La mobilisation des primaires
p. 123-124
Texte intégral
1En s’imposant sous une forme ouverte en 2011 au sein du PS, la procédure des primaires ne s’est pas seulement inscrite dans une tendance historique à la démocratisation de la sélection des candidats. Elle éprouve également durablement les conditions mêmes de l’organisation de l’élection. Le vote d’investiture n’est plus seulement une expérience intra-partisane. Il emplit aujourd’hui l’ensemble de l’expérience du vote. Sa logique et sa pratique transforment les façons mêmes d’élire et de se faire élire, le temps partisan et le temps du scrutin s’emboîtant désormais au lieu de se succéder.
2Conséquence directe : les machineries électorales doivent sortir de leurs frontières partisanes, effaçant alors le clivage traditionnel entre management des votes militants et management des votes citoyens, même si les campagnes d’investiture relèvent toujours légalement du fonctionnement interne des partis politiques. En créant un droit permettant à l’ensemble des Français de choisir leur candidat à l’élection présidentielle, le PS, EELV et LR sont ainsi mis en demeure de renouveler en profondeur leurs sciences du vote. Cette extension de la démocratie représentative au sein des partis politiques invite alors à réinterroger l’art même de solliciter les suffrages, la catégorie nouvelle des sympathisants remplaçant le corps électoral plus classique des adhérents de partis.
3Que veut donc dire faire campagne dans ce cadre mi-partisan, mi-électoral ? Comment ont été définies les règles, notamment financières, encadrant la consultation électorale et ses usages ? Comment les partis politiques ont-ils forgé l’ingénierie électorale nécessaire à l’organisation pratique des primaires ? Que révèle la mise en avant de la catégorie politique de sympathisants ? De quelles manières les primaires peuvent-elles renouveler les relations entre les organisations partisanes et les médias ? En quoi les primaires peuvent-elles être sources d’innovations et de création de nouveaux savoir-faire, notamment dans le domaine de la communication politique et des techniques de mobilisations électorales ?
4En permettant de conquérir des votes qui ne sont pas que militants, tout en s’affranchissant pour partie des règles du suffrage universel, les primaires créent ainsi un nouveau standard politique hybride qui s’affirme à la fois dans et à côté du suffrage classique. Organisées à ciel ouvert pour l’ensemble des téléspectateurs français, les primaires continuent pourtant d’assumer le choix budgétaire d’une opération électorale à caractère privé. Terrains d’expérimentations de technologies de campagne encore peu usitées en France – de la gestion des Datas dans la mobilisation des électorats à l’offre de nouvelles militances –, elles ne marginalisent pas pour autant le rôle des militants adhérents ainsi que les pratiques partisanes les plus traditionnelles comme le porte-à-porte, le recours aux livres programmatiques ou encore la constitution de comités de soutien. Système électoral inédit et productrice de nouvelles formes de politisation, elles n’invalident cependant pas l’ensemble des savoir-faire standardisés de la compétition électorale partisane et les façons d’agir d’appareils militants soucieux de préserver leur spécificité organisationnelle.
5Cette deuxième partie rassemble les résultats d’enquêtes menées sur le management électoral et l’instrumentation partisane des primaires organisées par le PS en 2011 et LR en 2016. Romain Rambaud interroge ainsi les conséquences juridiques de la mise en œuvre des primaires sur la législation et la jurisprudence encadrant le financement de la vie politique. Éric Treille revient sur l’organisation des primaires socialistes de 2011, partagées entre (c) ouverture médiatique – grâce à la diffusion de quatre débats télévisés – et restriction – tout particulièrement financière – des offres de campagne et des capacités de déploiement des technologies électorales par les candidats en lice. Rafael Cos étudie la fonction programmatique des primaires socialistes et ses effets sur la formalisation du projet présidentiel par le PS. Rémi Lefebvre et Éric Treille réinterrogent une des conséquences fortes du droit nouveau accordé à l’ensemble des électeurs se reconnaissant dans les « valeurs de la gauche et de la République », la production de la figure du « sympathisant » comme catégorie inédite de militance politique. Anaïs Theviot analyse les innovations technologiques générées par les primaires de la droite et du centre à travers l’exemple des outils de gestion des données utilisés par les équipes de campagne d’Alain Juppé. Elle souligne ainsi le rôle de laboratoire d’expérimentations, notamment communicationnelles, joué par le cadre pratique des primaires dans les façons de se faire élire.
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