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Changer la prison

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Jeanne Chabbal

Seconde partie. Réformer la prison : la cause du Parlement

4. La prison, spécialité parlementaire

Texte intégral

1Malgré l’abandon du projet de loi élaboré par la ministre de la Justice à la veille des élections générales de 2002, la prison ne cessera pas d’être investie sous la législature suivante du fait de la mobilisation d’anciens commissaires enquêteurs spécialisés sur les sujets pénitentiaires. Dans les périodes de silence médiatique et de prédominance des problématiques pénales les moins propices à la réforme pénitentiaire, une poignée de députés et sénateurs continuent de travailler sur la prison, y compris en dehors des arènes parlementaires. Leurs actions conjuguées sur près d’une décennie contribuent à l’institutionnalisation progressive de la prison comme sujet parlementaire à part entière au sein des deux chambres. Les processus de diffusion et de transmission des savoir-faire liés à la spécialisation parlementaire sur la prison participent à la socialisation de leurs pairs et des nouveaux élus sur ce sujet, qui redevient d’actualité sous la 13e législature.

Construction d’une spécialité parlementaire

  • 1 Loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002.

2En dépit des apparences, la prison est demeurée un sujet de politique publique après les élections de 2002 pour le nouveau gouvernement qui met progressivement en œuvre une loi de programmation et d’orientation pour la justice1 et poursuit un programme de construction d’établissements sur un mode relativement silencieux. Par-delà les vicissitudes de la carrière des problèmes pénitentiaires, entre moments de mises en lumière médiatiques et retours dans l’ombre, entre consensus et affrontements partisans, une petite minorité de parlementaires « spécialistes » de la prison a émergé et continué à porter et à défendre une définition humaniste des problématiques pénitentiaires sur la durée, y compris dans les périodes où elles ne sont pas d’actualité. Ces spécialistes, issus des commissions d’enquêtes de 2000, sont les parlementaires qui ont été les plus actifs au sein de celles-ci et ont fait le choix de consacrer une part non négligeable de leur mandat aux prisons au cours des années suivantes. De par leur travail, ils continuent à faire vivre l’héritage des anciennes commissions d’enquêtes. Tout en le prolongeant, ils contribuent à l’accumulation de nouvelles connaissances sur la prison qu’ils diffusent au sein de leurs chambres d’appartenance, auprès de leurs collègues non-spécialistes.

Divisions du travail et niveaux de spécialisation

  • 2 Anne-Laure Nicot, « La notion de spécialisation parlementaire », Congrès de l’Association français (...)
  • 3 Sur la spécialisation thématique des commissions parlementaires comme solution face à la complexif (...)

3La spécialisation est à la fois un processus et un résultat. Le processus de spécialisation désigne les actions par lesquelles des parlementaires accumulent collectivement et individuellement des connaissances sur un sujet donné2, qui les rendent dépositaires d’une compétence supérieure à la moyenne de leurs collègues sur ce dernier. Auditions, dialogues avec les professionnels d’un secteur, déplacements à l’étranger, visites dans les locaux d’un service public, sont autant d’activités participant du processus de spécialisation. Le travail parlementaire recouvre des thématiques extrêmement diverses et nombreuses dont le niveau de technicité tend à s’accroître au fil des décennies. Un parlementaire pris isolément n’est pas en mesure d’acquérir une connaissance suffisante sur chacune d’entre elles. C’est pourquoi une division du travail thématique s’opère entre députés et sénateurs qui se regroupent dans des structures collectives au sein desquelles ils se répartissent les sujets à traiter3. Tout parlementaire désireux de s’investir dans ses fonctions doit se frayer un chemin parmi les multiples possibilités de travail et les nombreuses sollicitations dont chaque élu fait l’objet. Il existe au moins trois degrés de spécialisation parlementaire thématique qui correspondent chacun à un niveau de division du travail s’opérant dans des structures plus ou moins formelles au sein de la chambre.

  • 4 Sur le rôle des groupes politiques parlementaires dans l’affectation des élus à des commissions ai (...)
  • 5 Les collaborateurs de groupe sont des salariés de droit privé, individuellement recrutés par les c (...)
  • 6 Les collaborateurs de députés et sénateurs sont des salariés de droit privé dont le recrutement es (...)

4Le premier niveau de division du travail parlementaire se situe au sein des commissions permanentes (CP). Chaque CP est chargée d’un large portefeuille thématique recouvrant plusieurs secteurs de politique nationale. À titre d’exemple, les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat sont compétentes sur des thématiques aussi diverses que le droit pénal, le droit privé, le droit constitutionnel, le droit des collectivités territoriales ou encore la sécurité intérieure. Le travail parlementaire d’un élu est d’abord orienté en fonction de son appartenance à une commission permanente (CP). Un deuxième niveau de division du travail s’opère au sein des groupes politiques parlementaires dont les membres affectés à une même commission permanente se réunissent dans des structures moins officielles4. Ces réunions sont souvent présidées par le membre du groupe parlementaire, vice-président de la CP. Des collaborateurs du groupe parlementaire5, eux-mêmes spécialisés, sont en charge du suivi législatif du portefeuille thématique de la CP. Dans ce cadre, les parlementaires prennent en charge une ou plusieurs thématiques du portefeuille de leur CP, en fonction de la répartition du travail décidée entre pairs. Le deuxième degré de spécialisation intervient au sein de petits groupes de travail thématiques ciblés mis en place au sein des groupes politiques parlementaires dont la création dépend d’initiatives individuelles ou collectives des membres d’une commission permanente rattachés à un même groupe politique. Les groupes de travail thématiques sont animés par le ou les parlementaires à l’initiative de leur création, appuyés par les collaborateurs du groupe parlementaire. Le troisième niveau de division du travail s’opère au sein de la plus petite unité du travail parlementaire qu’est le bureau de l’élu. C’est en son sein que le député ou le sénateur, entouré de son équipe de collaborateurs6, peut construire un troisième niveau de spécialisation, plus personnel. Le dépôt de questions écrites ou de propositions de loi en son nom propre, de même que la réalisation d’un rapport parlementaire ou le fait de poser une question orale au gouvernement sont autant indicateurs potentiels de ce dernier degré de spécialisation.

  • 7 Sur le rôle des “backgrounds” personnels, professionnels et territoriaux dans la specialisation in (...)
  • 8 Sur la specialisation comme stratégie d’ancrage de la carrière politique des parlementaires, cf. E (...)

5La réalité du travail des élus est plus complexe que le schéma qui vient d’être brossé. Les parlementaires « non-inscrits » n’accèdent, par exemple, pas au niveau de division du travail du groupe politique. Leur spécialisation dépend essentiellement de leur investissement dans des instances extérieures (partis, autres mandats, etc.) ou de leur travail personnel. Certains députés ou sénateurs ayant fait le choix de se consacrer à d’autres dimensions de leur mandat parlementaire (travail local dans leur territoire d’élection, responsabilités partisanes) jouent leurs éventuelles spécialisations en dehors des arènes parlementaires proprement dites. Le troisième degré de spécialisation, le plus abouti, ne concerne que les parlementaires les plus actifs et peut se déployer indépendamment des précédents, par exemple lorsque le parlementaire se voit confier une mission par le gouvernement. Entre les deux extrêmes du parlementaire hyperspécialisé et de celui qui désinvestit les arènes parlementaires parisiennes, existe une multitude de situations intermédiaires. En règle générale, députés et sénateurs travaillent sur plusieurs sujets simultanément sur lesquels leur degré de spécialisation peut varier. Plusieurs parlementaires d’un même groupe peuvent être conjointement spécialisés sur les mêmes sous-thématiques. À l’inverse, certaines thématiques, peu traitées, ponctuelles, ou connexes à des sujets plus prépondérants, n’ont pas de spécialistes clairement identifiables. Ce fut notamment longtemps le cas de la prison. Les processus de spécialisation suivent souvent les logiques qui font que des sujets deviennent des thématiques parlementaires à part entière, d’où une certaine corrélation avec les phénomènes de « mise sur agenda » ou de « mise en politique ». À partir du moment où un problème devient politique et fait l’objet d’un traitement parlementaire, des élus peuvent être amenés à se spécialiser sur ce dernier. La propension d’un élu à se spécialiser sur un sujet dépend tout d’abord de caractéristiques qui lui sont propres. Son métier d’origine (profession en lien avec un sujet législatif), son territoire d’élection (enjeux locaux connectés à des thématiques parlementaires nationales) ou ses éventuels autres mandats peuvent déterminer ou orienter son affectation à une commission permanente donnée ainsi que les thèmes qui lui seront confiés au sein de son groupe politique7. Les centres d’intérêts personnels peuvent entrer en ligne de compte dans le choix des thèmes de prédilection. La spécialisation s’inscrit aussi dans des stratégies politiques relatives à la construction de la carrière : réélection législative, autres mandats brigués, visibilité médiatique, obtention de responsabilités partisanes, nomination gouvernementale8. Cependant, la spécialisation est également tributaire de logiques institutionnelles et de sélections collectives. Toutes les thématiques du travail parlementaire ne se valent pas, certaines étant collectivement reconnues comme plus « nobles » que d’autres (thématiques liées aux commissions des finances et des affaires économiques).

Figure 3 : Lieux et niveaux de spécialisation. Exemple de la 13e législature à l’Assemblée nationale (GT : Groupe de travail interne au groupe politique parlementaire ; P : élu parlementaire)

Figure 3 : Lieux et niveaux de spécialisation. Exemple de la 13e législature à l’Assemblée nationale (GT : Groupe de travail interne au groupe politique parlementaire ; P : élu parlementaire)
  • 9 Sur les processus de labellisation des déviants, cf. Howard S. Becker, Outsiders. Études de sociol (...)
  • 10 « Reliance often depends upon specialization that is members often turn to colleagues who are reco (...)

6Le résultat du processus de spécialisation est l’existence de parlementaires ou de groupes de parlementaires « spécialistes » d’une thématique. S’il est possible d’isoler des critères objectifs de repérage du spécialiste parlementaire en s’attachant, par exemple, à recenser la récurrence d’un sujet dans les questions posées et les interventions en séances publiques, une telle démarche doit-être complétée par des données subjectives, relatives à la réputation de l’élu, et par une approche interactionniste : le spécialiste est celui qui s’implique particulièrement sur un sujet en étant reconnu et « labellisé9 » comme tel par les autres acteurs, parties prenantes dans l’univers parlementaire ou le secteur de politique publique concerné. La spécialisation déborde le cadre parlementaire et se repère aussi dans le travail effectué en circonscription ou dans le département d’élection, ainsi qu’au sein d’éventuelles organisations partisanes ou associatives. Le parlementaire spécialiste est celui qui est ainsi désigné par ses pairs (camarades de bancs, membres du même groupe politique10, adversaires issus de groupes concurrents) et par les acteurs extérieurs à l’univers parlementaire, impliqués dans le réseau de politique publique qui prend en charge le sujet de spécialisation ou souhaitant influer sur ce qui se joue au sein de ce dernier : groupes d’intérêts, usagers du service public concerné, citoyens-électeurs et journalistes qui se livrent à un travail d’identification des élus pertinents. La qualité de « spécialiste » apparaît à la fois instable et contingente, de même que les catégories de spécialistes et de « profanes » sont perméables. Les connaissances accumulées par les spécialistes sont diffusées dans l’ensemble de la chambre parlementaire grâce aux différents lieux, structures d’échanges et supports de communication qui mettent en contact les élus les uns avec les autres : réunions de commissions ou de groupes parlementaires, interventions publiques, argumentaires et documents parlementaires diffusés. De ce fait, lorsqu’il y a spécialisation sur un sujet, qui devient une thématique parlementaire à part entière, c’est la connaissance de l’ensemble des élus sur ce sujet qui s’accroît, y compris celle des moins avertis d’entre eux.

Professionnels du droit et anciens rapporteurs budgétaires

7Les commissions d’enquêtes parlementaires de 2000 sur la prison ont fonctionné comme des lieux d’apprentissage individuels et collectifs privilégiés sur les questions carcérales. Elles ont contribué à la formation d’un petit noyau de parlementaires qui se sont spécialisés sur la prison et en ont progressivement fait une thématique de travail parlementaire à part entière.

8Au moment de leur constitution, en février 2000, ces commissions ont essentiellement accueilli des élus issus des commissions permanentes des lois et des affaires sociales. Les commissions des lois sont notamment en charge des questions de justice. Plus de la moitié des commissaires-enquêteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat en font partie. Parmi les commissaires aux lois rejoignant les commissions d’enquête, les professionnels du droit sont relativement nombreux : les avocats pénalistes représentent près de 15 % de l’effectif. Les élus ayant centré leur activité parlementaire sur les questions pénales ou ayant fait montre d’un fort investissement sur ces dernières sont aussi bien représentés : Michel Hunault, Michel Suchod, André Vallini et Jean-Luc Warsmann à l’Assemblée nationale, ainsi que Robert Badinter et Robert Bret au Sénat. 9 des 50 commissaires-enquêteurs recrutés, sont membres des commissions des affaires sociales, dont le portefeuille recouvre de nombreuses thématiques de société (enseignement, solidarité nationale, etc.) parmi lesquelles la santé publique, soulevée par les témoignages sur la prison rendus publics au début de l’année 2000. À ce premier niveau de spécialisation parlementaire, repérable dans la composition des Commissions d’enquête (CE) qu’est l’appartenance à une commission permanente en partie liée à la profession d’origine, s’en ajoute une seconde. Parmi les membres des CE, on retrouve les anciens rapporteurs de la mission « administration pénitentiaire » du budget de la Justice pour la commission des lois, André Guérin, Jacques Floch et Guy-Pierre Cabanel, les deux derniers occupant les postes-clés de rapporteurs des CE de l’Assemblée nationale et du Sénat. La présidence de la CE du Sénat est assurée par Jean-Jacques Hyest, rapporteur du budget de l’Outre-mer, qui avait déjà visité des établissements pénitentiaires à ce titre. À un troisième niveau de spécialisation, trois commissaires-enquêteurs sont par ailleurs connus pour leur engagement personnel sur diverses problématiques liées à la défense des droits de l’Homme : Robert Badinter (abolition de la peine de mort), Christine Boutin (bioéthique) et Noël Mamère (droit des étrangers, liberté d’expression). Les activités parlementaires conduites dans le cadre des commissions d’enquête, auditions, visites d’établissements pénitentiaires, etc., ont initié ou renforcé des processus de spécialisation, parfois déjà engagés chez certains de leurs membres.

Trajectoires d’élus spécialistes

9Tous les commissaires-enquêteurs ne sont pas devenus des spécialistes de la prison. Le sondage des processus de labellisation (désignations par les groupes sociaux mobilisés, les autres parlementaires et les journalistes) a permis d’identifier tout au plus cinq ou six élus dans chaque chambre pouvant être qualifiés comme tels. Nous esquisserons ici les trajectoires de quelques-uns d’entre eux, en tentant de restituer les conditions de leur spécialisation ainsi que les lieux et structures de leurs apprentissages sur la prison, tout en soulignant le rôle de leur engagement sur les problématiques pénitentiaires dans le déroulement de leurs carrières respectives au sein, et parfois à l’extérieur, du Parlement.

  • 11 « Leur attachement à l’Église exige de leur part qu’ils se saisissent des affaires du monde et qu’ (...)
  • 12 Entretien avec Christine Boutin, juin 2005.

10La spécialisation sur la prison a pu favoriser des trajectoires politiques ou professionnelles ascendantes. Travailler sur la prison a, par exemple, permis à la députée Christine Boutin de sortir d’un positionnement idéologique minoritaire stigmatisant et d’acquérir une certaine crédibilité auprès de ses collègues. Christine Boutin a été députée des Yvelines de 1986 à 2007. D’abord membre de l’UDF, elle a créé son propre parti, le Forum des républicains sociaux (FRS), inspiré de la doctrine du catholicisme social. Sous la 12e législature, elle était rattachée au groupe parlementaire UMP. Christine Boutin revendique sa foi catholique et sa proximité vis-à-vis des positions de l’Église qui ont en grande partie modelé sa carrière politique11. Bien avant la commission d’enquête de 2000, Christine Boutin avait visité des établissements pénitentiaires avec la complicité d’aumôniers de prisons qu’elle avait accompagnés dans leur travail auprès des détenus. Membre de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, Christine Boutin est issue d’une droite particulièrement conservatrice, identifiée comme telle depuis ses premières prises de position contre l’avortement. L’acte fondateur de sa visibilité médiatique a été son intervention dans l’hémicycle lors des débats parlementaires relatifs à la création d’un Pacte civil de solidarité (PACS) en 1998 : fermement opposée à la reconnaissance des couples homosexuels, elle aurait brandi une bible en en recommandant la lecture aux rapporteurs de la proposition de loi. Son investissement actif sur les prisons lors de la commission d’enquête de 2000 a permis à Christine Boutin de commencer à opérer un retournement de stigmate : elle a été remarquée sur une thématique de travail autre que la famille et, de surcroît, sur un sujet qui faisait alors consensus entre droite et gauche12. Depuis, Christine Boutin a fait sien le combat pour l’amélioration des conditions de détention. En la réintégrant, sa spécialisation parlementaire lui a permis de se voir confier des responsabilités sur d’autres sujets : elle a ainsi été chargée d’une mission sur l’isolement et la pauvreté. Son investissement en tant que présidente du groupe d’études « Prisons et conditions carcérales », qu’elle a créé à la fin de la 12e législature, a parachevé sa réintégration. Son travail sur les problématiques pénitentiaires dans une période où celles-ci n’étaient plus vraiment à l’ordre du jour a forcé le respect de ses pairs. Au bout d’un certain temps, Christine Boutin est devenue une femme politique plus consensuelle, appréciée à droite comme à gauche de l’hémicycle. Cette nouvelle aura a contribué à son accession à la fonction de rapporteure sur le projet de loi relatif au droit au logement opposable. En 2002, Christine Boutin avait été candidate à l’élection présidentielle sous la bannière de son parti, le FRS. Elle avait alors recueilli 1,19 % des suffrages exprimés. À l’approche de la nouvelle élection de 2007, elle envisageait de se représenter avec le slogan « la droite humaine », pensé à l’encontre de la philosophie de la droite UMP alors au pouvoir, à laquelle la députée des Yvelines s’opposait notamment à travers son travail sur les prisons. Après une négociation avec le candidat de l’UMP Nicolas Sarkozy qui voulait éviter l’éparpillement des voix, elle a retiré sa candidature. Elle s’est ensuite vu offrir un poste au gouvernement en qualité de ministre du Logement. Dans l’exercice de ses fonctions, elle avait lancé un programme expérimental pour le logement des sortants de prison.

11Pour le député Jacques Floch, l’anoblissement des questions carcérales sur lesquelles il était investi depuis longtemps, est venu couronner une trajectoire sociale déjà ascendante, via l’accès à des mandats politiques nationaux et à un statut professionnel plus élevé. Député socialiste de Loire-Atlantique de 1981 à 2007, il a bâti sa carrière sur un ancrage local très fort. Entré à l’Assemblée nationale en 1981, il se voit affecter à la commission des lois en raison de sa qualité d’élu local dans le contexte des lois de décentralisation. Conseiller régional des Pays de Loire, conseiller général de Loire-Atlantique et maire de Rezé (ville moyenne de la banlieue de Nantes), le technicien agricole qu’il est alors se retrouve dans cette commission où professions juridiques et haute fonction publique sont sur-représentées. En 1993, alors que son groupe politique redevient minoritaire au Parlement, Jacques Floch, devenu vice-président de la commission des lois, se voit confier le budget de l’administration pénitentiaire, traditionnellement attribué à l’opposition, sur lequel il rédigera le rapport annuel (1993-1997). Avant 1993, Jacques Floch n’avait qu’une connaissance très succincte de la prison : juré de cour d’assises en 1971, il avait visité la maison d’arrêt de Nantes avec le Procureur de la République. La première étape de l’apprentissage de Jacques Floch sur la prison fut donc le travail de rapporteur budgétaire, avec le choix personnel d’investir activement cette activité routinière, en visitant des établissements pénitentiaires. Son travail de rapporteur a permis à Jacques Floch d’acquérir une expérience et des connaissances reconnues par ses pairs qui lui valurent de progresser dans la hiérarchie de la commission des lois en accédant à la fonction de rapporteur au budget de la Justice, lors du changement de majorité de 1997. Lorsque la commission d’enquête sur la situation des prisons françaises se met en place en février 2000, Jacques Floch dispose déjà d’une solide connaissance de la prison qui fait de lui le candidat incontesté à la fonction de rapporteur. Les savoir-faire et ressources accumulés pendant des années dans l’ombre de l’opposition, dans les coulisses de la commission des lois, sur un sujet peu visible trouvent ainsi une occasion de s’exprimer publiquement au sein de la chambre parlementaire mais aussi à l’extérieur de celle-ci. Pendant les travaux de la commission d’enquête, jusqu’à la remise du rapport parlementaire, Jacques Floch jouira d’une importante couverture médiatique tant locale, dans son fief de Loire-Atlantique, que nationale. L’année qui a suivi la commission d’enquête a été particulièrement riche pour Jacques Floch : en janvier 2001, il a prêté serment comme avocat et en septembre 2001, il a été nommé secrétaire d’État à la Défense. Si sa nomination au gouvernement n’est qu’indirectement liée à son travail au sein de la commission des lois, son accession à la profession d’avocat l’est, quant à elle, directement. Il a fait reconnaître son expérience de député au sein de la commission des lois par l’université de Nantes qui lui a délivré en 1993 un Diplôme d’études supérieures spécialisées en droit public, au titre de la validation des acquis professionnels. Le diplôme de recherche qu’il a ensuite présenté avec succès en 1995, et grâce auquel il est devenu docteur en droit public, avait pour sujet la commission des lois elle-même, son histoire et son fonctionnement. Grâce au capital relationnel forgé dans le cadre de ses activités de rapporteur à la commission des lois, il a accédé à la profession d’avocat en 2001, en étant dispensé du CAPA. Lors de sa prestation de serment médiatisée, en présence de personnalités des milieux juridiques, le député de Loire-Atlantique a été présenté comme un défenseur des droits de l’Homme, notamment en raison de ses prises de position en faveur de l’amélioration des conditions de vie des détenus.

  • 13 Pauline Dreyfus, Robert Badinter : l’épreuve de la justice, Paris, Éditions du Toucan, 2009.
  • 14 Robert Badinter, La Prison républicaine, Paris, Fayard, 1992.
  • 15 Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, Paris, Le Cherche Midi, 2000.
  • 16 Entretien avec Robert Badinter, mars 2007.
  • 17 Loi no 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irrespo (...)

12Qu’elles soient traitées à l’échelle nationale ou européenne, les problématiques pénitentiaires le sont toujours sous l’angle de la défense des droits de l’Homme par les parlementaires spécialistes. Certains d’entre eux ont bâti leur carrière autour de la défense de ce type de causes, parmi lesquelles la prison a trouvé une place à un moment donné sans pour autant en être l’élément central. Il s’agit de parlementaires déjà connus et réputés avant les commissions d’enquêtes de 2000, fortement pourvus en capital culturel et social et ayant occupé des fonctions politiques élevées. Robert Badinter a contribué à l’anoblissement de la prison en 2000, en étant l’un des pionniers de sa traduction en termes de droits de l’Homme et en mettant son aura déjà acquise au service de sa construction comme problème public. Robert Badinter est connu pour être le principal artisan de l’abolition de la peine de mort en France, qu’il a combattue en tant qu’avocat de condamnés à mort potentiels dans les années 1970, puis en tant que ministre de la Justice lorsqu’il en a obtenu la suppression au début des années 1980. Considéré comme l’un des personnages marquants du XXe siècle, il jouit d’une aura et d’une autorité morale incontestée tant auprès des responsables politiques de tous bords que du grand public. Son intérêt pour la prison est lié à ses activités d’avocat pénaliste et sans doute aussi à son histoire familiale marquée par la déportation et l’extermination des populations juives13. Dans les années 1970, il est proche du Groupe d’information sur les prisons (GIP), fondé par des militants d’extrême gauche autour du philosophe Michel Foucault. Alors qu’il est garde des Sceaux, il fait introduire la télévision dans les cellules des détenus et développe les alternatives à la détention. Après son passage au ministère de la Justice, il se penche sur la prison d’un point de vue universitaire en animant, avec l’historienne Michelle Perrot, un séminaire dédié à cet objet de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales jusqu’au début des années 1990. Il en tire un livre intitulé La Prison républicaine14 dont la thèse centrale de la « loi d’airain » pèse encore aujourd’hui dans les débats publics sur la prison. Robert Badinter garde toujours un œil sur la prison et est l’un des premiers à réclamer la création d’une commission d’enquête parlementaire après la sortie de l’ouvrage de Véronique Vasseur15, au début de l’année 2000. Il est alors sénateur des Hauts-de-Seine, membre de la commission des lois où il s’est spécialisé sur les questions de justice. Si les sénateurs commissaires-enquêteurs, dont il fait partie, ont choisi de centrer leur travail sur les courtes peines et les maisons d’arrêt, Robert Badinter est préoccupé par la problématique des longues peines, indissociable selon lui de l’abolition de la peine de mort16. À la peine capitale se sont substituées des peines de prison de plus en plus longues pour des détenus de plus en plus âgés au moment de leur sortie, à laquelle la prison ne prépare pas. Dans cette optique, le sénateur Badinter s’est opposé à la loi sur la rétention de sûreté, visant à prolonger la détention des délinquants considérés comme dangereux à l’issue de leur peine17, votée sous la 13e législature. En parallèle, Robert Badinter milite pour l’universalisation de l’abolition de la peine de mort via la publication d’ouvrages et des prises de positions publiques.

  • 18 Louis Mermaz, Les Geôles de la République, Paris, Stock, 2001.

13Pour Louis Mermaz, qui se spécialise sur les zones privatives de liberté, après une carrière confirmée sur d’autres sujets, le travail sur la prison initie un tournant thématique dans la construction de ses mandats parlementaires. Professeur d’histoire, issu de l’École normale supérieure, il milite dans les années 1950 auprès de François Mitterrand. Bien implanté comme élu local en Isère, président du conseil général, maire de Vienne et député, il sera élu président de l’Assemblée nationale au moment de l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 jusqu’en 1986, puis nommé ministre des Transports, élu président du groupe socialiste de l’Assemblée nationale et nommé successivement ministre de l’Agriculture et des Relations avec le Parlement, jusqu’en 1993. Il investit un dernier mandat à l’Assemblée nationale sous la 12e législature (1997-2001) avant de rejoindre le Sénat où il siège jusqu’en 2011. L’investissement de Louis Mermaz sur les prisons en tant que président de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale se situe dans la seconde moitié d’une carrière politique de plus de 20 ans, déjà riche en responsabilités et en fonctions prestigieuses. Arrivé au Sénat en 2001, Louis Mermaz continue de travailler sur les prisons et élargit ses centres d’intérêt aux centres de rétention et zones d’attente réservés aux étrangers. Il leur consacre un livre en 200118. Pour un élu confirmé comme Louis Mermaz, le travail au service de la défense des droits de l’Homme vient couronner un parcours déjà accompli.

  • 19 Entretien avec Jean-Luc Warsmann, novembre 2006.

14Dans le cadre de l’analyse de la spécialisation parlementaire sur la prison, des élus membres de la commission des lois, spécialisés sur les questions de justice au sens large sans prédilection particulière pour la prison mais avec un investissement important sur celle-ci, sont également identifiables. Parmi eux, Jean-Luc Warsmann, député UMP ancien membre de la commission d’enquête de 2000 sur les prisons. Élu des Ardennes depuis 1995, le député Warsmann est vice-président du conseil général de son département d’élection, maire de la ville de Vouzy et président d’une communauté de communes. Juriste, diplômé de Sciences-Po, dirigeant d’une mutuelle avant d’être député, il est entré à la commission des lois en 1995 et ne l’a pas quittée depuis. C’est dans le cadre de celle-ci qu’il s’est spécialisé sur les thématiques pénales et pénitentiaires. Son investissement personnel important dans le travail parlementaire et sa grande maîtrise des procédures législatives l’ont vite fait remarquer par ses pairs. Il présente sa participation à la commission d’enquête de 2000, dont il a été l’un des membres les plus actifs, comme la suite logique de son travail à la commission des lois. Il mentionne également la présence d’une maison d’arrêt dans sa circonscription d’élection19. Alors qu’il était élu de l’opposition, Jean-Luc Warsmann a fait passer, contre l’avis de la garde des Sceaux, l’amendement sur le droit de visite des parlementaires dans les établissements pénitentiaires. En 2002, Jean-Luc Warsmann s’est vu confier une mission parlementaire sur la réinsertion et les courtes peines par le garde des Sceaux Dominique Perben. Cette mission a contribué à l’élargissement de l’intrusion parlementaire en prison via l’exploration d’un pan de la politique pénitentiaire et d’une catégorie de fonctionnaires de l’administration pénitentiaire jusqu’alors délaissés par les travaux parlementaires : le travail d’accompagnement social des personnes détenues et les Services d’insertion et de probation pénitentiaires (SPIP) qui le prennent en charge. Le « rapport Warsmann » issu de la mission est considéré comme une expertise de référence par l’ensemble des acteurs impliqués dans les politiques publiques pénitentiaires. La reconnaissance de cette compétence personnelle a marqué l’accession de J.-L. Warsmann au troisième niveau de spécialisation précédemment évoqué et sa « labellisation » comme expert par les groupes extérieurs. Jean-Luc Warsmann a ensuite tenté de faire passer une partie des préconisations de son rapport de mission par amendements, dont certains ont abouti. En 2005, il s’est vu confier la vice-présidence de l’Assemblée nationale et la présidence de la commission des lois, en 2007.

15Une fois les travaux des CE achevés et le projet de loi pénitentiaire du gouvernement socialiste remisé dans les armoires du ministère de la Justice, une dizaine de parlementaires spécialisés, formés dans le cadre des commissions d’enquête, ont continué à travailler sur la prison lorsque celle-ci s’est trouvé reléguée au second plan, ne faisant plus l’objet d’une médiatisation ou d’une mise à l’ordre du jour législative.

Mobilisations continues d’anciens commissaires-enquêteurs

16Une fois le travail transpartisan et consensuel terminé, les commissaires-enquêteurs réélus en 2007 sont revenus à un travail parlementaire plus quotidien, structuré par leur groupe politique d’appartenance. S’ils n’ont, pour la plupart, pas continué à s’investir sur les questions pénitentiaires à titre principal, ils ont diffusé leurs savoirs et savoir-faire pénitentiaires au sein de leurs groupes parlementaires respectifs, que ce soit en les portant eux-mêmes ou en passant le relais à leurs camarades de bancs. Les acquis des commissions d’enquêtes ont été réappropriés au sein de chaque groupe et mobilisés dans le cadre d’affrontements entre majorité et opposition parlementaires mais aussi de dissidences infra-majorité. Ils l’ont aussi été dans des arènes para ou extra parlementaires.

Oppositions parlementaires et reproblématisations partisanes

  • 20 Pour une définition élargie de la notion d’opposition parlementaire, cf. Nathalie Brack et Sharon (...)

17Sous la 12e législature (2002-2007), le travail politique sur la prison s’inscrit dans des logiques d’opposition aux actions en matière de justice du gouvernement en place qui débordent largement le cadre parlementaire20. Groupes parlementaires, groupe d’études mais aussi commissions de partis politiques accueillent des travaux sur la prison.

  • 21 Sur les définitions causales et conséquentielles des problèmes publics, cf. Chloé-Anne Vlassopoulo (...)

18Deux groupes parlementaires (annexe II) d’opposition ont conduit des travaux significatifs sur la prison : le groupe socialiste de l’Assemblée nationale et le groupe communiste du Sénat. Sur la période 2002-2007, le principal argument mobilisé par les parlementaires socialistes et communistes contre le gouvernement UMP consiste à désigner ce dernier comme responsable de l’aggravation des conditions de détention (surpopulation carcérale, augmentation du nombre de suicides dans les établissements) du fait de sa politique pénale répressive tendant à accroître le nombre de prisonniers. Cette construction du problème public de la prison engage une causalité proprement politique à des fins d’opposition : le gouvernement (et sa politique pénale) est en quelque sorte le problème et l’alternance politique devient la solution21. La problématisation en termes de droits de l’Homme, formulée quelques années auparavant, perdure mais l’apanage de la défense des droits fondamentaux est désormais revendiqué par les partis de gauche, tandis que les accusations portées par ces derniers se déplacent de l’administration pénitentiaire vers la droite gouvernante. Les groupes socialiste de l’Assemblée nationale et communiste du Sénat ont décliné cette définition des problèmes pénitentiaires tout au long de la 12e législature en se réappropriant les travaux et les dispositifs mobilisés au moment des commissions d’enquêtes de 2000 (CE). Six mois après le changement de gouvernement, en décembre 2002, le Groupe socialiste de l’Assemblée nationale (GSAN) dépose une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête sur l’augmentation du nombre de suicides dans les prisons françaises. Présenté sous l’égide de deux anciens commissaires-enquêteurs socialistes, Jacques Floch (ancien rapporteur) et André Vallini, ce texte fait référence aux rapports issus des CE. La charge critique à l’encontre des choix gouvernementaux témoigne d’une réappropriation politique de l’héritage de ces commissions.

« Il faut regretter que rien ne soit fait aujourd’hui pour modifier la situation de nos prisons et que le projet de loi pénitentiaire, inspiré directement du travail des deux assemblées et élaboré sous le précédent gouvernement, semble avoir été abandonné par l’actuel alors même que l’incarcération des délinquants, y compris des plus jeunes, est érigée en principe de sécurité publique. » (Extrait, proposition de résolution « tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’augmentation du nombre de suicides dans les prisons françaises », Assemblée nationale, no 449, 3 décembre 2002.)

19Faute d’être soutenue par une majorité parlementaire suffisante, la commission voulue par les députés socialistes ne verra pas le jour. Suite à l’appel lancé par un collectif associatif, les visites d’établissements pénitentiaires effectuées par ces derniers en juin 2004 s’inscrivent dans la même logique. Le secrétariat du groupe socialiste de l’Assemblée nationale était chargé du rassemblement et de la centralisation des données, individuellement recueillies par les élus au cours de leurs visites. La lettre d’incitation à la visite semblait davantage prôner le contrôle des politiques pénales gouvernementales que celui des conditions de détention ou de l’administration pénitentiaire. Il était en quelque sorte demandé aux députés de témoigner des dégâts occasionnés par les décisions du parti adverse.

« Nous dénonçons, spécialement depuis juin 2000 et la publication du rapport parlementaire Floch/Mermaz « la France face à ses prisons », la situation dégradante des établissements pénitentiaires. Nous connaissons son aggravation du fait d’une politique judiciaire qui confond prévention et répression et incite les juges à prononcer des peines de prison de plus en plus fréquentes et de plus en plus fortes notamment à l’encontre de personnes très jeunes. Il est bon que nous soyons en mesure d’apporter notre témoignage quant au traitement effectivement subi par les condamnés, aux conditions de travail des personnels et aux moyens mis au service de tous ceux qui œuvrent pour éviter la récidive ou la réitération délictuelle. » (Extraits, note interne du président du groupe socialiste de l’Assemblée nationale à ses membres, distribuée lors des réunions plénières hebdomadaires, 11 juin 2014.)

  • 22 PPL, Assemblée nationale, no 970, 25 juin 2003.
  • 23 PPL, Assemblée nationale, no 1769, 21 juillet 2004.

20En juin 2003 et juillet 2004 le groupe socialiste de l’Assemblée nationale a aussi déposé deux propositions de lois (PPL) respectivement consacrées à « la peine et au service public pénitentiaire22 » et à la création d’un « contrôleur général des prisons indépendant23 ». Ces deux PPL reprennent les travaux ministériels de l’ancienne garde des Sceaux socialiste Marylise Lebranchu sur l’avant-projet de loi pénitentiaire et les conclusions de la mission Canivet, mise en place par sa prédécesseure, Élisabeth Guigou, sur le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, repris dans les rapports parlementaires de 2000. La loi pénitentiaire voulue par l’ancienne ministre socialiste est ainsi réécrite sous forme de travaux parlementaires, d’abord dans sa totalité puis partiellement à travers la reprise de la seule mesure relative au contrôle extérieur, une fois le parti socialiste retourné dans l’opposition et ses deux anciennes ministres de la Justice redevenues députées. Les propositions sont toutes deux déposées sous l’égide de Marylise Lebranchu et, comme la proposition de résolution précédente, des deux anciens commissaires-enquêteurs, Jacques Floch et André Vallini. Elles sont, elles aussi, porteuses d’une valorisation des travaux des commissions d’enquêtes, à laquelle s’ajoute celle des travaux ministériels socialistes, et d’une critique implicite du bilan gouvernemental en matière pénale face auquel il s’agit de promouvoir une législation alternative.

« Il y a quatre ans, presque jour pour jour, deux commissions parlementaires, l’une formée de députés, l’autre de sénateurs, rendaient leur rapport sur l’état des prisons françaises […] Déposé en 2002 après une vaste concertation avec l’ensemble des professionnels concernés, un important projet de loi réformant l’administration pénitentiaire tirait les leçons des rapports d’enquêtes parlementaire et engageait la réflexion nécessaire sur le sens et l’efficacité de la peine. Deux ans plus tard, néanmoins, rien n’a été fait hormis un plan de financement de places de prison, un de plus ; une chape de plomb semble recouvrir à nouveau le problème des prisons de France. Pourtant, faisant suite au durcissement de la nouvelle politique pénale, les condamnations à des peines de prison ferme s’envolent et la situation dans les prisons s’aggrave […] Et pour quel résultat ? Une délinquance de plus en plus violente ; des mécanismes d’individualisation et d’adaptation de la peine en panne ; un danger de récidive accru… » (Extrait PPL « portant création d’un contrôleur général des prisons indépendant », Assemblée nationale, no 1769, 21 juillet 2004.)

  • 24 Pour exemples, les questions posées par Jean-Jack Queyranne, député socialiste du Rhône, au sujet (...)
  • 25 Sous la 12e législature, à l’Assemblée nationale, les motions sont les suivantes : « Renvoi en Com (...)
  • 26 Loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice.
  • 27 Orateurs des motions de procédures lors des débats législatifs autour de la LOPJ du 25 juillet 200 (...)

21L’intérêt pour le groupe socialiste de déposer ces propositions de résolution et de lois qui ne seront ni examinées en séance publique ni votées est de réaffirmer ses positions, notamment auprès des groupes extérieurs mobilisés (syndicats, associations), et de manifester publiquement son désaccord vis-à-vis du gouvernement. Les travaux produits par un groupe parlementaire d’opposition au cours d’une législature sont autant de matériaux entreposés en vue de l’élaboration de programmes électoraux et, en cas d’alternance, de futures politiques gouvernementales. Parallèlement au travail de réappropriation politique de l’héritage des commissions d’enquêtes de 2000, les groupes socialistes de l’Assemblée nationale et communiste du Sénat, mobilisent les moyens d’actions, traditionnellement dévolus aux groupes parlementaires d’opposition. Les séances de questions d’actualité ont ainsi été, à plusieurs reprises, le théâtre d’interpellations du ministre de la Justice UMP, Dominique Perben, par des parlementaires socialistes24. Dans le cadre des débats législatifs, il est de coutume que les groupes parlementaires d’opposition déposent et défendent des « motions de procédure », visant à faire reporter ou annuler l’examen parlementaire du projet, sur tout texte gouvernemental25. Émanant de l’opposition, ces motions n’ont pas vocation à être adoptées. Elles offrent aux parlementaires la possibilité d’exprimer publiquement leurs arguments sur des volumes de temps de parole supérieurs à ceux dévolus à d’autres types d’interventions. Les motions déposées par les groupes socialistes et communistes sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la justice (LOPJ)26, présenté au Parlement par le garde des Sceaux Dominique Perben à partir de l’été 2002, ont été défendues en séance par d’anciens commissaires-enquêteurs27, à une exception près. Lors des discussions générales, examens des articles et explications de vote, d’autres anciens commissaires se retrouvent également parmi les orateurs de l’opposition, de même que les deux anciennes gardes des Sceaux, Élisabeth Guigou et Marylise Lebranchu. Bien que la prison ne soit pas l’enjeu principal du texte débattu, dès qu’il s’agit de celle-ci, les anciens commissaires de l’opposition reprochent à l’actuelle majorité de ne pas avoir repris à son actif le projet de loi pénitentiaire de la gauche plurielle, de ne pas intégrer les préconisations des commissions d’enquêtes dans le texte instamment soumis au Parlement et par là-même de renier le travail auquel certains de ses élus avaient contribué.

Julien Dray, député socialiste, ancien membre de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale : « Dans votre texte, on ne trouve aucune trace de la bonne réflexion, transcendant les clivages politiques, menée par notre assemblée sur l’univers carcéral. […] Il y a quelques mois encore, nous dressions pourtant le constat accablant de la politique du tout carcéral […]. Ce constat n’était pas celui de rêveurs soixante-huitards, c’était le vôtre, c’était le nôtre. » (Assemblée nationale, 2e séance du 31 juillet 2002, compte-rendu intégral, p. 2468 et 2469.)

  • 28 Assemblée nationale, 2e séance du 31 juillet 2002, compte-rendu intégral, p. 2475.

22À l’Assemblée nationale, sur les bancs de la majorité, d’anciens commissaires-enquêteurs sont aussi présents, mais plus discrets, à l’exception de Jean-Luc Warsmann qui officie en qualité de rapporteur : les députés UMP Christine Boutin et Claude Goasguen interviennent dans la discussion générale et Hervé Morin, député UDF, n’est quant à lui inscrit que sur des discussions d’articles. Le rapporteur Warsmann répond aux remarques de ses anciens pairs enquêteurs en soulignant les avancées positives du texte, en lien avec les préconisations des commissions d’enquête (CE)28. C’est en quelque sorte une rivalité pour l’appropriation de l’héritage des CE qui s’exprime même si l’investissement de l’opposition sur ce terrain est nettement plus marqué que celui des membres de la majorité. Au Sénat, où les groupes communiste et socialiste sont fortement mobilisés autour de leurs anciens commissaires-enquêteurs respectifs, Robert Bret et Robert Badinter, les élus de la majorité, moins soumis à la discipline parlementaire, se permettent d’être plus critiques à l’égard du texte gouvernemental.

Georges Othily, sénateur UMP, ancien commissaire-enquêteur et rapporteur du budget de l’administration pénitentiaire : « Je constate la prise de conscience que traduit le texte quant à la situation d’urgence dans laquelle se trouvent nos prisons, véritable « humiliation pour la République », comme le rappelait une commission d’enquête sénatoriale. Si le projet de loi est très ambitieux concernant la construction de nouveaux établissements, la modernisation et la sécurisation de ceux qui existent déjà, il est, à mon grand regret, silencieux sur le recrutement et la formation du personnel pénitentiaire… » (Sénat, séance du 25 juillet 2002, compte-rendu intégral, p. 2087.)

23L’espace parlementaire ne fonctionne pas de manière autonome et ce qui s’y joue dépend de problématisations construites dans des espaces extra-parlementaires, et notamment au sein des appareils partisans.

  • 29 Entretien avec Nicole Borvo, présidente du groupe communiste du Sénat, juin 2005.

24Les partis politiques produisent eux-aussi des arguments et des programmes sur les questions pénitentiaires. Ces derniers nourrissent ce qui se dit au Parlement et inversement. Les « commissions justice », présentes dans toutes les organisations partisanes traditionnelles, comme il en existe sur les autres sujets de politiques publiques, se déclinent en groupes de travail thématiques restreints qui se réunissent régulièrement. La commission en milieu partisan s’apparente à la commission permanente d’une assemblée ou au groupe de travail thématique d’un groupe politique parlementaire, pareillement spécialisés. Les programmes électoraux et les conventions nationales des partis reprennent les productions de ces commissions thématiques qui accueillent en leur sein des adhérents du parti, élus locaux ou nationaux, professionnels des secteurs abordés et simples militants. Les membres des commissions sont souvent multi-positionnés dans des espaces politiques, syndicaux et professionnels imbriqués autour d’un sujet. À titre d’exemple, la commission justice du parti socialiste est présidée, de 2002 à 2007, par André Vallini, secrétaire national pour la justice de ce même parti, député membre de la commission des lois et ancien membre de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les prisons. Les représentations de la prison, construites au sein du Parti communiste français (PCF) et du parti Les Verts ont fait systématiquement l’objet de relais au Parlement. Au moment de la mise en place de la 12e législature, les élus du PCF forment un groupe parlementaire autonome à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Les élus du parti Les Verts, insuffisamment nombreux pour constituer un groupe, sont « non-inscrits » (NI). Les anciens commissaires-enquêteurs continuent de valoriser l’héritage des commissions auprès de leurs pairs tout en passant le relais à leurs collègues davantage spécialisés sur les thématiques pénales. Ainsi, le sénateur communiste des Bouches-du-Rhône Robert Bret, ayant quitté la commission des lois pour celle des affaires étrangères, se met en retrait au profit de Nicole Borvo, Sénatrice de Paris et présidente du groupe communiste du Sénat, commissaire aux lois. Le député de Gironde Noël Mamère, membre de la commission des affaires culturelles a, quant à lui, poursuivi son travail sur la prison en tandem avec sa collègue Martine Billard, députée de Paris, membre de la commission des lois. Les élus de ces deux fractions de la gauche d’opposition portent des problématisations de la prison insérées dans les argumentaires programmatiques de leurs partis politiques d’appartenance. Pour les élus communistes, la politique du gouvernement vise à incarcérer ceux qui ont été affaiblis par le système économique : jeunes, chômeurs et populations les plus pauvres. Les lois pénales sont mises au service d’une « justice de classe29 », préjudiciable aux laissés pour compte de la société. Le fonctionnement de l’économie de marché génère des exclusions qui créent la délinquance, sanctionnée par la prison. Cette construction désigne deux coupables, le gouvernement de droite et le système économique, et deux solutions, le changement de politique (l’alternance) et un meilleur encadrement du capitalisme (interdiction des licenciements et des délocalisations). La problématique de la lutte des classes, fondatrice du parti communiste, s’actualise dans la définition contemporaine de la prison portée par ses élus. Cette conception des problèmes pénitentiaires est à l’origine de leur mobilisation contre la création des établissements pénitentiaires pour mineurs et l’accroissement du nombre de places de prison.

Nicole Borvo : « La politique répressive de la droite est l’application du modèle libéral » […] « ce sont les nouvelles classes dangereuses du XXIe siècle que l’on retrouve derrière les barreaux : jeunes, étrangers, prostituées, pauvres » […] « les acteurs des luttes politiques et sociales sont réprimés ». (Forum « Justice, sécurité, liberté. Où va la droite ? Quelle autre politique pour une gauche au pouvoir ? », organisé par la commission justice du parti communiste au siège du PCF, 13 janvier 2006.)

  • 30 Sur les valeurs « post-matérialistes » défendues par les Verts, cf. Florence Faucher, Les habits v (...)
  • 31 Annie Collovald et Brigitte Gaïti, « Discours sous surveillances : le social à l’Assemblée », in D (...)

25Les positions communistes en matière pénitentiaire sont essentiellement élaborées au sein de la commission justice du PCF, présidée par Nicole Borvo, présidente du groupe communiste du Sénat, à laquelle participent les parlementaires communistes membres des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, parmi d’autres élus du parti, et notamment Henri Malberg, ancien dirigeant de la fédération de Paris et conseiller de la capitale. Le journal L’Humanité publie régulièrement des tribunes des membres de la commission justice, qui travaillent également avec des représentants de la CGT pénitentiaire. Les élus Verts, évoluant quant à eux dans un contexte d’organisation partisane moins structuré, problématisent la situation pénitentiaire en termes d’atteintes aux libertés individuelles, dont la défense est l’un des fers de lance de leur parti30. Sous prétexte de sécuriser la société, la politique de répression à tout crin du gouvernement, jugée liberticide, nuit aux droits les plus fondamentaux des citoyens. Les élus écologistes se mobilisent notamment contre la création de nouveaux délits et en faveur de certaines catégories de détenus dont ils estiment qu’elles n’ont pas leur place en prison : les étrangers en situation irrégulière, les condamnés pour délit de solidarité avec des sans-papiers et certains militants politiques. En règle générale, Les Verts se montrent assez critiques vis-à-vis de l’administration pénitentiaire. Noël Mamère a été le premier député à saisir la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) pour des atteintes aux droits perpétrées au sein d’un établissement pénitentiaire. Entre mars 2001 et juin 2004, il a saisi six fois la CNDS sur des dossiers pénitentiaires, dont quatre fois pour des cas de mauvais traitements ou de privations infligés à des détenus par les personnels de l’administration pénitentiaire. Les « matrices globales » des partis politiques jouent comme des « stocks argumentaires » mobilisables par leurs membres sur de multiples sujets, en l’occurrence ici sur les questions pénitentiaires31.

26Si les arènes parlementaires apparaissent comme des lieux de déclinaison et de relais d’argumentaires mis en cohérence au sein de groupes de pairs animés par des valeurs communes, elles reflètent aussi les dissensions et divergences traversant une même organisation, de même que les concurrences inter-partisanes, au-delà des affrontements entre majorité et opposition. À partir de février 2005, un groupe d’études parlementaire (annexe III) « Prisons et conditions carcérales » se met en place à l’Assemblée nationale à l’initiative de Christine Boutin, députée des Yvelines, ancienne commissaire-enquêtrice. Peuplé d’anciens commissaires-enquêteurs, ce groupe d’études fait figure d’émanation de l’ancienne commission d’enquête de l’Assemblée : on y retrouve aux postes de vice-présidents, Jacques Floch (socialiste, ancien rapporteur de la commission) et Michel Hunault (UDF). Jean-Luc Warsmann (UMP), Émile Blessig (UMP), Jacques Brunhes (communiste), François Loncle (socialiste) et André Vallini (socialiste) font notamment partie des membres du groupe, de même que l’ancienne garde des Sceaux socialiste Marylise Lebranchu. Le groupe d’études parlementaire « Prisons et conditions carcérales » (GEP) s’est réuni pendant presque deux ans, à raison d’environ une réunion par mois jusqu’à la fin de la 12e législature. Mais le GEP n’est pas seulement un vestige du consensus de 2000, il est progressivement devenu un lieu d’expression et un refuge pour les députés de la majorité désireux d’exprimer des réserves envers la politique conduite par le gouvernement en matière de justice. Ce glissement s’est opéré lentement avant de se donner à voir de manière saillante suite aux propos tenus par le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, dans un contexte d’examen en séance publique d’une proposition de loi consacrée à la récidive.

Suite au fait divers du meurtre d’une joggeuse par un ancien détenu, le ministre de l’Intérieur a proposé de durcir la législation sur la récidive et la libération conditionnelle. Ce matin, députés de droite comme de gauche sont remontés : le ministre Sarkozy surestime le phénomène de la récidive et véhicule une image tronquée de la réalité dans l’opinion qui ne peut que nuire au traitement politique des questions pénitentiaires. Ici, le discours « sécuritaire » du ministre choque les parlementaires, y compris ceux de l’UMP. (Récit d’observations, réunion du groupe d’études « Prisons et conditions carcérales », Assemblée nationale, 29 juin 2005.)

  • 32 Hervé Morin, « Sur la récidive, on flatte l’opinion dans le sens du poil », propos recueillis par (...)
  • 33 Assemblée nationale, 2e séance du 12 octobre 2005, compte-rendu intégral, p. 5197 à 5199.

27Après une audition particulièrement suivie du démographe Pierre-Victor Tournier, directeur de recherche au CNRS spécialisé sur les questions pénales, sollicité pour la circonstance par les membres du groupe, un amendement a été déposé au nom de ce dernier sur la proposition de loi relative à la récidive des infractions pénales, arrivant en discussion en séance publique à l’Assemblée nationale. L’amendement commun, daté du 6 octobre 2005, visait à « instituer un observatoire de la récidive et des infractions pénales ». Les parlementaires UDF membres du groupe, qui participaient à la majorité parlementaire tout en étant de plus en plus récalcitrants à voter les lois pénales et le budget de la Justice, ont adhéré à la démarche de l’amendement. Leur prise de distance par rapport à la discipline majoritaire s’effectuait d’autant plus aisément que le groupe UDF du Sénat avait déjà détricoté la proposition de loi sur la récidive en première lecture et que son président, Hervé Morin, ancien membre de la commission d’enquête sur les prisons, critiquait ouvertement la politique pénale du gouvernement dans la presse32. L’initiative du dépôt d’un amendement commun par un groupe d’études est rare dans l’univers parlementaire, ce type de structure n’ayant a priori pas vocation à intervenir dans les débats législatifs. L’amendement cosigné a été défendu en séance publique par le député Georges Fenech, l’un des principaux orateurs UMP sur la proposition de loi, membre du groupe d’études. Le gouvernement a toutefois refusé cette insertion législative au motif que la création d’un tel observatoire relevait de la voie réglementaire33. Les dissidences infra-majorité mises en évidence à l’occasion du débat parlementaire sur la récidive reflètent aussi les concurrences inter-partisanes déployées dans le champ politique dans un contexte pré-électoral. Au fur et à mesure que les élections de 2007 se rapprochaient, la présidente du groupe d’études « Prisons et conditions carcérales », Christine Boutin, se montrait de plus en plus critique envers le gouvernement et plus particulièrement à l’encontre de l’ancien ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, devenu entre-temps président de l’UMP et candidat à l’élection présidentielle. Son argumentation opposait le « tout sécuritaire » du projet de ce dernier à la nécessaire prise en compte de la personne humaine dans tout projet de société. Forte de sa légitimité parlementaire, en partie imputable à sa présidence active des travaux du groupe d’études, Christine Boutin devînt progressivement la principale voix discordante au sein de la majorité à l’Assemblée nationale mais aussi à l’extérieur. Candidate à l’élection présidentielle sous la bannière de son parti politique, le Forum des républicains sociaux (FRS) en 2002, elle envisageait de se présenter à nouveau en 2007. Son slogan était alors « la droite humaine », implicitement par opposition à la droite au pouvoir. De leur côté, les parlementaires UDF préparaient la candidature de leur leader, François Bayrou, alors présenté par les médias comme un challenger crédible de Nicolas Sarkozy.

28Sous la 12e législature (2002-2007), les avancées législatives en matière pénitentiaire sont rares mais cela ne signifie pas que les problématiques pénitentiaires ne sont plus investies. Leur traitement politique se déplace simplement des arènes publiques du travail législatif et d’enquête vers des arènes plus confinées et politiquement clivées : dans les petites équipes de travail des groupes parlementaires, dans les commissions thématiques des partis et les réunions parlementaires non publiques des groupes d’études.

  • 34 Le Nouvel Observateur, no 2139, 3-9 novembre 2006, p. 12-34.
  • 35 OIP, « États généraux de la condition pénitentiaire », Dedans-Dehors, no 58-59, janvier 2007, p. 6 (...)

29Sur cette période, quelques mouvements consensuels se forment toutefois, à la faveur d’événements tragiques ou d’initiatives extérieures. En témoigne les nombreuses réponses à l’appel fédérateur du Nouvel Observateur « Prisons : pourquoi nous avons honte34 », proposé à la signature de personnalités de tous horizons : responsables politiques, acteurs de cinéma, chanteurs, intellectuels, personnalités diverses. Plus de 200 signataires de tous les bords politiques ont soutenu cet appel, adressé au ministère de la Justice, parmi lesquels on retrouve trois anciens commissaires-enquêteurs de l’Assemblée nationale, Christine Boutin, Noël Mamère et Hervé Morin, ainsi que les anciennes garde des Sceaux socialistes, Marylise Lebranchu et Élisabeth Guigou. La prison n’a pas été oubliée par les élus. Pour preuve, en 2007, les programmes électoraux des principaux partis intègrent l’humanisation des conditions de détention parmi leurs propositions en matière de justice, même si ce n’est qu’en quelques mots. À l’issue des « états généraux de la condition pénitentiaire », vaste consultation par questionnaire des acteurs du milieu pénitentiaire organisée par l’OIP de janvier à mai 2007, les candidats à l’élection présidentielle, sollicités par l’association ont pris position en faveur de cette humanisation35. On peut lire dans ces mobilisations et prises de position, l’héritage des commissions d’enquêtes de 2000, entretenu et diffusé par leurs anciens membres.

Travail parlementaire hors les murs

30Dans un contexte où la prison est une thématique en recul à l’Assemblée nationale comme au Sénat et où le contexte sociopolitique (choix gouvernementaux, sensibilité sociétale sur la récidive) semble peu propice à l’humanisation des prisons, les anciens commissaires-enquêteurs ont franchi, souvent ensemble, les murs de l’institution parlementaire pour porter leurs convictions.

31À trois reprises, sous la 12e législature (2002-2007), des députés et sénateurs ont organisé des colloques publics, nommés « Rencontres parlementaires sur la prison », en fin d’année. Le colloque parlementaire est une manifestation publique para-parlementaire, organisée à l’initiative de députés et sénateurs ès qualités mais sans l’appui administratif et financier des chambres. Souvent liés à l’activité des groupes d’études, ces colloques prennent le nom de « Rencontres parlementaires » et se tiennent dans l’enceinte ou à proximité des chambres. L’organisation logistique est presque toujours assumée par des sociétés spécialisées (Agora Europe, Aromates, Rivington, etc.), également chargées de la collecte de fonds, destinés à financer l’événement, auprès d’entreprises privées ou de collectivités publiques. Les députés et sénateurs à l’origine des rencontres sollicitent des intervenants extérieurs, et notamment les ministres concernés qui viennent introduire où clôturer la journée, co-construisent le programme et les contenus des tables rondes avec la société de conseil ; ils nourrissent l’événement de leurs interventions et animent parfois les débats. Mais leur principal apport réside dans le label « parlementaire » dont ils estampillent les rencontres. Un équilibre droite gauche est la plupart du temps recherché afin de consensualiser le sujet porté et d’en élargir l’audience. Il en résulte que la grande majorité des rencontres parlementaires sont coparrainées par un parlementaire de gauche et un parlementaire de droite. Le « haut patronage » du président du Sénat ou de l’Assemblée nationale (mentionné comme tel dans les programmes) vient renforcer le label parlementaire, ôter toute connotation partisane et, éventuellement, élever les causes à défendre. Les rencontres parlementaires sont accessibles à tous, moyennant inscription et acquittement d’un droit d’entrée, le cas échéant. Elles suscitent des couvertures médiatiques variables. La première édition des rencontres parlementaires sur la prison a eu lieu en décembre 2004, à l’initiative de Christine Boutin (UMP) et de ses deux collègues anciens commissaires-enquêteurs, Jacques Floch (socialiste) et Jean-Luc Warsmann (UMP).

« En 2002, rien ne se passe. Il y a les élections présidentielles, nouveau gouvernement, nouvelle majorité. En 2003-2004, je ne vois pas grand-chose, moi, sinon des tendances qui ne sont pas obligatoirement celles que je souhaite […] En juin 2004, voyant que les choses ne bougeaient pas beaucoup et qu’en tout cas, ce que je voyais n’allait pas dans mon sens, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose et j’ai trouvé cette idée : les premières rencontres parlementaires. » (Entretien avec Christine Boutin, députée UMP des Yvelines, juin 2005.)

32Il s’agissait pour les anciens commissaires-enquêteurs de créer un espace d’expression politique sur la prison dans une période où celle-ci ne faisait pas l’objet d’une attention particulière au Parlement et au gouvernement. Les rencontres parlementaires sont adressées au ministre de la Justice qui vient traditionnellement clôturer les débats. Le message était le suivant : les parlementaires restent mobilisés en faveur de la défense des droits des détenus et suivent avec vigilance les évolutions actées ou projetées. Lors des deux éditions de 2005 et 2006, les relations entre les parlementaires initiateurs et le ministère de la Justice étaient particulièrement tendues : le garde des Sceaux Pascal Clément ayant été hué par les participants lors de la première, la suivante avait failli être organisée sans subvention du ministère et le ministre s’y était fait représenter par son directeur de cabinet. La question du financement de la première édition n’aurait déjà pas été exempte de tergiversations du côté de la place Vendôme.

« Avec le patronage du ministre parce qu’il faut financer ces choses-là ! Moi, je n’avais pas de moyens. Il fallait avoir le patronage de Perben. Du reste, ils avaient peur, je peux vous le dire ! » (Entretien avec Christine Boutin, députée UMP des Yvelines, juin 2005.)

  • 36 Moyenne d’après la participation aux éditions 2005, 2006 et 2007. Ces indications sont issues du d (...)
  • 37 Véronique Vasseur, « Prisons : aux actes ! », Le Monde, Horizons-débats, 27 novembre 2004, p. 20 ; (...)

33Il ne s’agissait pas seulement de manifester du mécontentement par rapport aux contenus des actions gouvernementales. Si ces rencontres parlementaires sont un des produits de la concurrence entre Parlement et ministère de la Justice pour l’appropriation des problèmes carcéraux, l’enjeu est aussi d’exister auprès des autres acteurs mobilisés autour de la prison : associations, administration pénitentiaire, journalistes, etc. Les interventions publiques des parlementaires lors des rencontres donnent à voir que députés et sénateurs restent non seulement parties prenantes dans le réseau d’action publique pénitentiaire, mais aussi incontournables dans celui-ci. La dénomination « rencontres » n’est pas anodine : en initiant ces colloques publics, les parlementaires spécialistes offrent aux autres acteurs l’opportunité de se rencontrer. Ils servent en quelque sorte d’intermédiaires entre des personnalités et des catégories d’acteurs qui n’ont pas nécessairement l’habitude de se côtoyer. Seules les rencontres parlementaires réunissaient en un même lieu le directeur de l’administration pénitentiaire, le président de l’OIP, les responsables des grandes associations de défense des droits des détenus et le ministre de la Justice, les parlementaires se positionnant de ce fait comme points de passage obligés pour les autres acteurs du réseau. Les responsables et intervenants associatifs ou religieux représentent en moyenne 40 % des participants aux rencontres36. Les représentants de l’Administration pénitentiaire (AP) au sens large représentent, quant à eux, 18 % des inscrits. Parmi ces derniers, les surveillants pénitentiaires et les responsables syndicaux sont très peu nombreux (8,5 % de l’effectif de l’AP et 5,8 % des effectifs totaux en moyenne) tandis que les fonctionnaires des services d’insertion et de probation sont les plus présents (40 % de l’effectif de l’AP et 7 % des effectifs totaux en moyenne). Les syndicats pénitentiaires de personnels de surveillance se retirent au fil des éditions, au profit des syndicats des conseillers d’insertion et de probation. Les professionnels de santé intervenant en milieu pénitentiaire sont aussi présents en fonction des thématiques abordées dans les tables rondes. Ils couvrent 9 % de l’effectif total des inscrits lors de l’édition 2006, dont deux tables rondes sont consacrées à la santé en prison, qui accueille également 9 représentants de la Direction générale de la Santé (DGS). Cette composition du public des rencontres reflète la prédominance des interlocuteurs privilégiés des parlementaires (secteur associatif) et l’intérêt de ces derniers pour les problématiques de réinsertion et de santé. Certaines associations et personnalités dénoncent l’inutilité des rencontres parlementaires37 qui n’impactent pas directement la situation pénitentiaire. L’intérêt de ce type d’évènement est à rechercher dans les appropriations symboliques, le maintien du sujet prison dans l’actualité parlementaire et les rencontres proprement dites qu’il permet. En tout cas, les travées des auditoriums ne désemplissent pas : 406 inscrits en 2005, 424 en 2006 et 436 en 2007. Les rencontres parlementaires sur la prison, annuellement organisées, ont fini par s’institutionnaliser et se routiniser. Si les trois premières éditions, entre 2004 et 2006, ont été organisées par d’anciens commissaires-enquêteurs, celles qui ont suivi sous la 13e législature l’ont été par leurs successeurs sur les sujets pénitentiaires, ce qui révèle une certaine continuité.

  • 38 Robert Badinter, « La prison ne peut s’améliorer qu’à la mesure de la société elle-même », propos (...)

34Les anciens commissaires-enquêteurs ont également poursuivi leurs engagements dans le cadre d’activités extra-parlementaires, proposées entre autres par des acteurs associatifs, dans lesquelles députés et sénateurs ne sont que des parties-prenantes parmi d’autres. Certains d’entre eux ont soutenu une campagne nationale de sensibilisation des autorités et du grand public en faveur du numerus clausus en prison, dont l’objectif était de promouvoir le respect du principe de l’encellulement individuel, inscrit dans le Code pénal. Des parlementaires engagés sur la prison ont apporté leur soutien à cette campagne, initiée par Bernard Bolze, ancien membre fondateur de l’OIP, et soutenue par de nombreuses associations, sous différentes formes : invitation des porte-parole de la campagne à intervenir lors d’une édition des rencontres parlementaires, diffusion de pétitions, interventions publiques lors de manifestations, entrées dans la cellule de prison reconstituée sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, etc. Les députés Jacques Floch et Christine Boutin, anciens commissaires-enquêteurs, se sont impliqués dans la campagne, de même que la députée UDF du Rhône, Anne-Marie Comparini, membre du groupe d’études « Prisons et conditions carcérales ». Autre initiative d’ancien commissaire-enquêteur visant à sensibiliser l’opinion sur la prison, le sénateur Robert Badinter, invité par le Musée du Louvre, a été à l’origine d’un cycle de conférences, débats, lectures et expositions intitulé « Regards sur la prison », du 5 novembre au 11 décembre 2005 à Paris. Dans l’interview de présentation de cette manifestation, Robert Badinter exprime clairement son souhait de faire exister la prison et ses problèmes dans le débat public par le biais de l’art, dans un contexte politique peu propice à sa prise en compte38. L’association Aide aux personnes en voie de réinsertion (APERI) a constitué un autre lieu de mobilisation pour la poignée de parlementaires actifs issus des commissions d’enquêtes de 2000. Présidée par Jacques Lerouge, ancien braqueur auditionné par les commissions d’enquêtes du Sénat et de l’Assemblée nationale en 2000, cette association avait pour objectif de créer une structure d’hébergement pour les sortants de longues peines âgés. Les anciens commissaires Jean-Luc Warsmann (UMP), Christine Boutin (UMP), Jacques Floch (PS, rapporteur de la CE de l’Assemblée nationale), Émile Blessig (UMP) et Jean-Jacques Hyest (UMP, rapporteur de la CE du Sénat) ont accompagné ce projet, perçu comme un prolongement des travaux et des engagements des commissions, dans un contexte poltico-législatif devenu défavorable.

« On avait quand même convaincu et l’administration, et le ministère des Affaires sociales et la Chancellerie de soutenir le projet. On avait obtenu la délégation de pouvoir et on était contents ! Moi, j’ai vu dans cet engagement le prolongement direct de la commission d’enquête. On sentait bien que la grande loi pénitentiaire ne verrait pas le jour. » (Entretien avec Émile Blessig, député du Bas Rhin, ancien commissaire-enquêteur, novembre 2006.)

35Leur rôle a consisté à mettre leur capital social et leurs relations au service de l’association. Les contacts pris avec les différentes autorités administratives avaient été concluants mais le projet n’a pas été mené à terme en raison de difficultés financières et surtout de la disparition de son principal promoteur, assassiné en février 2006 par un ancien détenu. Bien qu’avortée, l’expérience APERI a confirmé l’intrusion des parlementaires en prison et leur immixtion dans le réseau d’acteurs de prise en charge de celle-ci.

Enrôlement des non-spécialistes

  • 39 Cf. les ouvrages des députés André Vallini et Christophe Caresche, respectivement responsables des (...)

36Sous la 12e législature (2002-2007), tandis que la prison fait l’objet de reproblématisations et de constructions partisanes au sein des différents groupes politiques, les questions pénitentiaires continuent d’être portées par une petite minorité de parlementaires qui poursuivent leur investissement sur la prison par différentes actions, pour la plupart déployées en dehors des arènes publiques de la procédure législative et parfois même hors les murs du Parlement : organisation de colloques, investissements associatifs, etc. La diffusion des connaissances produites par ces spécialistes auprès de leurs collègues et camarades de bancs fait que l’intrusion parlementaire ne concerne pas seulement une petite poignée de connaisseurs mais les parlementaires dans leur ensemble. Depuis 2000, ce ne sont pas seulement les commissaires-enquêteurs qui font face à la prison mais le Parlement. Les membres des commissions des lois, spécialisés sur les questions de justice au sens large, accordent une attention croissante à la prison et lui réservent dorénavant une place dans leurs publications39. En règle générale, le niveau moyen de prise en charge parlementaire des problématiques pénitentiaires s’élève. Cette tendance, observée à la fin de la 11e législature, s’accentue sous la mandature suivante.

Graphique 1 : Évolution du nombre de questions écrites parlementaires sur la prison (1997-2007)

Graphique 1 : Évolution du nombre de questions écrites parlementaires sur la prison (1997-2007)
  • 40 Le terme « non-spécialistes » désigne ici les parlementaires qui ne sont pas affectés à la commiss (...)
  • 41 Observatoire international des prisons, Les Conditions de détention en France, Paris, La Découvert (...)
  • 42 Pascal Égré et François Vignolle, « Justice, prison, police, l’Europe accuse la France », Le Paris (...)
  • 43 Alvaro Gil-Roblès, Commissaire aux droits de l’Homme, Rapport au Comité des ministres et à l’Assem (...)
  • 44 Pour exemple : Question écrite no 76970 du député non-inscrit Édouard Leveau, membre de la commiss (...)

37L’accroissement de l’intérêt des non-spécialistes40 pour la prison peut être d’abord mesuré au regard du nombre de questions écrites consacrées aux questions pénitentiaires. Entre les 11e et 12e législatures, ce nombre reste élevé avec une forte augmentation en 2005-2006, liée à la publication d’un rapport de l’Observatoire international des prisons sur les conditions de détention41, largement diffusé auprès des parlementaires par ses auteurs, ainsi qu’aux déclarations très médiatisées42 du commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Alvaro Gil-Roblès, chargé d’un rapport sur les prisons des 32 États-membres43, qui avait affirmé lors de sa venue en France que les conditions de détention y étaient pires qu’en Albanie44. Moins d’un dixième des 616 questions écrites relatives à la prison, posées entre juin 2002 et juin 2007 à l’Assemblée nationale, l’ont été par des spécialistes de la prison. Il en va de même pour les 201 posées au Sénat, dont l’écrasante majorité sont portées par des sénateurs non-spécialistes. Seule une des 15 questions d’actualité, adressées au garde des Sceaux à l’Assemblée nationale sur la même période, émane d’un député spécialiste.

  • 45 Pour exemple, au sujet de la visite à la maison d’arrêt de Carcassonne de trois députés socialistes (...)
  • 46 Par exemple, dans sa Lettre « Parlons France, parlons Meuse » (année parlementaire septembre 2003- (...)
  • 47 Julie Joly, « Parlementaires, en prison ! », L’Express.fr, 17 février 2009.

38L’intérêt des non-spécialistes s’exprime aussi à travers l’utilisation qu’ils font des dispositifs créés au moment des commissions d’enquêtes. Ainsi, le droit de visite des parlementaires en prison est régulièrement investi par les élus non-spécialistes qui se rendent, le plus souvent, dans les établissements pénitentiaires de leurs circonscriptions, comme le montrent les articles de presse quotidienne régionale45 ainsi que les blogs et autres publications des élus46. Selon la direction de l’administration pénitentiaire, 83 parlementaires auraient fait usage de leur droit de visite en 200847. Les parlementaires spécialistes de la prison ont joué un rôle « moteur » en invitant leurs collègues à visiter des prisons.

« On a été quelques-uns à convaincre d’autres parlementaires, dans nos groupes respectifs ou dans nos départements, pour y retourner (visiter les prisons). Moi, par exemple, sur la maison d’arrêt des Baumettes, j’avais fait venir un député communiste, Frédéric Dutoit. Donc, on a tous essayé d’être un élément moteur. » (Extrait d’entretien avec Robert Bret, sénateur, ancien commissaire-enquêteur, juin 2005.)

Mme Boutin tient à souligner que la visite de M. Marc Bernier, vice-président du groupe d’études, à la maison d’arrêt de Laval a permis la parution dans Ouest France d’une double page sur les conditions de vie dans cette maison d’arrêt, preuve que toutes les actions des députés vers le monde carcéral sont porteuses de fruits. Elle invite donc les membres du groupe d’études à profiter de leurs vacances pour visiter, s’ils en ont la possibilité, un établissement pénitentiaire. (Extrait du compte-rendu de la réunion groupe d’études « Prisons et conditions carcérales » du 13 juillet 2005.)

39Le droit de visite et son investissement ont été progressivement intériorisés comme faisant partie du travail parlementaire.

40Des élus non-spécialistes, ainsi que leurs collaborateurs, sont ensuite présents lors des Rencontres parlementaires sur la prison. En 2005, ils sont 6 sur les 14 députés et sénateurs présents à ne faire ni partie des anciens commissaires-enquêteurs, ni du groupe d’études « Prisons et conditions carcérales », et à n’avoir aucune responsabilité en lien avec la prison (rapport budgétaire, mission, etc.). Ils sont 3 sur 8 en 2006 et 6 sur 14 en 2007. Les collaborateurs parlementaires viennent aussi en nombre non négligeable : ils sont 5 en 2005 et en 2006 et 8 en 2007.

41Par ailleurs, les saisines de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), mise en place en 2001, sont aussi investies par des parlementaires non-spécialistes, même si ces derniers restent peu nombreux. Sur les 25 saisines de la CNDS d’origine parlementaire, enregistrées entre 2002 et 2005, concernant des faits relatifs à l’administration pénitentiaire, 6 sont le fait de députés ou de sénateurs non-spécialistes de la prison. Ce chiffre n’est pas négligeable sachant que la création de la CNDS est alors récente et que la possibilité d’y recourir reste méconnue. Le sénateur Robert Bret et le député Noël Mamère, tous deux spécialistes de la prison et impliqués dans plus de la moitié des saisines de cette période, ont enrôlé d’autres parlementaires non-spécialistes dans des saisines collectives.

  • 48 La RIEP est un service de l’administration pénitentiaire, chargé de gérer l’offre de travail faite (...)

42Parmi les éléments concrets qui témoignent de l’émulation et de l’effet d’entraînement que le travail des spécialistes a pu susciter auprès de leurs collègues, initialement non avertis, on remarque le rapport du sénateur Paul Loridant consacré au travail en prison. Rapporteur spécial des comptes du Trésor pour la commission des finances du Sénat, Paul Loridant a choisi de consacrer son rapport d’information de 2002 à la Régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP)48.

« Chaque année, je donnais un coup de projecteur sur un dossier. […] Donc cette année-là, en 2002, j’ai choisi de donner un coup de projecteur sur la RIEP […] Il y avait eu les commissions d’enquêtes de l’Assemblée et du Sénat et avec l’administrateur on s’est dit : “tiens ça serait bien – ces deux rapports proposaient un certain nombre de choses – de donner sur un aspect particulier, qu’ils n’avaient pas spécialement creusé, un coup de projecteur complémentaire” […] Si vous regardez, au début je parle de l’équilibre des comptes mais en fait, ce qui est intéressant c’est de voir le problème de société qu’il y a derrière. » (Entretien avec Paul Loridant, sénateur de l’Essonne, mars 2005.)

  • 49 Paul Loridant, « Rapport d’information sur la mission de contrôle sur le compte de commerce 904-11 (...)

43La question du travail des détenus n’avait été qu’effleurée par les commissions d’enquêtes et le travail du sénateur Loridant vient compléter et élargir les apports de ces dernières. Mais l’élargissement ne porte pas seulement sur le champ de compétence thématique du Parlement sur la prison mais aussi sur l’audience des problématiques pénitentiaires au sein même de ce dernier : les sénateurs de la commission des finances, dont la prison était étrangère au portefeuille de prédilection, ont été sensibilisés à celle-ci par la présentation du rapport Loridant49.

Comment votre rapport a-t-il été accueilli au Sénat ?
« Les gens étaient intéressés, ils découvraient. Pour l’essentiel, ils découvraient ! »
Pourtant, il y avait déjà eu la commission d’enquête du Sénat…
« Oui, mais là, c’étaient ceux de la commission des finances. La commission d’enquête du Sénat sur les prisons, c’était la commission des lois »
Pourtant, le rapport de la commission d’enquête avait été présenté en dehors de la seule commission des lois…
« Oui, mais vous savez, quand on est parlementaire, on ne peut pas tout suivre ! » (Entretien avec Paul Loridant, sénateur de l’Essonne, mars 2005)

  • 50 Loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice.

44En juin 2002, le député Jean-Luc Warsmann a été à l’origine d’un amendement à la Loi d’orientation et de programmation pour la Justice (LOPJ) visant à supprimer certains prélèvements effectués sur le pécule des personnes détenues, reprenant directement une proposition émise dans le rapport Loridant. L’amendement ayant été adopté, après accord entre Jean-Luc Warsmann et le rapporteur du Sénat en commission mixte paritaire, une autre petite évolution législative est venue améliorer le quotidien des détenus : l’article 51 de la LOPJ50 supprime tout prélèvement pour frais d’entretien sur leurs revenus du travail.

45Lors des périodes de forte médiatisation de la prison, de mouvements de grèves de surveillants pénitentiaires ou d’incidents (évasion, suicides), le nombre de parlementaires intéressés par la situation carcérale augmente mais, même en dehors de ces phases particulières de saillance, la mobilisation parlementaire demeure nettement supérieure à ce qu’elle était avant les commissions d’enquêtes. Les connaissances et outils générés par les membres de celles-ci ne sont pas restés confinés dans des cercles de spécialistes, ils ont pénétré l’institution parlementaire. Cette pénétration s’inscrit dans la durée, d’une législature à l’autre, jusqu’à atteindre de nouveaux élus.

Héritages et socialisation des nouveaux élus

46Au cours de l’été 2007, la prison redevient d’actualité : le président de la République fraîchement élu, Nicolas Sarkozy, a multiplié les annonces concernant les prisons : abandon des grâces collectives, loi visant à prolonger l’incarcération des criminels récidivistes dangereux. Dès sa prise de fonction, la nouvelle garde des Sceaux Rachida Dati s’est engagée sur l’élaboration d’une grande loi pénitentiaire. Au gré des résultats des élections législatives de juin 2007 et de leurs trajectoires individuelles, certains spécialistes de la prison ont quitté l’Assemblée nationale. Leurs départs occasionnent des remaniements dans la configuration des parlementaires investis sur les questions carcérales, tandis que leurs activités sont reprises par d’autres députés. Dès leur arrivée, les nouveaux entrants de la commission des lois de l’Assemblée nationale se voient, en quelque sorte, socialisés à la prison, selon des modalités héritées de leurs prédécesseurs.

Passations de flambeaux entre députés

47Si en juin 2007, Jean-Luc Warsmann, réélu dans sa circonscription des Ardennes, accède à la Présidence de la commission des lois, deux spécialistes de la prison ont quitté l’Assemblée nationale : Christine Boutin a été nommée au gouvernement et Jacques Floch s’est retiré de la vie parlementaire. Les dispositifs qu’ils ont mis en place au cours de leurs précédents mandats ont survécu à leurs départs, en étant investis par d’autres. Parmi les parlementaires qui prennent le relais, on peut distinguer des héritiers revendiqués, suppléant et dauphin qui portent naturellement les flambeaux de leurs mentors en politique, et des héritiers involontaires, qui ont investi des dispositifs marqués par l’empreinte de leurs créateurs en composant avec les dépendances qui en résultent.

  • 51 PPL « visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire », Assemblée (...)
  • 52 En fin de législature, le groupe SRC de l’Assemblée nationale rédige un bilan des actions portées (...)

48Christine Boutin est nommée ministre du Logement en juin 2007. Comme cela est prévu dans le cas de nominations de députés au gouvernement, son suppléant a repris son siège à l’Assemblée nationale. Jean-Frédéric Poisson la remplace ainsi au sein de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Diplômé en philosophie et en droit social, fondateur d’un cabinet de conseil en ressources humaines et consultant en management et en relations sociales, il est devenu directeur de cabinet de Christine Boutin en 1994. Conseiller municipal à la Mairie de Rambouillet, le fief de cette dernière, pendant six ans, il sera ensuite élu maire de cette même ville en 2004. Vice-président depuis 2001 du Forum des républicains sociaux (FRS), le parti fondé par Christine Boutin, il s’inscrit pleinement dans la ligne politique de sa mentor. Marchant déjà sur ses pas au niveau local, sa qualité d’hériter se confirme sur le plan national lorsqu’il assure l’intérim de son siège de députée. Arrivé à l’Assemblée nationale, il reprend à son actif une bonne partie des « dossiers Boutin », parmi lesquels celui des prisons. Sa première entrée publique en la matière a lieu au moment des discussions parlementaires sur le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privations de liberté. Il sera également membre du groupe d’études « Prisons et conditions carcérales », créé par la députée des Yvelines, de même que l’un des parlementaires UMP les plus investis sur le projet de loi pénitentiaire. L’exemple de la passation des mandats et des dossiers entre Christine Boutin et Jean-Frédéric Poisson montre que les processus d’apprentissage et de transmission, en plus d’être collectifs, comme nous l’avons vu dans le cadre d’un groupe politique parlementaire, peuvent aussi revêtir une dimension inter-individuelle. L’héritage ne conditionne toutefois pas complètement le parcours des élus dans les assemblées. Après des débuts sur les questions pénitentiaires, aux moments où celles-ci étaient à l’ordre du jour, Jean-Frédéric Poisson travaille sur la bioéthique, une autre thématique de sa prédécesseure, puis s’oriente sur les problématiques de l’emploi et du travail (pénibilité, temps de travail, négociation sociale) dont il est chargé au sein de l’UMP. C’est sur ce dernier sujet qu’il s’est spécialisé à partir de 2008. Préparant sa retraite parlementaire, le député socialiste Jacques Floch a intronisé à l’élection législative de 2007 de sa circonscription celui qui a longtemps été son suppléant et qui avait occupé son siège de député lors de son passage au gouvernement en tant que secrétaire d’État à la Défense en 2001. Dominique Raimbourg est ainsi devenu député de Loire-Atlantique. Avocat pénaliste au barreau de Nantes, il accède à la commission des lois de l’Assemblée nationale et s’y consacre aux questions pénales et pénitentiaires. Sous la 13e législature il porte à la tribune de l’hémicycle le travail parlementaire du groupe SRC sur les thématiques relatives aux procédures judiciaires : aménagement des peines, juridictionnalisation, réforme de l’ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs, etc. Il intervient sur le texte instaurant un contrôleur général des lieux de privation de liberté et est l’un des co-responsables de l’examen du projet de loi pénitentiaire pour le groupe socialiste. Comme Jacques Floch l’était, il sera également membre du groupe d’études « Prisons et conditions carcérales ». En plus de reprendre les dossiers et sièges de son prédécesseur, il occupe le même bureau au Palais Bourbon et s’inscrit dans des réseaux d’alliés similaires, parmi lesquels l’OIP et le Groupe Mialet. Le passage de témoin entre les deux hommes n’a pas seulement été acté par les électeurs et les pairs parlementaires mais aussi par les groupes extérieurs mobilisés. Le député Raimbourg reprendra à son compte les arguments de la campagne nationale pour l’instauration d’un numerus clausus en prison, que Jacques Floch avait soutenue, via le dépôt d’une proposition de loi51. Ce texte, visant notamment à instaurer un mécanisme limitant le nombre des détenus au nombre de places de prison disponibles, a été collectivement soutenu par le groupe SRC et mis à l’ordre du jour de l’une des niches de ce dernier. Bien que non adoptée, la proposition de loi est tout de même intégrée au « patrimoine argumentaire » collectif du groupe SRC52, et par là-même susceptible d’être reprise dans des programmes électoraux ou des projets de lois en cas de changement de majorité parlementaire. Dominique Raimbourg se distingue de Jacques Floch par une approche plus technique du dossier prison. Sa profession d’origine le prédispose à maîtriser des dispositifs tels que les réductions et aménagements de peine. Les nouveaux députés de la 13e législature prennent la suite des précédents élus et bénéficient de l’accompagnement que leur groupe politique leur offre dans un contexte d’actualité des sujets pénitentiaires. Ils investissent ces derniers avec leurs styles respectifs, parfois liés à leurs professions d’origine. Suppléants et dauphins héritent de leurs mentors bien plus que le seul mandat de député. La succession porte aussi sur des dossiers thématiques, des postes parlementaires (sièges de commission permanente, de groupe d’études), des arguments à défendre et des relations préétablies avec des groupes extérieurs. À leur arrivée au Palais Bourbon, certaines orientations sont déjà fléchées pour eux, à condition qu’ils veuillent bien les investir : des réorientations dans la spécialisation sont possibles, comme le montre le parcours de Jean-Frédéric Poisson à l’Assemblée nationale. Quand il est investi, l’héritage de la spécialisation peut l’être selon des modalités et registres différents, propres à une nouvelle génération d’élus.

  • 53 Ces développements s’appuient sur des séquences de participation à l’élaboration de la stratégie d (...)

49Si Jean-Frédéric Poisson et Dominique Raimbourg s’inscrivent plus ou moins dans le sillage des spécialistes pénitentiaires qui ont fait d’eux leurs dauphins politiques, d’autres parlementaires ont été influencés de manière plus insidieuse par le travail antérieur de leurs prédécesseurs sur le mode de l’héritage inconsciemment intériorisé. Ce fut notamment le cas de Serge Blisko qui a repris sous la 13e législature la présidence du groupe d’études « Prisons et conditions carcérales », créé par Christine Boutin en 2005. Au moment de l’ouverture de la session ordinaire de 2007, la Présidence de l’Assemblée nationale a recensé les postes de présidents de groupes d’études vacants et, pour des raisons de répartition entre les différents groupes politiques, a décidé de confier celui des prisons au groupe SRC. Le président de ce groupe parlementaire, Jean-Marc Ayrault, a lancé un appel à candidature dans les rangs de ses élus et c’est le député parisien Serge Blisko, qui comptait déjà parmi les membres actifs de l’ancien groupe, qui s’est vu attribuer cette fonction. Serge Blisko s’intéresse à la prison à plusieurs titres. Député du 13e arrondissement de Paris depuis 1997, dont il a également été maire de 2001 à 2007, l’unique maison d’arrêt de la capitale, celle de la Santé, où avait démarré le scandale de 2000, se trouve sur sa circonscription d’élection. Cette approche locale l’a conduit à se rendre plusieurs fois en visite dans cet établissement, notamment pendant les commissions d’enquêtes de 2000, et à saisir la CNDS. La mise en œuvre de stratégies électorales partisanes a ensuite fait que Véronique Vasseur a été investie par l’UMP pour se présenter contre lui aux élections législatives de 2007. Si la prison n’a pas été explicitement mise en avant parmi les thématiques de campagne abordées en vue du scrutin de la 10e circonscription de Paris de juin 2007, elle n’en était pas moins un sujet sous-jacent : les portraits de Véronique Vasseur, contenus dans les tracts électoraux ou publiés dans la presse, mentionnaient son rôle de dénonciatrice des conditions de détention ainsi que son engagement en faveur de la défense des droits de l’Homme. Mais les éléments biographiques les plus déterminants dans la spécialisation de Serge Blisko sur la prison ont sans doute été sa profession de médecin psychothérapeute et sa fonction de président du conseil d’administration de Saint Anne, le grand hôpital psychiatrique de Paris. Son métier et cette fonction l’ont conduit à se pencher sur les questions pénitentiaires sous l’angle de la prise en charge médicale des troubles mentaux (dont souffrent près de 30 % des détenus), les praticiens hospitaliers de Sainte Anne étant compétents depuis la réforme de 1994 pour assurer les soins prodigués aux prisonniers de la Santé. Ayant jusqu’alors travaillé sur la prison à titre secondaire ou accessoire, Serge Blisko s’est vraiment spécialisé sur celle-ci sous la 13e législature, lorsqu’il a intégré la commission des lois de l’Assemblée nationale, après avoir été successivement membre de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales puis de la commission de la défense, lors de ses deux précédents mandats. Son intégration à la commission des lois a été un facteur déclenchant de son processus de spécialisation sur les sujets pénitentiaires. À la fin de l’année 2007, Serge Blisko a mis en place les travaux du nouveau groupe d’études parlementaire sur les prisons, dont le caractère novateur s’est vite avéré quelque peu limité. D’abord son intitulé « Prisons et conditions carcérales », repris par la présidence de l’Assemblée, demeure le même que celui du groupe présidé par Christine Boutin. Ensuite, les services de la commission des lois y ont affecté le même administrateur pour en assurer le secrétariat, la continuité s’exerçant jusque dans l’organisation administrative. Le bureau du groupe, constitué en 2007, reflétait à quelques aménagements près celui de 2005. L’organisation d’un colloque parlementaire en fin d’année 2008 est également apparu au nouveau président comme une nécessité pour donner de la visibilité aux travaux du groupe et à l’investissement parlementaire sur la prison auprès des groupes extérieurs mobilisés53, comme cela s’était précédemment fait. Serge Blisko a toutefois investi la fonction de président du groupe d’études de sa personnalité et de ses propres centres d’intérêt. Par exemple, la visite de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, effectuée en 2008, répondait notamment à ses préoccupations de praticien et à son intérêt pour les problématiques médicales. Tout au long des travaux du groupe, l’accent a été mis sur le travail, la formation et la santé. Si la plupart des interlocuteurs du nouveau président étaient les mêmes que ceux de Christine Boutin, les réseaux de médecins et de psychiatres se sont substitués aux personnalités religieuses qu’elle avait pour habitude de mobiliser de manière privilégiée, du fait de ses engagements auprès du monde catholique et de ses autorités. Les similitudes concernaient surtout les élus participants et les méthodes de travail, quasiment identiques d’un groupe d’études à l’autre. L’héritage n’était pas dénié : Serge Blisko a plusieurs fois fait publiquement allusion au travail de la députée des Yvelines, qui établissait elle-même le lien de succession, comme en témoigne cette anecdote.

« Christine Boutin a invité Serge Blisko au petit-déjeuner organisé au ministère du Logement sur le thème de l’hébergement des sortants de prison. J’ai retrouvé parmi les invités, certains membres du réseau de C. Boutin, parmi lesquels le président de l’OIP et le père Gilbert. Lorsqu’elle a présenté Serge Blisko à l’assistance, elle a dit qu’il était député de Paris en ajoutant : “Il continue le travail de groupe d’études que j’avais lancé sur la prison à l’Assemblée”. Elle l’en a chaleureusement remercié. » (Récit d’observations, petit-déjeuner au ministère du Logement, 7 octobre 2008.)

50Les travaux du groupe d’études « Prisons et conditions carcérales » ont contribué à faire reconnaître le député Serge Blisko comme spécialiste au sein et à l’extérieur de l’Assemblée nationale : ses collègues non-spécialistes le saisissaient régulièrement des demandes qui leur étaient adressées sur la prison et, après sa participation à quelques conférences publiques, il a fait l’objet de nombreuses propositions d’interventions sur les questions carcérales, adressées par les associations qui l’avaient identifié.

Apprentissages guidés

  • 54 Ces développements s’appuient sur des séquences d’observation participante au sein du groupe socia (...)
  • 55 Audition du délégué national de l’OIP, Patrick Marest, par le groupe SRC, le 3 novembre 2007.

51La session parlementaire ordinaire commence en octobre 2007 avec le traditionnel examen du projet de loi de finances. La première réunion à laquelle j’assiste54 au sein du groupe socialiste est une audition préparatoire à l’examen de la mission « Administration pénitentiaire », celle d’un responsable de l’OIP55. J’y découvre quelques-uns des nouveaux députés socialistes de la commission des lois. Découvrir l’univers parlementaire est quelque peu déroutant pour des néophytes tant il y a de choses à apprendre, de procédures, de codes et d’usages à intégrer. Appréhender celui de la prison ne se fait pas non plus en un jour et les députés fraîchement élus se heurtent à cette double complexité. Les nouveaux députés socialistes de la commission des lois entendent parler de la prison, qui occupe désormais de nouveau l’espace médiatico-politique en divers endroits. Inclue dans le portefeuille thématique de leur commission permanente d’affectation et constituant l’une des missions budgétaires justice du projet de loi de finances (PLF), elle a une place dans l’ordre du jour législatif et, par déclinaison, dans le programme de travail de leur groupe politique d’appartenance. Ces récents élus ont appris par leurs collègues que les parlementaires ont un droit de visite permanent dans les établissements pénitentiaires. Ils souhaitent s’y rendre, surtout si l’un d’entre eux se situe dans leurs circonscriptions d’élection. Mais comment s’y prendre ? Qui contacter ? Que demander à voir au sein de la prison ? Qu’y a-t-il de pertinent à observer en milieu pénitentiaire ? Telles sont les questions qui remontent vers les conseillers parlementaires du groupe socialiste. Dans un souci d’accompagnement des nouveaux députés, mais aussi d’harmonisation des informations transmises aux membres du groupe, les conseillers du groupe socialiste se lancent dans la rédaction d’un guide de visite. Diffusé auprès des députés du groupe, ce guide synthétise l’état des connaissances disponibles, fruits des expériences individuelles et collectives antérieures. S’il répond à des interrogations exprimées et trouve sa raison d’être dans la volonté d’aider les nouveaux élus, il n’en contraint pas moins leur découverte de l’univers carcéral.

  • 56 Sous la 13e législature, le groupe socialiste prend le nom de groupe « Socialiste, radical et cito (...)

52Parmi les nouveaux élus SRC56 de la commission des lois, un député se spécialise sur les questions pénitentiaires et intègre, en à peine quelques mois, le cercle restreint des spécialistes parlementaires de la prison. Jean-Jacques Urvoas fait son entrée à l’Assemblée en juin 2007, en qualité de député du Finistère. Adhérent au Parti socialiste (PS) depuis 1977, premier secrétaire de la fédération PS de son département d’origine depuis 2000 et président du groupe PS au conseil régional de Bretagne depuis 2004, il a un profil de militant investi dans les instances partisanes et les collectivités locales bretonnes. Sa profession de maître de conférences en droit public lui a permis de rejoindre la commission des lois dès son élection et aurait pu augurer d’une spécialisation parlementaire sur des thématiques telles que le droit des collectivités, la décentralisation ou l’intercommunalité. Malgré quelques interventions sur ces dernières, c’est essentiellement vers le droit pénal et pénitentiaire que Jean-Jacques Urvoas s’est tourné au début de son mandat. Au moins deux raisons peuvent être invoquées pour expliquer cette orientation : l’actualité législative et les opportunités offertes par la répartition des tâches au sein du groupe SRC de l’Assemblée nationale. Les discussions parlementaires sur le projet de loi instaurant un contrôleur général des lieux de privation de liberté ont été inscrites à l’ordre du jour de l’Assemblée trois mois après son élection : le contexte législatif donnait une forte saillance aux problématiques carcérales. Au sein du groupe socialiste, les candidats ne se bousculaient pas pour intervenir en séance publique sur ce texte, examiné lors de la session extraordinaire de septembre 2007, alors que le Parlement avait déjà siégé une bonne partie de l’été, quasiment sans interruption depuis les campagnes électorales harassantes des mois de mai (élection présidentielle) et juin (élections législatives). À la fatigue parlementaire venaient s’ajouter des arguments plus politiques : les députés socialistes ne pouvaient s’opposer à ce texte, qui constituait incontestablement une avancée en matière pénitentiaire et rejoignait leurs propres propositions antérieures. Il n’était toutefois pas question pour eux d’aller chanter les louanges d’un texte gouvernemental en séance publique. La réappropriation par la ministre de la Justice Rachida Dati (UMP) du projet de création d’un contrôle indépendant, élaboré par Élisabeth Guigou et repris dans le projet de loi pénitentiaire de Marylise Lebranchu en 2001, avait par ailleurs quelque peu agacé les deux anciennes gardes des Sceaux socialistes, qui avaient déserté l’hémicycle en guise de protestation. Finalement, au milieu des spécialistes et des « héritiers », du temps de parole disponible pouvait encore être attribué à de nouveaux députés. C’est dans cette brèche que Jean-Jacques Urvoas s’est engouffré en obtenant d’être responsable du texte pour le groupe SRC. C’est en grande partie à la faveur d’un assouplissement temporaire de la division du travail coutumière entre spécialistes et profanes au sein du groupe SRC que Jean-Jacques Urvoas est entré dans les dossiers pénitentiaires. Il est resté plongé un long moment dans ces derniers, investissant de manière particulièrement active son droit de visite parlementaire et mobilisant les réseaux d’alliés du groupe socialiste. Sur son blog, le député Urvoas raconte, pas à pas, sa découverte de l’Assemblée et de ses procédures qui se mêle à celle des enjeux la prison.

Document 4 : Extraits, Blog de Jean-Jacques Urvoas – http://www.urvoas.org/​

« Mes journées à l’Assemblée nationale »
Contrôleur général des prisons (1)
Publié le 8 septembre 2007
Depuis plusieurs jours, je travaille sur le projet de loi qui sera débattu bientôt à l’Assemblée visant à créer un poste de « contrôleur indépendant des prisons » […] Cette mesure, annoncée dès 1999 à la suite du rapport de la commission Canivet de juillet 1999, a été reprise dans les rapports de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale (2000) et de celle du Sénat portant sur la situation dans les prisons françaises. Mais rien ne s’est concrétisé depuis ces dates […] Le groupe socialiste décide mercredi prochain du nom de son responsable sur ce dossier. Je suis candidat.
Contrôleur général des prisons (2)
Publié le 12 septembre 2007
J’ai indiqué ici, le 8 septembre dernier, combien le projet de loi sur « le contrôleur général des lieux de privation des libertés » m’intéressait. Hier, j’ai donc participé à une longue après-midi d’auditions à l’initiative de Philippe Goujon rapporteur (UMP) destinées à préparer la discussion du texte. Du président de la commission nationale de déontologie de la sécurité au comité européen pour la prévention de la torture en passant par la commission nationale consultative des droits de l’Homme et au service de psychiatrie en milieu pénitentiaire, j’ai ainsi passé près de 5 heures en compagnie de trois autres députés à écouter les avis des uns et des autres […]
Contrôleur général des prisons (3)
Publié le 13 septembre 2007
Comme j’en avais formulé le vœu, j’ai été nommé par Jean Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l’Assemblée, coordonnateur pour le projet de loi « Contrôleur général des prisons »
[…] Si je crois maîtriser à peu près convenablement maintenant les enjeux du projet, il reste l’essentiel à accomplir : la préparation des amendements que nous allons tenter de faire adopter. Et dans ce domaine, j’ai tout à apprendre : la méthode, le calendrier, le cheminement.
Contrôleur général des prisons (4)
Publié le 18 septembre 2007
Pour la première fois, ce matin, j’ai activement participé à la commission des lois. Jusqu’alors, je m’étais prudemment cantonné à l’observation. Mais aujourd’hui, il fallait se lancer. Au nom de mon groupe, j’avais déposé, la veille, avant 17 heures, date limite, des amendements destinés à enrichir le texte. Durant deux heures, j’ai donc vaillamment – enfin j’espère – tenté d’argumenter, de convaincre, de fragiliser les certitudes du rapporteur. Las, je ne suis parvenu qu’à faire adopter les 2 plus petits. Et encore, essentiellement parce que la droite aussi dépose des amendements voisins […]
Il me reste une semaine pour préparer le débat dans l’hémicycle car les compteurs seront remis à zéro et l’on peut redéposer tous les amendements possibles.
Contrôleur général des prisons (5)
Publié le 25 septembre 2007
C’est aujourd’hui que débute, dans l’hémicycle, l’étude par l’Assemblée du projet de loi créant un contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ce sera l’occasion de ma première intervention. Sur le fond, je défendrai une motion de procédure dite « de renvoi en commission ». L’appel à une telle motion traduit l’approche constructive du groupe socialiste. Nous voulons amender ce texte et à cette fin, nous avons d’ailleurs déposé 30 suggestions de changement […]
Dans l’ordre du jour, il est prévu 4 séances pour travailler les 11 articles du projet. Cet après-midi à 15 heures, ce soir à 21 h 30 et demain aux mêmes heures.
Contrôleur général des prisons (1re partie – fin)
Publié le 26 septembre 2007
Et voilà, c’est fini. La première lecture du texte s’est terminée hier soir à 23 heures
Au total, nous y avons donc passé environ 7 heures. […]

53Au fil des mois, en s’appropriant des ressources préalablement constituées par ses prédécesseurs, Jean-Jacques Urvoas s’est forgé une compétence propre sur la question particulière des droits des personnes détenues qui a abouti au résultat suivant : deux ans seulement après son élection, il est co-responsable du projet de loi pénitentiaire pour son groupe politique et l’auteur de près de la moitié des amendements déposés par ce dernier sur celui-ci. Son statut de spécialiste a été reconnu tant par ses pairs que par les acteurs extérieurs : en décembre 2008, le président du groupe d’études parlementaire « Prisons et conditions carcérales », son collègue socialiste Serge Blisko, lui a confié la présidence d’une table ronde consacrée à ce sujet lors des rencontres parlementaires sur la prison. Parallèlement, Jean-Jacques Urvoas est fréquemment sollicité par les médias pour s’exprimer sur les problèmes pénitentiaires et demeure un élu référent pour les associations de défense des prisonniers. La légitimité acquise au sein de l’Assemblée a permis à Jean-Jacques Urvoas de donner une orientation plus nationale à sa carrière politique : démissionnaire de son mandat de conseiller régional après son élection comme député en 2007, il n’a pas sollicité la reconduite dans ses fonctions de premier secrétaire de la fédération PS du Finistère en 2008, devenant la même année vice-président du groupe SRC de l’Assemblée nationale puis secrétaire national en charge de la sécurité au parti socialiste en 2009. En 2012, il a été nommé président de la commission des lois et ministre de la Justice en 2016. L’exemple du parcours de ce député du Finistère met en évidence le renouvellement des spécialistes parlementaires de la prison. Il montre que ce renouvellement est facilité par les structures déjà mises en place qui permettent une socialisation rapide des nouveaux entrants. À la rentrée parlementaire de 2007, les coûts d’entrée dans le sujet sont abaissés du fait du stock de connaissances disponibles au Parlement. Par ailleurs, la forte médiatisation de la prison joue comme une incitation à la mobilisation des élus. D’un point de vue stratégique, la prison est devenue rentable pour eux.

  • 57 Source : <www.jeanmichelclement.com>, agenda du mercredi 28 novembre 2007.
  • 58 « Portrait. Le député-maire, entre Paris et Mauprévoir », L’Avenir Hebdo, 2 février 2010.

54Deux autres nouveaux députés SRC, sans pour autant s’engager dans un processus de spécialisation aussi poussé que Jean-Jacques Urvoas, se sont également ponctuellement engagés sur la prison. C’est le cas de Jean-Michel Clément, député de la Vienne, avocat de profession, lui aussi affecté à la commission des lois. Maire de la commune rurale de Mauprévoir (environ 650 habitants), depuis 1995, ses investissements parlementaires, fortement marqués par ce mandat local, ont plutôt été orientés vers le droit des collectivités locales, l’aménagement du territoire, l’agriculture et les solidarités. Cette orientation n’a pas empêché quelques interventions de sa part sur les questions de Justice et la prison, particulièrement saillantes lors de son entrée à la commission des lois et au groupe socialiste. Moins de six mois après son élection, la prison a déjà trouvé une place dans son agenda, publié sur son blog, avec notamment une visite d’établissement pénitentiaire et un colloque sur la récidive57. Il est assidu aux réunions du groupe d’études « Prisons et conditions carcérales », dont il est membre et sera l’un des co-responsables du projet de loi pénitentiaire pour son groupe. Il présente la discussion de ce texte comme un temps fort des travaux de la commission des lois dans son bilan de la 13e législature, posté sur son blog en 2012, et affirme en février 2010, lors d’une interview à un journal local qui retrace son parcours : « Plusieurs dossiers ont marqué le début de mon mandat de parlementaire. La loi pénitentiaire, votée en octobre dernier, a été l’un des plus gros morceaux58. » Lui aussi sera convié par des associations à des manifestations sur la prison.

  • 59 L’Hebdo des Socialistes, no 470, 15 décembre 2007.

55La députée de la Sarthe, Marietta Karamanli, elle aussi élue pour la première fois en 2007, fait son apprentissage de la Prison à la commission des lois, en suivant les mêmes parcours fléchés que ses collègues Jean-Michel Clément et Jean-Jacques Urvoas. Sa troisième intervention en séance publique après son entrée à l’Assemblée a lieu le 25 septembre 2007, lors de la discussion générale du projet de loi portant création d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté. Sa visite à la maison d’arrêt du Mans, le 22 novembre 2007, fait même l’objet d’un encadré dans un numéro de l’Hebdo des Socialistes consacré à la prison en décembre 200759. La députée est aussi l’auteure de plusieurs questions écrites au ministre de la Justice sur le système pénitentiaire. Marietta Karamanli ne construit pas de spécialisation sur un sujet particulier sous la 13e législature mais se mobilise ponctuellement sur l’ensemble des thématiques relatives à sa commission permanente. Son métier d’origine, enseignante contractuelle en génie mécanique dans un IUT, et ses mandats locaux, conseillère générale et adjointe au maire du Mans, ne semblent pas avoir influencé son travail parlementaire de manière significative. L’intégration de la prison dans les activités de cette députée généraliste de la commission des lois montre que ce sujet est devenu un point de passage obligé pour les membres de cette commission permanente, spécialisés ou non. Les exemples d’élus invoqués, de même que l’élaboration du guide de visite, mettent en évidence les processus collectifs de socialisation des parlementaires au sein de leur groupe politique d’appartenance.

56Entre la 12e et la 13e législature, la prison est passée dans les mains de nouveaux entrants, fraîchement élus ou auparavant peu investis sur ce sujet. Les chemins de la spécialisation sur lesquels ils évoluent semblent déjà partiellement tracés alors que leurs prédécesseurs avaient tout eu à construire une décennie auparavant. Mais les héritages institutionnels involontaires ne concernent pas seulement le milieu parlementaire. Pour préparer son avant-projet de loi pénitentiaire, la garde des Sceaux UMP Rachida Dati a mis en place un « Comité d’orientation restreint » (COR) qui, bien qu’un peu moins étoffé comme sa dénomination l’indique (27 membres au lieu de 33), de par sa composition et son rôle, ressemble beaucoup au Comité d’orientation stratégique (COS), installé par sa prédécesseure socialiste à la place Vendôme, Marylise Lebranchu, en 2001. Tout comme le COS, il réunit des représentants de l’ensemble des catégories d’acteurs du monde pénitentiaire : syndicats de personnels pénitentiaires, directeurs d’établissements, magistrats, avocats, responsables d’associations partenaires de l’administration pénitentiaire, auxquels s’ajoute le représentant d’une association de parents d’enfants victimes (APEV). Certaines des personnalités choisies avaient participé au COS. Les 120 préconisations du COR, rendues publiques en novembre 2007, recoupent par ailleurs largement celles émises par le COS : développement des peines non privatives de liberté et des aménagements de peines, encellulement individuel des détenus, etc. Une certaine continuité marque ainsi les actions conduites au ministère de la Justice en matière de prison par-delà les alternances partisanes. Il semble admis par les gardes des Sceaux successifs, quelle que soit leur couleur politique, que les projets concernant la prison ne peuvent plus être élaborés dans les arcanes confinés de leurs cabinets et de la direction de l’administration pénitentiaire. Un élargissement du nombre, et surtout des fonctions, des acteurs consultés est perçu comme nécessaire, ne serait-ce que pour garantir l’acceptabilité sociale du projet de loi envisagé. Le fait même d’annoncer et d’utiliser le terme « loi pénitentiaire » témoigne de l’intériorisation de la nécessité de passer par la loi pour réformer la prison. Il s’agit là d’une perception, née des dernières années de débats publics sur la prison, intégrant les revendications des nombreux acteurs du réseau de politique pénitentiaire qui se sont prononcés en faveur d’un traitement législatif des sujets carcéraux. C’est sous la 13e législature que ce traitement législatif va se concrétiser.

Notes

1 Loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002.

2 Anne-Laure Nicot, « La notion de spécialisation parlementaire », Congrès de l’Association française de science politique, Lyon, Atelier 12 : Parlements et parlementaires, septembre 2005.

3 Sur la spécialisation thématique des commissions parlementaires comme solution face à la complexification des activités politiques après la seconde guerre mondiale, cf. Subhash C. Kashyap, « A new parliamentary initiative. Subject-based standing committees of parliament », Economic and Political Weekly, October 6, 1990, p. 2273-2279.

4 Sur le rôle des groupes politiques parlementaires dans l’affectation des élus à des commissions ainsi que dans la coordination des différentes spécialités, cf. Shaun Bowler et David M. Farrell, « The organizing of the European Parliament : committees, specialization and co-ordination », British Journal of Political Science, vol. 25, no 2, april 1995, p. 236 à 240.

5 Les collaborateurs de groupe sont des salariés de droit privé, individuellement recrutés par les cabinets des groupes politiques qui se voient affecter par l’Assemblée nationale un budget dédié à leurs rémunérations.

6 Les collaborateurs de députés et sénateurs sont des salariés de droit privé dont le recrutement est laissé à la discrétion de chaque parlementaire qui se voit affecter une enveloppe par la chambre pour leur rémunération. Ils peuvent prendre en charge des dossiers législatifs, faire du travail de mobilisation politique ou du secrétariat selon les missions confiées.

7 Sur le rôle des “backgrounds” personnels, professionnels et territoriaux dans la specialisation individuelle des parlementaires, cf. Herbert B. Asher, « Committees and the norm of specialization », Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 411, 1974, p. 66 et 67.

8 Sur la specialisation comme stratégie d’ancrage de la carrière politique des parlementaires, cf. E. Lee Bernick, « Anchoring legislative carreers », Legislative Studies Quaterly, vol. 26, no 1, february 2001, p. 123-143.

9 Sur les processus de labellisation des déviants, cf. Howard S. Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1997, p. 38.

10 « Reliance often depends upon specialization that is members often turn to colleagues who are recognized as experts in various policy fields », cf. Herbert B. Asher, op. cit., p. 64.

11 « Leur attachement à l’Église exige de leur part qu’ils se saisissent des affaires du monde et qu’ils préemptent certaines causes défendues dans le champ de la solidarité sociale », cf. Julien Fretel, « Quand les catholiques vont au parti. De la constitution d’une illusio paradoxale et du passage à l’acte chez les militants de l’UDF », ARSS, no 155, 2004/5, p. 80.

12 Entretien avec Christine Boutin, juin 2005.

13 Pauline Dreyfus, Robert Badinter : l’épreuve de la justice, Paris, Éditions du Toucan, 2009.

14 Robert Badinter, La Prison républicaine, Paris, Fayard, 1992.

15 Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, Paris, Le Cherche Midi, 2000.

16 Entretien avec Robert Badinter, mars 2007.

17 Loi no 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

18 Louis Mermaz, Les Geôles de la République, Paris, Stock, 2001.

19 Entretien avec Jean-Luc Warsmann, novembre 2006.

20 Pour une définition élargie de la notion d’opposition parlementaire, cf. Nathalie Brack et Sharon Weinblum, « Pour une approche renouvelée de l’opposition politique », Revue internationale de politique comparée, vol. 18, no 2, 2011, p. 13-27.

21 Sur les définitions causales et conséquentielles des problèmes publics, cf. Chloé-Anne Vlassopoulou, La lutte contre la pollution atmosphérique urbaine en France et en Grèce. Définition des problèmes publics et changement de politique, thèse pour le doctorat de science politique, Paris, université Paris 2, 1999, p. 23.

22 PPL, Assemblée nationale, no 970, 25 juin 2003.

23 PPL, Assemblée nationale, no 1769, 21 juillet 2004.

24 Pour exemples, les questions posées par Jean-Jack Queyranne, député socialiste du Rhône, au sujet de l’abandon par le nouveau ministre des projets de réhabilitation des anciens établissements pénitentiaires de Lyon (no 91, 24 octobre 2002), et de François Liberti, député communiste de l’Hérault, sur la surpopulation carcérale et le manque de personnels (no 1506, 1er juillet 2004).

25 Sous la 12e législature, à l’Assemblée nationale, les motions sont les suivantes : « Renvoi en Commission », visant à suspendre la discussion jusqu’à la présentation par la commission saisie au fond d’un nouveau rapport ; « Question préalable », visant à faire décider qu’il n’y a pas lieu de délibérer ; « Exception d’irrecevabilité » visant à faire reconnaître que le texte proposé est contraire à des dispositions constitutionnelles.

26 Loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice.

27 Orateurs des motions de procédures lors des débats législatifs autour de la LOPJ du 25 juillet 2002 au Sénat : Robert Bret et Michel Dreyfus-Schmidt et du 31 juillet 2002 à l’Assemblée nationale : André Vallini, et Julien Dray.

28 Assemblée nationale, 2e séance du 31 juillet 2002, compte-rendu intégral, p. 2475.

29 Entretien avec Nicole Borvo, présidente du groupe communiste du Sénat, juin 2005.

30 Sur les valeurs « post-matérialistes » défendues par les Verts, cf. Florence Faucher, Les habits verts de la politique, Paris, Presses de Science Po, 1999, p. 80 et suiv.

31 Annie Collovald et Brigitte Gaïti, « Discours sous surveillances : le social à l’Assemblée », in Daniel Gaxie (dir.), Le « social » transfiguré, Paris, PUF-CURAPP, 1990, p. 17 et suiv.

32 Hervé Morin, « Sur la récidive, on flatte l’opinion dans le sens du poil », propos recueillis par Jacqueline Coignard, Libération, 5 octobre 2005.

33 Assemblée nationale, 2e séance du 12 octobre 2005, compte-rendu intégral, p. 5197 à 5199.

34 Le Nouvel Observateur, no 2139, 3-9 novembre 2006, p. 12-34.

35 OIP, « États généraux de la condition pénitentiaire », Dedans-Dehors, no 58-59, janvier 2007, p. 65 à 82.

36 Moyenne d’après la participation aux éditions 2005, 2006 et 2007. Ces indications sont issues du dépouillement des listes d’inscrits, mises à disposition par la société Agora Europe.

37 Véronique Vasseur, « Prisons : aux actes ! », Le Monde, Horizons-débats, 27 novembre 2004, p. 20 ; Laurent Mouloud, « Un colloque pour rien ? », L’Humanité, 1er décembre 2004 ; Dominique Simmonot, « Même avec la foi, les élus ne font pas la loi en prison », Libération, 3 décembre 2004.

38 Robert Badinter, « La prison ne peut s’améliorer qu’à la mesure de la société elle-même », propos recueillis par Bernard Géniès, Programmation à l’auditorium du Louvre du 5 novembre au 11 décembre, p. II et III.

39 Cf. les ouvrages des députés André Vallini et Christophe Caresche, respectivement responsables des questions de justice et de sécurité au parti socialiste : Christophe Caresche, Prison, peine perdue : Pour une autre politique de sécurité et de justice, Paris, Le Seuil, 2006. André Vallini, Justice pour la République. Réquisitoire contre le populisme, Paris, Éditions de l’Archipel, 2008.

40 Le terme « non-spécialistes » désigne ici les parlementaires qui ne sont pas affectés à la commission des lois (ou qui le sont sans avoir choisi de s’investir sur les questions pénales ou de participer de manière significative au travail parlementaire d’assemblée) et qui travaillent sur d’autres sujets que la prison dans d’autres commissions permanentes.

41 Observatoire international des prisons, Les Conditions de détention en France, Paris, La Découverte, octobre 2005.

42 Pascal Égré et François Vignolle, « Justice, prison, police, l’Europe accuse la France », Le Parisien, 11 février 2006 ; « La France critiquée dans le domaine des droits de l’Homme », L’Express, 11 février 2006 ; « La France, ex-patrie des droits de l’homme », 20 Minutes, 13 février 2006 ; Acacio Pereira, « Le Conseil de l’Europe s’inquiète de la situation des détenus dans les prisons françaises », Le Monde, 14 février 2006.

43 Alvaro Gil-Roblès, Commissaire aux droits de l’Homme, Rapport au Comité des ministres et à l’Assemblée parlementaire sur le respect effectif des droits de l’Homme en France suite à sa visite du 5 au 21 septembre 2005, Strasbourg, Conseil de l’Europe, février 2006.

44 Pour exemple : Question écrite no 76970 du député non-inscrit Édouard Leveau, membre de la commission des finances, non-spécialiste de la prison, Assemblée nationale, 1er novembre 2005.

45 Pour exemple, au sujet de la visite à la maison d’arrêt de Carcassonne de trois députés socialistes audois, qui n’ont jamais spécifiquement travaillé sur la prison, membres de la commission des affaires étrangères (Jacques Bascou et Jean-Paul Dupré) et de la défense (Jean-Claude Pérez) de l’Assemblée nationale, cf. « La surpopulation au banc des accusés. Les trois députés audois à la maison d’arrêt de Carcassonne », La Dépêche du Midi, édition « Aude », 5 juillet 2004.

46 Par exemple, dans sa Lettre « Parlons France, parlons Meuse » (année parlementaire septembre 2003-juillet 2004), adressée à ses électeurs, le député socialiste François Dosé, membre de la commission des affaires économiques, mentionne une de ses visites au centre de détention de Saint-Mihiel.

47 Julie Joly, « Parlementaires, en prison ! », L’Express.fr, 17 février 2009.

48 La RIEP est un service de l’administration pénitentiaire, chargé de gérer l’offre de travail faite aux personnes détenues par des entreprises privées extérieures.

49 Paul Loridant, « Rapport d’information sur la mission de contrôle sur le compte de commerce 904-11 de la Régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP) », Sénat, no 330, 19 juin 2002.

50 Loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice.

51 PPL « visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire », Assemblée nationale, no 2753, 13 juillet 2010.

52 En fin de législature, le groupe SRC de l’Assemblée nationale rédige un bilan des actions portées par les députés, comprenant notamment les propositions de loi déposées.

53 Ces développements s’appuient sur des séquences de participation à l’élaboration de la stratégie du groupe d’études « Prisons et condition carcérale », en qualité de collaboratrice de son président entre 2007 et 2009.

54 Ces développements s’appuient sur des séquences d’observation participante au sein du groupe socialiste de l’Assemblée nationale.

55 Audition du délégué national de l’OIP, Patrick Marest, par le groupe SRC, le 3 novembre 2007.

56 Sous la 13e législature, le groupe socialiste prend le nom de groupe « Socialiste, radical et citoyen » (SRC), en raison de l’intégration des députés radicaux et chevènementistes dans les rangs parlementaires des élus socialistes.

57 Source : <www.jeanmichelclement.com>, agenda du mercredi 28 novembre 2007.

58 « Portrait. Le député-maire, entre Paris et Mauprévoir », L’Avenir Hebdo, 2 février 2010.

59 L’Hebdo des Socialistes, no 470, 15 décembre 2007.

Table des illustrations

Titre Figure 3 : Lieux et niveaux de spécialisation. Exemple de la 13e législature à l’Assemblée nationale (GT : Groupe de travail interne au groupe politique parlementaire ; P : élu parlementaire)
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/73734/img-1.jpg
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Titre Graphique 1 : Évolution du nombre de questions écrites parlementaires sur la prison (1997-2007)
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