1Présentées unanimement comme un succès « démocratique », les primaires socialistes de 2011 ont créé un précédent. Pari risqué sur le plan logistique et politique, ce mode de désignation a démontré une incontestable efficacité électorale. Si elles ont consacré la présidentialisation du PS et la fin du modèle historique du parti militant1, les primaires ont permis de fabriquer un candidat incontesté, de trancher le problème du leadership et de solder la crise ouverte par le congrès de Reims de 2008. Le PS, replié depuis 2002 sur ses luttes internes, a donné une image d’ouverture et de « rénovation » d’autant plus forte que les vaincus se sont rangés derrière le candidat désigné. Cette formule d’un journaliste du quotidien Le Monde résume bien la perception dominante dans les médias de l’exercice des primaires : « on a assisté non à une cacophonie mortifère mais à une polyphonie où les différences assumées ne mettaient pas en péril l’harmonie d’ensemble2 ». En dépit d’une faible participation des milieux populaires3, la très forte mobilisation (près de trois millions de sympathisants) a produit une dynamique pré-électorale qui a constitué une solide rampe de lancement pour François Hollande. Le PS est parvenu à mobiliser plusieurs mois avant l’élection autour de 30 % de son électorat de référence. Le candidat socialiste aurait-il vaincu Nicolas Sarkozy sans cette première phase de campagne ? Il est difficile de le déterminer mais sa victoire a de fait validé et conforté a posteriori la pertinence du choix des primaires ouvertes.

2Ce succès de la primaire socialiste de 2011, médiatiquement consacré, est à l’origine d’une double dynamique de contagion : entre partis (la conversion de la droite au système trouve une partie de son explication dans la réussite de 2011), du national vers le local à l’occasion des élections municipales de 2014.

3C’est cette contagion « par le bas » que l’on voudrait analyser ici. Certains dirigeants comme Arnaud Montebourg ou politistes annonçaient après la primaire de 2011 une généralisation du système des primaires à tous les niveaux institutionnels sur le mode italien4. Marc Lazar, politiste spécialiste de l’Italie, écrit en 2009 : « les primaires ne peuvent que se généraliser : une fois leur principe accepté au niveau national, il ne peut être refusé au niveau local ou régional, ce qui d’ailleurs est le cas en Italie5 ». Le même écrivait dans Libération, le 13 octobre 2011 : « Après le succès de cette première consultation, il me semble que l’on peut arriver, comme en Italie, à une généralisation du phénomène. Comment le PS pourrait-il désormais refuser d’organiser une primaire pour désigner le candidat à la mairie ou aux conseils régionaux ? » La diffusion des primaires au niveau local a pourtant été particulièrement limitée. Pour la première fois, en vue des élections municipales de 2014, l’UMP et le PS ont mis en place dans neuf villes des primaires ouvertes aux sympathisants pour sélectionner leur tête de liste. Cette nouvelle règle bouleverse dans les villes retenues les modes de désignation des candidats. Traditionnellement ce sont les militants ou les dirigeants qui président à la sélection des impétrants (un principe de cooptation est souvent de mise à droite). On montrera ici que cette diffusion limitée non systématique est strictement encadrée par les partis et qu’elle ménage les intérêts des élus en place. Pour la droite, il s’agit de ne pas laisser le monopole des primaires au parti au pouvoir. Pour le PS, la démarche est de prolonger la dynamique « démocratique » engagée en 2011 sans pour autant bouleverser les modes de sélection qui ont localement cours, la règle de la reconduction des sortants et plus généralement ce que Philippe Juhem appelle « la production partisane de la notabilité6 ». La consultation n’est ouverte aux sympathisants qu’en fonction de contextes locaux bien déterminés : les partis et les notables locaux en place ont gardé dans une très large mesure la maîtrise des investitures. Les primaires présidentielles de 2011 n’ont ainsi eu, en dépit de leur « succès », qu’un effet d’entraînement limité au niveau local.

4On tentera ici de répondre à trois questions : quelles sont les raisons qui ont conduit les dirigeants de l’UMP et du PS à adopter ici et là ce processus de désignation ? Dans quelles mesures les primaires ont-elles conduit à produire un leader-candidat incontesté ? Quel niveau de participation ont suscité ces consultations inédites au niveau local ?

Le choix des villes : des primaires de « conquête »

5Le think tank Terra Nova, proche du PS, qui a contribué à populariser en France l’idée de primaires dès 2009, cherche à capitaliser le succès de la procédure qui lui est identifiée. Il plaide dans une note de novembre 2013 pour des « primaires d’expérimentation » au niveau local visant à poursuivre la dynamique engagée en 2011 avec les primaires présidentielles. Trois bénéfices politiques majeurs sont attendus d’un tel processus de désignation : un outil de légitimation pour « faire émerger un candidat connu », « un outil de mobilisation des militants » et la possibilité de « construire une majorité plus large et plus vivante » en associant partis politiques, militants et sympathisants. La note propose l’organisation de primaires de « conquête », organisées toutes le même jour (pour favoriser la mobilisation) dans des villes d’au moins 80 000 voire 100 000 habitants (pour que le futur candidat soit choisi par une part significative du corps électoral). Les villes suivantes, dominées par la droite, sont alors évoquées : Marseille, Bordeaux, Le Havre, Toulon, Aix-en-Provence, Nîmes, Perpignan, Orléans, Angers, Boulogne-Billancourt, Mulhouse, Nancy… Le document évoque aussi la perspective de « primaires de succession » à Paris ou Montpellier. Le projet de Terra Nova est donc ambitieux. Le parti socialiste cherche quant à lui à prolonger le succès de 2011 et à préserver le marqueur de parti à la pointe du progrès démocratique dont il a joué en 2011. L’UMP cherche à lui disputer ce label.

6C’est pourtant un nombre limité de primaires qui sont organisées en amont du scrutin municipal. Les deux partis dominants ont organisé des primaires ouvertes là où ils n’ont pas de sortants et dans des villes où la victoire est jugée envisageable : Colombes dans les Hauts-de-Seine, Lyon, Paris pour l’UMP, Aix-en-Provence, Béziers, Boulogne-Billancourt, Le Havre, Marseille pour le PS7. Une seule ville échappe à ce schéma des « primaires de conquête », La Rochelle8. Le maire sortant socialiste qui ne s’y représente pas a ouvert la possibilité d’une « primaire de succession ». À travers les primaires, il s’agit donc de trancher des querelles internes ou de constituer une pré-dynamique électorale autour d’un candidat en lui permettant de gagner en notoriété (les objectifs de mobilisation oscillent entre 3 et 5 % du corps électoral).

7Seules six villes ont été retenues par le PS9. Le pragmatisme a été de mise et aucune règle générale n’a été adoptée. À en croire leurs partisans au PS, les primaires citoyennes de 2011 devaient être la première étape d’une « rénovation » en profondeur de l’organisation socialiste. Or le processus de rénovation entamé par Martine Aubry s’est enlisé depuis 2012. La dynamique de changement des primaires a en somme été contenue. Dans notre ouvrage publié en 201110, nous émettions l’hypothèse que les primaires présidentielles étaient une manière pour ce parti d’élus qu’est le PS de « donner le change sans changer la donne » (donner une image d’ouverture sans fondamentalement changer la nature du parti). Cette hypothèse est vérifiée. Le principe de la reconduction des sortants est toujours jugé intangible au PS, parti travaillé par de puissantes logiques notabiliaires11. Lorsqu’il n’y a pas de sortants, les appareils locaux cherchent à maîtriser le processus de sélection dans l’entre-soi militant, les cadres socialistes et les élus contrôlant fortement les électorats militants appelés à se prononcer12. Les primaires organisées à l’occasion des élections municipales ont donc été fermées dans la quasi-totalité des villes. Le 10 octobre 2013, les militants se sont prononcés sur les têtes de listes aux élections municipales. Dans les 520 villes de plus de 20 000 habitants, 203 sections socialistes n’ont eu à se prononcer que sur un seul candidat (on dénombre 140 duels).

8On peut aussi penser que les primaires ont été peu nombreuses parce qu’elles politisent un scrutin où les affiliations partisanes sont souvent peu mises en avant et euphémisées. Elles contreviendraient à la norme enracinée de l’apolitisme. Le maire UMP du Havre déclare ainsi sur son blog le pendant la campagne :

« Quelle drôle d’idée cependant de voir des concurrents se battre pour avoir l’investiture de leur parti pour les municipales, le scrutin le moins partisan. Je suis moi-même membre de l’UMP. Je n’avance pas masqué mais ne serai pas le candidat de l’UMP, le porteur d’un programme qui viendrait du siège parisien de mon parti. »

Pragmatisme et recherche du consensus

9La direction nationale du PS a décidé d’organiser des primaires locales seulement là où un consensus de l’ensemble des protagonistes (candidats putatifs, cadres dirigeants, élus) se dégageait en leur faveur. Elle doit prendre en compte des paramètres multiples : la capacité logistique locale (l’organisation matérielle incombe aux militants), le coût de l’opération (assurée par un niveau minimum de participation), les garanties offertes par les candidats (leur capacité anticipée à accepter le verdict, l’objectif étant d’éviter les dissidences avec ou sans les primaires), le bonus électoral qui peut être tiré de la procédure. Le pragmatisme électoral a pris le pas sur les considérations d’ouverture du processus de désignation. Harlem Désir, premier secrétaire du PS, évoque à plusieurs reprises à la rentrée 2011 des primaires ouvertes « partout où c’est utile ». L’appréciation empirique des situations locales a prévalu comme en témoignent ces propos de Christophe Borgel, secrétaire national du PS en charge des élections : « On ne passe pas mécaniquement de la primaire nationale de 2011 à des primaires locales en 2014. La seule question qui vaille est la suivante : quel est le meilleur chemin au cas par cas pour faire gagner la gauche ? Celui de la primaire ou celui de la désignation du candidat socialiste par la fédération locale13 ? » C’est dire que l’objectif d’efficacité électorale prime sur la dimension démocratique. Malgré le faible nombre de villes retenues, un effet de vitrine citoyenne a été néanmoins recherché. L’organisation de primaires à Marseille où une forte médiatisation est escomptée permet un effet d’affichage démocratique14. 5 des six primaires socialistes sont organisées les deux mêmes jours (les 13 et 20 octobre), ce qui est censé favoriser la couverture médiatique. Un site dédié aux primaires permet de rassembler les informations sur les campagnes en cours.

10Sollicitée par des candidats, des dirigeants ou des sections locales, la direction nationale du PS, souveraine pour décider de l’organisation locale de primaires, a posé comme condition le consensus des acteurs locaux. Pour ne citer que quelques exemples, la fédération du Puy-de-Dôme a émis un vote défavorable pour l’organisation d’une primaire à Clermond-Ferrand. À Albi la section s’est opposée à ce mode de désignation. À Amiens, où le maire sortant ne se représente pas mais appelle de ses vœux une primaire ouverte, un débat très vif s’engage autour de l’opportunité d’une telle désignation. Les partisans locaux de Benoît Hamon font signer une pétition militante pour réclamer une procédure ouverte (obtenant 1 000 signatures) mais ils se heurtent à l’hostilité de Pascale Boistard, première secrétaire fédérale de la Somme qui invoque des problèmes de faisabilité technique et de logistique (une primaire fermée met au final en concurrence six candidats). Le recours à des sondages locaux pour tester les rapports de forces a pu être utilisé, comme à Montauban, où la direction nationale a commandé une enquête qui a permis de dégager un candidat et rendu « inutile » l’organisation de primaires15.

11Le principe du consensus s’est aussi imposé à l’UMP dans le choix des villes. Jean François Copé fait réaliser un certain nombre de sondages pour préparer les décisions visant à déclencher une primaire (Le Figaro, le 19 février 2013). À Grenoble, l’UMP a longtemps hésité à organiser des primaires pour régler les différends liés au retour politique d’Alain Carignon16. Un arrangement local a conduit à abandonner cette piste. Le large accord des acteurs locaux a conduit à l’organisation de primaires à Lyon et Colombes (Hauts-de-Seine)17. À Colombes, les habitants sont invités à choisir leur candidat pour affronter le maire sortant socialiste et départager Nicole Goueta, conseillère générale, maire de la ville de 2001 à 2008, et Lionel Rainfray, son ancien adjoint. Roger Karouchi, le responsable départemental de l’UMP, a semble-t-il joué un rôle essentiel dans le choix de l’adoption des primaires dans cette ville. La primaire de Paris, organisée en mai 2013, a été pensée pour légitimer une candidate en quête d’ancrage local18. Il s’agit de consolider localement la candidature de Nathalie Kosciusko-Morizet, parachutée à Paris, et d’enfermer son adversaire socialiste, Anne Hidalgo, dans une image de « femme d’appareil » cooptée19. La primaire est conçue comme un point de démarrage de la campagne, un moment de pré-mobilisation. Pour Nathalie Kosciusko-Morizet, « les primaires c’est la campagne, ce n’est pas un moment d’attente » (Le Monde, le 25 avril 2013). C’est aussi pour la candidate de l’UMP un moyen de prendre ses distances avec l’UMP alors qu’elle cherche à renouveler fortement les listes municipales20.

Régler des dysfonctionnements internes

12La primaire peut être un instrument pour pallier des dysfonctionnements partisans locaux. C’est le cas, de diverses manières, à La Rochelle ou à Marseille pour le PS21.

13Le PS a décidé tardivement22 d’organiser une primaire à La Rochelle pour désigner la tête de liste PS-PRG et trancher la compétition entre Jean-François Fountaine, 62 ans, ancien conseiller régional et chef d’entreprise, président du comité de soutien d’Olivier Falorni en 2012, et Anne-Laure Jaumouillié, 34 ans, enseignante et secrétaire de la section PS locale. Un vote « ouvert » s’est imposé pour deux raisons principales. D’abord les deux candidats l’ont proposé, ensuite Jean-François Fountaine ne souhaitait pas soumettre sa candidature au vote d’une section PS « noyautée » selon lui par les partisans de Ségolène Royal et menaçait de faire dissidence sous l’étiquette radicale. La direction nationale du PS était au départ réticente et cherchait « à mesurer le risque de bascule à droite de La Rochelle en cas de dissidence à gauche23 ». Un sondage réalisé en septembre a rassuré les dirigeants socialistes. Jean-François Fountaine y devançait certes Anne-Laure Jaumouillié mais l’écart n’était pas suffisamment important pour « tuer le match24 ».

14À Marseille, ville que le PS se donne pour ambition de prendre à l’UMP25, l’objectif des primaires est différent. Il s’agit de « réinitialiser » un jeu politique local encore marqué par le système clientéliste de Jean-Noël Guérini. Dans la cité phocéenne, où Jean-Claude Gaudin brigue un quatrième mandat, une primaire fermée (réservée aux militants) était difficilement envisageable. Alors que la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône est toujours sous tutelle – depuis mars 2013 – et que Jean-Noël Guérini exerce une emprise toujours forte sur la ville, confier la désignation du candidat aux seuls 2 200 adhérents socialistes eût été choisir symboliquement la prolongation du « système ». Une procédure interne comportait de nombreux risques dans des sections où la culture de la fraude et les pressions clientélistes26 sont enracinées dans les mœurs socialistes27. Les primaires ont aussi l’avantage de proposer un moyen de départager les nombreux postulants en présence. Six candidats s’affrontent en effet : la ministre Marie-Arlette Carlotti, le président de la communauté urbaine Eugène Caselli, la sénatrice Samia Ghali, les députés Henri Jibrayel et Patrick Mennucci, et le conseiller général Christophe Masse. La direction nationale a veillé de près à superviser le processus. La primaire est ainsi organisée depuis le siège du parti rue de Solférino (un salarié a été embauché sur cette mission). 35 des 55 bureaux de vote lors du vote sont tenus par des responsables socialistes non originaires des Bouches-du-Rhône.

15Une situation relativement proche (faible légitimité des instances partisanes locales, mise sous tutelle de la fédération socialiste) aurait pu conduire le PS à se lancer dans une primaire ouverte à Montpellier. Cette option pouvait contribuer à un dépassement du « système fréchiste ». Hélène Mandroux, maire depuis 2004, qui aurait souhaité être candidate n’est pas soutenue par le PS national. Deux hommes briguent l’investiture socialiste : Jean-Pierre Moure, président de l’agglomération, et Philippe Saurel, adjoint sortant à la culture. Le député PS Patrick Vignal s’est fortement mobilisé pour promouvoir une primaire ouverte, à travers une pétition qui a obtenu plus de 6 000 signatures. Le PS qui privilégie la solution d’un accord « entre camarades », avalisé par le vote des seuls militants, commande alors un sondage en avril 2013 qui ne permet pas de départager clairement les candidats. Un vote interne sans accord préalable apparaît d’abord difficile. L’afflux récent de 700 nouveaux adhérents à la section jette le soupçon sur une consultation exclusivement militante. Un dirigeant national s’exprime en ces termes dans le journal Le Monde : « le PS souffre d’un syndrome post-traumatique depuis la mort de Frêche. Comme il décidait de tout de manière arbitraire, il n’existe localement aucune structure ni culture de négociations collectives28. » Mais devant l’incapacité des candidats à se mettre d’accord et l’hostilité tant du maire sortant que de Jean-Pierre Moure aux primaires ouvertes, le PS décide de procéder à une consultation interne. Un vote militant est organisé et supervisé par le premier secrétaire fédéral. Les fichiers de la section ont été « nettoyés » au préalable (selon la règle des six mois d’adhésion requis pour participer au vote). Mais la sincérité de la consultation est fortement contestée, notamment par Philippe Saurel29.

La fabrique problématique d’un leadership

16Le pari des primaires ouvertes est risqué. Il s’agit de départager les candidats à l’investiture en tranchant leurs rivalités par le recours au vote des sympathisants. Le processus conduit dans un premier temps à exacerber les différends entre candidats, à publiciser leurs différences et à favoriser les stratégies de distinction, cela d’autant plus que les instances locales des partis ne sont pas en mesure de produire des programmes municipaux à ce stade du processus électoral qui pourrait civiliser la confrontation. La procédure doit amener dans un second temps à produire et légitimer un leader incontesté auquel se rallie l’ensemble des candidats. Arnaud Montebourg avait forgé en 2011 la notion de « coopétition » pour désigner les dynamiques toutes à la fois compétitives et coopératives caractérisant les primaires. La codification de la procédure est censée canaliser les risques de débordements qu’elle recèle.

Les règles du jeu

17Le scrutin est hybride, « mi-partisan, mi-électoral », dans la mesure où les candidats sont préalablement sélectionnés par les partis grâce à un certain nombre de filtres30. Les primaires sont ouvertes à tous les citoyens inscrits sur les listes électorales. Du côté de l’offre, le PS et l’UMP ont mis en place des systèmes de parrainage pour pré-sélectionner les candidats. A Marseille, pour concourir le nombre total de parrainages à solliciter est fixé à 1 500, soit 1 300 citoyens (325 maximum issus d’un même secteur) et 200 militants. À Aix-en-Provence, le nombre total de parrainages est fixé à 420, soit 400 citoyens et 20 militants. À Paris, pour « ouvrir » le scrutin, le niveau de filtrage a été moins restrictif. Chaque candidat doit cumulativement recueillir le parrainage de 10 élus parisiens parmi les Conseillers de Paris, conseillers d’arrondissement, Parlementaires et membres du Parlement européen, Conseillers régionaux, répartis dans 3 arrondissements et de 300 électeurs répartis dans 5 arrondissements et inscrits sur les listes électorales parisiennes à la date du 31 décembre 201231.

18Des instances de contrôle ont été mises en place par les deux partis. À l’UMP, « afin de permettre l’application effective du règlement et de garantir un traitement équitable des candidats », un Conseil Supérieur des Primaires (CSP) est institué. Il a pour mission d’enregistrer les candidatures, de contrôler la régularité du scrutin, d’arrêter et de proclamer les résultats et de trancher les éventuels contentieux électoraux. Il est composé des membres du bureau de l’UMP-Paris et présidé par Antoine Rufenacht, ancien maire du Havre. Au PS, ces missions sont assurées par la Haute Autorité des primaires confiée à l’avocat Jean-Pierre Mignard (il avait exercé la même mission en 2011 lors de la primaire présidentielle). Cette instance alimente un site internet très actif pendant la campagne. Pour éviter les dérapages, le PS a mis en place une charte éthique qui doit être respectée par les candidats et leur entourage. Des sanctions sont prévues en cas de non-respect du règlement : « exclusion d’un candidat », « annulation des résultats d’un bureau de vote », dénonciation de « faits susceptibles de constituer une infraction pénale ». Les candidats s’engagent à se ranger derrière le candidat désigné. Selon les chartes adoptées, les candidats membres d’un même parti sont censés éviter les « campagnes négatives » c’est-à-dire ciblées personnellement sur leurs partenaires-adversaires32.

19Le principe d’un vote « physique » avec contribution d’au moins un euro a été adopté pour l’ensemble des primaires sauf à Paris où le système retenu par l’UMP est le vote électronique sans procuration avec une contribution de base de 3 € par électeur. Une pré-inscription33 est requise dans la capitale où l’organisation du vote a été confiée à une filiale de la Poste, la société Docapost qui a aussi organisé sous le contrôle de la CNIL la primaire d’EE-LV de 2011 et de nombreuses élections dans des entreprises. Les électeurs parisiens peuvent s’inscrire entre le 15 avril et le 10 mai et peuvent participer à la primaire après avoir obtenu un code sur internet (du 31 mai au 3 juin). Ce système sans bureau de vote limite fortement a priori la participation puisqu’il exclut de fait tout vote spontané d’un citoyen se décidant à participer le jour du vote34.

Un rassemblement variable selon les configurations locales

20Les campagnes des élections primaires ont été dans les diverses configurations locales d’inégale intensité. À Paris, l’enjeu est essentiellement de mobiliser les électeurs tant l’issue de la consultation est prévisible. Des débats ont été organisés sur les chaînes câblées et France 3 Île-de-France. Les adversaires de NKM sont présentés par la presse comme des « sparring-partners35 ». À part à Lyon et Marseille, les mobilisations ont été jugées globalement atones par les commentateurs et la presse locale. Les candidats en lice ne jouent pas tous à l’évidence le même jeu, les usages d’une candidature apparaissant fortement différenciés. Pour une partie des postulants, il s’agit, à travers les primaires, de gagner en notoriété et en visibilité dans un scrutin ouvert au plus grand nombre, de préparer une échéance future, d’affermir une position dans un rapport de forces locales. On observe ce phénomène dans la primaire marseillaise, fortement médiatisée36.

21Seuls Samia Ghali et Patrick Mennucci ont mis en place de véritables stratégies de mobilisation dans la cité phocéenne. Patrick Menucci a publié un livre programme et a mobilisé un réseau de 500 militants chargés de mobiliser chacun 20 électeurs au moins. Il a été le premier candidat en France à expérimenter à l’occasion de ces primaires l’outil Nation Builder37. Le député socialiste s’est servi de cet outil pour gérer les contacts de militants et de sympathisants récupérés sur le terrain. Cette utilisation a été présentée localement comme un des éléments de son succès aux primaires alors qu’il n’était pas favori. Le candidat prétend avoir constitué une base de données personnelles sur la moitié des 24 000 participants aux primaires. « Je n’ai pas fait coller une seule affiche pendant la primaire. À l’inverse de mes concurrents, j’ai beaucoup investi sur le numérique » confie-t-il au Monde, le 4 janvier 201438. Les quatre autres candidats marseillais ont déployé des moyens beaucoup plus modestes. Le député Henri Jibrayel n’a organisé ni meeting ni même une conférence de presse et envisage sa participation à la primaire principalement comme une manière de défendre sa position dans l’espace politique local39.

22Les primaires ouvertes ont-elles localement produit des leaders incontestés et un rassemblement derrière le candidat désigné ? À Lyon, Béziers, à Boulogne-Billancourt et à Colombes les consultations ont donné lieu à des victoires assez nettes et indiscutées. À Lyon, la primaire s’est passée dans une relative sérénité. Pendant la campagne, les candidats se sont largement gardés de toute attaque l’un envers l’autre, évitant de développer leurs divergences politiques et concentrant leurs critiques sur le sénateur-maire PS de Lyon, Gérard Collomb. Le climat se tend un peu au deuxième tour entre les deux finalistes de la primaire. Il oppose Michel Havard, leader de la droite lyonnaise, chef d’entreprise, ancien député de Lyon battu en juin 2012 par l’adjoint aux sports de Gérard Collomb à Georges Fenech, magistrat et député de la 11^e circonscription du Rhône qui a reçu le soutien des trois candidats éliminés au premier tour (l’ex-député Emmanuel Hamelin, l’ancienne ministre Nora Berra et la juriste Myriam Pleynard). Malgré ces ralliements à son adversaire, Michel Havard suscite la surprise en remportant la primaire avec 54 % des suffrages au second tour40.

23À Béziers, le candidat arrivé en deuxième position, Pierre Callamand, se désiste en faveur de Jean-Michel Du Plaa, « pour éviter une désunion et compromettre les chances de la gauche aux municipales ». Vice-président du conseil général et conseiller municipal d’opposition, présenté comme favori, Jean-Michel Du Plaa s’est approché de la majorité absolue (49,04 %) lors du premier tour. À Boulogne-Billancourt, les deux candidats arrivés en tête du premier tour de la primaire PS parviennent à un accord. Pierre Gaborit est désigné tête de liste et le second tour est annulé. « Il aurait pu y avoir un second tour avec les deux candidats arrivés en tête, Judith Shan et moi. Mais nous avons décidé ensemble qu’il était beaucoup plus sage de s’en tenir aux résultats du premier tour », indique Pierre Gaborit sur son compte Facebook. À Colombes, Nicole Goueta, maire de la ville entre 2001 et 2008, remporte largement la primaire avec 60,63 % des suffrages dès le premier tour.

24À Paris, Marseille, Aix-en-Provence, La Rochelle et au Havre, l’issue des consultations est plus critique. Au Havre, Camille Galap, qui n’est membre du PS que depuis un an, a obtenu la majorité absolue avec 57,58 % des suffrages dès le premier tour. L’ancien président de l’université du Havre a nettement battu le chef du groupe socialiste au conseil municipal, Laurent Logiou (38,52 %), qui, appuyé par la section locale, pouvait se considérer comme le candidat légitime du PS, face au maire UMP, Édouard Philippe41. Camille Galap a fortement mobilisé les sympathisants dans les quartiers populaires et dans le personnel administratif de l’université (deuxième employeur de la ville). L’après-primaire a néanmoins été très difficile. Au nom du non-cumul des mandats et du « renouvellement » qu’il a promis, le candidat investi refuse de placer son concurrent et d’autres responsables socialistes en position éligible sur sa liste malgré les pressions de Laurent Fabius. Sa liste, ouverte fortement à la société civile locale, est ainsi rejetée par les militants de la section. Le candidat prend congé du parti (pendant trois jours) et fait la une de la presse. Une commission de médiation nationale est mise en place et un compromis est trouvé entre le candidat investi à travers les primaires et la section socialiste. La primaire a laissé dans cette ville, sociologiquement plutôt marquée à gauche, un souvenir amer.

25À Paris, le système de vote électronique, mal maîtrisé, a donné lieu à de nombreux cafouillages et irrégularités qui ont fortement terni l’image démocratique que l’UMP cherchait à projeter42. Beaucoup de militants n’ont pu s’inscrire pour des raisons techniques. D’autres ont pu manifestement voter plusieurs fois. « Nous apprenons effectivement la démocratie. C’est assez nouveau, c’est indispensable » déclare Jean-François Copé sur Canal Plus le 2 juin 2013. Nathalie Kosciusko-Morizet remporte au final la primaire avec 58 % des suffrages exprimés dans une certaine confusion (un candidat a demandé l’annulation du vote). Le candidat du PS aux élections municipales désigné à Aix-en-Provence est Édouard Baldo, un avocat de 65 ans. Il remporte largement la primaire avec 65,5 % des voix exprimées après avoir reçu le soutien de trois des quatre candidats éliminés au premier tour. Après une campagne de premier tour plutôt terne, la campagne du second tour s’est nettement crispée entre les deux finalistes. Jacques Lecuivre, un ancien PDG et militant du PS qui se présentait pour la première fois à un scrutin, dénonce publiquement des « marchandages d’arrière-boutique » dès avant la proclamation des résultats le soir du 1er tour. Il accuse aussi Édouard Baldo d’être le candidat de l’ancien homme fort du PS Jean-Noël Guérini. Son adversaire saisit la Haute Autorité des Primaires.

26À Marseille, Samia Ghali et Patrick Menucci sont qualifiés au second tour dans un climat très tendu qui défraie la chronique nationale. Samia Ghali a utilisé des minibus pour mobiliser les électeurs des quartiers Nord de la ville suscitant l’indignation de la ministre du gouvernement défaite Marie-Arlette Carlotti qui accuse la sénatrice d’avoir fait fonctionner « à plein régime le clientélisme » avec « minibus, échanges d’argent, intimidation » grâce à une organisation « quasi militaire ». Patrick Mennucci est désigné assez largement au second tour avec 57,16 % des suffrages mais le PS apparaît fortement divisé et la campagne des élections municipales est mal engagée. La légitimité du candidat est précaire à l’issue d’une compétition qui a été jugée « fratricide » par la presse. Le candidat s’adresse aux candidats battus en des termes apaisant le soir du deuxième tour : « J’ai été désigné, mais personne n’a perdu. » Il mettra néanmoins plusieurs semaines à rallier les divers candidats qui acceptent finalement tous d’apparaître en décembre 2013 sur les listes municipales. Le PS recherchait avec la médiatisation de la primaire à Marseille une plus-value démocratique. En termes d’images, le processus apparaît comme un « fiasco43 ». La primaire laisse des traces profondes pendant la campagne municipale. Samia Ghali dans le 8^e secteur distribue ainsi des tracts où n’apparaît pas le nom de Patrick Menucci.

27Ce dernier tire après sa défaite un bilan très négatif de cette première expérience de primaire ouverte sur le plan municipal44 :

« Dans les scrutins locaux, les tensions entre les individus sont beaucoup plus importantes qu’au niveau national. Les primaires municipales créent des incompréhensions, des tensions que l’on retrouve par la suite. J’ai soutenu les primaires parce que je ne voyais pas comment investir un candidat, à Marseille, sans passer par là. Même si, battu dans ces primaires, je n’aurais pas eu le même comportement que d’autres. Le rassemblement après la primaire a pris beaucoup de temps. Chacun voulait faire fructifier des scores, qui n’étaient pas très bons. Je n’ai eu aucune latitude. Passer en force, dicter mes choix, aurait fait éclater l’union. »

28À La Rochelle, Jean-François Fountaine décide de présenter une liste malgré sa défaite à la primaire alors même qu’il avait réclamé la primaire et signé une charte avant l’élection dans laquelle il s’engageait à soutenir la gagnante en cas de défaite. Battu de 34 voix, l’ancien conseiller régional refuse de se plier au verdict d’un scrutin « entaché et non conforme à l’esprit démocratique » selon lui. Il met en cause « l’attitude de suspicion et d’intimidation des représentants de la fédération qui a été mal vécue par beaucoup de Rochelais45 ». Anne-Laure Jaumouillié lui a pourtant proposé la deuxième place sur la liste et des responsabilités pour ses proches. Le candidat défait n’a officiellement déposé aucun recours. La haute autorité des primaires confirme la régularité du vote s’appuyant sur le fait que chaque bureau de vote était tenu par un président et un coprésident représentant des deux candidats.

La participation électorale

29Les « sympathisants46 » se sont-ils saisis de cette nouvelle offre de participation à une échelle locale perçue comme « de proximité » ? Il n’est pas aisé d’évaluer le niveau de la participation aux élections primaires ouvertes à l’occasion des élections municipales : d’abord parce que ce type de scrutin est inédit et qu’on ne dispose pas de point de comparaison ; ensuite parce qu’il n’est pas forcément lisible aux yeux d’électeurs habitués à se prononcer sur des candidats préalablement investis par les partis (les campagnes ont d’ailleurs pour but premier d’inciter les sympathisants à aller voter et à prendre la mesure de leur « nouveau pouvoir »). Candidat à la primaire socialiste à Marseille, le président de la communauté urbaine Eugène Caselli s’inquiète en ce sens en septembre 2013 : « beaucoup d’habitants considèrent à la mi-septembre que la consultation est réservée aux adhérents47 ». Les primaires réintroduisent les électeurs dans un jeu qui était auparavant confiné dans l’espace partisan et dans la communauté militante.

30Faute de précédent, plusieurs manières d’évaluer le niveau de participation aux primaires ouvertes sont possibles. On peut mesurer la participation à l’aune de la mobilisation socialiste des primaires de 2011 pour les primaires PS, du nombre d’électeurs inscrits sur les listes électorales, des prévisions des organisateurs, du nombre de parrainages requis ou du nombre d’adhérents du parti organisateur. Hormis à Marseille et Lyon, les primaires ont été globalement peu mobilisatrices. On distinguera les primaires socialistes en les analysant au prisme de la consultation de 2011 et les primaires UMP avant de s’attacher un peu plus longuement au cas de Marseille. La participation la plus forte a été enregistrée à La Rochelle (7,5 % des inscrits), la plus faible à Boulogne-Billancourt (1 % des inscrits).

Des niveaux de participation très variables

31À Aix-en-Provence, la mobilisation est deux fois moins forte que lors de la primaire présidentielle qui avait attiré, lors du premier tour en 2011, 6 600 électeurs et 6 900 au deuxième. 2 811 Aixois sont venus départager les six candidats au premier tour. À peine plus de 2 819 votants se sont rendus aux urnes une semaine plus tard. À Béziers, la participation est atone puisque le nombre de votants est inférieur au total des soutiens que les candidats ont reçus fin juillet pour participer à la primaire ! Pour présenter leur candidature, les trois socialistes ont en effet dû rassembler chacun un minimum de 400 soutiens. L’objectif était donc d’atteindre au moins les 1 200 votants. Le premier secrétaire fédéral, Hussein Bourgi fixe l’objectif avant l’été : « Avec trois candidats issus du PS et soumis à la règle des 400 parrainages, nous pouvons raisonnablement espérer atteindre les 1 200 votants. Ce sera la fourchette basse. Et si l’on peut faire au moins aussi bien que pour la primaire présidentielle, ce sera pas mal48. » Au final, deux fois moins de votants que la primaire de 2011 ont participé (1 136 votants, la ville comptant 45 000 électeurs inscrits). Au Havre, trois fois moins d’électeurs qu’en 2011 ont participé aux primaires municipales (1 461 votants, contre 5 000 lors de la primaire pour la présidentielle). Là encore le chiffre est inférieur au nombre de parrainages obtenus par les candidats. La participation à la primaire PS à Boulogne-Billancourt est six fois moins forte qu’en 2011 (670 votants au premier tour en 2013, 4 600 au second tour de la primaire présidentielle de 2011).

32La mobilisation à La Rochelle a été quant à elle intense dans une élection présentée par la presse comme le troisième tour de l’élection législative controversée de 2012 (Jean-François Fountaine est soutenu par le député Olivier Falorni, « tombeur » de Ségolène Royal). Plus de 3 650 votants – soit près de 7 % des 49 000 électeurs inscrits à La Rochelle ont participé au scrutin. La primaire socialiste présidentielle en 2011 avait attiré près de 5 000 votants dans cette ville de 80 000 habitants.

33À Paris, la primaire UMP, faiblement concurrentielle et sans réel enjeu, n’a pas vraiment mobilisé. 50 000 électeurs étaient attendus. Dans chaque arrondissement, les responsables de l’UMP ont des objectifs chiffrés de nombre d’électeurs à atteindre. 20 074 Parisiens ont participé au final au scrutin alors qu’ils ont été un peu plus à s’inscrire sur internet (20 331). La participation a permis d’équilibrer à peine le coût de l’opération budgété à 150 000 euros. Le nombre d’électeurs mobilisé est faible si on le rapporte aux 30 000 adhérents UMP recensés à Paris.

34Les primaires à Lyon et Colombes, plus disputées et incertaines, ont été plus mobilisatrices. À Lyon avec 4 345 votants au premier tour, la participation a dépassé le nombre d’inscrits à l’UMP dans les circonscriptions lyonnaises, selon Michel Forissier, secrétaire départemental du parti49. Plus de 1 000 électeurs supplémentaires ont participé au second tour. À Colombes, chef-lieu de canton de 86 000 habitants, Roger Karoutchi, responsable de l’UMP des Hauts-de-Seine, a fixé un objectif de participation à 2 % des inscrits soit 1 000 participants. Ce niveau est largement dépassé avec 1 663 votants (3,7 % des inscrits).

Logiques de fiefs à Marseille

35L’enjeu à Marseille était de savoir si la mobilisation allait dépasser la somme des clientèles électorales de chacun des candidats bien implantés dans divers secteurs de la ville. Une des questions était de mesurer aussi quel rôle joueraient le puissant syndicat Force Ouvrière et ses 6 000 adhérents. La clef du scrutin est sans doute la capacité des candidats en lice à élargir leurs soutiens au-delà de leurs réseaux d’influence personnels. Près de 10 000 Marseillais (sympathisants ou militants) ont apporté leurs parrainages aux candidats. 27 000 Marseillais ont participé aux primaires socialistes en 2011 (les sections socialistes comptent 2 200 adhérents). Au total ce sont 30 000 électeurs différents sur les deux tours qui ont participé à la primaire municipale (20 000 au premier tour, 24 000 au deuxième, la ville comptant 472 000 personnes inscrites sur les listes électorales). La participation a donc été au rendez-vous. La très forte médiatisation de l’événement l’a sans nul doute stimulée. Les arrondissements les plus pauvres ont plutôt voté pour Samia Ghali qui a doublé son score entre les deux tours, passant de 5 141 voix à 10 044 et démontré une très forte capacité de mobilisation (alors que l’ensemble des candidats ont appelé à voter pour Patrick Mennucci).

36Jérôme Fourquet a bien démontré la logique de fiefs et les ressorts géographiques qui ont présidé au vote50. Les électeurs socialistes des quartiers Nord se sont « surmobilisés » tandis que ceux des quartiers sud de la ville se sont nettement moins impliqués. Un des enseignements du scrutin est que Samia Ghali a réussi à mobiliser des électeurs des quartiers populaires de gauche qui n’auraient probablement pas participé à la primaire si elle n’avait pas été candidate. Scrutin inédit, la primaire a fait jouer la classique logique du « terrain » et de la mobilisation de proximité (ce qui explique dans une large mesure l’échec de la ministre Marie-Arlette Carlotti, qui pensait gagner « par en haut » sans s’impliquer réellement). L’enjeu de la primaire a été en définitive « le contrôle et la maîtrise d’un territoire politique51 ». Au premier tour, cinq des six candidats en lice – à l’exception d’Henri Jibrayel – sont arrivés en tête dans au moins deux arrondissements. Le territoire local est donc apparu à la faveur de la primaire au premier tour divisé en différentes zones d’influence dans lesquelles chaque candidat s’est imposé. Au second tour, le duel Mennucci-Ghali a donné à voir une fracture Nord-Sud prégnante. Patrick Mennucci ne s’est imposé quasiment que dans les arrondissements dominés par la droite. Pour l’emporter face au maire sortant Jean-Claude Gaudin, le candidat socialiste était contraint d’agréger autour de lui ces électorats territorialement et socialement très différenciés. Il n’y est pas parvenu. Il est largement battu.

Conclusion

37Les primaires ouvertes ont émergé sur la scène locale à la faveur des élections municipales mais de manière très limitée géographiquement. Les partis cherchent à encadrer la diffusion de ce nouveau mode de désignation et ne l’utilisent de manière stratégique que dans des contextes locaux bien particuliers. Les modes de sélection traditionnels des candidats ne sont donc pas véritablement mis en cause52. Les directions nationales des partis n’ont manifestement pas voulu engager un rapport de forces avec les acteurs locaux. Thierry Pech président de Terra Nova tire en 2015 le bilan des primaires municipales (Le Monde, le 27 avril 2015) : « Le PS devrait s’efforcer de rendre possibles des primaires à tous les niveaux d’élection locale. Trop souvent, les projets de primaires locales (notamment aux municipales) ont été bloqués pour protéger des positions acquises. Le conseil national du parti pourrait se donner compétence d’imposer de telles primaires sur la base de requêtes locales quand cela lui semble souhaitable. » La culture des primaires a été pensée comme un possible « levier de rénovation de la vie politique locale53 » mais leur portée a été très faible. Le nouveau mode de désignation utilisé de manière très limitée a été conçu pour donner le change et moderniser la façade institutionnelle des partis dans une élection municipale fortement nationalisée. Ce constat confirme que les primaires ne sont pas la solution d’un seul problème (le leadership) et qu’elles font l’objet d’usages multiples. L’étude des primaires aux élections municipales démontre que les élites dirigeantes maîtrisent le processus de diffusion des primaires. Elles ne s’imposent pas de l’extérieur sur la base de la force d’un impératif participatif extérieur à eux.

38Il n’est pas sûr que le déroulement des primaires aux élections municipales de 2014 ne les incite à l’avenir à recourir à cette méthode de sélection. Promoteur au PS des primaires, Matthias Fekl écrit ainsi : « le bilan des primaires de 2014 en termes de conquête électorale est un échec. Les primaires du PS n’ont pas suffi à la gauche pour remporter les élections. Les deux primaires organisées par l’UMP, à Lyon et à Paris, n’ont pas non plus permis aux candidats désignés de remporter l’élection municipale54 ». Cette procédure comporte des risques politiques : si elle peut apporter un bonus électoral au candidat, elle peut aussi l’abîmer (Marseille) et conduire à des dissidences (La Rochelle). Elle n’est ni une garantie de succès ni d’unité. Dans de nombreuses villes, le processus est apparu chaotique et impropre à légitimer de manière indiscutable le candidat sorti vainqueur. Les primaires municipales n’ont guère mobilisé les sympathisants (hormis à Marseille ou à La Rochelle) à la fois parce que leur principe n’est sans doute pas encore très clair aux yeux des participants potentiels mais aussi, et surtout, parce que les villes choisies ne comportaient pas de réels enjeux politiques. Les sympathisants ne se mobilisent en nombre que lorsqu’ils perçoivent des enjeux et que le vote paraît « utile ».

39Depuis les élections municipales, aucune primaire ouverte n’a été organisée dans un scrutin local (départementales ou régionales). L’exercice n’a en somme convaincu ni les électeurs ni les responsables politiques. Lors des entretiens que nous avons réalisés avec des responsables de l’UMP, la question des primaires locales n’a guère suscité d’enthousiasme55. Au PS l’échec à Marseille a fortement terni l’image des primaires locales. Des revendications de primaires ouvertes ont émergé ici ou là à gauche pour les élections législatives de 2017 mais c’est bien l’élection présidentielle qui concentre l’attention des promoteurs des primaires. Le mouvement de « primarisation » de la vie politique n’a donc encore guère saisi le local.