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Les primaires ouvertes en France

 | 
Rémi Lefebvre
, 
Éric Treille

Troisième partie. Sociologie électorale des primaires et approches locales

9. La territorialisation des primaires socialistes en Meurthe-et-Moselle

Appropriations locales et traces temporelles d’une procédure nationale

Laurent Olivier

Volltext

  • 1 Mathieu L., « L’espace des mouvements sociaux », Politix, no 77, 2007, p. 131-151.
  • 2 Kaase M., « Is There Personalization in Politics? Candidates and Voting Behavior in Germany Intern (...)
  • 3 Cross W., Blais A., « Who Selects the Party Leader? », Party Politics, January 26, 2011.

1Célébrée en 2011 comme une victoire de la démocratie représentative et sa capacité à départager des candidatures dans un parti sortant d’une grave crise de leadership, la procédure des primaires a permis de relégitimer le PS et son candidat dans la perspective de la présidentielle. Cette démonopolisation partisane de l’investiture s’est aussi inscrite dans un contexte global d’évolution des modes de régulation de l’institution partisane. De fait, le choix d’inscrire statutairement ce nouveau mode de consultation traduit des mutations du militantisme partisan devenu intermittent1, mais également de plus en plus spécialisé et virtuel. Les partis, tributaires d’électorats flottants et instables, ont dû dans ce cadre opérer des ruptures stratégiques pour élargir et sécuriser leur base électorale2 en misant davantage sur les campagnes électorales que sur les activités partisanes, sur les candidatures individuelles que sur le parti et surtout ouvrir la sélection de leurs candidats3.

  • 4 Les primaires n’ont pas été prévues par la loi comme aux États-Unis où les partis n’ont pas de con (...)

2Si l’opération des primaires a pu prendre la forme d’une expérience électorale uniquement nationale, l’empreinte concrète de ce dispositif peut également être évaluée au niveau local. Cette procédure, peu standardisée dans sa mise en œuvre matérielle, a en effet eu une forte dimension conjoncturelle et contextualisée. En cela, elle est restée le produit du système de relations et de concurrence qu’est l’institution partisane et pose donc la question des conditions de sa production4.

  • 5 Le terrain porte sur la Lorraine et plus particulièrement sur la Meurthe-et-Moselle, lieu de manif (...)
  • 6 Ion J., La Fin des militants ?, Paris, Les Éditions de l’atelier/Éd. Ouvrières, 1997, 123 p.
  • 7 Lefebvre R. « Le militantisme socialiste n’est plus ce qu’il n’a jamais été », Politix, no 102, 20 (...)
  • 8 Gaxie D., « Économie des partis et rétributions du militantisme », Revue française de science poli (...)

3Au-delà de la neutralité apparente de cette nouvelle technologie de légitimation et des aléas de sa mise en place, on s’intéressera ainsi aux traces laissées par ce dispositif dans le département de Meurthe-et-Moselle5. Nous souhaitons montrer que la campagne pour les primaires dans cette fédération a été l’enjeu de logiques territoriales et qu’elle a en outre été le support de la construction « mythifiée » d’un nouveau militantisme, imprimant ainsi sa marque sur les pratiques partisanes et électorales ultérieures. Repérer les traces des primaires, c’est aussi s’interroger sur l’éventuel dépassement de l’opposition entre engagement affilié et engagement distancié6. C’est enfin ne pas céder à une perspective trop évolutionniste de l’engagement politique7, qui présente une dimension de fragilité intrinsèque ou intermittente comme le soulignait Daniel Gaxie dès 19778.

  • 9 Birck J.-N., Olivier L., « La territorialisation de la primaire socialiste. Transposition et usage (...)

4Plusieurs éléments se conjuguent pour nourrir cette territorialisation des primaires9. L’exercice électoral a constitué en 2011 un véritable enjeu de mobilisation locale et d’invention d’un territoire d’agrégation des votes, lieu de combinaison d’enjeux nationaux et locaux. De plus, l’identité territoriale locale du militantisme a nuancé l’idée d’une campagne déterritorialisée autour des seuls leaderships nationaux. Pour une raison simple : la procédure des primaires fut aussi un instrument de réactivation de la compétition territoriale pour l’appropriation de ressources partisanes locales. De fait, les primaires du PS se sont organisées à la fois dans des territoires institués et des territoires construits selon une « gouvernance partisane multi-niveaux », révélant ainsi les multiples possibilités stratégiques de mobilisation partisane. La transposition territoriale du scrutin s’est ainsi déclinée en appropriation locale d’une procédure démocratique normalisée, selon une configuration militante et sympathisante inédite.

  • 10 Serres A., « Quelle(s) problématique(s) de la trace ? », séminaire du CERCOR, 13 décembre 2002.
  • 11 Qu’il s’agisse de trace écrite, matérielle, ou affective exprimée par la représentation des acteur (...)
  • 12 Ginzburg C., « Traces. Racines d’un paradigme indiciaire », Mythes, emblèmes, traces. Morphologie (...)

5Parler de traces des primaires suggère ainsi plusieurs dimensions10. La trace peut être alors rapportée à l’extériorité11. Partielles et indirectes, les traces peuvent également relever du paradigme indiciaire12 afin d’identifier les détails de l’épisode des primaires, comme symptôme de nouvelles voies défrichées de l’engagement. La trace est aussi la mémoire de ceux qui ont investi le processus et l’ont idéalisé à travers les témoignages émergeant de la dialectique entre passé et présent. Les traces seront entendues ici au sens d’empreintes laissées sur le territoire mais aussi de mémoire. Elles suggèrent une dimension à la fois temporelle et synchronique. On peut encore parler de traces par opposition, aux dimensions purement conjoncturelles et exceptionnelles de la consultation ou pour évoquer le caractère d’apparence résiduelle, voire détournée, du scrutin, par opposition à l’enjeu principal : à savoir, la résolution d’une crise de leadership.

6Nous montrerons ainsi la trace singulière qu’a imprimé le processus des primaires à un territoire départemental, en réactivant de façon paradoxale des clivages liés à des enjeux territoriaux relativement distincts des enjeux de l’élection présidentielle. Nous montrerons également qu’au-delà de sa dimension conjoncturelle et évènementielle, l’organisation des primaires et la mobilisation qu’elle a entraînée a laissé une trace en instaurant les bases d’une mémoire organisationnelle nouvelle.

La préparation logistique des élections primaires. Dessiner un territoire électoral sur la base de ressources locales

7Selon un phénomène d’enclavement d’une compétition nationale, les primaires ont pu s’appuyer sur l’ensemble des territoires, hybrider les identités politiques locales en mêlant appartenance aux territoires institutionnels et identification à des acteurs locaux positionnés dans la compétition. D’emblée, la fédération de Meurthe-et-Moselle a territorialisé les primaires pour en mobiliser des ressources locales notamment militantes, comme s’il s’agissait paradoxalement de « déprésidentialiser » la campagne en l’imprégnant d’enjeux locaux.

Une expertise collective territorialisée.

8L’organisation des primaires a pu ainsi forger une expertise empirique et réveiller des velléités militantes, dans la mesure où un millier d’adhérents ou de sympathisants ont été invités à tenir des bureaux de votes et donc ont pu se sentir investis d’une mission touchant leur identité politique.

9De fait, l’organisation des primaires a été une entreprise politique qui, pour le temps du scrutin, a intensément impliqué les acteurs locaux, parfois même de façon sacerdotale : « que ce soit les adhérents qui ont pris part au processus, et les sympathisants autour, on leur a demandé énormément, explique ainsi le responsable du CDOP54 (Comité d’organisation départementale des primaires). Plus tu leur en demandais et plus ils étaient contents de faire partie de l’aventure des primaires ». Il faut également ajouter que le cadrage de la CNIL et les exigences de la procédure, nécessitant notamment des sessions de formations longues, des simulations, le travail de constitution des listes ou encore le transport de fonds, ont accentué ces responsabilités données aux présidents de bureau de vote et aux sympathisants.

  • 13 Théviot A., « Participer au-delà de sa section. Processus de déterritorialisation du militantisme (...)
  • 14 Faure A., Négrier E., Les Politiques publiques à l’épreuve de l’action locale : Critiques de la te (...)
  • 15 Le Bart C., Lefebvre R. (dir.), La Proximité en politique – Usages, rhétoriques, pratiques, Rennes (...)

10La fragilisation de l’ancrage local, l’apparition de formes de mobilisation au-delà de la section13, l’organisation de campagnes de plus en plus déterritorialisées ont accrédité l’idée d’élections de plus en plus hors-sol, sans trace autre que nationale. Mais la forte réactivation des identités territoriales locale à la faveur de la primaire nuance ce premier constat. Pour une raison simple : le changement d’échelle a transformé le regard porté par les leaders locaux sur un problème en sélectionnant une partie du réel (la compétition nationale) à partir d’une focale14 locale. La trace singulière laissée par les primaires tient en partie au fait que la proximité et ses technologies ont aussi constitué un enjeu de légitimation politique locale15.

11Surtout, l’implantation des bureaux de votes des primaires s’est inscrite sur des territoires ad hoc qui n’ont pas exactement reproduit les espaces d’agrégation électorale institutionnels. Une nouvelle grammaire des territoires a ainsi construit des espaces d’agrégation de vote inédits, dotés de ressources électorales aux significations diverses, souvent préservés des espaces symboliques d’identité républicaine. Ce faisant, la standardisation voulue par le national a pu être affectée par des aléas organisationnels liés à des espaces de compétition hétérogène, inégalement cadrés et donc propices à l’emprise des élus.

Les primaires, instrument d’invention du territoire

  • 16 Janda K., « Adopting party law », in Political Parties and democracy in Theoretical and Practical (...)

12Le PS avait en effet fait le choix d’une élection territorialisée dans les lieux officiels de la représentation nationale et non d’un scrutin virtuel électronique (comme ce fut le cas avec les primaires organisées par EELV) ou dans les instances partisanes (comme ce fut le cas avec le mode de désignation choisi par l’UMP). Les modalités d’organisation des opérations ont relevé d’une légitimité « rationnelle légale », sans pour autant que cette procédure soit enfermée dans une loi de parti16.

  • 17 Les valeurs directement identifiées au mode de scrutin et explicitement valorisées sont « l’exempla (...)

13Ainsi, l’organisation des primaires en bureaux de vote (1 pour 5 000 habitants avec 5 membres présidents et assesseurs) a présenté un schéma conforme aux procédures « routinisées » de vote (des tables d’accueil et de « décharge », un passage à l’isoloir, une table de vote), avec une séquence détaillée (accueil, identification, contribution, engagement de soutien, émargement, vote, remontée des résultats). Cette grille procédurale s’est également doublée d’un cadre cognitif porteur d’un nouveau rapport à la citoyenneté que voulait imprimer le parti17.

  • 18 Hastings M., Halluin la rouge, 1919-1939. Aspects d’un communisme identitaire, Lille, PUL, 1991, p (...)

14Les animateurs des primaires se sont en effet efforcés d’enraciner l’opération de vote en cherchant à renouer les liens entre sociabilités communautaires ou républicaines et identité socialiste, comme autrefois pour le Parti communiste18 : « le principe est de se rapprocher autant que possible de la carte des bureaux de vote pour une élection républicaine, tout en prenant en compte les spécificités de chaque territoire », rappelle ainsi la circulaire du CNOP 102010 (comité national d’organisation des primaires).

15Ce phénomène de resocialisation du processus électoral s’est également opéré par le biais de simulations du scrutin organisées au niveau fédéral, réalisées lors de trois sessions de formations à différents lieux du département de Meurthe-et-Moselle, à partir de novembre 2010. Ces rencontres ont réuni des militants et sympathisants, sous la responsabilité de cadres fédéraux chargés de l’organisation des primaires. Un jeu de rôle, sous forme de répétition avec bulletin de votes et urnes (aux noms de socialistes comme Léon Blum, Jean Jaurès et Cécile Brunschvicg) a permis de refonder les bases d’une démocratie explicitement « socialiste » et de poser les conditions d’une nouvelle trace de légitimation, au-delà de l’épisode électoral.

  • 19 Les questions fréquentes sont : « qui se présente ? » ; « où voter ? » ; « que faire de l’argent ?  (...)

16Les questions posées lors des simulations19 ont été autant d’actes d’initiation et de socialisation politique spécifique, dont les agents ont été les « mobilisateurs ». Ce réapprentissage du suffrage universel a permis de renouer avec les pratiques des origines à travers une pédagogie minutieuse pour prévenir les critiques de fichage et de fraude électorale interne de l’UMP. Cette exigence a eu d’autant plus d’échos auprès des adhérents qu’ils ont gardé à l’esprit le traumatisme du Congrès de Reims et des pratiques frauduleuses qui l’avaient marqué.

17Malgré cela, la volonté pédagogique de reproduire le modèle républicain a été contrariée par un certain nombre de résistances, nuançant ainsi le caractère fluide du processus. Des défaillances ont également été soulignées dans les conditions de réalisation du scrutin. Certains ont alors exprimé le décalage entre les logiques de reproduction du vote souhaitées et un processus d’apprentissage ou de relecture d’une technologie de mobilisation plus spécifique : « cela fait vingt ans que je suis président ou assesseur de bureau de vote, explique ainsi un militant volontaire pour tenir un bureau de vote des primaires, je sais comment cela marche » (réunion du 2 janvier 2011). Beaucoup de militants ont surtout critiqué le choix de la direction du Parti d’adopter un dispositif lourd et complexe à organiser et surtout particulièrement chronophage.

18On le voit donc : les débats internes ont surtout porté sur l’ingénierie du vote souhaité par le PS. La Préfecture de Meurthe-et-Moselle n’a pas été visée par les militants. Les résistances des municipalités UMP (comme refuser de donner une salle décente ou louer des locaux à prix prohibitif) n’ont pas constitué en l’espèce de freins à l’organisation du scrutin.

19Lors d’une réunion d’information sur les primaires organisée le 18 novembre 2010, à l’attention des responsables des quatre fédérations lorraines, des militants ont ainsi jugé le dispositif trop « technocratique » car « inventé par des experts extérieurs au parti » n’ayant « pas conscience de la réalité du terrain » et « des difficultés d’application des primaires ». Plusieurs responsables fédéraux ont également exprimé de nombreuses réserves quant aux exigences jugées excessives de la direction nationale, dénonçant parfois plus globalement les « grands élus » et « l’élite parisienne » qui réactiveraient à travers ce processus « la machine à perdre ».

20Ce qui s’est joué dans ces débats, fut moins le choix d’un mode de consultation électorale que la pertinence même du niveau d’intervention. Pour traduire en actes ces revendications de mise en œuvre d’une certaine forme de subsidiarité territoriale, la fédération de Meurthe-et-Moselle s’est alors livrée à un quadrillage territorial serré, dépassant, avec 122 bureaux, les objectifs fixés par la direction du PS. La plupart des communes concernées ont ainsi accepté de prêter ou de louer (9 communes ont facturé les locaux pour un total de 18 000 euros dont 15 000 euros uniquement pour les 10 bureaux de vote installés à Nancy) une salle municipale.

21L’implantation des bureaux de vote a cependant varié selon les communes et surtout selon les départements. De fait, l’inégalité entre les fédérations a constitué une variable territoriale qui a affecté l’organisation du scrutin et par voie de conséquence la participation électorale et l’orientation même du vote. En Moselle, département le plus vaste et le plus peuplé, le quadrillage a été moins serré (108 bureaux de vote) compte tenu de la présence militante. Alors qu’en Meurthe-et-Moselle, les premières réunions de la CDOP se sont tenues dès le mois de novembre 2010, la fédération socialiste de Moselle ne s’est véritablement engagée dans le travail de quadrillage territorial qu’en mai 2011. Ce décalage temporaire dans la construction du territoire électoral en Moselle, peut s’expliquer par la structure démographique de ce département, plus morcelée qu’en Meurthe-et-Moselle mais également par des raisons politiques. La fédération de la Moselle, faiblement structurée, s’est ainsi faite la porte-parole de ces mécontentements.

22Ces postures ont également renvoyé aux configurations politiques internes du Parti Socialiste. Derrière ces critiques de la complexité du processus, s’est en effet profilée une sorte de crainte de ne pas pouvoir parvenir à remplir le cahier des charges des primaires, accentué par un climat croisant émulation et rivalité entre fédérations. La fédération de Moselle, avait d’ailleurs refusé initialement le principe des primaires. Ainsi, l’organisation de ces dernières a, dans un premier temps, contribué à réactiver des logiques de rivalité et de territorialisation des clivages d’appareil, voire de surenchère distinctive sur un plan territorial, au niveau interdépartemental ou sub-départemental. Les fédérations de la Meuse ou des Vosges, très rurales, ont également exprimé des réserves importantes sur l’ampleur de la logistique nécessaire. Dans les Vosges, on n’a parfois trouvé qu’un bureau par canton, voire aucun, ce qui a entraîné des effets sur la participation, soulignant ainsi le rôle clé des élus souvent seuls à même de permettre le déroulement du scrutin, faute de présence partisane.

  • 20 Le responsable insiste sur la nécessité de former des binômes composés d’un militant et d’un sympa (...)

23Pour corriger ces effets locaux, un travail de création d’une « dynamique citoyenne autour des primaires » a alors été confié à des « mobilisateurs » désignés au sein de chaque section. Leur rôle, défini lors d’une réunion de formation des mobilisateurs en juin 2011, a été de recruter des éléments extérieurs au parti – souvent dans l’entourage des adhérents locaux – afin de leur confier des actions militantes classiques, comme du porte-à-porte20 voire des rôles plus importants au sein des différents bureaux de vote des primaires. Pour forcer la spontanéité de l’exercice, ce travail de mobilisation a fait l’objet d’une grande spécialisation en amont, par le biais de différentes méthodes expliquées aux militants présents lors de cette journée de formation (à base de graphiques, schémas, explications théoriques ou encore supports de diffusion…).

24La période initiale de mise en place logistique des primaires (novembre 2010-juillet 2011) n’a cependant pas permis de réelle dynamique citoyenne autour de ce dispositif. Pour preuve : le faible nombre de nouveaux sympathisants réellement investis dans l’organisation concrète des primaires. Seule une dizaine d’entre eux présideront ainsi des bureaux de vote en Meurthe-et-Moselle, malgré les consignes répétées de la direction nationale du PS encourageant l’externalisation de l’animation des bureaux de vote. Le plus souvent, il a été fait appel aux présidents de bureaux de vote habituels, notamment dans les bureaux de gauche.

25Cette faiblesse relative du recrutement extérieur tient à la fois à un phénomène d’institutionnalisme partisan – les présidents de bureaux de vote, souvent dotés d’un savoir-faire militant, ont été proposés par les sections – et à la difficulté de trouver des volontaires non partisans disponibles ou motivés toute la journée - les petites communes ont pu constituer une exception. De plus, la phase de préparation n’a pas fait l’objet d’une exposition médiatique maximum et est restée brouillée par des événements parallèles (comme par exemple la défection de Dominique Strauss-Kahn). En outre, si la volonté d’ouverture par l’élargissement du corps électoral aux mineurs âgés de 16 à 18 ans et aux étrangers (membres du PS ou du MJS) a pu paraître pertinente dans l’optique d’un élargissement des ressources militantes, la limitation de cette extension aux seuls adhérents en a considérablement restreint la portée.

  • 21 Lefebvre R., op. cit.

26Enfin, cette institutionnalisation du dispositif a, dans les faits, favorisé les militants disposant déjà, par leurs pratiques, d’un réservoir d’apprentissage et d’un potentiel de mobilisation locale. Au final, ils sont apparus comme mieux armés pour assumer l’organisation du scrutin en raison des ressources nécessaires à la bonne marche des primaires, que les autres acteurs potentiels (simples citoyens ou sympathisants). Alors que les primaires devaient signer « la fin du parti militant21 », l’ensemble de l’organisation du scrutin a donc surtout reposé sur les adhérents socialistes et leur cercle proche.

Une réappropriation partisane ponctuelle et nuancée des primaires

27Si l’organisation des primaires a été présentée comme un instrument au service de l’ouverture de la compétition électorale socialiste, elle a également offert de nouveaux espaces à l’expression des luttes intra-partisanes et des clivages d’appareil. De fait, l’application des primaires a permis à la fois un renouvellement et une hybridation territoriale de la sélection du candidat.

  • 22 Fourquet J., Elections primaires à Marseille : entre logiques de fiefs et fracture Nord/Sud, note (...)

28Ce dispositif a ainsi mis au jour des processus de territorialisation et de notabilisation partisane de la compétition. La campagne des primaires a même pu contribuer à cristalliser certaines rivalités intra-partisanes ainsi qu’à la mise en œuvre d’intenses stratégies concurrentielles d’alliances. En ce sens, la procédure des primaires a pu consolider des empreintes territoriales alors même qu’il s’agissait de désigner un candidat à l’élection présidentielle, le scrutin national par essence, et non un candidat à une élection locale22.

29En Lorraine, le contexte de la préparation des primaires a été fortement marqué par une rivalité entre les fédérations de Meurthe-et-Moselle et de Moselle. Cette dernière, longtemps dirigée par le sénateur Jean-Marc Todeschini, proche de François Hollande, s’était démarquée de sa voisine par son soutien à la candidature de Ségolène Royal aux primaires de 2006 et surtout par son vote négatif à la convention pour la rénovation du Parti (portant le principe de l’organisation des primaires ouvertes) en 2010. Un important clivage a ainsi existé avec la fédération meurthe-et-mosellane, majoritairement aubryiste depuis 2008 et dirigée par Mathieu Klein.

  • 23 Entretien avec J.-M. Todeschini, 21 juin 2011.

30Cette rivalité territoriale a été réactivée par la période des primaires comme en ont attesté par exemple les luttes d’influence qui se sont exercées entre les deux fédérations afin d’obtenir le ralliement du maire de la ville de Metz, Dominique Gros, qui rejoindra finalement François Hollande. L’organisation locale des primaires a ainsi contribué à créer des tensions entre des logiques de démocratisation de la procédure de sélection du candidat et de maintien de stratégies concurrentielles internes appuyées sur les réseaux classiques des responsables locaux. Cette ambiguïté s’est notamment exprimée par le Premier fédéral mosellan, Jean-Marc Todeschini qui, tout en insistant sur « la différence fondamentale et nécessaire entre logique d’une primaire ouverte et logique d’un congrès23 », pour valoriser la légitimité militante, a largement mobilisé l’ensemble de ses ressources et réseaux pour assurer un soutien majoritaire à François Hollande au sein de sa fédération.

  • 24 Juhem Ph., « La production notabiliaire du militantisme au Parti socialiste », Revue française de s (...)

31On le sait : les positionnements lors des Congrès montrent que les grands élus se rallient le plus souvent aux motions dominantes, voire majoritaires, plutôt qu’aux outsiders, et que les élus locaux ont également une capacité de domestication des adhérents de leur section24. Cette logique s’est vérifiée pour les primaires : le secrétaire fédéral de Moselle et sénateur Todeschini, comme la plupart des grands élus mosellans mais aussi le député Hervé Féron en Meurthe-et-Moselle, pourtant un des soutiens de la motion D (Aubry) au congrès de 2008, ont ainsi rallié François Hollande, notamment en pensant qu’il soutiendrait leur refus de l’interdiction du cumul des mandats.

32En définitive, le dispositif de primaires ouvertes est marqué par une ambiguïté fondamentale, créée par la confrontation entre la démocratie militante et la démocratie externe. Les tentatives de réappropriation partisane, la réinscription des clivages internes et des logiques de lourdes rivalités territoriales suggèrent ainsi une volonté partisane de garder la maîtrise du processus. Dans le même temps, la légitimité militante classique a été remise en question par l’irruption sur la scène partisane d’un nouvel acteur, traditionnellement exclu des mécanismes de sélection des candidats : le citoyen-sympathisant. Dans les faits, ces deux logiques ont coexisté en parallèle, même si l’étude des résultats territorialisés des élections primaires peuvent toutefois tendre à valider la prédominance des logiques d’appartenance collective sur le principe « un homme, une voix » et donc du poids des logiques de positionnement partisan, voire de courants, au niveau local, au-delà du seul vote sympathisant.

Les facteurs locaux d’un scrutin national territorialisé Un comportement électoral sous influences des acteurs partisans et des élus locaux

33Si l’élection des primaires fut nationale, les résultats des votes dans les départements Lorrains ont révélé un positionnement électoral marqué par des considérations locales, en fonction de la position des élus locaux et de la majorité des motions de congrès dans la section.

Une territorialisation différenciée selon les départements Échelles d’analyse et comparaison interdépartementale

  • 25 Nous mettons l’accent sur l’influence des élus et acteurs partisans, indépendamment des spécificité (...)

34L’analyse des résultats des primaires – qu’on limitera aux deux premiers candidats (François Hollande et Martine Aubry) – permet ainsi de relever l’influence de logiques partisanes, et plus encore le rôle des élus dans la capacité à relayer et conforter localement les luttes de position25. En ce sens, s’est manifesté un phénomène d’externalisation de la compétition interne domestique, de territorialisation de la compétition nationale à travers l’influence exercée par des élus locaux socialistes.

  • 26 Le Gall G., « Les primaires “citoyennes” : la démocratisation de la vie politique en marche », Rev (...)

35De fait, les résistances démographiques et territoriales à une nationalisation du scrutin constituent des traces singulières des primaires dans les différents niveaux départementaux. Ainsi, la dispersion des bureaux votes a été un indicateur fort d’une reformulation inaboutie du territoire électoral. En Moselle, mais surtout dans les Vosges, les sympathisants ont moins voté car, du fait d’une organisation territoriale dissuasive du scrutin, l’offre des bureaux de vote s’est limitée à un par canton. D’une façon générale, la Lorraine a été une des régions où la participation fut la plus faible en France26 – à l’exception de la Meurthe-et-Moselle et des deux grandes villes lorraines, Nancy et Metz, (respectivement 8,1 % et 5,5 % au second tour).

36Comme pour les élections républicaines, les électeurs ont peu voté dans les quartiers populaires de Nancy. Le scrutin y a été a fortiori encore plus dissuasif que pour des élections classiques, du fait d’une socialisation politique plus faible qu’ailleurs, notamment pour un vote d’investiture partisan, et d’une sociologie électorale correspondant peu à celle de la population partisane de Nancy. En Meurthe-et Moselle, les tendances ont été à peu près les mêmes qu’au niveau national, même si Martine Aubry, comme François Hollande ont obtenu de meilleurs scores.

37La Moselle et la Meurthe-et-Moselle ont ainsi abordé le scrutin dans un contexte politique différent. La fédération de Moselle est d’abord assez homogène et plus centralisée que celle de Meurthe-et-Moselle (49 sections contre 45 en Meurthe-et-Moselle). Elle comptait 1 600 adhérents à l’époque de l’organisation des primaires pour un millier en Meurthe-et-Moselle. Contrôlée alors efficacement par son secrétaire fédéral et sénateur, J.-M. Todeschini, la fédération de Moselle a largement soutenu Ségolène Royal lors du congrès de 2008 (47,1 %), puis François Hollande, à l’initiative du Premier fédéral, de l’ensemble des parlementaires socialistes de Moselle, du président de la région, et ancien sénateur Jean-Pierre Masseret, du maire de Metz et de la majorité de son équipe municipale. Par comparaison, en 2008, la motion Aubry était arrivée en tête avec 41 % en Meurthe et Moselle. La configuration a été plus nuancée en Meurthe-et Moselle : deux députés et un sénateur ont soutenu François Hollande, un député a choisi Martine Aubry, comme, au niveau des élus locaux, la majorité des conseillers généraux, dont le président Michel Dinet, aujourd’hui décédé. Sur les 10 conseillers régionaux de Meurthe-et-Moselle, 4 ont soutenu explicitement Martine Aubry. Les élus socialistes de la communauté urbaine du grand Nancy étaient en revanche majoritairement en faveur de François Hollande.

38La comparaison des résultats reflète ce différentiel d’allégeances entre les deux départements. Au premier tour, François Hollande a été largement en tête en Moselle, dans 90 % des 108 bureaux de vote. La tendance fut plus nuancée en Meurthe-et-Moselle : Martine Aubry n’a obtenu la majorité absolue que dans 4 bureaux de votes et des scores supérieurs à Hollande que dans 21 bureaux. Elle a obtenu des résultats très faibles dans les fiefs des grands élus qui se sont positionnés pour François Hollande. L’implantation d’Arnaud Montebourg a été mieux assurée dans des zones urbaines intermédiaires, et plutôt dans les zones de faiblesse de Martine Aubry (sauf dans la métropole de Nancy). Au Second tour, en Moselle, la domination de François Hollande s’est amplifiée dans 102 des 108 bureaux et dans la ville de Metz (55,6 %), malgré la présence de nombreux soutiens à Martine Aubry dans la majorité municipale. Elle résiste d’ailleurs mieux dans cette ville qu’ailleurs en Moselle. En Meurthe-et-Moselle, le second tour a révélé une implantation territoriale différenciée des deux candidats. François Hollande a ainsi atteint la majorité absolue dans 74,7 % des villes contre 25,3 % pour Martine Aubry dont le vote s’est concentré dans les cantons de Nancy. Ce phénomène a pu attester du poids de Mathieu Klein, Premier fédéral, conseiller général, qui faisait ainsi de ces résultats un élément dans sa stratégie de conquête de la Mairie de Nancy.

Enjeux partisans locaux, position des élus et démographie

  • 27 À propos de la primaire fermée du PS de 2006, voir Dolez B., Laurent A., « Une primaire à la franç (...)
  • 28 Le Bart C., Lefebvre R., op. cit.

39La trace des primaires dépend donc de l’influence des élus et du parti au niveau local, tant en ce qui a concerné la participation que l’orientation du vote. Elle a été aussi fonction d’indicateurs démographiques et politiques locaux et d’implantation partisane (nombre d’adhérents, vote au congrès précédent, implantation électorale notabiliaire, taille de la commune)27. La proximité de l’engagement, comme ressource stratégique et communicationnelle, enjeu de légitimité28 territorialisée, peut enfin compléter la valeur ajoutée d’une procédure globale qui s’est traduite dans les comportements électoraux locaux.

L’influence des élus

  • 29 Juhem Ph., 2006, op. cit.

40Si, selon Philippe Juhem29, le contrôle de l’institution municipale induit l’investissement militant et non l’inverse, on pourrait alors faire l’hypothèse, appliquée aux élections primaires, que le contrôle institutionnel par les élus peut générer une mobilisation des sympathisants, des logiques de territoires liées au soutien d’élus à un candidat aux primaires révélant ainsi un phénomène de municipalisation ou de cantonalisation des résultats.

  • 30 Cantons de Nancy, notamment Nancy Nord (Klein), de Malzeville, Vandœuvre, Colombey les belles (M. (...)
  • 31 Tomblaine, Longwy, Chamblais, Pompey, Vandœuvre, Luneville Nord.

41Du côté municipal, Martine Aubry a en effet obtenu ses meilleurs scores à Nancy, dirigée par la droite, mais fortement investie par Mathieu Klein, aubryiste, et prétendant à la succession du maire, et dans les communes dont les élus ont publiquement soutenu Martine Aubry, (Colombey-les-Belles, fief du président du conseil général Michel Dinet, président du comité de soutien Aubry ou Trieux, ville du député-maire Christian Eckert). Inversement, François Hollande a obtenu de bons scores dans des communes (Villers-les-Nancy, Essey, Toul et Vandœuvre) dont les maires étaient officiellement « hollandais ». Le même phénomène s’est manifesté dans les cantons. Les cantons correspondant aux zones de force de Martine Aubry sont ceux des élus aubryistes30 et inversement31. Il en a été de même dans les zones d’implantation de certains conseillers régionaux (Laurence Demonet, Christophe Choserot et Jean-Yves Le Déaut par exemple). L’influence des parlementaires soutenant les candidats respectifs des primaires a semblé également forte dans leur circonscription. Deux des trois députés socialistes du département et un sénateur ont ainsi soutenu François Hollande, qui a obtenu, dans leur circonscription, au premier tour, un score très au-dessus de sa moyenne départementale. On peut ainsi faire l’hypothèse d’une superposition de modes de légitimation partisans et électifs en faveur de certains candidats, bénéficiant d’un cumul de soutiens territoriaux. Dans la circonscription d’Hervé Féron, député-maire de Tomblaine, les maires d’Essey et de Vandœuvre ont appelé, comme le député, à voter pour François Hollande.

42Le succès d’un candidat aux primaires appuyé par un élu dans un espace donné d’agrégation électorale peut donc constituer un enjeu pour de futures échéances électorales. La compétition autour des investitures pour les élections législative de 2012 a pu être retraduite implicitement à l’aune des résultats des primaires. Les candidats potentiels à l’investiture étaient identifiés au travers du soutien à l’un des candidats des primaires. Sous couvert de débat sur la parité, le renouvellement des élites partisanes ou de négociation avec les verts, (une circonscription devait ainsi revenir à une femme EELV) le rapport de forces des primaires a été un enjeu implicite, comme l’a montré la pression des soutiens à François Hollande après sa victoire au niveau du département. Les aubryistes derrière le candidat Dominique Potier, les hollandistes, derrière Jean-Yves Le Déaut, en quête d’un septième mandat, se sont ainsi concurrencés, au secrétariat fédéral, pour l’investiture. À travers ce rapport de forces, s’est in fine joué le soutien de la fédération PS de Meurthe-et-Moselle au Premier fédéral qui a soutenu Martine Aubry. En outre, le succès de Martine Aubry dans les cantons de Nancy – 50,1 contre 44, 9 au niveau départemental et 43,4 au national – soutenus par les proches de Mathieu Klein a constitué une ressource pour ce dernier dans sa stratégie de conquête de la Mairie de Nancy. Localement, l’identification respective des soutiens d’élus s’est manifestée dans la formation de comités de soutien qui ont organisé la compétition, celui de François Hollande était présidé par le député Jean-Yves Le Déaut, celui de Martine Aubry par Michel Dinet, président du conseil général

Présence militante et participation.

43L’espace d’une élection mixte, ni tout à fait militante, ni tout à fait « républicaine », peut-elle cependant coïncider avec celui d’une implantation militante ? On pourrait ainsi proposer l’hypothèse selon laquelle, plus le parti est présent, en nombre d’adhérents, plus les sympathisants socialistes participent aux primaires. La participation semble plus élevée dans des lieux où le parti est déjà implanté, ce qui confirme que la mobilisation des primaires citoyennes fut d’abord partisane et militante dans les territoires considérés dans cet article. Dans le dernier quartile de la participation électorale du 1er tour (plus de 6,28 %), des bureaux de votes des primaires, on retrouve ainsi la grande majorité (70 %) des sections les plus nombreuses (plus de 25 adhérents). Inversement, dans les cantons où l’on a le moins voté (moins de 3,85 %), beaucoup de communes n’avaient pas de ressources partisanes ou peu de militants. La participation a été de 4,64 %, dans les cantons sans section alors qu’elle a été de 6,89 % dans ceux qui comptent 39 adhérents et plus. Plus généralement la participation aux primaires citoyennes de 2011 a crû avec le nombre d’adhérents, surtout en présence d’élus socialistes.

Vote primaire au 1er tour en fonction de la taille des communes

  • 32 1er quartile, moins de 1282 habitants : taux de participation moyen : 4,98 % ; 4e quartile plus de (...)

44À l’inverse des tendances exprimées lors des élections républicaines, le taux de participation a augmenté progressivement en fonction de la taille des communes. La participation a été ainsi plus importante dans les zones urbaines, comme dans tous les cantons du Grand Nancy (plus de 6,25 %) alors qu’elle fut faible dans les communes les moins peuplées32.

45L’implantation nationale des candidats suggère que François Hollande était plutôt soutenu par un électorat des villes moyennes, Martine Aubry bénéficiant davantage des votes des grands centres urbains. C’est vrai aussi en Meurthe-et-Moselle, même si quatre des 5 communes les plus nombreuses de Meurthe-et Moselle ont voté majoritairement pour François Hollande au second tour, Nancy dont l’électorat de gauche est acquis à Mathieu Klein, proche de Martine Aubry, faisant exception. François Hollande a obtenu ses moins bons scores (1er quartile, moins de 37 %) dans la catégorie de communes dont la moyenne d’habitants est la plus élevée : 7954 habitants. Inversement, Martine Aubry a été plus populaire dans la catégorie des communes assez peuplées, ayant en moyenne 8 500 habitants, mais aussi dans de petites communes dont l’élu notable a été un soutien explicite, comme à Vannes-le-Chatel, ville de l’ancien président du conseil général, et président du comité de soutien départemental.

Vote et couleur politique du canton

46De fait, 9 des 10 cantons où la participation a été la plus élevée au premier tour, étaient tenus par un conseiller général socialiste. Inversement, 8 des 10 cantons à faible participation, plutôt situés à la périphérie (Badonviller) ou au Nord du département, n’étaient pas socialistes (5 divers droite, 1 communiste, 2 divers gauche). Dans les cantons communistes, tous dans le Nord du département, le vote au 1er tour était plus « Hollandais » que la moyenne et que dans les cantons socialistes (44,23/40,53). Ici, la rivalité vive PS-PC, a pu entraîner une certaine distance avec Martine Aubry, alors identifiée au leadership du parti. La proximité géographique avec la Moselle « hollandiste » et une influence par capillarité pourrait être une autre explication.

47On le voit : l’élection primaire a pu être reterritorialisée selon des logiques partisanes locales. Les résultats en ont reflété la trace au sein de territoires hybrides porteurs des enjeux localisés de clivages nationaux.

  • 33 Radaelli C., « Logiques de pouvoir et récits dans les politiques publiques de l’Union européenne » (...)

48Si l’organisation et la mise en œuvre des primaires a su mobiliser un récit33 sur l’évolution du militantisme et la rénovation partisane, la trace effective des primaires sur le fonctionnement réel des fédérations socialistes doit cependant être nuancée. L’exercice des primaires, au-delà de sa dimension proprement politique et symbolique a de fait permis d’instaurer un nouveau mode de gouvernement de la fédération de Meurthe-et-Moselle décliné localement, sous forme d’une professionnalisation accrue de l’organisation partisane. Les primaires ont également permis d’instaurer un nouveau rapport aux territoires, aux adversaires et aux institutions en imposant à leurs organisateurs une approche négociée, voire « concordataire » avec les élus de droite et la préfecture. À court terme, les primaires ont enfin été un moment fort de socialisation et d’apprentissage de l’implication dans la campagne pour la présidentielle.

49On le voit : l’organisation des primaires a pu contribuer à renforcer la rationalisation des pratiques et l’évaluation du militantisme, l’expérience des primaires devenant même un référentiel, pour inspirer les futures opérations électorales.

50L’influence des primaires s’est ainsi manifestée lors de la campagne pour la présidentielle avec notamment une identification des zones à traiter prioritairement lors de porte-à-porte.

51De même, la rénovation partisane s’est institutionnalisée et routinisée au fil des réformes à prétention participative et des défaites électorales. Ainsi, après le congrès de Toulouse, un Secrétariat fédéral à la rénovation a été mis en place dans la fédération de Meurthe-et-Moselle, explicitement dans la lignée de l’expérience rénovatrice des primaires. De même, les instances fédérales se sont ouvertes aux simples adhérents (bureaux élargis de section et dans certaines instances fédérales), voire aux sympathisants (au sein notamment d’un laboratoire fédéral). Selon un responsable fédéral, « les primaires ont changé la façon de faire cérébralement. On a décidé d’être plus ouvert ».

52La mobilisation de 2011 n’a cependant pas su véritablement générer la constitution d’un vivier de nouveaux militants. Ainsi, l’augmentation du nombre d’adhérents a été relativement modeste, compte tenu notamment du fait que traditionnellement en période préélectorale les effectifs tendent à augmenter, et qu’il est difficile d’identifier la variable la plus pertinente : popularité des primaires ou soutien à la candidature de François Hollande.

53Une partie de l’explication vient peut-être de l’instrumentation technique de l’exercice. Les instances centrales du parti ont ainsi souhaité fortement codifier et standardiser les procédures. Les instruments électoraux utilisés à cette occasion ont alors été conçus pour éviter une trop forte (re)localisation de l’usage des fichiers de sympathisants. Les données étaient directement et simultanément transférées à Solferino, la trace écrite étant conservée par huissier. « Au-delà, explique le responsable du CDOP 54, le national avait posé la question aux personnes pour savoir si elles souhaitaient ou non être recontactées. À partir de là, on n’avait plus du tout la main sur le fichier. »

54Ce double filtrage de l’accès aux listes de sympathisants – anonymisation par le national et exploitation limitée le temps – a pu ainsi expliquer que les listes de sympathisants aient littéralement fondu. En outre, le logiciel permettant d’envoyer la documentation aux sympathisants qui avaient accepté d’être contactés, a été relativement peu utilisé. Enfin, l’activisme des sympathisants a semblé rapidement s’émousser après l’élection présidentielle, les retours sur la participation sympathisante à la fédération se faisant beaucoup plus rares. L’expérience des primaires semble donc davantage la conséquence d’une tendance lourde à la mutation du militant en simple adhérent et de l’adhérent en sympathisant que le point de départ d’une nouvelle forme de militantisme.

  • 34 « Les primaires : une voie de modernisation pour la démocratie française. De l’expérience socialis (...)

55La trace des primaires semble alors devoir être à nuancer quant à la rupture qu’elles ont pu constituer sur le plan de l’évolution des pratiques militantes. Même si le département de Meurthe-et-Moselle n’a pas été qu’un réceptacle technique ou un simple espace d’agrégation de voix d’une compétition nationale, l’exercice électoral a pu sembler légitimer restrictivement la dimension mobilisatrice du militantisme, comme si était acté le fait que les militants étaient d’abord « des agents de coordination de la vie politique34 ». Comme le souligne l’impossible organisation d’une primaire des « gauches et des écologistes », les primaires demeurent toujours, quatre ans après leur organisation, en quête de légitimation et d’institutionnalisation.

Anmerkungen

1 Mathieu L., « L’espace des mouvements sociaux », Politix, no 77, 2007, p. 131-151.

2 Kaase M., « Is There Personalization in Politics? Candidates and Voting Behavior in Germany International », Political Science Review July, 1994, vol. 15, no 3, p. 211-230; Scarrow S., « Implementing Intra-Party Democracy » in Political Parties and Democracy in Theoretical and Practical Perspectives, Washington, NDIIA 2005; Scarrow S., Beyond Party members, Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 69; Van Biezen I., Mair P. et Poguntke T., « Going, going,… gone? The Decline of Party Membership in Contemporary Europe », European Journal of Political Research, vol. 51, no 1, 2012, p. 24-56.

3 Cross W., Blais A., « Who Selects the Party Leader? », Party Politics, January 26, 2011.

4 Les primaires n’ont pas été prévues par la loi comme aux États-Unis où les partis n’ont pas de contrôle direct sur la procédure. Pennings P. et Hazan R. Y., « Democratizing Candidate Selection: Causes and Consequences », Party Politics, 2001, vol. 7, p. 267-275.

5 Le terrain porte sur la Lorraine et plus particulièrement sur la Meurthe-et-Moselle, lieu de manifestation d’une trace spécifique. Le matériau est basé sur l’observation directe, au sein des instances fédérales de la fédération de Meurthe-et-Moselle, notamment au sein du CDOP, ainsi que sur des entretiens auprès des organisateurs et sympathisants des primaires dans le département de Meurthe-et-Moselle. En marge, la focale a parfois été élargie à l’espace plus grand de la Lorraine, notamment en Moselle et dans les Vosges.

6 Ion J., La Fin des militants ?, Paris, Les Éditions de l’atelier/Éd. Ouvrières, 1997, 123 p.

7 Lefebvre R. « Le militantisme socialiste n’est plus ce qu’il n’a jamais été », Politix, no 102, 2013.

8 Gaxie D., « Économie des partis et rétributions du militantisme », Revue française de science politique, vol. 27, no 1, 1977, p. 123.

9 Birck J.-N., Olivier L., « La territorialisation de la primaire socialiste. Transposition et usages locaux d’un dispositif de compétition partisane nationale. Le cas de la Lorraine », Congrès de la société québécoise de science politique, université d’Ottawa, Canada, 23 au 25 mai 2012

10 Serres A., « Quelle(s) problématique(s) de la trace ? », séminaire du CERCOR, 13 décembre 2002.

11 Qu’il s’agisse de trace écrite, matérielle, ou affective exprimée par la représentation des acteurs, à travers un rapport entre mémoire et imagination. Ricœur P., La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2000. p. 8-18.

12 Ginzburg C., « Traces. Racines d’un paradigme indiciaire », Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989, p. 139-180.

13 Théviot A., « Participer au-delà de sa section. Processus de déterritorialisation du militantisme au sein de la Coopol », communication à la seconde journée doctorale sur la participation du public et la démocratie participative, École des hautes études en sciences sociales de Paris, 18 octobre 2011.

14 Faure A., Négrier E., Les Politiques publiques à l’épreuve de l’action locale : Critiques de la territorialisation, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 302.

15 Le Bart C., Lefebvre R. (dir.), La Proximité en politique – Usages, rhétoriques, pratiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.

16 Janda K., « Adopting party law », in Political Parties and democracy in Theoretical and Practical Perspectives, Washington, NDIIA, 2005.

17 Les valeurs directement identifiées au mode de scrutin et explicitement valorisées sont « l’exemplarité démocratique », une « dynamique électorale et militante », un « processus ouvert ».

18 Hastings M., Halluin la rouge, 1919-1939. Aspects d’un communisme identitaire, Lille, PUL, 1991, p. 438 ; Retiere J.-N., « La sociabilité communautaire, sanctuaire de l’identité communiste à Lanester », Politix, no 13, 1991, p. 87-93.

19 Les questions fréquentes sont : « qui se présente ? » ; « où voter ? » ; « que faire de l’argent ? », « doit-on encourager les gens à laisser leurs coordonnées ? » ; « que faire si un sympathisant UMP, si un étranger, un mineur veut voter sans être membre du parti ? » ; « pourquoi est-ce payant ? », « pourquoi les adhérents doivent-ils payer ? » ; « comment va être réparti l’argent récolté ? ».

20 Le responsable insiste sur la nécessité de former des binômes composés d’un militant et d’un sympathisant.

21 Lefebvre R., op. cit.

22 Fourquet J., Elections primaires à Marseille : entre logiques de fiefs et fracture Nord/Sud, note 197, Fondation Jean-Jaurès, 4 novembre 2013, page 5.

23 Entretien avec J.-M. Todeschini, 21 juin 2011.

24 Juhem Ph., « La production notabiliaire du militantisme au Parti socialiste », Revue française de science politique, vol. 56, no 6, 2006, p. 909-941.

25 Nous mettons l’accent sur l’influence des élus et acteurs partisans, indépendamment des spécificités sociodémographiques de l’électorat, bien étudiées par J. Audemard et D. Gouard, dans un autre contexte territorial, Audemard J., Gouard D., « Les primaires citoyennes d’octobre 2011. Entre logique censitaire et influences », Revue française de science politique, vol. 64, no 5, 2014, p. 955.

26 Le Gall G., « Les primaires “citoyennes” : la démocratisation de la vie politique en marche », Revue politique et parlementaire, juillet 2011, p. 35.

27 À propos de la primaire fermée du PS de 2006, voir Dolez B., Laurent A., « Une primaire à la française. La désignation de Ségolène Royal par le parti socialiste », Revue française de science politique, vol. 57, no 2, 2007, p. 133-161.

28 Le Bart C., Lefebvre R., op. cit.

29 Juhem Ph., 2006, op. cit.

30 Cantons de Nancy, notamment Nancy Nord (Klein), de Malzeville, Vandœuvre, Colombey les belles (M. Dinet), Domèvre en Haye, Thiaucourt (O. Jacquin), Toul-sud (A. Armand).

31 Tomblaine, Longwy, Chamblais, Pompey, Vandœuvre, Luneville Nord.

32 1er quartile, moins de 1282 habitants : taux de participation moyen : 4,98 % ; 4e quartile plus de 6 832 habitants : 6,43 %.

33 Radaelli C., « Logiques de pouvoir et récits dans les politiques publiques de l’Union européenne », Revue française de science politique, vol. 50, no 2, 2000, p. 255-275.

34 « Les primaires : une voie de modernisation pour la démocratie française. De l’expérience socialiste au renouveau citoyen », rapport présenté par la Fondation Terra Nova, 21 novembre 2011.

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Autor

Maitre de conférences de science politique à l’université de Lorraine (IRENEE). Ses travaux portent sur la sociologie des partis politiques, notamment les nouveaux processus de légitimation partisans, en particulier les primaires. Il a publié : « Gouverner dans un parti par les instruments : quelles procédures de démocratie ou de participation interne dans la SFIO sous la IVe République, le cas de la fédération du Nord », in François Audigier, David Colon, Frédéric Fogacci (dir.), Les Partis politiques Nouveaux regards. Une contribution au renouvellement de l’histoire politique, collection « France contemporaine », Bruxelles, 2012.

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