’images et de sons synchrones qui nous semblaient être essentiels et transmissibles. Mais l’échec commercial de tous ces films montre que le public ne s’intéresse pas à ces choses, du moins dans le système actuel de distribution. Je pense que c’est une erreur de lancer des films de ce genre dans les circuits commerciaux, car on ne peut pas demander à des gens qui ont suffisamment d’ennuis de payer 5 F pour voir un film qui sera le miroir même de leurs propres ennuis7. »
- 8 Ibid., p. 7. Sa thèse d’un rejet général du cinéma de non-fiction n’est, de loin, pas exacte. À la (...)
- 9 Bernard Dort inscrit cette double diffusion dans le contexte global de la chute du nombre de spect (...)
5Outre ces questions financières, la diffusion des « films-vérité » est problématique pour Rouch, car d’une part, les salles de cinéma sont trop associées au cinéma de fiction (« les gens préfèrent y voir Le Jour le plus long que les actualités du Débarquement, car ils veulent de la fiction pour le moment. Petit à petit, cela changera8 »), et d’autre part, la taille de l’écran convient mal au tournage sans trépied, car le tremblé de l’image devient alors pénible. Pourtant, Rouch n’est pas partisan d’une diffusion exclusivement télévisuelle, même s’il admet dans Cinéma 63 que le « cinéma-vérité » est « un peu à cheval sur la télévision ». Quelle serait la solution idéale ? Rouch prône le développement en France d’un nouveau dispositif de consommation du film. Il s’agit de séances de télévision publiques permettant ainsi de faire coïncider une expérience collective et un écran de taille réduite. Pour appuyer son idée, Rouch présente l’avènement d’un nouveau mode de diffusion comme un processus inexorable, convoquant l’exemple américain : « Depuis trois ans, on assiste à un nouveau phénomène aux États-Unis. Les spectateurs de TV ont maintenant des spectacles de télévision en commun, car ils en avaient assez de voir la télévision avec leur famille, ils veulent aller ailleurs pour avoir des réactions collectives. » Puisqu’un tel compromis n’existe pas en France, Rouch choisit de diffuser La Punition d’abord à la télévision en mars 1963 avant de sortir le film en salles en avril 1964, distribution dont l’originalité est soulignée par la presse9. La Punition permet donc à l’ethnologue de questionner l’insuccès du « cinéma-vérité » et de suggérer en décembre 1962 un nouveau dispositif de diffusion qu’il expérimente en mars 1963. Paradoxalement, son désir de renouveler la consommation des « films-vérité » accompagne la réalisation d’un film à scénario, proche de ce qu’il avait expérimenté quelques années plus tôt avec La Pyramide humaine.
- 10 Quelques phrases de L’Amour fou sont citées en conclusion du film. L’influence du surréalisme est (...)
- 11 Cette citation a été légèrement transformée par rapport à l’original de Justine : « Chétive créatu (...)
- 12 Tiré d’Anatole France (et non d’Apollinaire comme indiqué par Rohmer dans l’interview des Cahiers (...)
- 13 Cette scène disparue est néanmoins décrite dans l’entretien qu’il accorde aux Cahiers, no 144, jui (...)
- 14 À l’exception de Jean-Claude Simon, qui intente une action en justice (voir supra).
6Le décalage temporel entre le tournage et le montage de La Punition permet à Rouch d’accentuer le pan fictionnel de ce moyen métrage par l’introduction de nombreuses références littéraires. Le film, présenté dans le carton de générique comme une « improvisation en trois actes », est ainsi ponctué de plusieurs citations d’Anatole France, du marquis de Sade et d’André Breton10, extraits qui renforcent la nature poétique de l’errance et viennent parfois commenter les actions des personnages. Par exemple, lorsque l’ingénieur laisse repartir Nadine s’élève la voix de Rouch récitant quelques phrases de Justine ou les Infortunes de la vertu : « Ah, Justine, chétive créature ! […] Cet homme est trop bon d’avoir agi comme il l’a fait. À sa place, je ne t’aurais pas laissée partir de chez moi sans m’avoir contenté11. » Outre ses implications érotiques, cette citation en « je » prononcée par Rouch renforce sa posture « d’auteur ». La Punition s’ouvre sur un procédé énonciatif similaire. « Je vais vous dire ce que suggèrent, tous les ans, le ciel agité de l’automne, les premiers dîners à la lampe, les feuilles qui jaunissent dans les arbres qui frissonnent. Je vais vous dire ce que je vois12 » : ces vers d’Anatole France, également énoncés par Rouch, contribuent à ancrer d’emblée cette réalisation comme une œuvre fictionnelle et à éviter que les commentateurs ne l’envisagent, à l’instar de Chronique, comme une enquête scientifique. À noter encore que, lors du montage du film en 1963 et de sa promotion, Rouch rejette toute dimension métadiscursive. Il conserve un plan de Jean-Claude qui, s’emparant du sac d’école de la jeune fille qui contient le Nagra, s’étonne du poids de celui-ci en ces termes : « Ce sont vos livres ? Mais vous êtes dans la classe des dictionnaires ! » Cependant, le cinéaste supprime au montage une séquence finale, très proche des scènes réflexives de Chronique, qui le montrait s’approchant de Nadine avec sa caméra pour faire avec elle le bilan de la journée13. En outre, le cinéaste déclare en mai 1963 aux Cahiers du cinéma : « On ne doit pas sentir [la présence de la caméra]. Cela ne me gêne pas s’il y a des côtés techniques défectueux – des fils qui dépassent des jupes – on sait bien que c’est filmé. Mais on doit oublier que la caméra est là. » Ce rejet de l’interview, de l’exhibition du filmage et du métadiscours sur le film montre que Rouch souhaite désormais rompre avec Chronique d’un été et orienter ce nouveau cinéma en techniques légères vers des expériences de fiction improvisées. L’ethnologue prend d’ailleurs soin d’accentuer cette orientation dans les entretiens qu’il accorde à la sortie (télévisuelle) du film au printemps 1963. Admettant l’insuccès et les problèmes de Chronique, il parle, pour La Punition, d’un « scénario », qualifie ce film de « commedia del arte », et désigne les protagonistes comme des « acteurs », alors qu’il employait, à propos de Chronique, le terme « gens » ou « personnages ». On notera que ce glissement lexical ne renvoie nullement à une différence de traitement, puisque lors des deux tournages, les participants perçoivent une rémunération financière14. Il s’agit bien d’une stratégie discursive qui vise à inscrire La Punition comme une expérience de fiction. Ce positionnement n’est pas synonyme de rupture avec le « cinéma-vérité », mais participe certainement d’une prise de distance avec les chantres du discours de l’effacement contre lesquels s’oppose Rouch au MIPE. Mais l’ethnologue n’est pas le seul à croire au rapprochement entre le « cinéma-vérité » et la fiction. Deux jeunes cinéastes, Jean Herman et Bertrand Blier, se revendiquent aussi de telles tentatives.
Le « cinéma-mensonge » : Le Chemin de la mauvaise route de Jean Herman
- 15 Vautrin publie dès les années soixante-dix de nombreux romans noirs (Billy-Ze-Kick ou Bloody Mary) (...)
- 16 À la suite de son mariage avec une Indienne (Lila Herman, future monteuse de Godard), Jean Herman (...)
- 17 Entre la première soumission à la commission de la censure en 1962 et la seconde en 1963, le film (...)
7Jean Herman (plus connu sous son nom de plume Jean Vautrin15) est formé à l’IDHEC et assiste Rossellini sur India en 195716. Après quelques courts métrages (Voyage en Boscavie, Actua Tilt), il se lance au printemps 1962 dans la réalisation d’un film en caméra légère sur un couple de « blousons noirs » (Colette et Jean-Claude) qui s’intitule d’abord Bon pour la vie civile et qui sera rebaptisé Le Chemin de la mauvaise route lors de sa sortie en automne 196317. Contrairement à La Punition, un tel décalage temporel entre la réalisation et la diffusion du film n’est pas le fait de la volonté du réalisateur, mais est dû à une interdiction de la censure qui bloque la sortie du film de septembre 1962 à septembre 1963. On peut supposer que la commission n’a pas toléré le portrait très attachant qui est donné de ce couple de délinquants. Effectivement, le film véhicule leur point de vue amusé sur le vol, la violence physique et sexuelle, les centres de redressement ou l’avortement, sans que ces propos ne soient explicitement condamnés. Néanmoins, Le Chemin de la mauvaise route se termine sur l’annonce de la grossesse de la jeune femme alors que son compagnon vient d’être une nouvelle fois arrêté par la police, conclusion qui pose un regard critique sur leur mode de vie. Compte tenu de sa période de réalisation (avril à septembre 1962), cette œuvre n’est pas une « réponse » aux polémiques qui marquent de début de l’année 1963. Néanmoins, Herman propose avec Le Chemin de la mauvaise route une réflexion sur le « cinéma-vérité » expérimenté par Rouch et Morin dans Chronique d’un été.
- 18 Par exemple dans Laurent Perrin, Jean Herman, qui deviendra Vautrin, Éd. Films du paradoxe, 2011.
8Comme Rouch, Herman se réclame d’une proximité inédite avec le réel filmé, d’un tournage léger (son opérateur, Jean-Jacques Tarbes, a d’ailleurs travaillé sur Chronique) et qualifie a posteriori le film de « cinéma-vérité »18. Pourtant, Le Chemin réfute la pertinence des méthodes rouchiennes auprès de jeunes sujets. Accompagnant les premières images de Jean-Claude et Colette, le commentaire du film, récité par Jean-Louis Trintignant, pose frontalement la question de la restitution « véridique » de la parole adolescente :
« Dans le fond, qui connaît les jeunes ? Personne. Sans doute parce que ça n’est jamais les mêmes qui sont jeunes et qu’en outre, dès qu’on est enfant, on possède très fort en soi l’intuition formelle d’un furieux coefficient de dissimulation. À la limite, pour faire un film sur les jeunes, il fallait faire un film sur le mensonge […]. Aux interviewers en forme de raminagrobis, nous avons préféré substituer des digressions et des analogies en forme de cinéma-mensonge. Car, comme l’a écrit quelque part un auteur de films qui vit dans son siècle et qui s’appelle Chris Marker, la vérité, c’est l’artifice, tout simplement. »
9Le mensonge étant le propre de la jeunesse, Le Chemin de la mauvaise route se propose d’emprunter à son tour cette voie biaisée et indirecte pour dire la vérité du couple d’adolescents. Outre le commentaire qui joue le « cinéma-mensonge » contre le « cinéma-vérité », Herman truffe le début de son film de références à Chronique d’un été, sorti six mois avant le tournage.
- 19 Au bout de 8 minutes 14 secondes, un intertitre annonce enfin : « Trois spécialistes de l’enfance (...)
- 20 Il est certes possible que ce long pré-générique ait été imposé par le comité de censure afin d’or (...)
10Premièrement, le long pré-générique – presque un dizième du film – montre trois hommes non identifiés discutant de questions éthiques (l’identification du spectateur à ce mode de vie répréhensible), morales (la possible « rédemption » du jeune couple) ou cinématographiques (la sincérité des témoignages). À mon sens, ce débat métadiscursif constitue une référence directe à la dernière séquence de Chronique où les participants s’interrogent sur des problématiques similaires. Pourtant, ce questionnement est ici tourné en dérision. Le carton qui identifie les trois « spécialistes » (un juge, un éducateur et un médecin) n’intervient qu’au terme d’une discussion de plus de huit minutes19. En outre, la situation introductive de l’échange annihile tout l’intérêt de leur réflexion, puisque les trois experts débattent de choses que le spectateur ne peut pas comprendre, n’ayant pas encore vu le film. Enfin, cette discussion est réalisée de manière volontairement chaotique : l’unique caméra se désolidarise très souvent de la personne qui parle, balaie les trois visages et se focalise sur certains détails comme les alliances ou les montres des trois notables. Ainsi, la longue discussion métadiscursive est construite de manière à ce que les opinions « spécialistes » sur la jeunesse apparaissent comme inappropriées, confuses et pédantes20.
- 21 À la suite de ces brefs inserts sonores, le commentaire explique : « Les voix que vous venez d’ent (...)
- 22 La femme de Jean Herman, la comédienne Anne Doat tient un rôle dans Dragées au poivre. Il est prév (...)
11Par ailleurs, le générique montre un groupe de rock en concert, mais leur musique entraînante est interrompue par des micros-trottoirs où des voix adultes livrent des opinions pontifiantes sur les blousons noirs et la jeunesse (« Je prétends que les jeunes gens bien élevés s’habillent à la française et pas à l’américaine », « Ils ont tout ce qu’ils veulent », « Évidemment, il y a quelques brebis galeuses »)21. Ces inserts sonores rappellent fortement la séquence de micro-trottoir dans Chronique et, selon moi, composent, après le débat métadiscursif, un second clin d’œil au film de Rouch et Morin. Mais comme la discussion des « spécialistes », ces fragments d’interviews, qui cassent sans cesse le rythme de la musique rock, sont agencés de manière à apparaître, aux yeux du spectateur, comme une intrusion pénible. Ces références ne sont pas des hommages à Chronique22. Elles contribuent à poser d’emblée une nette dichotomie entre l’univers satisfait et doctoral des adultes auquel conviennent les méthodes rouchiennes de « cinéma-vérité », et le monde des adolescents associé au « cinéma-mensonge ». L’expression, aussi employée à l’été 1962 pour dénoncer la malhonnêteté de Mondo Cane, n’a ici aucune signification négative. Elle renvoie au contraire à une prétention « créative » et « artistique » particulièrement perceptible dans le montage. Effectué par Nadine Trintignant, ce travail étaye la définition de la jeunesse posée en début du film (« la jeunesse, ce n’est pas moral, c’est instable, c’est incohérent, illogique »). Les différentes thématiques sur lesquelles s’expriment Colette et Jean-Claude (« bagarres », « nous deux », « les copains », etc.) sont ponctuées par de multiples inserts d’images fixes (dessins, vieux films, cartes postales), construisant ainsi un second discours, ironique ou métaphorique, propre au cinéaste. De surcroît, le montage de la séquence dite « la vitesse » s’inspire par exemple des films des avant-gardes : les plans de Jean-Claude au volant sont entrecoupés par des images de machines, de rockers, de lutteurs, d’yeux et de bouches féminins ; ces différentes composantes s’enchaînent de plus en plus rapidement, pour ne plus apparaître à la fin de la séquence qu’une fraction de seconde.
- 23 Comme chez Rouch, les « acteurs » du film perçoivent une rémunération financière. Ils touchent 5 0 (...)
12La confession du couple est utilisée comme une matière première sans que l’on se soucie de coller véritablement à la réalité des faits. Le visage de la jeune fille en pleurs (enregistré à la fin du film, alors que Jean-Claude a été arrêté) interrompt plusieurs fois les propos enthousiastes du jeune homme sur la violence ou la vitesse, suggérant l’issue malheureuse de ces aventures. Outre le montage, Herman introduit aussi des séquences jouées comme celle intitulée « Intimité, scène jouée » où les adolescents miment au lit une dispute conjugale (Jean-Claude arbore des lunettes et un faux-nez) ou « Jalousie » dans laquelle l’adolescent poignarde des épouvantails que sa compagne déguisée avait préalablement embrassés. Avec Le Chemin de la mauvaise route, Herman prône une forte intervention du cinéaste sur la réalité filmée par un montage extrêmement élaboré et, ponctuellement, par un canevas fictionnel fourni aux protagonistes23. L’objectif de Herman, clairement posé en introduction, est donc de rompre avec le « cinéma-vérité » mis en place par Chronique en œuvrant à un rapprochement avec le cinéma de fiction. En cela – et c’est bien paradoxal – il s’inscrit dans la veine des tentatives que Jean Rouch poursuit au même moment avec La Punition.
Hitler, connais pas de Bertrand Blier
- 24 François Chalais, « Interview de Bertand Blier », Cinépanorama, émission télévisée diffusée le 12 (...)
13La troisième œuvre qui cherche à détourner le « cinéma-vérité » de ses fonctions d’enquête journalistique ou scientifique pour investir des pratiques généralement réservées au cinéma de fiction est le premier film de Bertrand Blier, intitulé Hitler, connais pas. Ce long métrage alterne – et parfois juxtapose – les confessions d’une dizaine d’adolescents aux valeurs et aux parcours extrêmement divers, formant ainsi une image sévère de la jeunesse. Ces personnages sont invités par Blier à exprimer leurs points de vue sur des thématiques variées (l’environnement familial, l’école, la sexualité, l’amour, les sorties, le travail), mais toutes les questions du cinéaste sont supprimées au montage. Contrairement à ce que suggère le titre, ce film ne dénonce nullement un quelconque apolitisme. Au contraire, l’énoncé « Hitler, connais pas » – jamais prononcé dans le film – est supposé synthétiser le rapport d’indifférence de cette nouvelle génération à la chose politique et à l’histoire récente. Ce désintérêt n’offusque en rien le réalisateur de 24 ans, ainsi qu’il l’explique dans l’émission Cinépanorama : « Hitler ne vient rien faire dans le film, c’est uniquement un symbole de la génération d’après-guerre qui n’a pas connu la guerre et qui, en grande majorité, a fait une croix sur le passé24. » Le portrait que dresse ce film de la jeunesse est franchement pessimiste : soit les intervenants subissent une situation économique, sociale et familiale difficile (la fille-mère en foyer, le garçon qui a grandi dans un environnement violent), soit ils incarnent une jeunesse dorée et matérialiste (le « fils à papa », la mannequin fêtarde, la jeune femme superficielle). Le rapport des jeunes à la politique n’est pas épargné : la plupart n’en parlent pas et le seul qui déclare lire Karl Marx est un personnage psychologiquement fragile dont le zozotement transforme « Marx » en « Max ». Au fil de ses interventions médiatiques, Blier revendique son appartenance à cette classe d’âge et ne présente jamais son film comme un discours dénonciateur par rapport à cette triste jeunesse. Hitler, connais pas se veut davantage une suite de confessions-chocs et d’images très esthétisées qu’une critique de cette génération d’après-guerre. Le travail de Blier n’est pas à comprendre comme une dénonciation de l’absence de positionnement des « films-vérité » mais, au même titre que La Punition ou Le Chemin de la mauvaise route, comme une tentative pour diriger le « cinéma-vérité » vers la voie du spectaculaire.
- 25 Interview au Havre-Libre, citée dans l’ouvrage Hitler, connais pas, Saint-Amand, Union générale d’ (...)
- 26 Raymond Bellour, « Hitler, connais pas », Cinéma 62, no 70, novembre 1962.
- 27 François Chalais, « Interview de Bertand Blier », Cinépanorama, 12 juin 1963.
- 28 Blier cité par René Quinson, « Pour psychanalyser la jeunesse, Bertrand Blier invente le cinéma-co (...)
14Le rapport de Blier avec l’étiquette « cinéma-vérité » varie considérablement entre les prémices de son projet en mars 1962 et la sortie du film en juillet 1963. Dans les entretiens qu’il accorde durant le tournage et le montage, le jeune cinéaste se réclame d’une « pure » captation de la réalité en déclarant par exemple au Havre-Libre en mars 1962 : « Nous n’avons cherché à bâtir aucun scénario, la fiction n’interviendra jamais dans ce que nous allons raconter. Bien au contraire, nous nous proposons de montrer le vrai visage de la jeunesse25. » Dans les mois qui précèdent la sortie du film, Blier accole explicitement le label morinien à son travail, en présentant par exemple à Raymond Bellour pour Cinéma 62 son long métrage comme « un film de cinéma-vérité » ou comme « un travail de cinéma-vérité sur la jeunesse26 ». En 1962, tandis que le discours de l’effacement rencontre un vif succès médiatique, Blier inscrit son travail dans cette veine alors même que le tournage ne correspond en rien à un filmage léger. Mais pour accompagner la projection du film à Cannes ou la sortie du film en salles en 1963, Blier s’éloigne de cette notion qui suscite tellement de débats. Le jeune réalisateur prend ses distances avec la « ligne classique » : « Jean Rouch et ses adeptes ont épuisé la formule des interviews prises au vol, des caméras dissimulées. Nous allons faire le contraire : un film entièrement tourné en studio, avec des sujets face à la caméra27. » En effet, son projet consiste d’abord à recruter des jeunes selon un critère strictement physique (« Je voyais un garçon ou une fille qui avait un physique intéressant, je l’arrêtais et presque toujours il avait quelque chose à dire »), puis à enregistrer leurs témoignages oraux sur un simple magnétophone avant de sélectionner les moments forts de leurs confessions. Enfin, Blier les convoque dans le studio d’Épinay en leur demandant de répéter, face à trois lourdes caméras Mitchell, certaines parties de leurs récits. Il se fonde non pas sur un canevas fictionnel, comme le font Rouch et partiellement Herman, mais tout de même sur une ligne directrice qui prédétermine le tournage. Blier revendique très explicitement la dimension créative de son travail : il souhaite explorer avec Hitler, connais pas « une synthèse du cinéma-vérité et du cinéma-spectacle28 ». Pour se démarquer encore de l’influence de Chronique d’un été, de Ruspoli ou de Leacock, Bertrand Blier opte comme Herman pour une mise au point dès le début du film. Hitler, connais pas s’ouvre par une suite de cinq cartons qui définissent, essentiellement par la négative, les objectifs du film :
« Ce film ne prétend pas être un panorama de la jeunesse actuelle.
Il s’agit uniquement de onze jeunes qui ont ou qui vont avoir vingt ans en 1963. Onze personnages, c’est tout… choisis dans le but de faire un spectacle et non une enquête.
Chacun d’entre eux, parfaitement au courant du résultat recherché, a accepté de parler individuellement devant les caméras. Bien que le montage les rapproche, ils ne se sont jamais rencontrés pendant le tournage.
Venus d’horizons différents, ils parlent en leur nom propre. Ils ne prétendent pas être des porte-paroles.
Bien sûr, il y a les autres. »
15Rédigés au printemps 1963, ces textes introductifs répondent point par point aux critiques qui sont adressées aux « films-vérité » et particulièrement à Chronique (les prétentions sociologiques, l’instrumentalisation des participants, le montage manipulateur). Mais comme chez Herman, cette première prise de distance se double d’un second démarquage implicite : Hitler, connais pas s’ouvre ensuite sur une présentation du lieu qui accueille le tournage du film : de longs plans extérieurs du studio font suite à une exhibition frontale de l’imposant appareillage technique (caméras lourdes, éclairages, micros, objectifs), soulignée par des bruits de machines, des cris des travailleurs de plateaux, alors que les visages des techniciens, de la maquilleuse et du cinéaste demeurent cachés (voir captures d’écran reproduites au cinquième chapitre de la deuxième partie). En revanche, plusieurs gros plans détaillent les traits d’une jeune participante à l’air inquiet et à la voix peu assurée. Ce prologue construit le filmage comme un rapport de force entre d’une part une machinerie lourde, impressionnante, déshumanisée, et d’autre part une jeune femme éblouie, isolée et intimidée. Par cette double entrée en matière, Hitler, connais pas se distancie des attaques formulées à l’encontre des « enquêtes de cinéma-vérité », et se positionne explicitement contre la prise sur le vif et contre le rapport empathique « d’homme à homme » revendiqué jusqu’alors par les partisans des techniques légères. Dans une logique similaire, aucun des protagonistes n’est nommé, et cet anonymat contribue à renforcer l’assimilation de ces jeunes à des cobayes.
- 29 François Chalais, « Interview de Bertand Blier », Cinépanorama, 12 juin 1963.
16Outre son prologue, qui permet à Blier de prendre ses distances avec le discours de l’effacement, Hitler, connais pas innove par son montage. Les témoignages des onze participants sont agencés par analogie, de sorte que l’on ait souvent l’impression que les uns réagissent aux dires des autres. Par exemple, lorsque que la jeune femme « matérialiste » traverse le plateau pour s’asseoir face aux caméras, le montage alterne des gros plans de son corps (cheveux, jambes) et des images des protagonistes masculins (qui tournent la tête, resserrent leur cravate, passent la langue sur leurs lèvres), construisant ainsi des « réactions » qui s’affichent comme factices puisque le carton introductif a annoncé que les personnages ne se sont jamais rencontrés. De même, plusieurs fragments des témoignages sont juxtaposés de manière à ridiculiser certains participants, à établir des rapprochements thématiques (défilés de mode/défilés militaires ; bruits de l’usine/bruits de la boîte de nuit Chez Régine), voire à construire de faux champs/contrechamps (les deux très jeunes adolescents qui racontent leurs amours). Le montage de Hitler, connais pas affiche son non-respect de la continuité spatio-temporelle et revendique un travail de création de type fictionnel, comme son réalisateur le déclare à la télévision : « Je crois que la vérité n’est pas toujours un élément de spectacle. Je crois qu’il vaut mieux sacrifier la vérité ethnologique pour une vérité de cinéma. Et c’est ce que j’ai fait : à partir d’éléments vrais, j’ai fait presque de la fiction29. »
- 30 Cette présentation nominale des dix participants vient contredire leur anonymat dans le film que B (...)
- 31 Cette collection n’est pas spécialisée dans le cinéma (contrairement à « Domaine Cinéma » qui a ac (...)
17Bertrand Blier positionne son film comme un document brut dévoilant la réalité de la jeunesse actuelle, puis inscrit son travail dans la veine d’un spectacle extrêmement construit. Ce double discours est encore renforcé par l’édition d’un ouvrage Hitler, connais pas, dont la sortie est exactement contemporaine à celle du film en salles. Calqué sur le modèle du livre Chronique d’un été, ce fascicule propose dans leur intégralité les témoignages de protagonistes (tous nommés et sommairement présentés30), complétés par les articles sortis à la suite du tournage et de la présentation du film à Cannes. Publiés dans la collection « Voici Témoignages »31, ces récits sont présentés en quatrième de couverture comme des « documents saisissants » et cette édition atteste de la volonté de Blier d’invoquer à la fois une dimension documentarisante tout en présentant son film comme « un spectacle et non une enquête ». Hitler, connais pas me semble parfaitement incarner les tensions qui traversent le « cinéma-vérité » durant l’année 1963. Blier, comme Herman ou Rouch, est confronté à un délicat dilemme : durant cette période, le concept renvoie certes à une formidable aptitude à révéler aux spectateurs des réalités inédites, mais est aussi synonyme d’une démission artistique et auctoriale au profit d’une fascination pour la caméra légère. Blier répond à cette contradiction de manière habile, puisque, d’une part, il rejette les caractéristiques les plus attaquées des « films-vérité » (statut scientifique, technicisme) en revendiquant une dimension spectaculaire et, d’autre part, profite de l’intérêt que provoquent ces confessions authentiques en les publiant comme des documents bruts sur la jeunesse.
Le « cinéma-spectacle » : bilan public et critique
- 32 Le Chemin de la mauvaise route est un moyen métrage. Or, Le Film français ne prend en compte que l (...)
18De manière générale, l’année 1963 voit apparaître un corpus qui refuse les codes établis par le Rouch de Chronique, Ruspoli et la Drew Associates en explorant des rapprochements avec le cinéma de fiction. Scénario ou plan de tournage précis, montage créatif qui ne respecte délibérément pas l’ordre du tournage, emploi au sein du film ou dans le discours parafilmique d’un vocabulaire propre au cinéma de fiction : La Punition, Le Chemin de la mauvaise route et Hitler, connais pas forment une nouvelle frange qui renouvelle le « cinéma-vérité » en se positionnant comme des œuvres construites et artistiques. Cette sous-catégorie est fortement marquée par l’insuccès public des films précédents. Rouch, nous l’avons mentionné, se montre très sensible à cette question qui l’incite à proposer un nouveau mode de consommation. Ce souci du spectateur, ajouté aux critiques acerbes que soulève le « cinéma-vérité » depuis le début de l’année 1963, le poussent à relancer La Punition. Ces réflexions taraudent aussi Bertrand Blier qui, compte tenu de la construction « fictionnelle » et « spectaculaire » de son film, rêve pour celui-ci d’une large diffusion : « J’ai toujours pensé que Hitler, connais pas devait sortir ailleurs que dans un cinéma d’essais. Au risque d’un échec, je crois qu’il faut tenter la chance aux Champs-Élysées. » Avec des objectifs différents, Rouch et Blier ont en commun le fort désir de rendre le « cinéma-vérité » populaire en se rapprochant du cinéma fictionnel. Cette stratégie fonctionne-t-elle ? Loin de là, puisque le nombre des entrées est très faible : La Punition ne tente, en 1964, que 10 019 spectateurs tandis que Hitler, connais pas n’obtient, sur 7 semaines d’exploitation, que 39 535 entrées32. Du côté de la critique, la réception de ces trois films est au mieux correcte (en ce qui concerne Le Chemin de la mauvaise route), au pire très acerbe (La Punition). Le problème est que ces trois films sont globalement appréhendés comme du « cinéma-vérité » traditionnel, et que les éléments novateurs (montage, canevas fictionnel) sont dès lors interprétés comme une manipulation des rushes.
- 33 Marcel Martin, « Le Chemin de la mauvaise route », Cinéma 63, no 80, novembre 1963, p. 109.
19Sorti en septembre 1963, le film de Herman bénéficie d’un accueil assez positif : les commentateurs rappellent la collaboration du jeune réalisateur avec Rossellini, les difficultés que lui a fait subir la commission de censure, et la presse s’accorde sur la sympathie suscitée par le couple d’adolescents. En revanche, les inserts d’images fixes et le montage de Nadine Trintignant sont assimilés à un infantilisme (qualifié par Martin de « crise juvénile33 ») qui nuit au matériau originel. L’opinion de Michel Durand du Canard enchaîné est parfaitement représentative de l’ensemble des critiques :
- 34 Michel Durand, « Le Chemin de la mauvaise route », Le Canard enchaîné, 12 septembre 1963.
« [Le dialogue entre Jean-Claude et Colette] ne manque pas d’intérêt, il aurait sa place dans Cinq colonnes à la une, c’est le cinéma-vérité. Mais autour de ça, c’est le cinéma-mensonge qui est fait de digressions soi-disant cinéma, c’est-à-dire de bla-bla-bla d’images rapides, de montage syncopé. Formule périmée ! Les gros plans de l’un et de l’autre [adolescents] nous suffisaient34. »
- 35 Jean-Claude avait déjà causé un violent accident en janvier 1963 qui avait entraîné la mort d’Albe (...)
20La réception du film reste relativement bonne, car les journalistes saluent le regard chaleureux d’Herman face à ses protagonistes. Pourtant, cette interprétation bienveillante est menacée durant l’exploitation en salles, car Jean-Claude décède début septembre au volant d’une voiture volée35. Certains médias (France-Soir du 7 septembre ou le Journal télévisé du 12 septembre) suggèrent alors que la confrontation du jeune homme à sa représentation cinématographique aurait accru son mal-être et précipité sa fin tragique. Herman s’en défend, arguant que l’adolescent n’a jamais visionné les images, mais ce dramatique accident perturbe la réception du film et conforte dans leur opinion ceux qui perçoivent le « cinéma-vérité » comme une expérience psychologique dangereuse sur des populations fragiles.
- 36 Marcel Martin, « La caméra-question de Bertrand Blier », Les Lettres françaises, no 976, 2 mai 196 (...)
- 37 Voici la première intervention de l’ouvrier : « Ma mère est une femme absolument sensationnelle. E (...)
- 38 Sadoul regrette d’ailleurs l’image qui est donnée de ce personnage de l’Assistance publique : « On (...)
21La réception de Hitler, connais pas est, dans une très large mesure, hostile. Seul le « bloc Sadoul » soutient tant bien que mal ce « film-vérité », alors que le reste des journalistes s’y oppose avec fermeté. Les Lettres françaises ouvre largement ses colonnes au film de Blier en lui offrant, grâce aux textes de Marcel Martin et Georges Sadoul, la première page à deux reprises36. Les deux critiques soutiennent Hitler, connais pas, car ce long métrage représente à leurs yeux une nouvelle expression du « cinéma-vérité », genre qui depuis plus d’une année a le soutien des sympathisants communistes. Pourtant, argumenter en faveur d’une vision aussi pessimiste de la jeunesse française n’est pas chose facile. Martin se livre à ce délicat exercice au retour du Festival de Cannes et le premier objectif de son article consiste à souligner « le style cinéma-vérité » de Hitler, d’emblée associé à Chronique d’un été, au Joli Mai, et au Chemin de la mauvaise route, passant sous silence les différences techniques qui distinguent ces derniers du travail de Blier. Le second objectif, plus délicat, est de voir dans cette série de portraits une lecture politisée de la jeunesse contemporaine. Certes, Martin commence par regretter la faiblesse de cette dimension (« Il n’est pas question d’Hitler ni, à aucun moment, de politique […]. Incontestablement, il y a là un défaut »), néanmoins il affirme que le choix des protagonistes comporte une dénonciation sociale. Pour lui, le film présente les personnages matérialistes comme des « préfascistes », « parasites » ou « désaxés » alors que « seuls le jeune ouvrier et le garçon de l’Assistance publique [lecteur de Marx] manifestent un certain équilibre ». Étrange interprétation puisque la présentation de l’ouvrier insiste surtout sur la relation fusionnelle entre le jeune homme et sa mère37, et que le défaut d’élocution du lecteur de Marx le fait apparaître comme un simple d’esprit38. Mais l’essentiel du discours politique réside selon Martin dans le montage qui « confère à certains rapprochements une force surgie de l’opposition des points de vue entre les individus de classes différentes ». De même, citant les exemples de la juxtaposition des réflexions sur le bruit (des boîtes de nuit et de l’usine), il conclut : « Ainsi le montage compense-t-il ce qui pouvait faire défaut sur le plan de la signification sociale. » Le critique communiste adopte ici une logique similaire à celle de son analyse de la Drew Associates : la défense des « films-vérité » consiste à leur attribuer, coûte que coûte, une volonté de dénonciation politique.
22Dans la critique qu’il publie quelques semaines plus tard, Georges Sadoul opte pour une stratégie moins tarabiscotée. D’emblée, il concède que Hitler, connais pas « n’appartient certes pas au meilleur sans que l’on puisse le rejeter dans le pire ». Malgré ses nombreuses réserves, Sadoul rejette les critiques qui incriminent Blier pour son montage « manipulateur » de même que le caractère intrusif des appareils de tournage en se livrant à une vaste analyse du « cinéma-vérité » :
- 39 Ibid.
« J’ai entendu condamner l’emploi de ces méthodes. Elles me paraissent pourtant légitimes. Dans une autre sorte d’enquête, la recherche scientifique, on distingue les travaux in vivo et in vitro, ceux qui observent les phénomènes tels qu’ils se déroulent dans la nature, dans la vie, et ceux qui les provoquent dans les éprouvettes de verre des laboratoires. Ces méthodes opposées n’étant pas contradictoires, mais complémentaires. Pour le “cinéma-vérité”, la méthode in vivo, sur le vif, qui suit un personnage dans ses actes et dans ses déplacements, à son insu ou non mais sans jamais intervenir, ne permet généralement pas d’aller aussi profondément dans les êtres que la méthode in vitro, où l’œil de verre devient un personnage du drame, une enquête, la caméra dialoguant avec le sujet et provoquant ses réactions. Dans Chronique d’un été, les deux méthodes furent employées parallèlement. Le trajet de l’ouvrier de chez Renault retournant chez lui a été filmé in vivo. Le grand morceau de Mary Lou [sic] disant sa vie, ses déceptions et ses amours, a été obtenu in vitro, en employant les mêmes méthodes que Bertrand Blier39. »
23Cette distinction in vivo/in vitro me semble intéressante. Alors que les polémiques autour de ce film font rage, Georges Sadoul se positionne comme une figure rassembleuse en proposant une définition élargie du « cinéma-vérité » qui inclut les principes d’exhibition et de discrétion du filmage. Toutefois, le registre scientifique lui permet aussi d’inscrire tout ce qui relève de la réalité fabriquée, du spectacle ou de la fiction dans le champ de l’enquête et de la recherche.
- 40 Débat entre Louis Marcorelles, Samuel Lachize, Michel Aubriant et Henry Chapier, « Autour du Joli (...)
- 41 Robert Benayoun, « Vérité ? connais pas », France Observateur, no 692, 8 août 1963.
- 42 Michel Aubriant, « La “caméra-vérité” : quel mensonge ! », Paris-Presse, 15 mai 1963.
- 43 Mireille Boris, « La poésie de l’authenticité », L’Humanité, 31 juillet 1963.
24Si quelques plumes proches des communistes appuient le travail de Blier en mettant l’accent sur sa dimension auctoriale, son discours politique et l’originalité du film, le reste des journalistes s’élève contre Hitler. Cette réception est si houleuse qu’elle inspire la réflexion suivante à Henry Chapier lors du Festival de Cannes : « C’est un miracle qui s’est produit aujourd’hui pour la première fois. La critique, de gauche à droite […] a constaté une chose : c’est que le film de Blier qui se met à la remorque des expériences de cinéma-vérité est un flop40 ! » Malgré le texte du générique qui rejette l’enquête et se réclame explicitement du « spectacle », les commentateurs interrogent Hitler selon des critères de soumission à l’intégrité du réel. « Vérité ? connais pas » titre France Observateur41 ; « La “caméra-vérité” : quel mensonge42 ! » s’offusque en grosses lettres Paris-Presse : ces intitulés montrent que la forte construction du film de Blier est interprétée comme une scandaleuse manipulation. En effet, en dépit des cartons, on l’aborde avec des grilles de lecture similaires à celles employées pour discuter des œuvres de Ruspoli ou de la Drew. Mireille Boris dénonce, par exemple, une ambiguïté dans l’énonciation du projet : « Théoriquement, le film nous apporte un document brut : à nous de juger. Théoriquement seulement […] Ce film ne prétend pas être une enquête, il n’empêche que tout le monde l’a pris pour telle43. » Mais les critiques les plus vives viennent des journalistes proches de Positif, comme Robert Benayoun, qui va jusqu’à comparer Hitler à Mondo Cane :
- 44 Robert Benayoun, « Vérité ? connais pas », France Observateur, no 692, 8 août 1963.
« Blier, comme Jacopetti, livre en un spectacle à ses contemporains une génération qui, si elle n’a pas connu Hitler, a tout de même connu la guerre d’Algérie avec les conséquences que l’on sait. D’une génération qui mérite à tout prendre un examen fort scrupuleux et responsable et non d’astucieuses expériences de régie44. »
- 45 Jean Carta, « Hitler, connais pas », Téléciné, no 112, octobre 1963.
- 46 Robert Benayoun, « Cannes ou la fureur de la mélancolie », Arts, no 979, 23 mai 1963.
25Jean Carta s’emporte lui aussi contre ce sombre tableau d’une jeunesse matérialiste et indifférente à la politique : « Hitler, connais pas, c’est du voyeurisme vain, naïf, cruel. Je ne vois ni conscience, ni tendresse, ni maître d’œuvre face à ces onze jeunes réduits à l’état de matériaux. À quoi bon et de quel droit45 ? » Durant l’année 1963, chacune des projections en festivals sera accueillie avec violence : à Cannes, le correspondant d’Arts note que le film « a soulevé une hostilité presque unanime46 », alors qu’à la Mostra de Venise, c’est Rouch qui s’emporte publiquement contre Blier (voir infra, chapitre V). Sa réaction prouve que si La Punition et Hitler se réclament du « cinéma-vérité » tout en empruntant une construction fictionnelle, cette voie commune vers le spectacle n’est en rien le garant d’une entente entre les cinéastes.
- 47 La réception de 1963 et de 1964 est sensiblement la même. J’y reviendrai brièvement dans le premie (...)
- 48 Amédée Ayfre, « La Punition », Téléciné, no 111, juin 1963.
- 49 Jacques Maillard, « La Punition, en effet ! », France Observateur, no 671, 14 mars 1963.
- 50 Fereydoun Hoveyda dans Enrico Fulchignoni (prés.), « Débat à l’UNESCO à propos de La Punition et S (...)
26Afin d’estimer l’(in) succès critique du « cinéma-spectacle », il nous reste à examiner l’accueil que la presse française réserve à La Punition. Lors de ses précédents films (Moi, un Noir, La Pyramide humaine et Chronique), l’ethnologue a toujours suscité chez les journalistes un fort sentiment de sympathie. Avec La Punition, il reprend une partie des propositions filmiques de La Pyramide humaine en renouant avec la fiction improvisée et en faisant appel à la même actrice, Nadine Ballot. De même, dans les entretiens qu’il accorde au début de l’année 1963, Rouch se montre sensible aux critiques adressées par les médias au « cinéma-vérité ». On pourrait donc s’attendre à ce que la presse réserve un accueil plus chaleureux au nouvel opus du célèbre ethnologue qu’aux premiers travaux de deux inconnus que sont Herman et Blier. Or, qu’il s’agisse du passage du film à la télévision en mars 1963 ou de sa sortie en salles en avril 1964, la presse s’oppose à ce projet qui récolte les plus acerbes critiques de cette polémique47. La programmation à la télévision engendre une première vague d’hostilité, car le film est alors exclusivement interrogé en fonction de sa fidélité au réel. « La Punition tendrait à prouver par contraste que la valeur du cinéma-vérité dépend surtout de la vérité des choses qu’il nous montre. Or, ici, tout est faux », déplore Amédée Ayfre dans Téléciné48. Titrant « La Punition ? En effet ! », Jacques Maillard ne mâche pas ses mots dans France Observateur : « Mensonges ! Où est l’improvisation quand on impose des thèmes ? Quand on provoque ces rencontres ? Quand on transforme des chanteurs en étudiants ? On prétend que la caméra portative est invisible : et tous ces passants qui se retournent comme dans de mauvais films d’amateur49. » Hoveyda s’adresse directement à Rouch à l’issue de la projection à l’UNESCO en lui reprochant aussi le caractère hybride de son travail : « Jean, ton film est boiteux. C’est le brouillon d’un film que tu ne tourneras pas. C’est de la demi-provocation […]. Tu refuses de devenir metteur en scène. Tu es un demi-provocateur. Deviens un provocateur total et fais un film50. » De l’avis général, La Punition est soit du « cinéma-vérité » malhonnête et manipulateur, soit une fiction ratée.
27La Punition, Le Chemin de la mauvaise route et Hitler, connais pas composent en cette année 1963 un contre-modèle aux « films-vérité » précédents qui se revendiquaient d’une fidélité maximale au réel. Ces trois films ont pour particularité de se réclamer, à un moment ou à un autre, du « cinéma-vérité » tout en mettant en avant des termes fictionnels (« improvisation en trois actes », « cinéma-mensonge » et « spectacle ») et en explicitant dans leurs commentaires introductifs une prise de distance par rapport aux enquêtes ou à Chronique d’un été. Il est important de souligner que ce « cinéma-spectacle » ne renie pas son appartenance au « cinéma-vérité ». Par un scénario préalable ou un montage explicitement créatif, ces trois films proposent plutôt d’intégrer certaines composantes fictionnelles afin de répondre aux polémiques et à l’insuccès des « films-vérité ». Cette nouvelle voie ne perdurera guère. En premier lieu parce qu’elle n’est pas le résultat d’une concertation entre cinéastes, mais est composée de trois expériences totalement indépendantes, et en second lieu car ces films vont connaître une sévère déconvenue publique et critique. Leur réception hostile s’explique du fait que, en 1963, l’étiquette « cinéma-vérité » est pour les commentateurs d’époque synonyme d’une stricte soumission à la réalité. Même lorsqu’un carton rejette explicitement ce contrat de lecture, l’association d’un film à cette tendance l’emporte et les composantes fictionnelles sont dès lors entendues comme de sournoises manipulations.
Notes
1 À noter que le film s’intitule durant toute la première partie de ce projet Liberté ou La découverte de la liberté. C’est notamment sous ce titre de travail que sont regroupés les documents relatifs dans les archives Rouch de la BNF (quelques rares feuillets). Le fonds Braunberger des films de la Pléiade dispose en revanche d’une documentation assez importante. Le titre officiel, La Punition, est déposé au Registre public de la cinématographie le 19 mars 1963, mais est utilisé dès le début de l’année dans la correspondance.
2 L’équipe de Chronique tourne les séquences de micro-trottoir le 20 septembre puis la « confrontation finale » le 29 octobre 1960.
3 La Découverte de la liberté (titre provisoire), Films de la Pléiade, archives Braunberger, fonds La Punition.
4 Raymond Bellour et Maurice Frydland, « Aux sources du cinéma-vérité », Cinéma 63, no 72, janvier 1963, p. 150.
5 Jean-Claude Darnal est surtout connu comme compositeur, mais il joue régulièrement en solo à la télévision durant les années qui précèdent le tournage de La Punition. Ainsi, entre 1957 et 1960, il intervient une dizaine de fois sur la RTF dans le cadre d’émissions comme La Joie de vivre ou Trente-Six Chandelles. À noter que certains critiques reconnaissent le chanteur.
6 « Lettre de Me P. Louvet, avoué de Jean-Claude Simon à Monsieur le Président du tribunal de grande instance de la Seine », mars 1963, Films de la Pléiade, archives Braunberger, fonds La Punition.
7 Jean Rouch s’exprime de la sorte au Festival de Tours en décembre 1962 lors d’une table ronde réunissant notamment Fulchignoni et Ruspoli, et dont le débat est intégralement retranscrit. Roger Leenhardt (prés.), « Débat au Festival de Tours, Cinéma-vérité et réalisme », Image et Son, no 160, mars 1963.
8 Ibid., p. 7. Sa thèse d’un rejet général du cinéma de non-fiction n’est, de loin, pas exacte. À la même période, le film de Frédéric Rossif, Mourir à Madrid, connaît un joli succès sur lequel se base la communication publicitaire (l’affiche indique par exemple « 85 % d’occupation des places »).
9 Bernard Dort inscrit cette double diffusion dans le contexte global de la chute du nombre de spectateurs de cinéma au profit de la télévision, et salue La Punition comme une tentative originale pour répondre à ce problème, « Cinéma et TV, frères ennemis ? », France Observateur, no 671, 14 mars 1963.
10 Quelques phrases de L’Amour fou sont citées en conclusion du film. L’influence du surréalisme est capitale dans ce film, notamment le thème de la rencontre. À ce propos, Rouch rapporte « avec grand plaisir » qu’André Breton a vu La Punition et « y a retrouvé un peu de son Nadja », « Entretien avec Jean Rouch », Cahiers du cinéma, no 144, juin 1963, p. 5. Il souligne encore la référence au surréalisme en juillet 1963 : « Je suis sûr qu’un réalisateur de génie saura un jour se servir de nos méthodes pour faire un grand film de fiction, comme les surréalistes faisaient du rêve en juxtaposant des éléments de réalité », Jean Rouch, « La plaidoirie de Jean Rouch, carte sur table », Nouvelles littéraires, no 1873, 29 juillet 1963.
11 Cette citation a été légèrement transformée par rapport à l’original de Justine : « Chétive créature, me dit-elle en colère, t’imagines-tu que les hommes sont assez dupes pour faire l’aumône à de petites filles comme toi, sans exiger l’intérêt de leur argent ? M. Dubourg est trop bon d’avoir agi comme il l’a fait ; à sa place, je ne t’aurais pas laissée sortir de chez moi sans m’avoir contenté. Mais puisque tu ne veux pas profiter des secours que je t’offre, arrange-toi comme il te plaira ; tu me dois, demain, de l’argent, ou la prison », Paris, Gallimard, 1995 (1791), p. 145.
12 Tiré d’Anatole France (et non d’Apollinaire comme indiqué par Rohmer dans l’interview des Cahiers du cinéma, no 144), Le Livre de mon ami. Rouch remplace cependant la première phrase de France « je vais vous dire ce que me rappellent » par « je vais vous dire ce que suggèrent ».
13 Cette scène disparue est néanmoins décrite dans l’entretien qu’il accorde aux Cahiers, no 144, juin 1963, p. 12.
14 À l’exception de Jean-Claude Simon, qui intente une action en justice (voir supra).
15 Vautrin publie dès les années soixante-dix de nombreux romans noirs (Billy-Ze-Kick ou Bloody Mary). Il obtient en 1989 le prix Goncourt pour son roman Un Grand Pas vers le bon Dieu et écrit en 1998 Le Cri du peuple que Tardi adapte en bande dessinée.
16 À la suite de son mariage avec une Indienne (Lila Herman, future monteuse de Godard), Jean Herman vit en Inde de 1955 à 1959. Truffaut fait appel à lui pour aider Rossellini lors du tournage de India. Pour plus d’informations sur le parcours d’Herman jusqu’en 1962, voir Raymond Bellour : « Jean Herman : “Je croyais enfoncer une porte ouverte” », Les Lettres françaises, no 946, 4 octobre 1962. Pour la suite de sa carrière de cinéaste et d’écrivain, je renvoie au portrait filmé que Laurent Perrin lui consacre (Jean Herman qui deviendra Vautrin, Éd. Films du paradoxe, 2011).
17 Entre la première soumission à la commission de la censure en 1962 et la seconde en 1963, le film ne subit pas de modifications majeures, hormis deux passages où le son est brouillé et ce changement de titre. Dans le langage des deux jeunes, la « vie civile » signifie simplement l’univers extérieur, hors des centres de redressement. Le « chemin de la mauvaise route » désigne pour eux les apprentissages professionnels que l’on peut effectuer dans ces institutions. Si ces deux expressions renvoient de manière provocatrice à un mode de vie « rangé », la seconde sonne, à tort, comme une condamnation des « blousons noirs ». C’est sans doute pour cela qu’elle est acceptée par la commission de censure. Ce choix est cocasse puisque, replacée dans la bouche du couple, cette seconde expression est encore plus irrespectueuse que la première.
18 Par exemple dans Laurent Perrin, Jean Herman, qui deviendra Vautrin, Éd. Films du paradoxe, 2011.
19 Au bout de 8 minutes 14 secondes, un intertitre annonce enfin : « Trois spécialistes de l’enfance inadaptée, un juge, un éducateur, un médecin discutent le film que vous allez voir. » Je n’ai trouvé aucune information supplémentaire sur l’identité de ces trois personnes.
20 Il est certes possible que ce long pré-générique ait été imposé par le comité de censure afin d’orienter la lecture du spectateur. Cependant, Herman ne fait nullement référence à une telle contrainte dans les entretiens qu’il accorde en 1962-1963 (contrairement à l’obligation de changer le titre du film) et, lors de l’édition du film en DVD en 2011, il décide de conserver cette séquence.
21 À la suite de ces brefs inserts sonores, le commentaire explique : « Les voix que vous venez d’entendre sont celles d’adultes rencontrés au hasard des bistrots à l’heure de l’apéritif. On peut difficilement boire de la Suze, et ne pas être un homme de principes. Mais la logique a son paroxysme, et la manière de se référer benoîtement à la morale préétablie débouche sur les pires imbécillités. »
22 La femme de Jean Herman, la comédienne Anne Doat tient un rôle dans Dragées au poivre. Il est prévu que Jean-Claude joue aussi dans le film de Baratier, mais une énième arrestation au printemps 1963 empêche ce projet, comme le rapporte Herman à Josane Duranteau, « Jean Herman éclaire d’un jour nouveau la légende de Jean-Claude », Combat, 10 décembre 1963.
23 Comme chez Rouch, les « acteurs » du film perçoivent une rémunération financière. Ils touchent 5 000 anciens francs par jour de tournage (79 euros 2012), comme le révèle Herman dans les entretiens qu’il accorde à la presse (par exemple, Raymond Bellour, « Jean Herman : “Je croyais enfoncer une porte ouverte” », Les Lettres françaises, no 946, 4 octobre 1962).
24 François Chalais, « Interview de Bertand Blier », Cinépanorama, émission télévisée diffusée le 12 juin 1963.
25 Interview au Havre-Libre, citée dans l’ouvrage Hitler, connais pas, Saint-Amand, Union générale d’éditions, coll. « Voici Témoignages », 1963, p. 106.
26 Raymond Bellour, « Hitler, connais pas », Cinéma 62, no 70, novembre 1962.
27 François Chalais, « Interview de Bertand Blier », Cinépanorama, 12 juin 1963.
28 Blier cité par René Quinson, « Pour psychanalyser la jeunesse, Bertrand Blier invente le cinéma-confession », Combat, 9 avril 1963.
29 François Chalais, « Interview de Bertand Blier », Cinépanorama, 12 juin 1963.
30 Cette présentation nominale des dix participants vient contredire leur anonymat dans le film que Blier justifiait par des raisons éthiques : « Ces jeunes devront rester anonymes. Je sais bien qu’étant donné la liberté avec laquelle ils se sont exprimés, ils seraient une proie parfaite pour les journaux à sensation. Le film y gagnerait une grande publicité de scandale, mais je ne veux pas de ce genre de publicité », cité par René Quinson, « Pour psychanalyser la jeunesse, Bertrand Blier invente le cinéma-confession », Combat, 9 mai 1963.
31 Cette collection n’est pas spécialisée dans le cinéma (contrairement à « Domaine Cinéma » qui a accueilli l’ouvrage de Rouch et Morin), mais publie généralement des livres de vulgarisation scientifique ou des recueils de témoignages historiques comme La Guerre de 1914-1918 par ceux qui l’on faite de R. Thoumin.
32 Le Chemin de la mauvaise route est un moyen métrage. Or, Le Film français ne prend en compte que les entrées des longs métrages. Pour La Punition et Hitler, connais pas, les chiffres sont cités par cette revue (avril 1964 et septembre 1963).
33 Marcel Martin, « Le Chemin de la mauvaise route », Cinéma 63, no 80, novembre 1963, p. 109.
34 Michel Durand, « Le Chemin de la mauvaise route », Le Canard enchaîné, 12 septembre 1963.
35 Jean-Claude avait déjà causé un violent accident en janvier 1963 qui avait entraîné la mort d’Albert, son « meilleur copain » plusieurs fois mentionné dans le film. Leur voiture a été précipitée dans la Seine.
36 Marcel Martin, « La caméra-question de Bertrand Blier », Les Lettres françaises, no 976, 2 mai 1963 ; Georges Sadoul, « Autoportrait par “copains” interposés », Les Lettres françaises, no 989, 1er août 1963.
37 Voici la première intervention de l’ouvrier : « Ma mère est une femme absolument sensationnelle. Elle sort véritablement de l’ordinaire. Je peux lui parler en toute confiance, elle me parle en toute confiance […]. Je peux sortir avec elle, enfin, elle est formidable. C’est assez difficile à expliquer. Elle me manque aussi. Il m’arrive beaucoup de penser à elle quand je suis dans un moral assez bas […]. Ce qui me plairait, ça serait de sortir avec elle, une journée ou deux à Paris ou n’importe où, mais être vraiment seuls. Aller au cinéma, faire n’importe quoi, mais être avec elle. Cela me plairait, oui, beaucoup. »
38 Sadoul regrette d’ailleurs l’image qui est donnée de ce personnage de l’Assistance publique : « On a peut-être abusé de son involontaire drôlerie. On aurait préféré pouvoir entendre davantage ce jeune pupille de l’Assistance publique, que l’on a eu le mauvais goût de prendre comme un clown en lui faisant répéter deux ou trois fois les noms de Karl Marx et de Dostoïevski en s’embrouillant dans leurs consonnes. On aurait pu avoir la pudeur (puisqu’on l’interrogeait à loisir en studio) de lui dire comment prononcer correctement ces deux noms. On a préféré prendre le parti de faire rire de lui les Champs-Élysées », Georges Sadoul, « Autoportrait par “copains” interposés », Les Lettres françaises, no 989, 1er août 1963.
39 Ibid.
40 Débat entre Louis Marcorelles, Samuel Lachize, Michel Aubriant et Henry Chapier, « Autour du Joli Mai. Cinéma-vérité ou cinéma engagé », Combat, 16 mai 1963.
41 Robert Benayoun, « Vérité ? connais pas », France Observateur, no 692, 8 août 1963.
42 Michel Aubriant, « La “caméra-vérité” : quel mensonge ! », Paris-Presse, 15 mai 1963.
43 Mireille Boris, « La poésie de l’authenticité », L’Humanité, 31 juillet 1963.
44 Robert Benayoun, « Vérité ? connais pas », France Observateur, no 692, 8 août 1963.
45 Jean Carta, « Hitler, connais pas », Téléciné, no 112, octobre 1963.
46 Robert Benayoun, « Cannes ou la fureur de la mélancolie », Arts, no 979, 23 mai 1963.
47 La réception de 1963 et de 1964 est sensiblement la même. J’y reviendrai brièvement dans le premier chapitre de la quatrième partie.
48 Amédée Ayfre, « La Punition », Téléciné, no 111, juin 1963.
49 Jacques Maillard, « La Punition, en effet ! », France Observateur, no 671, 14 mars 1963.
50 Fereydoun Hoveyda dans Enrico Fulchignoni (prés.), « Débat à l’UNESCO à propos de La Punition et Showman », Artsept, no 2, avril-juin 1963, p. 102.
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