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Les primaires ouvertes en France

 | 
Rémi Lefebvre
, 
Éric Treille

Deuxième partie. La mobilisation des primaires

6. Le projet socialiste (dés) saisi par les primaires

Procédures « rénovatrices » et production programmatique

Rafaël Cos

Texte intégral

  • 1 Voir notamment Lefebvre R., Les primaires socialistes. La fin du parti de militants, Paris, Raison (...)

1L’introduction des primaires comme réponse à la crise multiforme traversée par les partis politiques a déjà fait l’objet d’un premier ensemble de travaux1. Le développement de cette technologie électorale y est appréhendée comme un analyseur des transformations des organisations partisanes, dans le rapport que celles-ci entretiennent à leur base militante, aux modes de légitimation de leur leadership interne ou aux différentes stratégies d’optimisation électorale. Plus spécifiquement, l’analyse s’est portée sur les effets de l’internalisation de la logique présidentielle sur le fonctionnement des partis. On sait néanmoins encore peu de choses sur la manière dont cette dynamique a pu peser sur la production partisane des idées ou, plus précisément, comment cette tendance à l’affaissement des frontières partisanes a pu altérer la « fonction programmatique » que leur attribuent classiquement les manuels de science politique.

  • 2 Sur les apports heuristiques de la notion interactionniste de « carrière » à l’étude des biens idé (...)

2Pour commencer à répondre à cette question, ce chapitre réouvre la séquence initiée par l’introduction des primaires ouvertes au Parti socialiste. Il vise à restituer la « carrière »2 de l’enjeu programmatique tout au long du processus qui démarre avec le congrès de Reims en novembre 2008 pour aboutir à la désignation de François Hollande à l’élection présidentielle le 16 octobre 2011. L’analyse suit les luttes internes portant sur le circuit organisationnel par lequel le Parti socialiste produit son offre programmatique. En reliant le « projet » du parti aux étapes précédant et suivant son officialisation ainsi qu’aux procédures qui, en parallèle, contribuent peu à peu à faire exister les primaires, on cherche à mettre au jour la tension qui se noue entre le « projet » du parti et le « programme » du ou de la futur-e candidat-e. En 2011, le destin du projet socialiste peut ainsi se lire comme le produit d’une configuration singulière, qui met aux prises un problème récurrent – le statut de l’intellectuel collectif partisan dans une compétition électorale personnifiée –, une entreprise de réforme – les primaires ouvertes – et les intérêts propres de la direction socialiste. Ce prisme d’analyse permet, au-delà, de dégager l’articulation sans cesse problématique entre les normes collégiales qui président ordinairement aux prises de position partisanes et les logiques concurrentielles que les primaires, d’abord sur le mode de l’échéance virtuelle, puis sous la forme d’une procédure matérielle, sont venues aiguiser.

3La première partie met en évidence la manière dont les politiques de « rénovation » portées par la nouvelle direction ont progressivement accouché d’une contradiction procédurale : alors qu’elles visent simultanément à « remettre le parti au travail » tout en soldant la question lancinante du « leadership », ces deux dynamiques finissent par s’opposer – jusqu’à mettre en crise le principe même d’un projet élaboré au nom du parti. La seconde partie revient sur les usages du projet finalement validé dans la dynamique de la campagne des primaires. L’analyse montre la résistance ambiguë du « projet » socialiste, qui survit aux attaques dont il fait l’objet en même temps qu’il est progressivement relégué dans l’ordre de la parole partisane légitime.

La mise à l’épreuve de la « fonction » programmatique du parti

  • 3 Bezès P., Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, c (...)
  • 4 « Pas à pas, Martine Aubry cherche à construire une alternative », Le Monde, 2 mars 2009.

4En 2008, et comme en 1995 et 2002, le premier congrès socialiste qui se tient après une élection soldée par une nette défaite est l’occasion de convoquer unanimement l’antienne de la « rénovation ». Ce cadrage initial du congrès de Reims autour de ce que l’on pourrait appeler, en s’inspirant de Philippe Bezès, un « souci de soi3 » rénovateur, est renforcé par la faible légitimité dont peut se prévaloir Martine Aubry mal élue au terme du scrutin qui sanctionne la fin du congrès. Ce double élément de contexte favorise une prise de rôle attachée à faire valoir l’image d’un « parti au travail », placé en miroir du « vide sidéral » que la nouvelle Première secrétaire clame avoir trouvé rue de Solférino après le départ de François Hollande4.

  • 5 La Première secrétaire n’était initialement pas favorable à la procédure, à laquelle elle se ralli (...)

5La stratégie de « rénovation » de la nouvelle direction se déploie progressivement sur un double front. Elle transite par deux opérations symboliques successives visant à relégitimer l’image du parti : le vote interne sur le non-cumul des mandats, et la reprise de la proposition pour des primaires ouvertes5. Elle s’incarne également au travers d’un ensemble de procédures idéelles : le « Tour de France du Projet », la mise en place du Laboratoire des Idées, l’organisation de trois conventions thématiques et de huit « forums idées », qui sont autant d’initiatives supposées abonder plus ou moins directement la confection du programme. Or, non seulement l’entreprise de « rénovation » se détache d’emblée de ce calendrier programmatique, mais elle aboutit progressivement à remettre en cause l’idée même d’un projet du parti.

« Libérer le travail sur le projet »

  • 6 Sur cette entreprise de réforme visant à constituer les primaires en solution au problème du « lea (...)

6Mandaté par Martine Aubry, Arnaud Montebourg entreprend, avec Olivier Ferrand, président de la fondation Terra Nova, l’élaboration d’un rapport dévolu à l’introduction future de la procédure des primaires6. Les modalités du dispositif font l’objet de textes intermédiaires, qui donnent à voir la manière dont celles-ci se télescopent frontalement avec le calendrier et, partant, la vocation même du projet. Le premier rapport remis par les « rénovateurs », présenté en Bureau national en juin 2009, établit une analyse très ramassée, mais radicale : il constate l’absence de continuité, dans l’histoire récente du parti, entre « projet » partisan et « programme » présidentiel ; les étapes préparatoires au « projet » sont présentées comme un pur enjeu de congrès, au sens où elles ne feraient que reconduire encore les luttes internes – dont le substrat « idéologique » est considéré, en creux, comme quantité négligeable ; plus encore, la suppression du « projet » du parti est présentée comme une condition de légitimation des primaires. Dès lors, « libérer le travail sur le projet », comme l’écrivent les auteurs, revient surtout à se libérer de celui-ci.

  • 7 « Pour des Primaires ouvertes et populaires », rapport du Secrétariat national à la rénovation, 18 (...)

« Le parti socialiste vit sur un mythe : que le programme présidentiel est élaboré collectivement par le parti, et qu’on choisit ensuite un candidat pour le porter. Cette croyance aboutit à une impasse car il est impossible d’empêcher chaque candidat à la primaire, quelle qu’elle soit d’ailleurs, ouverte ou confinée dans le parti socialiste, d’être porteur d’une ligne politique propre. En vérité, le parti doit proposer par l’innovation, la créativité, par le travail collectif, les éléments du projet, à charge pour les candidats de s’en emparer ou de s’en distinguer en les faisant valider par le vote des primaires.
Priver les candidats de défendre leurs propres positions, ce serait résumer la primaire à un concours de vaches limousines, ce qui nous paraît contraire à notre culture. Si nous obligions chaque candidat à reprendre le projet de son parti, chaque candidat voudra alors tourner le projet à son avantage, espérant préempter la désignation. À chaque convention thématique, nous rejouerions le congrès. Les idées neuves seraient repoussées non pas selon leur mérite propre, mais parce qu’elles sont associées à un concurrent. […] C’est pourquoi il faut arrêter dès maintenant le principe de la primaire, et reconnaître qu’elle permettra de trancher non seulement entre des personnalités mais aussi entre des lignes politiques et des programmes dont ces personnalités seront porteuses.
Une telle décision aura pour effet salutaire de libérer le travail sur le projet. Nous n’aurons plus besoin de voter sur le projet : la ligne politique sera tranchée lors de la primaire. Nous pourrons réfléchir librement, solliciter experts, intellectuels et citoyens pour produire des idées neuves, faire un travail de synthèse identifiant les points retenus par le collectif et ceux faisant débat. Chaque candidat pourra y puiser pour construire sa propre ligne politique, soumise à l’arbitrage final de la primaire. Cette stratégie nous permettra de sortir du huis clos de nos appareils partisans, de tester, d’ajuster, de modifier les idées qui ne fonctionnent pas devant et avec les citoyens. En clair, nous assumons que le projet puisse être vivant et mobile en fonction de ce que les Français pourront nous en dire.
Faire et achever notre projet avec les Français, voilà à quoi serviront les Primaires Populaires de toute la gauche. Loin de s’opposer, la décision sur la primaire et le travail sur le projet se complètent donc7. »

  • 8 En 1980, 1988, 1995, 2001 et 2006, le Parti socialiste a systématiquement produit un « projet » do (...)
  • 9 En janvier 2006, François Hollande, alors Premier secrétaire, aurait réfléchi à l’hypothèse d’une (...)
  • 10 Sur l’ajustement du travail idéel de Terra Nova à la perspective de l’élection présidentielle, Arg (...)

7Cette remise en cause de la nécessité du « projet » du parti8, dont la formulation dans un texte de ce statut est semble-t-il inédite9, peut s’interpréter à la croisée de deux logiques : d’une part, tout se passe comme si elle explicitait l’épuisement d’un rite dont la contradiction interne, depuis les deux mandatures de François Mitterrand jusqu’à l’élection présidentielle de 2007, n’a jamais cessé de se cristalliser. De ce point de vue, ce n’est donc pas tant le constat qui doit étonner que le fait qu’il puisse désormais trouver une traduction symbolique. D’autre part, cet épuisement rencontre les intérêts propres des auteurs – et en particulier celui d’Olivier Ferrand. Outre le contournement de la collégialité partisane qu’elle autorise, la fragmentation de l’offre programmatique qu’encourage l’initiative des réformateurs a en effet d’autant plus de chances d’être profitable au travail de Terra Nova que les dirigeants du think tank soutiennent à l’époque la candidature de Dominique Strauss-Kahn. Satelliser le processus de confection de l’offre programmatique permet ainsi d’asseoir l’entreprise de redéfinition des frontières partisanes de laquelle participe Terra Nova10.

  • 11 Lefebvre R., Les Primaires socialistes… op. cit., p. 79-86.
  • 12 « La Rénovation », rapport présenté en Conseil national, p. 5.
  • 13 Voir sur ce point Bachelot C., « Un gouvernement des pairs ? De la collégialité au sommet des part (...)

8Dans cet effort qui vise à réviser le calendrier traditionnel de l’organisation, la proposition des réformateurs d’écarter l’hypothèse d’un congrès précédent les primaires se heurte aux intérêts propres de la Première secrétaire et de son entourage – pour qui, par un effet de rôle, le « projet » est perçu comme un dispositif de civilisation des primaires11. Dans le rapport définitif qu’Arnaud Montebourg présente en Conseil national, la solution adoptée résulte donc d’un compromis : le parti célébrera bien son « projet », mais dans le cadre d’une convention nationale de ratification. Il est stipulé que celle-ci « rassemblera nos propositions dans un ensemble cohérent et dynamique constituant le projet socialiste pour l’élection présidentielle, sur lequel s’appuieront les candidats aux primaires. Ce projet servira de référence pour la signature d’un contrat de législature avec nos partenaires pour les élections législatives qui suivront12 ». Cette formulation appelle plusieurs remarques. Premièrement, l’usage tactique de l’ambiguïté (un ensemble « cohérent » mais « dynamique », soit à la fois homogène et instable) masque mal l’option à front renversé que propose le texte : le « projet » sera validé avant l’élection présidentielle, mais ne sera réellement mobilisé qu’après l’élection d’un-e candidat-e socialiste choisie en partie sur la base de son propre programme. Deuxièmement, si l’absence de compte-rendu disponible des délibérations ultérieures, à la fois en commission ou au Bureau national, nous interdit de décrire avec précision les conditions et les modalités d’arbitrage, on peut néanmoins estimer que celui-ci tend à démonétiser le statut symbolique du projet. En ce sens, dès lors qu’il explicite en creux le cadrage dominant que les socialistes se font de leurs propres congrès – soit une séquence critique et dangereuse, dominée par les jeux d’appareil, bien plus qu’un lieu de délibération sur différentes lignes idéelles – cet arbitrage livre un bon indice de la structuration de l’ordre symbolique du parti. Troisièmement, parce qu’elle est à la fois floue sur l’articulation entre projet et candidature, et claire sur la vocation législative de celui-là, cette solution ne règle pas réellement le statut du projet. Le débat feutré qui s’exprime à l’occasion du Conseil national du 8 juin 2010 – lors duquel le texte est voté – livre une idée claire des incertitudes qui continuent de peser sur le statut du « projet ». Dans une allocution inaugurale où le mot « projet » (au sens de texte partisan) est prononcé à douze reprises, Martine Aubry se livre à une forme de défense à mots couverts de la collégialité partisane13 – qui est aussi, de fait, un plaidoyer pro domo.

  • 14 L’Hebdo des socialistes, no 575, p. 3.

« La rénovation, c’est d’abord faire passer la discussion sur le projet avant la sélection des personnalités. […] De quoi s’agit-il ? Certains m’en ont parlé avec force et m’ont convaincue : il nous faut, avant de choisir nos candidats, être capables de tirer toutes les conséquences des quatre grandes conventions, des Forums des idées dans lesquels nos militants auront travaillé avec la société civile pour pouvoir présenter un projet cohérent sur lequel devront s’appuyer les candidats à la présidentielle. La force c’est le projet, la force c’est la ligne politique, rien n’est pire que des petits arrangements ou des consensus, il nous faut donc, comme nous savons le faire démocratiquement, être capables, au printemps, de porter le projet des socialistes sur lequel s’appuieront nos candidats aux primaires et, finalement, notre candidat à la présidentielle14. »

9Après une intervention plus explicite encore de la part Benoît Hamon, la réponse embarrassée d’Arnaud Montebourg réplique l’équivoque du texte initial : rappelant qu’il s’agit là d’une « question assez difficile à résoudre depuis les débuts de la Ve République » et que « le débat a été vif », il lit à la tribune le paragraphe reproduit dans la convention. Sa conclusion livre un bon exemple des tournures tortueuses qui font souvent le style particulier du compromis politique : « c’est une synthèse forte, solide, qui permet d’imaginer que les candidats prendront appui sur le projet » (p. 8-9 – c’est nous qui soulignons). Au fond, tout se passe comme si le « projet » était pris entre deux logiques. D’une part, le travail des rénovateurs cherche à rationaliser l’ajustement des tâches programmatiques à la structure de la compétition électorale. À une élection personnalisée doit répondre une offre programmatique singulière ; l’expression collective du parti doit quant à elle se restreindre à des élections législatives conçues comme un pur appendice de l’échéance mère de la Ve République. D’autre part, cette logique d’acclimatation, parce qu’elle néglige en soi les combinaisons possibles entre la marque partisane et le style d’une candidature individuelle (Martine Aubry personnalisant le collectif partisan), apparaît d’emblée soumise à une carrière aléatoire. La dynamique de confection des textes préparatoires au « projet » gagne à être lue au prisme de cette tension contradictoire.

Une dynamique de privatisation des textes collectifs

  • 15 Trois conventions thématiques se sont échelonnées sur l’année 2010. Pilotées par des cadres du par (...)

10Dès lors qu’elles projettent, à partir de 2009, l’ombre portée de l’élection présidentielle, les primaires constituent un déjà-là, avant même que ni leur principe, ni leurs modalités ne soient encore avalisées. Au niveau des conventions15, elles ont ainsi opéré selon un double effet : d’abord, elles ont guidé les principes de confection de leurs organigrammes ; ensuite, elles ont progressivement catalysé les opérations de captations mises en œuvre par les responsables de ces conventions. C’est ce que montrent successivement la comparaison entre les deux modes de production respectifs de la première et de la dernière des trois conventions thématiques, et la validation finale du projet du parti.

  • 16 « Pierre Moscovici est décidé à “clarifier” certaines positions du PS sur l’économie », Le Monde, (...)

11Le processus de production des textes conventionnels présente la particularité de mettre aux prises à la fois les styles idéels relativement différenciés des responsables nommés par la direction, et la mise en scène du collectif partisan, présenté comme étant tout entier tourné vers l’effort de production programmatique. Alors que le travail réalisé en amont de la convention prédispose à l’endossement des postures distinctives, l’objectif consistant à consacrer au grand jour le travail collectif exerce un effet rebours sur les tractations de coulisses. Au début de l’année 2010, Pierre Moscovici, chargé de la première convention traitant du Nouveau modèle de développement, s’est ainsi précocement déclaré « intéressé » par une éventuelle participation aux primaires dans le même temps qu’il cherchait ostensiblement à personnaliser le texte dont il avait la responsabilité. Les jours précédant la première discussion de celui-ci en Bureau national illustrent cette tension – médiatisée et amplifiée par voie de presse – entre démarche distinctive et rappel à l’ordre collectif. Pointant publiquement une série d’arêtes clivantes à l’intérieur du parti (les contraintes budgétaires, le périmètre du secteur public, le libre-échange et l’Europe), le député évoque, quelques jours avant la première discussion de celui-ci en Bureau national, sa volonté de « ne pas évacuer un certain nombre de clarifications » ni d’« endosser une synthèse molle ». En réaction, la direction décide de « reprendre la main » sur le texte, au nom du fait que « le cahier des charges ne consistait pas à étaler nos divergences, mais à les dépasser16 ».

  • 17 Émeric Bréhier, animateur du courant de Pierre Moscovici et membre du Bureau national en 2010, nou (...)
  • 18 « BN du 21 avril », document manuscrit, archives privées d’Émeric Bréhier.
  • 19 « Discours d’ouverture par Pierre Moscovici », Conseil national du 27 avril 2010, <http://archives.parti-socialiste.fr/articles/le-conseil-national-de-la-convention-nouveau-modele-de-developpement>.
  • 20 Ibid.
  • 21 Sur les contraintes pesant sur les prises de paroles subversives dans les espaces délibératifs par (...)

12Un ensemble d’indices donne à voir la manière dont Pierre Moscovici lui-même intègre cette injonction à la synthèse. Dans un compte-rendu manuscrit de la discussion en Bureau national17, on trouve ainsi, à côté des suggestions de corrections, une série de formules qui dénotent les effets de l’injonction au consensus par laquelle le texte peut devenir acceptable – et qui signalent, au passage, combien les acteurs ne sont pas « dupes » du jeu qu’ils jouent. Henri Emmanuelli, idéologiquement situé à l’opposé de Pierre Moscovici à l’intérieur du parti, se satisfait ainsi d’un « texte intéressant, diplomatiquement bien écrit (à la limite de la perversité) », quand Gérard Collomb relève lui le « grand talent diplomatique de Pierre18 ». La mise en ligne sur le site du parti de l’intégralité des interventions en Conseil national qui se tient six jours plus tard, le 27 avril 2010, outre qu’elle matérialise la médiatisation croissante des processus de décision internes au parti, donne également à voir comment le Moscovici « clarificateur » est devenu, en quelques semaines, beaucoup plus oecuménique : « On sait nous présenter comme ayant d’un côté les réalistes, et de l’autre côté des laxistes ; des dépensiers et des rigoureux ; des modernes et des archaïques ; des socio-libéraux et des néo-guesdistes ; il y a parfois une première gauche qui est mise en scène contre une seconde, des radicaux contre des conformiste. Et bien nous avons voulu dépasser tout ça19. » Marquant régulièrement ses points d’accord avec le texte, Benoît Hamon, leader de la motion C, s’emploie également à conjurer les « divisions récentes » et à remercier le travail de Pierre Moscovici autant que celui de « Martine et de la direction autour d’elle20 ». Les coups tactiques ne sont pas absents du rite : François Rebsamen présente à la tribune un texte soutenu par huit responsables, dont Gérard Collomb et Manuel Valls. Mais ce texte se donne alors comme une simple « contribution21 ». Il en est allé différemment quelques mois plus tard, en décembre 2010, au moment de la Convention sur l’Égalité réelle.

  • 22 Entretien en date du 16 décembre 2014, café Bourbon, à Paris. Jean-Marc Germain était le directeur (...)
  • 23 « Convention Égalité réelle. Texte proposé en Bureau national », 2 novembre 2010, document dactylo (...)

13À la suite de leur officialisation, les « primaires » ont logiquement attisé l’économie des jeux concurrentiels en accentuant le caractère conflictuel de la négociation délibérative. Bien sûr, elles ne constituent pas le seul facteur ayant contribué à exacerber les luttes internes qui animent la dernière convention. Celle-ci intervient peu après l’important mouvement social contre la réforme des retraites, elle-même enjeu traditionnel de clivages à l’intérieur du PS. Surtout, la convention est pilotée par le leader de la motion C coalisant la gauche du parti et qui, à ce titre, rallie contre lui l’aile dite « moderniste ». Il reste que plusieurs signaux convergent pour attester de l’effet produit par l’imminence de l’échéance élective. La couverture médiatique de ces luttes est ainsi plus aiguisée : au moment de la publication du rapport voté lors du Conseil national du 9 novembre 2010, Le Monde publie les 8, 9 et 10 novembre trois articles aux titres évocateurs : « le texte de Benoît Hamon sur l’égalité rallume la querelle gauche droite au PS » ; « l’égalité réelle ravive les tensions au PS » ; « l’égalité réelle écorne l’unité du parti ». La teneur des échanges au sein des différentes instances (commission des résolutions et Bureau national) semble en effet avoir sensiblement évolué. Jean-Marc Germain nous a présenté un récit plausible22 d’un certain nombre des opérations conduites par la direction pour prévenir la montée en charge de la controverse : d’un côté, il demande avec insistance à ce que Michel Sapin transmette à Benoît Hamon, la veille de la discussion en Bureau national, les amendements qu’il défend au nom de François Hollande. De l’autre, il sollicite le responsable de la convention de façon à ce que celui-ci évite de glisser des « chiffons rouges » à l’intérieur du texte. Il prend l’exemple de « l’allocation d’autonomie » supposée être versée à « la jeunesse » : dans une version initiale, cette allocation était fixée à 800 euros. Après l’intervention de Jean-Marc Germain, la formulation adoptée dans le texte transmis au Bureau national est beaucoup plus prudente, qui évoque un simple « regroupement » des aides sans en préciser le montant : « cette allocation d’autonomie sera unique, regroupant l’ensemble des aides existantes (aides au logement, bourses sur critères sociaux…) et simplifiant ainsi un système complexe. Elle sera d’un montant suffisant pour permettre au jeune de subvenir à ses besoins et conditionnée à un projet de formation23 ».

  • 24 Lefebvre R., Les Primaires… op. cit., p. 86.

14Dans la foulée d’une discussion houleuse en Bureau national, le Conseil national à l’occasion duquel le texte est validé se caractérise à la fois par un absentéisme très important et par un taux d’abstention inégalé lors des trois précédentes conventions (12 abstentions, pour seulement 59 votes pour). Quand François Rebsamen, Manuel Valls et Gérard Collomb avaient quelques mois plus tôt présenté une simple contribution, ils ont cette fois fait le choix, comme François Hollande, de s’abstenir sur le texte. Le « pôle écologique du PS » présente sept amendements dûment formalisés. Vincent Peillon dépose – dans ce qui s’apparente à un effort de stylisation d’un profil « ministrable » – un document de quinze pages entièrement consacré aux questions d’éducation. Ségolène Royal signe également un court texte, uniquement consacré à l’emploi des jeunes. Pierre Moscovici, qui s’est aussi abstenu lors du vote en Conseil, fait enfin paraître dans les jours suivants ce qui se présente comme un ensemble d’« amendements » – il s’agit, dans les faits, davantage d’un document d’analyse critique que d’une somme de paragraphes substituables à des zones localisées du texte d’origine. Ce point est intéressant en ce qu’il semble signaler que, pour un certain nombre des acteurs impliqués dans des mouvements tactiques, ceux-ci visent moins à peser directement sur l’armature ou les formulations du texte qu’à entretenir la légitimité distinctive de leurs auteurs. Beaucoup d’arguments mobilisés sont en effet d’ordre très général, et ramènent opportunément des registres qui n’avaient pas été convoqués jusqu’alors : l’entourage de François Hollande insiste ainsi sur l’absence jugée préjudiciable d’un chiffrage du texte, quand la première convention se défendait de toute formulation trop définitive ou programmatique. Au fond, non seulement « la focalisation sur les règles du jeu de l’organisation aur[ont] largement mis au second plan, médiatiquement, le travail de reconstruction idéologique du PS et la mise en avant de ses propositions24 » mais, plus encore, elles auront considérablement affecté l’économie interne de ce travail programmatique. Durant la phase préparatoire aux différentes conventions thématiques, les primaires auront conduit à multiplier les opérations tactiques de neutralisation des différents adversaires ; les étapes de leurs validations auront quant à elles donné lieu à des tentatives chaque fois plus fortes de captations intéressées de leur contenu, dès lors que celui-ci pouvait servir les différentes écuries présidentielles.

Un unanimisme bien compris : la validation du projet en Bureau national

  • 25 D’abord animateur du réseau d’experts fabiusien avant d’être nommé en 2009 secrétaire général aux (...)
  • 26 « Intellectuel de parti », animateur de la Revue socialiste, il a participé à la rédaction de diff (...)

15Dans la foulée de la dernière convention, Martine Aubry nomme Guillaume Bachelay rapporteur général du projet, et l’entoure d’une équipe composée autant sur des bases fonctionnelles que politiques. Alexis Dalem25 et Alain Bergounioux26 le suppléent dans un travail de compilation et de hiérarchisation des propositions issues des multiples canaux partisans : travaux des conventions, Forums idées, rapports des secrétariats nationaux, contributions des parlementaires etc. L’équipe intègre également Michel Sapin, secrétaire national à l’Économie et lieutenant de François Hollande, chargé de budgéter le projet. L’institution de cet organigramme collégial s’articule avec la mise en place d’un « conseil politique » ad hoc réunissant à un rythme régulier, à partir de janvier 2011, les « quinze qui pèsent » dans le parti de façon à superviser l’avancement des travaux et à convenir d’un compromis sur le texte du projet. En somme, la dernière étape de l’élaboration de ce dernier est orchestrée de manière à prévenir les velléités distinctives des différents candidats putatifs aux primaires.

  • 27 « Le projet du PS veut conjuguer rigueur et ancrage à gauche », Les Échos, 4 avril 2011.

16Ce dispositif d’ordonnancement du contrôle des pairs par eux-mêmes tend à concurrencer la légitimité des instances du parti : la première mouture du projet est ainsi discutée dans le cadre du « conseil politique » la veille du Bureau national27, qui constitue d’ordinaire l’espace légitime au sein duquel se discute et s’amende le texte du projet. Un second coup tactique est joué en parallèle par la direction, qui sape lui aussi la légitimité délibérative des instances en même temps qu’il doit permettre de neutraliser par avance les éventuelles prises de position discordantes : le 4 avril 2011, soit la veille de la réunion du Bureau national, l’avant-projet est opportunément transmis à la presse, qui s’en fait un large écho. En ce sens, l’unanimité du vote qui intervient le lendemain doit autant se lire comme un calcul coût/avantage de la part des différents candidats que comme le produit d’un travail politique conduit par la direction : dans une sorte de paradoxe fonctionnel, celle-ci organise le contournement de ses propres instances. Dans ce contexte, les témoignages recueillis convergent pour souligner l’unanimisme désinvesti par lequel le projet s’est trouvé officiellement validé en Bureau national.

« À partir du moment où ce procédé là de la primaire est mis en place, la plupart des acteurs se foutent complètement du projet puisque ils sont focalisés sur le poids des candidats. Et donc chacun fait mine de s’accorder sur un programme, mais je me souviens très bien des amis de Valls qui levaient les yeux au ciel, les amis de Hollande qui considéraient que, bon, de toute façon le gagnant à la primaire choisirait évidemment son propre programme. Il n’y avait que Martine et ses amis qui considéraient que c’était quand même un socle d’une certaine façon… qu’on ne pouvait pas remettre en cause même si on était élu à la primaire. Donc c’était un unanimisme hypocrite… voilà là on était dans l’hypocrisie ouais. C’était ça la réunion, y’avait aucun enthousiasme, les mecs qui votaient pour se marraient, enfin c’était pas, c’était pas… c’était pas pris au sérieux quoi, alors qu’il y avait eu du travail quand même ! […] C’était le bal des faux culs quoi. Tout le monde était déjà en train de préparer la primaire et tout le monde considérait que c’était un passage obligé, voilà. » (Entretien avec Emmanuel Maurel, alors membre du Bureau national et de la direction du parti, 1er février 2016 dans un café à Paris)

  • 28 Voir par exemple « Le casse-tête du projet socialiste pour 2012 », Les Échos, 4 mars 2011 ; « Part (...)
  • 29 La circulaire du 31 mars 2011 portant sur la Convention nationale sur le Projet stipule à son prop (...)
  • 30 Pour Martine Aubry, « ce projet, c’est celui de tous les socialistes. Il sera donc le projet de la (...)

17De fait, les ambiguïtés pesant sur le statut du projet se poursuivent tout au long de cette ultime étape, que ce soit dans les médias28, dans les règlements rédigés ad hoc29 ou lors du Conseil national au terme duquel une deuxième version du projet est présentée30. L’ouverture de la primaire catalyse, sur un mode ambigu, cet état d’insécurité statutaire.

La marginalisation d’un bien collectif

18La séquence des primaires, qui s’ouvre avec la période d’officialisation des candidatures en juillet 2011 pour se clore avec l’élection de François Hollande le 16 octobre, peut a priori très largement se lire comme une dynamique d’étirement des logiques qui structurent classiquement les campagnes électorales. D’une part, en plus de rejouer sur un mode majeur celles qui président d’ordinaire aux congrès socialistes, elles aiguisent encore davantage les jeux tactiques qui ne cessent de s’amplifier depuis les premières étapes du processus de « rénovation ». D’autre part, elles inscrivent l’organisation partisane au-delà d’elle-même, à la fois dans un espace électoral plus flottant, et dans une temporalité fixée par l’échéancier présidentiel. Il reste à mieux saisir comment et dans quelle mesure le projet du parti se trouve mobilisé au sein de cette séquence atypique.

La force d’un texte faible ?

  • 31 La composition de ce qui s’apparente à de véritables organigrammes de campagne ménage dans chaque (...)
  • 32 Sur les formes de « singularisation de l’écrivance » et de l’individualisation du travail programm (...)
  • 33 Montebourg A., Votez pour la démondialisation, Paris, Flammarion, 2011 ; Hollande F., Le Rêve fran (...)
  • 34 Lors de l’Université de La Rochelle, Laurent Fabius a présenté le calendrier des mesures supposées (...)

19L’analyse des logiques d’affichage des cinq candidats socialistes donne à voir le déploiement des formes ordinaires de l’offre programmatique en campagne. À l’impératif, plus ou moins partagé, de monstration des ressources mobilisables par les candidats31, s’ajoutent la publication – à l’exception de Martine Aubry – de productions textuelles émargeant de plus ou moins près au style programmatique32 : Arnaud Montebourg a publié un court opuscule fin mai 2011 – au moment, donc, de la convention sur le projet. Dans la même semaine précédent l’Université d’été du parti, François Hollande publie Le rêve français, Manuel Valls L’énergie du changement et Ségolène Royal une Lettre à tous les résignés et indignés33. Enfin, la dynamique de publicisation de la primaire accouche d’une série de trois débats mettant – indirectement – aux prises les différents candidats les 15 et 28 septembre et le 5 octobre 2011, sur différentes chaines télévisées. En même temps qu’elle conduisait à placer sous un relatif éteignoir certaines initiatives prolongeant l’élaboration du projet34, la compétition électorale en a donc encouragé les différentes formes de contestation, d’amendement ou de contournement.

  • 35 « Primaire PS : comparez les programmes des candidats », Le Monde, 9 octobre 2010, consulté la der (...)

20Quelle a été l’amplitude des variations formulées vis-à-vis du projet ? Cette opération de « mesure » est a priori délicate : les propositions, formulées de façon continue, se sont ventilées sur les différents supports médiatiques selon une dynamique qui a épousé celle, mouvante et relationnelle, des campagnes électorales classiques. Afin de donner une appréciation convenable du caractère centrifuge de l’offre programmatique énoncée par les membres du Parti socialiste, on s’est donc appuyé sur une recension effectuée par deux journalistes du Monde35. L’inventaire a été mis à jour jusqu’au soir du premier tour des primaires et constitue, à notre connaissance, l’approximation la moins imparfaite qui ait été proposée. Le tableau combine trois grands types de propositions : 1) celles directement issues du projet, qui ont soit été mobilisées par certains candidats, soit contestées ; 2) celles qui ont été reprises du projet, mais précisées ou amendées par les différents candidats ; 3) celles qui, enfin, ont été produites dans le cadre de la campagne. À partir de cette combinaison, il est possible de dégager deux tendances :

  1. D’après nos calculs, sur les quatre-vingt sept propositions évoquées dans le cours de la campagne, dix-sept d’entre elles ne figurent pas dans le projet. Si l’on ne conserve que celles qui sont à mettre à l’actif des candidats socialistes36, seules neuf de ces propositions peuvent être considérées comme « nouvelles ». On ne compte enfin que deux oppositions explicites à une proposition contenue dans le projet. Le taux d’innovation « brut » apparaît donc assez limité : la campagne s’est d’abord déroulée à partir du projet du parti.
  2. Pour saisir une estimation des différents styles de campagne, on a ensuite calculé ce qu’on pourrait nommer un « indice de distinction » rapportant, pour chacun des candidats, les différentes formes d’innovations discursives37 à la somme totale de leurs prises de position. La valeur de cet indice peut évidemment paraître relative (au regard du nombre total de prises de position) et contestable (dès lors qu’elle n’intègre pas l’importance symbolique variable de ces différentes propositions). Le calcul permet néanmoins de donner une idée assez nette des styles respectifs des différents candidats, distribués sur un arc distinguant sur chacun des deux pôles Martine Aubry et Arnaud Montebourg. En outre, il permet de mettre en évidence que si Martine Aubry apparaît comme étant la plus « légitimiste » – ce qui est assez peu contre-intuitif eu égard à sa position spécifique –, la Première secrétaire cherche également à moduler son offre de façon à l’ajuster à la structure concurrentielle de la compétition.

Total des prises de positions recensées

Indice de conformité *

Indice de distinction *

M. Aubry

58

79 %

21 %

F. Hollande

31

50 %

50 %

A. Montebourg

44

29 %

71 %

S. Royal

39

63 %

37 %

M. Valls

18

35 %

65 %

21En somme, tout se passe comme si le jeu compétitif des primaires avait encouragé les stratégies distinctives sans toutefois qu’il n’ait autorisé une remise en cause frontale de la teneur du projet.

Une démultiplication des entreprises distinctives

  • 38 Élaboré sous le patronage de Bruno Le Maire, celui-ci n’a en effet pas encore été officialisé. Voi (...)
  • 39 « Hollande, le défi du favori », Les Échos, 28 août 2011.

22Sans qu’il soit possible d’inférer l’ensemble des logiques qui continuent d’articuler les prises de position à la vertèbre du projet partisan, on peut lister un certain nombre d’hypothèses qui permettent de dégager la structure relationnelle de la compétition entre les offres programmatiques. En premier lieu, deux dimensions extérieures à l’organisation ont pu freiner les formes d’invention programmatique : d’une part, l’évolution rapide du contexte économique – et, plus précisément, l’accélération de la crise des dettes souveraines – tendait d’autant plus à limiter les audaces que la campagne s’est assez largement nouée sur le thème de la « crédibilité ». D’autre part, les difficultés de l’UMP à stabiliser son propre programme38 ont sans aucun doute conduit à contenir – en particulier chez les deux favoris – leurs innovations programmatiques, de façon à pouvoir anticiper sur les échanges de coups à venir. « La primaire ne se gagnera pas sur une mesure de plus, mais sur la capacité à gagner la présidentielle », déclare notamment François Hollande dont un des lieutenant rappelle la nécessité d’en « garder sous le pied39 ».

  • 40 Significativement, Ségolène Royal est la seule à avoir fait le choix, le jour de l’officialisation (...)

23Un second ensemble d’aspects, qui dépasse les limites matérielles imposées par le temps relativement court de la campagne, a trait à l’économie interne de la compétition entre socialistes. Il n’est ainsi pas certain que l’ouverture du corps électoral ait conduit à dissiper totalement, dans l’esprit des candidats, les formes d’allégeance obligées à la marque partisane. On peut légitimement faire l’hypothèse que le spectre de l’expérience de 2007, durant laquelle la candidate n’avait pu compter que sur un soutien distancié du parti, ait pesé sur les tentations subversives40. Le caractère parfois hétéroclite des différents ralliements rendait potentiellement coûteuses ces éventuelles velléités dissidentes – qui sont, par construction, potentiellement clivantes. Il n’est enfin pas certain qu’à chaque style personnel corresponde réellement un corpus idéologique suffisamment singulier pour reléguer radicalement le texte du parti : les courses de chevaux n’engagent pas toujours des races distinctes…

  • 41 Voir par exemple « Déficits : le discret revirement de Martine Aubry », Le Monde et « Le PS se met (...)
  • 42 « Dette publique : les promesses du PS intenables selon les économistes », lexpress.lexpansion.fr, (...)

La trajectoire relationnelle du « retour aux 3 % de déficits »
Au début du mois de juillet 2011, Harlem Désir, Premier secrétaire par intérim du parti, indique que le PS réclame « une année de plus » que l’année 2013 au terme de laquelle le gouvernement Fillon prévoit de ramener le déficit à hauteur de la norme des 3 %. À cette période, le débat sur le désendettement occupe une place centrale au sein des agendas politique et médiatique : d’une part, la crise des dettes souveraines s’est accélérée et fait l’objet d’une intense couverture médiatique ; d’autre part, la volonté gouvernementale d’inscrire depuis février 2011 une « règle d’or » budgétaire au sein du texte constitutionnel est au centre des luttes inter-partisanes. Ce double contexte rencontre les efforts de stylisation des différentes candidatures : le 17 juillet, François Hollande s’écarte de la position du parti et déclare au Monde sa volonté de ramener le déficit à 3 % dès 2013. Le lendemain, Martine Aubry indique elle aussi sur Europe 1 que « nous nous sommes engagés, dans le projet socialiste, à respecter les engagements de la France, 3 % en 2013, puisque c’est la règle aujourd’hui ». Dans la foulée, l’analyse proposée par Le Monde estime que « la posture “rigoriste” de M. Hollande n’est pas très surprenante », et diagnostique en revanche un « discret revirement de Martine Aubry », jugé « plus étonnant ». Ce court épisode est intéressant à plusieurs titres.
La légitimation médiatique des identités stratégiques
Premièrement, l’idée que le calendrier de réduction du déficit figure dans le projet est repris sans discussion par plusieurs médias41, que ce soit pour souligner le démarquage d’Hollande (par rapport à ce qui serait l’échéance initiale de 2014), ou bien étayer la position d’Aubry (dans ce qui ne serait que le prolongement cohérent du discours arrêté en avril). Pourtant, le texte du Parti socialiste ne se prononce à aucun moment sur le calendrier précis de réduction des déficits. En avril, le PS a effectivement manifesté son scepticisme vis-à-vis de la trajectoire officiellement prévue par le gouvernement – qui table pour sa part, suivant les injonctions de la Commission européenne, sur un retour aux « 3 % » dès 2013. Mais c’est davantage dans le paratexte, énoncé au moment de la présentation devant la presse d’une première version de ce projet le 6 avril, qu’on peut retrouver les réticences des économistes du PS à se calquer sur le calendrier gouvernemental. Si cet élément atteste, en creux, de la référence discursive toute relative que constitue le projet dans l’exégèse en flux tendu que les médias livrent des prises de position partisanes (le projet n’ayant visiblement pas été relu par les journalistes), il conduit surtout à un deuxième enseignement : c’est en effet Michel Sapin, très proche de François Hollande et à l’époque chargé de chiffrer le projet, qui déclare à l’époque qu’il « faut faire attention à ne pas s’obnubiler » sur l’échéance de 2013, ajoutant même qu’il se trouve « incapable de dire » précisément quelles seront les étapes du retour à la norme comptable européenne42. Ainsi, alors même qu’en avril le PS exprimait une position relativement plus hétérodoxe que le gouvernement par la voix d’un « lieutenant » de François Hollande, celui-ci apparaît quelques mois plus tard comme le candidat naturel d’une orthodoxie que Martine Aubry paraît subir.
Au-delà, cette séquence permet d’objectiver le tissu particulièrement complexe des prises de position partisanes – en l’espèce, la stabilisation d’une lecture orthodoxe des marges de manœuvre budgétaires : un contexte économique critique (1) entraîne une réaction du gouvernement (2) que les candidats socialistes ne peuvent se permettre de reprendre telle quelle (3). Un candidat ouvre une voie médiane en se distinguant tout à la fois du gouvernement et de ses concurrents directs (4), voie que la rivale principale cherche à contrer en mobilisant symboliquement le projet (5). Sur fond de consensus cognitif relativement partagé autour des questions budgétaires (6), les médias enregistrent le coup tactique avancé par le premier joueur (7). La séquence donne ainsi à voir combien les prises de position partisanes doivent moins se lire comme l’expression naturelle d’un répertoire idéel donné une fois pour toute que comme le produit d’un ensemble de covariations relationnelles.

24De fait, les écarts distinctifs se sont aussi articulés autour d’autres supports symboliques que les propositions d’action publique, au fond relativement peu travaillées. Deux éléments permettent d’étayer ce point. Premièrement, les organigrammes de campagne constituent dans les faits une forme de façade symbolique dont les « fonctions » sont loin de se restreindre ou même de correspondre à leurs intitulés. Bien plus sûrement, ces places rétribuent symboliquement un soutien en même temps qu’elles objectivent l’état des rapports de force internes à chaque coalition – et s’apparentent, au fond, au traditionnel exercice d’accumulation des signatures en amont des congrès. Émeric Bréhier est officiellement associé à Bernard Roman pour traiter des enjeux « institutionnels » dans le cadre de la campagne de François Hollande. Il synthétise ici la teneur des témoignages recueillis en entretien :

« J’ai jamais vu Roman hein, c’était du flan. Et puis tout le monde s’en foutait des questions institutionnelles. - Alors c’est quoi la fonction de cet organigramme à ce moment là en fait… ? – C’est un affichage… Y’en a qui avaient un rôle extrêmement important, qui se retrouvaient au site de campagne, etc. hein, mais dans sa grande masse, c’est un organigramme qui montre les rapports de force au sein de celles et ceux qui soutiennent François Hollande. C’est ça le sujet. »
Entretien avec Émeric Bréhier, 25 novembre 2013, Assemblée nationale, Paris.

  • 43 « Valls rêve d’une “majorité” élargie à Villepin et Bayrou », Le Monde, 25 juillet 2011.
  • 44 « Vous avez interviewé Manuel Valls, candidat à l’élection présidentielle par les primaires du Par (...)
  • 45 « Le programme présidentiel du PS tient-il encore la route ? » challenges.fr, 27 juillet 2011.

25Deuxièmement, le seul cas de Manuel Valls, qui a été l’un de ceux à assumer le plus explicitement une position d’outsider, permet d’illustrer comment d’autres formes de prises de position peuvent être mises à contribution d’une entreprise de singularisation. Il a ainsi successivement proposé d’ouvrir un éventuel gouvernement de gauche à Dominique De Villepin, François Bayrou et Corinne Lepage43, d’abandonner l’usage du mot « socialisme44 », ou encore de réviser le financement du projet du parti sur la base d’une hypothèse de croissance plus faible45. Un tel constat rend délicate toute analyse à prétention définitive : s’agit-il de conclure à la résistance intrinsèque du projet, dont le degré de maturation, dans un contexte de forte incertitude économique, épuiserait de lui-même l’essentiel des écarts programmatiques ? Ou bien la campagne a-t-elle simplement reproduit la structure d’une compétition qui s’ordonnerait davantage autour des attributs personnels supposés des individus que d’orientations idéelles dûment structurées ? Une voie médiane consiste à dégager l’effet-cliquet qu’a pu enclencher le plan collégial par lequel la direction est parvenue à intéresser, sous des formes diverses, les différentes fractions concurrentes du parti.

Le détachement symbolique des « 60 propositions »

  • 46 Voir par exemple « Un programme largement commun et des divergences souvent formelles », Le Monde,(...)
  • 47 Calcul réalisé à partir de « Primaire PS : l’intégrale du débat entre Martine Aubry et François Ho (...)
  • 48 Ce type de calcul renferme bien sûr un certain nombre de biais, dont on ne citera ici que deux exe (...)

26Les analyses médiatiques comparant les deux offres programmatiques des candidats qualifiés au second tour ont également validé leur caractère relativement peu dissemblable46. Le débat d’entre-deux-tours qui oppose les deux finalistes prolonge cette tendance : si Martine Aubry se réfère à quatre reprises au « projet » voté à « l’unanimité47 » – quand François Hollande, lui, n’y fait nulle mention – les écarts symboliques demeurent assez faibles. Au lendemain du face-à-face, le 13 octobre, Le Monde titre : « En débat, Martine Aubry et François Hollande ont surjoué leurs différences ». Le discours que François Hollande prononce lors de sa convention d’investiture, s’il liste un certain nombre d’axes politiques et de propositions d’action publique, n’adopte pas clairement une tournure programmatique : le projet du parti n’est évoqué qu’une seule fois, pour appuyer sa reprise de la proposition d’une banque publique d’investissement, et sa propre « plate-forme » est renvoyée à plus tard. Les grandes lignes de cette dernière reprennent certaines des principales propositions contenues dans le projet (séparation des activités bancaires, modulation de l’impôt sur les entreprises, rapprochement de l’impôt sur le revenu et de la CSG, mariage pour tous etc.), qui s’appuyait lui-même largement sur les conventions thématiques. Le comptage manuel auquel nous avons procédé indique toutefois qu’un peu plus de 40 % des propositions du programme de François Hollande n’ont pas d’équivalentes, même approximatives, dans le projet du parti48. Au-delà, il convient de ne pas surestimer les usages qui ont pu être faits du support programmatique lors de la campagne – on s’en tiendra, pour seul exemple, au fait que le discours du Bourget soit prononcé quatre jours avant la publication du programme d’Hollande, le 26 janvier, étouffant assez largement le contenu de ce dernier.

27Au total, tout se passe comme si le projet du parti devait se lire sur le mode de la présence-absence : d’un côté, le projet continue d’innerver la majorité des prises de position – et, à l’inverse, à justifier l’absence de prises de position – de l’essentiel des candidats : le cadrage d’ensemble et les principales propositions demeurent en effet relativement stables depuis l’officialisation du projet jusqu’à celle du programme du candidat. De l’autre, l’invocation du projet est désormais privatisée, au sens où elle est attachée – à la fois comme contrainte et comme ressource – au style de l’ancienne Première secrétaire. Elle n’apparaît pas comme une forme d’allégeance obligée pour les candidats, ni même pour le vainqueur. De ce point de vue, il est difficile de ne pas y voir l’empreinte d’une primaire dont la formule élargie satellise encore davantage les enjeux de personnes au détriment des débats autour de la plateforme partisane.

Conclusion : Le projet, un emblème qui fait problème

28La résistance relative du « projet » socialiste procède d’une pluralité de facteurs enchevêtrés : elle s’enracine d’abord dans les tentatives de réenchantement initiées par la direction de façon à rénover la façade symbolique du PS. Partie intégrante des différents récits interprétatifs qui émergent au soir des revers électoraux, l’élaboration du projet constitue un rituel à l’occasion duquel le parti peut mettre en scène sa capacité organisationnelle à corriger les errements qu’on lui impute. Parce qu’il transpose matériellement l’ethos collégial qui préside aux normes décisionnelles du parti, le « projet » peut également se lire comme une chaîne d’intéressement permettant à la direction de contrôler les pairs, leurs mouvements positionnels et les lignes politiques qu’ils défendent. De ce point de vue, les normes collégiales du parti, comprises comme injonction à la collectivisation des tâches décisionnelles, semblent opérer de façon différenciée selon la nature de ces tâches : la première modalité d’activation de cette collégialité pratique, relativement désinvestie, correspond aux activités qui ont partie liée avec l’élaboration des textes. La seconde, beaucoup plus active, a trait aux arbitrages par lesquels ceux-ci se trouvent consacrés. Tout se passe en effet comme si la condition fondamentale d’enchantement collégial de la délibération programmatique résidait dans la double opération qui se trouve sans cesse au fondement des entreprises partisanes : celle qui vise à contrôler les associés-rivaux pour mieux s’en distinguer.

  • 49 Sur les critiques que l’on peut adresser au traitement politologique dominant des programmes, voir(...)

29Il reste que, loin de présenter un caractère naturel, la résistance du « projet » comme emblème incontournable du parti ne va pas – ou plus – de soi et apparaît, dans un contexte marqué par de lourdes incertitudes, comme le produit contingent de luttes circonstanciées. Plus encore, sa « survivance » aux attaques dont il fait l’objet ne signifie pas qu’il conserve une centralité proprement décisive dans le courant des primaires. Il apparaît ainsi soumis à un double processus de privatisation : d’une part, les étapes de son élaboration constituent progressivement autant d’espaces de captations d’un bien collectif par les intérêts concurrents ; d’autre part, le texte final fait l’objet d’une imputation attribuant, en creux, celui-ci à la seule Première secrétaire. Sous cet angle, si le statut du « projet » ne suit pas, dans l’histoire récente du PS, une ligne de déclassement purement linéaire, il semble néanmoins que les primaires ouvertes de 2011 ait été l’occasion d’en accélérer une remise en cause au fond aussi ancienne que l’élection du président de la République au suffrage universel. L’une des faiblesses commune aux analyses fonctionnaliste et internaliste des programmes49 tient ainsi à ce qu’en naturalisant ces textes comme organe par lequel les partis interagissent avec le monde social, et donc en négligeant l’épaisseur matérielle et symbolique mouvante au sein desquelles ils s’impriment, on en néglige le caractère potentiellement problématique. S’il est supposé représenter un emblème identitaire autant qu’une ressource compétitive, le projet socialiste est également devenu un problème à résoudre.

Notes

1 Voir notamment Lefebvre R., Les primaires socialistes. La fin du parti de militants, Paris, Raisons d’agir, 2011, ainsi que les deux numéros de la revue Pouvoirs : « La candidature à la présidentielle », no 138/3, 2011 ; « Les primaires », no 154, 2015.

2 Sur les apports heuristiques de la notion interactionniste de « carrière » à l’étude des biens idéels, voir « Théories en milieu militant », Sociétés contemporaines, no 81/1, 2011.

3 Bezès P., Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, coll. « Le lien social », 2009.

4 « Pas à pas, Martine Aubry cherche à construire une alternative », Le Monde, 2 mars 2009.

5 La Première secrétaire n’était initialement pas favorable à la procédure, à laquelle elle se rallie seulement en septembre 2009.

6 Sur cette entreprise de réforme visant à constituer les primaires en solution au problème du « leadership défaillant » du PS, voir Lefebvre R., Les Primaires socialistes… op. cit., p. 57-67.

7 « Pour des Primaires ouvertes et populaires », rapport du Secrétariat national à la rénovation, 18 juin 2009, p. 9-10.

8 En 1980, 1988, 1995, 2001 et 2006, le Parti socialiste a systématiquement produit un « projet » dont la reprise par le ou la candidate du parti s’est avérée chaque fois très variable.

9 En janvier 2006, François Hollande, alors Premier secrétaire, aurait réfléchi à l’hypothèse d’une primaire telle que la lui avait confidentiellement soumise François Rebsamen. Cette option aurait été écartée « au nom de la légitimité militante et pour éviter de privilégier un candidat par rapport à un programme ». Voir Lefebvre R., Les primaires socialistes… op. cit. p. 59.

10 Sur l’ajustement du travail idéel de Terra Nova à la perspective de l’élection présidentielle, Argibay C., « Construire et diffuser un projet politique par fragments. Le rôle du think tank Terra Nova pendant la campagne de 2012 », dans Courty G., Gervais J., Le Lobbying électoral. Groupes en campagne dans l’élection présidentielle de 2012, Villeneuve d’Ascq, PUS, 2016.

11 Lefebvre R., Les Primaires socialistes… op. cit., p. 79-86.

12 « La Rénovation », rapport présenté en Conseil national, p. 5.

13 Voir sur ce point Bachelot C., « Un gouvernement des pairs ? De la collégialité au sommet des partis : le cas du parti socialiste », Revue française de science politique, no 62/3, 2012.

14 L’Hebdo des socialistes, no 575, p. 3.

15 Trois conventions thématiques se sont échelonnées sur l’année 2010. Pilotées par des cadres du parti (successivement Pierre Moscovici, Laurent Fabius et Benoît Hamon), associant ses différents secteurs (assistants politiques, secrétariats nationaux, instances de direction etc.), elles avaient vocation à produire les étapes intermédiaires du projet du parti.

16 « Pierre Moscovici est décidé à “clarifier” certaines positions du PS sur l’économie », Le Monde, 2 avril 2010.

17 Émeric Bréhier, animateur du courant de Pierre Moscovici et membre du Bureau national en 2010, nous a remis une partie de ses archives privées.

18 « BN du 21 avril », document manuscrit, archives privées d’Émeric Bréhier.

19 « Discours d’ouverture par Pierre Moscovici », Conseil national du 27 avril 2010, <http://archives.parti-socialiste.fr/articles/le-conseil-national-de-la-convention-nouveau-modele-de-developpement>.

20 Ibid.

21 Sur les contraintes pesant sur les prises de paroles subversives dans les espaces délibératifs partisans, voir Poirmeur Y., « Emblème, repère, enjeu : le social au Parti socialiste », dans Gaxie D. (dir.), Le « social » transfiguré. Sur la représentation politique des préoccupations sociales, Paris, PUF, 1990.

22 Entretien en date du 16 décembre 2014, café Bourbon, à Paris. Jean-Marc Germain était le directeur de cabinet de Martine Aubry lorsque celle-ci était Première secrétaire. L’échange exploité ici s’est tenu hors dictaphone.

23 « Convention Égalité réelle. Texte proposé en Bureau national », 2 novembre 2010, document dactylographié, archives privées d’Émeric Bréhier.

24 Lefebvre R., Les Primaires… op. cit., p. 86.

25 D’abord animateur du réseau d’experts fabiusien avant d’être nommé en 2009 secrétaire général aux affaires politiques rue de Solférino, il est à l’époque en charge de l’animation de l’équipe des permanents politiques qui assistent le travail des secrétaires nationaux thématiques. Il a également participé à la supervision des différentes conventions.

26 « Intellectuel de parti », animateur de la Revue socialiste, il a participé à la rédaction de différents programmes antérieurs. Il est à l’époque proche du courant strauss-kahnien.

27 « Le projet du PS veut conjuguer rigueur et ancrage à gauche », Les Échos, 4 avril 2011.

28 Voir par exemple « Le casse-tête du projet socialiste pour 2012 », Les Échos, 4 mars 2011 ; « Parti socialiste : un projet pour un candidat ou un parti ? », nouvelobs.com, 6 avril 2011.

29 La circulaire du 31 mars 2011 portant sur la Convention nationale sur le Projet stipule à son propos que « projet du parti, ce texte doit fixer nos orientations, nos priorités et présenter nos propositions. Il constituera le point d’appui à partir duquel notre candidat-e élaborera son programme ». Circulaire no 1381, document dactylographié, archives privées d’Émeric Bréhier.

30 Pour Martine Aubry, « ce projet, c’est celui de tous les socialistes. Il sera donc le projet de la candidate ou du candidat qui aura été choisi-e par les Français ». Pierre Moscovici, pour sa part, relève d’abord que « l’institution […] d’un conseil politique, qui regroupe les principaux dirigeants du Parti socialiste, a été une initiative très heureuse » est moins définitif : « ce texte, s’il nous aide tous, il ne doit évidemment empêcher personne, ni enfermer personne. Nous sommes sous la Ve République […]. Nous avons le goût des textes, nous avons l’amour des projets, nous avons le respect des programmes. Mais il n’y a pas non plus sous la Ve République de mandat impératif. » Discours de Pierre Moscovici lors du Conseil national du 9 avril 2011, http://archives.parti-socialiste.fr/articles/les-socialistes-rassembles-pour-le-changement, page consultée la dernière fois le 1er mars 2016.

31 La composition de ce qui s’apparente à de véritables organigrammes de campagne ménage dans chaque cas – à l’exception de Manuel Valls – des postes au profil « programmatique ».

32 Sur les formes de « singularisation de l’écrivance » et de l’individualisation du travail programmatique des dirigeants politiques, voir Le Bart C., La Politique en librairie. Les stratégies de publication des professionnels de la politique, Paris, Armand Colin, 2012, p. 92-101 et 214-223, ainsi que l’article du même auteur dans le présent ouvrage.

33 Montebourg A., Votez pour la démondialisation, Paris, Flammarion, 2011 ; Hollande F., Le Rêve français. Discours et entretien (2009-2011), Paris, Privat, 2011 ; Valls M., L’Énergie du changement. L’abécédaire optimiste, Paris, Le Cherche Midi, 2011 ; Royal S., Lettre à tous les résignés et indignés qui veulent des solutions, Paris, Plon, 2011.

34 Lors de l’Université de La Rochelle, Laurent Fabius a présenté le calendrier des mesures supposées être prioritairement mises en œuvre la première année suivant une éventuelle victoire.

35 « Primaire PS : comparez les programmes des candidats », Le Monde, 9 octobre 2010, consulté la dernière fois le 25 février 2016. Cette recension, présentée sous forme de tableau, a fait l’objet d’un second article explicitant les difficultés d’une démarche visant à l’exhaustivité, et indiquant la méthode utilisée : les deux journalistes disent avoir « consulté les sites des candidats, leurs livres programmatiques ainsi que leurs plus importantes déclarations, notamment lors des débats » et avoir contrôlé les compléments parfois apportés par certains lecteurs ; voir « Primaire PS : le difficile comparatif des propositions des candidats », Le Monde, 4 octobre 2010.

36 Trois d’entre elles sont formulées par Jean-Michel Baylet, les cinq restantes émergeant dans la campagne sans transiter par un candidat en particulier (comme l’inscription d’une « règle d’or » budgétaire dans le texte constitutionnel, qui provient d’une initiative gouvernementale).

37 Pour estimer cet indice de distinction, on a pris le parti de fondre dans un même ensemble les variations formulées à partir d’une proposition énoncée dans le projet et les propositions nouvelles. Deux arguments plaident en ce sens : d’une part, les variations font l’objet d’une attention en tant que telle de la part des médias, et alimentent donc objectivement le registre distinctif mobilisé par les différents candidats. D’autre part, la frontière entre les deux catégories ne va pas toujours de soi : dans la bipartition opérée par les journalistes du Monde, les « 60 000 postes » d’enseignants proposés par François Hollande sont ainsi comptés comme une simple variation du projet alors qu’ils ont été largement appréhendés comme une proposition nouvelle. Pour estimer les deux taux, on a en revanche soustrait du total des prises de position celles qui étaient formulées en réaction à la proposition formulée par un.e candidat.e tiers.

38 Élaboré sous le patronage de Bruno Le Maire, celui-ci n’a en effet pas encore été officialisé. Voir « Projet fantôme, dérapage et obsession PS : le bilan du Campus UMP », tempsreel.nouvelobs.com, 4 septembre 2011.

39 « Hollande, le défi du favori », Les Échos, 28 août 2011.

40 Significativement, Ségolène Royal est la seule à avoir fait le choix, le jour de l’officialisation de sa candidature, de reproduire les symboles du parti dans le décor au sein duquel elle énonce son discours.

41 Voir par exemple « Déficits : le discret revirement de Martine Aubry », Le Monde et « Le PS se met la dette au carré », Libération, 18 juillet 2011. Même le site arretsurimages.net, qui pointe les informations contradictoires contenues dans deux articles différents de l’édition de Libération, relaie cette version en renvoyant vers un texte du PS… qui n’indique pas ce qu’il est censé dire. Voir « Hollande/Déficits : contradictions du PS… et de Libé », 18 juillet 2011.

42 « Dette publique : les promesses du PS intenables selon les économistes », lexpress.lexpansion.fr, 6 avril 2011. Martine Aubry avait alors, pour sa part, évoqué l’année 2015.

43 « Valls rêve d’une “majorité” élargie à Villepin et Bayrou », Le Monde, 25 juillet 2011.

44 « Vous avez interviewé Manuel Valls, candidat à l’élection présidentielle par les primaires du Parti socialiste », 20minutes.fr, 27 juillet 2011.

45 « Le programme présidentiel du PS tient-il encore la route ? » challenges.fr, 27 juillet 2011.

46 Voir par exemple « Un programme largement commun et des divergences souvent formelles », Le Monde, 12 octobre 2011.

47 Calcul réalisé à partir de « Primaire PS : l’intégrale du débat entre Martine Aubry et François Hollande », Le Monde, 13 octobre 2011.

48 Ce type de calcul renferme bien sûr un certain nombre de biais, dont on ne citera ici que deux exemples : d’une part, rien n’indique qu’une proposition commune aux deux textes procède d’une importation directement issue du premier, et qu’elle ne renvoie pas plus fondamentalement à une sorte de patrimoine idéel stabilisé dont le projet du parti ne constituerait qu’un support parmi d’autres. D’autre part, le calcul tel qu’on l’a effectué tend à homogénéiser des propositions dont les formules diffèrent parfois – et souvent – sciemment.

49 Sur les critiques que l’on peut adresser au traitement politologique dominant des programmes, voir Fertikh K., Hauchecorne M., Bué N., Le Programmes politiques. Genèses et usages, Rennes, PUR, 2016.

Auteur

Doctorant en science politique au CERAPS/Lille 2. Ses travaux s’inscrivent dans le cadre d’une sociologie des idées partisanes. Ils portent en particulier sur les logiques de production de l’offre programmatique du Parti socialiste

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