1La monarchie des Habsbourgs constitua tout au long de l’histoire un exemple parfait de ce que les historiens anglo-saxons appellent des monarchies composites1. Par ce terme on veut souligner l’idée selon laquelle ces monarchies étaient des formations complexes dans lesquelles cohabitaient sous l’autorité d’un même monarque des royaumes et des principats divers qui au fil du temps étaient venus s’ajouter à un ensemble supérieur. Les Habsbourgs espagnols dirigeaient l’une de ces formations qui, à l’époque, était appelée monarchie catholique et hispanique, et dont les dimensions étaient réellement imposantes. On y distinguait deux blocs. D’un côté, les couronnes d’Espagne, c’est-à-dire celles de Castille, d’Aragon, de Navarre et, depuis Philippe II, du Portugal, avec ses dépendances en Amérique, en Europe – Naples et la Sicile –, en Asie et en Afrique et, de l’autre, le duché de Milan, doté d’un statut spécial, compte tenu de sa situation de fief de l’Empire, la Franche-Comté et les États des Flandres. Or, le fait que ces ajouts se soient réalisés selon le principe aeque principalater, poussait chaque élément le constituant à vouloir conserver ses propres particularités et à être traité sur un même pied d’égalité que les autres. En effet, l’intégration ne s’était pas produite entre de simples territoires, mais entre des espaces politiques dotés de fueros et de privilèges divers que le roi s’engageait à respecter. Par conséquent, sa Majesté catholique n’était pas réellement un seul Roi, mais plusieurs à la fois, et sa position dans les royaumes, principats et seigneuries dont il était le souverain variait en fonction de la constitution politique de chacun d’entre eux. La sentence bien connue de Juan de Solórzano Pereira selon laquelle « les royaumes doivent être dirigés et gouvernés comme si le Roi qui les réunit ne l’était que de chacun d’entre eux2 », est, sans aucun doute, le meilleur résumé de l’idéal de gouvernement de la monarchie des Habsbourgs et la description la plus juste de sa nature. Inutile de dire qu’une monarchie de ce type posait de nombreux problèmes de gouvernement. L’un des plus importants consistait à résoudre de façon satisfaisante, l’absentéisme royal, c’est-à-dire l’absence d’un monarque dont la personne physique ne pouvait pas être présente de façon simultanée dans tous les royaumes et territoires soumis à son autorité. Il s’agissait d’un problème de la plus grande importance pour la mentalité de l’époque. L’absence du Roi transformait de fait les Royaumes en corps sans tête, dont les membres se voyaient privés de l’accès direct au monarque, source de l’autorité et garantie d’un bon gouvernement, ce qui était jugé anormal pour ne pas dire simplement inconcevable. La nomination de vices-rois, qui devaient agir comme alter ego du monarque, et l’établissement à côté d’eux de conseils territoriaux3, dont la création même supposait la reconnaissance de façon expresse de la pluralité des espaces politiques qui constituaient la monarchie, fut la solution rapidement adoptée pour résoudre ces problèmes. Une puissante bureaucratie de letrados4 recrutés dans les groupes sociaux intermédiaires, nobles ou non, mais dans laquelle la composante hidalga devint prépondérante, fournit en outre à la Monarchie le personnel spécialisé dont elle avait besoin pour constituer les cadres de l’administration. Le roi, en tout cas, occupait une position centrale dans le système. Il était la tête du corps politique de la monarchie et, en tant que tel, agissait comme souverain commun, organe unique et suprême recours juridictionnel auquel tous étaient unis par des liens de fidélité mutuelle et réciproque. Le roi pouvait influer dans le processus de prise de décision des institutions des royaumes, il se réservait le dernier mot, résolvait les conflits de juridiction qui opposaient les conseils, il avait toujours la capacité de se saisir de certains sujets et il était la source ultime du patronage royal.

2Une telle concentration de pouvoirs en la personne du roi renforçait la signification politique de la cour, devenue dès lors le lieu idéal où l’on pouvait obtenir des emplois, des honneurs et des privilèges et influer sur l’action du gouvernement. Or, dans la monarchie des Habsbourgs, la cour avait une signification plurielle. Il s’agissait d’une sphère de relation et de médiation sociale et politique, et elle existait en tant que telle, naturellement, là où le roi était physiquement présent, mais également là où résidait celui qui représentait virtuellement sa personne. Cela veut dire qu’à côté de la cour du roi il existait aussi dans la monarchie des Habsbourgs des cours vice-royales qui remplissaient les fonctions de la première et où se développèrent une culture courtisane commune et des formes spécifiques de gouvernement basées également, comme dans celle du roi, bien que de façon plus limitée, sur le patronage et la clientèle5. Elles agissaient donc toutes comme des instruments de médiation politique dont la fonction était d’assurer une plus grande relation entre le centre et la périphérie du système, s’ajoutant, sans les annuler, aux formes institutionnelles de gouvernement, celles qui tournaient autour de la bureaucratie des conseils et qui étaient basées sur la loi et sur le droit6.

3Le système des favoris accentuerait logiquement cette tendance. Il est bien connu que son apparition au xvii^e siècle symbolise d’une certaine façon le retour de l’aristocratie au centre de l’activité politique, ce qui indique qu’un changement s’était produit dans les relations que la noblesse et la monarchie avaient entretenu jusqu’alors. Le favori était une sorte de double du roi. D’une certaine façon, il réunissait sur sa personne le sommet du pouvoir politique et de la hiérarchie sociale. C’est pour cette raison qu’en général il était recruté parmi l’élite des Grands d’Espagne. Ce fut le cas du duc de Lerma et du duc d’Uceda, favoris de Philippe III, également du comte-duc d’Olivarès et du duc de Haro, sous Philippe IV, ou de don Juan d’Autriche, frère bâtard de Charles II. Des personnages considérés comme des arrivistes comme le jésuite autrichien P. Nithard, que la reine régente Marie-Anne d’Autriche éleva à la condition de favori à la mort de Philippe IV, ou celle de l’aventurier don Juan de Valenzuela, qui n’était même pas noble, durent faire face à une féroce opposition de la haute aristocratie, qui ne prit fin que lorsque le premier fut destitué et le second condamné à l’exil. Or, l’élévation d’aristocrates, comme ceux qui viennent d’être cités, à la condition de favoris supposa également la promotion parallèle de leur famille et des secteurs de l’aristocratie sur lequel celle-ci s’appuyait au détriment des autres. Un complexe réseau de clientèle se tissa à tous les niveaux du gouvernement et de l’administration autour de la figure du favori et de ses ministres, dont les tentacules s’étendaient du centre à la périphérie à l’ensemble du corps social7.

4La monarchie ne dédaigna pas non plus le recours à d’autres instruments non formels ou non institutionnels de gouvernement. Ainsi, elle tenta d’obtenir directement l’appui des oligarchies provinciales lorsque cela lui convenait. C’est ce qu’elle avait toujours fait à Naples, où elle chercha délibérément la médiation du baronaggio, profitant des vastes pouvoirs juridictionnels des seigneurs napolitains et de leur forte présence dans les institutions royales. Quelque chose de semblable fut également tenté au Portugal à partir de 1630 quand Olivarès essaya de signer avec la ville de Lisbonne, capitale du royaume, et avec d’autres villes, d’importants accords-cadres en marge des Cortes, surtout en matière d’impôts8. Des stratégies semblables furent appliquées également en Castille, tout d’abord entre 1643 et 1655, après la chute d’Olivarès, et après, de façon définitive, à partir de 1664. La Couronne obtiendrait que les villes approuvent directement, en marge des Cortes, des subsides qui jusqu’alors avaient été négociés en leur sein9.

5Les Habsbourgs espagnols avaient donc tenté de créer un maillage institutionnel centré sur les conseils et sur la bureaucratie qui s’associait à eux pour gouverner leurs divers royaumes et territoires. Exploitant les relations de patronage et de clientèle si caractéristiques de l’époque, ils avaient également favorisé la formation de réseaux de pouvoir qui agissaient comme médiateurs politiques des intérêts centraux dans les sphères provinciales. Néanmoins de telles stratégies n’assuraient pas le succès des objectifs visés, car elles devenaient elles-mêmes une source de problèmes. Naturellement, le vice-roi ne se substituait pas complètement à la personne du roi, contrairement à ce que la doctrine s’efforçait de faire croire. Les pouvoirs que le monarque lui déléguait ne furent pas non plus aussi vastes que ce que l’on aurait pu attendre d’une personne à qui revenait de représenter la royale personne dans les provinces périphériques. Les vices-rois ne disposaient pas, par exemple, de troupes permanentes, ce qui rendait difficile leur fonction spéciale de gardiens de l’ordre. Les problèmes provoqués dans la Couronne d’Aragon par le banditisme et l’incapacité des vices-rois à le combattre compromirent leur prestige au cours des années précédant la rébellion de la Catalogne. Le fait que les vices-rois n’aient pas pu accorder eux-mêmes le patronage royal, bien qu’il leur fût permis de le proposer à ceux qui devaient en être les bénéficiaires, fut néanmoins plus pernicieux. La Couronne préféra conserver la capacité de décider mais, en le faisant, elle limitait les moyens mis à la disposition des vices-rois pour lier la classe dirigeante provinciale au centre de la monarchie10.

6Par ailleurs, le système polysynodal, et les principes juridictionnels sur lesquels il s’appuyait, était unanimement considéré comme la cause de conflits de compétence permanents entre les conseils, ainsi que de l’extrême lenteur dans le traitement des dossiers. En outre, il s’avérait difficile de contrôler des conseils trop autonomes dans lesquels le corps des juristes avait atteint un rôle excessif. La création d’Assemblées informelles, constituées par un nombre réduit de personnes, qui se transformaient en centres de délibérations alternatifs des conseils, fut la solution adoptée, mais dans la mesure où leur établissement supposa l’accès au contrôle du gouvernement de courtisans recrutés à la marge dans les rangs de l’administration, en raison de leur seule proximité de la personne royale, l’initiative généra également des tensions. En somme, le renforcement de formes de gouvernement basées sur la fidélité et sur les relations de clientèle, ne générait pas seulement des conflits entre la bureaucratie des letrados qui contrôlaient les conseils et les favoris et leurs créatures, il nourrissait aussi le favoritisme et, avec lui la corruption, accélérait la lutte pour accéder au pouvoir entre les différentes factions courtisanes et donnait une grande instabilité à la vie politique. La conjuration finirait par devenir la forme habituelle d’expression de l’opposition politique de l’aristocratie, de la même manière que le légalisme des juristes alimenta le mécontentement des élites provinciales contre des initiatives du gouvernement central considérées contraires aux privilèges des royaumes. Des attitudes de ce type devinrent perceptibles au Portugal, en Catalogne ou dans l’Italie espagnole au cours des périodes antérieures aux rébellions des années 1640.

7Ce qui vient d’être dit révèle les insuffisances des divers moyens imaginés pour le gouvernement de la Monarchie et la situation de dépendance mutuelle qui liait les monarques aux élites provinciales au sein d’un système d’équilibres particulièrement délicat, dans lequel la cohésion de la Monarchie dépendait paradoxalement du maintien de privilèges provinciaux et de l’exercice équitable du patronage royal. Tel était le prix à payer pour la collaboration de ces élites provinciales, auxquelles, en tout cas, on donnait la possibilité d’influer, par cette voie, sur l’action même du gouvernement. En principe, le système tendait à garantir la compatibilité entre la fidélité au roi et la loyauté à la patrie intime que constituait chacune des parties intégrant la Monarchie Catholique. Néanmoins, l’immensité même et l’hétérogénéité de cette Monarchie faisait que ses intérêts sur la scène internationale étaient très divers, ce qui multipliait le nombre de ses rivaux potentiels et de ses ennemis. La pression de la guerre faisait ressortir, de cette façon, la faiblesse politique de l’ensemble du système.

8Bernardino de Escalante l’avait déjà fait remarquer dans un Discurso adressé à Philippe II en 1590 lorsqu’il signalait les trois maux qui frappaient la « grande Monarchie » dont il était le seigneur, et qui la rendaient, selon lui « peu stable ». La première était la séparation territoriale que l’on observait entre certains royaumes et d’autres. La deuxième, le fait que nombre d’entre eux aient eu des frontières avec des royaumes appartenant à d’autres puissants princes qui, dans leur majorité, étaient des infidèles ou des hérétiques, ennemis de l’Église catholique et du roi. Le troisième, le fait que les natifs de ces royaumes soient de « nations » et de « coutumes » différentes et que certains d’entre eux aient été intégrés récemment par la conquête ou par héritage « au grand regret de ces natifs ». C’était cela qui faisait craindre à Bernardino de Escalante la « faible certitude que l’on peut avoir que cette monarchie se puisse maintenir encore longtemps dans sa prospérité11 ». Pour faciliter sa défense, il était donc nécessaire de renforcer sa cohésion interne. L’ « arbitrista » Gaspar de Pons proposait ainsi au Conseil d’État, dès 1599, la création d’une Assemblée qui délibérerait sur tout ce qui concernait les finances royales dans l’ensemble de la monarchie et qui déterminerait ce qu’il fallait faire pour faire face aux dépenses ordinaires et à celle de la guerre. Cet organisme, que Gaspar Pons appelait tour à tour Assemblée générale ou Conseil suprême, serait composé de ministres de tous les États à qui il reviendrait de déterminer ce que devait apporter « chaque province, en hommes, en navires, en munitions, en vivres et en argent12 ».

9Rien de semblable à ce Conseil suprême n’existait dans la monarchie catholique. Il fallait donc commencer par le faire. La proposition de Gaspar de Pons resta pourtant à l’état de simple projet. Néanmoins, le problème était réel et Olivarès tenterait de le résoudre des années plus tard dans des circonstances beaucoup plus critiques. Il recommenderait ainsi à Philippe IV dans son Gran memorial de 1624 de ne pas se contenter d’être roi ou seigneur de chacun de ses royaumes, mais d’aspirer à être Roi d’Espagne, titre qui jusqu’alors n’avait jamais existé officiellement13. Il est certain, comme l’a fait remarquer J. Elliott, qu’une telle recommandation ne visait pas la castillanisation à outrance de tous les royaumes qui lui étaient soumis mais le renforcement de l’autorité royale dans chacun d’entre eux. Ce qu’Olivarès tentait de faire était plutôt de transformer la monarchie dans son ensemble en une patria communis des sujets du roi catholique14. Ils devraient tous occuper des sièges dans les conseils et institutions de n’importe lequel des royaumes qui la composaient, même s’ils n’en étaient pas originaires, et collaborer à la défense de la religion, des valeurs de la culture de la Contre-Réforme et des intérêts de la dynastie. De la même façon, Olivarès était également disposé à stimuler la création d’une aristocratie de service au moyen de la concession de la condition nobiliaire à des serviteurs fidèles de la monarchie indépendamment de leur origine. C’est ce modèle que les Habsbourgs d’Autriche voulurent également appliquer après l’écrasement de la rébellion de la Bohème, lorsqu’ils tentèrent de créer dans leurs territoires une aristocratie « internationale » de service liée à Vienne15.

10En tout cas, les initiatives d’Olivarès correspondaient à une forme de gouvernement autoritaire qui, dans la mesure où elle était perçue comme une menace pour la conservation des privilèges des royaumes périphériques, courait le risque de détruire cette correspondance immédiate entre fidélité au roi et loyauté à la patrie sur laquelle jusqu’alors s’était constitué l’équilibre politique. C’est dans le domaine des finances et de la fiscalité, plus que dans tout autre, que ces problèmes devinrent particulièrement sensibles. L’opinion commune, à laquelle les Cortes de Castille s’étaient toujours rangées, voulait que les sommes votées par les royaumes soient employées pour le gouvernement et la défense de ceux qui les octroyaient et non pour d’autres objectifs. Il n’en avait rien été. Le financement de la protection de l’empire avait progressivement glissé vers la Castille, mais l’appauvrissement croissant faisait qu’il était impossible qu’elle continue à le faire seule. Olivarès tenterait alors de résoudre le problème avec la fameuse Unión de Armas16. Il ne prétendait nullement suspendre les fueros ou privilèges des Royaumes, mais mettre au point un instrument qui permettrait de répartir de façon équitable entre tous le coût humain et financier de la défense de la monarchie. Il est évident, néanmoins, que son application aurait conduit à une redéfinition des libertés politiques et des privilèges fiscaux de chacun d’entre eux, ce qui aurait affecté nécessairement la structuration politique de la monarchie dans son ensemble.

11Il s’agissait donc de stratégies qui altéraient la forme traditionnelle de gouvernement et qui provoquèrent donc de sérieuses résistances, surtout au Portugal ou en Catalogne. Les craintes des royaumes périphériques augmentèrent compte tenu d’autres décisions prises par la Couronne et qui furent interprétées comme autant de violations de leurs fueros et privilèges – par exemple, l’octroi de charges, d’honneurs ou de dons à des non natifs – dans un contexte dans lequel la Couronne élevait en outre le niveau de ses exigences fiscales ou sa demande de contributions. Une telle accumulation de circonstances faisait croître en eux la conscience que leurs intérêts particuliers pouvaient être sacrifiés au bénéfice des intérêts généraux défendus par la Couronne. De cette façon, s’il est vrai que vers 1580 le Portugal a pu considérer que son intégration dans la monarchie de Philippe II pouvait être profitable pour la défense de ses intérêts coloniaux en Asie et en Amérique, le déroulement de la guerre en Flandre, et même les conditions dans lesquelles fut signée la Trève des Douze Ans en 1609, finirait par générer la sentiment que cette union était de plus en plus coûteuse et donc moins intéressante. Il est significatif de rappeler à ce sujet que le long conflit de Flandre a été considéré au Portugal comme une guerre du roi, non une guerre du royaume17.

12De cette façon, les monarchies composites des xvi^e et xvii^e siècles en général, et celle des Habsbourgs en particulier, concentraient de nombreux facteurs centrifuges. Rien de plus logique à ce qu’elles se voient confrontées, de temps à autre, à des tentatives de sédition, rébellions, à des conjurations aristocratiques et, plus fréquemment, à la très efficace résistance passive de juristes et de bureaucrates défendant des organisations juridiques particulières, et dont la défense était considérée comme une composante fondamentale du bon gouvernement. Ces facteurs centrifuges ou, si l’on préfère, le particularisme des royaumes, se voyait renforcé par des conjonctures spécifiques, donnant lieu à des conflits de types divers, comme les Comunidades de Castille en 1521, le soulèvement des Pays-Bas à partir de 1567, les Alteraciones d’Aragon de 1591 ou les rébellions du Portugal, de la Catalogne ou de l’Italie espagnole qui se produisirent au milieu du xvii^e siècle. A l’exception des épisodes flamand et portugais, les fleuves finirent par rentrer dans leur lit. La répression des révoltes et des rébellions n’impliqua pas la suppression de la constitution politique des royaumes. Les Comunidades, contrairement à ce que l’historiographie libérale proclama, ne mit pas un terme aux libertés de la Castille. La fin des Alteraciones d’Aragon, quant à elles, n’entraîna pas non plus l’abolition des fueros d’Aragon, même si elles les ont réduits. Philippe IV fit quelque chose de semblable au terme de la rébellion catalane en 1652. Le Roi confirma les privilèges du Principat, mais se réserva la nomination des membres de la Diputació et de la Generalitat, ce qui de fait privait la Catalogne de l’un des piliers de son auto-gouvernement. Inutile d’insister sur le fait que catalans et aragonais ne cessèrent de regretter que leurs libertés aient subi de telles réductions. Néanmoins, les Habsbourgs espagnols renoncèrent à poursuivre l’homogénéisation politique de leurs possessions. La centralisation à outrance était étrangère à leur façon de concevoir le gouvernement des royaumes. Le particularisme juridique persisterait donc au sein de la monarchie catholique et avec lui ses problèmes de cohésion, phénomène particulièrement remarquable si nous tenons compte du fait que dans la seconde moitié du xvii^e siècle on se dirigeait vers la construction d’Etats forts et plus centralisés, soit sous la forme du modèle absolutiste de la France de Louis XIV ou du modèle parlementaire de l’Angleterre de la Restauration. Il faudrait attendre une nouvelle guerre, qui fut à la fois civile et européenne – la guerre de Succession d’Espagne – et l’avènement d’une nouvelle dynastie pour que la structuration politique interne de la monarchie catholique change de façon radicale, mais sans qu’elle parvienne à résoudre de façon durable tous ses problèmes.