Chapitre I. Edgar Morin, auteur d’un manifeste du « cinéma-vérité »
p. 33-51
Texte intégral
1« Pour un nouveau “cinéma-vérité” » : avec un tel titre, tout porte à considérer l’article d’Edgar Morin, publié début 1960 dans France Observateur, comme le texte prescriptif d’un nouveau mouvement qui se réclame d’une proximité inédite avec le réel filmé1. Ce billet est effectivement la première déclaration publique où le futur coréalisateur de Chronique d’un été expose ses conceptions en matière de réalisations filmiques légères et appelle de ses vœux un nouveau type de cinéma, plus proche de la personne filmée2. Néanmoins, sa valeur de manifeste n’est pas contemporaine à sa publication dans France Observateur en janvier 1960. Nous verrons ainsi que cet essai programmatique accède à un tel statut grâce à sa parution dans le livre sur Chronique d’un été chez Interspectacles deux ans plus tard, soit en pleine polémique sur le « cinéma-vérité »3. Or, une comparaison entre ces deux sources permet d’établir qu’il ne s’agit pas, comme l’affirme Morin, d’une simple réédition du même texte ; le sociologue en propose en fait une nouvelle version subrepticement modifiée dans le but d’en accroître la teneur prescriptive et d’étoffer ainsi le rôle précurseur de Morin dans la construction théorique du « cinéma-vérité »4.
2Ce bref article, qui pose pour la première fois le label « cinéma-vérité », est un objet complexe qui appelle trois niveaux d’analyse5. Il me semble premièrement important de retracer son contexte d’élaboration, ce qui implique d’évoquer la manifestation à la source de ce texte – Le Festival dei Popoli de Florence – et, plus largement, d’esquisser le parcours professionnel et militant de Morin à la fin des années cinquante afin de comprendre les raisons pour lesquelles il publie dans France Observateur. Au-delà de sa genèse, il convient en second lieu d’analyser précisément le contenu de ce billet et de montrer comment Morin expose des idées qui deviendront dans les années suivantes des thèses centrales dans la théorisation du « cinéma-vérité ». En dernière partie, je retracerai la réception de cet article qui connaît une réédition plus tardive. Avant de détailler les différences entre ces deux textes, je reviendrai sur l’influence minime de la première version, jamais mentionnée dans les critiques des premiers films en technique légère (1960-1961).
3De prime abord, compte tenu de la disparité entre la filmographie déjà riche de Jean Rouch et l’inexpérience totale d’Edgar Morin au niveau de la réalisation, Chronique d’un été pourrait être considéré comme un film de Rouch, réduisant ainsi la participation de Morin à une simple caution scientifique nécessaire à une expérience proche de la sociologie6. Naturellement, le rôle de Morin n’est pas du tout celui d’un expert greffé sur ce projet, non seulement parce qu’il en est probablement l’instigateur, mais surtout parce que le sociologue se distingue dans les années cinquante par ses études théoriques et anthropologiques du cinéma et qu’il prend part, sur un plan institutionnel, à des organes de décision qui l’intègrent au milieu cinématographique.
4Introduit en 1950 comme stagiaire de recherches au Centre national pour la recherche scientifique (CNRS) par Georges Friedmann, Edgar Morin travaille dès 1952 sur le cinéma et publie jusqu’en 1960 de nombreuses études sur ce « no-man’s land sociologique » peu abordé par la sociologie classique7. Durant cette décennie, Morin se focalise sur la « culture de masse » et publie abondamment dans des revues sociologiques (L’Enseignement des sciences sociales ou Les Cahiers internationaux de sociologie) et cinématographiques, notamment La Revue internationale de filmologie où il signe seul ou avec Friedmann plusieurs études capitales pour le développement de la sociologie du cinéma en France8. Nommé maître de recherches au CNRS, il rédige deux livres développant ses thèses sur les rapports entre spectateurs et films de fiction : Le Cinéma ou l’Homme imaginaire en 1956 et Les Stars en 1957. Les thèses du premier ouvrage qui entretiennent des liens étroits avec la théorie morinienne du « cinéma-vérité » seront analysées en détail dans la suite de ce chapitre. En revanche, sa réflexion du star system hollywoodien – phénomène étudié dans une perspective économique, esthétique, sociale et culturelle – me semble moins importante pour la compréhension de notre sujet9.
5En plus de ses activités de recherches théoriques, Morin multiplie les incursions pratiques dans le milieu cinématographique et accepte en 1960 de devenir membre de la Commission consultative du cinéma. Ce groupe d’experts détermine quels sont les projets filmiques qui méritent d’obtenir la fameuse avance sur recettes, principal soutien étatique à la création cinématographique française. Son rôle « d’expert artistique » consiste à assister les membres permanents de cette commission (fonctionnaires, professionnels ou parlementaires)10. Mais moins que ses fonctions dans le cinéma, ce sont ses objets de prédilection (sociologiques ou politiques) qui lui vaudront d’être frontalement attaqué à la fin des années cinquante11. Figure controversée, Morin n’est alors pas encore un sociologue largement reconnu et respecté mais, selon son biographe Emmanuel Lemieux, « une cible sur laquelle on projette, à l’occasion, de vives critiques, en sociologie comme dans d’autres domaines12 ».
France Observateur et les positions politiques de Morin
6Les choix politiques d’Edgar Morin dans les années cinquante doivent être ici rapidement évoqués, car ses prises de positions sont à l’origine d’une forte animosité d’une partie de l’intelligentsia française – ressentiment qui imprègne en filigrane les critiques adressées à sa prestation dans Chronique –, mais lui valent aussi de nouveaux soutiens, comme celui de la revue France Observateur où il publie l’article sur le « cinéma-vérité ».
7Son exclusion en 1951 du Parti communiste français (PCF) a fait grand bruit13, mais la source de cette affaire est moins connue. Déjà distant du Parti, Morin accepte en mars 1951 d’écrire et de signer le compte rendu d’un colloque dans les colonnes de L’Observateur. Cette collaboration du sociologue à cet hebdomadaire, mal considéré par le PCF justifiera officiellement son exclusion par Annie Besse14.
8La portée de cette décision largement discutée est double : elle contribue premièrement au positionnement de L’Observateur comme tribune pour les dissidents du PCF (l’hebdomadaire marque son indépendance progressive jusqu’en 1956 où la révolution hongroise sera l’occasion de rompre définitivement avec le stalinisme15), puis deuxièmement, cette médiatique « affaire » érige Morin en figure de la « nouvelle gauche », voire en victime de l’intransigeance du PCF. Martyr ou social-traître, Morin est durant les années cinquante une personnalité controversée, et ses interventions dans France Observateur n’ont clairement pas pour objectif d’amender sa réputation sulfureuse.
9En dépouillant les numéros des années 1959-1963, on est frappé par le nombre relativement restreint d’interventions du sociologue : neuf articles sur quatre ans (dont deux entretiens menés par Morin et un compte rendu16), chiffre inversement proportionnel à la renommée et à la portée de ces différents textes. Les chroniques de Morin traitent essentiellement de questions politiques à l’instar de « Sociologie d’un échec » (5 novembre 1959) qui déplore le manque d’engagement des classes salariées, ou « De la torture » (9 juillet 1959) où Morin propose que la lutte contre la torture en Algérie et en Hongrie soit l’occasion pour la gauche désunie de se rassembler. Parmi ces textes connus, le plus fameux est sans conteste « Les intellectuels et l’Algérie » où il s’oppose au « Manifeste des 12117 ».
10Cette publication, discutée au sein même des colonnes de France Observateur18, pose les bases de la troisième pétition contre l’intervention militaire : « L’appel à l’opinion pour une paix négociée en Algérie » dont on retrouve parmi les signataires : Morin, naturellement, mais aussi Jean Rouch. Les deux hommes partagent certaines affinités politiques et leurs deux noms figurent sur « Le manifeste du 27 octobre pour une paix négociée en Algérie », publié dans le mensuel de la Fédération de l’éducation nationale, Enseignement public. Après « Le manifeste des 121 » et « La contrepétition du 6 octobre », ce troisième texte, proche des milieux universitaires, adopte une position médiane sur la question algérienne. Cette problématique, si elle est relativement peu présente dans la version finale de Chronique d’un été, est largement débattue dans les séquences non retenues. Jean-Pierre Sergent et Régis Debray, deux étudiants militants qui participent au tournage, reprochent ainsi à Rouch et à Morin de n’avoir pas adhéré à la première pétition. Morin s’en souvient : « On tourne une scène où Jean-Pierre [Sergent] à sa table de travail discute avec Régis [Debray]. Ils parlent en termes ironiques de la philosophie, consultent la liste des signataires de l’appel des 121, nous blâment Rouch et moi de ne pas l’avoir signé, se paient de notre tête19. » Même si leurs retombées ne sont pas toujours aussi fortes, les articles rédigés par Morin dans France Observateur bénéficient d’un statut privilégié : typographiquement, son nom est mis en évidence, son texte encadré, et ses interventions sont parfois annoncées à la fin du numéro précédent. Ainsi, Morin a valeur de signature indépendante, défendant des prises de position marquées.
11Que dire, dans ce contexte polémique, de « Pour un nouveau “cinéma-vérité” » ? Publié en janvier 1960, la teneur, le sujet et le ton de ce bref texte sont surprenants : six mois après la sortie de son Autocritique (sorte d’autobiographie politique) et deux mois après la publication du long article « Sociologie d’un échec20 », dont les idées annoncent la sortie de L’Esprit du temps (1962), Morin met entre parenthèses ses thèmes politiques de prédilection et soumet à la rédaction du journal ce billet de deux colonnes, à la structure bancale (trois petits sous-chapitres, et un post-scriptum) et au sujet bien peu controversé : la première édition d’un festival ethnographique et sociologique à Florence. Mais avant de se plonger dans le contenu de l’article, je propose de revenir rapidement sur l’événement qui a inspiré son écriture : les retrouvailles de Morin et Rouch au Festival dei Popoli en décembre 1959.
Morin et Rouch au Festival de Florence
12Fin décembre 1959, soit trois semaines avant la publication de l’article, Morin se rend en sa qualité de maître de recherches du département de sociologie du CNRS au premier Festival dei Popoli, où il retrouve Jean Rouch, rencontré pour la première fois quelques années auparavant, en 1956. Morin s’en souvient : « J’ai connu [Jean Rouch] chez Jean Laude, un ami ethnographe et poète, à l’époque où [Rouch] avait réalisé un film qui m’avait profondément touché : Les Maîtres fous21. » Rencontre marquante pour le sociologue, puisqu’il mentionne Rouch dans Le Cinéma ou l’Homme imaginaire (1956) et lui emprunte une anecdote pour illustrer les processus complexes d’identification du spectateur à un personnage22. Rien ne permet néanmoins d’attester que les deux chercheurs aient développé des contacts réguliers, et c’est sans doute un peu par hasard que les deux scientifiques se retrouvent membres du jury à Florence en 1959. La première édition de ce festival, qui se déroule du 14 au 20 décembre au théâtre de la Pergola, est organisée par les Comités internationaux du film ethnographique (CIFE)23. Cet événement a pour vocation de faire connaître et de diffuser, au-delà du cadre de la recherche scientifique, des films ethnologiques qui suscitent un engouement croissant dans l’après-guerre. Jean Rouch et Edgar Morin, représentants respectivement du CIFE français et de l’Association internationale de sociologie, visionnent avec les cinq autres membres du jury un programme essentiellement composé de films indépendants américains et couronnent The Hunters de John Marshall et Robert Gardner24. C’est à l’occasion de ce festival que Rouch aurait fait part à Morin de son idée d’un film ethnographique sur la France, ainsi que l’ethnologue le relate dans un entretien paru une année après le festival, alors que le tournage est achevé :
« Il est apparu […] que l’Européen était, aussi bien que le Noir, un sujet d’enquête. J’avais donc cette idée depuis très longtemps, je m’en suis ouvert l’année dernière à Florence, à Edgar Morin. À cette époque, Edgar devait faire un film25 ; nous avions une idée, une idée extraordinaire, qui sera peut-être réalisée : faire un film sur l’amour… nous avions subi l’influence florentine ! Notre film aurait été une enquête sur l’amour en Italie, en Belgique, en France et en Tchécoslovaquie… C’était un beau sujet, mais nous en sommes restés là. Puis, au mois de janvier ou de février dernier, au cours d’un agréable repas, Edgar me dit : “Tu rentres d’Afrique, c’est très bien… Moi je te propose de faire un film à Paris sur le thème : Comment vit-on ?” Son idée était assez séduisante26. »
13Déplacer l’enquête ethnologique de l’Afrique à la France : Morin s’attribue lui aussi la paternité de cette idée et déclare souvent qu’il « a proposé à Rouch de tourner un film, non plus en Afrique cette fois, mais en France27 ». Le projet d’un film commun est donc déjà évoqué en décembre 1959 à Florence, et l’on peut se demander pour quelles raisons Morin n’y fait pas explicitement référence dans son article pour France Observateur, écrit au retour d’Italie. Ce premier projet sur l’amour n’a été qu’esquissé, et l’on peut supposer que Rouch, qui tourne la première partie de La Pyramide humaine du 22 décembre 1959 au 3 janvier 1960 à Abidjan – soit deux jours après la fin du Festival de Florence – n’est sans doute pas concrètement à l’affût d’un nouveau projet. Morin, de retour à Paris, ne peut alors pas mentionner ses conversations avec Rouch dans son compte rendu. Il évoque en conséquence le « cinéma-vérité » en se positionnant comme un simple observateur externe. L’idée d’un projet filmique couplant une démarche socio-ethnographique et un « terrain » européen germera rapidement. Cependant, ses premiers fruits ne seront pas directement du domaine de la réalisation d’un film – le tournage de Chronique ne débute qu’en mai 1960 –, mais du domaine discursif, puisque l’article de Morin propose une théorisation prescriptive. Son texte n’est en rien un manifeste fédérateur d’un mouvement artistique préexistant, et les réalisateurs qui se réclament entre 1961 et 1964 du « cinéma-vérité » ne poseront jamais « Pour un nouveau “cinéma-vérité” » comme une référence théorique. Néanmoins, ils adopteront plusieurs idées que Morin formule pour la première fois dans France Observateur.
Le Cinéma ou l’Homme imaginaire et « Pour un nouveau “cinéma-vérité” »
14Cet article, quel est-il ? Il s’agit de deux petites colonnes où Morin appelle de ses vœux l’émergence d’un renouveau cinématographique28. Compte tenu de la brièveté, du style souvent implicite et de l’absence d’impact immédiat du texte, d’aucuns seraient tentés de le considérer superficiellement et de n’en retenir que quelques idées saillantes, voire qu’une seule proposition : celle d’un terme fédérateur pour un mouvement en devenir. Mais l’argumentaire de Morin gagne à être analysé à l’aune des thèses développées dans Le Cinéma ou l’Homme imaginaire, publié quatre ans plus tôt. La dynamique argumentative de cet ouvrage de 1956 consiste à scinder l’évolution de la représentation mécanique de la réalité en trois grandes étapes : la photographie, le cinématographe et le cinéma. Chacune de ces trois ères fonctionne respectivement par une dynamique en deux temps : l’image objective est dans un premier temps proposée au spectateur qui s’y identifie, lequel, dans un deuxième temps se projette dans ce qu’il voit, l’activant ainsi dans son imaginaire. Ainsi, ce n’est pas la différence entre image réelle ou mise en scène qui permet au sociologue de scinder cette évolution en trois âges, mais bien la capacité à chaque fois améliorée de reproduction de l’image, amélioration qui entraîne à son tour une participation augmentée de la part du spectateur. L’idée fondamentale du Cinéma ou l’Homme imaginaire est de concevoir le cinéma comme une interface dynamique entre ce que propose le film, c’est-à-dire l’image, et ce qu’apporte le spectateur, à savoir son imaginaire. La forme jusqu’alors la plus aboutie de cette dynamique est le cinéma romanesque, conclusion que Morin ne remet pas en question dans l’article pour France Observateur : « C’est par la voie du cinéma romanesque que le cinéma a atteint et continue d’atteindre ses vérités les plus profondes : vérités des rapports entre les amants, parents, amis ; vérités des sentiments et des passions ; vérités des besoins affectifs du spectateur. » Comment ce nouveau cinéma constitue-t-il potentiellement une quatrième étape dans la reproduction mécanique de la réalité ? En quoi le « cinéma-vérité » se distingue-t-il du cinéma romanesque ? Il s’agit pour Morin d’un « pris sur le vif », autrement dit « de film dit documentaire et non romanesque ». L’opposition documentaire/fiction est ainsi rapidement posée, et le lecteur comprend que si le « cinéma-vérité » est certes défini comme non fictionnel, il ne s’agit pas là de sa principale caractéristique. Comme lors des précédentes étapes dans l’évolution de la représentation mécanique de la réalité (photographie, cinématographe, cinéma), le « cinéma-vérité » n’évince pas le cinéma romanesque, mais offre la plus-value suivante : « [U] ne vérité que ne peut saisir le film romanesque et qui est l’authenticité du vécu. » Est-ce vraiment une nouveauté ? Pour répondre à cette question, Morin énumère dans son article les « tentatives » effectuées jusqu’alors pour proposer une plus grande proximité avec le réel : des films prétendument réalistes, les actualités, ou encore des exemples de caméra cachée.
15Les films soviétiques et le néo-réalisme – deux exemples de films de fiction qui tendent au réalisme – sont vite écartés car, même en employant des acteurs non professionnels, « il manquait je ne sais quoi d’irréductible qui se trouve dans le “pris sur le vif” ». Partant de l’exemple des actualités, il construit une opposition entre le réel (« spontanéité », « vie », « vif », « vérité ») et le processus habituel de captation cinématographique (« prise sur la mort », « masque », appareils trop « lourds ») : « Le cinéma a besoin […] d’arrêt de la vie. » Au travers des champs lexicaux de la vie et de la mort, Morin confronte deux systèmes a priori inconciliables : le réel et le cinéma.
16Il avance néanmoins des contre-exemples où la vie réelle a été saisie par la caméra : il s’agit de « Dzige » (sic) Vertov, de Nice-Time, ou « Des enfants nous parlent »29. Il évoque ces quelques cas (sans citer aucun titre de Vertov et sans mentionner les réalisateurs des deux autres films), mais surtout, il dénonce les procédés de tournage du Russe, assimilés à « une caméra-voleuse ». Bien que le chapitre suivant y soit consacré, précisons tout de même que la première mention de Vertov est non seulement très succincte, mais surtout que le cinéaste constitue ici un exemple à ne pas suivre (voir prochain chapitre). Dès cette référence au Soviétique au premier quart du texte, Morin s’approprie la notion de « cinéma-vérité » et l’utilise pour désigner des films de Grierson, Ivans (sic) ou Rouquier. Décrits comme de louables tentatives de saisir le réel, ces dernières sont néanmoins limitées aux gestes strictement mécaniques. Morin conclut ainsi son bref bilan des prémisses du « cinéma-vérité » : « L’ensemble du cinéma documentaire restait donc à l’extérieur des êtres humains, renonçait à lutter sur ce terrain avec le film romanesque. » La première partie de l’article offre donc un procédé rhétorique classique en deux temps qui consiste premièrement à assimiler le cinéma romanesque à un processus de « prise sur la mort » puis, deuxièmement, à énumérer l’échec des films de non-fiction qui tentaient de capter des situations intimes. Or, comme Morin le démontre dans Le Cinéma ou l’Homme imaginaire, l’intime constitue la seule matière qui permette une identification du spectateur et donc la réussite du processus cinématographique. À la fin de la première partie de l’article, les arguments de Morin ont permis d’écarter les possibles concurrents du « cinéma-vérité » qu’étaient le film documentaire et le cinéma de fiction. L’auteur peut ainsi librement – mais toujours dans la position d’observateur externe – présenter le « cinéma-vérité » qu’il appelle de ses vœux. Avant de poursuivre l’analyse de cet article, arrêtons-nous un instant sur le double sens du qualificatif « nouveau » dans l’article de France Observateur. De mon point de vue, ce mot signifie d’une part « pour une nouvelle forme du cinéma-vérité », laquelle reconnaîtrait la primauté d’un premier « cinéma-vérité », mais aussi « pour un nouveau cinéma que l’on nommerait cinéma-vérité ». Mais dans la suite de leurs propos, Rouch et Morin vont clairement privilégier ce second sens, comme dans la première phrase de Chronique d’un été, énoncée en voix over : « Ce film n’a pas été joué par des acteurs, mais vécu par des hommes et des femmes qui ont donné des moments de leur vie à une expérience nouvelle de cinéma-vérité. » L’article de France Observateur file pour la première fois une métaphore capitale dans l’ensemble des discours autour du « cinéma-vérité » : celle de l’immersion. Le tournage n’est plus dépeint comme un processus lourd et collectif, mais comme une plongée individuelle du « cinéaste-scaphandrier30 », qui « pénètre » « en camarade » dans l’univers filmé ; « terre vierge », « univers inconnu du quotidien », chacun des termes sera abondamment exploité dans les années qui suivent, afin de défendre cette aptitude d’immersion que revendique ce nouveau cinéma : la capacité de se fondre dans l’univers filmé et d’en saisir une essence jusque-là jamais représentée à l’écran. « Pour un nouveau “cinéma-vérité“ » met en place une mythologie qui sera fondamentale dans les années qui suivent : celle de la technique. Précisément mentionnés (« caméra 16 mm », « magnétophone Nagra », « magnétophone portatif »), les outils occupent une large place dans ce texte, alors que leurs capacités effectives demeurent extrêmement limitées31. Morin, qui n’a jamais tourné, relaie sans doute ici les désirs exprimés par Rouch à Florence. La technique légère, silencieuse et synchrone existe d’abord comme fantasme avant d’être créée en réponse aux besoins des tournages. Le point central de l’argumentaire de Morin, largement repris par la suite, est l’établissement d’une causalité directe entre la technique (16 mm et magnétophone portatif) et l’émergence de ce « nouveau cinéma-vérité »32. Cet article de Morin qui paraît, soulignons-le, plusieurs mois avant le début du tournage de Chronique, pose ainsi les grands axes des discours sur le « cinéma-vérité », traits communs sur lesquels s’accorde la majorité des protagonistes : un cinéma qui se réclame d’un rapport privilégié avec la réalité, proximité obtenue grâce à l’humilité de l’instance filmante et au pouvoir de discrétion d’une technique maniable. On y trouve également une thèse qui ne sera pas adoptée par d’autres défenseurs de ce cinéma et qui restera propre à Morin : celle du « cinéma-vérité » comme une expérience de prise de conscience, un exercice cathartique pour la personne filmée.
« Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas seulement de donner à la caméra cette légèreté du stylo qui permet au cinéaste de se mêler à la vie des hommes. Il s’agit en même temps de tenter un effort pour que celui qui est filmé se reconnaisse dans son propre rôle. On sait qu’il y a une parenté profonde entre la vie sociale et le théâtre puisque notre personnalité sociale est faite de rôles qui se sont incorporés à nous. Il est donc possible à la manière du sociodrame de permettre à chacun de jouer sa vie devant la caméra. Et comme dans un sociodrame, ce jeu a valeur de vérité psychanalytique. »
17On retrouve ici la thèse morinienne du « masque social » développée quatre ans plus tôt dans Le Cinéma ou l’Homme imaginaire. Cependant, le rapport avec le cinéma est inversé. Rappelons-le : pour Morin en 1956, la coexistence chez l’homme d’une double personnalité intime et sociale offre un premier mouvement de projection-identification du sujet entre ses deux facettes de lui-même :
« Les commentateurs naïfs […] croient que l’identification ou projection […] sont nées avec le film. Notre personnalité est de confection ready made. Nous nous en habillons comme d’un vêtement, et nous nous habillons d’un vêtement comme d’un rôle. Nous jouons un rôle dans la vie, non seulement pour autrui, mais aussi (et surtout) pour nous-mêmes. Le costume (ce déguisement), le visage (ce masque), les propos (ces conventions), le sentiment de notre importance (cette comédie) entretiennent dans la vie courante ce spectacle donné à soi et aux autres, c’est-à-dire les projections identifications imaginaires. Dans la mesure où nous identifions les images de l’écran à la vie réelle, nos projections-identifications propres à la vie réelle se mettent en mouvement33. »
18Le dispositif classique du cinéma, loin de chercher à mettre fin à cette dualité humaine, imite cette dynamique et reproduit une seconde projection-identification, non plus entre la personnalité intime et la personnalité sociale du spectateur, mais entre le spectateur et le personnage qu’il voit à l’écran. Ce phénomène, calqué sur le psychisme humain, est, selon Morin, central dans le processus imaginaire du cinéma. Il semble bien que cette dynamique soit modifiée avec le « cinéma-vérité » ainsi que l’envisage, encore tout à fait théoriquement, Morin. Le rôle du nouveau dispositif est de « démasquer » la personne filmée de façon à faire apparaître une sorte de vérité intime jusqu’alors invisible à l’œil nu. Il ne s’agit plus pour le « cinéma-vérité » d’imiter le dédoublement humain, mais de percer ce phénomène à jour afin de permettre au spectateur de prendre conscience de sa propre théâtralité. Avec le « cinéma-vérité », le masque humain n’est donc plus une caractéristique qui sert de modèle au processus de projection-identification. Au contraire, ce nouveau cinéma doit révéler cette dynamique humaine du masque social.
19À quelle conséquence Morin espère-t-il que cette « expérience » qu’il appelle de ses vœux aboutira ? « Le cinéma peut-il être un des moyens de briser cette membrane qui nous isole chacun les uns des autres dans le métro, dans la rue, dans l’escalier de l’immeuble ? La recherche du nouveau cinéma-vérité est du même mouvement que celle d’un cinéma de la fraternité », ainsi conclut-il son article. On constate dès lors à quel point le « cinéma-vérité » que fantasme Morin révolutionne théoriquement le processus cinématographique « classique » tel que le dépeint Le Cinéma ou l’Homme imaginaire. Le spectateur était décrit comme « passif » et « impuissant34 », dans un état « simili hypnotique » et surtout « isolé par l’obscurité35 », condition qui tonifie sa participation et donc le dispositif cinématographique tout entier. La rupture entre cinéma et « cinéma-vérité » n’est pas seulement, et loin de là, une scission entre films de fiction et documentaires. À mes yeux, la différence la plus importante développée par Morin réside dans l’inversion entre collectif et individuel. En effet, il dépeint dans l’article le tournage cinématographique « classique » comme un lourd processus collectif (le cinéaste est « directeur d’équipe ») alors qu’au stade de la projection, le spectateur, nous l’avons dit, est isolé. Le « cinéma-vérité » inverse les choses, puisque le « cinéaste-scaphandrier […] peut désormais s’introduire en camarade et individu […] dans une communauté » tandis que le spectateur rompt avec le processus intime et personnel de « projection-identification » pour rencontrer, sur un plan naturellement symbolique, ses voisins. Le « cinéma-vérité » est avant tout rêvé comme une expérience d’ouverture à l’autre. Il importe encore de rappeler que l’article de France Observateur est presque entièrement prescriptif : la démonstration s’appuie moins sur des spécimens existants (les films de Rouch ou du Free Cinema sont des exemples imparfaits, et non des modèles à suivre) que sur des réalisations futures. L’objectif de Morin n’est pas de rendre compte d’un phénomène existant, mais bien de lancer un appel pour un nouveau « cinéma-vérité ». Évidemment, on mesure rétrospectivement toute l’ambiguïté de la position de Morin, puisque c’est lui-même, en tant que coréalisateur de Chronique d’un été, qui répondra à cet appel. À ma connaissance, l’hypothèse « cinéma-vérité » – telle que développée dans cet article et testée par la réalisation six mois plus tard de Chronique – n’a jamais été mise en perspective avec les idées défendues dans Le Cinéma ou l’Homme imaginaire. Le « cinéma-vérité » est plutôt appréhendé, de manière assez floue, à l’aune des théories baziniennes, et ainsi considéré comme une surenchère utopique de réalisme36. Il me semble plus productif de faire appel à l’ouvrage de 1956 pour saisir au mieux le caractère révolutionnaire que Morin attribue au « cinéma-vérité » fantasmé, et notamment les espoirs qu’il place dans Chronique d’un été.
20Signe que le « cinéma-vérité » prolonge les réflexions du Cinéma ou l’Homme imaginaire, Morin publie en juin 1960 dans la revue Esprit « Le rôle du cinéma » qui revient sur le concept de « projection identification »37. Sans que l’article de France Observateur ou le tournage avec Rouch ne soient explicitement évoqués, Morin modifie certaines idées par rapport à 1956 et ces nuances peuvent s’expliquer par la théorisation du « cinéma-vérité » qui l’occupe alors. La principale nouveauté du « Rôle du cinéma » réside dans la distinction plus marquée entre l’étape de l’identification et celle de la projection, décrite comme un processus unique dans Le Cinéma ou l’Homme imaginaire. Durant ces mois de 1960 où les réflexions sur le « cinéma-vérité » occupent Morin, il décrit l’identification comme un complexe mimétique, autrement dit la reconnaissance de soi-même sous les traits du personnage. Il précise que l’identification est plus forte lorsque « le spectateur aura reconnu, sous un mode glorieux ou pathétique, ses propres problèmes et sa propre image, son reflet, son double à l’écran38 », ce qui évoque l’importance de montrer, via le « cinéma-vérité » des individus similaires à ceux qui composent le public. La projection désigne dans l’article d’Esprit la capacité du spectateur à envier la conduite d’un personnage qui ne lui ressemble pas forcément, dimension imaginaire qui pourrait décrire la réaction du spectateur devant le dispositif cathartique de « dévoilement » des protagonistes face à la caméra. Morin nuance le complexe de « projection identification » décrit en 1956 en dissociant pour le spectateur le réalisme du film (se reconnaître dans les personnages) de sa dimension imaginaire (envier leurs actions), une précision qui me semble avoir été nourrie par les réflexions contemporaines sur le « cinéma-vérité ». On jurerait d’ailleurs qu’il anticipe les réactions ulcérées déclenchées par Chronique lorsqu’il évoque la « psychose d’identification », le « fantasme obsessionnel » qui survient quand le spectateur souhaite imiter le personnage (en l’occurrence l’acte de se démasquer) mais qu’il ne trouve pas « la volonté effective de changer sa vie39 ». Ces lignes ont été écrites avant les premières projections des rushes, le sociologue ne décrit pas ici la polémique qui nous intéresse. Par contre, il expliquera le rejet du « cinéma-vérité » par une incapacité psychique du spectateur à tolérer un tel dévoilement intime (voir infra, chapitre VI et partie III, chapitre V).
Répercussion de « Pour un nouveau “cinéma-vérité” »
21L’article de France Observateur est riche de propositions diversement explicites que je synthétiserai en quatre grands axes. Selon la première suggestion du sociologue, le terme « cinéma-vérité », rapidement autonomisé du patronage vertovien, désigne un cinéma en devenir, un nouveau « mouvement » dans l’histoire du cinéma. Le deuxième axe se situe au niveau des modes de discours, lorsque le sociologue pose l’idée fondamentale de l’« immersion » du cinéaste dans l’univers filmé grâce aux caméras 16 mm et magnétophones portables. Le troisième apport, encore assez implicite dans cette version de l’article, consiste à présenter ce « cinéma-vérité » comme un « cinéma de la fraternité », soit un double dispositif de communion (personnes filmées et spectateurs), puis entre les spectateurs, libérés de leurs masques sociétaux. La quatrième proposition découle de l’existence même du manifeste : le positionnement d’Edgar Morin comme penseur et comme théoricien de ce nouveau mouvement.
22Publié dans un hebdomadaire au tirage important (près de 100 000 exemplaires40) et signé par une « personnalité », « Pour un nouveau “cinéma-vérité” » ne suscite néanmoins aucune réaction immédiate : le texte n’est plus discuté dans les colonnes du journal41, et aucune des quatre propositions susmentionnées n’est reprise lors de la critique de films qui pourraient correspondre aux propos du sociologue. Ainsi, L’Amérique insolite de François Reichenbach sort en février 1960, soit un mois après la publication de France Observateur. Pourtant considéré a posteriori comme du « cinéma-vérité », le film de Reichenbach qui se propose de découvrir les mœurs de la société américaine grâce à un tournage caméra à l’épaule n’est jamais mis en perspective avec la réflexion de Morin42. Plus étonnant encore est La Pyramide humaine de Rouch sorti au printemps 1961 : nulle référence à l’article qui semble complètement tombé dans les oubliettes43.
23Deux événements contribueront néanmoins à la postérité de ce texte. Il s’agit tout d’abord de la réalisation entre mai 1960 et septembre 1961 de Chronique d’un été, car ce film est l’expression non plus écrite, mais filmique de la conception morinienne du « cinéma-vérité ». Le second événement consiste en la réédition d’une nouvelle version du texte dans le livre Chronique d’un été, ouvrage qui accompagne à l’automne 1961 la sortie du film en salles. Objet complexe qui inaugure la nouvelle collection « Domaine cinéma » chez Interspectacles, ce livre est composé du texte des scènes coupées, de photographies de tournage, du témoignage des protagonistes sur leurs prestations, des extraits des critiques parues dans la presse et de textes écrits par les deux réalisateurs pour l’occasion (Morin « Chronique d’un film » et Rouch « Le cinéma de l’avenir ? »). Cette publication est constituée d’un matériel épars qui se veut le reflet de l’aventure Chronique d’un été, et s’ouvre par l’article de Morin ainsi amené par son auteur :
« Au retour [de Florence], je fais un article qui paraît en janvier 1960 dans France Observateur, intitulé “Pour un nouveau cinéma-vérité”. Je le cite ici, car il traduit les intentions qui me poussaient à proposer à Rouch de tourner un film non plus en Afrique cette fois, mais en France44. »
24Ce texte est donc présenté comme une simple réédition de l’article publié près de deux ans auparavant. Pourtant, en y regardant de plus près, on constate que cette réédition a été modifiée et augmentée – une douzaine de changements d’importance variable –, ceci afin de mieux répondre aux polémiques soulevées par la sortie du film en France quelques semaines auparavant45. Un tableau comparatif précis ayant été établi en annexe, je me permets de synthétiser mon analyse autour des trois modifications les plus significatives.
25Le premier changement établi par Morin concerne le terme « cinéma-vérité ». Dans la première version du texte (janvier 1960), la notion était encadrée par des guillemets lors des deux premières occurrences, attestant d’une reprise, d’un emprunt à Vertov, mais sans l’expliciter directement. Puis, Morin autonomisait le concept en supprimant ces marques de citation. C’est ainsi sans grande surprise que l’on constate que, dans cette seconde version (novembre 1960), le mot n’est jamais utilisé avec des guillemets puisque cette étiquette s’est entre-temps totalement affranchie, aux yeux du public, de son origine soviétique pour devenir le fer de lance de ce nouveau cinéma (voir infra, chapitre II). Ce premier changement, d’ordre typographique, traduit ainsi un mouvement d’appropriation par Morin de cette expression, mouvement déjà amorcé au sein même de la première version de l’article. Si Chronique d’un été soulève une polémique aussi forte, c’est notamment parce que les deux cinéastes sont accusés d’agir en froids scientifiques au détriment du respect de l’intimité des protagonistes filmés. Morin, pour défendre leur éthique professionnelle, ajoute à propos de Jean Rouch : « En acceptant de perdre une esthétique formelle, il découvre des terres vierges, une vie qui possède en elle-même ses secrets esthétiques. Sa conscience d’ethnographe l’empêche de trahir la vérité, de l’embellir46. » Ainsi, la position scientifique est dépeinte sous la nouvelle plume de Morin comme un gage d’éthique et de morale vis-à-vis du réel filmé, à l’opposé de l’image d’entomologistes esquissée par la presse. Le troisième aspect, profondément modifié par Morin lors de la réédition de son article, concerne la thèse du « cinéma de la fraternité » qui lui est chère. Le sociologue souligne l’idée du masque social47 et ajoute un paragraphe à la fin afin de renforcer, aux yeux des autres commentateurs du « cinéma-vérité », la spécificité de ses propositions :
« Plus que dans un sociodrame, cette vérité psychanalytique joue pour les spectateurs qui cessent d’être en catalepsie cinématographique pour s’éveiller à un message humain. C’est alors que, pour un moment, nous pouvons sentir que la vérité est ce qui se cache en nous sous les rapports pétrifiés ; c’est alors que le cinéma moderne peut réaliser, et ne peut réaliser que dans le cinéma-vérité seul, cette conscience lucide de fraternité, où le spectateur se découvre moins étranger à son semblable, moins glacé, moins inhumain, moins encroûté dans la fausse vie48. »
26Edgar Morin consacre la majeure partie des corrections qu’il apporte à ce texte à sa troisième proposition : la capacité du « cinéma-vérité » à « démasquer » la personne filmée et à fournir au spectateur une « vérité » lui permettant de découvrir son prochain. Ce mouvement de double communion (spectateur/personne filmée ; spectateur/spectateur) apparaît en effet, à l’issue de la réalisation de Chronique comme l’aspect le plus fragile des propositions moriniennes. Rappelons les points défendus dans l’article : le terme « cinéma-vérité » ? Facilement adopté ! La question de l’immersion du cinéaste ? Elle remporte – et remportera – un vif succès. La position de Morin comme figure pensante ? Rouch la lui délègue volontiers49 ! En revanche, les violentes réactions de la presse vis-à-vis du principe même du film – consistant à montrer à l’écran des gens « ordinaires » – signifient sans doute aux yeux du sociologue que son « cinéma de la fraternité » a été mal compris. Il tente ainsi, par la réédition de son article, de renforcer sa position de théoricien précurseur du « cinéma-vérité », mais également, en le modifiant subrepticement, d’éclairer son concept de « cinéma de la fraternité ».
Notes de bas de page
1 Edgar Morin, « Pour un nouveau “cinéma-vérité” », France Observateur, no 506, 14 janvier 1960. Dans le présent travail, les références des publications hebdomadaires mentionnent le numéro du journal et la date. Pour les quotidiens, seule la date est notée. Pour les mensuels par contre, il est indiqué le numéro, la date et la page.
2 Par souci de clarté, je me réfère toujours au film de Rouch et de Morin en employant le titre Chronique d’un été (parfois abrégé Chronique). Or ce titre n’est adopté que durant la phase de montage (automne 1960). Ce projet se nomme jusqu`à cette date Comment vis-tu ? comme nous le verrons infra (partie I, chapitre iv).
3 Edgar Morin, « Chronique d’un film » dans Chronique d’un été : texte du film, scènes coupées, chronique d’un film, op. cit., p. 5-8.
4 Un tableau comparatif précis des deux versions est reproduit en annexe. J’invite le lecteur à ne pas se fier aux « citations » de l’article faites par Gilles Marsolais dans L’Aventure du cinéma direct, op. cit. Le chercheur canadien supprime, sans les indiquer, des fragments du texte et modifie même certaines phrases pour qu’elles correspondent mieux à sa propre argumentation. Un exemple parmi d’autres : l’historien affirme que « [d] ans Chronique d’un été, l’aspect psychodramatique est inexistant » (op. cit., p. 270). Pour étayer cette hypothèse, il n’hésite pas à tronquer la phrase originale de Morin (« Il est donc possible, à la manière du sociodrame, de permettre à chacun de jouer sa vie devant la caméra. Et comme dans un sociodrame, ce jeu a valeur de vérité psychanalytique, c’est-à-dire qu’affleurent à la surface des rôles… », Edgar Morin, « Pour un nouveau “cinéma-vérité” », France Observateur, no 506, 14 janvier 1960) en une citation subrepticement modifiée : « On peut donc permettre à chacun de jouer sa vie devant la caméra. Alors affleure à la surface des rôles… », Gilles Marsolais, L’Aventure du cinéma direct, op. cit., p. 272. Aucune modification n’est indiquée, aucun crochet n’avertit le lecteur, et cette citation entre guillemets renvoie à l’article de France Observateur. Il ne s’agit nullement d’une troisième version du texte de Morin, mais bien d’une citation tronquée par l’historien.
5 Cette partie propose une analyse de l’article « Pour un nouveau “cinéma-vérité” », et nous reviendrons plus spécifiquement dans le chapitre suivant sur le rapport entre Dziga Vertov et le « cinéma-vérité ».
6 Jean Rouch est ethnologue, chargé de recherches au CNRS, cofondateur en 1952 du Comité du film ethnographique et directeur du musée de l’Homme. En 1960, Rouch est une figure importante de la cinéphilie française, notamment grâce à ses films Les Maîtres fous (1956) ou Moi, un Noir (1958) qui a remporté le prestigieux prix Louis Delluc.
7 Avec malice, Morin explique à l’auteur de sa biographie le caractère décalé de ses recherches sur le cinéma aux yeux de l’institution qui l’emploie en 1952 : « Le CNRS refusait de payer mes tickets d’entrée [de cinéma], mais consentait à me rembourser le ticket de métro. » Il faut préciser que cela représente, selon Morin, jusqu’à plusieurs entrées par jour. Emmanuel Lemieux, Morin, l’indiscipliné, Paris, Le Seuil, 2009, p. 328.
8 Voici la liste des contributions de Morin à la Revue internationale de filmologie : Georges Friedmann et Edgar Morin, « Sociologie du cinéma », no 10, avril-juin 1952 ; Edgar Morin, « Recherches sur le public cinématographique », n 12, janvier-mars 1953 ; Edgar Morin, « Les problèmes des effets dangereux du cinéma », no 14-15, juillet-décembre 1953 ; Edgar Morin, « Le Cinéma ou l’Homme imaginaire », no 20-24, année 1955 ; Edgar Morin, « Les Stars », no 25, 1956. Pour plus d’informations sur la collaboration de Morin à cette importante revue, je renvoie à l’article de Jean-Marc Leveratto, « La Revue internationale de filmologie et la genèse de la sociologie du cinéma en France », Cinémas : revue d’études cinématographiques, vol. 19, no 2-3, 2009, p. 183-215.
9 Après le tournage de Chronique d’un été, Morin continuera à s’impliquer dans la réalisation de films. Outre les émissions Cinéma-vérité que Morin effectue en 1965 pour la RTF et sur lesquelles nous reviendrons largement (partie IV, chapitre iii), il écrit en 1964 le scénario d’un film de fiction : L’Heure de la vérité (Henri Calef, France Israël, 1964). La mention du terme « vérité » dans le titre n’a rien à voir avec Morin puisque, dans le scénario signé par le sociologue, le film s’intitulait La Vie secrète de Jonathan Strauss. Cette fiction, rédigée en plein procès Eichmann, raconte l’histoire d’un nazi qui se dissimule en Israël après la guerre sous la fausse identité d’un Juif. Il sera démasqué par un sociologue, Nagra en bandoulière. Le film, jamais sorti dans les salles françaises, est actuellement disponible en DVD, Les documents cinématographiques (éd.), 2003.
10 Les experts de la Commission sont choisis par André Malraux parmi des personnalités proches du milieu littéraire ou parmi des « amis des arts ». Les hommes qui siègent avec Morin en 1960 sont : Jacques Audiberti, Jean Dutourd, Robert Kanters, Léon Mathot, Georges Magnane, Pierre Moinot et Henri Queffelec. Comme le rappelle Frédéric Gimello-Mesplomb dans un article très complet dont sont issues les informations précédentes, « [l] es premiers reproches adressés à l’avance sur recettes ne concernent guère la façon de répartir les subsides de l’État, mais bien la qualité socioprofessionnelle des membres nommés, à qui l’on reproche tantôt d’être extérieurs à la profession, et de ne rien comprendre aux problèmes de la corporation, tantôt d’appartenir au “Tout-Paris littéraire et politicolittéraire” ». Frédéric Gimello-Mesplomb, « Le prix de la qualité. L’État et le cinéma français (1960-1965) », Politix, no 61, 2003, p. 106.
11 En France, les conflits qui accompagnent l’émergence des mass media en sociologie ne sauraient être traités ici dans le détail, car ils touchent peu à l’implication de Morin dans la création cinématographique.
12 Emmanuel Lemieux, Morin, l’indiscipliné, op. cit., p. 341.
13 Voir Philippe Tétart, Histoire politique et culturelle de France Observateur, 1950-1964, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 104, et les chapitres xxx-xxxii de Emmanuel Lemieux, Morin, l’indiscipliné, op. cit.
14 Voici comment Morin relate son exclusion du PCF, huit ans après les faits : « “Que pensestu d’un communiste qui écrit dans le journal de l’Intelligence Service ?” me demande-t-on. Je lui répondis que j’en pensais le plus grand mal et je me tus. “Tu ne vois vraiment pas de quoi je parle ?”. Nous en vînmes aux faits. Il s’agissait de l’Observateur. “Le directeur de l’Observateur est Claude Bourdet, Claude Bourdet, c’est bien connu, est l’agent patenté, officiel de l’Intelligence Service en France”. » Ce témoignage, version naturellement subjective des événements, est publié en mai 1959 dans l’ouvrage : Edgar Morin, Autocritique, Paris, Julliard, 1959, p. 167.
15 Le numéro 339 de France Observateur (8 novembre 1956) proteste contre l’intervention soviétique en Hongrie via une pétition notamment signée par Morin.
16 Voici les différents articles d’Edgar Morin entre 1959 et 1963 dans France Observateur : « De la torture », no 479, 9 juillet 1959 ; « Sociologie d’un échec », no 496, 5 novembre 1959, « Pour un nouveau “cinéma-vérité” », no 506, 14 janvier 1960 ; « Une mise en question », no 530, 30 juin 1960 (compte rendu de Pour entrer dans le XXe siècle de Jean Duvignaud) ; « Les intellectuels et l’Algérie », no 545, 13 octobre 1960 ; « Comment la culture vient aux masses », no 616, 22 février 1962 (long article de trois pages où Morin présente les thèses sur la culture de masse qu’il développera dans l’Esprit du temps la même année) ; « Une autre question », no 628, 17 mai 1962 (bref texte qui appelle à la défense de Heinz Brandt, communiste allemand de l’est, condamné pour espionnage) ; « Le marxisme a-t-il déraillé à Naouchki ? », no 698, 19 septembre 1963 ; « Les copains au pouvoir », no 1002, 10 octobre 1963 (petit texte sur la jeunesse yéyé).
17 « La déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre en Algérie » (devenu « Le manifeste des 121 » ou « Appel des 121 ») publié dans Le Monde le 6 septembre 1960 est la première grande pétition du monde intellectuel français contre la politique gaulliste en Algérie. Elle n’est pas soutenue par Morin qui s’y oppose dans les colonnes de France Observateur. Il reproche à cette première pétition son soutien au FLN qui prône la lutte armée et la liquidation des partisans de Messali Hadj, (les messalistes). On retrouve parmi les 121 signataires de célèbres critiques ou commentateurs qui débattront du « cinéma-vérité », souvent contre les positions de Morin : Robert Benayoun, Raymond Borde, Jean-Louis Bory, Bernard Dort, François Truffaut, Jean-Paul Sartre ou encore Jean-François Revel.
18 Le 13 octobre, la rédaction du journal annonce : « Suite à la publication […] de l’article d’Edgar Morin “Les intellectuels et l’Algérie”, […] nous avons reçu un abondant courrier. Nous n’en publions ici que quelques extraits. »
19 Edgar Morin, « Chronique d’un film », dans Chronique d’un été, op. cit., p. 21.
20 Paru le 5 novembre 1959.
21 Emmanuel Lemieux, Morin l’indiscipliné, op. cit., p. 397-398. Les Maîtres fous, sorti en 1956, a été projeté pour la première fois (non sonorisé) en mai 1955, au musée de l’Homme, à des ethnographes, des scientifiques et des invités africains. Luc de Heusch se remémore cette projection : « Ce fut un beau tollé ! Rouch déchaîna une tempête de protestations aussi bien de la part de nos aînés, ethnologues chevronnés, que de la part des intellectuels africains présents. Ceux-ci croyaient être en présence d’une image dégradante d’eux-mêmes alors qu’il s’agissait d’une image dégradante de la colonisation. » Luc de Heusch, « Jean Rouch et la naissance de l’anthropologie visuelle. Brève histoire du Comité international du film ethnographique », L’Homme, revue française d’anthropologie, no 180, octobre 2006, p. 45.
22 « Jean Rouch, qui a fréquenté les salles de cinéma de la Gold Coast, a vu des Noirs applaudir Georges Raft le négrier qui, pour échapper à ses poursuivants, jette à la mer sa cargaison de bois d’ébène », Edgar Morin, Le Cinéma ou l’Homme imaginaire, Paris, Les Éditions de Minuit, 1956, p. 110.
23 Cette structure existe depuis 1952 et la section française est dirigée par Jean Rouch. En ce qui concerne le Festival dei Popoli, cette première édition ne bénéficie pas de l’attention des médias. Sadoul n’y assiste pas, car il se trouve à ce moment au Mexique (BIFI, archives Georges Sadoul, carton GS-E 24). En revanche, lors des années suivantes, cette manifestation deviendra un lieu de passage obligé pour les protagonistes et les commentateurs du « cinéma-vérité ».
24 Luc de Heusch, « Jean Rouch et la naissance de l’anthropologie visuelle », L’Homme, op. cit., p. 57.
25 Morin travaillait-il réellement sur un autre projet filmique avant de venir à Florence ? Aucune source ne permet de confirmer les dires de Rouch, et l’unique déclaration de Morin à propos de ce film semble indiquer qu’il n’y était pas impliqué : « Nous étions avec Jean Rouch au festival du film ethnographique de Florence en décembre 1959. Je lui dis qu’il serait temps qu’il fasse un film sur les Blancs. Je lui suggère un film sur l’amour. À cette époque se préparait ce film pseudo-sociologique sur “la Française et l’amour” et je rêvais d’un film qui soit, par lui-même, une vraie enquête sur l’amour », Henri Bourbon, « Edgar Morin nous parle de Chronique d’un été », France Forum, mars 1961.
26 Louis Marcorelles et André S. Labarthe, « Jean Rouch et Edgar Morin à la découverte du cinéma-vérité », France Observateur, no 555, 22 décembre 1960.
27 Edgar Morin, « Chronique d’un film », dans Chronique d’un été, op. cit., p. 5.
28 Précisons que la présente analyse porte sur l’article publié en janvier 1960, et non sur la version augmentée que Morin édite, sans en indiquer les modifications, dans le fascicule Chronique d’un été chez Interspectacles.
29 Nice-Time est un documentaire réalisé par Alain Tanner et Claude Goretta en Angleterre en 1957. Morin cite ce titre sans mentionner les cinéastes helvétiques. En ce qui concerne Des enfants nous parlent, il s’agit probablement du film de Vittorio De Sica, I Bambini ci guardano (Les enfants nous regardent, 1942).
30 Il s’agit, à ma connaissance, de la première utilisation de cette métaphore du « cinéaste scaphandrier ». Alors qu’elle renvoie de nos jours à un équipement lourd et à une combinaison qui sépare hermétiquement le cinéaste de l’univers filmé, elle connaît un certain succès au début des années soixante, sans doute parce qu’elle établit un lien indestructible entre l’homme et l’équipement technique. Cette locution trouve peut-être sa source dans le célèbre film animalier de Cousteau et de Malle, Le Monde du silence qui remporte la Palme d’Or au Festival de Cannes en 1954 et auquel Bazin consacre un fameux article « Le Monde du silence », France Observateur, no 303, mars 1956. Rouch fait explicitement référence à ce classique du genre lorsqu’en 1961 il salue le succès de cette notion : « Cette expression de cinéaste-scaphandrier m’a toujours plu (et flatté) ; le cinéaste avec son équipement ressemble effectivement à un scaphandrier ou à voyageur intersidéral, mais naviguant dans un monde qui n’est pas “du silence” », « Note de Jean Rouch », dans Chronique d’un été, op. cit., p. 42. Cependant, cette référence est délaissée dès 1961 par Rouch et Morin, sans doute parce qu’il n’est plus judicieux de se réclamer du documentaire animalier alors que l’on leur reproche de porter sur les personnes filmées un regard « d’entomologistes ».
31 Les outils cités ne sont en effet pas destinés aux tournages professionnels. Les magnétophones que mentionne Morin sont conçus pour un usage radiophonique et les caméras 16 mm auxquelles il fait référence ne sont en fait que du matériel amateur, peu maniable et bruyant que Rouch bricole en Afrique. Le prototype de la caméra KMT (première caméra ergonomique et silencieuse) ne sera inventé que huit mois plus tard (voir partie I, chapitre iii).
32 À ce titre, notons d’ailleurs que le 16 mm comme dénominateur commun entre les exemples cités par Morin est une erreur de sa part puisque les exemples cités (On the Bowery, The Lambeth Boy) ne sont pas tournés en 16 mm, mais en 35 mm ainsi que le confirme Michel Brault en 1991 : « Lionel Rogosin […] qui s’était construit une caméra 35 mm portative insonore et synchrone. Rogosin voulait une caméra autonome, portative et qu’on ne branche pas sur le courant 110. C’est avec ça qu’il a tourné On the Bowery, parce qu’il voulait ce qu’on appelle aujourd’hui les itinérants, les clochards du Bowery », Jean-Claude Labreque, « Métamorphose d’une caméra, fragments d’une longue histoire », Lumière, no 25, 1991, p. 22. De telles confusions techniques sont très fréquentes durant ces polémiques, ainsi que nous le verrons partie II, chapitre v.
33 Edgar Morin, Le Cinéma ou l’Homme imaginaire, op. cit., p. 97.
34 Ibid., p. 101.
35 Ibid., p. 102.
36 Voir par exemple Sam Diiorio, « Total cinema: Chronique d’un été and the end of Bazinian film theory », Screen, op. cit.
37 Edgar Morin, « Le rôle du cinéma », Esprit, no 6, juin 1960, p. 1069-1079.
38 Ibid., p. 1074-1075.
39 Ibid., p. 1074.
40 Philippe Tétart, Histoire politique et culturelle de France Observateur, 1950-1964, op. cit., p. 6. À titre de comparaison, les tirages des revues de cinéma sont nettement moindres. Ainsi, Cahiers du cinéma n’imprime qu’à 12 000 exemplaires, Positif à 9 000 et Artsept à 3 000. Seuls Cinéma et Image et Son approchent les 20 000 exemplaires. Ces chiffres, qui correspondent à l’année 1964, sont donnés dans « La bibliothèque est en jeu », Cahiers du cinéma, no 163, mars 1964.
41 Comme ce sera le cas pour un article de la même année signé par Morin : « Les intellectuels et l’Algérie », op. cit.
42 L’Amérique insolite n’est pas tourné en 16 mm, mais en caméra 35 mm portable. Les images sont commentées en voix over par un texte auquel collabore Chris Marker.
43 Claude Mauriac signe pourtant un article sur La Pyramide humaine intitulé « Cinéma-vérité » le 22 avril 1961 dans Le Figaro littéraire, ce qui correspond à ma connaissance au premier écho médiatique de l’expression. Néanmoins, Mauriac ne fait nullement référence au texte de Morin, mais bien à Chronique d’un été qu’il a vu en avant-première en hiver 1960-1961, quelques mois avant la projection cannoise.
44 Edgar Morin, « Chronique d’un film », dans Chronique d’un été, op. cit., p. 5.
45 L’analyse précise de cette polémique se situe infra, chapitre vi.
46 Edgar Morin, « Pour un nouveau cinéma-vérité », dans Chronique d’un été, op. cit., p. 8. La partie ajoutée par Morin en novembre 1961 est soulignée par mes soins.
47 Voici la première version (janvier 1960) : « Et, d’autre part, chacun se munit d’un masque devant la caméra » et la seconde (novembre 1961) : « Et, d’autre part chacun se masque, se munit d’un masque supplémentaire devant la caméra. » Je souligne les ajouts.
48 Toute cette citation est un ajout au post-scriptum.
49 Rouch ne semble pas très à l’aise dans cette « théorisation » du « cinéma-vérité ». À la fin du film, il laisse volontiers ce rôle à son collaborateur (« Alors Morin, qu’est-ce que tu penses de ce film ? ») et n’intervient que pour relancer les propos du sociologue. De même dans l’ouvrage Chronique d’un été, il délègue cette fonction à Morin en déclarant : « J’ai très peu parlé dans cet exposé de Chronique d’un été, laissant ce soin à Edgar Morin dont le minutieux témoignage ne pouvait être fait que par lui, car […] le film est pour moi un moyen d’expression total et je ne vois pas la nécessité pour moi d’écrire avant, pendant ou après le tournage », Jean Rouch, « Le cinéma de l’avenir ? », dans Chronique d’un été, op. cit., note 1, p. 52.
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