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Des doctrines aux réformes ?

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Valérie Lozac'h

Introduction

Texte intégral

  • 1 Voir la carte en annexe 1, p. 267.

1Dix ans après la chute du mur de Berlin, Kurt Biedenkopf, ministre-président du Land est-allemand de Saxe, situé aux confins de la Pologne et de la République tchèque1, déclarait :

  • 2 Regierungserklärung gehalten auf der Plenarsitzung des Sächsischen Landtages am 27. Oktober 1999, (...)

« La période de construction est achevée ; il est désormais nécessaire de poursuivre le développement de notre administration ; une réforme est donc indiscutable. Les principes n’ont en rien changé après les expériences des années passées : abandon des missions superflues, priorité à la privatisation, priorité à la communalisation et à la décentralisation. Dans les prochaines années, il s’agit de continuer à développer une administration d’avenir, à la fois proche des citoyens et performante […] Une présentation du budget conçue de manière économique et articulée autour de projets augmente la flexibilité dans l’accomplissement des tâches. Elle est la condition pour un contrôle de gestion efficace. Une utilisation intelligente des moyens financiers est la seule possibilité que nous avons d’accroître l’efficacité de ressources rares. L’intelligence est un atout que l’on peut décupler à volonté. La croissance des solutions intelligentes mène à la croissance des résultats sans augmentation des coûts. Cette idée doit également guider notre travail à l’avenir. Le gouvernement a établi des conditions propices grâce à l’introduction de nouveaux modèles de pilotage, de la responsabilité décentralisée des ressources, de la comptabilité analytique et du contrôle de gestion2. »

2Ces propos, tenus le 27 octobre 1999 devant le parlement régional, illustrent l’attention que le gouvernement saxon prête à la réforme de l’État à partir des années 1990. Plus encore, ils mettent au jour une rhétorique modernisatrice puisant largement dans les modèles qui s’emploient à redéfinir l’organisation, le mode de fonctionnement et le périmètre d’action de l’administration depuis quelques décennies. Par-delà l’usage de mots d’ordre médiatisés, tels la performance, l’efficience, la transparence et la proximité, Kurt Biedenkopf revendique en effet l’application de méthodes et d’outils réunis sous les labels du New Public Management ou de la « bonne » gouvernance. Bref, son discours se réfère explicitement à des doctrines – entendues comme un ensemble de conceptions théoriques, de principes normatifs et d’instruments techniques – dont la teneur est formalisée par des travaux scientifiques, d’expertise ou de vulgarisation et diffusée par des institutions tant nationales qu’internationales.

3Comment se matérialisent ces emprunts ou, pour le formuler autrement, comment s’opère la rencontre entre idées et pratiques dans la modernisation de l’État ? Cette question constitue le point de départ de mon travail, qui interroge l’articulation entre production des doctrines et fabrique des réformes à partir des acteurs et des activités concourant à leur mise en relation. L’examen du cas saxon, appréhendé comme une expérience singulière du postcommunisme, s’inscrit par conséquent dans une réflexion sur les processus de circulation, qui suscitent un engouement croissant dans les sciences sociales.

Une sociologie des processus de circulation

  • 3 Vauchez A., « Le prisme circulatoire. Retour sur un leitmotiv académique », Critique international (...)
  • 4 Delpeuch T., « L’analyse des transferts internationaux de politiques publiques : un état de l’art  (...)
  • 5 Giraud O., « Les représentations dans l’analyse de l’action publique en France et en Allemagne ent (...)
  • 6 Musselin C., « Sociologie de l’action organisée et analyse des politiques publiques : deux approch (...)
  • 7 Mclaughlin K., Ferlie E., Osborne D. (dir.), New Public Management: Current Trends and Future Pros (...)

4Le « prisme circulatoire » fait aujourd’hui fortune dans le champ académique : la circulation est devenue une catégorisation incontournable, dont l’usage « tout-terrain » n’est pas sans nourrir ambiguïtés et malentendus3. La littérature internationale est dominée par une perspective diffusionniste, qui postule l’imposition globalement uniforme d’un modèle standard et, partant, s’intéresse peu « à la manière dont le modèle d’origine est transformé au cours des transplantations successives dont il est l’objet4 ». À l’instar de l’analyse cognitive des politiques publiques5, qui établit un lien entre changement de politiques publiques et changement de référentiel6, ses auteurs confèrent aux idées un rôle moteur dans les processus de réforme. Les doctrines s’imposeraient d’elles-mêmes, à la seule force de l’adhésion qu’elles suscitent et des qualités intrinsèques qu’on leur prête. Cette lecture, symptomatique d’un large pan de la littérature scientifique peu versée dans la mobilisation de données empiriques, est particulièrement sensible dans les travaux qui rapportent le New Public Management à une révolution intellectuelle en termes d’organisation administrative et l’érigent en « bon modèle », dont la mise en œuvre produirait les mêmes résultats quel que soit le contexte national7.

  • 8 Ganev V. I., « The “Triumph of Neoliberalism” Reconsidered: Critical Remarks on Ideas-Centered Ana (...)
  • 9 Pollitt C., « Clarifying Convergence », Public Management Review, no 1, vol. 41, 2002, p. 471-492.
  • 10 Premfors R., « Reshaping the democratic state: swedish experiences in a comparative perspective »,(...)
  • 11 Christensen T., Lægreid P. (dir.), Transcending New Public Management. The transformation of publi (...)
  • 12 Dobry M., « Ce dont sont faites les logiques de situation », in P. Favre, O. Fillieule, F. Jobard (...)
  • 13 Henry O., Pierru F., « Les consultants et la réforme des services publics », Actes de la recherche (...)
  • 14 Friedberg E., « En lisant Hall et Taylor : néo-institutionnalisme et ordres locaux », Revue frança (...)
  • 15 Bezes P., « Les hauts fonctionnaires croient-ils à leurs mythes ? L’apport des approches cognitive (...)

5Les analyses centrées sur les idées pèchent ainsi par leur caractère abusivement homogénéisant8, en ce qu’elles confondent l’audience des doctrines comme cadres conceptuels avec la généralisation de leur application comme programmes d’action. Derrière la convergence des discours se dessine, de fait, une hétérogénéité patente des mesures et des pratiques9. C’est ce qu’indiquent les travaux comparatifs sur la réception des modèles en matière de modernisation de l’État. Attentifs aux effets du contexte, ils insistent sur la pluralité des trajectoires de réforme10 et les limites rencontrées par les entreprises modernisatrices. En témoigne notamment la variabilité des expériences managériales, qui tiennent à la singularité des structures institutionnelles, des régimes politiques ou encore des traditions administratives11. Ces travaux appellent néanmoins quelques réserves en raison du parti-pris fonctionnaliste endossé par certains auteurs, qui résument bien souvent l’application diversifiée des modèles à une simple mais nécessaire adaptation aux besoins locaux. Autrement dit, leurs analyses incluent les contextes sans toutefois se départir d’une posture normative : elles continuent à réfléchir en termes de « bon modèle », qui n’est plus défini universellement mais relativement aux spécificités du pays récepteur. Dès lors, elles introduisent un « jugement d’appropriation12 », évaluant l’adéquation (au contexte) d’une réforme à l’aune de son résultat et considérant, par conséquent, son échec comme le signe, si ce n’est la preuve, de son inadaptation. De même, ces travaux tendent à négliger les acteurs, telle la littérature d’inspiration néo-institutionnaliste qui montre certes « comment l’acclimatation du New Public Management se fait sous contraintes institutionnelles nationales, selon des voies parfois inattendues et des résultats qui ne le sont pas moins13 », mais s’avère indifférente aux pratiques14 et fait « largement disparaître les acteurs des processus de circulation des normes véhiculées par les réformes administratives15 ».

  • 16 Bourdieu P., « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Actes de la r (...)
  • 17 Desage F., Godard J., « Désenchantement idéologique et réenchantement mythique des politiques loca (...)
  • 18 Dubois V., « L’action publique », in A. Cohen, B. Lacroix, P. Riutort (dir.), Nouveau manuel de sc (...)

6À rebours de ces approches désincarnées, mon travail part du postulat que les idées ne se diffusent jamais seules : leur circulation s’effectue « à travers une série d’opérations sociales16 » mettant en jeu des acteurs insérés dans des champs socioprofessionnels variés. Personnels politiques et administratifs, universitaires, consultants, membres de think tanks et de fondations prennent part à cette entreprise, où ils endossent des rôles divers – experts, médiateurs, évaluateurs, etc. Elle ne saurait donc être restituée qu’à condition de s’intéresser à ce que sont et ce que font les acteurs. Connaître sociologiquement ces individus permet d’apprécier en quoi leurs propriétés et trajectoires sociales forment autant de dispositions susceptibles d’orienter les activités qu’ils déploient pour élaborer une offre politique, concevoir des instruments, transmettre des préceptes et assimiler des savoirs en matière de réforme de l’État. Ces activités constituent un point aveugle de la littérature diffusionniste, qui réduit le processus de circulation à la transcription mécanique et linéaire d’idées supposées premières. Partant, elle laisse dans l’ombre la manière dont ces idées viennent aux acteurs, dont ils s’en emparent et les utilisent ou, au contraire, les remisent telles « des répertoires mobilisables au gré du contexte17 ». C’est justement l’objet de ma démarche, qui appréhende la circulation des doctrines modernisatrices à partir de leurs usages dans le champ politico-administratif. Ceux-ci ne se mesurent pas uniquement en termes de fonctionnalité, i. e. en tant que moyens permettant de résoudre des problèmes18 : les idées font aussi figure de ressources, dont la mobilisation relève tout autant d’enjeux propres à l’espace dans lequel ces usages prennent place.

  • 19 Bernard Lahire souligne en effet que « nulle notion n’est à la fois aussi indispensable au raisonn (...)
  • 20 Pollitt C., Bouckaert G., Public Management Reform. A comparative Analysis, op. cit.
  • 21 Vauchez A., art. cité.

7Acteurs et activités doivent donc être mis en contexte. Cette affirmation ne peut évidemment suffire ; encore faut-il spécifier comment l’on caractérise ce que le terme « contexte » désigne bien souvent de manière floue19. Les études comparatives le résument généralement à un ensemble de traditions institutionnelles, politiques ou culturelles qui expliqueraient les variations nationales dans la réforme de l’État20. Mon approche se distingue doublement de cette conception quelque peu statique et réifiée, en pointant la nature plurielle et dynamique du contexte. Celui-ci est d’abord fait de relations. La circulation des idées s’opère en effet dans et par de multiples échanges : elle s’appuie sur des coopérations, donne lieu à des alliances, nourrit des concurrences, met en jeu des rapports de force. Bref, elle se déploie dans des espaces de relation21, dont il convient de saisir à la fois comment ils se structurent et comment ils contribuent à façonner l’articulation entre doctrines et réformes dans la modernisation de l’État.

  • 22 Lahire B., Monde pluriel. Penser l’unité des sciences sociales, op. cit., p. 229.
  • 23 Dobry M., « Ce dont sont faites les logiques de situation », art. cité.

8Loin de s’en tenir à cette lecture strictement interactionniste, l’analyse prend également acte des conditions politiques, économiques et sociales dans lesquelles se déroule la circulation des idées. Il ne s’agit pas pour autant de les considérer comme des facteurs explicatifs en soi mais d’éprouver leurs effets in situ, en examinant la manière dont ils s’exercent dans des configurations spécifiques. Cette contextualisation s’apparente à une « opération d’assemblage » : elle consiste à tisser des liens entre la circulation des doctrines et « une série d’éléments tirés de la réalité qui l’encadre22 », auxquels je prête une capacité à éclairer les logiques à l’œuvre dans ce processus. Mon travail s’attache ainsi à penser ensemble les acteurs, les actions et les situations23, en interrogeant les relations entre ce qu’ils sont, ce qu’ils font et les environnements dans lesquels ils s’inscrivent. Cette démarche, qui s’intéresse conjointement à l’impact des socialisations académiques et professionnelles, des configurations locales et des conditions sociales dans la circulation des doctrines, permet de comprendre comment dispositions, stratégies et contextes interagissent dans la rencontre entre idées et pratiques.

L’étude empirique d’un cas

  • 24 Lahire B., Monde pluriel. Penser l’unité des sciences sociales, op. cit., p. 292
  • 25 Vauchez A., art. cité.
  • 26 Lahire B., « La variation des contextes en sciences sociales. Remarques épistémologiques », Annale (...)
  • 27 Sawicki F., « Les politistes et le microscope », in M. Bachir (dir.), Les Méthodes au concret, Par (...)

9« Certains objets seront étudiés de façon plus pertinente à certaines échelles et selon certaines contextualisations » écrit Bernard Lahire24. Dès lors, une question méthodologique se pose : à quel niveau d’observation faut-il se placer et sur quoi faut-il porter le regard pour saisir ce qui se joue dans mais aussi autour de la circulation des doctrines en matière de réforme de l’État ? Plutôt que de retracer leur cheminement dans différents espaces, ce qui reviendrait à épouser l’approche diffusionniste en supposant l’existence de formes de linéarité entre une succession d’étapes ou de séquences25, j’ai choisi d’observer comment des préceptes, méthodes ou outils se diffusent à la faveur des investissements dont ils font l’objet en situation de réforme. Cette posture requiert la description de contextes singuliers, relativement limités et spatio-temporellement ancrés26. C’est pourquoi j’ai opté pour l’étude monographique d’un Land, appréhendé « comme une configuration originale par rapport à laquelle il faut comprendre les logiques des acteurs locaux27 ».

  • 28 Bogumil J., Jann W., Verwaltung und Verwaltungswissenschaft in Deutschland, Wiesbaden, VS Verlag f (...)
  • 29 Bogumil J., « Modernisierung des Staates durch Public Management – Stand der aktuellen Diskussion  (...)
  • 30 Kuhlmann S., « Öffentlicher Dienst in Deutschland : veränderungsfähig oder reformresistent ? », in(...)
  • 31 Le Kreis est une sous-division territoriale de niveau intermédiaire, située entre le Regierungsbez (...)

10En Allemagne, l’administration est avant tout l’affaire des Länder, qui sont responsables de la plupart des activités dans ce domaine28, ont en charge l’application de la majorité des lois fédérales, fixent les cadres de l’administration communale29 et emploient la moitié des agents de la fonction publique30. L’échelon régional constitue par conséquent un terrain propice à l’examen empirique de l’articulation entre idées et pratiques dans la modernisation de l’État. C’est l’objet de mon étude de cas, qui se centre sur la place des doctrines dans l’entreprise réformatrice menée par le Land de Saxe. Il est en effet à l’origine de nombreux projets qui associent privatisation, déréglementation, e-government, management de qualité, introduction de nouveaux instruments de gestion, etc. Deux initiatives, à la fortune inégale, ont plus particulièrement retenu mon attention. La première relève d’une restructuration fonctionnelle et territoriale, qui conjugue la redistribution des tâches entre les échelons administratifs et le redécoupage des collectivités locales, formées des Kreise31 et des communes.

  • 32 Beitrag Nr. 39 : Auswirkungen der Kreisgebietsreform, Jahresbericht des Sächsischen Rechnungshofs, (...)

La réforme fonctionnelle et territoriale
Cette réforme a suivi plusieurs étapes en Saxe. Elle s’est d’abord traduite par une réduction du nombre et un accroissement de la taille des collectivités locales en 1994 puis en 1998, où l’on passe de quarante-huit à vingt-deux Kreise. Ce redécoupage territorial n’a toutefois que partiellement contribué à la rationalisation du travail administratif selon la Cour régionale des Comptes32. Aussi le gouvernement saxon a-t-il élaboré une nouvelle réforme, qui procède à la redistribution d’une partie des tâches exercées par l’administration régionale : celles-ci sont, d’une part, mutualisées au sein d’administrations spécialisées et, d’autre part, déléguées aux Kreise, qui voient leur taille encore agrandie. Ce projet, pour lequel les autorités saxonnes ont mobilisé une commission d’experts, s’est concrétisé avec la loi du 1er août 2008. Outre la diminution du nombre des Kreise – et, partant, de leurs dirigeants (Landräte) – qui passent de vingt-deux à dix, il délègue plusieurs tâches aux collectivités locales : sont entre autres concernés les affaires sociales et familiales, l’agriculture et l’environnement, les transports et la culture. Cette mesure s’est accompagnée d’une réorganisation des trois Regierungspräsidien de Saxe, qui constituent des autorités administratives intermédiaires entre le Land et les collectivités territoriales. Rebaptisées directions régionales (Landesdirektionen), ces administrations établies respectivement à Chemnitz, Dresde et Leipzig ont connu un resserrement de leurs structures et une redéfinition de leurs attributions. Au printemps 2012, elles ont fusionné au profit d’une direction régionale, dont le siège se situe à Chemnitz.

  • 33 Reichard C., « Die “New Public Management” – Debatte im internationalen Kontext », in C. Reichard,(...)

11Le second projet de réforme puise dans la boîte à outils du Nouveau Modèle de Pilotage (Neues Steuerungsmodell), une « variante allemande33 » du New Public Management développée au début des années 1990, pour introduire des méthodes de gestion d’entreprise dans le secteur public.

L’introduction coordonnée des méthodes de gestion d’entreprise
Décidée le 14 mars 2000, lors d’une séance du cabinet réunissant le ministre-président et les ministres, l’introduction coordonnée des méthodes de gestion d’entreprise est formalisée deux ans plus tard avec la conception d’un manuel cadre qui a pour objectif d’uniformiser son application dans le secteur public saxon d’ici la fin de l’année 2010. Ce document, réalisé avec l’appui d’une agence de conseil privée, préconise entre autres l’emploi d’outils tels que la comptabilité analytique, le calcul des prestations, des coûts et des heures, la définition de produits, la budgétisation et le contrôle de gestion. Le gouvernement saxon a toutefois renoncé, du moins provisoirement, à étendre ce projet à l’ensemble des administrations et entreprises publiques régionales. En vertu d’un décret du ministère de l’Intérieur saxon, datant du 8 février 2008, seules les communes se voient dans l’obligation d’adopter le système de comptabilité en partie double à partir de 2013.

12L’examen de projets aux orientations et aux objectifs a priori distincts est l’occasion d’ouvrir la boîte noire de la réforme de l’État en mettant concrètement au jour l’hétérogénéité des mesures que recouvre l’emploi de cette catégorie générique. Plus singulièrement, il permet d’éprouver la pluralité des formes d’articulation entre idées et pratiques qui caractérise l’entreprise modernisatrice, dans la mesure où les deux initiatives saxonnes – répondant pour l’une à l’impératif de managérialisation, pour l’autre à l’injonction de décentralisation – s’inspirent visiblement des modèles, voire reprennent les programmes qui ont dominé la politique de réforme de l’État dans l’Allemagne unifiée. L’examen de projets aux trajectoires contrastées entend en outre rompre avec une posture fonctionnaliste et normative, imputant le succès ou l’échec de l’entreprise modernisatrice à l’ajustement ou au désajustement de ses préceptes et outils au contexte, pour s’intéresser aux conditions de leur appropriation et, plus précisément, aux effets des dynamiques relationnelles sur leur capacité à s’imposer dans le champ politico-administratif.

  • 34 Bongrand P., Laborier P., « L’entretien dans l’analyse des politiques publiques : un impensé métho (...)
  • 35 Pinson G., Sala-Pala V., « Peut-on vraiment se passer de l’entretien en sociologie de l’action pub (...)
  • 36 Bourdieu, P., « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, no 1, vol.  (...)
  • 37 Lagadec P., Laroche H., Retour sur les rapports d’enquête et d’expertise suite à la canicule de l’ (...)
  • 38 Crozier M., Friedberg E., L’Acteur et le système : les contraintes de l’action collective, Paris, (...)
  • 39 Bongrand P., Laborier P., art. cité.
  • 40 Dupuy C., Pollard J., « Les rapports dans l’administration de la preuve : quelques réflexions méth (...)
  • 41 Gayon V., « Un atelier d’écriture internationale : l’OCDE au travail. Éléments de sociologie de la (...)

13Pour saisir empiriquement la fabrique de ces projets de réforme, j’ai procédé au croisement de sources documentaires, biographiques et orales. Si l’analyse des textes nous informe sur les registres de légitimation mobilisés, les principes affichés, les objectifs visés ou les instruments préconisés, elle laisse en revanche dans l’ombre les acteurs et les activités ayant concouru à leur production et, plus largement, à l’entreprise modernisatrice. C’est justement ce dont rendent compte les témoignages décrivant les représentations, les pratiques et les interactions à l’œuvre dans la réforme de l’État. L’usage rétrospectif des entretiens, reconstituant un processus sur la base des récits subjectifs et partiels que ses différents protagonistes en livrent a posteriori, suscite néanmoins des réserves34 : il y aurait, de fait, un « écart irréductible entre ce que les acteurs font et pensent d’un côté et, de l’autre, ce qu’ils en disent à l’enquêteur35 ». Il est par ailleurs contestable de postuler que ces interlocuteurs ont une vision juste de leur contribution au processus étudié, alors même que « l’illusion biographique36 » nourrit des reconstructions du passé, caractérisées notamment par une ré-hiérarchisation des faits. Deux précautions méthodologiques permettent de parer à ces écueils, que rencontrent classiquement les travaux de sciences sociales. La première démarche consiste à soumettre l’ensemble des sources à un examen critique et réflexif en les considérant comme autant de discours participant à la construction d’un point de vue sur la « réalité37 ». Il s’agit, en d’autres termes, de restituer les lectures plurielles ou discordantes que ces sources produisent sur l’entreprise modernisatrice et, tout particulièrement, sur la place et la forme qu’y prennent les doctrines. La seconde démarche consiste à « contrôler » la parole des acteurs, d’une part en croisant systématiquement les informations recueillies38, d’autre part en considérant l’entretien comme un outil de recherche parmi d’autres39, dont l’exploitation est étroitement liée à celle des données biographiques et des sources documentaires avec lesquelles il entre en résonance. C’est donc à partir de la conjugaison et de la confrontation de ces matériaux que j’ai retracé la genèse des projets de réforme et appréhendé leur articulation aux doctrines. Le recoupement des documents « produits au moment de la “bataille”40 » avec les propos tenus par leurs rédacteurs et/ou leurs commanditaires41 compense le biais introduit par le caractère a posteriori des entretiens, tandis que le rapprochement de ces sources écrites et orales avec les données biographiques de leurs producteurs met au jour les effets des propriétés sociales et des trajectoires professionnelles sur la circulation des doctrines réformatrices.

  • 42 Conduits en allemand puis traduits par l’auteure, ces entretiens sont listés et numérotés dans l’a (...)
  • 43 Becker H., Les Ficelles du métier, Paris, La Découverte, 2003.

Dispositif d’enquête
Mon travail d’enquête, effectué entre février 2010 et juillet 2011, s’appuie dans un premier temps sur le recensement et le dépouillement des documents à vocation prescriptive et/ou évaluative qui dessinent les contours des deux projets de réforme sélectionnés. Outre les textes de réformes, les rapports préparatoires rédigés par des commissions d’experts et les évaluations annuelles de la Cour des comptes régionale, j’ai rassemblé des discours et déclarations de responsables politiques ou administratifs régionaux, des programmes électoraux, des accords de coalition gouvernementale, des prises de position émanant d’organisations et groupes variés (parlement régional, associations professionnelles, corporatistes, etc.) ou encore des articles de la presse régionale présentant les projets de réforme et, parfois, les débats, qu’ils ont suscités en Saxe. L’examen du contenu de ces documents permet d’apprécier les formes (slogans politiques, propositions normatives, recommandations pratiques), les orientations (par exemple le poids dévolu au néo-managérialisme) et les représentations (sur le rôle de l’État et de l’administration) qui caractérisent l’entreprise réformatrice en Saxe. La confrontation de ces différents documents dévoile également comment sont éventuellement repris et remodelés les références, les arguments et les recettes en matière de modernisation de l’État. Le repérage des acteurs ayant pris part au processus de réforme – commanditaires, experts, rédacteurs, évaluateurs, commentateurs, etc. – complète dans un second temps cette analyse documentaire. Différents types d’acteurs – identifiés grâce à plusieurs sources, tels les organigrammes des ministères chargés de conduire les projets de réforme, les listes de commissions d’experts ou les programmes de diverses manifestations (séminaires, colloques, journées d’étude et de formation, congrès, etc.) – sont ainsi distingués : des responsables gouvernementaux, des agents administratifs ministériels, des élus régionaux et municipaux, des représentants d’institutions régionales (Cour des comptes, Association des communes allemandes, etc.), des universitaires et des consultants. Une fois ce repérage effectué, je me suis appuyée sur la collecte de sources biographiques (C. V., notices, etc.) et la conduite de quarante entretiens42 pour dresser le profil des acteurs engagés dans la fabrique des réformes, en m’intéressant plus spécifiquement à leurs formations académiques, à leurs trajectoires professionnelles ou encore à leurs appartenances institutionnelles et politiques. Ces informations visent à mesurer la place occupée par l’entreprise réformatrice dans les carrières, de même que les effets exercés par la socialisation dans l’usage des doctrines modernisatrices. Les entretiens ont aussi pour objectif de saisir comment sont produits les documents (rapports, programmes, prises de position, etc.), quels sont les modes de fonctionnement des structures de travail (services administratifs, commissions d’experts, bureaux de consultants, etc.) ou quelles sont les relations (coopérations, tensions, conflits, etc.) des différents acteurs et organisations en charge de l’entreprise modernisatrice. Par conséquent, les entretiens s’intéressent moins au « pourquoi » qu’au « comment43 », invitant les interlocuteurs à décrire leur contribution à la fabrique des réformes, de même qu’à préciser les modalités et les circuits par lesquels ils se sont familiarisés avec les préceptes et les outils promus par les doctrines modernisatrices (cursus universitaire, participation à différentes manifestations, lectures, etc.). L’examen de la littérature sur la réforme de l’État et de la biographie de ses auteurs enrichit enfin cette enquête de terrain en restituant l’espace de production des doctrines et, plus précisément, en interrogeant la manière dont elles s’articulent avec l’entreprise modernisatrice menée par le Land de Saxe : il s’attache ainsi à apprécier la place que détiennent les travaux des experts dans les projets de réforme et les usages que les acteurs en font dans leurs activités de réformateurs.

  • 44 Briquet J.-L., Sawicki F., « L’analyse localisée du politique. Lieux de recherche ou recherche de (...)

14Si cette étude localisée est propice à la contextualisation des processus de circulation, son apport ne se limite pas pour autant à l’espace du terrain d’investigation44. La confrontation avec d’autres travaux de sciences sociales sur la modernisation de l’État, en Allemagne et ailleurs, met en perspective la situation saxonne, tandis que la comparaison avec les expériences réformatrices engagées dans les autres Länder, de l’Est et de l’Ouest, permet d’estimer la représentativité ou, au contraire, la spécificité de ce cas. Cette comparaison s’est néanmoins révélée d’un intérêt limité en l’absence d’enquêtes et, partant, de résultats comparables : principalement centrées sur la mise en œuvre des réformes, et ce, bien souvent à visée d’évaluation, les études disponibles nous éclairent peu sur leur genèse.

  • 45 Passeron J.-C., Revel J. (dir.), Penser par cas, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005, p. 9.

15Plus encore, « penser par cas » consiste à extraire d’une « singularité accessible à l’observation » une « argumentation de portée plus générale, dont les conclusions pourront être réutilisées pour fonder d’autres intelligibilités45 ». Mon travail s’est employé à opérer cette montée en généralité en mobilisant les savoirs empiriquement éprouvés dans le cadre monographique pour nourrir la réflexion sur la circulation des doctrines : la caractérisation des profils et trajectoires des acteurs, tout comme la description de leurs activités et de leurs interactions contribuent à l’élaboration de généralisations sur la formation d’un marché professionnel de l’expertise et sur la redéfinition des savoirs légitimes en matière d’administration publique. Le terrain saxon est également un observatoire du postcommunisme, en ce qu’il donne à voir les modalités de diffusion et les conditions de réception des doctrines réformatrices en contexte de transformation.

Une contribution à l’analyse du postcommunisme

  • 46 Kott S., Mespoulet M., Roger A., Le Postcommunisme dans l’histoire, Bruxelles, université de Bruxe (...)
  • 47 Offe C., Les Démocraties à l’épreuve, Paris, L’Harmattan, 1997.

16Le postcommunisme a suscité l’engouement des sciences sociales au milieu des années 1990. L’usage de cette catégorie reste pertinent quelque vingt ans plus tard, à partir du moment où l’on postule, à la différence des analyses en termes de transition démocratique, que le postcommunisme ne se résume pas à une phase circonscrite dans le temps mais relève d’une trajectoire présentant des propriétés spécifiques et produisant des effets durables. Celle-ci est travaillée par une double dynamique conjointement à l’œuvre dans l’ensemble des pays d’Europe centrale et orientale : la première renvoie à l’empreinte de l’histoire46, la seconde au rôle de « l’Occident47 » dans le processus de transformation.

  • 48 Coman R., Michel C., « Étudier le communisme et le postcommunisme en histoire et en sciences polit (...)
  • 49 Stark D., « The Great Transformation? Social Change in Eastern Europe », Contemporary Sociology, n(...)
  • 50 Mink G., Forest M., Post-communisme : les sciences sociales à l’épreuve, Paris, L’Harmattan, 2004.
  • 51 Comme le soulignent Ramona Coman et Christian Michel, « ce n’est pas le passé qui permettra d’alle (...)
  • 52 Meyer-sahling J.-H., « Héritages, concurrence entre les partis et gouvernance de la fonction publi (...)
  • 53 Heurtaux J., Zalewski F., Introduction à l’Europe postcommuniste, Bruxelles, De Boeck, 2012.

17L’expérience soviétique ne constitue pas une simple parenthèse48, dans la mesure où « l’introduction de nouveaux éléments s’effectue typiquement en combinaison avec des adaptations, réarrangements, permutations et reconfigurations de formes institutionnelles déjà existantes49 ». Ses héritages – manifestes dans la perpétuation de modèles et de formes organisationnels, de capitaux sociaux, de représentations et de pratiques – ne sauraient donc être réduits à l’expression d’une culture irréductible et figée50 : ils doivent être appréhendés au regard des usages dont ils font l’objet dans le processus de transformation. À rebours d’analyses considérant a priori les legs du communisme comme des obstacles51, mon travail entend apprécier comment la maîtrise de réseaux, de savoir-faire ou de routines forgés sous le régime précédent intervient dans la modernisation de l’État52 et, plus particulièrement, dans la manière dont ses acteurs s’approprient et utilisent les doctrines dans leur entreprise réformatrice. Ce faisant, il échappe au double écueil de la « banalisation », qui présente les États de l’ancien bloc soviétique comme des pays parmi d’autres dans l’espace européen, et de l’« exceptionnalisation », qui rapporte certains comportements ou événements à des traditions étrangères aux valeurs occidentales53.

  • 54 Offe C., op. cit., p. 301.
  • 55 Goetz K., « Making sense of post-communist central administration: Modernization, Europeanization (...)
  • 56 Buzogány A., Stuchlik A., art. cité.

18Prendre acte du postcommunisme ne consiste pas seulement à apprécier les usages du passé mais, plus encore, à comprendre comment ils s’associent à de nouveaux éléments, dont l’adoption obéit avant tout à la volonté « de reproduire sur le long terme le modèle ouest-européen de modernisation politique, économique et culturelle54 ». De fait, la circulation de doctrines largement importées du monde anglo-saxon ouvre une réflexion sur l’« influence » occidentale, sensible dans les recommandations internationales et européennes en matière de réforme de l’État. Celles-ci constituent des opportunités et des contraintes contribuant, tout autant que les événements, les institutions et les acteurs locaux, à façonner les initiatives réformatrices en matière d’administration et d’action publique55. Aussi faut-il prendre en considération les interactions entre impulsions externes et héritages internes pour comprendre les succès comme les échecs de la modernisation administrative dans les différents pays d’Europe centrale et orientale56.

  • 57 Reißig R., « Transformation – Theoretisch-konzeptionelle Ansätze und Erklärungsversuche », Berline (...)
  • 58 Les autorités gouvernementales ont ainsi privilégié la voie de l’adhésion individuelle à la RFA, p (...)
  • 59 Gravier M., Good bye Honecker! Identité et loyauté dans les administrations est-allemandes (1990-1 (...)
  • 60 Lehmbruch G., « Die ostdeutsche Transformation als Strategie des Institutionentransfers : Überprüf (...)

19L’Allemagne de l’Est fait communément figure d’exception au sein de l’espace postsoviétique. Certains auteurs emploient même l’expression de « Sonderweg (est-) allemand57 » pour souligner le caractère unique de sa transformation, qu’ils imputent aux modalités de l’unification. Celle-ci s’opère à la faveur d’un double processus d’absorption de la République démocratique allemande (RDA), qui cède la place aux cinq nouveaux Länder58, et de transfert des institutions de la République fédérale d’Allemagne (RFA), qui prend appui sur différents dispositifs tels les partenariats interrégionaux ou le détachement et le recrutement de fonctionnaires des anciens Länder59. Comme le rappelle Gerhard Lehmbruch, ce « n’est pas le modèle abstrait de l’économie de marché et de la démocratie libérale qui sert de référentiel aux acteurs politiques de l’Allemagne de l’Ouest comme de l’Est, mais une variante qui s’est exprimée dans des formes institutionnelles spécifiques60 ». L’exception (est -) allemande tiendrait par conséquent à la singularité d’une trajectoire où la transformation postcommuniste se confond avec l’importation d’un ordre institutionnel achevé.

  • 61 Les chercheurs français ont, en revanche, investi ce terrain à la faveur d’analyses sociologiques (...)
  • 62 Eisen A., Kaase M. (avec F. Berg), « Transformation und Transition : Zur politikwissenschaftlichen (...)
  • 63 Wiesenthal H., « Sturz in die Moderne. Der Sonderstatus der DDR in den Transformationsprozessen Os (...)
  • 64 Lozac’h V., « Jeux de miroir dans l’administration est-allemande. Les usages croisés du stéréotype (...)
  • 65 Neller K., DDR-Nostalgie. Dimensionen der Orientierungen der Ostdeutschen gegenüber der ehemaligen (...)
  • 66 Ces enjeux politiques sont manifestes dans le retour du paradigme totalitaire, dont l’usage répond (...)

20Les modalités de l’unification fournissent ainsi autant d’arguments pour refuser toute comparaison avec les pays d’Europe centrale et orientale, voire pour réfuter l’application du label postcommuniste à l’ancienne RDA, dont l’étude apparaît quelque peu délaissée par la littérature internationale, notamment anglo-saxonne, dédiée aux transitions démocratiques61. Plusieurs analyses contestent toutefois cette posture, en empruntant une double voie pour souligner, au contraire, la comparabilité du cas est-allemand62. Si certaines s’attachent à rappeler que le rôle d’acteur et de modèle endossé par l’« Occident » est un trait partagé par l’ensemble du bloc postsoviétique, d’autres invoquent réciproquement la survivance d’héritages communistes dans l’ancienne RDA pour insister sur la parenté des trajectoires de transformation. Dénonçant un « malentendu légaliste », leurs auteurs affirment que les mutations opérées dans l’ancienne RDA ne sauraient être réduites au « produit dérivé de son intégration à la République fédérale63 ». Les recherches empiriques montrent effectivement que l’importation du modèle ouest-allemand n’a pas pour autant éradiqué le passé communiste dans les nouveaux Länder64. Largement médiatisée à travers la notion d’Ostalgie, qui désigne un attachement nostalgique à l’égard d’objets, de symboles et de rituels évoquant la vie quotidienne sous le communisme65, la question du passé a rencontré une forte résonance dans l’Allemagne unifiée en raison des enjeux politiques associés à la (dis) qualification du régime de RDA66. Ces analyses nous invitent donc à rompre avec la lecture « exceptionnalisante » de la trajectoire est-allemande pour l’appréhender comme une déclinaison originale de la double dynamique d’importations et d’héritages qui caractérise l’ensemble de l’espace postsoviétique.

  • 67 Bafoil F., « Transfert institutionnel et européanisation. Une comparaison des cas est-allemand et (...)
  • 68 Offe C., op. cit.
  • 69 König K., « Bureaucratic Integration by Elite Transfer: The Case of the Former GDR », Governance, (...)

21Certains voient même dans l’ancienne RDA un « cas type67 », si ce n’est un prototype, des relations Est-Ouest nouées dans le cadre du processus de transformation68. De fait, le transfert de structures, d’experts et de pratiques ouest-allemands dans les nouveaux Länder constitue une variante radicale, en quelque sorte « internalisée », de l’investissement occidental déployé dans les pays d’Europe centrale et orientale, qui ont également reçu l’appui financier, juridique et technique d’organisations internationales ou d’États partenaires. Replacer l’analyse dans le contexte de l’unification allemande permet d’interroger les effets de cette dimension Est/Ouest dans la circulation des doctrines réformatrices. La Saxe offre un terrain particulièrement approprié à son examen, en ce qu’elle apparaît emblématique de l’appel aux élites politiques et administratives ouest-allemandes dans les nouveaux Länder69. Cette stratégie est tout d’abord sensible à la tête du gouvernement régional, dirigé par des ministres-présidents originaires de Rhénanie-du-Nord-Westphalie entre 1990 et 2008. 7071

  • 70 Micus M., « Kurt Biedenkopf – General bei Kohl, König in Sachsen », in R. Lorenz, M. Micus (dir.),(...)
  • 71 Ibid., p. 81.

Un gouvernement saxon sous domination ouest-allemande
En 1990, la Saxe est la seule région de l’ancienne RDA à élire un ministre-président originaire des anciens Länder. Kurt Biedenkopf (1930) est une figure célèbre de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) ouest-allemande, dont il est secrétaire général de 1973 à 1977 et qu’il représente au Bundestag entre 1976 et 1980, avant de poursuivre sa carrière politique à l’échelon régional, en tant que président du comité directeur de la CDU et membre du parlement du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie dans les années 1980. Désireux de constituer sa propre « dynastie » au sein de la CDU, Kurt Biedenkopf essuie cependant plusieurs échecs, en tant que candidat malheureux au poste de ministre-président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie en 1983, puis lorsqu’il est démis de ses fonctions de président du comité directeur de la CDU du Land en 1987. Après des années de disgrâce, en raison de ses relations conflictuelles avec Helmut Kohl, il est élu ministre-président de Saxe en octobre 1990, tel « le phénix renaissant de ses cendres70 ». Pendant plus d’une décennie, Kurt Biedenkopf incarne le souverain bienveillant, apprécié de tous les partis71. Il démissionne toutefois de ses fonctions en mai 2002, à la suite de plusieurs scandales financiers qui touchent également son épouse. Le « roi Kurt », comme le surnomment ses concitoyens, est remplacé par son ancien ministre des Finances, Georg Milbradt (1945), également issu de la CDU ouest-allemande et originaire de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dont il s’était séparé au début de l’année 2001 tant en raison de leurs divergences en matière de politique gouvernementale que de leurs querelles intrapartisanes. La faillite qui affecte la banque publique régionale Sachsen LB contraint Georg Milbradt à la démission en mai 2008. Il cède la place à Stanislaw Tillich (1959), un chrétien-démocrate originaire de Saxe.

  • 72 Gravier M., « Mise en place des élites administratives en Brandebourg et en Saxe après l’Unificati (...)
  • 73 Selon la Potsdamer Elitenstudie de 1995, le personnel de direction des administrations régionales (...)

22Le gouvernement de Saxe se distingue plus généralement par un recours précoce et intensif à l’importation de personnel politique et administratif au sommet de la hiérarchie72 : une bonne partie des ministres, secrétaires d’État et chefs de directions ministérielles sont originaires des anciens Länder73. Les autorités régionales privilégient la mise en place de « tandems », associant des experts ouest-allemands chargés de seconder les élites locales, auxquelles sont confiés les postes politiques. Ces pratiques se sont pérennisées : en 2013, la moitié des dix ministres, tout comme la majorité des secrétaires d’État et des chefs de directions ministérielles sont Allemands de l’Ouest. Selon une enquête menée par l’hebdomadaire Die Zeit, ils représentent alors 79 % des chefs de direction dans l’administration saxonne. Ces acteurs ont, pour la plupart, profité des opportunités professionnelles ouvertes au début des années 1990 pour faire carrière dans les nouveaux Länder. Trois filières de recrutement ont été principalement exploitées : la Bavière, le Bade-Wurtemberg et la Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Les deux premières ont essentiellement reposé sur la mobilisation des dispositifs d’assistance administrative mis en place lors de l’unification. La troisième prend appui sur les liens professionnels et personnels activés par Kurt Biedenkopf et Georg Milbradt pour recruter leurs proches collaborateurs.

23L’étude du cas saxon permet par ailleurs de prendre la mesure des enjeux financiers et démographiques qui entourent la réforme du secteur public dans l’espace postcommuniste.

  • 74 [http://www.statistik.sachsen.de/html/369.htm] ; [http://www.haushaltssteuerung.de/bund-laender-fi (...)

La Saxe en chiffres (2013)74

Démographie
Nombre d’habitants :
4 046 385
Âge moyen de la population :
46,6 ans
Taux de natalité : 8,6‰

Finances
Péréquation financière :
+ 1.002 M €
Dette publique par habitant :
4 190 €
Taux d’investissement :
18,1 %

Économie
PIB : 104 717 M €
Taux de croissance du PIB :
0,6 %
Taux de chômage : 9,4 %

  • 75 La Saxe est le Land de l’Est dont le PIB a connu la plus forte croissance depuis l’unification : c (...)
  • 76 Jesse E., Schubert T., Thieme T., Politik in Sachsen, Wiesbaden, Springer VS Verlag, 2014.
  • 77 Ibid., p. 285.
  • 78 En 2014, le taux de chômage s’élève à 8,8 % en Saxe, alors qu’il est en moyenne de 6,2 % à l’Ouest (...)
  • 79 Fondé sur le principe d’une solidarité entre les différentes collectivités de la Fédération, ce mé (...)

24Présentée comme la région la plus performante d’Allemagne de l’Est75, la Saxe peut certes se prévaloir de nombreux atouts économiques. Ouverte aux investisseurs, elle se distingue par le dynamisme de son industrie. Celle-ci repose sur un tissu de petites et moyennes entreprises, qui bénéficient d’une main-d’œuvre qualifiée en raison d’un niveau de formation nettement supérieur à la moyenne nationale76. La Saxe se caractérise en outre par un taux d’investissement assez élevé et une dette publique par habitant plutôt faible. Considérée comme le Land qui s’est le plus rapidement adapté aux transformations économiques et sociales engendrées par l’unification, la Saxe occupe une position médiane entre anciens et nouveaux Länder, n’étant « plus au niveau de l’Est et pas encore au niveau de l’Ouest77 ». En témoigne son taux de chômage, qui reste plus important qu’à l’Ouest tout en étant le plus bas de l’Est78. Le gouvernement saxon rencontre en outre de fortes contraintes budgétaires, qui affectent l’ensemble des Länder de l’ancienne RDA. Ces derniers font face une réduction significative des fonds qu’ils reçoivent depuis le début des années 1990. D’une part, les versements octroyés dans le cadre du pacte de solidarité – introduit au lendemain de l’unification pour soutenir le processus de transformation – s’achèvent en 2020. D’autre part, les sommes perçues en vertu du dispositif de péréquation financière prévu par le système fédéral79, dont le montant est fonction du nombre d’habitants, diminuent progressivement. Les difficultés financières tiennent donc pour partie aux évolutions démographiques qui touchent l’ancienne RDA, confrontée au vieillissement et à la baisse de sa population. C’est une question d’importance pour le Land de Saxe, qui a perdu environ 15 % de ses habitants depuis fin 1990 et où la moyenne d’âge est aujourd’hui la plus élevée d’Allemagne, alors même qu’il occupe, après Berlin, la deuxième position parmi les bénéficiaires du mécanisme de péréquation financière. Ces éléments montrent que l’examen du cas saxon doit être replacé dans le cadre de l’unification allemande, dont il s’agit d’apprécier les effets sur la structuration des processus de circulation en matière de réforme de l’État.

Organisation de l’ouvrage

25Centré sur l’espace de production des doctrines, le premier chapitre restitue l’environnement scientifique et politique dans lequel se déploie l’entreprise réformatrice engagée par le gouvernement saxon. Il retrace l’élaboration des modèles et des programmes dédiés à la modernisation de l’État en Allemagne, montrant que celle-ci met en jeu différents acteurs et activités depuis les années 1960. Le deuxième chapitre s’attache dénaturaliser la « nécessité » de la réforme de l’État, en interrogeant sa construction en enjeu politique dans le Land de Saxe. Il prend appui sur l’analyse des discours gouvernementaux et partisans pour apprécier comment cette thématique intervient dans la formulation de l’offre politique et la structuration des clivages partisans à l’échelle régionale. Sous quelles formes et par quels acteurs l’impératif modernisateur est-il pris en charge dans l’administration saxonne ? Cette interrogation est au cœur du troisième chapitre, qui met l’accent sur une double dynamique dans l’institutionnalisation de l’entreprise réformatrice. Sa progressive monopolisation par des services et des agents administratifs explicitement dédiés à cette tâche est en effet jalonnée de concurrences institutionnelles et disciplinaires, qui tiennent pour partie à une lecture différenciée des doctrines en matière de modernisation de l’État. Comment, enfin, s’élaborent en pratique les projets de réforme dans l’administration saxonne ? C’est l’objet du quatrième chapitre consacré à leur fabrique. Cette activité, qui fait appel à l’expertise de différents spécialistes, revêt essentiellement une forme technico-bureaucratique, favorisant la transposition sélective de doctrines modernisatrices réduites à leur versant managérial et financier. Mais elle s’inscrit aussi dans des jeux de pouvoir qui se structurent différemment selon les projets de réforme. Partant, leur inégal succès apparaît indissociable des configurations poli tico-administratives régionales et, notamment, de la capacité des réformateurs saxons à enrôler des alliés dans leur entreprise.

  • 80 Zimmermann B., op. cit. ; Robert C., « Expertise et action publique », in O. Borraz, V. Guiraudon (...)
  • 81 Bezes P., « État, experts et savoirs néo-managériaux. Les producteurs et diffuseurs du New Public (...)
  • 82 Mobilisé dans l’analyse des transferts de politique publique et l’étude des réformes du secteur pu (...)
  • 83 Lascoumes P., Le Galès P., Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2005.

26La question de l’articulation entre espace de production des doctrines et espace de fabrique des réformes sous-tend l’ensemble de ces chapitres, qui s’emploient à rendre compte des modalités de médiation et de réception par lesquelles les acteurs promeuvent, transmettent, assimilent et mobilisent les savoirs en matière d’État. Ils prêtent par conséquent une attention particulière aux structures (commissions d’experts, groupes de travail, départements pilote), manifestations (forums, congrès, séminaires de formation) et supports (manuels, revues, livres blancs, programmes électoraux, prises de position) qui matérialisent le processus de circulation. Cette démarche permet d’appréhender les formes que prend l’expertise dans l’action publique80 et, plus précisément, d’évaluer le rôle des experts dans la médiation des doctrines réformatrices81 en mettant au jour leurs stratégies face à la demande politique et, réciproquement, les usages de leurs savoirs dans la fabrique des réformes. Elle permet également d’interroger les liens entre circulation des modèles et multipositionnalité des acteurs, en examinant si et comment l’occupation de positions au sein de différents champs socioprofessionnels joue dans la capacité des doctrines à s’imposer dans ces espaces. Elle permet enfin de saisir les opérations de traduction82 à l’œuvre dans l’articulation entre modèles et pratiques de réforme, en s’intéressant au travail de légitimation, de sélection et d’instrumentation83 par lequel les acteurs justifient leurs emprunts doctrinaux et les concrétisent sous la forme d’outils.

Notes

1 Voir la carte en annexe 1, p. 267.

2 Regierungserklärung gehalten auf der Plenarsitzung des Sächsischen Landtages am 27. Oktober 1999, [http://www.appixportale.de/CDU/Fraktion/Themen/breg993.htm].

3 Vauchez A., « Le prisme circulatoire. Retour sur un leitmotiv académique », Critique internationale, no 59, vol. 2, 2013, p. 9-16.

4 Delpeuch T., « L’analyse des transferts internationaux de politiques publiques : un état de l’art », Questions de Recherche, no 27, 2008, p. 9.

5 Giraud O., « Les représentations dans l’analyse de l’action publique en France et en Allemagne entre traditions étatiques et traditions intellectuelles », in B. Zimmermann (dir.), État et sciences sociales, Paris, Éditions de la MSH, 2004, p. 145-175.

6 Musselin C., « Sociologie de l’action organisée et analyse des politiques publiques : deux approches pour un même objet ? », Revue française de science politique, no 1, vol. 55, 2005, p. 51-71.

7 Mclaughlin K., Ferlie E., Osborne D. (dir.), New Public Management: Current Trends and Future Prospects, Londres, Routledge, 2002.

8 Ganev V. I., « The “Triumph of Neoliberalism” Reconsidered: Critical Remarks on Ideas-Centered Analyses of Political and Economical Change in Post-Communism », East European Politics and Societies, no 3, vol. 19, 2005, p. 343-378.

9 Pollitt C., « Clarifying Convergence », Public Management Review, no 1, vol. 41, 2002, p. 471-492.

10 Premfors R., « Reshaping the democratic state: swedish experiences in a comparative perspective », Public Administration, no 1, vol. 76, 1998, p. 141-159.

11 Christensen T., Lægreid P. (dir.), Transcending New Public Management. The transformation of public sector reforms, Aldershot, Ashgate, 2007; Pollitt C., Bouckaert G., Public Management Reform. A comparative Analysis, Oxford, Oxford University Press, 2004; Sahlin-andersson K., Engwall L. (dir.), The Expansion of Management Knowledge. Carriers, Flows and Source, Stanford, Stanford Business Books, 2002.

12 Dobry M., « Ce dont sont faites les logiques de situation », in P. Favre, O. Fillieule, F. Jobard (dir.), L’atelier du politiste, Paris, La Découverte, 2007, p. 148.

13 Henry O., Pierru F., « Les consultants et la réforme des services publics », Actes de la recherche en sciences sociales, no 193, vol. 3, 2012, p. 11.

14 Friedberg E., « En lisant Hall et Taylor : néo-institutionnalisme et ordres locaux », Revue française de science politique, no 3-4, vol. 48, 1998, p. 507-514.

15 Bezes P., « Les hauts fonctionnaires croient-ils à leurs mythes ? L’apport des approches cognitives à l’analyse des engagements dans les politiques de réforme de l’État. Quelques exemples français (1988-1997) », Revue française de science politique, no 2, vol. 50, 2000, p. 311.

16 Bourdieu P., « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Actes de la recherche en sciences sociales, no 1, vol. 145, 2002, p. 4.

17 Desage F., Godard J., « Désenchantement idéologique et réenchantement mythique des politiques locales. Retour critique sur le rôle des idées dans l’action publique », Revue Française de Science Politique, no 4, vol. 50, 2005, p. 635.

18 Dubois V., « L’action publique », in A. Cohen, B. Lacroix, P. Riutort (dir.), Nouveau manuel de science politique, Paris, La Découverte, 2009, p. 311-325.

19 Bernard Lahire souligne en effet que « nulle notion n’est à la fois aussi indispensable au raisonnement sociologique et aussi négligée que celle de “contexte” », in Lahire B., Monde pluriel. Penser l’unité des sciences sociales, Paris, Le Seuil, 2012, p. 228.

20 Pollitt C., Bouckaert G., Public Management Reform. A comparative Analysis, op. cit.

21 Vauchez A., art. cité.

22 Lahire B., Monde pluriel. Penser l’unité des sciences sociales, op. cit., p. 229.

23 Dobry M., « Ce dont sont faites les logiques de situation », art. cité.

24 Lahire B., Monde pluriel. Penser l’unité des sciences sociales, op. cit., p. 292

25 Vauchez A., art. cité.

26 Lahire B., « La variation des contextes en sciences sociales. Remarques épistémologiques », Annales. Histoire, Sciences Sociales, no 2, vol. 51, 1996, p. 381-407.

27 Sawicki F., « Les politistes et le microscope », in M. Bachir (dir.), Les Méthodes au concret, Paris, PUF, 2000, p. 150.

28 Bogumil J., Jann W., Verwaltung und Verwaltungswissenschaft in Deutschland, Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2009.

29 Bogumil J., « Modernisierung des Staates durch Public Management – Stand der aktuellen Diskussion », in E. Grande, R. Prätorius (dir.), Modernisierung des Staates ?, Baden-Baden, Nomos Verlag, 1997, p. 21-44.

30 Kuhlmann S., « Öffentlicher Dienst in Deutschland : veränderungsfähig oder reformresistent ? », in L. Kißler et al. (dir.), Öffentlicher Dienst und Personalmanagement. Zur Verwaltungsreform in Deutschland und Frankreich, Frankfurt/New York, Campus Verlag, 2007, p. 71-96.

31 Le Kreis est une sous-division territoriale de niveau intermédiaire, située entre le Regierungsbezirk (qui constitue lui-même une circonscription administrative du Land) et la commune. À l’origine échelon déconcentré du Land, le Kreis est progressivement devenu une collectivité territoriale dotée de compétences accrues : dirigé par un Landrat, il remplit sous sa propre responsabilité les missions n’étant pas du ressort des communes qui en font partie.

32 Beitrag Nr. 39 : Auswirkungen der Kreisgebietsreform, Jahresbericht des Sächsischen Rechnungshofs, 1996.

33 Reichard C., « Die “New Public Management” – Debatte im internationalen Kontext », in C. Reichard, H. Wollmann (dir.), Kommunalverwaltung im Modernisierungsschub ?, Basel, Birkhäuser, 1996, p. 241-271.

34 Bongrand P., Laborier P., « L’entretien dans l’analyse des politiques publiques : un impensé méthodologique ? », Revue française de science politique, no 1, vol. 55, 2005, p. 73-111.

35 Pinson G., Sala-Pala V., « Peut-on vraiment se passer de l’entretien en sociologie de l’action publique ? », Revue Française de Science Politique, no 5, vol. 57, 2007, p. 583.

36 Bourdieu, P., « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, no 1, vol. 62, 1986, p. 69-72.

37 Lagadec P., Laroche H., Retour sur les rapports d’enquête et d’expertise suite à la canicule de l’été 2003, Grenoble, Publications de la MSH-Alpes, 2005.

38 Crozier M., Friedberg E., L’Acteur et le système : les contraintes de l’action collective, Paris, Le Seuil, 1981.

39 Bongrand P., Laborier P., art. cité.

40 Dupuy C., Pollard J., « Les rapports dans l’administration de la preuve : quelques réflexions méthodologiques », Section thématique 14, Congrès AFSP, 2009, p. 6.

41 Gayon V., « Un atelier d’écriture internationale : l’OCDE au travail. Éléments de sociologie de la forme “rapport” », Sociologie du travail, no 3, vol. 51, 2009, p. 324-342.

42 Conduits en allemand puis traduits par l’auteure, ces entretiens sont listés et numérotés dans l’annexe 2, qui recense les principales données biographiques des locuteurs. Les entretiens sont cités dans le texte de la manière suivante : E1 pour entretien no 1.

43 Becker H., Les Ficelles du métier, Paris, La Découverte, 2003.

44 Briquet J.-L., Sawicki F., « L’analyse localisée du politique. Lieux de recherche ou recherche de lieux ? », Politix, no 7-8, vol. 2, 1989, p. 6-16.

45 Passeron J.-C., Revel J. (dir.), Penser par cas, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005, p. 9.

46 Kott S., Mespoulet M., Roger A., Le Postcommunisme dans l’histoire, Bruxelles, université de Bruxelles, 2006.

47 Offe C., Les Démocraties à l’épreuve, Paris, L’Harmattan, 1997.

48 Coman R., Michel C., « Étudier le communisme et le postcommunisme en histoire et en sciences politiques : acteurs politiques et sociaux en Europe centrale et orientale avant et après 1989 », Transitions, no 2, vol. 47, 2008, p. 5-13.

49 Stark D., « The Great Transformation? Social Change in Eastern Europe », Contemporary Sociology, no 3, vol. 21, 1992, p. 300.

50 Mink G., Forest M., Post-communisme : les sciences sociales à l’épreuve, Paris, L’Harmattan, 2004.

51 Comme le soulignent Ramona Coman et Christian Michel, « ce n’est pas le passé qui permettra d’aller de l’avant, entend-on dire dans les pays d’Europe centrale et orientale, dans les discours des organisations internationales et même dans la littérature scientifique […] le passé communiste est souvent présenté comme la cause de la lenteur des réformes dans les pays de l’Est », art. cité, p. 8 et suiv.

52 Meyer-sahling J.-H., « Héritages, concurrence entre les partis et gouvernance de la fonction publique dans la Hongrie postcommuniste », Critique internationale, no 35, vol. 2, 2007, p. 51-68 ; Buzogány A., Stuchlik A., « Wandlungen in Kafkas Schloss ? Verwaltungsreform und – Modernisierung in Mittel – und Osteuropa », in H. Hill (dir.), Verwaltungsmodernisierung 2010, Baden-Baden, Nomos Verlag, 2010, p. 287-313.

53 Heurtaux J., Zalewski F., Introduction à l’Europe postcommuniste, Bruxelles, De Boeck, 2012.

54 Offe C., op. cit., p. 301.

55 Goetz K., « Making sense of post-communist central administration: Modernization, Europeanization or Latinization? », Journal of European Public Policy, no 6, vol. 8, 2001, p. 1032-1051; Dimitrov V., Goetz K., Wollmann H., « Post-communist executive and European governance », in G. F. Schuppert (dir.), The europeanisation of governance, Baden-Baden, Nomos Verlag, 2006, p. 93-131.

56 Buzogány A., Stuchlik A., art. cité.

57 Reißig R., « Transformation – Theoretisch-konzeptionelle Ansätze und Erklärungsversuche », Berliner Journal für Soziologie, no 3, vol. 4, 1994, p. 323-343.

58 Les autorités gouvernementales ont ainsi privilégié la voie de l’adhésion individuelle à la RFA, prévue par l’ancien article 23 de la Loi fondamentale. Déjà utilisée pour le rattachement de la Sarre en 1957, cette disposition permettait d’étendre le champ d’application de la Loi fondamentale aux autres parties de l’Allemagne ayant décidé de rejoindre la République fédérale. Sa mise en œuvre a toutefois nécessité la réintroduction du fédéralisme, aboli par le régime est-allemand en juillet 1952, et le rétablissement des Länder, morcelés en quinze unités administratives (Bezirke).

59 Gravier M., Good bye Honecker! Identité et loyauté dans les administrations est-allemandes (1990-1999), Paris, Presses de Sciences Po, 2008.

60 Lehmbruch G., « Die ostdeutsche Transformation als Strategie des Institutionentransfers : Überprüfung und Antikritik », in A. Eisen, H. Wollmann (dir.), Institutionenbildung in Ostdeutschland. Zwischen externer Steuerung und Eigendynamik, Opladen, Leske + Budrich, 1996, p. 49.

61 Les chercheurs français ont, en revanche, investi ce terrain à la faveur d’analyses sociologiques qui s’intéressent tout particulièrement aux acteurs, aux pratiques et aux apprentissages en jeu dans la transformation de l’ancienne RDA. Attentives à l’historicisation de ce processus, elles se nourrissent des travaux sur les régimes et sociétés communistes, qui s’inscrivent pour certains dans la lignée de l’école américaine dite « révisionniste », pour d’autres dans la tradition de la micro-histoire ou encore de la sociohistoire. À rebours de la lecture totalitaire du soviétisme, leurs auteurs mettent l’accent sur les diverses formes d’interpénétration qui liaient l’État et la société ou encore sur les multiples pratiques d’accommodement qui soustendaient l’exercice de la domination politique. Kott S., Droit E. (dir.), Die ostdeutsche Gesellschaft. Eine transnationale Perspektive, Berlin, Links Verlag, 2006 ; Lindenberger T. (dir.), Herrschaft und Eigen-Sinn in der Diktatur, Weimar, Böhlau, 1999 ; Rowell J., Le totalitarisme au concret, Paris, Economica, 2006.

62 Eisen A., Kaase M. (avec F. Berg), « Transformation und Transition : Zur politikwissenschaftlichen Analyse des Prozesses der deutschen Vereinigung », in M. Kaase et al. (dir.), Politisches System. Berichte zum sozialen und politischen Wandel in Ostdeutschland, Opladen, Leske + Budrich, 1996.

63 Wiesenthal H., « Sturz in die Moderne. Der Sonderstatus der DDR in den Transformationsprozessen Osteuropas », in M. Brie, D. Klein (dir), Zwischen den Zeiten. Ein Jahrhundert verabschiedet sich, Hamburg, VSA-Verlag, 1992, p. 175.

64 Lozac’h V., « Jeux de miroir dans l’administration est-allemande. Les usages croisés du stéréotype bureaucratique après l’unification », Sociétés contemporaines, no 57, vol. 1, 2005, p. 83-104.

65 Neller K., DDR-Nostalgie. Dimensionen der Orientierungen der Ostdeutschen gegenüber der ehemaligen DDR, ihre Ursachen und politischen Konnotationen, Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2006.

66 Ces enjeux politiques sont manifestes dans le retour du paradigme totalitaire, dont l’usage répond pour partie à une demande, tant privée que publique, sollicitant explicitement l’établissement d’un cadre comparatif entre soviétisme et national-socialisme. Rowell J., « L’étonnant retour du “totalitarisme”. Réflexions sur le “tournant” de 1989 et l’historiographie de la RDA », Politix, no 47, vol. 12, 1999, p. 131-150.

67 Bafoil F., « Transfert institutionnel et européanisation. Une comparaison des cas est-allemand et est-euro-péens », Revue internationale de politique comparée, no 2, vol. 13, 2006, p. 221.

68 Offe C., op. cit.

69 König K., « Bureaucratic Integration by Elite Transfer: The Case of the Former GDR », Governance, no 3, vol. 6, 1993, p. 386-396.

70 Micus M., « Kurt Biedenkopf – General bei Kohl, König in Sachsen », in R. Lorenz, M. Micus (dir.), Seiteneinsteiger. Unkonventionelle Politiker-Karrieren in der Parteiendemokratie, Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2009, p. 114.

71 Ibid., p. 81.

72 Gravier M., « Mise en place des élites administratives en Brandebourg et en Saxe après l’Unification allemande. Étude des politiques de recrutement de deux nouveaux Länder », Les Travaux du Centre Marc Bloch, no 11, 1998, p. 33-58.

73 Selon la Potsdamer Elitenstudie de 1995, le personnel de direction des administrations régionales se composait à 87,3 % d’Allemands de l’Ouest contre seulement 12,7 % de l’Est. Hoffmann-lange U., « Elite Research in Germany », International Review of Sociology, no 2, vol. 11, 2001, p. 201-216. Au milieu des années 2000, on comptait encore 85,3 % de secrétaires d’État issus des anciens Länder. Klose S., « Beamtete Staatssekretäre im Transformationsprozess : Rekrutierungsmuster in den neuen Bundesländern », Bamberger Beiträge zur Vergleichenden Politikwissenschaft, n° 1, 2007, p. 1-58.

74 [http://www.statistik.sachsen.de/html/369.htm] ; [http://www.haushaltssteuerung.de/bund-laender-finanzausgleich-sachsen.html ; https://www.statistik.sachsen.de/download/100_Berichte-L/L_III_1_j13_SN.pdf] ; [http://de.statista.com/statistik/daten/studie/2522/umfrage/entwicklung-der-arbeitslosenquote-in-sachsen-seit-1999/].

75 La Saxe est le Land de l’Est dont le PIB a connu la plus forte croissance depuis l’unification : celui-ci a augmenté de 7,5 % (en termes réels) entre 2004 et 2013, [http://www.vsw-direkt.de/vsw-kompaktanzeigen/die-rente-mit-63-57016.html].

76 Jesse E., Schubert T., Thieme T., Politik in Sachsen, Wiesbaden, Springer VS Verlag, 2014.

77 Ibid., p. 285.

78 En 2014, le taux de chômage s’élève à 8,8 % en Saxe, alors qu’il est en moyenne de 6,2 % à l’Ouest et de 10,6 % à l’Est, [http://de.statista.com/].

79 Fondé sur le principe d’une solidarité entre les différentes collectivités de la Fédération, ce mécanisme impose aux Länder disposant de recettes fiscales supérieures à la moyenne d’en transférer une partie aux Länder plus pauvres. Zielinski B., « L’articulation entre stratégies économiques et politiques dans le processus de l’unification allemande », in B. Zielinski, B. Krulic (dir.), Vingt ans d’unification allemande. Histoire, mémoire et usages politiques du passé, Bern, Peter Lang, 2010, p. 35-73.

80 Zimmermann B., op. cit. ; Robert C., « Expertise et action publique », in O. Borraz, V. Guiraudon (dir.), Politiques publiques. 1, La France dans la gouvernance européenne, Paris, Presses de la FNSP, 2008, p. 309-335 ; Delmas C., Sociologie politique de l’expertise, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2011.

81 Bezes P., « État, experts et savoirs néo-managériaux. Les producteurs et diffuseurs du New Public Management en France depuis les années 1970 », Actes de la recherche en sciences sociales, no 193, vol. 3, 2012, p. 16-37.

82 Mobilisé dans l’analyse des transferts de politique publique et l’étude des réformes du secteur public, le concept de traduction est issu de la sociologie des sciences. Callon M., « Éléments pour une sociologie de la traduction », L’Année sociologique, no 36, 1986, p. 169-208. Il offre l’avantage de laisser « les portes ouvertes, sans préjuger de la rationalité de l’acteur ou de ses actions, sans prétendre connaître la suite et encore moins le dernier mot de l’histoire (la diffusion, la propagation, la convergence), sans adopter de point de vue favorable à l’innovation et sans faire des objets, des idées ou des projets des boîtes noires dont on postulerait qu’elles voyagent telles quelles, inchangées dans différents univers ». Dumoulin L., Saurugger S., « Les policy transfer studies en question », Critique internationale, no 48, vol. 3, 2010, p. 24.

83 Lascoumes P., Le Galès P., Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2005.

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