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Les mémoires policiers, 1750-1850

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Vincent Milliot

Troisième partie. Écrire pour régénérer /refonder la police

Recomposition gendarmique et restauration coloniale : le Projet d’organisation d’une gendarmerie de Saint-Domingue du général Naverre, 1803

Bernard Gainot et Franck Vandeweghe

Entrées d'index

Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Remarquons ce nom de « légion », qui renoue avec le corps, au sein duquel fut incorporée la maréch (...)

1Le projet de recomposition de la gendarmerie coloniale de Saint-Domingue que nous présentons ci-contre n’est pas unique dans le contexte de la tentative de restauration coloniale menée par le Premier Consul et son groupe de conseillers (Guillemain de Vaivre, Moreau de Saint-Méry, Barbé-Marbois, Decrès, Viénot-Vaublanc). Lorsque le corps expéditionnaire débarque au Cap le 5 février 1802, sous les ordres du beau-frère de Bonaparte, le général Leclerc, il compte parmi les officiers d’état-major, le chef de brigade Naverre, commandant la 2e légion de gendarmerie de Saint-Domingue1.

2L’attention portée par Leclerc à la gendarmerie est généralement soulignée :

  • 2 Service historique de la Défense (shd), fonds Préval m/1 (1324), Mémoire sur la dernière expéditio (...)

« …il créa une gendarmerie nombreuse pour la protection des cultivateurs, et la répression des vagabondands (sic) et de la malveillance, commandés par des officiers pris parmi ceux de toutes les couleurs dont il connaissait la bravoure et la moralité : il eut lieu d’en espérer les plus grands succès2 ».

3C’est la proximité de son auteur avec le commandant du corps expéditionnaire, son expérience dans le maintien de l’ordre aux colonies, et donc le caractère officiel que le général Naverre pensait voir conférer à son texte par le Ministère de la Guerre, qui ont présidé à la sélection de ce document, de préférence aux multiples projets parvenus à ce même Ministère, toujours dans l’optique d’une reconquête de la colonie de Saint-Domingue par l’ancienne métropole.

  • 3 Idem, 1m 1354 : Mémoire n° 22 bis ; sur Saint-Domingue et en général sur nos colonies d’Amérique, (...)
  • 4 Ibidem, p. 6.

4La grande majorité de ces mémoires ont été rédigés par des administrateurs ou des militaires liés aux partisans de la restauration de l’Ancien Régime, esclavage compris3. L’un de ces mémoires envisage même que la seule force armée en exercice sur le territoire reconquis sera la gendarmerie, parce que c’est « l’épouvantail du nègre dans tous les temps ». La gendarmerie remplacera les anciennes milices. Elle sera secondée par des brigades de guides et d’éclaireurs, composées d’hommes de couleur libres, et d’une maréchaussée de police formée de nègres libres commandés par des officiers blancs. La guerre de reconquête est avant tout conçue comme une opération de police : « Comment imaginer qu’il faille pour cela tout le courage du soldat français, toute l’expérience de nos plus habiles généraux, tout l’appareil d’une armée formidable4 ? »

5L’auteur revient par la suite très longuement sur l’expérience de la maréchaussée de Saint-Domingue au xviiie siècle :

« Je ne partage pas l’opinion qui, autrefois, abandonna la composition de la gendarmerie aux hommes de couleur et nègres libres. Au lieu de ravaler, en quelque sorte, un corps aussi précieux, l’intérêt bien entendu des propriétaires et leur sûreté eussent du les porter à le composer eux-mêmes, à n’y admettre que des blancs. Les anciennes milices n’ont jamais atteint le même but d’utilité ; mais le service en était moins pénible ; il offrait, d’ailleurs, à l’amour-propre du colon une perspective honorable et flatteuse… (p. 30)
…On peut objecter que les gens de couleur ont une plus grande aptitude aux courses et aux manœuvres requises pour le service de la gendarmerie ; pour cette raison la police intérieure leur était autrefois attribuée ; tous leurs officiers étaient blancs, et les sous-officiers seulement étaient choisis dans leurs rangs. Bien commandés, ils furent toujours l’effroi des nègres marrons. Mais les temps ont changé ; les gens de couleur, qui devaient aux blancs la vie et leur aisance, ont été à la fois des spoliateurs et des parricides. Ils furent complices de la révolte des nègres… dans toute leur conduite en général, la caste des mulâtres et nègres libres, sauf quelques exceptions, a montré non moins de bassesse et de perversité que d’ingratitude et de barbarie…
…Il faut donc s’en servir si on ne peut pas faire autrement, mais avec précaution. On pourrait former des brigades de guides et d’éclaireurs formées de mulâtres, attachées à la gendarmerie, et commandées par des blancs. Mais il faut assurer le principe de ne jamais mêler les mulâtres aux noirs afin de tenir les deux groupes dans une sorte de rivalité. Il faut donc établir des services distincts d’une durée de huit ans.
Pour les nègres libres, on pourrait rétablir l’antique institution de la maréchaussée de police. Ce sont des petits pelotons dans les quartiers et dans les villes, sous le commandement d’officiers blancs. La cloche annonce une heure pour le début de la patrouille, dans le voisinage des habitations, fouillant tous les refuges des nègres marrons. Pendant ce temps, des patrouilles de gendarmerie se déploient aux quatre extrémités de chaque quartier, formant une chaîne correspondante avec celle du quartier voisin, de manière à ce qu’aucun noir ne puisse s’échapper du filet. »

6Les effectifs de la gendarmerie coloniale seraient ainsi portés jusqu’à 20 000 hommes ! Tous les mémoires qui traitent de ce sujet, sans aller jusqu’à de tels chiffres, envisagent une force très largement composée de brigades à pied, et essentiellement encadrée par des blancs, voire exclusivement composée de blancs.

  • 5 Chef d’escadron Farnert, « Maréchaussée à Saint-Domingue » dans Gendarmerie nationale ; Revue d’ét (...)

7Le mémoire du chef de brigade Naverre participe de ces plans de restauration coloniale voulue par le régime consulaire, marqué par un sentiment de revanche sur le régime égalitaire et abolitionniste établi à la suite de la Déclaration des droits de l’Homme et des mouvements d’émancipation de la masse des anciens esclaves. Le recrutement du personnel souligne les dispositions ségrégationnistes de ce projet, dans la mesure où le projet ne prévoit que l’incorporation de soldats blancs. Il est donc en décalage complet avec les réalités démographiques et sociales de l’ancienne colonie. Pourtant, son caractère officiel lui impose également de s’insérer dans les dispositions de la grande loi organique de germinal an VI, et de proposer les moyens d’une adaptation de celle-ci aux réalités locales, topographiques, sociales, et économiques. Dans cette perspective, il doit tenir compte de l’héritage de la maréchaussée de Saint-Domingue au xviiie siècle, puisque c’est à Saint-Domingue que fut mise en place la première maréchaussée d’outre-mer, à la fin du xviie siècle5, et notamment des missions spécifiques qui étaient alors confiées à celle-ci.

8Les missions assignées à la gendarmerie coloniale par Naverre sont partiellement l’héritage des missions de l’ancienne maréchaussée ; en priorité, une police des esclaves, pour lutter contre le phénomène du « brigandage », autrefois lié à la répression des diverses formes de marronnage, désormais produit de l’errance des anciens esclaves, qu’il faut ramener aux ateliers pour permettre le fonctionnement de l’économie de plantation. Mais il faut également une force combattante, et par là, l’auteur du projet reconnaît, sans le dire, que les opérations ne sont pas une simple opération de police, mais une authentique campagne militaire : assurer la prévôté des armées (répression de la désertion et des exactions commises par les militaires envers les civils), et participer à la lutte contre les troupes de Toussaint et ses lieutenants Christophe et Dessalines. Cette ambiguïté dans la formulation de la finalité des missions (opération de police ou campagne militaire ?) est le propre de toutes les guerres coloniales.

9Le projet de réorganisation de la gendarmerie de Saint-Domingue mûrit au cours de la brève période de répit que connut la colonie après l’arrestation de Toussaint-Louverture, et le ralliement de ses principaux lieutenants. Dans une première phase (février-avril 1802), la fonction combattante l’emporte absolument sur celle du maintien de l’ordre. Leclerc tente alors de « pacifier » un territoire dévasté par les combats.

  • 6 shd, fonds Préval, 1m1957 (3), Le chef de brigade commandant la 2e légion de gendarmerie de Saint- (...)

« Le capitaine général Leclerc, après avoir soumis la colonie, s’attacha à étudier l’esprit des habitants de toutes les classes et de toutes les couleurs », rappelle en préalable Naverre pour présenter le contexte d’élaboration de son projet, et le caractère officiel conféré à celui-ci, en raison des fonctions d’autorité qu’il exerce alors :
« J’ai acquis la certitude de tous les faits que je viens de citer, tant pendant le temps que j’étais chargé en chef de la surveillance et du travail du bureau de l’État-major général, que pendant celui où j’ai été employé dans le département du Sud, et dans celui du Nord, à pacifier l’arrondissement du Borgne, à l’époque où l’insurrection s’est manifestée de nouveau. » 6

  • 7 Outre T. Madiou, Histoire d’Haïti, Port-au-Prince, Éditions Henri Deschamps, 1989, 2 vol., voir B. (...)

10La relance de l’insurrection en août 1802 est alimentée par l’annonce du maintien de l’esclavage en Martinique (30 floréal an x-20 mai 1802), des tentatives de désarmement des troupes de couleur à la Guadeloupe, jointes à un manque de fonds et d’approvisionnement. Leclerc vit ses effectifs diminuer en raison des épidémies de fièvre jaune, et de la désertion d’une bonne partie des troupes de couleur, qui rejoignent Christophe, Dessalines, et le général mulâtre Pétion, qui a rejoint ses anciens ennemis. Leclerc est contraint d’abandonner les régions de l’intérieur, pour se replier sur les ports7. Atteint par la fièvre jaune, il meurt au Cap le 2 novembre 1802.

11Le général Naverre est rapatrié en métropole en décembre 1802, avec la dépouille mortelle du commandant en chef, en raison de ses blessures et d’une attaque de paludisme. Il rédige le projet que nous présentons ci-après au cours de cette période de repos forcé :

  • 8 shd, fonds Préval, 1m1957, Projet d’organisation de la gendarmerie de Saint-Domingue, par le chef (...)

« Retenu dans ma chambre par ma mauvaise santé, j’ai voulu remplir mes douloureux loisirs en m’occupant à jeter sur le papier les réflexions et le projet de formation de régiments coloniaux et de gendarmerie8. »

12Il envoie ce projet au général Moncey, inspecteur général de la gendarmerie le 17 floréal an XI (7 mai 1803). Fruit d’une expérience de terrain, il essaie de concilier, dans la lignée de ce qui avait existé à la fin du xviiie siècle, les conditions particulières d’une colonie idéalement supposée « pacifiée » (missions et recrutement), et les principes généraux d’organisation de l’arme (quadrillage méticuleux du territoire par les brigades, avancements de carrières).

Un maillage serré du territoire nécessaire au rétablissement de l’ordre à Saint-Domingue

Une force publique imposante

  • 9 Un gendarme pour 2 063 habitants en Seine-et-Marne en 1801, par exemple ; voir F. Vandeweghe, Gend (...)
  • 10 T. Madiou, Histoire d’Haïti, Port-au-Prince, Éditions Henri Deschamps, 1989, tome i (14921799). Vo (...)

13Naverre préconise l’envoi d’un important contingent : 3702 officiers, sous-officiers, et gendarmes. C’est un chiffre important, si on le rapporte au maillage du territoire métropolitain (un gendarme pour 1 912 habitants9). La population de l’ensemble de l’île est alors estimée à 700 000 personnes10, partie espagnole comprise (que Toussaint a annexé à son gouvernement en 1801), ce qui suppose un gendarme pour 189 habitants. Le taux de concentration du personnel de l’arme est alors comparable à celui des légions de gendarmerie implantées dans l’ouest de la France, où se trouvent les départements placés hors de la Constitution pour cause de guerre civile. En préambule de son rapport sur la gendarmerie, Naverre prend soin de rapporter l’importance du contingent aux circonstances exceptionnelles que connaît la colonie :

  • 11 Souligné dans le texte.
  • 12 Projet d’organisation…, op.cit.

« L’organisation d’une gendarmerie à Saint-Domingue est absolument indispensable. Sous l’Ancien Régime, elle y était connue sous la dénomination de Maréchaussée11. Elle était spécialement chargée de la police, de la répression du brigandage et vagabondage, moins en action qu’aujourd’hui, à cause de la stricte discipline qui était observée dans les ateliers des habitations et les domestiques des villes, qui, tous soumis alors en esclaves, étaient moins à craindre qu’ils ne le sont, depuis qu’ils jouissent de leur liberté, qu’enfin l’état d’oisiveté dans lequel ils sont depuis plusieurs années, et l’esprit que la plupart d’entre eux ont pris pour l’indépendance, nécessitent aujourd’hui une surveillance militaire et très active que la gendarmerie, seule, peut bien exercer12. »

L’héritage de la Maréchaussée d’Ancien Régime

  • 13 Chef d’escadron Farnert, « Maréchaussée à Saint-Domingue » dans Gendarmerie nationale ; Revue d’ét (...)
  • 14 Devenue française au traité de Ryswick de 1697.

14Il faut rappeler brièvement l’importance de la maréchaussée de Saint-Domingue au xviiie siècle, puisque c’est à ce modèle que se réfère Naverre. C’est à la fin du xviie siècle 13 que fut mise en place la première maréchaussée d’outre-mer, dans la plus vaste, et bientôt la plus prospère des colonies tropicales de la France. Après des débuts laborieux, elle ne reçut vraiment une forme définitive qu’en 1733. Elle remplit alors trois missions prioritaires : la chasse aux esclaves fugitifs, les « nègres marrons » ; la traque des déserteurs des troupes réglées et des milices coloniales ; la sûreté des grands chemins, et diverses tâches de police urbaine. Ses attributions sont encore mal délimitées avec celles des milices, organisées par quartiers sous la responsabilité des autorités coloniales, les Conseils souverains du Cap pour le nord, et de Petit-Goave (juridiction qui sera transférée ultérieurement à Port-au-Prince pour le sud et l’ouest). En fait, la maréchaussée est plus spécifiquement chargée de la surveillance de la frontière entre les deux parties de l’île d’Hispaniola, la partie occidentale qui est la colonie française de Saint-Domingue proprement dite14, et la partie orientale, qui est la colonie espagnole de Santo-Domingo. Cette dernière partie, sous-peuplée et sous-administrée, est la terre de refuge des marrons et des déserteurs.

15Après la Guerre de Sept Ans, la maréchaussée se renforce, tandis que la tutelle royale, par le biais du gouverneur général, s’affirme au détriment des conseils souverains. En 1775, les effectifs passent à 380 hommes, dont 180 cavaliers, et les tâches de police urbaine sont beaucoup plus développées. Avec le développement des villes se pose fondamentalement une question d’ordre public. Les administrateurs tablent essentiellement sur la maréchaussée, car les soldats métropolitains des deux régiments coloniaux cantonnés dans les grandes villes, ainsi que les équipages de navires de commerce, sont des fauteurs de troubles, au même titre qu’un prolétariat flottant composé indistinctement de mulâtres, d’esclaves noirs, de marrons protégés par l’anonymat des statuts urbains.

16Toutefois, la police des esclaves reste déterminante. Comme en France, la maréchaussée dispose de la justice prévôtale, qui est une juridiction d’exception. Les officiers peuvent juger de façon expéditive les esclaves fugitifs, y compris la peine de mort. Ils exercent également leur juridiction sur les blancs qui ne sont pas des « habitants » (propriétaires), les « habitants » relevant des officiers des milices de quartiers (qui sont entièrement à leur dévotion).

17Cependant, à partir de 1780, la traque des marrons est enlevée à la maréchaussée pour être confiée à cinq compagnie de chasseurs royaux, tirées des compagnies de milices de libres de couleur. Ainsi, la maréchaussée se concentre-t-elle à la veille de la Révolution sur des missions de police urbaine. C’est là le reflet d’une diversification croissante de la société dominguoise.

  • 15 J.-M. Champion, « Saint-Domingue » dans J. Tulard (dir.) Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, 199 (...)

18La colonie, en raison de sa richesse (sucre et café) mérite alors pleinement son qualificatif de « perle des Antilles ». Mais c’est aussi une véritable poudrière en raison de ses inégalités sociales, où 30 000 blancs et 30 000 libres de couleur (mulâtres et affranchis) dominent socialement une masse de plus de 500 000 esclaves noirs. Les dominants sont en outre profondément divisés par les barrières raciales, et les revendications économiques ; les blancs sont tentés par l’autonomisme créole, les libres de couleur réclament la fin de la législation ségrégationniste15. Toutes ces contradictions vont déclencher un processus révolutionnaire qui couvre toute la décennie, plus ou moins maîtrisé à la veille de l’expédition Leclerc par le pouvoir absolu de Toussaint, devenu gouverneur à vie, et de ses lieutenants.

Une adaptation de la force publique aux conditions topographiques et sociales

19L’auteur souligne l’importance d’envoyer des brigades de gendarmerie à pied qui constituaient les 9/10 (3 360 sur 3 702 gendarmes) du contingent chargé du maintien de l’ordre dans l’île. Cette disposition rapproche l’île de Saint-Domingue des départements montagneux et boisés, où seuls les gendarmes à pied pouvaient pénétrer facilement pour traquer brigands, chauffeurs, réfractaires à la conscription, etc… Les cordillères centrales couvertes de forêts, d’un niveau d’élévation moyen de 400 mètres, frontalières entre les parties française et espagnole, ont toujours été des territoires de marronnage et d’insoumission (Mont La Vega, 3 175 m., Mont Azua, 3 140 m., Mont Saltrou, 2 680 m.) Le cheval a toujours été mal adapté à cet environnement topographique, que ce soit pour le transport ou pour les opérations militaires, outre le fait qu’il soit réputé moins bien adapté que le mulet au climat tropical humide.

20En outre, se faisait lourdement sentir la pénurie de fourrages, et de grains, nécessaires au soin des chevaux. Les cultures s’étaient orientées au cours des années précédentes vers les cultures vivrières, comme le manioc, les ignames, les bananes. Pour entretenir l’administration, les autorités successives ont encouragé la relance des cultures d’exportation : sucre, café. Il faut donc importer les fourrages, à un prix très élevé. La maréchaussée avait cru contourner le problème en demandant aux archers, et surtout aux officiers, d’acquérir leur monture : mais cela ne réglait pas pour autant l’insuffisance des chevaux, et le coût corrélatif de leur importation.

21Conformément, là encore, à la structure de la maréchaussée d’Ancien régime, les résidences s’établissent dans les deux principales métropoles de l’île, à savoir Le Cap-français (aujourd’hui « haïtien ») au nord, et Port-Républicain (aujourd’hui Port-au-Prince) au sud-ouest. Il est tout à fait significatif que la métropole du nord, située à proximité des riches plaines à sucre, et lieu de résidence des officiers et notables noirs, ait supplanté Port-au-Prince. De fait, ces deux villes concentraient les plus fortes populations, les administrations civiles et militaires de la colonie. La présence de ces escadrons de gendarmerie, donc de la gendarmerie montée, permettait également de protéger les centres de décisions, et les deux grands nœuds de communications, nécessaires au contrôle de l’hinterland.

  • 16 A. Pérotin-Dumon, La ville aux îles, la ville dans l’île. Basse-Terre et Pointe-à-Pitre, Guadeloup (...)

22Implantation privilégiée qui renvoie aussi aux tendances amorcées dans les dernières décennies de l’Ancien Régime, qui avaient vu croître le rôle des villes coloniales, par rapport aux campagnes placées dans leur dépendance16.

  • 17 Souligné dans le texte.
  • 18 Projet d’organisation… op.cit.

« Je désigne, pour la résidence des chefs d’escadron et de leur troupe, la même 17 que celle des chefs de légion, parce qu’elle me paraît devoir être naturellement celle de la troupe à cheval. En effet, c’est dans les deux principales cités de la colonie, c’est au centre des premières autorités civiles et militaires que doivent être placés les escadrons ; à ce motif de convenance publique, se joint la certitude de leur plus grande utilité pour le service de la plaine. Un règlement particulier indiquerait la résidence des brigades, et le nombre qu’il devrait y en avoir dans chaque commune18. »

23La présence de ces 171 hommes dans chacune de ces deux grandes métropoles à proximité des grandes plaines sucrières se justifiait d’un point de vue stratégique : Leclerc, puis son successeur Rochambeau n’ont pas perdu l’espoir de voir arriver des troupes fraîches de métropole. En disposant de deux larges rades, abritées et protégées, le débarquement d’un nouveau contingent français pourrait s’effectuer sans pertes inutiles, et permettrait d’acheminer rapidement des soldats vers les zones insurgées de l’intérieur. En outre, la présence dissuasive d’escadrons de gendarmes à cheval, aisément requis, pour se rendre sur une habitation proche, devait empêcher tout soulèvement des cultivateurs, anciens esclaves, désormais travailleurs sous contrat au service des anciens maîtres, blancs ou mulâtres, ou des nouveaux fermiers, majoritairement des officiers de couleur.

24En outre, les brigades montées se trouvaient près des côtes, donc des magasins où se trouvent le fourrage et les grains, ce qui évitait de les transporter sur de grandes distances à l’intérieur des terres, sur des chemins peu sûrs, et profondément dégradés.

25Toutefois, sur quelles bases faut-il recruter ces gendarmes coloniaux, dans un contexte de guerre civile ?

Un recrutement spécifique du personnel de l’arme

  • 19 Souligné dans le texte.
  • 20 Idem.
  • 21 Ibidem.
  • 22 Ibid.

« …Il me paraît convenable de s’attacher dans le choix des gendarmes, sous-officiers et officiers, au grand tiers, au moins, d’hommes localités19 (sic) et connaissant les mœurs et les usages des noirs ; mais il faut bien se garder d’y faire entrer des gens de couleur 20qui, la plupart, ayant des habitudes sur telle ou telle habitation, compromettraient souvent le bien du service, soit en révélant les mesures de prudence ou de rigueur que les circonstances pourraient exiger, ou, soit en faisant un usage trop rigoureux du pouvoir et de l’autorité dont ils seraient revêtus, pour satisfaire des haines particulières ; d’où il résulterait des désordres aussi fâcheux que nuisibles à la tranquillité publique. D’ailleurs, on trouverait difficilement dans cette caste 21 des hommes qui pûssent réunir toutes les qualités indispensables pour être utilement employés dans la gendarmerie : son service est, sans doute, important et pénible en France ; mais je le crois encore plus difficile à Saint-Domingue où les hommes de couleur, quels qu’ils fûssent22, n’inspireraient jamais assez de confiance, ni de crainte, pour obtenir des résultats satisfaisants. »

Une restauration de la hiérarchie des castes fondée sur la couleur

26La maréchaussée, à la veille de la Révolution, était dirigée par des officiers blancs (deux prévôts-généraux, des prévôts ordinaires et des exempts), tandis que les rangs subalternes (30 brigadiers et 140 archers) sont recrutés localement, en majorité, parmi les libres de couleur, mulâtres et esclaves affranchis. En cas de besoin, on enrôle même, comme dans les milices, des esclaves contre promesse d’affranchissements à terme.

27Comme les autorités coloniales d’Ancien régime, Naverre est tributaire d’une contradiction majeure ; d’une part, un esprit de localité, qui établit toute distinction sociale sur la pureté du sang, de telle sorte que les blancs soient toujours placés en fonction dominante, sur le plan des richesses, mais davantage encore sur le plan des pouvoirs. Cet esprit créole s’affirme alors avec beaucoup de force, après une décennie où il s’est vu réprimé, et quasiment hors-la-loi ; les projets de restauration coloniale dont nous faisions précédemment état en portent la marque, lorsqu’ils réclament pour les blancs, non seulement le monopole des postes de commandement, mais encore l’exclusivité de l’enrôlement dans la force publique effective, dont la gendarmerie. Mais, d’autre part, des considérations d’un pragmatisme élémentaire, fondées notamment sur les rapports de forces démographiques, font prendre conscience que toute survie de la colonie, aussi bien pour sa défense extérieure que pour le maintien de l’ordre intérieur, passe par l’armement d’une fraction significative des hommes de couleur, noirs ou mulâtres.

28Naverre va s’efforcer de concilier ces deux demandes contradictoires, une logique de restauration et des considérations stratégiques. La mise en œuvre de tactiques de contre-insurrection impliquait des missions de collecte de renseignements. Pour cela, il faut avoir recours à des gendarmes créoles, pour une bonne partie tout au moins. Ces derniers peuvent s’adresser en créole aux cultivateurs, ils connaissent les multiples réseaux de relations qui unissent les notables de couleur au reste de la population, par le sang ou par l’intérêt. C’est l’esprit de localité.

29L’incorporation de ces gendarmes créoles peut être comparée à l’emploi des compagnies de voltigeurs corses, lesquelles servaient de supplétifs aux légions de gendarmerie, pour les missions de reconnaissance et de lutte contre le brigandage. Si on suit bien le projet de Naverre, le reste des gendarmes serait originaire de métropole, ce qui en ferait un corps beaucoup plus ségrégué que sous l’Ancien Régime, puisqu’une bonne part des archers de la maréchaussée étaient des hommes de couleur. Pourquoi cette prévention envers les hommes de couleur, au mépris de la stratégie sécuritaire la plus élémentaire ?

Une expérience spécifique au cours de la décennie révolutionnaire

30Naverre explique cette prévention par le climat politique de la colonie qui arracha la première l’abolition de l’esclavage à une métropole réticente, avec la proclamation du commissaire Sonthonax en juin 1793, puis le décret d’abolition de l’esclavage du 16 pluviôse an II (4 février 1794), enfin, l’inscription de la liberté générale dans la Constitution du Directoire.

  • 23 Ibid., exposé préliminaire, p. 1-2.

« …Ceux-là qui veulent, et qui n’ont cessé de dire au gouvernement que les nègres et gens de couleur de Saint-Domingue, ressemblent à ceux des autres colonies, et qu’il serait facile de les subjuguer, sont dans une grande erreur, ou, pour mieux dire, ils ne les connaissent pas. En effet, la caste noire et de couleur aux Antilles, ne ressemble à celle de Saint-Domingue que par la peau ; ils n’en ont ni le caractère, ni l’énergie ; n’ayant jamais joui de la liberté, ils sont accoutumés à obéir en esclaves. À Saint-Domingue, au contraire, ayant reçu des armes de la main de celui qui, le premier, les affranchit, ils s’en sont servi pendant dix ans, de manière à prouver que ce sont d’autres hommes, quoi qu’habitant les mêmes climats. La Liberté est pour eux un titre, auquel ils attachent un si grand prix, et leur fanatisme, à cet égard, est tellement outré, qu’ils sont féroces et barbares envers tous ceux qu’ils soupçonnent vouloir y porter atteinte23. »

31Naverre se défend d’avoir subi l’influence des cercles créoles les plus racistes, qui vont entourer le successeur de Leclerc, Rochambeau. Néanmoins, il peut avoir été défavorablement impressionné par les désertions massives des troupes de couleur en septembre-octobre 1802, qui firent voler en éclats la tentative d’embrigadement de Leclerc, pour compenser les vides causés par la fièvre jaune. Le ressentiment est particulièrement vif envers les anciens libres de couleur, sur lesquels on pensait pouvoir compter, en raison de leur position sociale dominante. Des conflits entre ce groupe et la masse des cultivateurs avaient d’ailleurs émaillé les années précédant le débarquement du corps expéditionnaire. Pour ramener l’ordre, Toussaint avait alors prévu une première tentative de réorganisation de la gendarmerie, à laquelle aurait été dévolue la mission de faire rentrer les cultivateurs sur les plantations. Après une décennie de luttes civiles, de massacres, et de combats contre l’étranger, l’économie est ruinée. Les « habitations » (plantations) sont détruites, ou affermées aux officiers noirs, et les anciens esclaves sont bien souvent retournés à une économie de subsistance, ou au vagabondage. Toussaint, dans la constitution promulguée en juillet 1801, avait prévu l’instauration du travail forcé pour les cultivateurs.

  • 24 T. Madiou, Histoire d’Haïti, Port-au-Prince, Éditions Henri Deschamps, 1989, tome i (1492-1799).

32De cette tentative, force est de constater que nous ne savons, là encore, pas grand-chose, sinon qu’elle devait être commandée par des officiers noirs, dont l’ancien conventionnel Jean-Baptiste Belley. Apparemment, cette tentative fut un échec, puisque, dans les récits de cette période, nous constatons que le maintien de l’ordre est assuré par les soldats noirs aux ordres des officiers de Toussaint, comme Christophe ou Dessalines24.

Un recrutement professionnel

33La réponse bien maladroite à cette situation complexe est donc de s’appuyer sur les seuls soldats blancs, en comptant sur leur volonté de revanche sociale, ou sur leurs espoirs d’avancement. Les futurs gendarmes recrutés localement devaient pouvoir justifier de deux campagnes de guerre, soit à Saint-Domingue, soit en Europe. En cela, le règlement sur le recrutement des gendarmes diffère peu de celui qui est prévu par la loi du 28 germinal an VI, par laquelle les gendarmes devaient prouver qu’ils avaient servi sous les drapeaux au moins pendant trois campagnes. Les trois campagnes réglementaires sont d’ailleurs rappelées pour les futurs gendarmes recrutés en métropole, dans les demi-brigades ou les régiments d’infanterie pour les compagnies à pied, dans la cavalerie pour la gendarmerie montée.

34Cette disposition visait à réaffirmer le caractère militaire de l’arme, sans omettre le fait que les gendarmes seraient appelés à fournir la prévôté aux armées lors de la mise en place des régiments coloniaux, ou dans l’hypothèse du débarquement de troupes de renfort. Il reste à évoquer les problèmes matériels, car ces problèmes sont liés à des considérations générales sur le devenir de la colonie.

Des conditions de rétribution et de casernement exceptionnelles

Les traitements, un régime dérogatoire par rapport à la métropole

35Les deux légions de gendarmerie de l’île devaient comporter 90 % de brigades à pied. Dès lors, compte tenu de la cherté des produits alimentaires de première nécessité, qui sont importées, il paraissait essentiel que les gendarmes puissent toucher quotidiennement leurs rations de pain de campagne, qui se seraient révélées hors de prix s’ils avaient dû les acheter avec leurs seuls émoluments. La gendarmerie de Saint-Domingue bénéficiait donc sur ce chapitre d’un régime de faveur par rapport à son homologue métropolitaine.

  • 25 Bulletin des lois, collection Duvergier, nivôse-fructidor an ix : Loi sur l’organisation de la gen (...)

36Les gendarmes métropolitains ne pouvaient bénéficier des mêmes avantages que lorsqu’ils effectuaient des missions spéciales en dehors du département (convoi de prisonniers, de déserteurs), et lors des campagnes militaires (service de la prévôté aux armées), ou au moment des crises frumentaires de la Révolution et de l’Empire (1792-95, 1812-13). Les gendarmes à cheval de Saint-Domingue bénéficiaient eux aussi d’un traitement particulier, dans la mesure où les grains et les fourrages nécessaires à leurs montures étaient fournis par les magasins nationaux, alors que les gendarmes métropolitains achetaient en commun par brigade leur nourriture en la payant sur leur solde. Cette mesure fut compensée par un moindre traitement des gendarmes à cheval de Saint-Domingue : 730 francs contre 1080 francs selon la loi de thermidor an IX promulguée sous le Consulat25.

37En revanche, les gendarmes à pied touchaient 140 francs de plus que leurs collègues de métropole, car leur équipement (armes, poudre, uniformes) était à leurs frais. Il faut toujours avoir présent à l’esprit le fait que les produits manufacturés demeurent bien plus onéreux qu’en métropole, d’où un salaire plus élevé de 26 %. Ces données doivent être comparées avec les 50 % de solde supplémentaire touchés par les militaires en opérations extérieures à la même époque. De même, le traitement des officiers dominguois était de 50 % supérieur aux traitements métropolitains, ce qui leur permettait de tenir leur rang en termes d’équipement et de « train de vie », en dépit de la cherté des produits importés, soit d’Angleterre, soit des États-Unis. Par exemple, un chef d’escadron en résidence à Melun touchait environ 3 500 francs de solde, alors qu’un de ses collègues en résidence au Cap touchait 7 000 francs.

La question du financement de la force publique

38Si la force publique coloniale connaît un régime spécial, qui implique un effort financier particulier, la question se pose de la prise en charge financière. La logique voudrait que ce soit les colons qui contribuent à cette dépense exceptionnelle, et que les dépenses de la force publique, pour leur défense et leur sécurité, soient à leur charge. Question qui était déjà au centre des tensions entre les autorités nommées, et les assemblées coloniales, sous l’Ancien Régime, et dans les premières années de la Révolution.

39Naverre estime, au contraire, que la dévastation économique de Saint-Domingue empêche toute solution d’auto-financement. La force publique doit donc être intégralement prise en charge par le ministère.

  • 26 Projet… op. cit., Exposé préliminaire, p. 2.

« On ne peut se dissimuler que les armements que le gouvernement a été obligé de faire pour Saint-Domingue, depuis la paix, n’aient coûté des sommes immenses, tant pour le transport des troupes, que pour alimenter l’armée, en raison des pertes qu’elle a faites ; et que dans le temps des guerres les plus critiques avec les puissances étrangères, avant la Révolution, Saint-Domingue n’a jamais exigé autant de dépenses qu’aujourd’hui, sans qu’on puisse espérer, de longtemps, s’en indemniser, par ses rapports commerciaux avec la France.
Il y a un terme à toutes choses. Il arrivera, peut-être, que le gouvernement voudra que ce soit aux frais de la colonie que les troupes et les escadres nécessaires pour sa défense, soient soldées ; elle peut, encore moins que la France, en supporter les dépenses, et tout commande une organisation nouvelle, qui émane directement du gouvernement, sur des bases conservatrices des intérêts de la France et de celui de Saint-Domingue, sans trop blesser celui des colons, dans un temps où dix ans de tranquillité suffiraient à peine pour rétablir une partie de leurs propriétés ; ce qu’ils ne pourront encore faire qu’avec beaucoup d’encouragement, tant de la part du gouvernement, que du commerce de France. Dire le contraire au gouvernement, quand on a, comme moi, été le témoin des malheurs récents de cette colonie, ce serait le tromper. Cependant, la tranquillité rétablie et affermie, on verra les colons et commerçants jeter un voile épais sur le passé et se soumettre, sans murmure, à la conservation et à la tranquillité de la colonie ; on les verra également marcher contre l’ennemi extérieur, en cas de guerre : le gouvernement a plus d’une preuve de leur courage et de leur dévouement à la France26. »

40Si la solution de la gestion directe par le gouvernement métropolitain est envisagée à titre provisoire, Naverre prend en considération la seule population coloniale blanche pour la défense de l’île, tout comme il s’appuie exclusivement sur elle pour assurer l’ordre public. On peut ainsi mesurer le chemin parcouru, par rapport à 1793, et même par rapport aux dernières années de l’Ancien Régime, où toute réflexion sécuritaire passait par l’intégration d’une fraction significative de la population de couleur dans la force publique.

Le casernement

41En matière de logement, les officiers de l’arme bénéficiaient également d’un régime de faveur à Saint-Domingue, justifié par la pénurie d’appartements, et la hausse consécutive des loyers, entretenue par la spéculation immobilière dans les deux principales villes de la colonie, Le Cap et Port-Républicain, à la suite des destructions survenues lors des troubles et des guerres de la décennie révolutionnaire. Cette spéculation bénéficiait essentiellement aux propriétaires, blancs et de couleur. La reprise des hostilités en 1802 provoqua une nouvelle flambée des prix, qui conduisit à la réquisition de logements au bénéfice des officiers de gendarmerie et de l’armée régulière. En métropole, les officiers devaient se pourvoir d’un pied à terre par leurs propres moyens. Ils bénéficiaient pour ce faire d’émoluments particuliers, le casernement gratuit n’étant prévu que dans le cas de missions spéciales ou lorsqu’ils servaient au sein des unités de prévôté aux armées.

Une restauration impossible

42Après plusieurs tentatives sans lendemains, ce projet cherche à recréer une force de gendarmerie, qui s’inscrit partiellement dans la lignée de ce qui fut la seule maréchaussée ayant existé aux colonies, la maréchaussée des Saint-Domingue. Mais, quoiqu’en pensent les tenants de la restauration de l’Ancien Régime, les conditions on changé, et les contradictions sont manifestes. Contradictions dans les missions et dans les structures : la gendarmerie envisagée comme appendice exclusivement métropolitain, est-ce bien compatible avec la recherche d’une adaptation de la loi de germinal an VI aux réalités naturelles et sociales de l’outre-mer ? Et, surtout, envisager la gendarmerie comme pur appareil de coercition raciale, comme une simple police des esclaves, est difficilement compatible avec le rôle dans la défense du territoire que l’on prétend lui faire jouer par ailleurs. Si les considérations économiques, topographiques, ont leur rôle, force est de constater que l’auteur s’insère entièrement dans la tentative de restaurer une société totalement régie par une logique de castes raciales séparées.

43Mais, avant toute chose, la conjoncture aura raison de ce projet. Le maintien de l’ordre supposait la mise en place d’un important dispositif gendarmique, dans l’espoir de mettre un terme au soulèvement général des généraux Christophe, Dessalines, et Pétion. Le retour à l’ordre nécessitait également le retour par la force des anciens esclaves sur les plantations, considérés comme des vagabonds. Tâche gigantesque, en contradiction totale avec l’évolution de la situation sur le terrain. Ce projet de réorganisation des régiments coloniaux et des légions de gendarmerie de Saint-Domingue, qui devait assurer plus ou moins le retour à la situation existant dans les décennies pré-révolutionnaires, resta lettre morte.

44Rochambeau succéda à Leclerc, et tourna résolument le dos à la pacification, menant, quand il le pouvait, des campagnes d’extermination. La rupture de la Paix d’Amiens, en mai 1803, scella le destin de l’expédition. Dessalines encercla Rochambeau sur terre, qui capitula finalement au Cap le 19 novembre 1803. Il lui restait 3 800 hommes sur les 11 000 encore présents en décembre 1802.

45Au moment où Naverre rédigeait son mémoire, la colonie de Saint-Domingue était à l’agonie.

Notes

1 Remarquons ce nom de « légion », qui renoue avec le corps, au sein duquel fut incorporée la maréchaussée de Saint-Domingue, de 1765 à 1772. (chef d’escadron Farnert, op. cit. p. 56)

2 Service historique de la Défense (shd), fonds Préval m/1 (1324), Mémoire sur la dernière expédition de Saint-Domingue, par le général de brigade Fressinet, employé dans la dite expédition.

3 Idem, 1m 1354 : Mémoire n° 22 bis ; sur Saint-Domingue et en général sur nos colonies d’Amérique, 4 septembre 1806, par Maguytot.

4 Ibidem, p. 6.

5 Chef d’escadron Farnert, « Maréchaussée à Saint-Domingue » dans Gendarmerie nationale ; Revue d’études et informations 93/1972, pp. 49-60.

6 shd, fonds Préval, 1m1957 (3), Le chef de brigade commandant la 2e légion de gendarmerie de Saint-Domingue, au général de division Moncey, inspecteur en chef de la gendarmerie, Paris, le 17 floréal an onze ; essai sur un projet d’organisation de régiments coloniaux et de gendarmerie à Saint-Domingue, exposé préliminaire, p. 3.

7 Outre T. Madiou, Histoire d’Haïti, Port-au-Prince, Éditions Henri Deschamps, 1989, 2 vol., voir B. Gainot et M. Macé, « Fin de campagne à Saint-Domingue ; novembre 1802-novembre 1803 » dans Haïti, première République noire, numéro spécial de la Revue d’histoire Outre-mers, 340-341/2003, pp. 15-40.

8 shd, fonds Préval, 1m1957, Projet d’organisation de la gendarmerie de Saint-Domingue, par le chef de brigade Naverre, lettre au général Moncey du 17 floréal an XI, op. cit.

9 Un gendarme pour 2 063 habitants en Seine-et-Marne en 1801, par exemple ; voir F. Vandeweghe, Gendarmes et gendarmerie dans le département de Seine-et-Marne sous la Révolution et l’Empire, dea Histoire, Université Paris iv, sous la direction de J.N luc et J. Fremeaux, 2001.

10 T. Madiou, Histoire d’Haïti, Port-au-Prince, Éditions Henri Deschamps, 1989, tome i (14921799). Voir tome ii, p.133

11 Souligné dans le texte.

12 Projet d’organisation…, op.cit.

13 Chef d’escadron Farnert, « Maréchaussée à Saint-Domingue » dans Gendarmerie nationale ; Revue d’études et informations 93/1972, pp. 49-60.

14 Devenue française au traité de Ryswick de 1697.

15 J.-M. Champion, « Saint-Domingue » dans J. Tulard (dir.) Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, 1999, tome ii, pp. 689-690.

16 A. Pérotin-Dumon, La ville aux îles, la ville dans l’île. Basse-Terre et Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, 1650-1815, Paris, Karthala, 2000.

17 Souligné dans le texte.

18 Projet d’organisation… op.cit.

19 Souligné dans le texte.

20 Idem.

21 Ibidem.

22 Ibid.

23 Ibid., exposé préliminaire, p. 1-2.

24 T. Madiou, Histoire d’Haïti, Port-au-Prince, Éditions Henri Deschamps, 1989, tome i (1492-1799).

25 Bulletin des lois, collection Duvergier, nivôse-fructidor an ix : Loi sur l’organisation de la gendarmerie nationale du 12 thermidor an ix de la république une et indivisible.

26 Projet… op. cit., Exposé préliminaire, p. 2.

© Presses universitaires de Rennes, 2006

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