1Les dirigeants de l’UMP ont fortement critiqué les primaires ouvertes adoptées par le PS qu’ils cherchent d’abord à délégitimer. Dès le mois d’avril 2011, alors que la campagne n’a pas véritablement commencé, des tracts sont diffusés dénonçant « un fichage politique » et « des libertés menacées ». Jean-François Copé est le plus virulent : « dans les villes socialistes, vous imaginez les conséquences pour les agents municipaux ou les présidents d’association qui ont des subventions s’ils ne participent pas à cette parodie d’élection1 ». Si la primaire est un succès, « on dira que c’est parce que les gens veulent une place en crèche » poursuit-il2. Le secrétaire général de l’UMP conteste par ailleurs la légalité de la procédure. La primaire est encore présentée pêle-mêle comme « une machine à diviser » (Jean-François Copé), « le casino des ambitions personnelles » (François Fillon), « le cache-misère d’un parti qui a beaucoup plus de candidats que d’idées » ou « un concours Lépine de la promesse la plus démagogique qui ne correspond pas à notre histoire politique » (Christian Jacob)3 … Exaspéré par le « pilonnage médiatique » dont la primaire socialiste a bénéficié selon la presse, le président de la République en exercice invoque l’esprit de la V^e République : « La V^e République ne peut être l’otage des partis politiques et le candidat à la présidentielle pris en otage par son parti, le général de Gaulle a voulu une élection à deux tours, pas à quatre tours4. » Dans de nombreuses villes dirigées par la droite, les sections socialistes qui doivent trouver des salles pour les bureaux de vote se heurtent à des résistances locales5.

2En juin 2013, l’UMP adopte pourtant statutairement la règle des primaires ouvertes pour désigner son futur candidat à l’élection présidentielle. Après de nombreuses incertitudes sur le devenir de cette règle, la procédure est confirmée en avril 2015 par la validation d’une charte des primaires. Comment expliquer ce retournement ? Cet article s’attache à l’analyse de l’adoption, de la codification et de l’organisation des primaires ouvertes à l’UMP puis à LR (Les Républicains) de 2012 à 2016. Il cherche aussi à analyser les nouveaux jeux concurrentiels que cette procédure suscite. Nous avons analysé précédemment le processus d’adoption des primaires par le PS comme une double énigme6. Les primaires ouvertes marquent en effet une double rupture avec la culture militante et parlementaire du parti socialiste7. L’adoption par la droite procède de logiques à la fois proches et spécifiques. Elle fait énigme d’une autre manière. Si, à droite, la logique présidentialiste est largement assumée et la souveraineté militante pensée en des termes très différents, les primaires contreviennent à ce que ses dirigeants nomment « la culture du chef » bonapartiste qui la conduisait jusque-là à porter « naturellement » à la candidature le responsable du parti8. Sans céder à ce culturalisme d’institution, il est incontestable qu’elles marquent une rupture avec les modes de désignation qui avaient cours jusque-là. L’adoption des primaires à droite n’est pas le seul produit d’une dynamique plus générale de transformation des partis et de leur « démocratisation ». Elle procède de trois éléments conjoncturels : la conversion à une méthode qui a fait ses preuves au PS, la réponse à la crise ouverte par « la vacance de leadership » (lié à la défaite de Nicolas Sarkozy)9 et bien plus encore à l’incapacité à y faire face par des procédures internes, la progression électorale du Front national qui crée une injonction à l’unité dès le premier tour. Il s’agit donc ici de démêler l’écheveau de logiques multiples en faisant la part des effets d’entraînement de la primaire de 2011 et de ressorts endogènes et contextuels. L’adoption des primaires ne saurait se lire comme le résultat d’une simple « adaptation10 » ou d’un « ralliement ». Elle constitue un processus erratique, ouvert aux luttes et aux incertitudes dans lequel de nombreux acteurs jouent un rôle et particulièrement les médias. On s’attachera aussi à mettre au jour le processus de codification de la nouvelle règle du jeu, tout aussi décisif que son adoption formelle11 et à l’organisation de la procédure. On montrera enfin qu’en institutionnalisant un mode de régulation de la concurrence interne à droite, les primaires, par-delà les incertitudes qu’elles génèrent, déstabilisent en profondeur les logiques compétitives et partisanes à rebours de certaines analyses hâtives12.

La question de la sélection du candidat à droite depuis les années 1990

3Il convient d’abord de revenir sur les modalités de production de la candidature à droite depuis les années 1990. Cette question est dominée par l’enjeu de l’union à droite perçu comme une des causes principales de la double défaite de 1981 et 1988. Comme l’a bien montré Florence Haegel, deux options balisent les possibles pour surmonter les divisions à droite : mettre en place une procédure de sélection commune ou créer une formation unique sur le modèle des grands partis conservateurs espagnol, anglais ou allemand13. Depuis 1981, les partis de droite ont constitué des systèmes de coopération fondés sur des cartels électoraux et des procédures de sélection de candidats communs, aux élections législatives principalement. Mais ces systèmes de coopération n’ont jamais été étendus à la sélection d’un candidat commun à l’élection présidentielle. C’est l’objectif d’une première tentative de mise en place de primaires ouvertes dans les années 1990.

La tentative avortée de primaires dans les années 1990

4Les primaires ouvertes ne sont pas nées à gauche mais bien à droite14. La droite gaulliste a été pionnière dans la mise sur l’agenda politique des primaires en France. Le thème apparaît « par éclipses » entre 1988 et 199415. La promotion des primaires procède de la conviction que la division au premier tour rend difficile la victoire au second et qu’elles sont un mécanisme d’arbitrage possible entre le RPR et l’UDF après les deux défaites de 1981 et 1988. Charles Pasqua prend en 1989 la tête d’une association « pour les primaires à la française » et propose la mise en place d’un collège plus ou moins élargi d’élus, d’adhérents et de sympathisants pour désigner le candidat16. La conformité au gaullisme de cette procédure est alors mise avant dans la mesure où la primaire élargit l’assise populaire du candidat, affaiblit le poids des partis et renforce le pouvoir du président en lui permettant d’obtenir une base de légitimité électorale plus forte au premier tour. Selon Charles Pasqua, « un pas de plus est franchi » dans la conformité aux institutions de la V^e République, « il ne s’agit pas d’une entreprise d’appareils mais du dialogue direct entre les candidats et les citoyens17 » (on reviendra plus tard sur la réversibilité de l’invocation de l’orthodoxie gaulliste).

5Le premier tour de l’élection présidentielle tient lieu jusque-là de primaires à droite puisqu’il départage les candidats issus de ses deux principales formations. Mais ce système ne permet pas pour Charles Pasqua de désigner « la personnalité la mieux placée pour l’emporter ». Il faut inventer « un mécanisme anti-défaite électorale ». Un accord est signé en ce sens le 10 avril 1991 entre le RPR et l’UDF, réunis dans L’Union pour la France (la charte pour « les primaires à la française »). La procédure mise en place, pour ménager l’UDF, « parti de notables », accorde une place particulière aux élus qui disposent de quarante mandats. Le collège des élus comprend l’ensemble des élus (au niveau municipal, les maires de toutes les communes et les conseillers municipaux des communes de plus de 3 500 habitants). La charte prévoit un comité national d’organisation, un code de bonne conduite, un équilibre des moyens d’expression… La consultation doit être organisée par étapes entre les régions françaises et doit s’achever treize semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle. Les conditions pour être candidat sont assez larges : être présenté par au moins dix députés, sénateurs ou députés européens issus de trois régions différentes. La procédure relève, selon ses promoteurs, d’une « démocratie directe, tempérée par une surreprésentation des notables qui n’est pas sans rappeler la diversité de la désignation des délégués dans les primaires américaines18 ».

6La rivalité entre Jacques Chirac et Édouard Balladur bouleverse la donne, la procédure étant conçue jusque-là pour départager les aspirants à la candidature du RPR et de l’UDF. Fin 1993, le Premier ministre demande à son ministre de l’Intérieur Charles Pasqua de préparer une loi sur les primaires. On passe ainsi d’un projet d’accord entre partis à la perspective d’une loi de la République. Le projet de loi est prêt en mars 1994. On lit dans l’exposé des motifs que l’État apporte son concours aux partis et aux groupements politiques pour désigner leur candidat à l’élection présidentielle. Le recours au système des primaires est « naturellement » facultatif. La consultation peut être organisée soit au profit d’un seul parti ou de plusieurs qui souhaiteraient désigner un candidat commun.

7Le texte de l’accord de l’UPF a été profondément modifié : il n’y a plus de pondération par les élus, le vote a lieu le même jour… Le projet de loi est soumis aux présidents des différentes formations politiques qui répondent en juillet 1994. Le parti socialiste s’y oppose fortement avec les arguments suivants : le dispositif a été élaboré, selon le premier secrétaire, pour régler des problèmes internes à la majorité19 et sa destinée constitutionnelle est jugée incertaine. Henri Emmanuelli invoque aussi la tradition militante du PS : « en ce qui le concerne, le Parti socialiste consultera tout simplement ses militants, procédure qui, dans les partis démocratiques ayant vocation à animer la vie démocratique de leur pays, ne paraît pas exceptionnelle ». Le PCF s’oppose lui aussi vigoureusement à un projet qui remet en cause le secret du vote, vise à arbitrer les candidatures multiples à droite et aggraverait « les effets pervers de la bipolarisation » en donnant une prime « exorbitante » aux partis dominants. Le président de l’UDF, Valéry Giscard D’Estaing le rejette au motif qu’il s’éloigne fortement de l’accord de 1991 tout comme Jacques Chirac, président du RPR. L’UDF redoute alors les capacités de mobilisation du RPR. Le projet est donc condamné. Le ministre de l’Intérieur ne renonce pas pour autant, prend aux mots Jacques Chirac et Valéry Giscard D’Estaing et revient au projet initial. Il crée une association, s’adresse aux élus de droite en octobre 1994 pour recueillir leur soutien et lance une pétition demandant l’application de la charte de 1991. 370 parlementaires, 5 000 maires et 21 000 élus locaux la signent. Mais la mobilisation se heurte aux refus constants des dirigeants des deux principaux partis de droite. Les sondages confèrent au Premier ministre une présidentiabilité potentiellement convertible en victoire aux primaires qui amène le président du RPR à rejeter toute mise en place de la procédure. La direction du RPR s’appuie sur les difficultés de mise en œuvre pour plomber l’initiative20. L’opportunité des primaires est appréciée, comme ce sera le cas au PS plus tard, principalement en fonction des chances des candidats déjà déclarés. Le projet est abandonné en novembre 1994.

Maîtrise de l’appareil et production de la candidature

8À partir de 1995, au RPR et à l’UMP, Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy ont cherché, non sans difficultés, à faire de la maîtrise du parti un levier essentiel de la sélection présidentielle tout en construisant des formes d’alliance à droite. Jacques Chirac tente d’amorcer un processus d’unification avec la création d’un intergroupe parlementaire et la mise en place d’une structure confédérative, appelée « L’Alliance », en mai 1998. Elle n’empêche pas la multiplication des candidatures en 2002. On dénombre alors quatre candidats à droite : Jacques Chirac, François Bayrou, Alain Madelin et Christine Boutin. Le premier tour de l’élection présidentielle de 2002, marqué la non-qualification pour le deuxième tour de Lionel Jospin, ouvre une fenêtre d’opportunité dans lequel Jacques Chirac s’engouffre pour précipiter la création d’un grand parti unique21. Logiques parlementaire et présidentielle tendent à se connecter alors qu’elles étaient partiellement indépendantes au sein de la droite française jusque-là22. Pour Florence Haegel, « si l’union a pu se mettre en route, avant l’élection présidentielle, c’est bien autour de la réaffirmation de l’autorité de Jacques Chirac sur son camp et par la mise en jeu des phénomènes, classiques à droite, de délégation de leader et de mobilisation des ressources présidentielles. Si l’union s’est solidifiée, après le premier tour présidentiel, c’est à la faveur du succès chiraquien23 ». L’auteur écrit en 2002 : « il ne sera possible de considérer que l’UMP s’est véritablement institutionnalisée que lorsqu’elle aura franchi l’épreuve décisive que représente la sélection d’un candidat présidentiel pour 2007 ».

9Cette question devient centrale à partir de 2002. Nicolas Sarkozy fait de la conquête de l’UMP un levier important de sa stratégie présidentielle. Il cherche à imposer « le principe d’un règlement partisan de la candidature présidentielle24 ». Au terme d’âpres négociations, il est décidé en décembre 2005 que l’UMP soutiendra officiellement un seul candidat et lui apportera son soutien financier mais tolérera d’autres candidatures issues de l’organisation. Le bureau politique du 6 décembre 2005 décide que « l’ensemble des adhérents sera amené à voter pour choisir le candidat soutenu par l’UMP à l’élection présidentielle ». Le candidat est donc « soutenu » et non pas « investi » par le parti au terme d’un vote des militants. Mais l’évolution de l’UMP est décisive sur ce point. La désignation par les militants du candidat était conçue jusque-là dans la droite gaulliste comme une entorse à la tradition historique. Jean-Louis Debré est un des derniers « gaullistes » à en rejeter le principe au nom de la conception gaullienne (non partisane) de l’élection présidentielle. Cette directisation de la sélection du candidat conduit à la présidentialisation du recrutement partisan et la personnalisation du lien d’adhésion. Nicolas Sarkozy lance une campagne de recrutement inédite qui élargit considérablement la base militante (on dénombre 340 000 adhérents en janvier 2007). Le président de l’UMP est désigné candidat à l’élection présidentielle en janvier 2007. En termes de production de leadership, les logiques à l’UMP et au PS tendent ainsi à diverger. L’articulation entre leadership présidentiel et leadership partisan apparaît très différente. En 2007, le candidat de l’UMP qui est son leader présente un profil partisan plus marqué que son adversaire socialiste qui n’a jamais été première secrétaire.

10La défaite de Nicolas Sarkozy et son « retrait » de la vie politique en 2012 ébranlent l’unité de l’UMP mais ne remet pas en cause, dans un premier temps, la centralité du parti dans la sélection du candidat. La conquête de l’UMP que le congrès de novembre 2012 doit trancher demeure un enjeu central pour construire la candidature de 2017. La présidence de l’UMP est censée encore assurer le contrôle de la candidature présidentielle25.

La conversion pragmatique de l’UMP

11Quand s’engage la campagne interne pour la présidence du RPR en 2012, la vision que les dirigeants se font des primaires ouvertes a pourtant largement changé.

12Le succès de la primaire socialiste sème une certaine confusion à droite. « On attendait le bordel à gauche et ça devient le bordel à droite, c’est quand même extraordinaire ! » déclare le député UMP Lionel Luca26. Forte participation, hyper-médiatisation, victoire de François Hollande au final : le « succès » des primaires a été unanimement célébré. François Fillon se rallie aux primaires qui représentent selon lui « un événement politique majeur qui concerne l’avenir de notre pays » et « un processus moderne qui convient à droite comme à gauche pour toutes les élections ». Le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, dont la conversion est ancienne est sur une ligne identique : « Nous sommes en train de vivre une évolution de la V^e République qui finira par s’imposer27. » Bernard Debré, député de Paris, appelle l’UMP à se débarrasser de « la culture du chef » : « c’est le sens de l’histoire. Il faudra des primaires ouvertes de la droite et du centre » (Libération, le 18 septembre 2011). Jean-François Copé qui campe quant à lui sur une position critique est de plus en plus isolé à l’UMP. Au-delà des prises de paroles publiques, de nombreux dirigeants se rallient à la croyance que les primaires sont un outil efficace de production de leadership et qu’elles ont été un élément explicatif essentiel de la victoire de François Hollande. Nos entretiens attestent de la prégnance de ce raccourci cognitif. Maël de Calan, un des responsables du think tank La boîte à idées qui a promu les primaires à l’UMP en témoigne28 : « Le deuxième tour de la primaire socialiste a beaucoup frappé les dirigeants de l’UMP, notamment ses retombées médiatiques29 et l’unité retrouvée et mise en scène des socialistes. Certains responsables UMP ont cherché à perturber les primaires en donnant des salles éloignées aux sections socialistes. On les a dénoncées à l’UMP par principe. Mais les dirigeants ont du se résoudre à l’évidence : les primaires se sont révélées un outil particulièrement performant. » Les proches de François Fillon sont frappés par le succès de l’exercice : « on a été sidéré par le succès des primaires, le souffle que cela a levé, l’efficacité électorale, la médiatisation. C’est un excellent moyen de gérer et dépasser les rancœurs et de construire méthodiquement et procéduralement l’union30 ». En mai 2013, Édouard Balladur est plus catégorique encore : « La primaire, c’est la raison du succès de François Hollande en 2012. Trois millions de votants, ce fut une puissante rampe de lancement » (Libération, le 14 mai 2013). Une partie des dirigeants de l’aile modérée de l’UMP (Édouard Balladur, Alain Juppé…) acquiert aussi la conviction que les primaires sont un moyen de contourner une base militante qu’ils jugent trop conservatrice et trop décalée par rapport au cœur de l’électorat de droite.

L’adoption des primaires : entre mimétisme externe, crise interne et injonction à l’unité

13Quelques mois après la primaire socialiste et alors qu’elle connaît ce que les médias nomment « une crise aigue de leadership » après la défaite et le retrait de Nicolas Sarkozy, l’UMP adopte une procédure qu’elle avait fortement critiquée quelques mois précédemment. Le principe des primaires est adopté statutairement en juin 2013 par un vote des adhérents par Internet à 92 %31. On lit dans l’article 34 relatif à l’organisation d’une primaire en vue de la désignation du candidat à la présidence de la République : « le candidat à la présidence de la République soutenu par l’Union est désigné à l’occasion d’une primaire ouverte à l’ensemble des citoyens adhérant aux valeurs de la République et se reconnaissant dans les valeurs de l’Union32 ». Comment expliquer ce ralliement soudain ? Mimétisme et logiques propres se combinent pour expliquer une conversion qui est d’abord fragile quoique objectivée statutairement. Le ralliement aux primaires s’opère en effet dans une quasi-indifférence et de nombreux dirigeants ne croient pas à la mise en œuvre de cette nouvelle disposition. Une lutte politique s’engage à partir de 2014 autour de la primaire, les partisans de Nicolas Sarkozy cherchant à la neutraliser et ses divers challengers à la sécuriser. On montrera ici que les primaires sont à la fois importées, enrôlées et réinterprétées en fonction de codes institutionnels et de logiques partisanes propres.

Une dynamique mimétique

14Tout se passe en première analyse comme si cette contagion trouvait son origine dans le verdict de « succès » qui a marqué les primaires socialistes de 2011 et l’élection de François Hollande. L’adoption par la droite du principe des primaires peut être analysée selon un modèle diffusionniste33.

15Le développement des primaires en France intervient dans un contexte de circulation croissante des innovations partisanes et de constitution d’un « marché international de l’exemplarité » et des « bonnes pratiques » en matière de règles de sélection des candidats34. À partir de 2008, le jeune think tank Terra Nova entreprend une démarche de benchmarking et joue un rôle décisif dans la valorisation des primaires et la publicité donnée aux primaires italiennes et américaines construites comme des success story (étude comparée des primaires, auditions des partis démocrates italiens et américains…). Les promoteurs des primaires socialistes cherchent à importer une procédure à laquelle sont associées la mobilisation de millions d’Italiens en 2005 et la victoire de Barack Obama en 2008. Les primaires dont les succès de Prodi et d’Obama authentifient l’efficacité électorale s’inscrivent en quelque sorte dans un « sens de l’histoire » que ces entrepreneurs cherchent à naturaliser. De manière plus générale, mobiliser des pratiques « exotiques », importer un label perçu comme une réussite, « se légitimer par l’étranger » s’imposent de plus en plus dans la compétition politique pour apporter des « solutions » aux problèmes rencontrés dans les organisations. « L’extériorité est valorisée comme condition de la lucidité » et de modernité, « le détour par l’étranger » participant à « la fluidité du marché des grandeurs politiques35 ». Cette stratégie est aussi mobilisée à droite. Le député UMP Bernard Accoyer fait ainsi depuis 2005 référence de manière régulière au « modèle » italien pour promouvoir les primaires36.

16Depuis 2007, UMP et PS sont pris collectivement dans une logique d’émulation démocratique37. Occupant des positions symétriques dans le jeu politique, les organisations du duopole partisan sont prises dans des relations de concurrence qui les incitent à s’observer et à s’imiter même si les phénomènes de « convergence » qui en découlent demeurent difficiles à objectiver38. « En 2012, l’UMP se trouve à la traîne par rapport au PS sur la question des primaires présidentielles39. » Le PS a eu deux fois recours au système des primaires (semi-ouvertes en 2007 et ouvertes 2012). L’UMP est en quelque sorte sommé de combler son retard « démocratique ». L’instrument des primaires apparaît attractif dans un système d’alternances électorales répétées qui fait de la question du leadership un enjeu central et difficile à régler pour le parti à vocation majoritaire entré dans l’opposition. Avec le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, les luttes partisanes internes se structurent principalement autour de la conquête du trophée présidentiel. La tentation est donc grande pour l’UMP d’adopter une procédure qui propose un outil de régulation et d’arbitrage de la compétition partisane qui a fait ses preuves au PS. La conversion d’une partie des dirigeants de l’UMP aux primaires se fait sur la base de leur pragmatisme électoral (elle a démontré en actes son efficacité électorale au PS). Les primaires, solution disponible sur le marché des règles de sélection, s’imposent d’autant plus comme une voie à suivre que « la crise de leadership » à l’UMP fluidifie le jeu partisan interne et rouvre les possibles. La tentation du mimétisme est forte dans les situations de crise où l’on cherche à s’en remettre à des solutions qui ont démontré leur efficacité ailleurs.

17Le concept d’isomorphisme institutionnel aide à comprendre ces phénomènes. Pour DiMaggio et Powell et d’autres auteurs néo-institutionnalistes40, des pressions institutionnelles significatives s’exercent et poussent à l’homogénéisation des modes d’action. Des organisations confrontées à des contraintes similaires tendent à converger (c’est cette logique de convergence que les auteurs nomment « changement isomorphique institutionnel »). L’isomorphisme se produit à l’intérieur d’un champ organisationnel que DiMaggio et Powell définissent comme l’ensemble des organisations qui appartiennent à une même « aire » de la vie institutionnelle. L’homologie ou symétrie des positions dans le champ politique de l’UMP et du PS donne crédit à cette hypothèse de l’isomorphisme qui peut être, selon les mêmes auteurs, d’ordre normatif, coercitif ou mimétique. Selon cette troisième variante du modèle, dans un contexte d’incertitude et rationalité limitée, les organisations ont tendance à s’imiter les unes les autres. La mobilisation des élites autour d’une nouvelle règle présuppose une certaine insatisfaction à l’égard du système ou des règles en vigueur et le repérage et la connaissance de solutions alternatives exemplaires pratiquées ailleurs et qui ont fait leurs preuves41.

18Le processus d’adoption à l’UMP présente de fortes similitudes avec la dynamique favorable aux primaires au PS en 2009, ce qui donne corps à cette hypothèse analytique42. Le projet est porté par un think tank de jeunes militants UMP, La boîte à idées, déjà évoqué, composé de hauts fonctionnaires et d’experts du secteur privé qui se définit explicitement comme « un Terra Nova de droite » et produit une note sur les primaires en avril 2013 quelques semaines avant son adoption statutaire43. Soutenu par Alain Juppé et Édouard Balladur44, le groupe ne cesse de faire référence directe à l’expérience socialiste. Le think tank défend les primaires comme un processus de désignation efficace, transparent et démocratique qui constitue un outil puissant de mobilisation de l’électorat. Il reprend l’argumentation d’Olivier Ferrand de Terra Nova : « une primaire codifiée à l’avance est préférable à une primaire permanente et sauvage ». Les primaires sont « une arme trop puissante pour être abandonnée à la gauche », « le pilier principal de toute formation moderne », « une aspiration des Français45 »… Les primaires reçoivent comme au PS, le soutien d’outsiders, dotés de faibles ressources collectives et militantes, qui ont intérêt à bouger les lignes et subvertir les règles traditionnelles : Bruno Le Maire, Laurent Wauquiez, Nathalie Kosciu-Morizet, Xavier Bertrand… Là encore le témoignage de Maël de Calan est précieux : « Les primaires ont donné des idées aux dirigeants de l’UMP qui se disent “Valls, Montebourg… pourquoi pas moi ?” Personne ne pensait qu’Hollande pouvait gagner. Ils se disent au pire, je fais 5 ou 10 % et ensuite je suis incontournable ». L’entretien avec Jérôme Chartier, proche de François Fillon, va dans le même sens : « tous les modernes sont convertis aux primaires, ceux qui se projettent dans l’avenir ; elles permettent de donner de l’espoir à toute une nouvelle génération, il n’y a plus, avec les primaires, de parcours classique. Personne ne donnait François Hollande gagnant un an avant les primaires du PS, les primaires ouvrent le jeu et au pire on est ministre46… » Là encore l’expérience socialiste a valeur de précédent en ce qu’elle montre qu’une candidature aux primaires peut permettre à des personnalités de second rang (Manuel Valls ou Arnaud Montebourg) de se forger une identité politique et de construire un rapport de forces dans la perspective de la composition d’un gouvernement.

Le produit d’une crise interne

19Le ralliement des dirigeants de l’UMP aux primaires ouvertes n’obéit cependant pas qu’à une logique mimétique. Il a des ressorts propres. L’hypothèse d’un transfert mécanique ou d’une conversion essentiellement mimétique ne résiste pas à l’examen. Les primaires ne deviennent réellement un enjeu discuté en interne qu’à la fin de l’année 2012 et s’impose tout autant comme un mode de régulation des luttes internes47 et une réponse procédurale et conjoncturelle à la crise de l’UMP48.

20On l’a vu, jusque 2012, la maîtrise de l’appareil est pensée comme un préalable nécessaire à la candidature à l’élection présidentielle ou une manière de peser sur les règles du jeu49. C’est en vertu de ce principe que Jean-François Copé et François Fillon se livrent à une bataille acharnée pour la conquête du parti. L’enjeu de l’élection pour la présidence de l’UMP est alors de s’emparer du parti en vue de l’élection présidentielle. Or cette élection interne plonge l’UMP dans une crise sans précédent. Le soir du 18 novembre, les résultats sont particulièrement serrés et dans la nuit les deux camps proclament leur victoire à moins de 20 minutes d’intervalle. Le lendemain, Patrice Gélard le président de la Commission d’organisation et de contrôle des opérations électorales (COCOE) proclame Jean-François Copé vainqueur avec 50,03 % des suffrages. Mais les partisans de François Fillon contestent cette décision. François Fillon annonce la création d’un groupe parlementaire dissident, menace d’un recours en justice… La crise dure des semaines et les médias décrivent un parti au bord de la scission.

21L’adoption des primaires ouvertes est le résultat d’un compromis qui solde la crise ouverte par l’élection controversée de Jean-François Copé en novembre 201250. Les fraudes massives attestées lors du vote interne51 ont délégitimé le principe d’une désignation interne pour le futur candidat (de la même manière que les irrégularités lors des votes internes au congrès de Reims ont précipité l’adoption des primaires, comme un aveu d’impuissance). Les contestations ont d’un certain point de vue disqualifié le parti comme instance démocratique et affaibli sa capacité à trancher de manière nette et impartiale les luttes internes52. François Fillon a fait de l’adoption de la primaire ouverte la principale condition d’une pacification du parti. L’ex-premier ministre était au départ arc-bouté sur la revendication d’une nouvelle élection à l’UMP. Il renonce finalement à exiger une nouvelle élection pour la présidence du parti pour « se tourner vers les Français » en faisant le pari qu’avec la primaire la maîtrise de l’appareil partisan devient moins déterminante et que la fonction et les ressources de président de l’UMP sont en quelque sorte démonétisées. Les primaires procèdent ainsi d’une logique conjoncturelle53 et d’un compromis lié à la gestion d’une « sortie de crise » et à un état des luttes internes54.

22Proche de François Fillon, Jérôme Chartier explicite le pari de l’ex-premier ministre55. Le rôle du président du parti n’est plus, selon lui, que de « veiller à la cohérence et à la coordination de l’ensemble des actions de l’opposition » : « Nous ne sommes plus à l’époque où le président du RPR lançait ses propositions et obligeait ensuite tout le parti à en dire du bien. Tout cela est bien loin et ne manque à personne. » Le président de l’UMP n’a plus vocation à être le candidat « naturel » du parti. Le député UMP Benoist Apparu soutient en conséquence la position que l’adoption de la primaire ouverte doit conduire à supprimer le poste de président du parti et à confier la simple gestion du parti à un secrétaire général élu au suffrage universel des militants56. Il n’est pas suivi.

23On ne peut être que frappé par la rapidité de la conversion de l’UMP au principe des primaires ouvertes qui n’ont suscité guère de débat et, à la différence du PS57, peu de résistances internes58. Aucun débat sur la « nature du parti » ou la place des militants n’a été enclenché. De manière prévisible, c’est la question récurrente de la conformité au gaullisme qui est la plus discutée. Henri Guiano est isolé dans sa mise en cause d’une procédure « contraire à l’esprit de la V^e République » dans la mesure où elle fait d’un candidat le prisonnier d’un camp. Édouard Balladur défend une argumentation inverse, proche de celle développée dans les années 1990 par Charles Pasqua : « La désignation par les militants est moins gaulliste que la désignation par un collège étendu aux électeurs, c’est une évidence59. »

Un processus fragile : la précarité des nouvelles règles du jeu

24Les fillonnistes ont cherché à rendre irréversible et à durcir juridiquement l’adoption statutaire des primaires en imposant une haute autorité et en faisant appel à la professeure de droit public Anne Levade (on observe le même processus de procéduralisation des primaires au PS avec la haute autorité)60. L’adoption de la primaire n’est pourtant pas jouée en 2013. Ce sont les luttes dont elles vont faire l’objet et les représentations médiatiques qui les donnent à voir qui vont en déterminer le devenir.

25La question de la primaire est reformulée à mesure que la perspective d’un retour de Nicolas Sarkozy se dessine. L’ex-président n’exprime pas de position claire sur le sujet mais ses partisans, tentent de s’opposer à une règle qui contrarie son retour alors envisagée « par le haut » (sans passer par la reconquête de l’UMP), ce qui alimente un cadrage médiatique centrée sur « les menaces pesant sur les primaires » et la volonté de Nicolas Sarkozy de les remettre en cause. La primaire adoptée, les proches de l’ex-président de la République misent sur l’abandon de la procédure, sur « une sélection par les sondages » ou une primaire de « ratification » sans réelle concurrence (comme Dominique Strauss-Kahn en son temps)61.

26C’est que le principe des primaires n’a suscité que très peu d’enthousiasme et de ferveur. De fait, la croyance en la viabilité des primaires est encore faible quelques mois après son adoption. En avril 2014, alors que les primaires sont encore peu évoquées dans les médias, Maël de Calan nous confie dans le cadre d’un entretien :

« Le processus n’est pas pensé à droite, la conversion se fait par opportunisme. Les primaires ne font pas débat. Peu de candidats sont attachés à la procédure. Personne ne se positionne sur le fonds. Les primaires sont encore fragiles. L’adoption s’est vraiment faite par surprise, les primaires pourraient être supprimées de la même manière. Le projet n’est pas porté ». Il ajoute sur la question de sa procéduralisation : « Anne Levade, personne ne la connaît. La commission n’a aucun pouvoir. Personne ne sait qu’elle se réunit. C’est un ectoplasme. C’est pas au cœur du parti. Personne n’en a rien à foutre. Tout peut être balayé dans le parti. Les juristes, ça compte pas à l’UMP. »

27Un bilan très mitigé est tiré des primaires municipales de Paris de mai 2013 qui nourrit un scepticisme à l’égard de la primaire présidentielle. Le système de vote électronique mis en place, mal maîtrisé, a donné lieu à de nombreux cafouillages et irrégularités qui ont fortement terni l’image démocratique que l’UMP cherchait à projeter. « Nous apprenons effectivement la démocratie. C’est assez nouveau, c’est indispensable » déclare Jean-François Copé sur Canal Plus le 2 juin 2013.

28La croyance est ainsi forte chez les dirigeants que l’existence statutaire des primaires n’en garantit pas le déclenchement. Ces anticipations renvoient au rapport relativiste que les dirigeants de l’UMP entretiennent aux règles de l’organisation analysée par Florence Haegel. « Les acteurs entretiennent un rapport particulièrement relâché aux règles, ils les changent aisément, les contournent ou les oublient fréquemment et mettent rarement en œuvre de réelles sanctions62. » La politiste observe les fluctuations de règles souvent peu contraignantes et instrumentalisées conjoncturellement : « l’UMP s’inscrit dans cette filiation où l’on se préoccupe plus de produire des statuts que de les appliquer63 ». Elle rappelle que les courants prévus dans les statuts fondateurs de l’UMP de 2002 n’ont été introduits que dix ans plus tard. La volonté d’adopter des nouveaux statuts après le duel Copé-Fillon est une manière de prendre acte de cette fragilité « génétique » de l’organisation partisane.

29Les luttes internes se focalisent autour de la question des primaires à partir de 2014 qui deviennent le sujet clivant le plus saillant. Tout se passe dès lors comme si l’enjeu des primaires « dévorait » littéralement l’ensemble du parti64. À mesure que la popularité d’Alain Juppé grandit dans les sondages et que les incertitudes sur le leadership à la tête du parti se renforcent, les proches de Nicolas Sarkozy contestent de plus en plus la légitimité des primaires qui met leur champion sur un pied d’égalité avec les autres prétendants. Même si sa critique des primaires n’est pas explicite, l’ancien président de la République, qui se pose alors comme « homme providentiel » au-dessus des partis, juge que la procédure porte atteinte à sa stature politique en le poussant à un affrontement avec ses anciens ministres.

30Les médias publicisent et dramatisent les menaces qui pèsent sur les primaires. Qu’elles soient réelles importent peu tant elles sont accréditées par la presse. Elles deviennent donc partie prenante de la « réalité » politique, élément du jeu interne. Les journalistes se portent en quelque sorte garants de leur mise en place. Cet entretien avec Alain Auffray, journaliste à Libération dont la ligne éditoriale anti-sarkozyste est très marquée, est éloquent : « les sarkozystes ironisent en disant que je connais mieux les statuts et la charte des primaires qu’eux. Je leur parle que de la primaire aux sarkozystes, ce qui les horripile, comme Brice Hortefeux qui est un sarkozyste professionnel » (entretien le 16 mars 2016). Le témoignage de Matthieu Goar, journaliste au Monde, va dans le même sens : « Sarkozy a testé à plusieurs reprises pendant la campagne à la présidence de l’UMP la question des primaires devant divers publics notamment des cadres du parti inquiets de son organisation. Et tout de suite les défenseurs des primaires montaient au créneau, surréagissaient et nous prenaient à témoin. » Les partisans des primaires instrumentalisent les médias comme en atteste Benoist Apparu, député juppéiste :

« Nicolas Sarkozy a été peu à peu condamné de la jouer à la loyale. S’il tire sur les primaires, ou si ça foire, ce sera lui le responsable, il portera le mistigri de l’échec. La presse est obsédée par l’idée de la manipulation possible de la primaire par Sarkozy, ce qui est exagéré sans doute. Nous les juppéistes c’est clair que cette attitude de la presse nous arrange, on a joué aussi à les influencer sur cette question, en jouant à faire peur, en brandissant des menaces. Il y a eu beaucoup de fantasmes autour de la non-organisation des primaires qui nous ont un peu arrangé… » (Entretien avec Benoist Apparu, porte-parole d’Alain Juppé, député LR, le 15 mars 2016)

31Une coalition de défense des primaires se constitue réunissant Xavier Bertrand, Bruno Le Maire, Alain Juppé puis François Fillon à partir de janvier 201465 qui cherche à peser dans les instances du parti. Par-delà leurs divergences et leurs intérêts, ces prétendants au leadership ont intérêt collectivement à sécuriser la règle du jeu. Sanctuariser les primaires est conçu comme un moyen d’empêcher le retour de Nicolas Sarkozy ou d’instaurer un rapport de forces avec lui en le contraignant à se soumettre à cette étape de pré-sélection. La démission de Jean-François Copé de la présidence de l’UMP suite aux révélations de l’affaire Bygmalion reconfigure les luttes internes. En septembre 2014, Nicolas Sarkozy se décide à rentrer à nouveau dans la mêlée partisane. Il veut rassembler la « famille » et la prévenir de la menace du FN. On lui prête l’objectif de remettre en cause le processus des primaires sur la base de quelques déclarations de ses proches66. La question de leur organisation constitue un des enjeux centraux de la campagne interne pour la présidence de l’UMP.

32Le risque encouru par l’UMP de ne pas être présent au second tour de l’élection présidentielle face à un FN conquérant s’impose comme un argument nouveau pour plaider en faveur des primaires. Les performances du FN aux élections intermédiaires (municipales, européennes, départementales et régionales) compromettent la capacité des deux principaux partis à se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle et font planer, même à droite, la menace d’un « 21 avril ». La presse parle de plus en plus de « tripartisme ». Les primaires apparaissent dans ce contexte comme « une garantie d’unité ».

33Les primaires contribuent de manière contre-intuitive à réévaluer les ressources partisanes et la fonction de président du parti. Bruno Le Maire et Hervé Mariton, candidats à la présidence de l’UMP, se portent garants de la primaire ouverte contraignant, malgré de nombreuses ambiguïtés, Nicolas Sarkozy pendant la campagne interne à s’engager à organiser les primaires. François Fillon et Alain Juppé menacent de maintenir leur candidature à la présidentielle si la primaire n’est pas organisée. Les menaces sur la procédure continuent d’alimenter le feuilleton des primaires. En marge de son meeting le 21 octobre 2014, Nicolas Sarkozy annonce à Nice qu’il va revenir sur la primaire et qu’il est opposé à l’idée qu’elle soit organisée par une haute autorité indépendante (Le Figaro, le 6 novembre 2014). Bruno Le Maire met en garde : « Si nous ne travaillons pas sur l’organisation de la primaire dès le lendemain de l’élection à l’UMP, il sera impossible qu’elle se tienne comme prévu, à l’automne 2016. » « Le meilleur moyen qu’elle n’ait pas lieu, c’est de ne pas s’en occuper et les organiser », souligne Gilles Boyer, proche collaborateur d’Alain Juppé, qui « attend des actes très rapides » de la part de Nicolas Sarkozy. Le débat se déplace aussi sur la question du périmètre de l’électorat appelé à participer (le « sélectorat » pour détourner une expression anglo-saxonne) : les électeurs centristes pourront-ils les participer ? Alain Juppé pose comme condition un périmètre élargi au centre, ce qui est conforme à ses intérêts électoraux.

34Même s’il l’emporte dès le premier tour, le 29 novembre 2014, avec 64,5 % des 155 801 suffrages, le score de Nicolas Sarkozy est jugé impropre à régler en interne la question de la candidature. « Le storytelling du retour du leader au secours de la France bat de l’aile. Tout comme l’idée que la candidature Sarkozy s’imposerait comme une évidence, donc sans passer par la case “primaire”67. » Pour le politologue Jérôme Jaffré, le score mitigé du président de l’UMP justifie la sélection concurrentielle et ouverte d’un candidat pour 2017 (Libération, le 30 novembre 2014).

Codification et organisation de la primaire : règles du jeu et jeu sur les règles

35L’exemple italien démontre que, en l’absence d’un cadre légal (les primaires sont privées), l’adoption de la règle des primaires ne règle pas son usage. Les règles du jeu sont en soi un enjeu surtout quand elles ne sont pas codifiées « à froid » (des candidats sont déclarés et étalonnés par les sondages). Nicolas Sarkozy élu président de l’UMP met en place une commission d’organisation des primaires présidée par le député des Hauts-de-Seine Thierry Solère, proche de Bruno Le Maire. L’idée de ce groupe de travail et du nom de Thierry Solère (avec un représentant de chaque candidat à la primaire ainsi que des parlementaires) vient de Bruno Le Maire qui s’estime « garant de l’unité du parti » après avoir obtenu 29,18 % lors du scrutin interne. Le nouveau président de l’UMP voit là une opportunité de rassurer le parti sur ses intentions de « rassemblement » et accepte. Une nouvelle charte des primaires est ainsi produite et une architecture organisationnelle, plus formalisée que celle mise en place par le parti socialiste, est définie.

36Thierry Solère relate l’entrevue entre Bruno Lemaire dont il est un proche et Nicolas Sarkozy après son élection (entretien, le 26 mai 2016) :

« C’est à ce moment-là que le sort des primaires se décide, se scelle en quelque sorte. Jusque-là rien n’est vraiment acté, c’était pas du sérieux. La première charte des primaires personne l’a lu, même moi, c’était bricolé, sans intérêt. Donc Sarkozy reçoit Lemaire qui pèse désormais 30 % et lui dit : « qu’est ce que tu veux ? tu veux être secrétaire général ? que veux tu pour tes proches ? » il lui répond qu’il veut rien mais le met en garde. Selon lui, la famille de la droite va exploser s’il n’y a pas de primaires. Il demande donc à Sarkozy une préfiguration de la primaire autour d’un groupe de travail complètement indépendant du parti pour la sécuriser. Sarkozy dit non. Il veut pas. Il dit : « tu veux pas mon bureau non plus ». Il lui dit : « il y aura des primaires mais à ma mode ». Mais le lendemain il accepte. Que s’est-il passé ? Il s’est dit, je crois, la défiance est tellement forte que j’ai pas le choix, que le parti peut exploser. Et du coup il se dit je vais être celui qui va le pacifier et il adopte son registre : « aimez moi les uns les autres ». Il a du faire les primaires. Sarkozy, les primaires peut-être qu’il regrette mais à partir de là il peut plus être contre. »

La charte des primaires

37Le groupe « Solère » propose des règles du jeu explicitement calquées sur celles des primaires socialistes (vote papier, charte d’adhésion, tarif de deux euros, primaires à l’automne, scrutin majoritaire à deux tours) même si l’ingénierie du dispositif accentue le mimétisme avec l’élection présidentielle. La deuxième charte est plus précise que la première qui proposait une codification à froid alors que les enjeux politiques étaient encore très incertains et que les acteurs n’avaient pas encore véritablement intégré la nouvelle règle. Ces deux témoignages d’Anne Levade et de Thierry Solère éclairent ces questions :

Anne Levade : « La charte telle qu’elle était rédigée en 2013, c’était une charte qui avait été rédigée complètement à l’intérieur de l’UMP, donc avec un jeu de renvoi assez compliqué d’ailleurs, entre statuts et charte… Mais, ça faisait partie entre guillemets du deal Copé-Fillon. Le texte avait le mérite d’exister, d’une certaine manière, il a ancré la logique de la primaire, je pense, à l’UMP. Là, dans la perspective de la mission Solère le travail n’est pas de même nature, puisque par définition, on est sur une logique primaire de 2016 et même mieux avec une échéance identifiée, un contexte politique qui a déjà beaucoup changé depuis 2013, et qui n’a pas fini de changer à mon avis, et malgré tout un calendrier de négociations politiques en contre partie, qui est assez difficile à déterminer. Il y a eu des discussions mais à huis clos et peu de tensions. Tous les participants n’avaient pas la même motivation et implication68. On était peu nombreux. Même s’il y a des éléments qui ont fuité dans la presse, les gens ne sont pas dans la posture de « je parle au nom de mon candidat ». Comme la charte a été rédigée ou retravaillée à une période relativement proche de l’échéance, on a cherché à être le plus précis possible et on a clarifié de manière assez détaillée l’architecture de l’organisation. On a voulu aussi rassurer les candidats. Notre d’état d’esprit a été de respecter le caractère ouvert de la procédure à la fois en termes de candidatures et d’électeurs. D’un certain point de vue sur ce point, il y a un challenge à tenir : la droite veut faire plus que le PS en nombre de participants. Il fallait tuer aussi le fantasme du contrôle des primaires ou de leur manipulation. Fixer le nombre de bureaux allait dans ce sens. »

Thierry Solère : « On a bien bossé dans le groupe primaires. Il fallait un bon texte solide et opposable, des bonnes règles. Enfin c’est surtout trois personnes qui ont fait la primaire, Anne Levade, moi-même et Édouard Philippe, le député-maire du Havre, proche de Juppé. Il y a pas eu trop de contestation dans le groupe sur la question des bureaux de vote. En fait les sarkozystes se sont réveillés après la bataille. C’est à la rentrée 2016 qu’ils se sont rendus compte vraiment qu’il y avait trop de bureaux et favorables aux électeurs centristes. Je confirme que Brice Hortefeux a pas été très présent dans le groupe de travail et pas très investi. Laurent Waucquiez, proche de Sarko, et secrétaire général du parti, était membre, il est venu qu’une seule fois, une seule fois au début, puis rien. Je crois que Nicolas Sarkozy a pas bien compris le principe des primaires, il a pas intégré cette règle, il a laissé faire en pensant qu’il s’en sortira sans doute. Les Sarkozystes se sont réveillés à la rentrée 2016, un peu tard. » (Thierry Solère, entretien le 26 mai 2016)

38Le texte final est adopté à l’unanimité par le groupe de travail. La charte de la primaire est présentée le 7 avril 2015 devant le bureau politique après trois mois de travail et une vingtaine de réunions. Elle est validée à l’unanimité. Les règles de la primaire font l’objet d’un texte propre et distinct des statuts, principe justifié en « droit69 ». Les règles d’organisation des primaires doivent être suffisamment précises pour présenter des garanties aux divers acteurs et s’inspirent pour ce faire du droit électoral.

39L’élection a lieu les 20 novembre 2016 et 27 novembre 201670. Les candidats à la primaire signent la Charte et s’engagent à la respecter et à soutenir publiquement le candidat désigné. Peuvent voter lors de la primaire les citoyens inscrits sur les listes électorales ou ayant dix-huit ans à la date de l’élection présidentielle. Les procurations, qui avaient donné lieu à de multiples contestations lors du duel interne entre Jean-François Copé et François Fillon en 2012, sont prohibées. Le vote électronique, pratiqué lors de l’élection primaire à Paris ou dans les consultations internes, est rapidement rejeté dans la mesure où il oblige de générer des codes électroniques pour l’ensemble des électeurs français en âge de voter. Le vote papier est aussi censé rendre plus difficile à des électeurs de gauche de participer à la primaire pour influencer le processus, compte tenu des mécanismes d’interconnaissance qui jouent dans les scrutins territorialisés (« tout le monde se connaît dans les bureaux de vote » déclare Thierry Solère dans les réunions de préparation des primaires71). Les participants doivent verser une contribution de deux euros par tour de scrutin72 et signer la charte de l’alternance ainsi rédigée : « Je partage les valeurs républicaines de la droite et du centre et je m’engage pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France. » Thierry Solère revient, non sans ironie sur cette déclaration en entretien, le 26 mai 2016 :

« On cherche très clairement à attirer les déçus de Hollande. On veut ratisser le plus large possible. On vise tous les électeurs. Vous avez lu le texte de la charte ? Il a été ciselé. Les participants doivent adhérer aux valeurs républicaines de la droite, ça veut dire quoi ? Qu’on n’est pas obligé d’être de droite ! moi j’adhère aux valeurs républicaines de la gauche. Cette formulation subtile a échappé à tout le monde. »

40Les déclarations de candidature sont adressées à la Haute Autorité au plus tard le vendredi 9 septembre 2016. Les conditions pour être candidat sont les suivantes :

• d’une part, présentation d’au moins deux cent cinquante élus habilités à présenter un candidat en vue de l’élection présidentielle, répartis sur au moins trente départements, sans que plus d’un dixième des signataires de la présentation puissent être issus d’un même département, parmi lesquels au moins vingt parlementaires ;
• d’autre part, présentation d’au moins deux mille cinq cents adhérents du parti « Les Républicains » à jour de cotisation, répartis sur au moins quinze fédérations départementales différentes, sans que plus d’un dixième des signataires de la présentation puissent être issus d’une même fédération.

41Pour les candidats issus des autres partis et groupements politiques concourant à la primaire, les conditions de présentation des déclarations de candidature sont arrêtées par les organes délibérants de partis concourant à la primaire. La primaire est donc bien ouverte au « centre » (le refus de l’UDI de participer à la primaire en présentant un candidat ne remet pas en cause ce principe73).

42Le nombre relativement élevé de parlementaires requis illustre la volonté de l’UMP de ne pas ouvrir la primaire à un trop grand nombre de candidats74. Pour les autres partis, la primaire est en revanche la plus ouverte possible pour permettre à d’éventuels candidats centristes (UDI ou MODEM) d’y concourir. Un temps le seuil de vingt-cinq députés est évoqué mais Nathalie Kosciusko-Morizet (vice-présidente du parti quand la commission est réunie) et Xavier Bertrand dont la capacité à les obtenir est incertaine ont tous deux plaidé pour un abaissement du seuil. Les conditions de candidature apparaissent néanmoins plus restrictives que celle adoptées par le PS75.

43La Commission nationale d’organisation de la primaire est composée de quinze membres représentant les partis et groupements politiques concourant à la primaire et d’un représentant de chacun des candidats désigné par lui. La Commission nationale d’organisation de la primaire organise, dans les conditions déterminées par la Haute Autorité et sous son autorité, la primaire en vue de la désignation du candidat à la présidence de la République. Elle désigne les présidents des commissions départementales et locales d’organisation, chargés de l’établissement de la liste des bureaux de vote par circonscription et de la composition des bureaux de vote. Les candidats à la primaire en vue de l’élection présidentielle établissent un compte de campagne (à compter de la publication de la liste officielle des candidats) qui est rendu public à l’issue de la primaire (ce qui n’était pas le cas au PS). Dans le respect d’une stricte égalité entre les candidats, les organes délibérants des partis et groupements politiques concourant à la primaire fixent le plafond des dépenses de campagne76 et peuvent décider d’allouer une somme à chacun des candidats à la primaire.

44Plus qu’au PS, le mimétisme est net avec l’élection présidentielle que la droite a pleinement internalisée comme l’atteste la question des parrainages dont Anne Levade et Thierry Solère évoquent les enjeux (entretien, le 16 mars 2016 et entretien, le 26 mai 2016) :

« Pour les parrainages, l’idée ça été de coller au modèle de l’élection présidentielle alors que le PS est resté plus proche d’une logique d’appareil. Si un candidat n’est pas capable de réunir le soutien de 250 élus, il est peu légitime alors que la présidentielle en requiert 500. À titre personnel, je n’étais pas très favorable au parrainage d’adhérents mais c’est une manière, en interne, de compenser la dépossession de la souveraineté des militants à travers la primaire. Il s’agissait aussi de limiter le nombre des candidatures. La charte de 2013 en matière de parrainage était une usine à gaz qu’on a simplifié. » (Anne Levade)

« Nous avons voulu coller au code électoral » déclare à plusieurs reprises de son côté Thierry Solère à la presse. Il nous confie : « Les militants sont parrains de la primaire. Très clairement on a utilisé ce système pour les réhabiliter, les revaloriser, il fallait leur restaurer un peu de pouvoir au moins symbolique et ne pas élargir encore un peu plus au sein du parti la faille entre les militants et les dirigeants. »

« Les questions logistiques sont politiques77 » : l’enjeu des bureaux de vote

45Les Républicains fixent un objectif d’au moins 2 millions de votants, seuil à partir duquel l’opération est autofinancée. La préparation de l’élection demande un travail considérable : constitution des listes électorales, réservation de milliers de bureaux de vote et formation d’environ 50 000 assesseurs qui veilleront au bon déroulement des opérations… Alors que les critiques des primaires sont devenues marginales78, l’attention se déplace vers les enjeux organisationnels, objet d’une grande méfiance de la part des rivaux de Nicolas Sarkozy.

François Fillon déclare : « On peut se retrouver avec un règlement nickel et, ensuite, une organisation sabotée, le temps qui manque pour mettre en place les 8 000 bureaux de vote ou des tentatives pour décourager la participation » (Le Figaro, le 18 mars 2015). Alain Juppé met en garde à plusieurs reprises : le 5 mars 2015, au Nouvel Obs, « que ce soit clair, si on ne dépasse pas les 500 000 électeurs, je me présenterai directement devant les Français », à la Tribune, le 2 avril 2015, il annonce que si la primaire est « bidouillé », il se présentera quoiqu’il arrive…

46Les controverses se cristallisent sur la question des bureaux de vote qui fait l’objet d’une attention plus forte qu’au PS79. La charte des primaires est précise à propos des bureaux de vote : elle définit un seuil minimum de bureaux (ce qui n’était pas le cas au PS) qui doit être au moins égal à dix mille. Deux principes ont guidé la définition du nombre de bureaux de vote et leur répartition géographique : une répartition équilibrée sur le territoire (maillage du territoire) et une concentration sur les zones de force électorale de la droite et du centre. La définition du nombre de bureaux et leur répartition a fait l’objet d’âpres négociations dont le feuilleton, suivi par la presse, dure plusieurs mois. Alain Juppé, François Fillon et Bruno Le Maire redoutent que l’implantation des bureaux ne favorise l’ex-président de la République. Il est envisagé au départ de n’ouvrir que 8 000 bureaux, chiffre qu’Alain Juppé estime publiquement trop faible80. En octobre 2015, Nicolas Sarkozy juge « irréalistes » les ambitions de la primaire ouverte devant quelques dizaines de secrétaires départementaux et doute de la possibilité d’installer 10 000 bureaux de votes, ce qui supposerait selon lui la mobilisation de 80 000 personnes. Ses rivaux soulignent alors que cette crainte est contradictoire avec sa volonté d’élargir la base militante à 500 000 adhérents… Gilles Boyer, directeur de campagne d’Alain Juppé, fait quant à lui remarquer, non sans ironie, que le chef des Républicains s’inquiète de l’organisation d’un vote qui ne dépend pas de lui mais d’une autorité indépendante : « Nicolas Sarkozy se fait du souci pour rien, ce n’est pas le président du parti qui organise la primaire : il y a pour cela un comité d’organisation, contrôlé par la Haute autorité indépendante81. »

Benoist Apparu, porte-parole d’Alain Juppé (entretien le 15 mars 2016) analyse le processus : « il y a eu deux micro-controverses. La première sur le nombre de bureaux, on en voulait 10 000 parce qu’on vise les trois millions de participants, avec très clairement l’idée que c’est l’offre de bureau qui façonne la demande, en termes de participation. La deuxième c’est la répartition des bureaux, en gros 5 000 pour qu’il y ait des bureaux de vote partout, de manière homogène, et les 5 000 restants là où on la droite et le centre sont plus forts, ce qui pose la question « c’est quoi une circonscription de droite et du centre ». Sur la deuxième question, il y a eu un conflit conséquent. Le choix s’est fait sur le vote Sarkozy plus Bayrou. Au départ, les proches de Sarkozy n’ont pas forcément bien mesurer l’enjeu. Le principe est néanmoins resté même s’ils ont râlé. »

47Laurent Wauquiez, secrétaire général du parti, a proposé que les voix de François Bayrou ne soient pas comptabilisées. Le représentant de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, a quant à lui suggéré de calculer la répartition en fonction des scores du second tour de 2012, ce qui aurait exclu les centristes ayant voté pour François Hollande. Les sarkozystes n’obtiennent pas gain de cause82. Les critères suivants sont finalement retenus dans la charte : elle indique d’abord que doit être respecté le « principe d’égal accès des électeurs au scrutin » et stipule que le nombre de bureaux de vote par circonscription législative est au moins égal à neuf ; au-delà de neuf, le nombre de bureaux de vote par circonscription législative a été établi proportionnellement aux résultats obtenus par les candidats de la droite et du centre au premier tour de l’élection présidentielle de 2012. Concrètement, une circonscription où les candidats de la droite ont réalisé de bons scores pourra compter près de 20 bureaux de vote. Les circonscriptions ont été classées en cinq ensembles : les 115 circonscriptions où la droite et le centre ont réalisé les meilleurs scores auront 15 bureaux supplémentaires, les 115 où la droite est la plus faible seulement 2 de plus, les trois autres paquets de 115 circonscriptions auront 4, 7 ou 10 bureaux en plus.

48Sur cette base, la commission nationale d’organisation livre une liste de bureaux qui est rectifié par la haute autorité comme le commente, Anne Levade (entretien le 15 mars 2016) :

« la commission d’organisation nous a livré une liste avec un peu moins de 10 000 bureaux. On a fait un correctif. On a supprimé aucun bureau et on en a ajouté quelques centaines. On a introduit le paramètre du nombre de voix. On a créé un modèle probabiliste sur une hypothèse de quatre millions de participants et on a décidé qu’il ne pouvait y avoir plus de 650 votants par bureau ».

49Au final, c’est une liste de 10 337 bureaux qui est arrêtée début 2016. L’objectif a été aussi symboliquement de dépasser le nombre de bureaux ouverts en 2011 par le PS (9 595)83. Le refus de l’UDI de participer à la primaire (mars 2016) ne remet pas en cause la définition de la primaire comme « du centre et de la droite » dans la mesure où la procédure est ouverte aux électeurs centristes.

Production et institution de la confiance : la haute autorité des primaires

50À la différence du PS, ce sont bien deux entités pleinement autonomes à qui sont externalisés l’organisation et le contrôle de la primaire. Une étape a donc été franchie dans le caractère extra-partisan de la procédure. C’est notamment parce que la primaire ne concerne pas que LR que cette autonomie a été consacrée. Si la primaire socialiste a amorcé un processus de procéduralisation à travers la constitution d’une autorité indépendante, le processus est consolidé et approfondi par la droite. En dépit des réserves de l’ancien chef de l’État sur le sujet84, la haute autorité est considérée comme la garantie de l’impartialité de la procédure et de sa « dépolitisation85 ». Elle est composée de quatre membres extérieurs aux partis et groupements politiques concourant à la primaire, « choisis pour leur compétence juridique, parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance et jouissant de la plus haute considération morale » et tenus à une obligation de réserve. Après avoir présidé la haute autorité de l’UMP, Anne Levade la préside. Cette instance est indépendante de la direction de chacun des partis et groupements politiques concourant à la primaire, dispose de moyens budgétaires dédiés et a autorité exclusive sur les personnels qui lui sont affectés. Elle organise la primaire, veille à sa régularité, examine les réclamations et proclame les résultats. Selon la charte, elle a autorité sur la Commission nationale d’organisation de la primaire ainsi que sur les Commissions départementales et locales d’organisation. La mise en place de cette institution indépendante a suscité des résistances fortes de la part de la direction. Là encore, nous croisons les analyses en entretien d’Anne Levade et de Thierry Solère :

Anne Levade, le 16 mars 2016 : « La nouveauté par rapport au PS c’est la forte indépendance de la haute autorité et l’organisation qui a été plus interne au PS. L’idée d’un organe indépendant a toujours été présente. J’ai joué un rôle en la matière, étant juriste mais pas forcément un rôle déterminant. Nous organisons bien la primaire pour les partis de la primaire86. La haute autorité dispose de locaux, d’un expert-comptable, de moyens propres importants, nous avons négocié un versement de 5 millions d’euros et la négociation avec le parti n’a pas été simple parce que le principe est nouveau… La désignation des présidents de commission locale des primaires a été faite sur la base d’un accord politique. On voulait des vrais gens, pas des responsables locaux qui vont déléguer, des personnes qui vont vraiment organiser la primaire, joignables. Et la haute autorité a souhaité au départ la nomination de personnes qui n’ont pas pris parti pour tel ou tel candidat. La commission d’organisation nationale nous a répondu que ce n’était pas possible, ce qu’on peut comprendre mais du coup j’ai demandé un accord consensuel sur la liste pour qu’on ne dise pas après que l’on ne le savait pas87. Pour les bureaux de vote, on va veiller à la cohérence géographique. Je n’exclus pas qu’on ait plus de mal à avoir des bureaux dans les mairies de gauche. Mais cette fois-ci ce sera la force de la haute autorité indépendante de leur demander et d’insister. Les présidents sont censés nous alerter au fur et à mesure des difficultés rencontrées. »

Thierry Solère, le 26 mai 2016 : « Le budget ça a été très compliqué. Anne Levade a eu des gros conflits avec Daniel Fasquelle le trésorier. À la rentrée je vais le voir lui et Sarkozy et leur dit que la primaire va couter cher, entre 5 et 8 millions d’euros, qu’elle va s’autofinancer mais qu’il y a deux options : ou je vais voir les banques pour un prêt ou le parti m’avance l’argent ; ça s’est mal passé. Qui paie décide a dit Fasquelle. La direction du parti au départ ne voulait pas financer qu’a posteriori, sur notes de frais. Mais comme les autres dossiers, ça s’est débloqué finalement. Parce que toute façon si ça se passe mal c’est Sarkozy qui sera tenu responsable des échecs ou des problèmes. Il a donc cédé. Il a perdu tous les arbitrages, sur les bureaux, le budget et même le vote des Français de l’étranger. Il y a eu quatre problèmes depuis l’été 2016 : les bureaux, la date de la primaire que les Sarkozystes voulaient avancer et les électeurs à l’étranger. Il a du céder. »

51Comment analyser ce rôle nouveau du droit et de ses professionnels dans les affaires partisanes ? Il procède dans une large mesure de la « crise » de 2012 et de l’incapacité du parti à produire des consultations impartiales. Anne Levade est d’abord sollicitée pour réécrire en 2013 les statuts du parti en prêtant sa caution juridique. Elle conçoit son action comme « un facteur d’apaisement des belligérants ». C’est la capacité des juristes à s’abstraire des considérations « politiques » et à produire de la confiance qui est invoquée.

Le témoignage de Benoist Apparu est édifiant : « le parti est considéré comme complètement pourri dans ses profondeurs, complètement décrédibilisé. La confiance interne et externe est très faible. Du coup on externalise à des gens vierges de tout et à des procédures extérieures. Il y a une blague qui tourne dans le parti depuis des années en interne à l’UMP à propos des élections internes et avant qu’elle ait lieu, c’est : “c’est quoi le résultat”. À côté duel Fillon-Copé, le congrès de Reims c’était de la rigolade en termes de fraude. »

L’analyse est la même du côté des soutiens de Nicolas Sarkozy : « La haute autorité, c’est l’effet du fiasco de la COCOE, il faut rassurer tout le monde, de la neutralité pour trancher les conflits » (Entretien avec Sébastien Huygue, député du Nord, proche de Nicolas Sarkozy, le 19 mars 2016)88.

Thierry Solère, le 26 mai 2016 : « La haute autorité c’est le pilier de la primaire, de son architecture, de celle qu’on a voulu c’est-à-dire une procédure extérieure au parti. Notre haute autorité a beaucoup plus de moyens et de pouvoir qu’au PS. Elle a un double statut : c’est le Conseil constitutionnel et le ministère de l’intérieur en même temps. La légitimité c’est elle, elle valide tout, les bureaux, les candidats… À la tête du comité d’organisation des primaires, je propose mais c’est Anne qui dispose. Je suis aussi un peu ministre de l’intérieur quand même. Je connais la défiance dans le parti, je connais les loulous qui sont candidats. Je veux me couvrir. Mettre en place cette haute autorité c’était anticiper les problèmes, les contestations. Il y en a eu et il y en aura. On se fait pas confiance mais il y a le filet de la haute autorité. Moi ce qui m’importe c’est qu’il y ait pas de pressions sur moi. J’insiste beaucoup là dessus, c’est une primaire de la droite et du centre, pas du tout des Républicains, c’est pas leur ou notre primaire. Les bureaux de vote le PS en a ouvert jusqu’au dernier moment, nous ça sera pas possible parce que c’est la haute autorité qui doit les valider. Il faut qu’on atterrisse bien à la fin mais les garde fous sont là. »

52Le recours à une instance neutre vise à produire de la confiance (entre candidats, dans l’opinion et la presse) en vue d’une échéance à venir pensée comme cruciale. De l’analyse même d’Anne Levade, « parce qu’une élection primaire ratée mettrait en péril l’élection nationale en vue de laquelle elle est organisée, le droit est réputé garantir que la première soit au-dessus de tout soupçon89 ». Le droit est un instrument pour ne pas flouer les adhérents et dissiper peurs et défiances dont les primaires sont le produit. Ce recours à des instances extérieures et à « un apolitisme transcendant90 » ne s’est pas imposé par la seule force « neutre » du droit mais a bien été le produit de luttes politiques :

Entretien avec Benoist Apparu : « Sur l’organisation de la primaire, on estime qu’on a gagné la partie parce qu’on a cranté un certain nombre de choses au fil du processus et que c’est irréversible. La garantie c’est que c’est pas le parti qui organise, ce qui découle du fait que c’est la primaire de la droite et du centre. Il y a le parti d’un côté et la haute autorité de l’autre. C’est acté. On a réussi à créer de l’étanchéité entre le parti et les instances organisatrices, cette étanchéité c’est une vraie garantie. »

53Henri Guaino dénonce à travers l’institution d’une haute autorité « une mise sous tutelle juridique des partis » et une atteinte à leur « souveraineté91 ».

L’affaire des Français de l’étranger

54La haute autorité est rapidement mise à l’épreuve. Une controverse, largement médiatisée, sur le vote des étrangers se développe en mai 2016. La presse évoque un « accroc » dans l’organisation de la primaire à droite et un « coup de force » de Nicolas Sarkozy. Lors du bureau politique du 3 mai, Nicolas Sarkozy fait voter à la surprise générale et en l’absence de ses principaux rivaux – Alain Juppé, François Fillon et Bruno Le Maire – le principe du vote papier pour les Français de l’étranger (près de 1,2 million inscrits sur les listes électorales consulaires) alors que le principe d’un vote électronique semblait être acté. Sa proposition est approuvée par 43 participants sur 47 présents. « Je ne vois pas pourquoi un habitant de la Somme doit être obligé de faire 40 kilomètres pour aller voter, alors qu’un Français de l’étranger pourrait le faire par un vote électronique », argumente-il, voyant une « rupture d’égalité » entre les différents électeurs si le vote électronique était adopté. Selon la presse, l’ex-président craint que le vote électronique ne favorise une « surreprésentation » des expatriés (moins marqués à droite, peut-être, que les autres électeurs potentiels). Les rivaux de Nicolas Sarkozy parlent d’un « coup de force » et saisissent la haute autorité. Les difficultés matérielles inhérentes à un vote papier empêcheraient de facto les Français de l’étranger de participer à la primaire selon eux. Gilles Boyer, directeur de campagne du maire de Bordeaux tonne dans Le Monde le 4 mai : « On avait fixé des règles, elles doivent s’appliquer. On ne peut pas accepter que d’un trait de plume, deux millions de Français soient privés de vote. » La commission Solère avait conclu, dès septembre 2015, que seul le vote électronique leur permettrait de participer à cette primaire. Un consensus entre tous les candidats avait été, semble-t-il, trouvé pour permettre aux expatriés de voter par Internet – ce qui était d’ailleurs prévu dans le guide électoral de la primaire diffusé le 22 avril. Dans un communiqué le 4 mai, la haute autorité confirme que le vote papier poserait de sérieux problèmes : « L’organisation d’un scrutin papier sur le territoire d’États étrangers se trouve naturellement contrainte par des règles propres à ceux-ci autant que par des nécessités d’ordre matériel […] conduisant à ce que les Français établis dans des États qui interdisent l’organisation de scrutins à caractère politique hors des postes diplomatiques de l’État concerné ne puissent prendre part au vote. » Elle « recommande » que le bureau politique de LR soit de nouveau saisi « des propositions de modifications de la charte de la primaire permettant un vote effectif des Français établis hors de France » (communiqué de la Haute Autorité mercredi 4 mai 2016). Anne Levade explique au Monde le 5 mai : « Un vote papier est ingérable alors que le vote électronique comporte davantage de sécurités », en précisant que ce point semblait acté. « Cela fait cinq mois que l’on travaille sur la base du vote électronique pour les Français hors de France. »

55Anne Levade (le 25 mai 2016) et Thierry Solère (le 26 mai 2016) apportent en entretien un témoignage relativement convergent sur la controverse :

Anne Levade : « Le vote électronique semblait acté mais ce n’était pas encore intégré dans la charte, ce que je ne savais pas. Le 11 avril, soit dix jours avant la sortie du guide électoral, j’ai appris que le bureau politique n’avait finalement pas voté cette modification de la charte. Je ne suis pas membre des instances, je ne pouvais donc le savoir. Je pensais qu’un BP s’était prononcé sur cette question en novembre. La haute autorité a émis un avis favorable au vote électronique en novembre mais ce n’est pas la haute autorité qui vote la charte, elle en vérifie l’application. Nicolas Sarkozy n’a donc pas violé la charte, contrairement à ce que les médias ont prétendu, même si tout le monde était accord pour convenir que seul le vote électronique était viable. Les médias ont surréagi et dit parfois des bêtises. Tout le monde s’est crispé sur ses positions à cause des médias. »

Thierry Solère, entretien le 26 mai 2016 : « Le problème du bureau politique c’est qu’il y a ni ordre du jour, ni compte rendu. Moi je pensais que la charte avait été modifiée en octobre comme Anne Levade pour entériner le vote électronique à l’étranger. Du coup il y a pas de mémoire de l’organisation92. Et en plus plein de gens n’y vont plus, parce qu’ils veulent déserter les instances du parti pour montrer que ç’est pas là que cela se passe. Tout cela n’est pas rationnel, c’est du bricolage. Pourquoi Sarkozy a fait cela ? Trois raisons. D’abord c’est un acte d’autorité du président qui a perdu tous les arbitrages et qui veut dire, c’est moi le chef. Ensuite il veut envoyer le message qu’il se passe des choses au bureau politique que tout le monde néglige. Ensuite, il fait un calcul électoral, il pense que le vote électronique des étrangers ne lui est pas favorable. »

56Thierry Solère et Anne Levade cherchent un compromis pour que « tout le monde sorte honorablement de cette affaire » selon l’expression de la juriste. Il est trouvé le 17 mai. Au final, la charte, modifiée, prévoit que le vote des Français à l’étranger sera organisé soit physiquement soit de manière électronique. Des conditions ont été posées pour l’organisation du vote physique en termes de sécurité des électeurs, de validation des autorités nationales, de délais, de locaux… La commission d’organisation doit proposer une liste de villes à forte présence de français où un vote physique sera organisé, liste qui sera validée par la haute autorité le 15 juillet. Le vote à l’urne serait « envisagé » dans une trentaine de villes concentrant 70 % des expatriés.

« J’ai fabriqué le compromis sur les électeurs avec Anne. J’ai dit à Sarkozy, on fera les deux. Mais c’est la haute autorité qui à la fin va valider, et elle ne prendra pas de risques. Je vais proposer des bureaux où on peut organiser les choses dans les règles mais je n’irai pas où je ne peux pas faire et, pour dire les choses clairement, je vais pas pouvoir faire beaucoup… » (entretien, Thierry Solère, le 26 mai 2016).

Le parti dans la primaire : marginalisation ou réinvestissement des arènes partisanes ?

57Ce sont deux structures formellement extérieures aux Républicains qui organisent la procédure ouverte à un public qui est censé déborder très largement la population des seuls militants. Pourtant, l’adoption des primaires conduit paradoxalement à une réévaluation des ressources et de la position du leader partisan (le parti ne se dissout pas dans la primaire). Les leviers du parti deviennent un enjeu de captation renouvelé. Cette situation tient à la forte présomption de candidature du président du parti93. Nicolas Sarkozy, élu président du parti, joue de toutes les ressources qui lui confèrent son rôle et sa position institutionnelle de chef de parti et de l’opposition tandis que ses adversaires, privés de ces ressources, cherchent à l’inverse à démonétiser les arènes et les fonctions partisanes. À la stratégie « partisane » de Nicolas Sarkozy s’oppose la démarche externe de ses rivaux.

58Alain Juppé, donné largement gagnant de la primaire et de l’élection présidentielle par les sondages, peut ainsi déclarer : « Nicolas Sarkozy a le parti, moi pour l’instant j’ai l’opinion » (Le Monde, le 2 juin 2015). « Détenir le parti ne permet pas à Nicolas Sarkozy de tuer le match, car la primaire change totalement la donne. Tous les Français pourront s’exprimer et non uniquement les militants », observe dans le même sens le député Franck Riester, soutien de Bruno Le Maire (Le Monde, le 2 juin 2015). Benoist Apparu nous confie en entretien :

« La primaire ce n’est pas un congrès, c’est la rencontre d’un homme avec les Français. Que représenteront les 90 000 personnes qui ont voté pour le changement de nom face à 3 ou 4 millions de votants ? Pour moi, le sens du retour de Sarkozy dans le parti et le fait qu’il ait choisi de revenir par le parti, c’est qu’il reste prisonnier de l’analyse institutionnelle ancienne et de la vision du parti d’avant qui est dépassée, l’idée que c’est le parti qui donne accès à l’Élysée, qui porte à la présidence. On peut pas lui reprocher alors qu’il a eu le courage d’y aller et pas nous, en passant. Je pense qu’on a donc un coup d’avance sur lui. Nicolas Sarkozy fait un calcul old fashion, il n’a pas compris que la primaire bouleverse la donne. »

59Nicolas Sarkozy fait le pari qu’il peut profiter de sa position statutaire pour apparaître in fine comme le candidat naturel de son camp et peser sur les primaires. Les quatre nouveaux porte-parole nommés en janvier 2016 sont des proches (Guillaume Larrivé, Guillaume Peltier, Valérie Debord, Brigitte Kuster). La presse spécule sur sa stratégie : retarder la campagne des primaires pour apparaître comme celui qui rassemble et prépare son camp, gagner les élections intermédiaires, traditionnellement favorables au parti dans l’opposition, se déclarer ainsi le plus tardivement possible94, limiter au maximum le périmètre électoral de la primaire pour tirer le meilleur parti d’un vote des adhérents qui lui sont a priori plus favorables, susciter une candidature du centre aux primaires pour affaiblir Alain Juppé… La phase d’organisation et de pré-campagne des primaires conduit ainsi, contre toute attente, à revaloriser les fonctions partisanes même si Nicolas Sarkozy se heurte à de nombreuses résistances et limites95. Trois questions apparaissent ainsi centrales : la place du militantisme, le statut du programme, l’enjeu des investitures aux élections législatives.

Réévaluer le militantisme

60Nicolas Sarkozy cherche d’abord à relancer l’adhésion militante et à réhabiliter les prérogatives des adhérents (affaiblies par les primaires). Il reproduit en cela une stratégie qui avait fait ses preuves lorsqu’il avait pris la tête de l’UMP en 2004 et que le nombre d’adhérents avait explosé, atteignant 338 520 adhérents au moment du congrès d’investiture de janvier 2007 (dans un contexte il est vrai différent dans la mesure où les enjeux de la candidature pour 2007 étaient internes96). 213 000 militants sont à jour de cotisation au 31 décembre 2014 selon la direction. Nicolas Sarkozy se fixe pour objectif 500 000 adhérents à la fin de 2016. La réforme statutaire est censée stimuler cette dynamique militante.

61Les statuts du nouveau parti, votés en 2015, instaurent à la demande de Nicolas Sarkozy l’élection des présidents de fédérations départementales au suffrage direct de tous les militants. La direction des fédérations est traditionnellement bicéphale. Elle est assurée par un président désigné par les comités de circonscription et un secrétaire départemental nommé par la direction nationale. Les nouveaux statuts reconduisent ce double exécutif local mais renforce la position du président, désormais élu par un vote direct des adhérents. La redynamisation de la démocratie interne et des droits des adhérents est conçue symboliquement et stratégiquement comme pouvant tempérer les logiques externes portées par la primaire. Le suffrage est censé provoquer un effet de levier pour accroître le nombre d’adhérents. Nicolas Sarkozy fait le pari que les cent présidents fédéraux élus en septembre 2015 lui seront dans leur majorité redevables et que pour assurer leur élection, ils relanceront l’adhésion dans leur fédération. Chaque président fédéral doit signer avec la direction nationale un « contrat d’objectif » où seront comptabilisées les nouvelles adhésions et les initiatives politiques prises localement en ce sens. Le financement de la fédération sera indexé sur les résultats obtenus et les démarches lancées97. Les cadres locaux sont considérés comme autant d’agents de mobilisation potentiels, capables de mener campagne pour lui le moment venu.

62Cette stratégie participe à droite d’une « logique périodique de production et d’activation d’une offre partisane de militantisme », bien identifiée et analysée par Lucie Bargel et Anne Sophie-Petitfils et liée selon elles à des phénomènes de « mobilisation intra-partisane puis électorale conjoncturelle98 ». Mais elle se heurte à de nombreuses limites. Le congrès de refondation du parti, le 30 mai 2015 ne provoque pas de réelle vague d’adhésions. Les contrats d’objectifs ne sont pas réellement mis en place.

63Plusieurs de nos entretiens attestent des enjeux des militants et des limites de la stratégie de Nicolas Sarkozy.

Benoist Apparu : « La main de Paris sur le local est faible. L’élection du président même par le vote des militants est globalement le résultat d’une tambouille locale ou de conflits locaux sur lesquels Paris a peu prise. La mainmise de Sarkozy est donc faible. »

64Sébastien Huygue, député du Nord, le 19 mars 2016, confirme :

« En trois mois depuis janvier 2016, il y a eu 5000 adhérents de plus mais ce n’est pas les vagues de 2004-2007. Nicolas Sarkozy tient les choses par la nomination des secrétaires départementaux. Le nouveau mode d’élection des présidents c’est surtout pour rendre le parti plus démocratique et dynamique. Beaucoup de présidents ne faisaient pas grand-chose. La nouvelle règle pousse les présidents à se bouger et à être plus dynamiques et à ceux qui sont pas contents du fonctionnement de leur fédération de se présenter. Les militants c’est un enjeu important, ce sont pas seulement des votants aux primaires, ils comptent, ils vont organiser la primaire et Nicolas Sarkozy considère qu’ils sont des agents électoraux, ils vont faire campagne sur le terrain. »

65Caroline Vasnier, conseillère régionale Les Républicains, référent de Bruno Le Maire dans le Nord va dans le même sens :

« Il y a peu d’adhésion aux Républicains, on est pas du tout sur le scénario de 2004. Alors les gens venaient pour imposer Sarkozy, là les gens de droite sont dans l’expectative, ils attendent les primaires. Pourquoi voulez vous qu’ils adhèrent ? Ils vont pouvoir voter pour le candidat. Y’a plus de carotte pour adhérer c’est évident. »

66« Le débat a été beaucoup plus vif pour les présidents de comité d’organisation départementale de la primaire que pour les présidents de fédération » note Matthieu Goar, journaliste au Monde (entretien, le 22 mars 2016).

Luttes symboliques autour du statut du programme

67Un des effets paradoxaux de la primaire est une forte valorisation des enjeux programmatiques, la controverse portant sur leur inscription dans les marges du parti ou en leur cœur. Alors que les primaires tendent à individualiser l’offre politique99, Nicolas Sarkozy cherche à réhabiliter la fonction programmatique du parti et sa valeur symbolique, collective et politique. « Une formation politique sans projet collectif ne serait qu’une addition d’écuries présidentielles » soutient-il au Figaro, le 6 mai 2015. Il fixe la remise du projet au mois de juin 2016, soit cinq mois avant la primaire. Le programme doit être la somme de conventions thématiques organisées entre le mois de juin 2015 et le mois de juin 2016 et soumises à chaque fois aux votes numériques des adhérents (ces consultations numériques permettant de court-circuiter les instances partisanes centrales100). Le programme définitif, coordonné par un proche de l’ex-président (Éric Woerth) est censé lui permettre de se prévaloir de la légitimité de la « base » du parti et isoler ses adversaires. Un débat s’engage à partir de 2015 sur le statut de ce document programmatique : « trame commune » qui sert de référentiel aux candidats, ensemble de réformes précises, revue d’objectifs à atteindre, socle commun, stock d’options… ?

68Le 7 mars, Nicolas Sarkozy annonce que les candidats à la primaire devront s’engager à appliquer en cas de victoire en 2017 un « socle de dix à quinze mesures très fortes » qui auront été ratifiées par les militants. « Nous devons veiller à ce que, quel que soit le candidat qui gagnera la primaire, notre famille politique affiche une position commune sur un ensemble de sujets essentiels » prévient-il (Le Monde, le 12 septembre 2015). Laurent Wauquiez condamne la lutte des egos au nom du projet devant l’association de la presse parlementaire : « Ce qui reste de l’année 2015 doit être consacré au projet et je ne veux plus entendre parler de primaire avant l’heure ! » (Libération, le 31 mai 2015). Les candidats déclarés à la primaire contestent ce rôle assigné au programme, pensé comme un « socle commun »101 des candidats à la primaire. Pour François Fillon, le projet du parti ne pourra pas « ligoter » le futur candidat à la présidentielle (Journal Du Dimanche, Le 20 septembre 2015). Alain Juppé est très clair : « il n’est pas question de laisser ficeler les primaires par l’adoption préalable d’un programme qui s’imposerait à tout le monde. Sinon il n’y a plus de primaire » (La Voix du Nord, le 18 mars 2015). Il renchérit quelques mois plus tard : « Si le parti s’engageait dans la définition d’un programme extrêmement contraignant qu’il prétendrait imposer à tous les candidats à la primaire, ce serait une erreur. Il faut un socle de valeurs communes. À partir de ça, chacun fera preuve de sa capacité d’innovation » (Le Monde, le 26 août 2015). « On peut s’étonner que le projet sur l’immigration n’ait pas donné lieu à une discussion en bureau politique, avant de le faire approuver par les adhérents », déplore Gilles Boyer, conseiller du maire de Bordeaux. « Dans l’esprit de la V^e République, ce ne sont pas les partis qui font les programmes des candidats à la présidentielle » ajoute-t-il (Le Monde, le 23 septembre 2015). Bruno Le Maire n’est pas en reste et se dit délié par le programme partisan :

« Le parti peut définir un socle de propositions, mais il ne porte pas le projet présidentiel. Chaque candidat défendra sa propre vision et sa méthode de gouvernement. La primaire est un grand rendez-vous démocratique : elle nous donnera l’occasion de trancher enfin des questions que nous avons mises sous le tapis depuis des années. Ne fuyons pas ce débat. » (Le Monde, le 28 mai 2015)

69Les proches d’Alain Juppé suggèrent que le parti ne soit qu’un « laboratoire intellectuel » pour les primaires qui permette d’établir des diagnostics en auditionnant des spécialistes, de proposer différents scénarios et hypothèses, leur coût, leurs conséquences, et de dégager sur chaque thème une palette de solutions dans laquelle les candidats piocheraient leurs idées (entretien avec Benoist Apparu). Selon lui, « l’erreur du Parti socialiste en 2011 a été de produire un programme très complet qui est entré en collision avec celui des candidats ».

Ce député nous confie (entretien, le 15 mars 2016) : « Que dirait-on si un chef de parti ne produisait pas de programme ? encore heureux qu’il le fasse. Ce serait de l’acharnement de lui reprocher. Ce serait caricatural et déconnant. Qu’il fasse valider les propositions, ça se justifie aussi, c’était son engagement pendant la campagne pour la présidence du parti. La question, le sujet c’est le statut du programme. Il veut nous l’imposer mais ce n’est pas comme ça que ça va se passer, on ne tombera pas dans le piège. On se laissera pas enfermer. Et d’ailleurs il l’a compris, il l’a rangé cette intention dans sa poche, à un bureau politique de janvier dernier (2016). Ca fait partie du rapport de forces. Il y a sans arrêt des mini-conflits. À l’université du Touquet à la rentrée 2015, Juppé a fait un sale coup à Sarkozy, il s’est incrusté sans avoir prévenu et il était littéralement furieux. Et bien Sarkozy s’est vengé. Au bureau politique qui a suivi, il a dit que le projet du parti s’imposera aux candidats de la primaire. Mais on n’en a rediscuté et il a à nouveau cédé parce que c’est bien l’esprit de la primaire. Au PS, il y a eu un projet et puis chaque candidat a bien développé ses propositions. Avec le programme, Sarko fait de l’animation. Il anime le parti, ça va pas plus loin. Mais ce rôle d’animateur ne trompe personne. Quand Sarko était à l’Élysée, Bruno Le Maire a été chargé par lui de travailler sur un projet mais en 2012 Sarko a présenté son propre programme sans tenir compte du tout celui du parti. Voilà le projet du parti ça sera une boîte à outils. Il y a un truc bizarroïde qui se passe qui est très profond. Le parti tout le monde s’en fout, on y va pour veiller à ce qui s’y passe mais cela compte pas. Il y a privatisation du projet et des programmes. Du projet parce qu’il n’est censé servir qu’à son président mais ça marche pas, parce que personne s’en fout. Nous on lui laisse son projet. Il subit cette situation même s’il joue le boss, il voudrait qu’on s’intéresse au projet mais c’est pas le cas. On est entré dans l’ère des écuries programmatiques, le cap est passé. Nous, on considère que cela se passe plus dans le parti, qu’il ne se passe plus rien. »

70Les primaires instaurent un débat sur le statut du programme mais aussi, d’un certain point de vue, stimulent l’exercice programmatique, sous une forme privatisée, ce qui est sans doute nouveau à droite102. Chaque candidat cherche à se distinguer par des propositions alternatives et discriminantes et à justifier sa candidature par un positionnement plus ou moins tranché (François Fillon, ancien gaulliste social, fait sa mue libérale et s’auto-proclame « candidat des idées103 », conviant régulièrement la presse pour dévoiler des propositions précises sur les finances publiques, sur le logement ou sur le numérique…). Mais ce travail idéel est privatisé et « écurialisé104 ». La multiplication des ouvrages par les candidats en témoigne. Alain Juppé a prévu de publier quatre ouvrages pour occuper l’agenda et gérer le temps long de la campagne jusque novembre 2016.

Benoist Apparu commente cette stratégie (entretien, le 15 mars 2016) : « Avec les quatre bouquins, on veut séquencer le temps, organiser la campagne dans la durée, on entre par l’Éducation pour créer la surprise parce que c’est pas un thème de droite puis on entre dans le dur, la sécurité… thème sur lequel on a pas bougé. On veut être viril sur les questions régaliennes sans être sectaire, on veut démontrer une capacité de rassemblement. »

71Alain Juppé, François Fillon, Bruno Le Maire, Xavier Bertrand ont constitué, adossés à leur micro-parti, des structures logistiques et des embryons de think tanks indépendants du parti. Pour sa rentrée politique en août 2015, Nathalie Kosciusko-Morizet invite ses sympathisants à une « journée de réflexion » avec des économistes, des chercheurs et des personnalités de la société civile organisée par son micro-parti « la France droite » durant laquelle aucune référence n’est faite au parti Les Républicains (LR), dont elle est pourtant, officiellement, le numéro deux105. C’est sans doute Alain Juppé qui est allé le plus loin dans cette démarche. Depuis octobre 2014, près de 200 personnes qu’Hervé Gaymard est chargé de coordonner travaillent sur son projet. Une quinzaine de groupes de travail, « organisés en structures de cabinets ministériels106 » selon Gilles Boyer, ont été constitués autour de hauts fonctionnaires et d’économistes qui produisent des synthèses et alimentent le candidat en notes d’actualité. Il ne faut pas négliger néanmoins les logiques de communication et d’affichage dans ces dynamiques. Il s’agit de donner à voir et faire savoir autant que de faire et produire : « Les candidats nous vendent en termes de com leur travail de fond et leurs entourages pour montrer qu’ils sont entourés, sérieux et crédibles » (Matthieu Goar, journaliste au Monde, entretien, le 22 mars 2016).

72Le conseil national du parti Les Républicains (LR) du 2 juillet 2016 valide le projet d’« alternance » du parti. La réunion est présentée par la presse comme un « meeting de soutien » au président du parti. Alain Juppé n’y fait qu’une apparition et refuse de participer au vote car « il entretient, selon lui, la confusion regrettable entre Nicolas Sarkozy président du parti et Nicolas Sarkozy candidat en campagne pour la primaire » (Le Figaro, le 2 juillet 2016). « Chacun est libre de faire ses propositions » poursuit-il. François Fillon explique à la tribune : « Chacun puisera, ou non, son inspiration dans ce document, c’est la règle des primaires et c’est la règle de la V^e République qui confère au candidat qui va à la rencontre des Français le devoir d’être au-dessus des partis. » Bruno Le Maire et Henri Guaino sont absents. Près d’un millier de conseillers nationaux sont appelés à voter sur le texte, synthèse de la quinzaine de conventions thématiques (institutions, immigration, fiscalité…) organisées par LR depuis septembre 2015. Le texte est une production jugée « sarkozyste » par la presse (il a été élaboré par Éric Woerth, secrétaire général de LR, et Franck-Philippe Georgin, directeur des études, qui font tous deux partie de la garde rapprochée de l’ancien chef de l’État). Au final, lors du vote à main levée, quatorze conseillers nationaux votent contre et se font huer.

La question des investitures aux élections législatives

73Une dernière question amène à réinterroger les fonctions du parti, celle de la sélection des candidats aux élections législatives. Le président du parti entend profiter de son statut et de sa maîtrise de l’appareil pour distribuer les investitures des élections législatives de 2017 avant la primaire. La presse lui prête la stratégie d’utiliser ce levier pour se construire des allégeances et un réseau d’obligés, les élus étant conçus comme des relais d’opinion indispensables pour la primaire. Maître de l’agenda, il annonce le 24 septembre 2015 qu’il bouclera l’exercice avant l’été 2016. Alain Juppé, François Fillon et Bruno Le Maire dénoncent un « abus de pouvoir » et soutiennent que les arbitrages sur les investitures doivent être produits au début de l’année 2017 sous l’autorité du candidat victorieux de la primaire, cette solution étant conforme à l’esprit de la V^e République107. C’est au candidat « de donner les investitures et d’organiser sa majorité » pour Benoist Apparu108. « Nos statuts prévoient que le vainqueur de la primaire prend la main sur le parti. Si Sarkozy tente d’imposer son calendrier, nous ne serons pas tenus de respecter ses choix : les investitures seront, dans tous les cas, rediscutées après la primaire », prévient Jérôme Grand d’Esnon, le directeur de campagne de Bruno Le Maire109. Le président du parti assure quant à lui agir dans l’intérêt du mouvement, sans arrière-pensée politique. Si les arbitrages ne sont pas rendus avant la primaire, ce sera, selon lui, « la pagaille dans toutes les circonscriptions où plusieurs personnes se disputent l’investiture110 ». Pour le sarkozyste Roger Karoutchi, vice-président de la Commission nationale d’investiture (CNI), il faut choisir les candidats dès le printemps pour préserver « la neutralité de l’appareil ». Un autre argument est mis en avant : celui de la parité. Le parti paie chaque année depuis 2012 4 millions d’euros de pénalités liées au fait qu’il n’a investi que 27 % de femmes pour être candidates à la députation. Pour échapper à cette sanction financière, il faudra investir 66 % de femmes dans les 300 circonscriptions où il n’y aura pas de député sortant du parti, ce qui nécessite un long travail préparatoire. Sur cette question, Nicolas Sarkozy compte sur le soutien du chef de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde, favorable lui aussi aux investitures précoces et à un non-respect de « l’équilibre politique de la coalition ».

74La question du cumul des mandats est sous-jacente à celle des investitures. Or la primaire est censée la trancher. Le problème des investitures se pose en des termes très différents si la droite revient ou pas sur l’interdiction du cumul votée par la gauche et applicable en 2017. Nicolas Sarkozy s’est clairement prononcé pour le cumul, tandis que Bruno Le Maire, François Fillon et Alain Juppé y sont opposés. « En distribuant les investitures sans attendre le verdict de la primaire, le président de LR espère obtenir, en contrepartie, le soutien du puissant lobby des cumulards », analyse Alain Auffray dans Libération111. La question des investitures peut aussi être couteuse politiquement pour le président de l’UMP dans la mesure où elle entraîne forcément des mécontentements d’autant plus si le parti avance dans une dynamique de féminisation de ses candidatures.

Benoist Apparu nous confie le 15 mars 2016 : « La question des investitures n’est pas réglée. À ce stade, la volonté de Sarkozy c’est d’investir tôt, au nom de la logique des institutions. Mais c’est dangereux, on a vu ce que cela a donné au PS. Il faut une majorité fondée sur la légitimité du candidat. On va voir, va-t-il aller au clash ? Comme sur d’autres sujets, on se tâte, on se renifle… les tensions montent. On va trouver un compromis, on n’est pas obligé de toutes les donner avant les primaires, on peut temporiser, une commission d’investiture c’est long, il y a plein de questions à traiter : parité, cumul, sortants, renouvellement… 4 ou 5 mois, elle peut commencer avant la primaire. Sur les investitures, je vois pas trop son intérêt. Il veut se construire des obligés, bon, pourquoi pas… mais je crois peu à la logique de l’allégeance, les candidats investis qui seraient redevables au président du parti, c’est une hypothèse simpliste. Et c’est simpliste. La capacité à désigner des personnalités sarkozystes localement est faible. Il y a beaucoup d’évidences territoriales dans le processus. Et puis pour un content combien de mécontents. C’est un argument donc réversible. Là encore, ce qui compte pour lui c’est d’apparaître comme le boss, avec des effets sur la primaire très incertains. »

Sébastien Huygue, député proche de Nicolas Sarkozy apporte son analyse en entretien : « On est confronté au problème de la parité. Le travail est nécessaire en amont. La commission d’investiture n’a pas été modifiée depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Ce n’est pas Nicolas Sarkozy qui décide pour les investitures et c’est parce qu’on donne l’impression de donner l’investiture qu’on est fidèle, c’est plus compliqué… En tout cas, tout est lu à l’aune de la primaire et chaque enjeu interne est l’occasion de construire un rapport de forces. »

75La commission nationale d’investiture (CNI) du parti débute ses travaux le 6 juin 2016 pour désigner ses candidats au scrutin de juin 2017 et travaille très rapidement. Le camp Juppé dénonce le tempo imposé par les sarkozystes (Le Monde, le 25 juin 2016). « C’est de l’abattage, déplore un représentant du maire de Bordeaux à la commission. Tout se fait à marche forcée, avec des séances de marathon de quatre heures d’affilée. » Les partisans du maire de Bordeaux accusent les représentants du président du parti de vouloir placer leurs hommes. « À chaque fois qu’un candidat est étiqueté juppéiste, les sarkozystes prennent soin de l’écarter » s’emporte Gilles Boyer, directeur de campagne du maire de Bordeaux. Il déclare : « Comme les choses ne se passent pas comme elles auraient dû se passer, Alain Juppé ne se sent pas engagé par les investitures décidées par le parti et il reviendra dessus. » Le cas de Maël de Calan, dans le Finistère, illustre selon les proches d’Alain Juppé le « coup de force » du camp adverse. Alors que M. Juppé en avait fait un casus belli, la CNI a refusé d’investir le candidat, renvoyant in fine le choix de l’investiture à une date ultérieure.

76De manière plus générale, la question de la place des élus dans la primaire est posée. Le poids des élus dans le parti s’est reconstitué avec les victoires de LR aux élections intermédiaires. Les élus, considérés comme des prescripteurs d’opinion, sont convoités par les candidats à la primaire. Le choix de Nicolas Sarkozy de faire un tandem avec François Baroin, président de l’AMF (association des maires de France) s’inscrit dans cette stratégie. La lutte a été âpre pour la désignation des présidents de comités départementaux des primaires comme le relate en entretien Thierry Solère :

« La nomination des présidents des comités départementaux d’organisation ça a été très compliqué parce que tous les candidats voulaient placer leurs hommes. J’ai dit tout de suite que les secrétaires départementaux qui sont les courroies de transmission du parti, nommés par lui, ne pouvaient assumer cette tâche. Alors comment j’ai fait ? J’ai procédé par étapes et méthodiquement. Et je suis allé aussi à un moment droit sur l’os. J’ai fait un grand tableau, j’ai mis les personnes qui pour moi s’imposaient, j’ai ensuite demandé aux candidats leurs préférences et j’ai tranché. Et tout le monde s’est senti lésé. Quand il y avait un juppéiste et un sarkozyste, j’ai mis un lemairiste comme dans la Somme où ça a été très compliqué. »

Conclusion

77Le processus d’adoption et de codification des primaires a donc été long et complexe. L’adoption des primaires par la droite obéit à des facteurs multiples et n’est pas justiciable d’une analyse dans les termes réducteurs d’un « ralliement », d’un « transfert » ou d’« une importation ». Dans un contexte de délégitimation des partis, injonctions médiatiques, logiques d’imitation, éléments conjoncturels, luttes politiques, réactivation et adaptation de répertoires culturels (la nécessaire mise en conformité des primaires avec l’orthodoxie gaulliste) combinent leurs effets dans un processus qui demeure incertain. Comme dans d’autres configurations, la demande de primaires ouvertes « peut être interprétée comme un instrument pour mettre en cause le pouvoir de leaders en place en mobilisant la rhétorique de la démocratie112 ». Les primaires s’imposent comme la solution procédurale à la crise traversée par l’organisation. Elles sont pensées comme « une garantie d’unité » pour reprendre l’expression de Thierry Solère113 dans un contexte de « tripartition » de l’espace politique avec la montée du Front national. Paradoxalement, les menaces réelles ou fantasmatiques qui ont pesé sur les primaires ou leur organisation ont contribué à leur institutionnalisation. C’est dans les luttes dont elles font l’objet qu’il faut trouver les raisons de la consolidation de cette règle institutionnelle114.

78L’évolution est décisive dans la mesure où elle parachève tant l’électoralisation que la présidentialisation du parti115. Elle contribue aussi à légitimer et à installer au cœur « au cœur du parti la logique de compétition »116. La désignation en interne du candidat était jusque-là un processus non concurrentiel. La primaire l’ouvre et l’intensifie et ménage un espace de concurrence (interne et externe) inédit, ouvert et potentiellement régulé par une issue célébrée comme « démocratique ». Le nombre de candidatures fin juin 2016 en témoigne : Alain Juppé, François Fillon, Bruno Le Maire, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-François Copé, Nadine Morano, Hervé Mariton, Jean-Frédéric Poisson, Frédéric Lefebvre, Geoffroy Didier et Jacques Myard (il ne fait plus de doute par ailleurs que Nicolas Sarkozy sera candidat117). La procédure incite des personnalités de second rang à se présenter qui ne s’autocensurent plus même si elles n’auront pas à l’évidence les capacités d’être au candidat au final118. Christophe Béchu, maire LR d’Angers, déclare au Monde, le 16 avril 2016 : « la primaire de la gauche a établi une jurisprudence très malencontreuse où 100 % des participants ont été gagnants. Le vainqueur est devenu président et les perdants ont tous été ministres à un moment ou à un autre » (ce n’est pas le cas de Martine Aubry). Le risque est néanmoins que cette inflation de (pré) candidatures ne délégitime la procédure119. En introduisant de nouvelles incertitudes qui fluidifient anticipations et stratégies, la primaire déstabilise les routines de calcul à droite et catalyse de nouveaux jeux concurrentiels. Elle conduit à une stratégisation généralisée de l’organisation, accentuée par le traitement médiatique dont elle fait l’objet et réinterroge la nature du parti et ses usages. D’un côté, l’organisation est dévitalisée : l’externalisation de la sélection du candidat se double d’une délégation de son organisation à des structures extérieures, le jeu se joue dans les sondages, les médias, les frontières et marges du parti… De l’autre côté, l’organisation est réinvestie, les ressources partisanes devenant un enjeu de captation renouvelé.