Adoption et règles du jeu
p. 39-40
Texte intégral
1Longtemps réservées au système politique américain, les primaires se développent depuis quelques années comme un mode de désignation alternatif à la sélection traditionnelle des candidats par les instances dirigeantes des partis. Elles tendent même à devenir un des éléments centraux dans la définition du jeu politique des organisations partisanes.
2La France n’échappe pas à ce processus. Fortement médiatisées, les expériences américaines et italiennes ont ainsi été érigées en modèle de démocratie et de participation par les partisans des primaires, tout particulièrement au PS. Résultat : après la tenue de primaires semi-ouvertes en 2006, des systèmes de primaires dites ouvertes ont été adoptés pour désigner le candidat socialiste à l’élection présidentielle en 2011 pour ensuite être diffusés dans d’autres organisations partisanes comme notamment EELV et l’UMP devenue LR.
3Quand, pourquoi, comment et selon quelles règles les primaires ouvertes ont-elles été adoptées ? Des entrepreneurs de réformes ont-ils joué un rôle particulier dans ce processus d’adoption ? Quels types de controverses ont pu faire naître le choix d’adopter un système de primaires ? Est-il possible de mesurer des effets de mimétisme ou d’entraînement entre partis politiques ? Pourquoi les élites dirigeantes se privent-elles (en apparence ?) d’un pouvoir de désignation qu’elles maîtrisaient jusque-là ? Comment ont été définies les règles notamment juridiques encadrant la consultation électorale et ses usages (conditions de candidature, calendrier du scrutin, fixation du nombre de bureaux de vote, usage ou non du vote électronique, enjeux logistiques, définitions de l’électorat…) ?
4On le voit : si ce système inédit de sélection s’est imposé comme la solution procédurale aux crises traversées par les partis, il n’en constitue pas moins une rupture profonde pour la vie de formations politiques marquées soit par des traditions parlementaires et militantes, soit par une culture du « chef » plus bonapartiste. Si le recours à la technologie sociale du vote remet profondément en cause l’identité organisationnelle ainsi que les pratiques internes des partis, les élites et les adhérents de ces organisations ne concèdent la perte du monopole de la désignation de leur candidat qu’au prix de la conservation de la maîtrise de la codification du processus électoral, de la limitation du nombre de candidatures au travers de la création du filtre des parrainages au formatage du « sélectorat » appelé à s’exprimer.
5Les règles du jeu choisis par le PS, EELV et LR ne sauraient donc se lire comme le simple résultat d’une adaptation mécanique d’un système d’investiture d’origine nord-américaine : techniques électorales de règlement privé non publiquement réglementées, les primaires ouvertes en France sont aussi mobilisées comme des outils de production de leadership, de conquête des suffrages et de pré-mobilisation de l’électorat au-delà du seul cercle des adhérents. Le processus de sélection des candidats à l’élection présidentielle a certes quitté les coulisses des organisations partisanes, la spécificité de son encadrement – notamment matériel – en délimite cependant les conditions d’expériences qui continuent à demeurer un mode de régulation de luttes interne par-delà son caractère démocratique.
6Cette première partie s’arrête sur l’inscription procédurale des primaires à travers l’examen de l’extension de la démocratie représentative au sein de trois partis politiques français. Éric Treille revient sur l’invention des primaires au sein du PS et insiste tout particulièrement sur l’encadrement dont a bénéficié la codification des conditions de cette nouvelle procédure d’investiture partisane. Rémi Lefebvre s’attache à la conversion de l’UMP devenue LR au principe et aux modes d’organisation des primaires. Il montre ainsi comment l’institutionnalisation – erratique – de ce nouveau mode de régulation de la concurrence a pu déstabiliser les logiques compétitives et partisanes de la droite. Vanessa Jérome restitue enfin l’historique des conditions de mise en œuvre de primaires par les Verts devenus EELV afin de réinterroger le statut de pionnier démocratique revendiqué par la formation écologiste. Elle s’attache à mesurer l’impact – paradoxal – des logiques de présidentialisation de la Ve République sur la culture statutaire des partis minoritaires.
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