7. Les sympathisants de gauche dans les primaires
Une nouvelle offre de militance entre cible de conquête de suffrages et levier de mobilisation électorale
p. 181-211
Texte intégral
« Le choix des primaires reflète une évolution en profondeur et sans doute inéluctable de la vie politique nationale : la fin du militant. […] Dans le modèle traditionnel, il y a le militant, un être qui se définit avant tout par son appartenance à l’organisation et qui fait clairement la différence entre ceux du dedans et ceux du dehors, qui n’ont pour toute ressource politique que leur bulletin de vote […] Le militant est partie prenante de ce clivage symbolique entre l’extérieur et l’intérieur, entre sa “famille” politique et les autres, toujours suspects d’être imperméables aux vrais enjeux, un brin désinvoltes, voire superficiels. Il faut les convaincre, mais aussi s’en défier […] Or aujourd’hui une autre figure s’impose, sans doute la figure phare de notre anthropologie politique, celle du sympathisant […] Qu’est-ce au fait que le sympathisant ? Une espèce particulière et, comme son nom le suggère, a priori plus ouverte, moins bornée que le militant. Le sympathisant se meut dans la sphère fluide et accueillante de la démocratie. Il ne s’agglutine pas à la masse, sinon il deviendrait un militant esclave du collectif. Non, le sympathisant demeure avant tout un individu soucieux de ses droits, avide d’informations, pratiquant d’Internet, aussi enclin à se mouvoir dans les réseaux sociaux que rétif aux contraintes des organisations. Le sympathisant est convivial, il partage les valeurs de ses amis électifs. Grâce aux sympathisants la politique serait en voie de redevenir… empathique1. »
1Le chiffre a surpris tous les spécialistes électoraux, même les plus avertis : 2 860 000 personnes se sont physiquement déplacées pour choisir celle ou celui qui allait porter leur couleur aux élections présidentielles de 2012, soit quatorze fois le nombre d’adhérents du PS. En décidant d’organiser des « primaires ouvertes et citoyennes », le PS n’a ainsi pas seulement renouvelé en profondeur la règle du jeu des procédures d’investiture, ses modes de production du leadership présidentiel et par là même l’économie de la compétition interne. En accordant un droit nouveau à l’ensemble des « sympathisants de gauche », il a également délibérément contrevenu à son identité organisationnelle2 par la mobilisation d’un corps électoral élargi au-delà de ses seuls adhérents. Alors que la figure du militant a longtemps été omniprésente dans l’imaginaire socialiste, la primaire – en objectivant son expression électorale – a produit une nouvelle figure politique : la figure « post-moderne » du sympathisant.
2Cette remise en cause du fonctionnement délégataire qui prévalait jusqu’alors au PS marque une rupture. Traditionnellement fondée sur la souveraineté de ses membres, la démocratie partisane socialiste change ainsi de modèle, au moins pour la désignation du candidat à l’élection présidentielle. Les primaires socialistes de 2011 ont fait sauter le verrou de l’engagement qui avait été maintenu en 2006, malgré l’ouverture du parti aux adhérents dits à « 20 euros ». Cette évolution s’inscrit dans une transformation plus large : la figure du militant « distancié » et « ponctuel » est devenue la représentation légitime de l’engagement. Si les adhérents socialistes ont perdu le privilège exclusif de la participation politique et le monopole de l’investiture, c’est que le « parti de militants3 », mythe organisationnel et fiction nécessaire d’une formation politique issue du mouvement ouvrier, a cessé d’être l’horizon dominant. Ne serait-ce qu’au niveau des représentations de l’engagement militant : « le PS n’est plus ce qu’il n’a jamais été4. » Si cette présentation d’un nouveau sens commun du militantisme partisan – majoritaire aussi bien au sein qu’en dehors du PS – a su nourrir avec habileté la chronique du succès de la consultation ouverte par le PS5, elle ne correspond cependant que partiellement au changement intervenu en 2011 et au-delà. Les mutations à l’œuvre ne sont pas propres au PS. Elles sont de fait ambivalentes et s’inscrivent dans des temporalités longues et complexes. Surtout, le sympathisant demeure une figure évanescente et dans une large mesure contextuelle.
3Premièrement, l’aggiornamento vanté par les promoteurs des primaires s’inscrit dans un processus de dévaluation des ressources militantes ancien. À partir des années 1990 et surtout depuis les défaites successives de 1993, 1995, 2002 et de 2007, des débats récurrents ont ainsi vu le jour sur la nécessité d’une rénovation profonde des pratiques militantes, voire d’un dépassement de la forme même du parti. Des projets de « statut » du sympathisant sont discutés. À l’heure d’internet et de la télévision, la main-d’œuvre militante est clairement ciblée comme dispensable, l’adhésion pouvant désormais aller de pair avec un faible investissement militant6. Mieux : le PS comme l’ensemble des partis a même pu se demander s’il pouvait faire l’économie de ses militants7. À la fois réponse et contribution à la « mise en crise » du modèle militant traditionnel, les primaires socialistes de 2001 n’ont fait alors qu’entériner un déplacement des frontières de l’affrontement politique déjà fortement engagé en 2006, brouillant ainsi officiellement les limites du dehors et du dedans du parti.
4Deuxièmement, le PS en organisant des primaires ne fait pas figure d’exception. La dévalorisation du militant partisan trop souvent perçu comme « embrigadé » et des partis dans leur ensemble ont conduit depuis de nombreuses années à la consécration de nouvelles formes dites « post-modernes » de partis, à la fois plus souples et plus perméables à la société. Le modèle du multi-speed party forgé par Susan Scarrow est emblématique de cette tendance. La forme dominante du parti de militants céderait la place, selon elle, à un nouveau type d’organisation offrant une palette d’affiliations multiples à ses soutiens pour affermir sa légitimité8. Le militantisme n’est plus l’unique offre d’engagement des partis. Nouvelles formes d’affiliations et adhésions plus classiques coexisteraient et seraient modulées au gré des contextes et des échéances (notamment électorales) auxquels les partis sont confrontés. Le développement des primaires ouvertes consacrerait ce nouveau type de parti9. Le parti étant jugé comme une forme politique dépassée, les organisations sont enjointes de repenser en profondeur leur rapport au système politique et à leur environnement. La tentation est grande pour les « partis électoraux professionnels » selon la formule d’Angelo Panebianco de resserrer leurs liens avec les sympathisants pour accroître leurs performances et leur réceptivité sociale au risque cependant d’affaiblir encore le rôle même des militants encartés10.
5Troisièmement, en influant sur le rôle et le statut des militants socialistes, les primaires redéfinissent les formes mêmes de leur engagement et par ricochet les préoccupations normatives que l’on peut porter à la mise en avant de la figure du sympathisant. De fait, cette figure de sympathisant est toujours un impensé de la sociologie française des partis politiques et on peut se demander si elle a un intérêt heuristique à en stabiliser une définition théorique et empirique. La figure du sympathisant (son rôle, son identité et ses contours) reste difficile à cerner dans la culture partisane française et l’analyse des partis. Peu investie empiriquement, elle reste fuyante et relativement indéterminée alors qu’a contrario, elle est centrale aux États-Unis11. Génériquement, le sympathisant est celui qui a une préférence affichée ou revendiquée pour un parti politique, sans être formellement encarté. La distinction canonique de Maurice Duverger12 est ainsi régulièrement mobilisée. Il existerait un continuum électeurs, sympathisants, adhérents et militants. On le sait, dans les partis de cadres, où la qualité des adhésions prévaut sur la quantité, « la notion de militant se confond avec celle de membre du parti » alors que dans les partis de masse, le militant est fortement valorisé comme « adhérent actif ». Dans le parti de masses, les militants forment « le noyau de chaque groupe de base du parti, sur qui repose son activité essentielle ». Le militant se distingue donc de la masse des adhérents par son activité militante soutenue et son activisme (participation aux réunions, préparation de campagne, diffusion de mots d’ordre, de l’idéologie…). Le militant se différencie par ailleurs des dirigeants car il est avant tout un « exécutant » (il occupe à ce titre une position à la fois valorisée et dominée). La tradition des partis ouvriers dont est issu le PS sacralise et ritualise ainsi l’acte d’adhésion et l’appartenance formelle (l’adhérent est porteur de droit et de devoirs, son engagement fonde une forme d’« élection » même s’il se distingue justement de l’élu). Résultat : le sympathisant est plus qu’un électeur mais moins qu’un adhérent. Il apporte son soutien à la doctrine du parti mais reste de fait en dehors de la communauté partisane. Il est porteur d’une identité politique qui n’est actualisée véritablement qu’au moment des élections (son existence est fragile entre les scrutins).
6Daniel Louis Seiler propose (de manière assez objectiviste) de regrouper sympathisants et adhérents en une catégorie unique : les « partisans » (c’est-à-dire des individus qui disposent d’un sentiment de compétence politique et de la maîtrise d’un langage). Le critère retenu ici est le rapport cognitif à la politique. Les partisans s’identifient à un parti et « n’hésitent pas à affirmer leur préférence en public13 » (on est proche ici de la notion d’identification partisane, loyauté durable à un parti, longtemps au cœur de la sociologie électorale). Voter aux primaires de ce point de vue c’est « sympathiser » puisque c’est se marquer publiquement dans l’espace public en se rendant à un bureau de vote (faire la queue dans la rue ou dans la salle avec des pairs). Signer la déclaration de valeurs – condition de la participation au scrutin –, c’est s’afficher comme de gauche14. Plus récemment, des recherches ont construit la notion de « sympathisant-militant », différente de celle « d’adhérent-militant » afin de distinguer l’adhérent passif de l’adhérent actif15. Le sympathisant-militant n’est pas membre du parti mais milite ponctuellement pour lui (via Internet notamment).
7On s’interdira ici toute définition préalable du sympathisant qu’on appréhende comme une catégorie que font et défont les acteurs de la primaire (candidats, commentateurs, organisateurs, sondages…). Les sympathisants sont dans notre analyse un sous-produit complexe des primaires. Il convient de garder à l’esprit que le mot de « sympathisant » (comme celui de militant), avant d’être une notion scientifique ou un outil analytique, est un concept indigène, un outil de catégorisation et un mot social, enjeux de luttes symboliques dont les usages appellent une approche sociologique. Michel Offerlé analyse par là même la gradation des identités partisanes en insistant sur la différenciation adhérent-parti et en interrogeant les classements sociaux spontanés directement exprimés par les militants politiques16.
8L’histoire particulière du PS explique l’incapacité de ce parti à saisir la figure du sympathisant. Ce dernier s’est ainsi toujours pensé et donné à voir comme « un parti de militants », cette valorisation du militant constituant un élément central de son identité organisationnelle. Si l’électeur socialiste peut être valorisé dans un parti où la légitimité électorale est forte, le sympathisant – entendu comme un électeur fidèle lié au parti – a quant à lui longtemps relevé de l’interdit afin notamment de conjurer le risque d’un « parti de supporters » ou « américanisé ». Entériner la figure du sympathisant, c’est diluer le militant-activiste traditionnel. Elle renvoie donc à un impensé, une catégorie qui n’est pas analysée comme telle, par déni ou par absence de réflexion sur le militantisme. Si depuis les années 1990 et surtout grâce aux primaires « ouvertes » de 2011, une réflexion sur le militantisme excédant les cadres traditionnels a pu ainsi émerger, la figure du sympathisant est toujours restée incertaine et surtout peu problématisé. Le statut hybride des primaires explique en partie cette difficulté à sortir de cette ambiguïté dans la mesure où elles s’apparentent à une compétition interne arbitrée de l’extérieur. De plus, si les primaires participent bien d’une dévaluation du militantisme traditionnel, les modes d’affiliation au parti restent de leurs côtés toujours dominées par le poids de l’adhésion dans une organisation où les enjeux électoraux et le rôle des élus conduisent de fait à la maîtrise des électorats militants, comme l’a ainsi montré le faible développement des primaires ouvertes lors des municipales de 201417.
9Dans ce cadre, on voudrait montrer ici que le processus d’assouplissement des frontières de l’institution socialiste présente des limites – le parti reste toujours une communauté plus ou moins close – et n’apparaît ni linéaire ni univoque. Si le principe des primaires est analysé comme la consécration de la figure du sympathisant se substituant ainsi comme figure centrale à celle de l’adhérent, il est tout aussi important d’insister sur le fait que les entreprises multiples de « modernisation » et de redéfinition des rôles de l’adhérent et du militant se heurtent à des résistances politiques et à des phénomènes d’inertie organisationnelle qui en ont amorti la portée. On cherchera ici de ce point de vue à fortement nuancer l’avènement du sympathisant prophétisé notamment par Marc Abélès.
10On déplacera aussi la réflexion autour des questions suivantes : le participant aux primaires est-il réellement un sympathisant ? Quel rapport de « sympathie » engage la participation au scrutin ? Certains candidats (comme Martine Aubry pour les écologistes ou encore François Hollande pour les radicaux) ont ainsi cherché à mobiliser pendant les primaires des électeurs proches d’autres organisations, non socialistes. De plus, malgré les souhaits exprimés notamment par Arnaud Montebourg et la Fondation Terra Nova pendant la phase préparatoire des primaires, les « sympathisants » qui se sont déplacés pour désigner le candidat socialiste n’ont pas vraiment participé à la campagne présidentielle de 2012. Enfin, le statut de l’adhérent n’a pas été modifié et repensé une fois les primaires achevées. Le degré « d’inclusiveness » ou « d’inclusivité » – selon l’expression de Susan Scarrow – qui mesure l’existence de barrières séparant l’adhérent du sympathisant renvoie à des enjeux complexes et surtout variables dans le temps et les contextes18 : quels liens le PS cherche-t-il réellement à construire avec cette population (de papier) que constituent les sympathisants ? Sont-ils pensés comme des électeurs fidèles, des soutiens ponctuels lors des campagnes, des adhérents potentiels, des militants en devenir ? On le voit donc : la question des sympathisants s’est installée au cœur des transformations de la légitimité des partis et des relations qu’ils souhaitent construire avec leur électorat. On s’efforce alors d’analyser les effets et limites des primaires « ouvertes » de 2011 sur la formalisation et sur les usages de cette nouvelle catégorie d’acteur située à la lisière de la frontière partisane – tout particulièrement au travers du rôle que le PS a souhaité leur accorder dans l’organisation matérielle et logistique du scrutin – puis, les tentatives de relance de l’ouverture sur la société civile et d’enrôlement militant qui ont été mobilisées par le PS après la tenue de la consultation électorale, notamment en vue de préparer l’élection présidentielle de 201219.
L’ingénierie militante de la nouvelle démocratie partisane
11L’adoption par les adhérents socialistes du principe des primaires « ouvertes » s’est politiquement et médiatiquement construite sur une double rupture : avec la procédure qui avait permis la désignation de Ségolène Royal en 2006 et plus généralement, avec les modes proportionnalistes de consultation des militants par l’appareil partisan mis en place depuis le Congrès d’Épinay.
12Dans les faits, le changement opéré a été moins brutal que l’histoire « enchantée » qui a été contée avant, pendant et après l’exercice des primaires de 2011. Si le choix des primaires a permis de répondre de manière nouvelle à la « question aveuglante du leadership », il s’est aussi inscrit dans la continuité d’un assouplissement de la norme militante et de la perméabilité croissante des frontières partisanes, concernant l’enjeu plus strict de l’impact de la redéfinition du corps électoral nécessaire à la désignation du candidat socialiste. En effet, la coalition favorable aux primaires qui s’est constituée à partir du Congrès de Reims a su mobiliser avec efficacité une rhétorique modernisatrice qui s’est adossée à une disqualification déjà ancienne de la forme partisane et du militantisme « traditionnels20 ». Ainsi, les primaires ont été partiellement fondées sur un constat d’échec qui pouvait se résumer par le syllogisme suivant : le PS ne peut plus être un parti de militants, les candidats ont donc moins d’assise et de légitimité dans la société, il faut donc par efficacité électorale resserrer les liens avec les électeurs du parti (d’autant plus qu’il faut gagner l’élection présidentielle, devenue la mère de toutes les batailles, après trois défaites consécutives)21.
13On voudrait nuancer ces discours prophétiques qui ne sont que très partiellement advenus dans la réalité. D’abord, l’inertie de l’institution partisane et les usages pluriels des primaires ont réactivé les frontières partisanes. Ensuite, la machine électorale du vote d’investiture a eu pour effet de renforcer provisoirement l’identité militante de la communauté socialiste. Enfin, les électeurs des primaires ne peuvent qu’imparfaitement être assimilés à des sympathisants.
Le défi logistique de l’organisation des primaires ou comment encadrer la consultation électorale
14En transposant dans un cadre partisan la logique démocratique qui structure depuis 1962 l’élection du chef de l’État, les primaires socialistes se sont imposées comme la première étape de l’élection présidentielle. Elles en ont ainsi reproduit la confrontation cathodique entre les candidats. Elles en ont également – et cet aspect a été beaucoup moins mis en lumière – transposé le mode d’organisation matérielle du suffrage universel.
15De fait, la tenue des primaires de 2011 a constitué un défi logistique très important pour le PS, rappelant ainsi qu’une élection, même si le vote d’investiture a constitué une expérience consultative hybride, n’est pas « seulement le moyen de faire valoir une opinion22 ». Obligé de bâtir ex nihilo des dispositifs d’encadrement du vote, l’appareil socialiste a dû mobiliser l’énergie de ses militants – heureusement déjà fortement familiarisés avec la mécanique électorale nécessaire à la « bonne tenue » de votes aussi bien internes qu’externes – afin d’organiser l’expression citoyenne souhaitée. Conséquence : cette nécessité d’encadrer de manière stricte la consultation électorale a eu pour effet indirect de réactiver la frontière sympathisants-adhérents-militants, les primaires donnant ainsi un nouveau rôle, gratifiant – même s’il était très éphémère – aux militants qui en ont tiré de fortes rétributions symboliques (le caractère « démocratique » des primaires étant célébré).
16Les primaires ont alors produit ce paradoxe : d’un côté, elles ont égalisé le statut des adhérents et des sympathisants23 mais de l’autre, elles ont ennobli et distingué d’une nouvelle manière la communauté militante soudée dans l’organisation matérielle de la procédure qui suppose la formation des présidents de bureaux de vote, l’organisation matérielle du scrutin, une campagne d’affichage et d’information etc.24. De plus, les nombreuses difficultés rencontrées ont également eu pour effet de ressouder le groupe militant, l’UMP ayant tenté d’entraver la mise en œuvre logistique en gênant le déploiement des primaires, notamment sur le plan logistique (réticences à laisser transmettre les listes électorales par les préfectures ; réticences de certains maires à permettre l’utilisation des locaux communaux pour tenir les bureaux de vote).
17L’impact ne fut pas seulement interne mais aussi médiatique. La presse souligna que le PS avait réussi l’exploit de réaliser seul, comme les Italiens, un « scrutin républicain à l’américaine25 », et cela en dépit du calendrier très resserré de la consultation électorale, les candidatures n’ayant été reçues que le 20 juillet 201126.
18Cette nécessité de fabriquer de toutes pièces une ingénierie du vote des primaires a consacré un rôle décisif pour les militants socialistes, adhérents ou non. Le militant s’est ainsi mué en organisateur et garant de la procédure au bénéfice de la nouvelle catégorie de sympathisants visibilisée par les primaires. Surtout, le militant a pu conserver une forme d’altérité à la faveur de la nouvelle règle du jeu électorale, l’identité militante étant (provisoirement) réassurée.
« Les militants ont été très bien accueillis, leur rôle a été très valorisant, le PS a donné une bonne image, il y a eu comme une catharsis militante dans les primaires après le spectacle de la division donnée par le PS depuis des années et surtout le congrès de Reims qui a beaucoup marqué les esprits. » (Entretien avec Laurence Girard, Secrétaire générale du PS au moment des primaires, le 15 janvier 2015)
« Les primaires ont redonné une fierté très forte aux militants, ça a été une aventure très gratifiante pour eux, tant au niveau des cadres intermédiaires que des militants de base. » (Pascal Usseglio, Premier secrétaire fédéral du PS depuis 2008 du Loir-et-Cher, entretien le 3 janvier 2015)
19« Passer de l’épicerie artisanale à l’ère industrielle », selon la formule de Christophe Borgel (secrétaire national aux élections27) n’est pourtant pas allé de soi. De fait, les primaires ont constitué un gigantesque casse-tête technique tout à fait inédit. Les socialistes n’ont eu qu’un an pour préparer l’échéance, la feuille de route n’ayant été établi qu’à l’été 2010. Premier défi : il a d’abord fallu constituer un fichier national à partir des documents transmis par les préfectures28. Selon les départements, ces fichiers se sont présentés sous des formats informatiques différents, voire parfois sous format papier. De plus, les listes électorales n’étaient pas disponibles partout en version électronique. Le PS, qui a envisagé un temps d’utiliser le fichier de l’Insee (le gouvernement s’y est opposé), a finalement investi dans un logiciel pour constituer cette base de données. Malgré la pression constante de Solférino sur les fédérations29, les cadres socialistes ont dû attendre le mois de mars pour récupérer les listes auprès des préfectures, après leurs révisions annuelles, ce qui ne leur a laissé que neuf courts mois jusqu’aux primaires.
20Dans la fédération du Loir-et-Cher, les primaires ont ainsi été l’occasion d’associer fortement les sympathisants à l’organisation logistique. Sans leur participation, le scrutin n’aurait pas pu être possible30. 200 personnes ont ainsi contribué à l’organisation de la consultation dont la moitié de sympathisants. Sur les 19 sections que compte la fédération, seules 16 sont réellement actives avec au minimum une réunion par an. Les primaires ayant été organisées dans 24 bureaux de vote pour lesquels il fallait entre 4 et 10 personnes par site, le concours des sympathisants fut indispensable. Les sympathisants ont été sollicités via les fichiers de la fédération ou dans l’entourage proche des militants (un beau-frère, un ami…) ou se sont manifestés d’eux-mêmes.
21Le deuxième défia tenu au déploiement des bureaux de vote sur l’ensemble du territoire, la direction du parti partant du principe que plus il y aurait de bureaux de vote, plus grand serait le nombre d’électeurs. Les estimations ont au départ oscillé entre 10 000 et 15 000 bureaux de vote avec au minimum un bureau de vote par canton. Pour mesurer le débit électoral, une expérience a été alors réalisée dans le XVIIIe arrondissement de Paris, avec une cinquantaine de militants « cobayes ». Les organisateurs des primaires ont dû rapidement dépasser cette seule définition arithmétique du vote en intégrant dans leurs calculs le degré d’implantation réelle du PS. De fait, les situations locales sont très différentes entre par exemple une commune dirigée par des élus socialistes, dotée d’un réseau dense d’adhérents, et d’autres sites où il a été nécessaire d’envoyer des militants de l’extérieur. De même, le PS a dû s’assurer que la commune accepte de prêter pour la journée les locaux habituellement dévolus au vote, ainsi que le matériel ad hoc (bureaux, urnes…). Dans les cas de refus ou d’indisponibilité, il a dû mettre en place des dispositifs alternatifs comme des tentes dressées en face des mairies31. Au final, 9 500 bureaux de vote ont ainsi été mis en place, un chiffre un peu en dessous des objectifs initialement visés. Par exemple, dans les départements des Ardennes, de la Sarthe, de la Vendée ou encore de la Somme, le maillage a été moins dense que prévu. Un bureau de vote par canton minimum a été implanté (sauf les deux exceptions du Loir-et-Cher et de l’Aveyron). La consigne de ne pas dépasser le seuil de 4 000 électeurs par bureau a été globalement respectée.
22L’organisation des primaires a également nécessité un travail de mobilisation et d’information des électeurs potentiels. Le siège rue de Solférino a ainsi organisé des ateliers pour former des « mobilisateurs » qui ont formé à leur tour localement des « ambassadeurs des primaires » dont la tâche a été de faire connaître le processus aux citoyens de gauche par les moyens classiques (porte-à-porte, réunions d’appartements, pieds d’immeuble…). La direction nationale du PS a été prudente sur les estimations de participation. « S’il y a un million de votants, c’est un succès », déclare dans la presse Laurence Girard en juin, Secrétaire générale du parti, « Au-delà, c’est un triomphe »… Pour exercer son droit d’électeur, il a été demandé à chaque votant de débourser au moins un euro. Au premier tour, les 2,6 millions de participants ont ainsi versé en moyenne entre 1,40 et 1,50 euro, selon le trésorier du PS, Régis Juanico, cité dans la presse. Au second tour (2,8 millions de votants), certains ont à nouveau versé un euro alors qu’ils n’étaient pas obligés de le faire (les nouveaux votants devaient quant à eux toujours s’acquitter de cette somme). En récoltant près de 5 millions d’euros, le Parti socialiste a alors largement couvert ses frais d’organisation estimés entre 3,5 et 4 millions.
23La campagne de terrain des primaires pour les candidats a été de son côté peu active et surtout tardive. Le travail militant de proximité a été, de l’analyse même du rapport de Terra Nova sur le bilan des primaires, de faible intensité. La mobilisation est restée pour l’essentiel centralisée autour des candidats qui ont fait des meetings, des tournées locales, des débats télévisés mais n’ont pas – contrairement à 2006 – débattu dans des forums régionaux. Potentiellement trop conflictuels, ils ont été jugés préjudiciables à la « bonne tenue » de la primaire. De la même manière, les débats locaux entre représentants des candidats ont été moins nombreux que lors du précédent vote d’investiture.
24Les explications de ce fort décalage entre un engagement conséquent des appareils locaux du PS dans la préparation matérielle du scrutin et une sous-enchère militante dans la confrontation entre les différents candidats sont multiples. D’abord, la campagne des primaires a été courte et n’a véritablement commencé qu’après le premier débat télévisé du 15 septembre. Ensuite, élément plus décisif encore, les militants qui ont fait le choix de se consacrer à l’organisation des primaires ont été pris dans une quasi-logique de neutralité : tenir un bureau de vote – activité que maitrisent très bien les militants socialistes, surtout s’ils sont élus – peut obliger à dresser une barrière symbolique forte et donc à ne pas être considérés comme juge et partie. Dans l’ensemble, l’organisation logistique des primaires n’a pas donné matière à contestation en interne32. Certains dirigeants répugnent à afficher trop clairement leurs préférences33. Le respect de l’égalité entre les candidats dans les débats, où les plus « petits » n’avaient pas toujours les ressources nécessaires pour être localement représentés, a également participé à ce sous-engagement. Enfin, contrairement aux campagnes de 2005 sur le Traité constitutionnel européen34 et de 2006 sur le choix du candidat socialiste à l’élection présidentielle, les militants n’ont plus forcément voulu revivre des moments de division devant les Français, d’autant que la « bonne tenue » des primaires était présentée comme un élément important de la victoire présidentielle de 2012. « Faire campagne publiquement contre un autre socialiste, ça désarçonne les militants » nous confie en ce sens François Lamy, directeur de la campagne de Martine Aubry (entretien, le 11 mars 2016).
25On le voit : la force de mobilisation de l’appareil militant s’est surtout concentrée sur l’organisation matérielle du scrutin et dans une moindre mesure sur l’animation des meetings. Le temps militant a été en quelque sorte absorbé, voire « dévoré » par l’organisation du scrutin. Notre entretien avec Gael Brustier, politiste, directeur opérationnel de la campagne d’Arnaud Montebourg (le 10 janvier 2015), est éloquent de ce point de vue.
« On a dû faire des choix stratégiques dans la fédération de Saône-et-Loir où on pouvait attendre un bon score d’Arnaud. Les militants étaient accaparés par l’organisation des bureaux de vote. En créer, c’était augmenter mécaniquement les voix d’Arnaud. On a eu donc un petit dilemme tactique. Dans le Charolais, on était trois à faire campagne pour Arnaud. 25 militants étaient mobilisés pour l’organisation des primaires. On a perdu beaucoup d’énergie dans l’organisation matérielle des primaires mais cela a été au final bon an voix pour nous. »
26L’analyse rétrospective de François Lamy est aussi éloquente :
« On avait pas anticipé deux choses qui se sont révélées essentielles et qui sont liées entre elles. D’abord que Martine (Aubry) allait percer autant dans les grandes villes, les grandes métropoles. On se doutait mais pas à ce point. Deuxième chose, que là où on est fort, il eut fallu ouvrir plus de bureaux de vote. C’est l’offre qui a fait la demande, il aurait fallu ouvrir plus de bureaux de vote, ce que le règlement des primaires permettait, on pouvait ouvrir des bureaux jusqu’au bout (et qui ne sera pas possible à droite). J’ai compris cela à Palaiseau où j’étais maire où il y a eu beaucoup beaucoup de votants. »
Le travail de mobilisation des candidats socialistes ou comment élargir le périmètre électoral des sympathisants
27La pédagogie et l’encadrement de la consultation ont donc pris le pas sur les campagnes menées en faveur des candidats en lice, pour les raisons logistiques précédemment évoquées mais aussi parce que le travail de mobilisation électorale déployé à l’occasion des primaires fut tout à fait inédit. Il ne s’agissait ni de toucher le seul électorat militant comme lors des Congrès ou des primaires fermées de 2006, ni de viser l’électorat dans son ensemble comme c’est le cas dans une élection classique. Facteur aggravant, la campagne fut extrêmement brève – 5 semaines – et les moyens des candidats très limités35. L’analyse de François Lamy, directeur de la campagne de la Première secrétaire, est là aussi éclairante :
« Quand Martine Aubry se déclare fin juin, il y a une incertitude sur l’équipe de campagne, on est pas tout a fait prêt, il faut monter l’équipe. On est très en retard, on n’a pas tous les correspondants locaux. On n’a pas de locaux, on se débrouille, on bosse à l’assemblée nationale dans nos bureaux. Cette campagne, ça été beaucoup de bricolage. »
28Faute de pouvoir s’appuyer sur des précédents, les équipes ont dû tâtonner et inventer de nouvelles formes de mobilisation pour toucher les électeurs potentiels. Compte tenu de la difficulté à anticiper le niveau réel de la mobilisation36, la question s’est dès lors posée aux candidats de savoir si la mobilisation devait s’adresser aux cercles militants élargis ou bien au-delà (mais alors avec quelles limites ?). La réponse à cette interrogation n’est pas neutre : les campagnes doivent-elles être complètement « ouvertes » ou les vieux réflexes en cours lors des Congrès doivent-ils être reconduits ? Le public visé doit-il se limiter aux cercles socialistes traditionnels des sympathisants déjà politisés ou doit-il porter au-delà ? Comme le note Léo Vitry, « les primaires citoyennes sont ici le laboratoire d’un bricolage électoral d’un genre nouveau du fait de leur caractère inédit où pèse une double incertitude : sur le résultat, sur le processus de l’élection. Ce double voile d’ignorance37 pousse au développement de nouvelles pratiques, de nouveaux savoir-faire et de nouvelles stratégies électorales38 ».
29Pour les équipes en campagne, l’exercice est donc par définition complexe puisqu’il s’agit à la fois d’inciter à voter en soulignant le caractère inédit des règles du jeu et d’enrôler des sympathisants pour prendre part à un choix auparavant confiné dans la seule arène partisane. Les choix de mobilisation et surtout le ciblage des publics visés permettent ainsi d’objectiver la perception que les candidats respectifs et leurs équipes se font de la population des sympathisants, les répertoires de campagne étant indexés sur la représentation de l’électorat potentiel.
30L’ensemble des candidats ont mené des campagnes « classiques » : recherche de médiatisation, meetings, réunions publiques ou encore comités de soutien… La presse parle ainsi de « campagne à l’ancienne39 », ajustée à une certaine vision de l’élection qu’exprime bien le maire de Grenoble, Michel Destot, pilote du réseau des élus aubrystes : « Nous sommes dans le schéma d’une élection municipale. Ça se voit sur le terrain. Ce sont les plus engagés qui iront voter40. » L’ensemble des candidats ont cherché à mobiliser les réseaux les plus proches du PS : anciens militants, familles de militants, fonctionnaires territoriaux, associations gravitant dans les cercles socialistes… De nouveaux outils ont aussi permis de toucher des publics non-militants dans la rue (la campagne a stimulé l’invention de nouveaux répertoires de campagne). Il s’est agi pour les candidats d’investir des espaces inédits où se trouvent des sympathisants et de les transformer en espaces de mobilisation d’un genre nouveau41.
31Les deux favoris, François Hollande42 et Martine Aubry, ont cherché plus classiquement à s’appuyer sur les élus et à obtenir par procuration leurs soutiens – enrôler leurs électeurs, c’est pouvoir dépasser le cercle socialiste stricto sensu. Cette stratégie a parfois rencontré des difficultés. De nombreux élus, attachés à l’apolitisme au fondement de leur légitimité locale, hésitent à se positionner. Dans les procédures internes (qui ne concernent pas leurs électeurs directement), ils sont plus enclins à le faire. Selon un comptage du Monde, début septembre, parmi les socialistes, 14 % des conseillers régionaux, 29 % des conseillers généraux et 29 % des maires de communes de plus de 3 500 habitants n’ont pas fait leur choix. Une minorité importante d’élus socialistes résistent aux opérations de « débauchage » auxquelles se livrent les candidats des primaires pour ne pas lier leur sort à un candidat dans un scrutin aussi nouveau qu’incertain. François Lamy analyse cette question : « Certains élus, notamment les ministrables sont très indécis et ne se mouillent pas trop. Jean-Jacques Urvoas se décide au dernier moment, Cazeneuve pas je crois alors que c’est un ami de François Hollande. Les sénateurs ont très clairement choisi Hollande, les parlementaires sont partagés ». Michel Destot est de son côté convaincu du rôle des élus : « Beaucoup d’électeurs veulent voter, mais ils ne savent pas encore pour qui. Or, nous les maires, sommes généralement très écoutés. Il est donc capital que, dans la dernière ligne droite, nos administrés sachent qui nous soutenons. » (Le Monde, le 1er octobre 2011). « Pour une élection inédite, rien ne vaut un courrier personnalisé », explique ainsi Jean-Luc Fichet, sénateur et maire de Lanmeur (Finistère), 2 000 habitants. Cette initiative, toutefois, ne sera pas suivie partout. Dans le XIIe arrondissement de Paris, par exemple, Michèle Blumenthal se dit sceptique : « Une lettre place celui qui la reçoit dans une position de sujet. Pour ma part, je préfère discuter sur le terrain : ça met davantage l’électeur dans une position d’acteur ». Parmi les maires de communes de plus de 3 500 habitants, selon le comptage du Monde, 434 soutiennent Martine Aubry contre 386 en faveur de François Hollande. D’autres dirigeants sont très sceptiques sur le rôle prescripteur sur le plan électoral des élus : « Dans un congrès ou une primaire à 300 000 votants, les élus ont la possibilité de faire bouger le score, commente Claude Bartolone, député et président du conseil général de Seine-Saint-Denis. Mais avec un million d’électeurs, ce n’est pas la consigne de tel ou tel qui va faire bouger les choses. Du coup, beaucoup d’élus n’en font pas trop. Ils feront la campagne, quel que soit le candidat » (Le Monde, le 5 octobre 2011). Notons enfin que la Première secrétaire Martine Aubry a engagé une politique de « rénovation » (comme le souhait de limiter le cumul des mandats) qui lui vaut l’hostilité de nombreux notables.
Une variété de représentations du sympathisant ou comment déterminer des modes de mobilisation spécifiques
32Les campagnes de Martine Aubry, Ségolène Royal et Arnaud Montebourg présentent des spécificités liées à des partis-pris marqués qui dessinent autant de figures et de sous-types du « sympathisant ». Les répertoires de campagne sont très largement déductibles des positions, des ressources et des identités des candidats.
33Contrairement à François Hollande, Martine Aubry a fait le choix stratégique de s’appuyer systématiquement sur les réseaux associatifs, syndicaux et professionnels pour toucher « le peuple de gauche » tout en entretenant guère d’illusions excessives43. Elle cherche à tirer le meilleur parti des réseaux constitués à la direction du parti depuis le congrès de Reims de 2008 et de son image plus marquée à gauche. Partie très tard en campagne (elle ne s’est déclarée que le 28 juin après la défection de Dominique Strauss-Kahn, soit 5 mois après la déclaration de candidature de François Hollande44), Martine Aubry a conceptualisé plus que son concurrent le plus direct la rupture dans la mobilisation introduite par les primaires. L’entourage de la Première secrétaire développe ainsi une théorie sur le corps électoral et son caractère inédit.
34François Lamy livre son analyse en entretien : « Le souhait de départ, c’était une campagne militante, ce qui n’était pas l’option prise par François Hollande au début. Personne à part Aubry n’a l’idée de faire une campagne classique au début. Les autres candidats à part Hollande d’ailleurs n’en ont pas vraiment les moyens. Le problème, ça a été d’organiser une campagne militante dans un temps si court. Le début de notre campagne, c’est La Rochelle et le meeting à Toulouse le 5 septembre. » L’équipe de campagne de la première secrétaire cherche à mobiliser des publics spécifiques. Un de ses soutiens, Jean-Christophe Cambadélis, qui table sur un million de votants, estime que ce sont les plus militants qui se déplaceront, « avec une surreprésentation des fonctionnaires, des instituteurs, des profs, des associatifs ». L’enjeu, selon le député de Paris, est donc de parler à « ce cœur de cible45 ». La candidate arpente alors ces différents segments de l’électorat de gauche : plus 20 déplacements entre l’Université d’été de La Rochelle et le premier tour ont été programmés à cet effet46 et 26 catégories ciblées - enseignants, culture, féminisme, hôpital public, pêcheurs, parents d’élèves… avec un courrier type pour chacun de ces groupes constitués47. Les personnels de santé sont visés lors d’un déplacement à Grenoble, la justice à Nantes, les métiers de l’environnement à Clermont Ferrand, la sécurité à Marseille… Martine Aubry cherche à mobiliser le monde de la culture (par exemple à travers la promesse de doubler le budget de la culture lors du Festival d’Avignon où elle se rend), le monde du logement48, les réseaux de la CFDT (grâce au soutien officiel d’Edmond Maire), les réseaux RESF, le monde de la magistrature, les intellectuels (par l’intermédiaire par exemple des réseaux de Michel Wievorka ou de Christian Paul, le président du Laboratoire des idées, un think tank interne au PS)… Elle obtient également le soutien de quelques personnalités emblématiques de la société civile comme Stéphane Hessel ou Jean-Louis Nadal, alors Procureur général près de la Cour de cassation.
35François Lamy tire le bilan suivant lors de notre entretien : « Pour les réseaux, les syndicalistes ne se mobilisent pas trop, c’est compliqué pour eux. Les secteurs de la justice et la culture se mobilisent, la santé un peu et pas mal les intellectuels avec quelques appels. La proposition de François Hollande inattendue sur les 60 000 enseignants a très clairement ciblé le public enseignant, ça nous a bien embêtés. » Martine Aubry vise enfin plus directement les électeurs écologistes (ses propositions distinctives en matière de nucléaire ou de dépénalisation du cannabis doivent être lues à cette aune49) ou la gauche du PS (en faisant notamment valoir qu’elle est une candidate plus à gauche que François Hollande). La gauche du PS, derrière la figure de Benoît Hamon, responsable du courant Un monde d’avance, a ainsi lancé sur Médiapart au « sympathisant écologiste, communiste, front de gauche, républicain », au « syndicaliste » et au « militant associatif, altermondialiste, humanitaire, engagé dans le combat pour les droits de l’homme et la lutte contre le recul des libertés fondamentales », un appel à voter en faveur de Martine Aubry « qui n’oublie pas qu’elle est socialiste avant d’être gestionnaire ».
36Les médias et les candidats opposent à travers Martine Aubry et François Hollande deux styles de campagne, la manière de faire campagne faisant en quelque sorte partie de l’offre symbolique des candidats. On lit ainsi dans Le Monde le 21 sept 2011 : « À chacun son style. Il y a une campagne militante de notre côté, une campagne d’opinion de l’autre » déclare Jean-Christophe Cambadélis. « Nous, on est sur le terrain, plastronne François Lamy. Et comme “ils” constatent que ça bouge beaucoup, il y a un peu d’inquiétude chez eux. Regardez le site de campagne de Hollande : depuis ce week-end, on y trouve un tract alors que son équipe s’y refusait jusque-là ! Ils s’alignent sur notre campagne… » Cette stratégie électorale est critiquée par Pierre Moscovici qui prétend s’adresser au plus grand nombre : « Quand on travaille sur des catégories, on cible. Nous, nous travaillons sur l’opinion, dans l’intérêt général. Nous n’avons pas peur de la primaire où chacun peut voter50 » (Le Monde le 21 sept 2011).
37Ségolène Royal a quant à elle plus particulièrement ciblé les quartiers populaires (des grands ensembles urbains surtout) où elle avait réalisé des scores très élevés en 2007 lors de l’élection présidentielle51. Ses déplacements en portent la marque : elle se rend à Argenteuil et à Sarcelles (dans le Val-d’Oise) et c’est à Montreuil (en Seine-Saint-Denis) qu’elle tient son dernier meeting, le 10 septembre. La candidate de 2007 dispose de peu de moyens financiers. Le budget de la campagne de Ségolène Royal est de 110 000 euros, 50 000 euros provenant de dons divers. Pour compenser cette faiblesse, la candidate a cherché à mobiliser au maximum les zones populaires où elle avait fait ses meilleurs résultats en 2007 et son important réseau militant de Désirs d’avenir. L’association Désir d’Avenir compte en 2011 entre huit et dix mille adhérents et un fichier de contacts de plus de cent mille personnes a été constitué. Ces adhérents sont fortement mis à contribution. Lorsque la candidate effectue un déplacement dans la petite station balnéaire de Saint-Marc-sur-Mer près de Saint-Nazaire le 21 août 2011, c’est ainsi un bus entier de militants qui est arrivé de Paris un peu avant elle pour constituer un comité d’accueil. L’association Désir d’Avenir est un relais à la fois interne au parti puisque beaucoup des adhérents sont aussi membres du PS, mais aussi externe, une partie d’entre eux n’étant que « sympathisants ». Ces réseaux sont d’autant plus importants que la candidate dispose de très peu de soutiens d’élus locaux et de relais militants. Parmi ces élus, sont engagés des personnalités déjà présentes en 2006 comme Guillaume Garot, député-maire de Laval et porte-parole de la candidate pendant les primaires, Najat Vallaud-Belkacem et Delphine Batho, Jean-Louis Bianco, fidèle de la première heure ou encore Jean-Jacques Queyranne, président de la région Rhône-Alpes. Au final, Ségolène Royal n’a pu compter que sur le soutien de huit députés et de deux sénateurs. La question, lancinante à chaque déplacement de l’équipe de campagne, porte sur cette absence de soutiens d’élus locaux. Pour compenser cette faiblesse, Ségolène Royal doit souvent s’entourer de représentants de départements voisins des territoires visités ou de ses soutiens nationaux, ce que la presse locale relève. Cette absence de parrainage politique n’a cependant pas freiné la mobilisation de la candidate : trente-sept déplacements ont ainsi été effectués en six semaines de campagne, soit en moyenne plus de six par semaine, quasiment un par jour. Deux tournées dans les quartiers populaires ont également été organisées les 8-9 septembre et les 7/8 octobre.
38La campagne d’Arnaud Montebourg a été clairement centrée sur les électeurs de gauche dans leur ensemble et non seulement sur les militants ou les sympathisants du PS, ce qui a déterminé des modes de mobilisation spécifiques.
39Gael Brustier nous confie longuement en entretien :
« La campagne a commencé, très tôt, dès novembre 2010. Au début, on prêchait dans le désert. Il fallait installer la campagne. On a d’abord essayé via internet de mailler le territoire avec la désignation d’un capitaine de campagne par canton mais ça ne prenait pas. Il nous fallait un cap de campagne, ça a décollé quand on a imposé la question du protectionnisme européen et de la démondialisation qui nous a vraiment différenciés ; ça a été une accroche dans le pays et surtout ça nous a permis d’agréger des bouts de réseaux de la gauche radicale qui ont fait la notre force. On a fait tomber les réseaux un par un. Dans la primaire, chacun doit construire son électorat, les petits candidats doivent trouver des niches, nous ça a été plus qu’une niche. Ces bouts de réseaux, ça a été des médias d’abord avec Marianne 2 qui nous a beaucoup porté et dont le soutien a eu un effet viral (plusieurs déjeuners avec Philippe Cohen), la CGT (la fédé CGT santé et quelques autres ont donné des consignes de vote en notre faveur), ou encore les réseaux altermondialistes (Bernard Cassen s’est affiché plusieurs fois avec nous). On cherchait des têtes de réseaux, ce qu’on appelait des “feux verts”. On a eu des soutiens des réseaux de Clémentine Autain et puis surtout Mélenchon nous a aidés. La fête de l’Huma de 2011 où Arnaud l’a rencontré, ça été un gros coup de com qui a eu un gros gros impact, je crois, dans les réseaux de la gauche radicale. Mélenchon s’est affiché avec Arnaud, lui a donné comme une onction. Arnaud a pris un bain de foule triomphal dans la fête de l’Huma. Mélenchon n’a pas appelé à voter pour Arnaud (il avait marqué sa désapprobation à l’égard des primaires) mais il a été bienveillant, il a envoyé des signaux très positifs qui ont eu des échos. Il y a vu son intérêt, ça préparait le terrain pour lui. On a fait un peu sa pré-campagne en somme en visibilisant ses thématiques pendant la primaire. Au total on fait 475 000 voix et franchement, beaucoup viennent de la gauche radicale, la moitié selon moi. Notre campagne s’est appuyée pour moitié sur les sympathisants. Dans les fédérations, on a mis en place une double casquette : le mandataire fédéral d’Arnaud était PS, mais le coordinateur n’était pas membre du PS et les coordinateurs étaient plus actifs. On a eu très peu de cadres du PS dans notre organisation. Ils sont timorés. Ils ont peur de prendre trop de risques, d’être grillé pour la suite. Il fallait miser pour eux sur un candidat qui allait gagner, ce qui a joué beaucoup pour Hollande. On a constitué un fichier de 8 000 personnes et un fichier de militants de la campagne de 1 500 (dont la moitié était au PS, les autres des réseaux Sixième République, des anciens MDC, des bouts de gauche radicale…). Notre message a pris dans le peuple de gauche, les lecteurs de presse politisés, les syndicalistes CGT, les jeunes journalistes déclassés, les thésards, les profs. La campagne a aussi beaucoup passé par Internet. Nos réseaux PS étaient très faibles. Les réseaux Montebourg ont ensuite très peu contribué à la campagne de Hollande, beaucoup ont voté Mélenchon. Moi, ma mission, c’était à la faveur de la primaire de former des cadres idéologisés, un mouvement, de le constituer, un mouvement politisé, mais Arnaud ça l’intéresse pas, il a tué le truc, il n’a pas su prolonger la dynamique des primaires. »
40Les divers candidats, par-delà leurs options stratégiques, ont rapidement compris que les participants potentiels n’étaient pas tous des « sympathisants52 ». Un vote « stratège » d’un nouveau type s’est ainsi fait jour. De nombreux électeurs (non socialistes) ont en quelque sorte subverti la procédure en participant aux primaires tout en anticipant de ne pas voter pour le candidat socialiste au premier tour de l’élection présidentielle. Ces électeurs ont voulu participer à un « moment démocratique » et « donner leur avis » puisque toute la gauche a été invitée à participer à la consultation. Ces votants ont surtout cherché à « peser » sur le résultat de la consultation pour infléchir l’offre électorale. Les primaires ont en somme généré un nouveau « vote utile » inversé. Ces électeurs se sont beaucoup manifestés sur les réseaux sociaux pour justifier leur choix. Le journal Le Monde a ainsi produit pendant la campagne un appel à témoignages de ces participants non sympathisants53 dont on peut présenter ici quelques extraits à titre d’illustrations :
Quand les participants aux primaires ne sont pas forcément des sympathisants…
Antoine L., 24 ans, étudiant, Nantes : « Je souhaite peser sur le choix du moins pire des candidats socialistes ».
Rose B., franco-allemande, 35 ans, Francfort : « Je voterai aux primaires plus par sentimentalisme qu’autre chose. Ancienne adhérente et militante au MJS, je me suis détournée du PS depuis des années. Aux élections je voterai VERT, comme je le fais en France et en Allemagne depuis des années. »
Jean-Claude M., 69 ans, retraité du Trésor Public : Il veut « faire pression sur le candidat de la gauche qui sera le mieux placé. »
Charles C. : « Aubry ou Hollande ne sont que de vagues sociaux-démocrates à la sauce Blair ou Zapatero. Pour le premier tour, j’hésite entre Mélenchon et Poutou, mais n’étant pas idiot, je sais que pour battre le “naboleon”, il faudra voter socialiste au deuxième tour. Je vais donc aller voter Montebourg car il me paraît être un moindre mal. »
Nicolas L. : « Mais puisque l’on a le droit de choisir… votons. Même si je voterai communiste au premier tour, je ne me fais pas d’illusions et je veux mettre toutes les chances du côté de la gauche en choisissant au mieux le candidat socialiste. » Pierrette P., 84 ans, retraitée, Grenoble : « Montebourg me semble d’une autre pointure et d’une autre valeur, mais que fait il au PS ? »
41Militants ou dirigeants écologistes ou communistes peuvent participer aux primaires. Ils choisissent « leur » socialiste54. « Je constate qu’il y aura beaucoup d’écologistes qui vont aller voter et, même, se mobilisent », confie Cécile Duflot, secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV). « On ne s’en mêle pas », assure-t-on tant au PCF qu’au PG, mais beaucoup de cadres confient que nombre de militants iront voter. Alain Fournier, élu EE-LV à Clichy-la-Garenne, raconte que, dans son groupe local, « quasiment tous » choisiront la première secrétaire du PS. « Elle a donné des gages sur la sortie du nucléaire et elle est, à bien des égards, la socialiste la plus proche d’EE-LV », insiste Julien Bonnet, jeune adhérent des Hauts-de-Seine. Un appel de conseillers régionaux Verts en faveur de Martine Aubry a ainsi été produit. De même, José Bové lui a apporté son soutien. Choisir le candidat « le plus écolo-compatible » n’est pas le seul critère. Certains évoquent aussi l’efficacité « pour battre Sarkozy » et choisissent François Hollande, jugé le plus apte à être élu président de la République, en vertu des sondages. Selon le Premier fédéral de la Meuse55, les primaires ont mobilisé trois catégories de personnes : les militants, les inconnus (peu ont ainsi demandé à être recontactés) et plus marginalement des sympathisants de droite (selon son estimation, 2 % des votants des primaires dans son département).
Les primaires ou la « levée d’une armée de militants » ?
42Le soir de sa désignation, le 16 octobre 2011, avec 56,40 % des votes exprimés, François Hollande prend acte de son résultat : « cette victoire me confère la force et la légitimité pour gagner en 2012 ». Mieux : il estime alors avoir reçu « un mandat impérieux, celui de faire gagner la gauche56 ». En cela, les primaires ne doivent pas se résumer à un simple feuilleton démocratique ou pire à un dispositif dont la seule vertu est de maîtriser et de pacifier la compétition politique interne au PS. Le PS doit désormais, à partir du socle des suffrages exprimés en faveur de ses candidats, peser durablement sur l’opinion. La presse ne s’y trompe pas en assignant un rôle essentiellement électoral à ces votes militants : « le PS peut désormais compter sur une armée de sympathisants », titre ainsi Le Nouvel Observateur le 21 octobre 201157. Au-delà des suffrages effectivement exprimés lors des deux tours du vote, le PS a pu recueillir 650 000 contacts de « sympathisants » à la faveur de la procédure qui sont présentés par les médias comme un vivier de potentiels volontaires et de soutiens pour la campagne présidentielle58. Selon la direction du PS, ces soutiens doivent même être « la clé de la victoire en 201259 ». On verra qu’il n’en fut rien. Les électeurs des primaires ne se sont que marginalement transformés en soutiens lors de la campagne.
Un électorat de papier ou comment collecter les coordonnées des sympathisants
43D’abord un constat : le sympathisant a trouvé en premier lieu son incarnation dans une indentité de papier qui a pu tenir à un mèl ou à un contact. Sur les trois millions d’électeurs qui se sont rendus aux urnes lors des primaires socialistes, 20 % d’entre eux a en effet accepté de laisser leurs coordonnées dans le but de suivre la campagne du PS, voire d’y participer. Pour ce faire, le PS a fait un choix technologique coûteux – 300 000 euros – mais jugé très efficace : les sympathisants de gauche ont ainsi été invités, en marge du vote, à laisser leurs coordonnées téléphoniques et leur adresse méls pour être « tenus informés de l’actualité du candidat », à l’aide d’un stylo numérique, instrument jamais encore utilisé en France lors d’une opération électorale. Initialement prévu pour annuler tout risque de fraude – les « corrections de dernière minute » – notamment lors de la rédaction des procès-verbaux du vote, ce procédé d’avant-garde a en réalité surtout servi à numériser les noms des électeurs volontaires pour éviter que la centralisation de ces données ne prenne des mois, comme ce fut le cas en Italie. Il s’est agi alors de capitaliser rapidement ce « trésor de guerre ».
44Le PS a souhaité être irréprochable face aux attaques de fichage dont il a été la cible, notamment de l’UMP. Il a ainsi demandé à la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) de valider sa démarche. Si les listes d’émargement constituées lors du vote des primaires ont été, comme prévu, détruites sous contrôle d’huissiers, par la Haute Autorité des primaires présidée par Jean-Pierre Mignard, les fichiers constitués par les mails donnés de manière volontaire et enregistrés par les stylos numériques ont été de leur côté conservés60. Comme le souligne à la presse Laurence Girard, secrétaire générale du PS, « ce ne sont pas des adhérents mais des sympathisants ». Le message donné aux électeurs de la primaire – et négocié avec la CNIL – a été le suivant : le PS s’engage à n’utiliser les méls que le temps des élections présidentielles et législatives. Une fois ces scrutins passés, le PS s’engage à envoyer un mél demandant aux électeurs de la consultation s’ils souhaitent rester dans les fichiers. C’est la méthode dite de « l’opting » : le PS doit obtenir un accord explicite des participants au suffrage des primaires, le fichier est ensuite détruit, une fois les sympathisants sollicités pour demeurer dans le fichier constitué.
45Le siège souhaite donc mobiliser les électeurs des primaires dans le cadre de l’élection présidentielle. Un fichier est fabriqué, « nettoyé » puis mis à disposition des fédérations. Le fichier général ne peut cependant être utilisé que par le siège national.
46Selon Laurence Girard (entretien cité), « il faut alors intéresser les électeurs et les sympathisants sans les saturer. L’idée est de les tenir informés de la suite des événements et de leur proposer de s’engager dans la campagne pour ceux qui le souhaitent. On a défini un droit de tirage sur les fichiers. Il fallait normer un peu les choses. Tout l’enjeu était de ne pas polluer les sympathisants avec trop de messages, ne pas les user et utiliser avec parcimonie le fichier. Ne pas être trop intrusif aussi ». « On va prendre beaucoup de précaution », assure alors la responsable du parti à la presse qui s’interroge sur l’usage de ces données. Elle souligne aussi à plusieurs reprises aux journalistes qu’« il est très simple de sortir de la liste de diffusion. L’envoi d’un mail suffit ». La constitution du fichier national prend cependant beaucoup de retard et n’est communiqué dans sa version départementale que très tardivement aux fédérations (en janvier au plus tôt). « Les partis politiques ont toujours constitué des fichiers de sympathisants et au niveau local, chacun organise son fonctionnement », rappelle Laurence Girard. La nouveauté est que l’élaboration de cette liste s’est faite, cette fois-ci, au niveau national et en masse mais non sans problème…
Le recrutement de volontaires ou comment enrôler les sympathisants dans la campagne présidentielle de 2012
47Comment utiliser cette ressource que constituent les fichiers de contacts ? Une offre d’engagement est peu à peu construite. Le dispositif de levée « d’une armée de militants » est directement inspiré de la stratégie menée par Barack Obama en 2008. La note publiée en 2009 par Olivier Ferrand, au nom de la Fondation Terra Nova et Arnaud Montebourg, à l’époque Secrétaire national du Parti socialiste à la rénovation, s’est clairement inspirée de cette méthode. « Aux États-Unis, c’est la primaire qui crée la dynamique. […] Sans la primaire, impossible de déployer deux millions de militants sur le terrain pour l’élection générale, impossible de taper à plusieurs millions de portes, impossible de dialoguer en direct avec 69 millions de citoyens (soit la moitié des électeurs) », peut-on lire dans l’étude de Terra Nova. Sur les 35 millions d’Américains qui ont participé à la primaire américaine de 2008, deux millions se seraient transformés en militants de terrain à même de propager les idées du candidat et de permettre son élection. On lit encore dans la note de Terra Nova : « Cette armée a ratissé le terrain : elle a eu un contact direct avec 68 millions d’Américains, soit plus de la moitié des électeurs et 99 % des électeurs cibles. […] C’est un paradoxe fascinant de la campagne de Barack Obama : il utilise les outils du XXIe siècle pour faire la plus grande campagne du XIXe siècle, “à l’ancienne”. »
48Un nouveau cycle de croyances électorales s’est en effet dessiné aux États-Unis depuis la fin des années 1990. Les organisations partisanes américaines – dont le Parti démocrate – redécouvrent alors les vertus de campagnes à « l’ancienne » et réhabilitent des pratiques jugées jusqu’alors anachroniques61. Les sympathisants sont ainsi enrôlés dans de nouvelles dynamiques de mobilisation. « Local campaigning matters » : ce mot d’ordre a ensuite gagné le PS. La campagne menée par Barack Obama en 2008, à la fois moderne (utilisation d’internet, des datas et du porte-à-porte ciblé) et traditionnelle (la campagne de terrain) est devenue le nouvel étalon des campagnes électorales en France62. Les socialistes ont cherché à mobiliser les sympathisants dans le cadre d’une réflexion sur la campagne présidentielle. En rupture avec les codes et usages militants traditionnels, une dynamique de scientifisation et de managérialisation des techniques électorales a été déployée au sein du PS, autour d’une conception systématisée, standardisée et quantifiée du travail de mobilisation63.
49Le PS a ainsi lancé à l’occasion de l’élection présidentielle une campagne inédite fondée sur un porte-à-porte centralisé, rationalisé, industrialisé, ciblé sur les électeurs de gauche abstentionniste et inspiré par le modèle d’Obama64. Le projet, porté par trois jeunes socialistes formés à la « nouvelle science électorale américaine65 » pendant la campagne d’Obama de 2008 et appelés par les médias « les Bostoniens », a été initialement d’associer les sympathisants au porte-à-porte. L’idée est de former plus de cent cinquante mille volontaires, donc plus que le nombre de militants, pour frapper à cinq millions de portes. Ce dispositif est conçu comme s’organisant en trois étapes : recruter les volontaires, les former, mettre en place une organisation efficace pour coordonner leurs actions. À cet effet, une grande journée nationale de mobilisation est même organisée le 17 mars 2012 afin de donner au porte-à-porte une place centrale. Trois mille points de rencontre sont alors programmés afin de donner naissance au plus grand événement militant jamais réalisée en France. Des volontaires tiennent des stands dans la rue pour proposer aux électeurs, sympathisants et adhérents de s’investir dans la campagne. Dans les discours et les documents du PS présentant la méthode, la volonté « d’ouvrir les portes » du parti est mise au centre de la démarche. Le message est très clair : il s’agit de partir du noyau des adhérents et des sympathisants qui forment des volontaires pour aller toucher des abstentionnistes et des électeurs de gauche. Ce système repose sur l’effet dit « boule de neige » ou « snow ball », importé des prescriptions des campaigners américains.
50Malgré son ambition, ce projet n’a que très partiellement réussi. Seuls les adhérents et les sympathisants les plus proches ont participé à la campagne. Philippe Liegey, un des « Bostoniens », analyse en novembre 2012 le faible enrôlement des sympathisants :
« Alors, nous on raisonnait en trois cercles. Premier cercle, c’est les adhérents du PS. Le deuxième, c’est les sympathisants proches. Typiquement, tu vois, un ancien adhérent, par exemple un mec qui est venu adhérer à vingt euros pour Ségolène qui est parti après ou quelqu’un qui a dans ses relations personnelles, qui connaît des gens du PS. Et le troisième cercle, ça c’est les gens qui n’ont pas ça. Donc typiquement un électeur de gauche actif, mais qui n’a jamais participé à une campagne électorale. On a eu beaucoup des deux premières catégories dans les personnes qui ont participé au porte-à-porte. Donc des sympathisants proches. On ne s’est pas du tout limités aux réseaux des adhérents. On avait pas mal de sympathisants proches. On pense que 35 % des 80 000 mecs qui ont fait du porte-à-porte, ce ne sont pas des adhérents. Par contre, on a eu pratiquement personne du niveau trois. Alors qu’aux US, ils avaient réussi. Par exemple moi, quand je suis allé faire du porte-à-porte pour Obama, moi pour l’équipe d’Obama, j’étais clairement un mec du cercle trois. Je débarque, je connais personne. Je suis juste là à travers le site internet. Obama lui, il avait réussi à faire venir des gens […] qui n’étaient vraiment pas proches du parti politique. Nous, on pense pas qu’on a réussi. Quoiqu’ils sont rénovés au sens où c’est pas des vieux militants PS avec la barbe qui ont cinquante-cinq ans, mais c’est pas non plus… Monsieur tout le monde… C’est même pas le lecteur du Monde ou de Libé, donc ce que nous, on espérait en fait. On avait vachement bossé pour ça et ça a loupé. »
51Si le porte-à-porte a pu rencontrer un succès important chez les militants, malgré des réticences sur son caractère jugé trop ciblé et « marketé », les « Bostoniens » ont marginalement réussi à enrôler les sympathisants dans la campagne. Et ce pour plusieurs raisons : ils ont d’abord été contactés très tardivement, une fois la consultation des primaires achevée. Quatre semaines après le second tour des primaires, les électeurs ont reçu un mél de remerciement (ce qui semble déjà tardif). Mais jusqu’en janvier 2012, les participants aux primaires n’ont en revanche reçu aucune communication sur la campagne proprement dite. Comment expliquer ce « retard » ? Après les primaires, la constitution de l’équipe nationale de campagne a pris du temps et a généré de nombreux flottements. Par ailleurs, comme l’analyse Laurence Girard, la communication à établir avec les électeurs des primaires a fait l’objet de débats qui ont été difficilement tranchés : « il y a eu beaucoup d’hésitations et de flottements sur le message à envoyer aux sympathisants, une certaine frilosité sans doute, on a du coup un peu tardé »… Les « Bostoniens » donnent leur analyse : « le premier envoi a été trop tardif et ensuite les sympathisants ont reçu beaucoup de méls qu’ils ne lisaient plus. On a échoué à mobiliser les électeurs de la primaire, à la différence d’Obama. Ça fait peur aux gens. Ils ont contacté les électeurs de la primaire bien trop tardivement. Le mél, ça suffit pas. Il faut un contact « perso » qu’on a eu ni le temps, ni les moyens de produire ». Pendant la campagne, les sympathisants ont reçu des méls réguliers pour les informer des événements de la campagne, leur donner également des argumentaires, leur proposer enfin des actions « porte-à-porte ». Mais cette offre n’a pas pris. Pourquoi ? Ces électeurs des primaires ont sans doute une forme d’appréhension à l’égard d’une technique associée au militantisme « traditionnel » et jugé donc par trop « engageante » puisqu’elle amène à se justifier et faire état de ses préférences politiques66. Le rôle de militant est souvent appréhendé comme un « repoussoir », identifié à une forme d’embrigadement, celui de sympathisant endossé au moment des primaires est plus ponctuel et peu exposant. Au final, la communauté militante s’est refermée sur elle-même après l’ouverture des primaires. Ce sont les noyaux militants locaux qui ont été au cœur de la mobilisation de terrain. Le journal Le Monde datée du 28 avril 2012 a ainsi établi un bilan sans concession de l’opération : la mobilisation souhaitée des sympathisants n’a pas prise. Sur 80 000 volontaires revendiqués – et 120 formateurs et 6 000 mobilisateurs –, les trois quarts sont en fait déjà adhérents du PS67.
Le travail sur les sympathisants des fédérations socialistes ou comment le parti s’est refermé après les primaires
52Comment les sympathisants ont-ils été enrôlés dans les fédérations après les primaires ? Quel usage a été fait des fichiers ? Les sympathisants des primaires ont-ils laissé des traces ? La figure du sympathisant existe-t-elle au-delà des primaires ? On examinera ici successivement quelques cas fédéraux. La recherche fait apparaître que ce sont plutôt les « petites » fédération en termes d’effectifs militants qui ont le plus « travaillé » les fichiers « sympathisants » avec des résultats cependant assez limités pour l’ensemble des fédérations. Le rapport aux sympathisants a été médié par les fichiers qui ont fait l’objet d’un usage plus ou moins rationalisé. On peut distinguer trois situations dans notre corpus de fédérations : des résultats mitigés (Charente, Val-d’Oise, Loir-et-Cher), un usage plus intensif (La Meuse) et une non-utilisation des fichiers (Nord et Pas-de-Calais).
53Les électeurs des primaires en Charente n’ont pas véritablement participé à la campagne, malgré les sollicitations qui leur ont été adressées. Selon le Premier fédéral68, « la mobilisation a été très forte en Charente. Le vote Montebourg a été très important et les gens se sont servis des primaires pour manifester leur hostilité à Sarkozy et marquer un vote de gauche. Ces gens-là n’étaient pas forcément disposés à aller plus loin. Très peu d’électeurs ont participé. Les gens ne veulent pas rentrer dans le jeu politique. C’est un peu « sale » les partis. Participer aux primaires, c’est une chose. Aller plus loin, c’est un pas qu’il faut franchir et que beaucoup de personnes ne font pas, ça fait peur aussi de faire campagne quand on est pas expérimenté ». Depuis le Congrès de Toulouse de novembre 2012, la fédération de Charente a demandé aux sections d’inviter systématiquement à leurs réunions les sympathisants pour les amener à participer aux débats et leur donner éventuellement le goût d’adhérer ou de ré-adhérer – une partie des sympathisants étant en fait des anciens adhérents. Selon le Premier fédéral, « très peu participent et c’est de plus en plus difficile avec l’impopularité du gouvernement ». Dès la fin de l’année 2012 une partie des sympathisants ont demandé à être désinscrits du fichier qui avait été constitué au moment des primaires, souvent parce qu’ils ne « voulaient pas cautionner la politique du gouvernement ». La conséquence a été alors rapide : le fichier « primaires » a été utilisé par la fédération de manière homéopathique afin de ne pas « braquer les gens » ou les renvoyer à une identité trop politisée. Les sympathisants ont ainsi été invités à participer à des débats généraux comme celui autour de la fin de vie qui a réuni plus de sympathisants que de militants. Pour le rassemblement républicain qui a fait suite à l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015, ce fichier a de la même manière été utilisé. Pour plus d’efficacité, cette liste a également été scindée en deux : un fichier sympathisants socialistes (composé de 150 personnes) et un fichier sympathisants ou militants d’autres partis de gauche (composé aussi de 150 personnes). La constitution de ces listes de proches du PS n’est cependant pas une garantie suffisante pour favoriser l’affiliation partisane. Des opérations comme celle des états généraux organisés à la fin 2014 et censées ouvrir le parti sur l’extérieur ont ainsi très peu mobilisé de sympathisants.
54Dans le Val-d’Oise, un travail identique sur les sympathisants a été produit depuis les primaires, avec également des résultats mitigés.
55Selon un permanent de la Fédération69, « le message envoyé aux sympathisants de la primaire, c’est qu’on utiliserait leur contact pour les élections présidentielles et les élections législatives et plus après ces échéances. J’ai fait des doubles des feuilles d’émargement sans attendre le national. J’ai anticipé. On a redonné ensuite les listes aux sections et cherché à accrocher les sympathisants au moment des élections (présidentielles, législatives, municipales) mais avec beaucoup de précaution. On veut pas forcer la main aux gens. Les gens ne voulaient pas être contactés après les élections. C’est mon sentiment et le retour qu’on a eu. La catégorie de sympathisant n’est pas vraiment été travaillée. On les appelle quand on a besoin d’eux au moment des élections mais ils répondent pas vraiment. On a plus rien fait depuis la victoire, on adresse plus de messages aux participants aux primaires. Juridiquement, c’est aussi compliqué. On veut pas prendre de risques. Ma newsletter s’est raréfiée avec l’impopularité record du gouvernement. Le parti se recroqueville. On se renferme. Les municipales ont été très dures. On tient encore mais on a attaqué l’os. On a perdu une dizaine de villes. Les conséquences sont redoutables. On a réduit la voilure fortement. On a perdu 30 % des militants, et ça c’est juste l’impact des élections municipales avec les alimentaires. Les primaires ont été un cache sexe pour le PS, on est revenu à la situation antérieure et les sympathisants, c’est pas la priorité ».
56Le Premier fédéral du Loir-et-Cher confirme ce sous investissement militant et les limites du nouveau modèle partisan développé par le PS consacrant le passage de pratiques de « conviction » à celles de « mobilisation » (pour reprendre les termes des Bostoniens) :
« Après le meeting du Bourget, j’ai beaucoup utilisé le fichier sympathisant pendant la campagne. On a organisé une réunion publique par bureau de votes lors des primaires. On a eu en moyenne 20 à 30 personnes, ce qui est énorme et inhabituel dans notre fédération. Cette réunion visait à sensibiliser au programme avec un moment de convivialité. Très peu de sympathisants ont voulu participer à la campagne, malgré nos appels au volontariat. Un participant sur 10 à ces réunions a donné un petit coup de main sur la campagne. La campagne militante, cela ne leur parle pas. Les temps sont trop courts pour faire la bascule et passer au militantisme, même le temps d’une campagne. Ces gens n’ont pas de culture militante. Déjà venir à une réunion, c’est un engagement pour eux. »
Pire, selon le Premier fédéral, « à chaque envoi, à partir de 2013, une dizaine de personnes me demandent d’être désinscrit avec des messages de déception de plus en plus virulents à l’égard du gouvernement. Le fichier va progressivement mourir, à mon avis dans deux ans, il n’en restera plus grand-chose ».
57Le travail sur les sympathisants a été plus systématique dans la Meuse. La stratégie utilisée par le Premier fédéral en témoigne : « j’ai photocopié les listes d’émargement aux primaires, je l’ai fait à la sauvage alors que c’était interdit, à la barbare et j’ai fortement nourri le fichier de sympathisants ». Le résultat a été immédiat : le fichier de la fédération a ainsi compté 5 000 contacts – dont 2 000 méls. « C’est énorme pour une petite fédération ». Déclaré à la CNIL, il a été par la suite nourri en permanence grâce à l’action des sections, des comités de campagne et des élus. Ce mélange des techniques – les coordonnées des votants sont numérisées puis réenregistrées manuellement – souligne ainsi que, malgré des campagnes de plus en plus professionnalisées, les pratiques partisanes continuent à toujours relever de bricolages permanents entre « nouvelles bonnes manières » de mener campagne et répertoire plus ancien d’action militante. Grâce à cette hybridation des savoir-faire, les sympathisants ont reçu la newsletter de la fédération, les vœux, les communiqués de presse… Une répartition par canton et circonscription a également été faite pour être mise à disposition des cadres locaux. Contrairement à la Charente, peu de personnes ont demandé à être désinscrites depuis 2012. « Il faut les alimenter même s’ils ne viennent pas aux réunions, sinon on les perd. Dans notre petite fédération (7 communes de plus de 3 000 habitants socialistes avant 2014, 3 après, 300 cartes), réunir 20 ou 30 personnes dans une réunion c’est déjà beaucoup. »
58Dans les fédérations du Nord et du Pas-de-Calais – plus militantes –, les sympathisants font l’objet d’attentions moins grandes70. Le responsable administratif de la Fédération du Nord le confirme :
« Les gens n’ont pas appelé pendant la campagne pour dire qu’ils voulaient participer. La droite a attaqué pendant la campagne en disant que c’était illégal. On a rien fait vers les sympathisants. On n’a pas utilisé les fichiers du national. On a pris beaucoup de précautions. On voulait pas être intrusif. Notre communication dans la fédération est plutôt tournée vers les militants. Les conserver, c’est notre objectif prioritaire. La feuille de route de la fédération est envoyée aux sympathisants mais le fichier est très peu travaillé et peu utilisé. La mobilisation des sympathisants, c’est pas dans la culture de la fédération du Nord. »
Conclusion
59Les primaires citoyennes de 2011 devaient être la première étape d’une rénovation en profondeur de l’organisation socialiste. Arnaud Montebourg avait ainsi annoncé la généralisation de ce mode de consultation à l’ensemble des scrutins sur le modèle italien. La postérité a pourtant donné une autre signification à cette ambition initiale. Le processus d’aggiornamento organisationnel engagé par Martine Aubry s’est de fait enlisé depuis 2012. La dynamique de changement des primaires a ainsi été très rapidement contenue. La préparation des municipales de 2014 a fait ici figure de test grandeur nature des limites que s’était fixé de lui-même le PS. Au final, seulement six villes ont ainsi été retenues pour mettre en œuvre une confrontation ouverte entre candidats. La dynamique démocratique engagée en 2011 n’a pas été prolongée dans le cadre municipal. Le parti au local et les élus en place ont gardé dans une très large mesure la maîtrise des investitures.
60Si la différence membres/non membres doit être nuancée comme nous y invite Susan Scarrow71, la figure du sympathisant demeure toujours aussi fragile, évanescente et conjoncturelle au PS (elle apparaît et disparaît ainsi au gré des cycles électoraux). Un certain brouillage des divers acteurs en présence s’est de fait produit : électeurs de gauche, électeurs du PS, sympathisant, adhérents, militants… Comme le note Florence Haegel, « l’introduction d’une primaire conduit à des formes d’imbrication complexe entre militants, adhérents, sympathisants et électeurs, ces derniers étant au cœur des anticipations des premiers à travers leurs intentions de vote72 ». Reste que les sympathisants ne sont pas apparus comme des militants en devenir et que, si cette force des liens faibles a fait le succès des primaires, elle n’a pas raffermi l’adhésion militante. La figure du sympathisant-militant n’a pas émergé véritablement à la faveur de la primaire. D’un certain point de vue, on peut dire que la perméabilisation ponctuelle des frontières partisanes n’a pas affecté la clôture de l’organisation et a sans doute renforcé le pouvoir des dirigeants.
61Si la frontière partisane se perméabilise à certains égards avec les primaires, elle se rigidifie également selon d’autres dimensions (avec la professionnalisation politique notamment et le déclin de l’ancrage social). Les partis politiques demeurent toujours des institutions, en dépit de l’appel à des « partis réseaux » à la fois plus flexibles et plus labiles. Le sympathisant constitue de la même manière une figure qui s’institutionnalise. Il est au cœur des transformations de la légitimité des partis et des relations qu’ils souhaitent construire avec leur environnement. Il peut être sollicité de diverses manières : en étant associé davantage aux campagnes, en co-produisant le programme (comme ce fut le cas lors de la campagne de Ségolène Royal de 2007) et surtout en prenant part à des primaires « ouvertes ». En plein développement aussi bien en France qu’en Europe et en Amérique latine, la procédure des primaires « ouvertes » semble bien consacrer la figure d’un électeur doté de nouveaux droits et prérogatives mais dans le même temps, les liens des partis avec leur électorat semblent également s’affaiblir comme le soulignent le développement de la volatilité électorale ou encore l’effritement des loyautés partisanes longtemps thématisées sous l’angle de l’identification partisane73. La clôture des partis sur eux-mêmes est un phénomène qui à l’évidence s’accentue, les primaires constituant une « réponse » ponctuelle à cette fermeture.
62Avec la pratique du pouvoir, le PS s’est donc à nouveau refermé sur lui-même, obligeant les dirigeants du parti à remettre sur le métier le travail effectué lors de l’émergence de l’idée même des primaires, notamment à la faveur des États généraux organisés après les défaites des élections municipales et européennes, des « temps forts » censés constituer des moments d’ouverture au-delà de la communauté partisane. Cinq ans après la remise du premier rapport détaillant la procédure inédite des primaires par Arnaud Montebourg et Olivier Ferrand, un nouveau projet de rénovation intitulé (Re)conquérir a alors été présenté en décembre 2014 par Christophe Borgel afin de mettre au cœur de la réflexion du PS l’ouverture sur la société et d’inscrire à son agenda le renforcement de ses liens avec les « sympathisants » socialistes. Un statut du « sympathisant » a été évoqué mais le projet n’a pas été porté.
63L’organisation de primaires ouvertes en janvier 2017 peut être l’occasion pour le PS de renouer ces liens perdus. Si la décision du Conseil national du samedi 18 juin 2016 d’accepter le principe d’une présélection interne, après avoir longtemps refusé l’idée même de participer à l’initiative lancée par le journal Libération de tenir des « primaires des gauches et des écologistes », a pu surprendre, elle actait pourtant l’échec du projet porté par le collectif « Notre primaire ». Faute de partenaires avec qui négocier – Jean-Luc Mélenchon s’est déclaré candidat dès le mois de janvier, EELV s’est prononcé le 11 juin pour une candidature écologiste et le PCF ne souhaite pas voir postuler François Hollande –, le PS a pu déclarer sa disponibilité à l’organisation d’un scrutin qui devait au départ lui être défavorable. Le format et surtout le calendrier des primaires de 2017 n’épouseront cependant pas à l’identique le cadre défini en 201074. Le PS a choisi d’opter pour des primaires a minima, réduite à la seule « Belle Alliance populaire ». Mieux : son Premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, a d’emblée précisé que la consultation risquait de ne pas attirer le même nombre d’électeurs qu’en 2011. Dans ce cadre, la figure du sympathisant sera automatiquement réinterrogée. Il s’agira moins de choisir un candidat entre plusieurs prétendants ou plus encore de transformer en profondeur le corps électoral socialiste que de relégitimer le Chef de l’État à quelques mois du rendez-vous du scrutin présidentiel, soulignant ainsi que les primaires pouvaient paradoxalement plus relever de la démocratie représentative que de la démocratie participative.
64Ces « primaires de l’unité » organisées les 22 et 29 janvier 2017 seront avant tout tournées vers les « Français ». Elles sont destinées à constituer un temps essentiel de la campagne électorale de François Hollande ou du candidat désigné si le président sortant ne souhaite pas briguer un second mandat. Ce faisant, elles rappellent également qu’une procédure d’investiture, même fortement ouverte, n’est qu’une manière de réguler les concurrences existantes, avalisant ainsi l’idée que les primaires peuvent davantage constituer la première étape d’une élection présidentielle à trois tours qu’une nouvelle entreprise de redéfinition du cadre militant.
Notes de bas de page
1 Abeles M., « Les primaires ou le triomphe du sympathisant », Libération, 2 septembre 2009.
2 Lefebvre R., Les Primaires socialistes. La fin du parti militant, Paris, Raisons d’agir, 2011. Par « fin du parti militant », l’auteur entend l’affaiblissement de la norme militante et non « la fin des militants ».
3 Barboni T., « Le Parti Socialiste, parti de militants, des militants… ou de supporters », Recherche socialiste, 2009, p. 46-47.
4 Lefebvre R., « Le militantisme socialiste n’est plus ce qu’il n’a jamais été. Modèle de l’engagement distancié et transformations du militantisme au Parti Socialiste », Politix, no 102, 2013.
5 Sur la mise en récit de la réussite démocratique des primaires, voir notamment : « Les primaires : une voie de modernisation pour la démocratie française. De l’expérience socialiste au renouveau citoyen », rapport présenté par la Fondation Terra Nova, 21 novembre 2011.
6 On observe un phénomène similaire pour le SPD en Allemagne, voir Burkhardt S., Haegel F., « La mobilisation partisane », dans Demesmay C., Glaab M., (dir.), L’Avenir des partis politiques en France et en Allemagne, Lille, Presses du septentrion, 2009, p. 141 et suivantes.
7 Haegel F., « Un parti politique a-t-il besoin d’adhérents ? », La Revue socialiste, août 2003.
8 Voir notamment Scarrow S., Beyond Party Members. Changing Approaches to Partisan Mobilization, Oxford, Oxford University Press, 2015.
9 L’auteur invite à nuancer la distinction trop marquée à son sens entre ouverture et fermeture, entre « inclusion » et « access »: « it is useful to go beyond the binary distinction between (member-only) and open (all voter) primaries. Because voting procedures interact with eligibility rules, it is more accurate to describe the electorate for intra-party decisions by placing it along the dimensions of inclusion and access (Hazan-Rahat). Inclusion describes formal eligibility to participate in the decision. Access describes the hurdles that must be navigated by those who are eligible to vote in parties elections. Parties can be highly accessible even if they are not particularly inclusive. For instance, parties which hold member-only ballots can make it easy or difficult to fulfill membership requirements » (idem, p. 187).
10 Les partis de gauche sont ainsi pris dans un dilemme stratégique : comment renforcer le pouvoir des sympathisants sans liquider la base militante ? Les primaires sont une réponse au rétrécissement de la base militante des partis qui conduit dans le même temps à accentuer cette tendance.
11 Aux États-Unis, le militantisme relève de l’amateurisme politique analysé par J. Wilson et peut être assimilé à la catégorie de sympathisant-militant : « Il s’agit d’un bénévolat ponctuel qui s’exerce lors des grandes consultations électorales, spécialement les présidentielles, et qui se manifeste de manière graduelle – du port du macaron au rôle de délégué à la convention, en passant par la vente de tee-shirts au nom de candidat, etc. » Wilson J. Q., The Amateur Democrat, Chicago, The University Chicago Press, 1966.
12 Duverger M., Les Partis politiques, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1976 (1re édition 1951).
13 Seiler D. L., Les Partis politiques, Paris, A. Colin, 2e édition, 2000, p. 188.
14 Les électeurs de la primaire sont nombreux dans les enquêtes à marquer la volonté avant tout que Nicolas Sarkozy soit battu. De Luca M. « Les électeurs socialistes dans les primaires présidentielles à Paris », French Politics, Culture & Society, vol 32, 2, 2014.
15 Par exemple, le travail de thèse d’Anaïs Théviot, « Mobiliser et militer sur internet. Reconfigurations des organisations partisanes et du militantisme au PS et à l’UMP », université de Bordeaux, Sciences po Bordeaux, 2014, sous la direction d’Antoine Roger.
16 « L’on sait, que parmi les adhérents a été socialement construite une catégorie “d’adhérents actifs” qui se reconnaissent et sont reconnus par les autres comme militants. Faut-il dès lors entériner ce classement social spontané (“je milite au PS”, “c’est un militant”) ou au contraire établir objectivement des indicateurs de militantisme (assistance aux réunions, activisme partisan, temps consacré au parti, paiement régulier des cotisations…). Faut-il séparer les militants des responsables ? Faut-il séparer le militant de l’élu en estimant que leurs rôles sont contradictoires, et qu’un élu, même non professionnalisé, n’est déjà plus un militant ? » Offerle M., Les Partis politiques, Paris, PUF, 1987, p. 72.
17 Voir la communication de Rémi Lefebvre dans cet ouvrage.
18 L’UMP a tendance à considérer comme adhérent des simples soutiens financiers. Le « Sarkothon » de 2012 a permis ainsi d’engranger en 2014 50 000 adhérents.
19 On s’appuie ici, outre sur le suivi des primaires, sur une dizaine d’entretiens avec des cadres et des dirigeants socialistes qui seront évoqués au fil de l’analyse. L’enquête a porté par ailleurs sur six fédérations socialistes de tailles différentes. Nous avons réalisé un entretien avec des cadres de la Charente, de la Meuse, du Pas-de-Calais, du Loir-et-Cher, avec des permanents du Val-d’Oise, du Nord et un membre de la direction fédérale du Pas-de-Calais.
20 Voir l’ouvrage publié par Olivier Ferrand, président de la Fondation Terra Nova et Arnaud Montebourg, Primaire. Comment sauver la gauche, Le Seuil, 2009.
21 « Les primaires : une voie de modernisation pour la démocratie française. De l’expérience socialiste au renouveau citoyen », rapport présenté par la Fondation Terra Nova, 21 novembre 2011.
22 Sur la dimension matérielle des opérations électorales, voir Deloye Y, Ihl O., L’Acte de vote, Paris, Presses de SciencesPo, 2008, p. 12. L’adoption pour les primaires des usages du rituel de l’élection républicaine constitue de ce point de vue un guide et un repère institutionnel réducteur d’incertitude et producteur de légitimité. Voir Faucher F., Hay C., « Les rituels de vote en France et au Royaume-Uni », Revue française de science politique, vol. 65, no 2, 2015.
23 Le fait que les militants aient dû s’acquitter comme les sympathisants d’un euro a été souvent très mal vécu et cela d’autant plus qu’ils n’avaient pas ménagé leurs efforts pour organiser l’événement (ce qui prouve que les militants sont restés très attachés à cette identité distinctive). Exonérer du paiement de « un euro » aurait cependant nécessité une table de contrôle supplémentaire. Le PS a souhaité d’autre part que l’électorat ne fasse qu’un tout et qu’il y ait le moins de différenciation possible.
24 « La primaire a remobilisé l’appareil socialiste et replacé les militants dans une démarche d’action militante de terrain, là où les conflits internes avaient semblé absorber une énergie considérable jusqu’au Congrès de Reims. Avec la primaire, le parti socialiste n’est pas mort : il revit. » (Rapport sur le bilan de la primaire, Terra Nova.)
25 Aux États-Unis, les primaires sont organisées comme un scrutin national, avec le même niveau d’exigence dans la sincérité et la qualité du scrutin, mais les partis organisateurs bénéficient de l’aide des administrations d’État, notamment pour tenir les listes électorales et organiser les bureaux de vote. En Italie, le Parti démocrate a organisé seul les différentes primaires italiennes, mais le niveau d’exigence logistique était moindre : par exemple, lors de la primaire Prodi en 2005, les électeurs pouvant voter dans n’importe quel bureau de vote (ce qui a conduit à de nombreuses irrégularités).
26 Les fédérations socialistes n’ont pu commencer les trainings sur les aspects technologiques qu’en septembre.
27 Libération, 14 décembre 2010.
28 Certains préfets n’ont cependant pas souhaité jouer le jeu, obligeant alors le PS à solliciter les listes électorales directement auprès des mairies.
29 La Fondation Terra Nova a émis le souhait dans ses préconisations post primaires que la CNIL autorise, tout en l’encadrant, la constitution d’un tel fichier national de sympathisants dans la durée.
30 Ce n’a pas été le cas dans les autres fédérations analysées.
31 La ville de Nice a fait payer cher la location des salles.
32 Stéphane Le Foll, le principal lieutenant de François Hollande, reproche fin septembre ponctuellement à la direction du parti de ne pas organiser la primaire dans certains départements : « Dans certains endroits, il ne se passe rien, les fédérations ne bougent pas. Il y a une stratégie visant à limiter la participation en contrôlant l’implantation des bureaux. » (Le Monde, le 21 septembre 2011.)
33 La Première secrétaire fédérale des Yvelines, Estelle Rodes, qui soutient Martine Aubry s’abstient de tout soutien public à la maire de Lille. Elle stocke les tracts de la candidate dans son garage. Moulai C., Faire campagne dans l’incertitude. Martine Aubry à la conquête du « peuple de gauche », mémoire de Sciences po Lille, sous la direction de Rémi Lefebvre, mai 2016.
34 Sur les débats internes entre partisans du non et partisans du oui au Traité constitutionnel européen au sein du PS, voir Treille E., « Désunions européennes. Le référendum interne du Parti Socialiste sur la Constitution », dans Cohen A., Vauchez A., (dir.), La Constitution européenne. Élites, mobilisations, votes, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2007.
35 La Haute Autorité de la primaire, instituée par le PS pour contrôler ce scrutin interne, déclare que « chaque candidat doit pouvoir disposer de moyens d’expression et d’action identiques ». Pour ce faire, les cinq candidats socialistes ont pu avoir recours à une partie des moyens du parti : « Déplacements, chauffeurs, services d’ordre, moyens de presse, moyens d’étude », a ainsi noté la Haute Autorité. Le sixième candidat, Jean-Michel Baylet, venant du Parti radical de gauche (PRG), n’a pas bénéficié de ces moyens : sa formation a disposé de la structure juridique et humaine nécessaire pour recueillir des dons. Le PS a par ailleurs attribué aux candidats une enveloppe de 30 000 euros chacun pour leur campagne. Une somme qui est passée à 50 000 euros, après une décision du Comité d’organisation des primaires (CNOP) fin août. Le parti a créé à cette occasion une structure baptisée BVP 2011, dont le rôle fut de récolter le fruit de la participation de un euro demandée à tous ceux qui ont voté aux primaires. Ce budget de 50 000 euros – relativement faible – est à considérer au regard des coûts engendrés par les campagnes des différents candidats : déplacements, hébergement, meetings, tracts, sites Web…
36 Les hésitations des sondeurs lors des primaires sont apparues emblématiques des difficultés à définir le périmètre des sympathisants. Afin d’approcher au mieux le corps électoral réel, ont été généralement isolés deux sous-échantillons : les sympathisants de gauche, et, au sein de ceux-ci, ceux qui se sont déclarés certains d’aller voter. Pour limiter les marges d’erreur sur le premier sous-échantillon, les instituts ont interrogé plusieurs milliers de Français et, selon les cas, ont travaillé sur des populations de 800 à 1 300 sympathisants de gauche.
37 Sur cette notion, voir Lefebvre R., « La mobilisation électorale », dans Cohen A., Lacroix B., Riutort P., Manuel de sociologie politique, Paris, La Découverte, 2015 (nouvelle édition).
38 Vitry L., À l’école des primaires, Faire campagne dans l’incertitude, La campagne de Ségolène Royal aux primaires citoyennes de 2011, mémoire, Sciences Po Lille, sous la direction de Rémi Lefebvre, mai 2012, page 8.
39 « Campagne à l’ancienne », Le Monde, le 2 septembre 2011.
40 Idem.
41 L’objet fétiche de la campagne de Ségolène Royal a ainsi été une petite borne d’accueil d’un mètre de hauteur sur un de large, petit pupitre facilement installable et démontable, derrière laquelle se place la candidate pour dialoguer directement avec les gens lors de ses déplacements. Ce pupitre est installé sur une place pour que les gens qui le souhaitent puissent venir directement à sa rencontre. Y est inscrit le slogan « Royal 2012, avec les forces citoyennes ». Laure Bretton, du journal Libération, a ainsi décrit la scène qui se produisait lors de ce type de rencontre : « Pour ces opérations commando dans les quartiers, l’équipe de Royal a inventé un pupitre mobile à ses couleurs […] Plié dans un carton ultraléger, il se monte à la dernière minute si, ou quand, une foule se forme. Au lieu d’un meeting, la conversation s’engage comme sur un petit comptoir, une sorte de « guichet de doléances » sur lequel la candidate prend des notes ou signe des autographes. » Arnaud Montebourg a quant à lui utilisé sur le terrain des « Stand up parapluie » qui pouvaient s’installer n’importe où. « Pliage et dépliage en quatorze minutes », assure l’équipe d’Arnaud Montebourg.
42 Cette stratégie va payer : les résultats montrent la capacité d’enrôlement des élus sur les sympathisants (voir la partie 3 de cet ouvrage).
43 « Personne ne peut dire qu’il a des relais organisés autour de lui au sein des associations. Le milieu associatif n’est plus fédéré politiquement », note François Lamy, directeur de campagne de Martine Aubry dans le cadre des primaires, Le Monde, 31 juillet 2011.
44 Martine Aubry suscite la perplexité de ses soutiens sur sa motivation réelle en partant un mois en vacances au Canada.
45 Le Monde, 29 aout 2011.
46 Les déplacements de Martine Aubry obéissent à un schéma immuable : une ville, un thème, une rencontre avec les professionnels, un point presse, une heure avec les sympathisants. Sa campagne est critiquée comme relevant d’un « saucissonnage » par l’équipe de François Hollande.
47 La stratégie n’a pas échappé à son principal adversaire : « Martine mobilise les secteurs identifiés, dont elle pense qu’ils viendront à la primaire » analyse François Hollande. Pierre Moscovici, coordonnateur de sa campagne, confirme ce diagnostic : « La personne âgée, tendance gauche modérée, qui veut voter Hollande, n’est pas forcément autant choyée (par le camp Aubry) que le syndicaliste de GDF. » (Le Monde, 24 septembre 2011.)
48 Martine Aubry est présente au Congrès de l’Union sociale pour l’habitat à Bordeaux début octobre.
49 Martine Aubry s’est prononcée pour la dépénalisation du cannabis pour se démarquer des autres candidats dans un chat sur Rue 89.
50 Rappelons que la principale ressource de François Hollande est sa présidentiabilité mesurée par les sondages. Sur cette question, voir Lefebvre R., « Les primaires, triomphe de la démocratie d’opinion ? », Pouvoirs, no 154, 2015.
51 On s’appuie ici sur Léo Vitry, À l’école des primaires. Faire campagne dans l’incertitude. La campagne de Ségolène Royal aux primaires citoyennes de 2011, mémoire de Sciences Po, Lille, mai 2012.
52 Le parti dont les électeurs se sentent le plus proches dans l’enquête menée à Paris sont le PS mais seulement à 55 % (20 % pour les Verts, 12 % pour le Front de gauche). De Luca M. « Les électeurs socialistes dans les primaires présidentielles à Paris », French Politics, Culture & Society, vol. 32, no 2, 2014. À Paris, Les corrélations mesurées entre la participation aux primaires et les résultats des élections régionales confirment la thèse que ce sont très majoritairement des sympathisants du PS, mais aussi d’Europe Écologie – Les Verts (EELV), qui sont allés voter aux primaires. Beauguitte L, Leviselli D., « Les primaires citoyennes de 2011 à Paris : un événement singulier, une géographie familière », Métropolitiques, 14 octobre 2015.
53 « Que feront les militants de gauche et écolos à la primaire ? », LeMonde.fr, le 14 septembre 2011.
54 Le Monde, le 14 septembre 2011. Les extraits qui suivent sont issus de cet article.
55 Entretien, le 13 janvier 2015.
56 Le Figaro, 17 octobre 2011.
57 Voir aussi, « Les coordonnées de 650 000 sympathisants, l’autre trésor de guerre du PS », LeMonde.fr, le 18 octobre 2011.
58 « C’est moins qu’espéré. À l’origine, le parti tablait sur le fait qu’un tiers des personnes venues voter s’inscriraient dans le fichier. Ça a été proposé avec plus ou moins d’insistance dans les bureaux de vote, notamment en fonction de l’affluence. On aurait sans doute pu en obtenir davantage dans la mesure où les votants étaient plutôt partants pour rester informés », souligne Laurence Girard, secrétaire générale du PS qui a piloté l’organisation de la primaire (entretien avec Laurence Girard, le 14 janvier 2015). Recueillir les contacts des sympathisants n’a pas été le souci prioritaire dans les bureaux de votes selon Terra Nova qui regrette : « Du coup, beaucoup de coordonnées qui auraient pu être recueillies ne l’ont pas été. »
59 Libération, 10 octobre 2011.
60 Les listes des primaires ont été rangées dans des cartons scellés sous contrôle d’huissier et entreposées dans les fédérations. Envoyées par transporteur et sous contrôle d’huissiers depuis les différentes fédérations socialistes, les listes ont été incinérées rapidement par la société Paprec de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Avant le début de la campagne, Jean-François Copé et d’autres membres de la majorité avaient dénoncé « un gigantesque fichage politique » de la part du PS. Le député de l’Oise Édouard Courtial avait ainsi saisi la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) pour lui demander d’interdire les primaires PS évoquant « un véritable flicage ». La CNIL a donné un mois au PS pour détruire les listes électorales, Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur, jugeant ce délai trop long.
61 Cette réhabilitation de pratiques de campagne jugées naguère peu significatives a pour conséquence de modifier les perceptions de l’efficacité des techniques électorales et plus largement de complexifier le modèle évolutionniste qui domine actuellement la recherche américaine sur les mobilisations des électeurs. Voir Norris P., Politics and the press. The New media and their influences, Boulder, Rienner, 1997.
62 Le décloisonnement entre des catégories classiques du militantisme (adhérent/sympathisant) est à l’origine d’un gain substantiel de l’efficacité de la mobilisation à l’intérieur du camp démocrate aux États Unis. Ce dernier pouvait compter dans chaque État sur un réseau de volontaires, prêt à agir pour participer à la victoire de leur favori, notamment en allant frapper aux portes. En 2008, 1,2 million de personnes ont été mobilisées pour aller au-devant des électeurs américains sur tout le territoire afin de présenter le programme démocrate et d’essayer de convaincre les abstentionnistes. Cette opération, menée à travers tout le pays, demande une forte coordination des actions et des moyens considérables.
63 Lefebvre R., « La modernisation du porte-à-porte au Parti Socialiste. Réinvention d’un répertoire de campagne et inerties militantes », Politix, no 113, 2016/1.
64 Ibid.
65 Pene C., « La nouvelle science électorale américaine », Politique étrangère, no 2, 2013.
66 Dans une enquête sur les primaires à Paris, 92 % des électeurs déclarent n’être adhérents d’aucun parti politique et 25 % vouloir participer à des activités du parti ou de la campagne ultérieurement. De Luca M., « Les électeurs socialistes dans les primaires présidentielles à Paris », French Politics, Culture & Society, vol. 32, 2, 2014.
67 Entretien avec Guillaume Liegey et Vincent Pons, octobre 2012.
68 Entretien, le 11 janvier 2015.
69 Entretien, le 8 janvier 2015.
70 Entretiens, le 8 janvier 2015.
71 « Analysts who study grassroots party organizing need to get beyond categories that rigidly divide party supporters into members and non-members. Instead, we need to see supporters in the way that parties increasingly seem to view them: as individuals who move between different levels of party activism and interest. Traditionnal formal leadership is only one part of a portfolio of organizational options in which parties can invest when attempting to convert individual political interest into a partisan resorce. » Scarrow S., Beyond Party Members. Changing Approaches to Partisan Mobilization, Oxford, Oxford University Press, 2015, page 3.
72 Haegel F., « La primaire à l’UMP : genèse et enjeux », Pouvoirs, 154, 2015
73 La catégorie de sympathisant est essentiellement une catégorie et un artefact de sondeurs que les primaires ont stabilisé (les instituts ont intérêt à faire exister cette catégorie dont le vote devient essentiel dans le processus de sélection présidentielle). Le sondage de l’Institut CSA portant sur une radiographie des sympathisants PS à l’occasion de l’ouverture des universités d’été de La Rochelle de 2014 en est un bon exemple.
74 « PS : vers une primaire taillée pour Hollande », Le Monde, 19 et 20 juin 2016.
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