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|Chapitre I. L’accès à la terre
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1La répartition de la propriété foncière ouvre une voie privilégiée pour l’analyse de la structure sociale de la commune. Elle est schématisée ici par un relevé comparatif, aux dates successives d’établissement des matrices, du nombre des comptes par tranches de surface, et de la contenance globale de chacune (Tab. A). Les seuils des catégories de surface ont été étirés à la base (moins de 5 ha), resserrés au sommet (plus de 20 ha) pour s’ajuster aux caractères propres de la distribution foncière sur le territoire ; pour chaque catégorie de surface, une colonne complémentaire relève le nombre d’exploitants, actifs et retraités (tiré des recensements aux dates correspondantes).
2Sur la première matrice cadastrale (1837), la classification des 735 comptes de propriété témoigne de la grande inégalité de la répartition foncière, de la dispersion géographique et de la parcellisation des nombreux petits biens (fig. 3). La moitié du territoire (1193 ha) est détenue par 24 propriétaires de plus de 20 ha, pour la plupart nobles des châteaux environnants et citadins des villes proches, tandis que 543 comptes de moins de 2 ha, inscrits au nom de petits cultivateurs, journaliers et autres actifs ou retraités ruraux, en occupent à peine 12 %. Entre ces situations extrêmes, 168 comptes de 2 à 20 ha, appartenant pour les 2/3 à des chefs de ménage recensés comme « cultivateurs », ramassent 38 % du sol communal. Coïncident donc dans la commune une grande propriété essentiellement foraine et affermant ses terres, à l’opposé un semis de fonds de 2 ou 3 parcelles – dont bénéficient presque tous les ménages –, et en situation médiane une propriété paysanne petite et moyenne, celle des « laboureurs » et « bordagers » en place déjà dans les dernières décennies de l’Ancien Régime si l’on se réfère aux actes notariés de ce temps.
- 1 Unités formant bloc d’une vingtaine d’ha, qui dépendaient des domaines. Cette appellation, qui fig (...)
- 2 D’après l’observation de P. Bois dans des communes sarthoises proches, dans la période pré-révolut (...)
3À cette échelle très étirée des comptes de propriété se trouve corrélée l’hétérogénéité des formes de leur projection au sol. La grande propriété non paysanne inclut tous les « domaines », unités agricoles d’au moins 40 ha d’un seul tenant qui furent possessions seigneuriales, la plupart des « métairies1 » et de nombreux « bordages2 » à leur périphérie ; les petites propriétés parcellaires qui parsèment le territoire (dont plus de 400 sont des micro-fonds n’atteignant pas l’ha) ont figure soit d’ensembles d’un tenant autour d’un logis, soit de parcelles disjointes dans l’aire d’un hameau ; la propriété petite et moyenne des agriculteurs associe ordinairement un « noyau » de terres touchant les bâtiments de ferme, et des parcelles semi-dispersées plus ou moins proches.
- 3 À la Frênaie, un état des lieux en 1888 dénombre 15 parcelles pour un ensemble de 53 ha 80.
- 4 Le journal équivaut à 44 ares. Sur le coteau nord de la vallée de la Même apparaît nettement le co (...)
4Cette distribution foncière se projette sur le plan cadastral en un maillage de dimensions très contrastées (fig. 4 et 5). À l’ample découpage par pièces de plusieurs hectares des ensembles/blocs des domaines (au moins 40 ha) et des métairies (autour de 20 ha), sur les meilleures terres3, s’oppose le filet serré des parcelles de quelques dizaines d’ares entourant les hameaux de journaliers, sur les coteaux sableux et dans les fonds humides. On distingue schématiquement petite (5 à 10 ha) et moyenne (10 à 20 ha) propriétés paysannes, qui peuvent soit constituer exclusivement une exploitation, soit n’être qu’un « noyau » entouré de parcelles prises en location ; ces terres paysannes occupent les espaces laissés vacants par l’implantation des anciennes seigneuries et de leurs dépendances ; la contenance des parcelles y varie de 1 à 5 journaux4. Au recensement de 1836 domaines, métairies, fermes et bordages occupent 191 lieuxdits épars autour d’un bourg serré qui inclut aussi 5 unités agricoles.
L’emprise de la noblesse : vestiges d’histoire
- 5 Des habitants, aujourd’hui, donnent une interprétation de ce patronyme de consonance étrange dans (...)
5La disparité foncière que souligne celle du maillage parcellaire a une origine profonde dont on trouve trace dans la chronique tenue par l’abbé Voiturier, « installé curé de cette paroisse le 4 juillet 1850 », et qui, à partir d’archives éparses encore en place à son arrivée à la cure et à la mairie, mais aussi avec les informations « des anciens [...] consultés », de « descendants [...] interrogés », relate des bribes de l’histoire des « antiques manoirs ». La seigneurie reconnue comme la plus ancienne dans la paroisse – et probablement fondatrice – est celle de Blandé, où réside en 1450 messire de Saint-Berthevin, qui occupait la Fosse avant d’entrer par alliance dans la famille de Blandé. Le manoir de La Fresnaye, édifié à la fin du xvie siècle par un cadet de la maison de Blandé, a longtemps appartenu à la famille de Fontenay, dont un membre est inhumé dans l’église en 1641. En 1745 le fils d’une descendante des Fontenay, M. de Belzais, écuyer, fait donation du manoir contre rente viagère à René Charles de la Vye, conseiller du Roi, maître particulier des Eaux et Forêts du Perche, résidant à Bellême. En 1819 une petite-fille de ce dernier l’apportera en dot à un Tailfumyr5 de St Maixent.
- 6 [...] ancien maréchal des logis des gendarmes de la Garde du Roi, maître de camp de ses armées.
6Les attestations portant sur les dernières décennies d’Ancien Régime mettent en scène une noblesse locale dont les grands propriétaires figurant sur la matrice de 1837 sont les descendants. Ainsi, en 1754, des Bonnet de Bellou signent un acte de reconnaissance de rente à la fabrique de la paroisse, comme héritiers de leur mère Louise Gonevrot (écrit ailleurs Genevestot) de Blandé, fille et héritière de Jean, seigneur de Blandé, épouse à son décès de feu Messire Jean de Poupone Bonnet, chevalier seigneur de la Cour-Bonnet (manoir sis à Bellou, aujourd’hui ferme de la Cour). En 1775 décède au Désert messire Jean de Frébourg, seigneur de la Houdière et de Boulay en Blandé, époux d’une fille de François de Sallé (écrit ailleurs Sallet) seigneur des Loges. Après la Révolution le mariage d’une fille transporte ce domaine aux Tascher, dont les terres s’étendent sur la commune proche de Pouvrai. La Giraudière, au sud du territoire, passe des héritiers de Torcé (ou Torsay), résidant au château de la Matrassière sur la commune limitrophe de Préval, à Monsieur de la Martellière, seigneur de la paroisse de L’Hermitière. En 1772 Monsieur de Bonneval, – dont le père Antoine-Marc Deshayes, Sr de Villiers6 fut inhumé dans la nef en 1758, et dont le frère se nomme encore Deshayes de Bonneval, est l’héritier successeur à Villiers, et tient aussi les fiefs de « la Poignandière, la Bouchardière [Beauchardière], l’Aunai et autres lieux ».
7En dehors de ces familles nobles qui s’allient entre elles, et dont l’abbé Voiturier tente d’établir l’ancrage sur la paroisse et les alentours, on relève dans les registres paroissiaux la présence d’une aristocratie d’officiers royaux, – notaire, écuyer, secrétaire, « chevallier » – d’origine paysanne, qui se sont anoblis en accolant à leur patronyme le nom d’une terre achetée, certains accédant à des alliances avec la noblesse ancienne. Ainsi dans la descendance de Noël Petitgars, notaire royal en 1683 – premier de la série des notaires qui résident et officient à St Germain jusqu’en 1956 – figurent un « Sr de la Cointrie », un « Sr de la Garenne » (lieux-dits ne figurant pas dans le « Tableau de la population en l’an XIII ») ; la veuve d’un Petitgars se remarie avec Jean de la Boussardière, « Sr des Chaponnières », fils d’une Belzais et « conseiller du Roi » ; en l’an III la fille d’une Petitgars et d’un « Sr Moreau de Genetaye », se déclarant divorcée de son époux, notable de Bellême émigré, achète le Désert.
8Dès la période républicaine on ne trouve plus trace de noms de terre accolés à des patronymes paysans. Sur la liste des propriétaires « les plus hauts cotisés à la Contribution foncière », en 1837, ne figurent que des descendants de l’ancienne noblesse locale occupant les châteaux des communes limitrophes. Ainsi les Taillfumyr « dit St Maixent » possèdent, après les Belzais, la Frênaie, puis la Chartrie, Courtoulin, la Poultière (103 ha en tout) ; aux Tascher, de Pouvrai, sont revenus Villiers, son moulin et quelques bordages (85 ha) ; les Bonnet de Bellou restent maîtres de Blandé (78 ha) ; les Nollet de Mallevoue, dont la grand-mère avait acheté le Désert en l’an III (cf. supra), puis leurs descendants, sont propriétaires de ce domaine (62 ha) jusqu’à la vente à un agriculteur en 1905 ; les Descorches possèdent la Beauchardière, le Taillis, le moulin du Buat, la Hernaiserie (85 ha), qui reviendront assez vite aux Romanet de Beaune, leurs cousins de 3e degré dont une branche réside en 1985 au château des Feugerets sur la commune de la Chapelle-Souef, une autre au château de Gevraise sur la commune de Bellou. Enfin les Torsay sont propriétaires de la Bretèche, la Maillardière, la Gimbertière et de quelques bordages (84 ha). Moins présente aux alentours de la commune, et avec des fonds plus dispersés, la propriété citadine est représentée par un banquier, un chirurgien, un notaire, un marchand tanneur, un maître de poste, un receveur d’enregistrement. En tête de cette liste des plus grosses fortunes foncières de la commune figure cependant, avec 129 ha (dont les fermes de la Fosse, la Petite Vallée, les Maisons Neuves, et le Cheval blanc au bourg) JeanFrançois Lambert (1765-1848), « marchand de bois » et maire de la commune quand se met en place le cadastre, arrière-petit-fils de Messire Pierre Lambert, Sr du Portail, huissier royal dans la paroisse en 1730.
- 7 L’historien J. Vidalenc constate également le maintien de domaines importants, après la Révolution (...)
- 8 À la tête de généalogies paysannes figurant dans cette étude, on trouve dans le dernier tiers du x (...)
- 9 Comme l’évoquent les toponymes de la Bretèche, ou Champfort, et la tour de la ferme de Villiers qu (...)
9Dans la première moitié du xixe siècle, les anciens domaines seigneuriaux de St Germain restent donc, pour la plupart, propriétés de familles nobles dont aucune ne réside dans la commune7. Chacun rassemble 40 à 65 ha d’un seul tenant en vastes labours sur les flancs de coteau, en larges rubans de prés au long de la rivière Même. À leur lisière, certaines des métairies relevant de la même catégorie de propriétaires ont été achetées, dans les dernières décennies du xviiie, par des notables des petites villes proches, ou des ménages paysans enrichis dans le commerce du grain, du bois, de la laine ou du fil8. La structure agraire de ces ensembles fonciers apparaît figée depuis cette période. Elle l’est sans doute, dans ses grandes lignes, depuis les remembrements seigneuriaux qui dès le terme du xvie siècle stabilisent la contenance des fermes/manoirs ou fermes fortifiées9 et des métairies annexes en les clôturant de haies.
- 10 « une maison manable sans four et à cheminée, une chambre froide à côté, grenier dessus, un fourni (...)
10Chacune des plus grandes fermes est baillée à un fermier disposant d’un important matériel tiré par 8 à 12 chevaux, et qui emploie 6 à 10 domestiques à demeure. Lors de la vente du Désert en l’an III est décrit l’ensemble bâti correspondant à la mise en valeur de 60 ha10 : ce sont trois longues bâtisses, les « longères », enfermant une cour qui couvre près d’un hectare, avec puits et mare, et cernées de deux jardins et d’un clos.
- 11 D’après les observations de J. Vidalenc, op cit. p. 164.
11Le recrutement de l’aristocratie des « maîtres » de fermes s’étend aux fils de moyens propriétaires paysans des communes environnantes. Le capital actif que représente leur train de culture assure leur indépendance à l’égard des propriétaires, dont la pression n’apparaît guère dans les documents archivés, non plus que dans les témoignages vifs d’aujourd’hui. Jusqu’aux dernières décennies du xixe, « la stabilité de la grande propriété » [se trouve] « confirmée par celle des conditions de la vie agricole traditionnelle, associant le maintien d’un grand nombre d’exploitations minuscules11 » à l’économie dominante des grandes fermes. La majorité des fermes paysannes en propriété totale ou partielle ne se détachent que lentement, en raison de leur instabilité de contenance et d’occupation au gré des partages successoraux, d’une polyculture stagnante associée à un maigre élevage.
- 12 On dit : « Le Comte X. [châtelain d’une commune limitrophe], il avait sa sœur qui n’était pas mari (...)
12Les cadres de la grande propriété noble et bourgeoise restent figés jusqu’aux ventes qui s’échelonnent de 1870 aux dernières décennies du xxe siècle, au bénéfice surtout des ménages paysans. Les familles nobles pratiquent, comme les roturiers, la dévolution divergente, mais maintiennent le préciput à l’aîné. Les partages successoraux n’y ont pas l’effet de morcellement des unités agricoles qui affecte la propriété paysanne : la masse de ces successions comporte un nombre suffisant d’unités indépendantes – réparties sur plusieurs communes – pour que leur distribution n’en entame pas l’intégrité ; par ailleurs la dispersion des héritages est réduite dans ces familles grâce au taux élevé d’héritiers célibataires (féminins notamment)12, de vocations religieuses, de mariages renchaînés dans la parenté. Si bien que ces fermes restent au haut de l’échelle de contenance des unités agricoles de la commune jusqu’au début du xxe siècle.
13Parallèlement à cette immuabilité de leurs unités agricoles, les grands propriétaires favorisent la transmission familiale des baux, les fermiers de leur côté ayant intérêt à faire bénéficier leur descendance de la valeur acquise par les investissements du groupe domestique antécédent. L’agricultrice qui fut locataire de la Sansaudière (22 ha), propriété de descendants des Torsay, précise les étapes de reconduction du bail avant l’acquisition de la ferme par son ménage en 1955 : « les châtelains de Préval ne tenaient pas à changer de famille ; après le grand-père (son père) qui avait pris la ferme en location en 1917, c’est mon frère qui a succédé, et quand il est tombé veuf en 1942 et ne pouvait plus rester, ils ont voulu que ce soit mon mari, qui a donc repris en rentrant de captivité en 1945 ». Cette « patrimonialisation du bail », selon la formule de B. Derouet, est illustrée par la figure de renchaînements d’alliance (II, fig. 17) dessinant la continuité généalogique des locataires des fermes appartenant aux châtelains de Bellou de 1830 à 1980. « Dans le temps c’était seulement les petites propriétés qui appartenaient aux pauvres paysans, tout le reste, les 3/4 du terrain ou plus, c’était à la noblesse. »
- 13 Terme d’adresse et de référence encore usité par les anciens cultivateurs modestes propriétaires m (...)
14Les habitants constatent qu’aujourd’hui, dans leur commune, la propriété paysanne, et en tous cas roturière, domine. Ils mentionnent non sans considération, mais comme les traces d’une histoire qui n’est plus la leur, les grandes propriétés nobles et bourgeoises qui se sont maintenues dans des communes proches : « le château de Bonnétable c’était très grand, ils avaient 14 fermes, ça venait jusque par ici [...] ils ont presque tout vendu [...] à Avezé le château ils ont 6 à 700 ha de bois et terres [...] les fermes des châtelains de Pouvrai ça occupe tout le long de la route jusque près de Mamers [...] ce sont des gens ils donnent des fermes pour leur mariage à leurs petits-enfants ». Des quelques familles résidentes d’origine paysanne enrichies par les acquisitions foncières de leurs ascendants, on reconnaît qu’« ils sont plus que des chatelains même s’ils ont pas de château, et ceux qu’on appelait “maître13” on les appelle maintenant “Monsieur” ».
La propriété paysanne
La matrice de 1837
15La moitié des terres de la commune se trouve dispersée en 1837 entre plus de 700 propriétaires, ménages paysans essentiellement, mais aussi artisans, commerçants, petits notables, journaliers et petites gens vivant des activités de transformation élémentaire des ressources de la campagne.
- 14 L’appréciation de la réalité que recouvrent ces désignations doit s’appuyer sur des données complé (...)
- 15 Parmi lesquels un maréchal, un couvreur, un cabaretier, des menuisiers, un boucher.
16Près de la moitié des 543 propriétaires de moins de 2 ha résident hors de la commune, mais dans son proche environnement. Dans un sondage au tiers des 109 cotes de 1 à 2 ha on dénombre 25 habitants, en majorité « journaliers » et « cultivateurs14 », mais aussi cordier, sacriste, fille couturière, tueur de cochons, maçons, veuve, cuiseur de charbon. Sur 92 propriétaires de 2 à 5 ha, on trouve 62 cultivateurs dont 44 résident, ainsi que 9 artisans et commerçants15. La moitié seulement des 46 cultivateurs propriétaires de 5 à 10 ha résident dans la commune ; dans cette catégorie on dénombre des héritiers, résidant dans les communes environnantes, de familles paysannes dont les patronymes figurent dans le « Tableau de population de l’an XIII ». Sur 30 propriétaires de 10 à 20 ha, 14 exploitent leurs fonds, 5 cultivent ou ont cultivé dans des communes proches ; on relève aussi trois patronymes de la noblesse et cinq de la bourgeoisie – parmi ces derniers deux notaires et un huissier.
17La majorité des propriétaires de moins de 2 ha cultivent eux-mêmes leurs terres, même s’ils déclarent une activité autre qu’agricole, comme ce maçon dont l’inventaire après décès, en 1839, relève non seulement une maison et une écurie qu’il a construites, mais 29 ares de méteil emblavés sur un petit champ acheté.
18La petite propriété de 1 à 5 ha est fréquemment le fonds d’un « bordage », dont le chef de ménage échange éventuellement son travail contre le prêt d’un cheval ou d’un outil, occasionnellement d’un salaire. Au delà de 6 ha l’économie du bordage, les années de bonne récolte, peut dépasser l’auto-suffisance ; on vend le lait et les veaux d’une ou deux vaches, un peu de grain et de chanvre. Une bonne part des bordages sis à la lisière d’un domaine se trouvent inclus dans les biens nobles.
19Une cote analogue s’inscrit aussi au nom de fermiers des métairies. J. Guérin, qui a le bail de Villecenée (25 ha), est propriétaire de 2 ha 84 au lieu voisin de la Poignandière ; Ch. Giraud, fermier à Villiers, possède 3 ha 14 non loin des terres prises à bail. Dans l’un et l’autre cas on peut avancer l’hypothèse d’achats visant l’extension de l’ensemble cultivé, et ultérieurement la disposition d’un petit bien où s’installer pour la retraite. Les faits cependant s’opposent à toute vérification. J. Guérin décède avant 1846, toujours fermier à Villecenée, où réside sa veuve. Ch. Giraud, acquéreur en 1831 auprès du ménage de la sœur de sa première épouse, décède prématurément, en 1839, à Villiers, au lendemain d’un second mariage.
20Cette tranche de propriété est accessible encore à des artisans et marchands du bourg. Leurs donations-partages font état non seulement de maisons et jardins, mais aussi de labours et prés. Ce sont des lots soit hérités, soit achetés parce qu’« avoir de la terre » rehausse la position, est le pivot de toute considération sociale. En 1845 le menuisier Jacques Lebreton fait donation à ses 5 enfants de 3 maisons avec 2 jardins au bourg, de 4 labours et de portions de pré – l’origine de ces biens, mentionnée dans l’acte, est « en grande partie par acquisitions ». Les 3 enfants d’un de ses frères, aussi menuisier, héritent en 1851 d’une maison au bourg et d’un bordage en campagne avec 1 ha 80 de labours. En 1844, un « marchand épicier » partage plus de 5 ha entre 5 héritiers – deux marchands, un commis voyageur, un menuisier, une ouvrière en linge – : avec 3 petits fonds sis hors de la commune, hérités de collatéraux de son épouse, la donation comprend, « par acquisitions », 2 maisons avec 3 jardins, et des labours, prés et taillis. En 1871, « 2 pièces en labour », en sus de 4 maisons avec jardin au bourg, sont dévolus à 3 héritiers par un « arpenteur et receveur buraliste » dont les parents n’étaient pas agriculteurs. Des acquisitions plus conséquentes sont rares si l’on n’est pas cultivateur ; en 1853 pourtant un ancien bourrelier achète le bordage de la Beaucerie (8 ha 23) – c’est un artisan à l’aise, dont la fille devient l’épouse du notaire. Les ménages qui tiennent boutique ou atelier sont donc aussi, généralement, des petits propriétaires parcellaires exploitant eux-mêmes – ou faisant faire par un journalier – champs et clos situés non loin du bourg, activité complémentaire d’« agriculteur » dont la quasi-généralisation apparaît quand au recensement de 1851 se trouvent mentionnées les activités des chefs de ménage.
21La moitié des 46 fonds de 5 à 10 ha, comme les 2/3 des 30 fonds des 10 à 20 ha, sont cultivés directement. Ces deux classes de surface sont les assises, durant les deux premiers tiers du XIXe, de l’exploitation paysanne économiquement indépendante, partiellement propriétaire et tenant un complément de terres en location. Dans la première tranche indiquée, ceux qui ne cultivent pas sont soit des héritiers ne résidant plus dans la commune, soit des gens de métier au bourg – le boulanger, le châtreur, le voiturier. Dans la seconde tranche figurent quelques agriculteurs retraités, des notaires, un huissier, quelques familles nobles.
Le morcellement des fonds familiaux
22La pression démographique persistante, des dernières décennies de l’Ancien Régime jusqu’en 1841, a pour conséquence une accentuation du morcellement foncier : à l’augmentation du nombre des héritiers correspond celle des lots à attribuer par les parents lors de leur donation-partage, donc la réduction de leur contenance. La plupart des ménages de la petite et moyenne paysannerie disposent, au terme de leur vie active, de 2 à 15 ha en propriété ; en évaluant à une moyenne de 5 le nombre d’héritiers par ménage – survivants d’une progéniture plus nombreuse –, le lot reçu permet à quelques-uns seulement de « s’installer » et de maintenir, avec des terres complémentaires en location, une activité et un statut d’agriculteur, tandis que les autres entament des trajectoires plus aléatoires. En 1843 le ménage de Thomas Pineau, « cultivateur » au dénombrement de l’an XIII, fait donation du bordage du Bignon – 2 ha 58 en 7 pièces de terre, 2 prés, 2 jardins entourant maison, grange/étable et cellier – à six fils et une fille. Cinq de ces héritiers, en 1876 encore, se déclarent journaliers, domestiques, garde-moulin ; l’un d’eux, tailleur de pierre au moment de la donation, construit sa maison, rachète les parts de deux frères ; en 1863 il fait donation à deux héritiers – un fils et le fils d’une fille décédée à 30 ans –, d’une unité agricole de 1 ha 81 au Bignon – on y retrouve le jardin et le labour de 31 a 30 ca reçus au partage de 1843. Le garde-moulin, de « journalier » encore en 1881, devient « fermier » en 1886, et propriétaire en 1891 de deux labours faisant 1 ha 91 ; il n’a qu’un fils, qui se déclare en 1901 propriétaire/cultivateur au Bignon, agrandit son fonds et transmet 4 ha 15 à sa fille unique en 1930. Sur sept héritiers, deux seulement – dont l’un muni d’un savoir-faire spécifique – ont pu, à partir d’un héritage minime, devenir propriétaires d’un fonds analogue à celui des parents ou le dépassant, qu’ils transmettent à un ou deux enfants.
23La relative cohésion spatiale de fermes dont le fonds en propriété dépasse 10 ha ne résiste pas davantage au partage entre de nombreux héritiers ; l’appauvrissement des lignées qui apparaissent aisées au début du xixe est rendu inéluctable par le morcellement de l’héritage, jusqu’à la période où commencent à se restreindre les progénitures. Jean-Jacques Poncet, fils d’un charpentier recensé à la Beauchardière en l’an XIII, conseiller municipal en 1855, est propriétaire en 1837 de 11 ha 58, dont l’ensemble principal ramasse des parcelles mi-groupées autour du corps de ferme, dans un hameau abritant 2 autres unités agricoles analogues ; ici le ménage a pu arrondir son bien autour de la Beauchardière en vendant (1843) au frère de l’épouse, née Rivot, le lot d’héritage qu’elle a reçu à Launay (cf. page suivante) – transaction ordinaire entre ménages collatéraux après un partage. En 1858, le ménage Poncet distribue 14 ha 75 entre 8 enfants – le lot de chacun varie de 1 ha 70 à 2 ha. Un fils est à cette date employé d’octroi à Paris, les enfants d’un fils décédé résident dans une commune proche ; ces deux lots –1 ha 71 et 3 ha– sont probablement négociés au sein de la fratrie avant la donation, car leurs bénéficiaires ne figurent pas dans l’acte. Deux filles, épouses d’artisans, résidant au bourg, gardent leurs lots, que leurs enfants – deux filles lingères pour l’une, trois commerçants pour l’autre – vendront en 1912.
24Le fils aîné Jean-Jacques épouse la fille du fermier du Désert – qui fut conseiller municipal –, s’installe sur une ferme proche de ce lieu mais hors du territoire communal, et vend une partie de son lot aux deux sœurs restées cultivatrices à la Beauchardière ; le fils cadet Jacques, avec son épouse, aide les parents dans leur ferme jusqu’au décès de la mère (1863) ; il a acheté (1857) et agrandi jusqu’à 8 ha la ferme des Filonnières – située à 500 m de la Beauchardière –, qu’il donne en location pour s’installer ailleurs, et n’y revenir qu’en 1886, peu avant son décès (1891) suivi de celui du fils célibataire qui l’assistait. Ses petits-enfants vendront les terres de la Beauchardière en 1922.
25Ce sont donc deux filles qui assurent la continuité de l’occupation familiale à la Beauchardière. L’aînée Françoise a racheté des terres à ses frères et les cultive avec les siennes jusqu’à son décès en 1872 ; l’une de ses filles, épouse d’un « cocher à Paris », rachète les parts de ses germains et son ménage revient cultiver à la Beauchardière de 1891 à 1914. Rose la fille cadette, restée aussi avec sa mère jusqu’à son décès, se marie à 49 ans et son ménage reprend en 1872 une partie des terres de la Beauchardière, achetant autour du lot hérité des parcelles proches, puis un bordage jointif de 5 ha (1882). À son décès (1897), sans enfant, Rose a rassemblé 7 ha autour du siège de la ferme familiale, en une figure décalée par rapport aux contours de 1858 ; retiré au bourg, son époux baille la ferme et à son décès (1912) l’ensemble est mis en adjudication par lots pour satisfaire les 15 neveux et nièces héritiers de Rose.
26La dispersion de l’héritage de 1858 vient d’abord de la carence de succession masculine à la Beauchardière, aberrante pour la période : le fils aîné s’installe dans l’orbite de sa parenté d’alliance, le second est décédé, un troisième est employé à Paris et le cadet resté avec la mère après le décès du père, qui aurait vocation à reprendre la ferme familiale, en achète une autre, voisine, puis quitte la commune et n’y revient que peu avant son décès. Quant aux filles, celles que leur mariage installe dans un bourg ne cèdent pas pour autant leurs lots à celles qui restent cultiver à la Beauchardière : le dessin du fonds reconstitué par Rose ne retient qu’une partie du fonds familial antécédent.
27En cette fin du xixe se dissout encore, par abondance d’héritiers lors du partage des parents Rivot en 1825, une ferme en propriété paysanne de plus de 25 ha. Ils sont 9 enfants. Les terres de Launay et du proche bordage de la Huardière ont été rassemblées depuis 1782 par acquisitions échelonnées auprès de ruraux et citadins des alentours, autour d’un fonds de 4 ha hérité par l’épouse. Les six filles épousent des fils de « laboureurs » moyens propriétaires, dont deux frères Conte au patronyme ancré et notable dans la commune – l’un deviendra maire. Le fils aîné, célibataire, cultive son lot, le bordage de la Huardière. Le dernier fils, René, succède à Launay, rachetant une partie des terres de ses sœurs, puis récupérant la Huardière moyennant une rente foncière à son frère aîné. Le second fils, Jacques, acquiert des parcelles limitrophes de son lot hérité et s’installe à la ferme de la Godardière, proche de Launay. Les épouses apportent chacune en héritage un bordage de 6 ha hors de la commune.
- 16 Élevé par ce tuteur, fermier au Haut-Buat (19 ha), qui n’a pas d’enfant et le fait légataire de se (...)
28En 1855 la veuve de René partage encore 26 ha –18 à Launay, 8 à la Huardière – entre 4 enfants. Elle continue d’exploiter avec deux fils célibataires qui se déclarent journaliers ; le fils aîné RenéFrançois ne se marie qu’après le décès de la mère, à 50 ans. Son ménage rejoint en 1866 celui de sa sœur à Launay. René François décède en 1872, son épouse en 1875, laissant Ernest (9 ans)16 héritier de la moitié de la ferme, sous la tutelle d’un voisin cultivateur/propriétaire. Au ménage de la sœur, vieillissant, se joint à Launay en 1886 celui de sa fille – représentant la 3e génération d’héritiers depuis le partage de 1825 –, qui en 1892 rachète à l’orphelin devenu majeur, son cousin germain, sa moitié héritée de la ferme. L’époux décède en 1894, avant 40 ans, et l’épouse en 1896, ce qui entraîne faillite et vente de Launay, et dispersion de leurs 4 enfants.
29Le ménage de Jacques partage en 1864, entre une fille et un fils, un fonds incluant 22 ha à la Godardière, 6 ha au bordage de l’Arche acheté près du bourg, et le bordage hérité par l’épouse hors de la commune. Les deux bordages, biens « extérieurs », vont à la fille qui tient à bail avec son mari la ferme des Maisons-Neuves (25 ha) ; le fils reçoit la quasi-totalité de la Godardière mais s’installe dans la commune de son épouse et donne sa ferme en location à un fils Conte d’une sœur de son père, auquel succéderont des fermiers qui ne sont pas de la parenté ; à la troisième génération d’héritiers du ménage donateur de 1825, résidant hors de la commune et non-agriculteurs, les terres sont vendues hors de la parenté, la moitié (8 ha) en 1902, l’autre en 1920 au fermier de Launay.
30On constate l’inévitable démantèlement de bonnes fermes paysannes en propriété quand viennent à la succession 8 à 9 héritiers. Si la première génération de successeurs peut opérer encore un ou deux rassemblements fonciers permettant d’asseoir des exploitations viables, à la seconde ou troisième transmission – advenant donc au tournant des xixe-xxe –, le défaut d’héritier direct, ou bien un choix d’émigration, ou encore des décès prématurés d’adultes entraînent la vente, par lots dispersés, du fonds originaire.
- 17 Par l’acte de baptême cette même année de François Revel, fils de Mathieu bordager en ce lieu, et (...)
31Parallèlement à cette dilution de bonnes fermes paysannes s’élaborent des biens réunissant plusieurs unités de contenance modeste ; s’ils résistent à la dispersion d’une première succession, ils peuvent assurer, jusqu’à la première décennie du xxe siècle où s’affirment les transformations de l’économie agricole, l’installation de 2 ou 3 ménages d’héritiers. La trajectoire de François Revel, qui de 1840 à 1875 triple la contenance de son héritage par des acquisitions de proche en proche, en témoigne. De patronyme attesté en 1771 17 au hameau du Gué, il naît en 1810, septième enfant et seul survivant – sa mère, qui a 36 ans à sa naissance, décède deux ans après avec un dernier-né. En 1831 il devient héritier unique des 9 ha du Gué, moyennant une rente viagère consentie à son père, et lui succède. Par petites acquisitions parcellaires quasi annuelles, de 1832 à 1854, il agrandit le fonds autour du Gué – on repère parmi les vendeurs deux fratries d’héritiers paysans émigrés vers une commune voisine, un retraité de Bellême, un instituteur fils de cultivateurs ; en 1851 déjà, avec 16 ha en propriété, il est parmi les plus imposés de la commune, et entre au Conseil municipal en 1855. Son foyer abrite alors 9 enfants et 2 domestiques. François vend des parcelles isolées et acquiert 2 bordages proches du Gué – la Haumotière (11 ha) et la Hauberdière (4 ha) – ; en 1875 il partage 25 ha 75 entre 6 enfants – 3 sont décédés. La Haumotière, divisé en deux lots, et l’Hauberdière sont attribués aux 3 filles, les terres proches du Gué et les édifices sont partagés entre les 3 fils (fig. 6 et 7). L’année précédant le partage, le père a fait bail de la ferme à son second fils, Basile, qui s’installe donc successeur. Alphonse l’aîné est domestique à Même en 1876, puis quitte la commune et meurt à 52 ans « journalier, ayant demeuré à l’Hermitière et à la Rouge » – aucune mention n’est faite d’une installation sur une ferme. Le benjamin Alexandre reste un temps avec ses parents retirés à l’Hauberdière, revient au Gué après leur décès, journalier, vend peu à peu ses terres héritées, meurt célibataire en 1915. Basile ne reconstitue qu’en partie le fonds des parents, car ses frères ne lui ont pas cédé leur part et une sœur a vendu l’Hauberdière à un voisin de terres. Néanmoins en 1905 il partage un fonds de 16 ha – 5 ha 75 autour du Gué reviennent à son fils BasileEugène, 4 ha 70 autour de la Foucherie (héritage de son épouse) aux enfants de sa fille aînée décédée à 28 ans, et 6 ha rachetés à sa sœur héritière de l’Haumotière à sa fille cadette Mathilde.
32Par un affût constant sur un marché local parcellisé à la mesure de l’éclatement des fonds paysans, au plein cœur du xixe, François Revel est parvenu à resserrer son fonds autour du Gué – en 1866 il achète notamment des parcelles touchant les siennes que vendent les héritiers de Mathurin Durouet qui tenait l’autre ferme du Gué. La projection sur le plan cadastral du partage de 1875 révèle néanmoins la dispersion parcellaire qui affecte encore à cette date une bonne propriété moyenne paysanne.
- 18 Alors que l’époux de sa fille décédée – enfant trouvé élevé en nourrice, domestique à la Foucherie (...)
33Les destins des filles s’accrochent au statut de leur époux : au jour du mariage c’est un propriétaire de Bellou pour l’une, pour une autre un domestique de ferme. Amputé des lots attribués à ses frères, mais incluant l’héritage de son épouse, le fonds que partage Basile en 1905 satisfait 3 héritiers. Dès 1906 cependant, les ménages de son fils et de sa fille cadette s’installent sur de plus grandes fermes 18. Basile a conservé la nue-propriété des fonds que son ménage a répartis dans la donation de 1905 ; il donne en location les 6 ha du Gué et renouvelle ce bail en 1911 ; en avril 1915, peu avant son décès, il fait bail encore du bordage de la Foucherie et de celui de l’Haumotière, que leurs héritiers ont abandonnés.
34Dès la décennie 1870-80, bien des ménages paysans parviennent à acheter la petite ferme dont il sont locataires – résultat des années de prospérité relative du Second Empire pour les agriculteurs. Ainsi au décès (1871) du fermier de la Galopinière (7 ha), l’inventaire fait état d’un bon train de culture : une jument et une pouliche, deux vaches avec leurs veaux et deux génisses, une truie et sa portée, deux charrues et deux herses, voiture, banneau et carriole, en réserve 14 hl de blé, 5 hl d’orge, 15 fûts de pipes. Chacun des 5 enfants reçoit 946 F. Le ménage d’une fille succède et en 1873 achète la ferme.
De la propriété à l’exploitation
- 19 Archives de la Mairie.
35À partir de 1880 le nombre des cotes foncières diminue régulièrement. Le morcellement des fonds est freiné, une concentration est en cours. La Statistique Agricole Décennale de 189219, dans la rubrique « possession du sol », dénombre encore cependant 657 « biens à des particuliers », sans en établir l’échelle. Elle enregistre essentiellement les « modes d’exploitation », distinguant 232 unités agricoles cultivées par un « fermier avec bail » (70 % de la surface exploitée) et 304 cultivées par « le propriétaire et sa famille » (30 %). Cette balance semble faussée par la prise en compte d’exploitations en faire-valoir mixte dans la catégorie des exploitations en fermage, ainsi surestimée. Car le décompte de 536 exploitations (addition des deux chiffres qui précèdent) se réduit à 486 si l’on totalise les chiffres inscrits pour chaque tranche de surface. Les 262 cellules de moins de 1 ha, réserves vivrières des journaliers, tuiliers, bûcherons, tisserands, maçons et charpentiers « à la journée » et les 101 unités de 1 à 5 ha, petits bordages en voie de régression, représentent encore 75 % des unités agricoles reconnues. Au delà, 98 exploitations de 5 à 20 ha, et 25 comptant plus de 20 ha prennent consistance en s’agrandissant dans la concentration.
36Ces chiffres concernent donc le nombre et l’échelle de surface des exploitations. Tout en tenant compte des 20 années qui séparent cette statistique agricole de l’état foncier enregistré dans la matrice de 1913, le rapprochement des deux documents reste pertinent, dans la mesure où l’un et l’autre enregistrent, aux niveaux différents mais étroitement imbriqués de l’appropriation et de l’exploitation, les transformations du réseau cultural de l’économie agricole durant les 3 à 4 décennies encadrant le tournant du siècle.
- 20 « Le fonctionnement du “marché-père” : la circulation des propriétés dans le bocage normand au xvi (...)
37L’évolution de la situation foncière dans la commune ne peut suffire à déterminer celle des conditions de l’exploitation paysanne familiale, qui associe communément au fonds approprié des parcelles prises en location. On a observé que dans les deux premiers tiers du xixe, la part congrue revenant à chacun des trop nombreux héritiers venant au partage permettait seulement à quelques-uns de « s’installer ». Ceux-là ont chance d’étoffer leur lot de parcelles que veulent bien céder leurs codonataires, d’être actifs sur un marché où la dispersion de l’offre répond à une demande étroitement confinée. La nature et la destination des transactions foncières, dans le Perche du xixe, sont analogues à celles qu’a observées G. Béaur, pour le xviiie, dans le bocage domfrontais, où le marché foncier « serait un simple exutoire pour reconstituer des exploitations démembrées lors d’un partage antérieur [...] dans le cadre de stratégies familiales, de reconstitution des patrimoines »20.
38Parallèlement à ces acquisitions parcellaires, et pour adapter souplement la surface à cultiver à l’évolution du cycle familial, le ménage prend des terres en location. Il ne s’agit pas en l’occurrence des baux à longue durée liant propriétaires des domaines et leurs fermiers, mais d’un fermage portant sur des parcelles « volantes », c’est-à-dire non intégrées dans une unité agricole, et consenti par des petits propriétaires qui, de leur côté, « donnent à faire à plusieurs » en fonction de la dispersion de leur fonds. Dans la souplesse et le temps court de contrats pour la plupart oraux, la circulation locative, parallèle à celle des fonds, favorise un modelage de la contenance de l’exploitation qui s’ajuste à la courbe évolutive du nombre des travailleurs familiaux.
39S’inscrivant dans la structure même du système de dévolution en place, puisqu’il pallie l’exiguïté des parts de chacun due à l’égalité de tous à l’héritage, et fonctionne comme masse d’équilibre de la contenance de l’exploitation au cours du cycle du ménage, le fermage n’est pas considéré comme dégradant. D’autant qu’il est aussi une étape de transition dans le processus de constitution de la propriété : un échange locatif de longue durée prélude ordinairement à un échange foncier entre les partenaires. Dans la période récente, le successeur sur la ferme est locataire de la copropriété familiale, dont il devient seul propriétaire au terme du règlement des soultes à ses cohéritiers.
40La géographie de la propriété paysanne, dont les structures sont continûment instables en raison du hasard des échéances d’héritage et de la complexité des transactions conséquentes, reste néanmoins indicatrice de celle de l’exploitation. Échu à l’un ou l’autre des conjoints, le « noyau » en propriété de la ferme comprend un ensemble de labours plus ou moins proches, dont un groupe principal condensé autour du corps de ferme, et des petits prés au long de la rivière, dispersés et éloignés. La prise en location vise d’abord, dans la perspective de concentration, les champs proches qui « comblent les vides », mais l’opportunité ne néglige pas des parcelles distantes de 500 à 800 m, si bien que le contour de l’exploitation familiale, instance de production et de reproduction du ménage nucléaire, unité de référence dans l’ordre économique et social reconnu, dessine rarement un ensemble fermé.
- 21 cf. Chap. IV le graphique du circuit fermé, à court rayon, durant 150 ans, des ménages de deux fam (...)
41Dans une société pratiquant la dévolution divergente, les exploitations en propriété partielle tenues de génération en génération par des ménages en parenté se projettent au sol en une constellation où repères spatiaux et généalogiques coïncident. Le ménage a deux options quand il vise à ajuster le cadre de l’unité agricole à son développement démographique et économique. Soit il se stabilise sur une même installation dont il « mobilise » la contenance par acquisitions (et/ou « délaissements ») et variations locatives, soit c’est lui qui se mobilise de l’exploitation initiale ayant pour noyau un bien de famille à une autre. Ces choix peuvent être successifs, et dans un ordre inversé. Cependant c’est plutôt dans la catégorie aisée de la paysannerie qu’on constate une stabilité du ménage sur l’unité en partie héritée dont il module la contenance dans la longue durée de la maturité, après l’installation « en jeune » des débuts et avant celle de la « retirance ». La majorité des ménages paysans, dont les « héritages » sont constitués au mieux d’un bordage – dont chacun des germains a part équivalente –, sont incités à la mobilité : tantôt ils prennent en location une unité agricole tantôt ils reviennent, et tour à tour, aux sites d’emprise foncière et/ou d’inscription spatiale familiale 21, en quête de l’installation permettant l’optimisation des ressources en fonction de la phase actuelle du cycle domestique.
La difficile saisie du mouvement locatif
42À la différence des actes fonciers qui laissent trace à la fois dans la matrice cadastrale et dans les actes notariés, aucune série ne rend compte de manière exhaustive des transactions locatives. Les baux ne sont enregistrés devant notaire, communément, que s’ils se réfèrent à un ensemble d’au moins 2 ha – contenance du « petit bordage » –, et le détail du parcellaire s’y trouve rarement rapporté ; beaucoup sont résiliés avant l’échéance inscrite dans l’acte, et passés avec un autre preneur. Les multiples engagements de location concernant des parcelles isolées se font sous seing-privé, ou « de parole », « d’entente », et échappent à une investigation d’ensemble du système locatif.
43Quand l’agriculture émerge de la routine des deux premiers tiers du xixe – période qu’inaugure l’« Enquête sur l’Agriculture de 1866 » –, des recensions décennales proposent à la fois un classement des exploitations par larges tranches de surface, et un dénombrement des exploitants selon les différents modes juridiques d’occupation de la terre, sans qu’il y ait coïncidence entre l’un et l’autre relevés administratifs. C’est seulement quand l’administration fiscale rend publique, par l’affichage en mairie, la liste des exploitations ayant leur siège sur la commune, avec mention de leur contenance, que devient possible, en se référant à la surface appropriée inscrite sur la matrice cadastrale, la saisie pour chacune de l’équilibre entre les modes de tenure. Tandis que les exploitants qui ont un noyau en propriété l’agrandissent en prenant en location, de préférence, des parcelles qui « bouchent les trous » du dessin du fonds, des locataires de grandes fermes d’un tenant sont propriétaires de lots modestes hérités qui se trouvent disjoints des terres qu’ils tiennent : en 1837 figurent au compte du fermier de la Hernaiserie (28 ha), dans une section éloignée de ce lieu, 2 bâtiments et 4 champs – 1 ha 59 – dont on ne peut savoir s’il les cultive ou les « donne à faire ». Dans la petite paysannerie seulement, où des ménages en parenté voisinent fréquemment dans un même lieudit, à une tenure en location peut venir s’accoler un bien hérité : Mathurin Maurel, locataire de 4 ha 70 à la Papillonnière, rachète en 1831 à 3 de ses frères – 2 charpentiers et un maçon – leurs parts du fond des parents au même lieu – maison, jardin, clos, 3 champs de 20, 30 et 40 ares ; cultivant son héritage avec le bordage pris à bail, Mathurin Maurel se déclare « propriétaire » au recensement de 1836.
44Au long du temps, quand augmente globalement, dans une population moins nombreuse, la part d’appropriation paysanne, la distinction est toute formelle entre terres en propriété et fonds de l’installation en location (surtout s’il s’agit d’une location familiale) qui sont cultivés conjointement.
- 22 Dans « l’état des lieux » de Jarrade avant la reprise en sous-location, Alexandre Meunier., son fe (...)
« Mes parents ont acheté l’Haumotière (6 ha) en 1936 ; mais ils sont restés installés au Beau-Midi (5 ha) que les parents de ma mère leur louaient depuis qu’ils avaient quitté Jarrade (6 ha) – là mon père était en sous-location de 1930 à 1932 pour aider le fermier à finir son bail22. Mon père faisait donc les 6 ha de l’Haumotière avec les 5 ha de Beau-Midi – les 3 fermes distantes l’une de l’autre d’à peine 400 m ; il avait encore à lui des champs (3 à 4 ha) et des petits prés le long de la rivière. »
45En cette période où l’offre de terre s’élargit avec la disparition accélérée des petits bordages, et alors que les machines sont encore tirées par les chevaux, on cherche à concentrer l’ensemble cultivé, l’objectif du seul tenant étant néanmoins rarement atteint pour les exploitations familiales de contenance moyenne.
46Si l’on revient aux dernières décennies du xixe cependant, l’envie d’avoir la terre, pour les agriculteurs enrichis, doit s’accommoder de la difficulté à s’agrandir sur place, étant donné le canevas serré et entremêlé du parcellaire foncier. On se rabat alors sur des petites unités agricoles disponibles à distance de l’installation. En 1876, 25 ans avant d’acquérir la Maillardière dont il est fermier, et dans le même temps qu’il grignote, dans les hameaux proches de la Maillardière, les lots de quelques dizaines d’ares qui se libèrent, Jules Rollin achète la ferme de la Gimbertière (7 ha), à 2 km de là – elle servira de « ferme d’attente » pour le nouveau ménage du fils aîné, puis de « ferme de retirance » pour les parents. Les plus riches fermiers des unités agricoles que ne cède pas encore la noblesse locale cumulent ces achats de petites fermes. C’est ainsi que Louis Fagniot, fils unique, fermier de Blandé (62 ha) de 1927 à 1963, après son père et son grand-père et avant son gendre, hérite en 1949 de 3 fermes (faisant ensemble 43 ha) acquises par ses ascendants dans le premier tiers du siècle. Il se trouve à la fois locataire d’un domaine par « patrimonialisation » de bail, et propriétaire de fermes qu’il donne en location. Quant aux ménages chanceux richement lotis « de l’un et l’autre côté », ils doivent choisir, pour s’installer, entre les fermes dévolues par l’un et l’autre couples de parents. « Mon père [François Granet, né en 1866, héritier unique par le décès prématuré de 2 frères] a hérité du moulin de Blandé (15 ha) que son père avait acheté et qu’il cultivait avec lui, mais après son mariage (1895) il est allé tenir la ferme héritée par sa femme à Avezé, et donnait à bail le moulin de Blandé. »
La ferme et le bordage
- 23 L’accession par un journalier au bail d’une « petite culture », quelle que soit la modicité de l’e (...)
47Les habitants différencient encore, en se référant à un passé englobant la période de la Seconde guerre, deux catégories d’exploitations paysannes : « la ferme » (12 ha au minimum), qui peut se dilater en « bonne », ou « grande ferme », et « le bordage », qu’on appelle aussi couramment « une petite culture ». Sous l’Ancien Régime on saisit, au long des registres paroissiaux, la distinction marquée entre les « laboureurs » cultivant une ferme (8 à 25 ha) avec au moins un attelage de deux chevaux, classe privilégiée du paysannat, et les « bordagers » qui tiennent ordinairement 2 à 5 ha avec un cheval, ou plus fréquemment un âne. Cette dichotomie disparaît dans les dénombrements républicains, où laboureurs et bordagers confondus deviennent des « cultivateurs23 », qui emploient « journaliers » et « domestiques ».
- 24 Paysans de l’Ouest, 1971, cf. supra note 2, p. 24.
- 25 Pratiques successorales et rapport à la terre sous l’Ancien Régime, in Annales, Sociétés, Civilisa (...)
48Le terme de « bordage » cependant perdure à la fois dans le langage commun et dans la rédaction des actes notariés. Sans doute parce qu’il se réfère à une forme spécifique de petite exploitation paysanne fort répandue dans les régions de l’Ouest de la France jusqu’au milieu du xxe siècle, identifiée par des termes analogues que relèvent les historiens Paul Bois dans le Maine 24 et B. Derouet25 dans le Thimerais.
49Avatar des « bordes », « locatures » et « borderies » de tout l’Ouest français où domine la grande propriété noble et bourgeoise, le bordage a désigné probablement à l’origine, si l’on suit les interprétations de Littré « tenure en Normandie, moyennant une redevance pour la table » –, ou du Larousse du xixe – » tenure donnée à moitié fruits » –, de petites unités agricoles sises en bordure des domaines, et qui étaient concédées aux travailleurs attachés à la seigneurie moyennant une redevance en nature l’assimilant au métayage. La toponymie de la région a gardé trace de l’appellation, qui dans plus d’une commune du Perche désigne un lieudit– « Les Bordes », « Le Bordage ». Au début du xixe, la terminologie des actes notariés signifie clairement l’écart entre les deux classes de tenure : pour la même année 1821, le « petit lieu et bordage du Bouillon » qui comprend « une chambre à four, une chambre froide avec laiterie, une écurie, un petit jardin, et 2 champs de 66 et 44 ares » est loué pour 90 f, tandis que le bail du « lieu et métairie de la Bretèche » – 18 ha – est de 1800 F. Le « lieu et bordage de la Guénardière », 6 ha 30 loués 450 F en 1813, se trouve à la limite supérieure de la contenance du bordage.
50Le bordage, comme la ferme, est désigné par le toponyme du lieudit auquel, s’il est isolé, il s’identifie : proche du hameau des Petites Fontaines dont il ne reste en 1980 que des ruines alors qu’il comptait 10 foyers en 1837, la Mazure désigne, dans un bail de 1906 encore, un « petit lieu » comprenant une maison avec jardin et clos, un champ de 55 ares, un pré de 27 ares. Plus fréquemment un lieudit rassemble plusieurs bordages, à des propriétaires différents, comme il apparaît dans les actes concernant 3 bordages distincts au lieudit de la Beauchardière, en 1968 comme en 1871 : chacun d’eux est nommé dans les actes notariés « le bordage de la Beauchardière », avant d’être identifié par l’énumération des parcelles, qui par ailleurs d’un siècle à l’autre pour chacun d’eux ne dessinent pas un ensemble identique.
51Les recensions républicaines – la matrice en 1837 comme le premier recensement en 1836 – écartent les appellations de bordage et de bordager. À cette date on repère au lieudit de la Foucherie, par exemple, 4 groupes domestiques : un cultivateur de 68 ans et son épouse, propriétaires de 7 ha, avec un fils de 24 ans (4 filles sont mariées), tiennent probablement une « ferme » ; un cultivateur de 49 ans, avec 1 ha 10 en propriété, tiendrait plutôt un « bordage » ; le ménage d’un charron avec 6 enfants est propriétaire d’une maison avec un jardin et un champ de 34 ares ; deux jeunes adultes, portant le patronyme du peigneur de laine inscrit sur la matrice pour une maison, un jardin et un labour de 17 ares 80, et probablement ses enfants, sont déclarés cultivateurs – ce qui n’éclaire en rien la réalité de leurs activités.
52Bien que figurent dans la matrice de 1837 de grands bordages d’un seul tenant – 7 ha à Launay touchant la métairie des Loges, 6 ha à la Brûlerie en auréole autour des terres de Villiers –, ces contenances sont exceptionnelles, alors que près de 80 petits bordages sont assis sur des fonds tournant autour de 2 à 3 ha.
- 26 L’âne supplée couramment le cheval dans le bordage. On dénombre encore 23 ânes dans la commune en (...)
53L’installation sur un bordage est provisoire quand il s’agit d’un jeune ménage qui attend la disponibilité d’une ferme, ou bien, à l’autre extrémité de l’âge, quand le ménage qui a tenu une bonne ferme choisit pour sa « retirance » une unité plus modeste – héritée, ou achetée dans cette perspective, car c’est l’assurance-vieillesse de ce temps. Plus nombreux sont les bordagers de tout un cycle de vie, le plus souvent locataires, et dépendant d’une ferme voisine pour le prêt d’un cheval ou de matériel, rendu en heures de travail. « Charrues, charrettes, herses et rouleaux, la petite culture emprunte tout à la grande », indique le « Journal de Chartres » dans sa « Chronique agricole », en 1857. Pour notre commune cependant, des inventaires relèvent dans le bordage les outils tirés élémentaires : charrue et herse, une petite charrette avec un âne26. À l’inventaire d’un bordage de près de 3 ha en 1848, 2 champs de 40 et 50 ares sont récoltés en blé, 40 ares en seigle et méteil, 66 ares en avoine, une surface analogue en orge ; à l’étable on trouve une vache et deux veaux, à l’écurie une jument de 15 ans, il y a charrue et herse, charrette et corps de banneau. Récoltes, cheptel et matériel sont évalués à plus de 600 f ; l’économie de la petite culture, avec ses 4 cotai-sons, apparaît comme un modèle réduit de celle des fermes moyennes de ce temps (10 à 15 ha).
- 27 C’est l’assolement quadriennal de la petite culture sans assolement collectif.
54L’économie du bordage dépend en grande partie de sa contenance ; à partir de 6 ha, dans la première moitié du xxe siècle encore, la petite exploitation dégage un surplus, commercialisé alors dans l’aire para-communale. De 1925 à 1966 le ménage de Marcel Aubane a tenu, après ses parents, le bordage des Marquetières, qui borde les bois d’Avezé au sud-est du territoire. On y cultivait 7 ha 26 « avec un cheval, 5 à 6 vaches – on vendait le beurre au ramasseur qui venait au bourg le jour du marché –, 5 cochons élevés au petit lait – on vendait les porcelets, on en gardait un, c’était un gars qui passait tuer ; sur un champ de 2 ha et demi je menais la terre de quatre27 : pommes de terre, blé, orge/avoine, et du trèfle semé dans l’orge, avec un peu de ray-grass ; le reste tout en herbe ». Le ménage s’est retiré tout près de son lieu d’activité, dans une petite maison héritée des parents de l’époux.
55Sur ce coteau couronné de bois de la rive gauche de la Même, le fermier de la Chartrie (22 ha) et d’une quinzaine d’ha y attenant, qui cultive aussi en propriété les terres (15 ha) d’anciennes petites fermes voisines, a vu disparaître les bordages en propriété paysanne :
- 28 L’épouse B. et les J. descendent de deux familles qui tenaient des unités agricoles en propriété a (...)
« la Chauvalière c’était 6 ha, une ferme à 2 vaches et un cheval, l’homme faisait du transport de bois pour un propriétaire du Theil, il avait 7 enfants, vers 1930 il a fait faillite, ils sont partis s’employer vers la région parisienne, ils ont tout remboursé [...] “La Petite Vigne” (2 ha) c’était à une veuve, qui a abandonné en 1940 ». Enfin, « au Grand Pin il y avait encore deux fermes en 1931 : celle du frère et de la sœur J. qui avaient environ 10 ha, avec 3 vaches, a tenu tant que les enfants à lui étaient là ; ils sont partis, ça a périclité, ils ont vendu en 1936 ; l’autre était aux B28, héritée des parents à elle (8 ha), lui était crieur aux ventes, elle ramassait les filets que faisaient les femmes, ils ont laissé vers 1945, puis c’est des cousins qui ont hérité et vendu [...] Autour de 1930 le propriétaire de la Guiardière (2 ha 17) avait 3 vaches et un âne, il cultivait les 3 champs autour des bâtiments, et il avait 2 petits prés dans la prairie du Pin ».
56Le départ de ces petits propriétaires paysans est parallèle à l’offre d’emplois spécifique, dès le début des années 1950, des petites industries et services para-agricoles – abattoirs, laiteries, cidreries, matériel mécanique – qui s’installent ou se développent dans les villes environnantes.
57En 1981 encore, en vue de l’implantation d’une nouvelle entreprise industrielle au Theil, les promoteurs parviennent à obtenir 4 ha d’« un paysan qui cultivait 10 ha ; il a bien voulu les laisser contre un emploi à l’usine pour lui et sa femme et il louera ce qui lui reste, parce qu’avec un petit bordage ils ne peuvent plus y arriver ».
58Pour les habitants âgés d’aujourd’hui qui ont assisté à la disparition de ces cellules agricoles, le bordage reste associé à la condition de « petit paysan » ; son évocation se rapporte à la maigre surface dont disposait le plus grand nombre des ménages d’agriculteurs – « chez mes parents c’était une petite ferme, à seulement six heures de battage » –, à la vie laborieuse de leurs grands-parents, en tous cas à un passé révolu. La condition du bordager cependant, même si « le mari faisait des journées chez les autres, et le bordage c’était pour occuper la femme », situation généralement présentée, n’était pas subalterne, comme celle du « journalier » dépendant toute l’année d’une proposition d’emploi.
59Dans le dernier tiers du xixe, ce classement des unités agricoles dans les actes notariés devient plus fluide pour les surfaces médianes : certes en 1871 la ferme de la Mare (14 ha) se loue 1 215 f, et le bordage de Chauvigné (4 ha) 400 f, mais la même année un bail fait état de la ferme de la Guénardière (6 ha 96), désignée bordage au début du siècle pour une même contenance. Chez les Revel, on voit disparaître d’une génération à l’autre l’appellation de « bordage » : en 1875 dans la succession de François s’inscrivent la ferme du Gué (10 ha 76), le bordage de l’Hauberdière (4 ha 18), et le bordage de la Haumotière (11 ha 38) ; en 1905 dans celle de son fils Basile, la Haumotière (4 ha 70) et la Foucherie (5 ha 96) sont devenues des fermes.
60Devient ferme aussi, dans un acte de location de 1906, l’unité agricole (6 ha) désignée bordage de la Beauchardière en 1871. À cette dernière date, « l’état des lieux » reconnu par les parties avant l’entrée d’un nouveau fermier vaut pour toutes les « petites cultures » du temps. Ici sur une cour avec sa mare se disposent plusieurs petits bâtiments : une maison pavée avec cheminée – la pièce unique ouvrant sur la laiterie à l’arrière, un cellier jointif et grenier sur le tout, petit jardin au pignon, un hangar, deux toits à porcs, une écurie servant d’étable, une grange avec tasserie dessus. L’ensemble est enfoui dans un paysage de bocage : 218 pommiers et une dizaine de poiriers s’alignent en rangées dans les cinq champs regroupés ; la propriété est délimitée par des haies vives, d’où surgissent des fruitiers sauvages, 200 « trognes » et quelques « avenirs » – jeunes chênes, peupliers et ormeaux.
61Un bordage de ce type résiste encore à la dégradation qui frappe les unités de 2 à 3 ha, peu à peu absorbées par les fermes paysannes. Dans le même temps il arrive cependant que des cultivateurs/propriétaires constituent de nouveaux bordages à partir de leur fonds, pour installer un enfant : en 1892 Marin Maurel, cultivateur/propriétaire de la ferme de la Vêquerie (8 ha en propriété, agrandis de parcelles en location) fait enregistrer un bail du « bordage de la Vêquerie » – 3 ha 52 soustraits de l’ensemble de son fonds – pour installer le ménage de sa fille aînée. L’appellation réductrice de « bordage » pour les petites unités de moins de 8 ha reste ainsi usitée dans la première moité du xxe siècle, tant qu’elles n’ont pas totalement disparu, absorbées par le processus d’agrandissement de la surface des exploitations et la concentration en cours.
Le tournant du siècle
la matrice de 1913
62La matrice de 1913 dénombre 498 comptes, quand il y en avait 735 en 1837. Le nombre des propriétés de 1 à 5 ha a diminué du quart, et la moitié se tient au dessus de 2 ha. Les deux tiers de ces fonds sont détenus par des habitants (retraités de l’agriculture, artisans et commerçants au bourg notamment), et la moitié en est cultivée directement. Cette première phase de concentration foncière paysanne ne s’engage pas sans une résistance des petits biens. Dans les transactions autour des fonds de 2 à 5 ha, les exploitants déjà propriétaires sont en concurrence avec des journaliers, voire des domestiques : l’exode en a réduit le nombre, leurs salaires ont augmenté, certains parviennent alors à « s’installer », ce qui assure un temps la continuité d’une petite culture parcellaire indépendante. Isidore Serais, « enfant trouvé à l’hospice de Mortagne » en 1834, domestique à 11 ans, se plaçant d’une ferme à l’autre jusqu’à 45 ans, est en 1881 marié, « cultivateur » à Pont-Andreux, puis en 1889 achète le petit bordage de la Grouas (2 ha 66), se déclarant ainsi « propriétaire » au recensement de 1891. En 1921 sa fille est l’épouse d’un charpentier au bourg – l’alliance d’une fille de petit agriculteur avec un artisan de bourg signifie toujours montée sociale.
63Léon Cardon, bûcheron à son mariage, acquiert en 1902, à 35 ans, le bordage des Marquetières (2 ha 76) – héritage cédé par deux filles de cultivateurs mariées au bourg, l’une à l’hôtelier, l’autre au grainetier. Le ménage acquéreur cultive encore en 1911, mais en 1912 le bordage est racheté par Jules Rollin, écumeur des petits biens que menace la faillite.
64Le nombre des cotes de 5 à 20 h n’a que faiblement décru, ce qui peut indiquer la permanence d’une contenance modale de l’unité agricole appropriée à la catégorie paysanne. La part des agriculteurs dans cette tranche de surface passe entre 1837 et 1913 de 50 à 70 %. L’enrichissement de la paysannerie moyenne se traduit par l’accession au tiers des 21 cotes de 20 à 40 ha – dont 6 sont encore au nom de propriétaires nobles et citadins, 5 à des héritiers non-résidents d’anciens agriculteurs. Au delà de 40 ha figurent 2 cultivateurs en activité et 3 retraités au bourg ; 7 héritiers de familles nobles conservent une partie des fonds détenus en 1837, entamés déjà par des ventes à leurs fermiers.
- 29 Pour l’ensemble du Perche, le taux d’émigration des jeunes est évalué à 12 % de leur nombre dans l (...)
65L’augmentation du taux des terres revenant à la propriété paysanne, par absorption des plus petits fonds notamment, est à rapporter aussi au décroît des naissances et à l’accentuation de l’exode rural29. La baisse de la natalité, amorcée dès 1850, se manifeste dès 1875 par une réduction globale croissante du nombre des héritiers, donc une moindre dispersion des terres lors des donations-partages. En cette fin de siècle aussi joue l’attrait des emplois de commerce, de petite industrie et de services en ville, qui entraîne les plus démunis, le trop-plein des familles nombreuses : l’effectif des journaliers passe de 198 au recensement de 1851 à 118 en 1891.
66En 1880, à la succession de Joseph Houlet, bordager à l’Auberdière et propriétaire de 2 ha 20, on relève l’éloignement tant de la commune que de l’activité agricole, et géographiquement progressif selon l’année de naissance, des 7 enfants d’un premier mariage : les aînés sont journaliers en Eure-et-Loir, puis on trouve à Tours un mécanicien, un cordonnier et une cuisinière, à Ville-Evrard un jardinier, à Paris un concierge. Sur les 7 enfants d’un maréchal/cultivateur/marchand de bois en 1851, deux sont en 1879 commis épiciers à Montreuil et Paris, un autre négociant à Marseille. Né en 1839, le fils d’un maçon retiré au bourg est menuisier à Paris en 1870. Une recherche d’héritiers lors d’un décès de petit cultivateur en 1909 amène à retrouver une couturière, une blanchisseuse, un concierge, un employé de commerce et une femme de chambre, tous à Paris.
- 30 On note que ces jeunes émigrés, coupés d’une parentèle ayant biens et notoriété locale, ne trouven (...)
67L’attrait de Paris, accessible par la mise en service dès 1853 du chemin de fer reliant Nogent-le-Rotrou à la capitale, touche aussi des fils de cultivateurs/propriétaires de bonnes fermes. Né en 1839, Eugène Granet, fils cadet du propriétaire du moulin de Blandé, est employé en 1869 à la Grande Maison de Blanc ; Jacques Belin, dont le frère deviendra maire, est droguiste dans la capitale en 1861, et son neveu y sera plus tard employé de commerce30.
Le pouvoir d’achat des ruraux
- 31 Une loi de novembre 1884 encourage les échanges de parcelles contiguës entre propriétaires.
68Dès 1880, et davantage encore dans les débuts du xxe siècle, on assiste à une augmentation globale des revenus des ruraux, entraînant un contrôle renforcé sur la terre. Associée à un élevage laitier en croissance, la polyculture des exploitations paysannes, toujours en « 4 cotaisons », est moins atteinte par la crise frumentaire de la fin du siècle que les grandes fermes de modèle beauceron où prévaut la céréaliculture. Les progrès agronomiques et techniques en cours – extension des plantes fourragères sarclées, utilisation des engrais chimiques – contribuent à la stabilisation des unités agricoles de 12 à 18 ha. Des fermiers entreprenants sont alors en état d’acheter les « métairies » qu’ils tiennent à bail, et des ménages exploitant 12 à 15 ha tentent d’« arrondir » le noyau31 qu’ils tiennent en propriété – du tiers à la moitié de l’exploitation –, ou bien font l’acquisition d’un bordage en un autre site du territoire. Il s’agit d’avoir des biens analogues à distribuer à tous les enfants, ce que favorise la vocation complémentaire des parcelles en système de polyculture – labours, prés defond, pâtures avec pommiers, bois.
- 32 . « Mon père élevait des percherons, il achetait des poulains, les revendait aux Américains à 30 m (...)
- 33 En 1891 la Statistique agricole décennale dénombre 15000 pommiers producteurs sur le territoire de (...)
69Fermiers des domaines et des grandes « métairies » cependant se tirent d’affaire : ils en accroissent la productivité en se munissant des premières machines – lieuses, « trépigneuses », batteuses fixes – ; ils élargissent, pour une ultime période, l’aire de commercialisation des poulains élevés à la ferme (cette spécialisation englobe depuis le premier tiers du xixe l’aire Mortagne-Nogent-le-Rotrou-Bellême32), comme celle du cidre33 pour le marché urbain, spéculations conférant des réputations familiales dont se targuent encore les générations d’aujourd’hui.
- 34 « Quand il y avait un décès puis un partage entre eux ils en vendaient des morceaux pour payer les (...)
70Les plus touchées par la crise agricole des années 1880 sont les familles nobles résidant dans les communes voisines, propriétaires de ces domaines et métairies. Ils ont dû consentir à des réductions sur les baux, au retard de paiement des fermages. Or dans les châteaux cohabitent des ménages de plusieurs générations, avec un certain nombre de collatéraux célibataires, tous vivant essentiellement des revenus du patrimoine familial : le seul « métier » qui ne déroge pas, pour les chefs de famille, est l’engagement militaire, peu lucratif. Pénalisés par le blocage des loyers fonciers – qui ne se dégage qu’après 1905 –, tentés par les placements mobiliers que propose le développement industriel et bancaire à l’échelle nationale, ils mettent en vente leurs fermes. Les agriculteurs les plus « avancés » sont en mesure, on l’a vu, d’acheter les fonds qu’ils exploitent34.
71En 1880 la Gimbertière (7 ha) passe des châtelains de Préval à Jules Rollin, leur fermier à la Maillardière – le même achète en 1913 le bordage des Marquetières (8 ha avec ses bois), et 14 ha de bois aux héritiers du châtelain d’Avezé. En 1881 le locataire du moulin de Villiers (10 ha) en achète le fonds, avec la ferme de Courtoulin (20 ha), à un héritier des Tascher, de Pouvrai. En 1885 les Romanet de Bellou cèdent Crennes (25 ha) à leur fermier ; en 1888 un descendant du fermier qui cultivait en l’an III à Blandé achète la Frênaie (54 ha) ; en 1894 la Durandière passe à son fermier ; en 1905 le Désert (62 ha) devient propriété de deux ménages alliés qui s’installent pour exploiter ensemble. Bien des héritiers, devenus citadins, de propriétaires ruraux de la première moitié du xixe, vendent leurs fermes. Ceux de JeanFrançois Lambert, le plus grand propriétaire de la commune en 1837, résidant tous en ville, vendent l’Aunay-Morie (8 ha) en 1872 au fermier voisin, et en 1882 les Maisons-Neuves (30 ha) au fermier en place. Les acquéreurs de fermes sont preneurs encore de parcelles contiguës. « Vers 1909 mon grand-père [fermier de Crennes acheté en 1886 aux châtelains de Bellou] a complété en achetant des petits biens à côté, c’était la crise pour beaucoup de petits paysans, ils étaient obligés de vendre », dit l’héritier qui a cultivé ces terres, aujourd’hui retiré dans une grande maison du bourg.
72Ce sont plus de 400 ha, répartis entre 29 unités agricoles, qui passent durant la période à des ménages paysans, jusque là fermiers : 221 ha sont cédés par les familles de la noblesse du voisinage, et 8 fermes de 10 à 20 ha, de 1912 à 1920, par des propriétaires citadins dont certains descendent de familles résidentes mais ont définitivement émigré.
73La fortune amassée par Jules Rollin témoigne de cette ascension foncière des familles de la paysannerie moyenne aux dépens tant des biens nobles que des fonds émiettés d’une petite paysannerie qui émigre. En 1880 il reprend après son père le bail de la Maillardière (18 ha), propriété des Torsay résidant au château de Préval. Ce père avait 7 frères et sœurs utérins, dont 5 sont décédés avant la donation-partage du grand-père ; si bien que les 12 ha en lots dispersés acquis par ce dernier autour de la ferme en 1865 reviennent à Jules et à une sœur. Outre les acquisitions extérieures à l’aire qu’il cultive, ce dernier agrandit son fonds, chaque année, d’« héritages » de petites gens quittant la commune – parcelles en labours et en prés dans l’aire de la Maillardière, plusieurs maisons au bourg –, et sa cote foncière atteint 46 ha en 1913. En 1919 il acquiert la Maillardière, et fait construire une grande maison bourgeoise sur ses terres – qui englobent, se touchant, la Grange rouge, la Beaucerie, la Mine, et une partie des terres de la Durandière. Plusieurs unités de contenance moyenne passent encore à son compte, avec des dizaines d’hectares de bois aux limites des communes du Theil et d’Avezé : à son décès en 1935 une masse de 135 ha sera partagée en 3 lots. Cette accumulation foncière va de pair avec une stratégie d’alliances renchaînées sur trois générations – 8 mariages de 1876 à 1931 – avec deux familles de l’élite paysanne du temps.
- 35 Cf. les renchaînements d’alliance autour des Rollin et des Vincent, chap. II, fig. 13 et 18.
- 36 La dot diffère de la mise en communauté des économies de chacun des époux ; elle est un don des pa (...)
- 37 Cette génération bénéficie des aménagements successoraux qui se mettent en place pour pallier l’éc (...)
74L’accession à la propriété d’Alexis Vincent, fils d’une mère veuve avec 6 enfants, est plus rapide encore, et s’appuie également sur une solidarité entretenue par des renouvellements d’alliance en parenté35. En 1853 il épouse la fille du fermier de la Bretèche, d’une fratrie de 7, qui n’apporte au mariage que 50 f, avec « ses hardes », face aux 700 F d’économies de l’époux. En 1858 le ménage prend en location la Durandière (15 ha) ; en 1870 il obtient le bail des Maisons Neuves (30 ha) dont le fermier sortant est de leur parentèle (père des deux épouses des deux fils d’un cousin germain paternel d’Alexis). Le ménage d’Alexis, qui a 5 enfants, achète les Maisons Neuves en 1882 ; chacune de ses trois filles épouse un agriculteur propriétaire et reçoit 4 000 F de dot, ce qui signale une aisance dépassant en ce temps la catégorie moyenne des ménages paysans36. En 1886, Jules, l’aîné des fils d’Alexis – qui a reçu, à égalité avec son frère et comme son épouse, 5 000 F de dot –, succède au père aux Maisons Neuves ; son ménage est pourvu en 1894 d’une donation de 26 000 F des parents de l’épouse, moyennant rente viagère de 1 000 f/an pour eux, et 250 F pour un fils prêtre. En 1914, au partage d’Alexis le père, Jules devient propriétaire des Maisons Neuves en versant à son frère cadet une soulte de 24 000 F37. Il a 3 filles qui font des mariages homogames ; celle dont l’époux s’installe hôtelier et grainetier au bourg rachète à ses sœurs leurs parts de la ferme des Maisons Neuves, qui à son décès revient à sa fille unique dont la descendance détient la ferme encore en 1990.
75Des « montées sociales » aboutissant à l’acquisition d’une grande ferme partent aussi de plus bas. Le ménage de Jules Sépart, journalier, époux d’une Victorine Magdelaine « née de père et de mère inconnus », réside en 1851 à la Chauvalière (3 ha), près des bois du Theil, avec 2 enfants et un nourrisson, et en 1881 à la ferme voisine de l’Auberdière (6 ha). Barthélémy le fils est en 1872 aussi journalier ; il n’est à nouveau recensé dans la commune qu’en 1881, cultivateur à la Beaucerie ; en 1895, à 54 ans, il prend le bail de Champfort (28 ha). En 1905 il achète la ferme des Petites Moutonnières (8 ha 59), où s’installe le ménage de sa fille aînée. Quand en 1910, à son décès, ce bien est partagé entre 5 enfants, Henri son second fils en devient propriétaire en rachetant les parts de ses 4 cohéritiers, et reste à Champfort, célibataire, auprès du ménage de Léon, le troisième fils, successeur du père sur la ferme et son acquéreur en 1929. On dépasse ici le tournant des xixe-xxe siècles pour anticiper sur l’accentuation de l’appropriation paysanne qui suit la Première guerre.
76Au fur et à mesure que les progrès du machinisme agricole mettent en évidence l’efficacité de l’élargissement du parcellaire, l’objectif de « faire se tenir ensemble le plus possible les parcelles », en utilisant les divers modes juridiques de la recomposition – y compris la pratique ancestrale des échanges –, s’est donc trouvé satisfait par la mise à disponibilité croissante, à l’achat et à la location, de petits ensembles et parcelles délaissés.
- 38 Sur la première matrice 173 constructions nouvelles sont recensées entre 1837 et 1870, dont 69 au (...)
77À cette première concentration des terres cultivées aux mains de la paysannerie, qui renforce la spécificité agricole des campagnes, correspond un développement des services et commerces au bourg, où l’enrichissement se manifeste non seulement par des achats fonciers – commerçants et surtout artisans confortent leurs attaches terriennes –, mais par un flux de nouvelles constructions38. Dans le « Dénombrement décennal de 1891 », qui classe la population par professions, on compte dans la rubrique « industrie » 29 actifs du bâtiment, 12 du bois, respectivement 6 et 7 du métal et du cuir, et dans celle du « commerce » 25 actifs de l’alimentation, dont 8 cabaretiers – depuis 1880, on ouvre un cabaret par simple demande à la Préfecture. C’est le début d’une période d’autarcie économique de la commune, qui sera peu atteinte par les effets des mouvements politiques et sociaux des décennies 1920-1940.
L’endettement
78Aussi longtemps que l’agriculture reste l’activité essentielle du plus grand nombre, « l’envie de terre » focalise les relations entre individus, foyers, groupes familiaux. En témoignent, au long des registres notariés, la profusion des actes sanctionnant les mobilisations fictives de terres – baux et résiliations, opérations d’échange et de transfert onéreux que multiplient à chaque succession les excès de la division –, mais aussi l’abondance des transactions portant sur des sommes d’argent ; elles attestent la pratique courante de l’emprunt de particulier à particulier, dans le cercle de l’interconnaissance communale et de la petite région, et la généralisation du crédit gagé sur un bien foncier.
79L’endettement est chronique. Il s’agit longtemps de l’échange de « pièces sonnantes et trébuchantes ». En 1838 un journalier fait un emprunt de 400 F à une veuve propriétaire, « comptés en pièces de 5 F » ; en 1911 le « fabricant de filet » – en réalité facteur d’une entreprise de la Ferté-Bernard –, le seul à proposer aux femmes du travail à domicile exige, pour un prêt de 10 000 F à 4 %, un remboursement « en espèces d’or et d’argent, par fractions d’au moins 2 000 F ». Même après la mise en place de dispositifs élargissant les moyens du crédit et conférant un certain anonymat aux parties, dans les premières décennies du xxe siècle encore la pratique d’emprunts hypothécaires dans un entourage proche reste banale. Entre journaliers circulent des prêts de quelques centaines de francs : en 1915 au décès d’Alexandre Revel, célibataire au Gué, qui possède au Clos une maison évaluée 500 F, on trouve une créance de 400 F sur le ménage de sa sœur, une autre de 265 F mais déclarée irrécouvrable par les héritiers des débiteurs. C’est surtout aux plus riches cependant que recourt le petit monde paysan, dont les budgets sont toujours précaires. En 1833 un tuilier emprunte 3 000 F à un châtelain propriétaire, en gageant la tuilerie qu’il vient d’acheter – peut-être grâce à l’emprunt ; il ne peut rembourser et en 1847 le créancier vend la tuilerie.
80La condition des agriculteurs déjà propriétaires est particulière : pour agrandir leur fonds ils s’endettent de milliers de francs qu’ils ne remboursent qu’en partie avant leur décès, à moins que les créanciers ne demandent la vente forcée des biens meubles, puis des terres. Les agriculteurs sont les emprunteurs les plus constants, et le crédit est fourni en majeure partie par des corésidents : un ancien tailleur, la veuve d’un menuisier, deux institutrices retraitées (l’une, fille d’un menuisier, est propriétaire d’une maison à étage place St Nicolas), des agriculteurs/propriétaires retraités, mais aussi une épicière/mercière, un cordonnier et son fils clerc de notaire, un cordier, le fabricant de filets, deux domestiques. Le taux ordinaire des emprunts est de 4 à 5 %, le délai de remboursement irrégulièrement signifié dans la reconnaissance de dette, si bien qu’on peut découvrir, au moment de la donation-partage entre 8 enfants, une obligation toujours due par une veuve, hypothéquée sur les fonds à répartir. Les objectifs de l’emprunt sont rarement explicités, tant dans les actes où intervient une hypothèque que dans les « prêts verbaux ».
81Or l’acte d’emprunt ne prend sens que replacé dans une série singulière d’incidences démographiques ou économiques éclairant la situation qui le suscite dans le cycle du ménage. On met à part les prêts consentis par les parents à leurs enfants, qui se justifient par une aide ordinaire à leur installation : en 1840 Louis Jailly, tailleur de pierre, donne quittance à son fils Alexandre, maréchal, d’une somme empruntée l’année précédente ; en 1871 Simon Belin, cultivateur/propriétaire, prête 2 000 F à son fils Pierre Jules, droguiste à Paris. Ces prêts, s’ils ne sont pas remboursés, figureront dans le règlement des « rapports » au moment de la donation-partage. Il en sera de même pour l’arriéré de 4 000 F de fermages dus aux parents de l’époux en 1894 par le ménage installé à l’Aunay-Maurie depuis 1881.
82Quand la mention d’une acquisition foncière s’y trouve adjointe, l’emprunt coïncide avec un changement de statut dans la trajectoire du ménage paysan, puis de sa descendance. François Perron, d’une fratrie de 7, domestique à son mariage en 1863, héritier en 1872 d’un demi-champ de 44 ares, charpentier à la Mine en 1876, cultivateur à la Grange Rouge en 1881, emprunte cette année-là 5 000 F, pour 10 ans, aux agriculteurs/propriétaires d’une grande ferme, pour acheter le bordage de la Taille (4 ha), qu’il cultive jusqu’en 1906 ; en 1913 son fils unique, charpentier au Theil, est devenu propriétaire de la Taille et de parcelles adjacentes, et son épouse hérite de la ferme de l’Auberdière (6 ha), acquise en 1881 par ses parents. Ici l’emprunt d’un petit cultivateur est à l’origine d’une propriété agricole de 11 ha en 1936, que donnent en location, en 1985, les héritiers commerçants retraités au Theil.
83Les emprunts sont ordinairement gagés par une hypothèque sur des terres. En 1840 Jean Maurel emprunte 1 200 F en gageant sa part de l’héritage de son père, le Gué Bas (2 ha 37, évalué 5 000f) qu’il cultive ; dans le même temps il prête 400 F à un journalier propriétaire d’un bâtiment et de 80 ares. Opération analogue quand le ménage de cultivateurs qui achète l’Auberdière (6 ha) en 1881 emprunte en 1883, en gageant la ferme, 3 600 F à un ancien commerçant au bourg.
84La rente viagère est un autre mode de remboursement privilégié par les prêteurs : c’est la condition du prêt de 4 000 F consenti en 1878 par Eulalie Lebreton, ancienne institutrice, à sa sœur épouse de Pierre Jarrin, entrepreneur de battage au bourg. Chez ce dernier ménage, qui en 1872 reconnaît déjà devant notaire devoir 4 000 F à un propriétaire retraité, et 3 000 F à Joséphine Hélier, une autre institutrice, la réitération des emprunts témoigne de la déficience chronique de leur entreprise. D’autant que les Jarrin ont vendu, pour rembourser une autre dette, les pièces de terre qui assuraient une garantie hypothécaire au prêt consenti par Eulalie, à laquelle ils proposent alors un transfert de cette hypothèque sur leur maison du bourg ou sur la ferme de la Roncinière (héritage de l’époux). Cette ferme de 8 ha, évaluée 6 000f, sert de garantie pour la rente viagère que doit le ménage Jarrin à Eulalie et à nouveau, en 1881, pour un nouvel emprunt de 14 000 F au Crédit foncier de France. La même année les Jarrin remboursent un emprunt de 4 200 F à une agricultrice, 1 000 F et 2 000 F à d’autres prêteurs. Le ménage cependant ne se presse pas de se libérer de ce cycle d’endettements, puisqu’il ne vend la Roncinière qu’en 1887, pour la somme de 20 500 F.
- 39 Dans le compte de tutelle rendu à son beau-fils, cette seconde épouse rappelle que son ménage a « (...)
85Des ménages issus d’une ascendance de propriétaires au patronyme ancré et notable font preuve de la même incurie. Ainsi les Conte, à deux générations successives. Louise, fille de Louise Conte et du fermier du Désert épouse en 1885 son cousin LouisJacques, fils du frère de sa mère – et héritier pour moitié avec elle d’une ferme de 22 ha sur Gemages. Dès 1894 le nouveau ménage emprunte au propriétaire de l’hôtel du Cheval blanc, au bourg, 15 000 F qu’il ne rembourse qu’en 1906 – une mainlevée du créancier en témoigne –, après avoir vendu une ferme venant de l’ascendance de l’époux. LouisJacques, qui a perdu sa mère à sa naissance, est l’héritier unique des biens de l’un et l’autre de ses parents – notamment de la moitié de la ferme de Gemages –, et de ceux de la seconde épouse de son père39 (fille de Louis Jarrin (cf. II, p. 125) qui n’a pas d’enfant ; le tiers de l’héritage de sa riche grand-mère maternelle – 12 ha – lui revient aussi. Le ménage Conte continue d’emprunter – des sommes de 1 000 à 4 000 F – à l’une des institutrices retraitées, à un cordonnier au bourg, à une propriétaire de Mortagne par l’intermédiaire du fabricant de filet, et rembourse en vendant les biens hérités par l’époux. En 1909 les mariés de 1885 dotent leur fille, qui épouse un agriculteur apportant bétail et matériel de culture, de 3 000 F et d’un bon mobilier – il faut tenir son rang. La donation-partage que le ménage fait à ses deux enfants en 1931 a pour contre-partie à la fois le service d’une rente viagère de 4 000 F et le règlement de leurs dettes – plus de 72000 F. La vente des 60 ha de terres que le fils et la fille de Louise et Louis Jacques ont à se partager ne couvrira pas les sommes à débourser. On peut supposer que cette charge a pesé sur le destin de descendants spoliés par l’insouciance de leurs grands-parents.
- 40 Dans la moitié au moins des inventaires après décès on trouve, parmi les dettes passives, de longu (...)
86On repère encore l’endettement ordinaire des agriculteurs/propriétaires dans les inventaires après décès qui font le bilan des avoirs et des dus, et dans les actes de vente mobilière forcée. Il apparaît que bon nombre des acquéreurs ne paient qu’en partie, sur-le-champ, les fonds qu’on leur cède, retardant le règlement définitif : – on peut rapprocher cette répugnance des ménages paysans à débourser dès l’effectuation le montant d’une acquisition de terres au retard ordinaire à régler, à un niveau plus modeste, le prix de fournitures ou de services40. Si l’on reprend l’itinéraire de François Revel, abordé ci-dessus, le montant des dettes à son décès (1875) – 6 600 F, contre 2 700 F de créances actives – laisse supposer que les fonds dont les entrées s’échelonnent à son compte depuis 1865 n’étaient pas alors entièrement payés.
87Lors de la liquidation de succession après décès, en 1879, de François Julien Gaillet, retiré au bordage de l’Arche proche du bourg après avoir été fermier des Maisons Neuves (30 ha) jusqu’en 1870, – et notable encore puisqu’il est nommé maire par le Préfet en 1874 –, il y a 28367 F de créances passives pour 7 579 F de créances actives. Sur la matrice on dénombre à son compte 27 entrées, dont la plus importante se rapporte, en 1866, au rachat à ses cohéritiers – échelonné sur 15 ans – des trois quarts d’une ferme de 23 ha dont il a reçu le quart à la donation-partage de ses parents en 1854. À son décès 13 000 F restent dus sur cet achat, parmi d’autres dettes, dont les emprunts faits pour « compléter » aussi un bordage dont une part revenait par héritage à son épouse. Cette politique de récupération des parts de biens agricoles morcelés par la donation, dont le crédit, quasi-illimité, risque d’investir les héritiers de la dette, apparaît au long des actes comme un comportement fréquent et de longue date. En 1833 déjà Marin Rivot, endetté de plus de 5 000 F, fait donation à ses deux enfants de deux bordages : ils se partagent celui de Bois-Carré (2 ha 30) et vendent celui de la Beauchardière (3 ha 23) pour payer les dettes, restant tenus néanmoins « de constituer une rente au Sieur Rivot leur père de 300 F, 5 hl de cidre, 6 hl de blé ».
88Il apparaît donc que bien des héritiers de cultivateurs/propriétaires ont à débourser, à l’issue de la donation-partage – qu’elle porte sur 5 ha ou plus de 30 –, outre la rente viagère contre-don du lot reçu, des sommes équivalant au reliquat des dettes laissées par les parents. Soit ils vendent une partie des terres acquises par la génération précédente, soit ils s’endettent à leur tour...
89L’irruption du malheur biologique accentue la situation d’impasse que crée un endettement renouvelé, et conduit à la vente précoce de la ferme familiale – donc à la suppression de tout héritage pour la génération suivante. En 1894, à l’inventaire après le décès, à 38 ans, de l’époux d’une petite-fille de René Rivot (supra p. 37), exploitant en propriété la ferme de Launay, la liste des dettes atteint un montant de 31 000 F, face à une créance active de 10 F sur le livret de Caisse d’épargne ! Il s’agit d’une série d’emprunts de 2 000 à 4 000 francs auprès d’agriculteurs du voisinage mais aussi du menuisier, du boulanger, du sacristain, d’un négociant, d’un garçon d’écurie de la Ferté-Bernard, et d’une accumulation de petites sommes dues aux journaliers et domestiques, hongreur, maréchal, cordonnier, boucher, et même aux Sœurs de l’école pour la fourniture de cahiers aux enfants. La prisée d’un bon cheptel, s’agissant une ferme de 12 ha – deux juments, 5 vaches avec leurs veaux, 14 taures et un taureau – est loin d’atteindre cette somme, et le décès de la veuve qui suit de peu (1896), laissant 4 enfants mineurs, entraîne la vente de la ferme par adjudication. La coïncidence entre une dette démesurée pour une exploitation en propriété de 12 ha et les décès prématurés successifs des époux qui la gèrent peut conduire, bien qu’on sache le poids de la morbidité encore dans les campagnes au terme du xixe, à douter d’une cause naturelle du second décès en tous cas, en raison des nombreuses morts volontaires concluant des situations de mauvaise fortune dont font état nos interlocuteurs, concernant tant leur ascendance que, dans le temps de l’enquête, leurs proches ou le voisinage.
De 1920 aux lois agricoles de 1960-1962
Les petits biens : maintien ou absorption
90Lors de la réfection du plan et de la matrice en 1957 on relève 359 propriétaires – la commune compte alors 963 habitants. La moitié des comptes encore n’atteint pas l’hectare : pour la majeure partie c’est la contenance de la maison, avec jardin et clos, revenant à des habitants, actifs non agriculteurs et retraités de tous métiers, et aux premiers vacanciers parisiens devenus résidents secondaires ; un quart de ces micro-fonds appartient encore à des héritiers émigrés. Le nombre des cotes de 1 à 2 ha, contenance du petit bien agricole élémentaire du xixe, est réduit au tiers de celui de 1913. On dénombre encore 80 cotes de 2 à 10 ha, dont près de la moitié sont à des résidents, fonds de « petites cultures » qui ne subsistent qu’avec l’apport d’un revenu extérieur par l’un des membres du ménage.
91Marcelle, née en 1925, a hérité, avec une sœur, d’un bordage de 3 ha 50 aux Bézardières. Elle mentionne la stabilité de contenance de ce bien transmis à travers des progénitures réduites – le ménage du père du père de la mère de son père y est recensé, déjà propriétaire, en 1836. Ce fonds – « tout en prés, on faisait labourer seulement 20 ares pour les betteraves » – est donné en location par ses parents quand ils prennent le fermage de Courmartin (15 ha). Mariée en 1947, Marcelle se place avec son mari « ménage » dans une ferme de la région d’origine de ce dernier. Après le décès de son père (1952) elle revient aider la mère retirée aux Bézardières et prend en location complémentaire 4 ha de pâtures pour quelques vaches dont elle vend le lait ; son mari est chauffeur à la Cuma locale, puis ouvrier à la cidrerie du Theil. Au décès de la mère, Marcelle rachète la part de sa sœur, pour avoir « le tour de la maison avec le clos », qu’elle donne en location ; elle vend les prés « à celui qui nous louait depuis longtemps ». Après le décès de son mari, elle fait construire aux abords du bourg une maison de 4 pièces : « c’est mon fils – à la tête d’une petite entreprise d’électricité à la Ferté-Bernard – qui a tout fait à l’intérieur ».
92Le bien des Gastine n’est pas un héritage, mais une acquisition. Ils arrivent à St Germain en 1935, locataires sur 4 ha, avec 2 vaches. Placée à 10 ans « pour garder les oies », n’ayant pu apprendre à lire, l’épouse prend des enfants en nourrice ; lui va travailler dans les fermes, est chauffeur pour la tournée du pressoir à cidre, et « quand on empruntait un cheval et la charrue je rendais en journées ». En 1944 il achète un cheval et du matériel lors d’une vente mobilière, et prend en location les Petites Moutonnières (8 ha 50) à la limite des bois du Theil ; il continue de « faire des journées » tout en cultivant la petite ferme, qu’il achète en 1954. En 1985, leurs enfants ayant quitté la commune, les terres sont « données à faire » au fermier voisin de la Chartrie, qui en 1988 achète le fonds.
93Sans l’apport d’un salaire extérieur, ces petites exploitations résiduelles ont une survie plus courte. Reprenons la ferme du Gué (supra p. 37) après 1905. Avant de partager en 3 lots un fonds de 16 ha, Basile Revel a fait bail de la ferme, en 1901, à son fils Basile Eugène, qui ne réside déjà plus au Gué en 1905, mais a pris à bail une ferme proche de 8 ha. Son père, toujours usufruitier du fonds qu’il a réparti, donne la ferme en location à un ménage de sa parenté – l’épouse est la sœur du mari de sa fille – et renouvelle ce bail en 1911. Le ménage de sa fille a de son côté délaissé les 6 ha hérités à l’Haumotière pour prendre le bail de la Brûlerie (13 ha). En 1912 le ménage de Basile Eugène, en 1915 celui de sa sœur prennent en location des fermes de plus de 20 ha sur Gemages. En 1921, puis 1926, à la ferme familiale du Gué on recense le ménage de Basile Henri, fils aîné de Basile Eugène. En 1936 on y trouve un gendre, veuf, d’Alphonse, le frère aîné de Basile décédé hors de la commune en 1890, et dont la fille, sa seule héritière, a racheté en 1931 au ménage de la fille de Basile, sa cousine, la moitié des 4 ha 70 de la Foucherie, acquis par cette dernière en 1921 des orphelins de sa sœur aînée, dont c’était la part d’héritage.
94L’attachement au bien de famille est signifié ici par la multiplication des transactions dans la parenté, et le recours des ménages de générations successives à l’installation au Gué, avant de trouver à louer une plus grande ferme. Après le décès de la fille d’Alphonse, son époux cultive encore au Gué avec l’aide de sa fille, qui s’installe ailleurs à son mariage en 1946. La petite ferme n’est plus viable et le fonds, toujours morcelé en dépit de rachats partiels entre des héritiers qui s’endettent, est vendu par adjudication en 1952 à l’exploitant/propriétaire de la ferme de Courtoulin (18 ha).
- 41 cf. IV, fig. 26, p. 179.
95L’extension de la propriété des agriculteurs de 1920 à 1950 vient essentiellement d’un second transfert substantiel – après celui du tournant du siècle – d’unités agricoles dont se défont des propriétaires non-résidents. Aux ménages paysans reviennent notamment 11 fermes de 10 à 20 ha, 8 fermes de 20 à 45 ha. S’il s’agit d’une première cession pour 4 grandes fermes délaissées par les familles nobles, la plupart des terres sont acquises par des exploitants au terme de plusieurs mutations passées entre citadins, et dont le cours témoigne du désintérêt progressif pour les placements en terres agricoles de ceux qui n’ont plus de parenté dans la commune. Cette nouvelle période de basculement foncier avantage surtout les ménages déjà propriétaires, dont certains récupèrent de petites unités agricoles qui, figurant au compte d’un ascendant de troisième ou quatrième génération, étaient passées à une lignée parallèle : ces transactions, nombreuses, ne sont pas de hasard, elles perpétuent l’efficience, tout au long du temps de l’investigation, des échanges fonciers et locatifs dont les plus appréciés sont les opérations qui reconstituent au profit d’une lignée l’intégralité d’une ferme de lointaine ascendance partagée dans la première moitié du xixe41. Réajuster des parts « égarées » durant deux ou trois générations par le morcellement d’une succession conforte, aux yeux des autres, l’ancrage du lignage.
96L’absorption des petits biens par la moyenne paysannerie contribue, on le constate, à asseoir une propriété paysanne qui s’élargit, en même temps que s’opère un remembrement au niveau de l’exploitation. On arrache haies et pommiers, on élargit le maillage foncier par un regroupement des parcelles : dans l’« état des lieux » de la ferme de la Fosse en 1935, par exemple, on fait état de « pièces » s’étendant sur 3 ha 58 (par la réunion de 5 parcelles), sur 3 ha 18 (à partir de 2 parcelles et du sol d’un ancien chemin). Cette dilatation du parcellaire de la propriété paysanne est enregistrée lors de la réfection du plan cadastral en 1957. Et la matrice donne à lire ce gonflement des comptes des agriculteurs : ils tiennent alors 14 des 25 fonds de 20 à 40 ha, et 10 des 19 fonds dépassant cette contenance – dont 8 autres restent au nom d’agriculteurs, actifs ou retraités, héritiers d’exploitants sur St Germain mais installés par alliance sur l’exploitation en propriété d’une commune voisine.
97Dans le cadre de cette concentration, on observe les achats concertés d’un exploitant pour assembler, à partir de deux acquisitions distinctes, une unité se tenant de 16 ha. Ce fermier de Launay achète en 1920 une moitié (8 ha) des terres de la Godardière – ferme toute proche – à des descendants du ménage Rivot qui partagea ses biens en 1825 entre 9 enfants (supra p. 36) ; la même année il acquiert, de seconde main, 8 ha et les bâtiments de Launay, qui faisaient partie des mêmes fonds partagés en 1825 : l’ensemble parcellaire ainsi acquis suit en grande partie le contour d’une grande ferme cultivée en propriété familiale de 1800 à 1860.
- 42 Selon le Recensement Général de l’Agriculture de 1955, 1725 ha, sur 2500 exploités, sont encore en (...)
98Plus remarquable est la série d’acquisitions qui, de 1910 à 1970, réunit entre les mains d’un père puis d’un fils successeur une part majeure de 6 unités agricoles de la vallée de la Même que tenait en propriété partielle, au milieu du xixe, le réseau parentélaire des Jarrin (chap. III, p. 124), et qui furent dispersées par les partages. Deux fils de Pierre Jarrin, l’aîné Pierre entrepreneur de battage au bourg, et le benjamin Simon, qui tient une ferme à Préval, vendent, dans les années 1880, leur moitié héritée de la Roncinière (7 ha 37 chacun) l’un à un commerçant et l’autre à un cordonnier. Ces moitiés se trouvent rassemblées par les achats, en 1912 et 1918, de Louis Bernier, locataire depuis 1901 de la ferme jumelle de la Rouillerie (8 ha), lot hérité par une sœur de Pierre et de Simon, et dont il achète aussi une part des terres. En 1928, le fils Henri succède au père sur une exploitation qui ramasse alors 20 ha en propriété. En 1938 il obtient, des descendants de la sœur Jarrin, le reste des terres de la Rouillerie (7 ha) ; en 1947 il hérite, d’un frère de sa mère sans héritier direct, et moyennant une soulte de 500 000 F à sa sœur, la ferme de Lorière (7 ha). Henri exploite aussi 11 ha de prés – « la part de ma femme, près de Bellême. J’ai eu un temps plus de 50 ha d’herbages, j’avais une presse pour le foin et on s’entraidait avec les voisins ; je ne faisais plus de cultures – dès 1959 il réside dans une ancienne petite ferme aménagée comme une maison du bourg –, seulement des bestiaux ; je menais jusqu’au bout des bœufs de 500 kg tout à l’herbe42, j’ai vendu les dernières bêtes, en 1978, 8 000 F pièce ». Ni le frère ni la sœur de la mère d’Henri n’ont d’héritier direct, Henri n’a qu’une sœur – épouse d’un agriculteur résident –, et des filles qui se marient hors de la commune : la nouvelle dynastie d’agriculteurs/propriétaires s’arrête là, les terres sont dispersées par ventes et locations. La dissolution du cycle d’appropriation familiale est ici dûe à la carence de successeur, tandis que c’était le nombre et la dispersion des héritiers qui avait mis fin au cycle d’emprise familiale antécédent sur les fermes de la vallée de la Même.
Prépondérance des exploitations familiales
99Les acquisitions des années 1920-1960 participent à une concentration générale du parcellaire de l’exploitation. Selon le Recensement Général de l’Agriculture de 1970, sa surface moyenne dans le Perche est de 26 ha (23 ha pour l’Orne), et pour la région le nombre des unités a diminué de 20 % en regard du chiffre de 1955, celles de 20 à 50 ha, tenues par des ménages de 35 à 55 ans, représentant alors 42 % du total. Dans la commune la surface en herbe est réduite à 70 % de celle de 1955, et on continue de « retourner les prés » jusqu’en 1980. Les fermes de moins de 20 ha pratiquent encore, pour un temps ultime, la rotation quadriennale. Le blé est commercialisé ; la « mélarde » – mélange d’orge et d’avoine – est destinée à un troupeau bovin encore essentiellement laitier ; la sole d’avoine, de même surface, doit nourrir plus de 200 chevaux ; dans la sole « en couchis » on sème la prairie artificielle – trèfle et luzerne. Mais « la révolution du maïs fourrager » est en cours, et en 1979-1980, sur 2 135 ha de surface utile, sa sole (246 ha) est égale à la moitié de celle des céréales – et croîtra jusqu’à atteindre une surface égale en 1988.
100La progression du remembrement et l’évolution rapide des systèmes de culture atténuent l’ancienne ségrégation entre les domaines et métairies affermés d’une part, les exploitations paysannes en propriété partielle d’autre part. Dans les années précédant la Seconde guerre, c’est l’échelle du train de culture et de la productivité qui fait la différence, dans une intégration analogue à l’économie régionale. De 1954 à 1975 le nombre des exploitations passe de 111 à 72, dont 62 seulement sont cultivées à partir d’un corps de ferme ; et la moitié de ces « vraies fermes » sont tenues en 1975 par un descendant du ménage en place en 1954. Ce taux de succession familiale était plus important encore avant 1954 pour les nombreuses fermes acquises au terme de la Première guerre, qu’elles soient en propriété totale ou partielle.
101Il en est ainsi à la Suardière – 26 ha en propriété, 14 ha en location. Le ménage Foulon, marié en 1947, locataire d’abord d’une petite ferme de 10 ha proche de celle des parents de l’époux – « on se servait du matériel du père » – leur succède en 1956 quand ces derniers, qui ont acheté la ferme de la Suardière (26 ha) en 1926 à l’ancien notaire de la commune, leur font bail et se retirent. Lors de la succession du père en 1965, le ménage doit dédommager les 6 frère et sœurs de l’époux : « on a eu un prêt du Crédit agricole sur 19 ans, c’était dur au début, parce qu’il a fallu acheter une faneuse, une rateleuse, et on voulait garder en location les 14 ha en pré sur la commune à côté ; ce qui a aidé c’est qu’on faisait des petits cochons, en une année ça permettait d’acheter une machine ». En 1980 cette spéculation n’est plus primordiale, mais il y a encore 10 truies et 100 porcelets à la ferme ; on y élève 15 vaches laitières et la fermière, jusqu’en 1972, va vendre au marché de la Ferté-Bernard le beurre qu’elle baratte.
- 43 Le même Recensement de 1955 relève dans la commune 55 salariés agricoles.
« On a toujours eu quelqu’un pour aider43 ; on faisait moitié prés moitié terres, et les cotaisons sur 4 ans c’était luzerne et betterave, blé, orge, et trèfle dans l’orge. Depuis 1965 c’est maïs avant le blé, la luzerne à part qui reste 3/4 ans ; on ne vend que le blé, on garde tout le fourrage pour nos bêtes, on prend des bœufs qu’on élève jusqu’à 3 ans et demie sur les prés, en tournant, cette année on a rentré 52 jeunes. »
102« La Suardière c’est déjà une bonne ferme », nous dit-on ; l’adverbe connote, en 1980, le seuil minimum de l’indépendance économique – 40 ha. Une gestion efficace durant deux générations, et pour la seconde le bénéfice de l’inflation monétaire, ont pu couvrir les endettements qui ont permis l’achat par le père en 1926, le rachat à six frères et sœurs par le fils aîné en 1965. Après le décès de son épouse en 1982, l’exploitant se retire, aucun des 4 enfants, installés dans le commerce et l’entreprise artisanale, ne reprend la ferme, dont ils gardent la propriété indivise avec le père ; elle est baillée à un jeune fermier « venu d’ailleurs ».
- 44 À partir de 1925 au Theil se développent deux cidreries s’adjoignant aussi la production d’alcool. (...)
103Dans la même période les exploitations de 15 à 20 ha tenues exclusivement en propriété familiale ont un mode d’économie plus limité ; dès 1960 elles apparaissent destinées à disparaître, et les enfants qui y ont été élevés ont à trouver un emploi à l’extérieur. Il en va ainsi à la Galopinière. Après avoir repris le bail de la ferme en 1873, succédant au père de son épouse (supra p. 40), Alexandre Grais achète le fonds (8 ha) en 1901 – « 20 000 F or en louis », précise son petit-fils ; de ses deux fils, le cadet Léon succède et achète en 1920 2 bordages « qui touchent », augmentant jusqu’à 15 ha la surface de la ferme. Après le partage de Léon entre un fils et une fille en 1949, c’est le ménage de cette dernière qui reprend la Galopinière, cultivant, avec sa part héritée, le lot équivalent que lui baille son frère ; ce dernier est employé municipal, et son épouse exploite une petite ferme (10 ha) héritée de ses parents. À la Galopinière, dans les décennies 1950-1970, on mène toujours les cultures en rotation quadriennale, avec betteraves et pommes de terre avant le blé ; « on élevait 8 moutons, 4 porcs dont 2 pour la maison, 5 vaches laitières dont on vendait les veaux ; il y avait deux chevaux à l’écurie, mais pas de machines » [hors l’ensemble de fabrication du cidre] ; « on prenait une entreprise à l’heure pour couper, faner, presser, rentrer. La patronne portait son beurre au marchand de la Ferté qui ramassait sur la place du Bas, avec les œufs et la volaille, tous les jeudis ». Dans les pâtures – que, selon l’exploitant, « les ancêtres laissaient 100 ans sans labourer » – la récolte de 150 pommiers est destinée à la fabrication du cidre44 ; comme dans la plupart des fermes tenues par des ménages au bord de la retraite, c’est sur place qu’on procède en fin d’automne 1985 à cette transformation artisanale d’un produit de la ferme.
104Le cadet des fils s’est embauché à l’imprimerie dès 1968 ; l’aîné est devenu en 1965 le « second » du patron de la scierie locale, propriétaire aussi du pressoir à pommes qui tourne de ferme en ferme dans l’aire des communes proches au début de l’hiver.
105En ce plein milieu du xxe siècle la réduction globale des progénitures, puis l’afflux des emplois hors de l’agriculture après la Seconde guerre rendent caduque la rivalité entre héritiers pour la succession sur la ferme familiale. Le rythme de mobilité contraignant les itinéraires des jeunes ménages reste dépendant néanmoins de la position des parents dans la hiérarchie de l’établissement paysan. Selon une agricultrice retraitée dont le ménage a acheté en 1952 une ferme de 22 ha d’abord prise à bail, « les jeunes mariés s’installent en premier sur “une ferme de famille”, nous on est rentrés à la Plissonière (10 ha), que mon père tenait de son père ». Une autre précise que « nos trois fils ont débuté au Tertre (10 ha) qu’on avait acheté, chacun leur tour 3 ans, avec 6 ou 7 vaches et ils faisaient des porcs gras ». Maurice Mauger, dont le père est locataire des Grandes Courbes (28 ha) de 1934 à 1949, a bénéficié aussi, en épousant la fille de cultivateurs/propriétaires, d’une petite ferme pour l’installation en jeune ménage – « on travaillait avec eux, on ne payait pas de bail, on s’arrangeait c’était à l’amiable » – ; Maurice et son épouse succèdent aux Courbes en 1950, et ne quittent la ferme que pour la retraite au bourg en 1986, négligeant en 1964 la proposition de vente faite par la propriétaire, descendante d’un Jarrin installé aux Courbes en 1866 – « aucun des fils ne voulait être agriculteur ».
106Quand les parents sont propriétaires de plusieurs grandes fermes, le(s) successeur(s) évite(nt) le rite de passage par une petite ferme :
- 45 C’est-à-dire tenir l’exploitation durant le nombre d’années juridiquement requises pour l’installa (...)
« quand mon frère aîné, marié, a succédé à la ferme de Préaux (propriété familiale), mon père est revenu ici (autre propriété familiale) pour me faire une place 45 puis au bout de 5 ans quand j’étais en âge de me marier, mes parents sont repartis sur une petite ferme qu’ils avaient achetée à 6 km ».
107Les jeunes qui se marient dans la décennie 1950-1960, et dont les parents ne disposent pas d’une « ferme d’attente », peinent plus longtemps avant d’accéder à l’unité agricole susceptible de devenir le pivot d’une vie familiale et professionnelle. Claude Millet et son épouse sont restés 10 années locataires d’« une petite ferme où les parents avaient aussi débuté, 13 champs pour 13 ha et rien que du sable, c’était dur et pas rentable » ; c’est seulement en 1970 qu’ils peuvent reprendre les Maisons Neuves (35 ha), succédant aux parents de l’époux. De même René Ontage, qui se marie en 1961, prend à bail le Gué (10 ha), tout près de la Petite Maurie (15 ha) que ses parents exploitent en fermage depuis 1932 : « on est restés 3 ans, il n’y avait pas de lumière, le locataire d’avant avait refusé il avait peur du feu, pas d’eau courante ; j’ai eu 3 vaches de mes parents, je me servais de leur matériel, on avait un cheval sur chaque ferme ». Fermier de la métairie de Champfort (28 ha) depuis 1964, il a doublé la surface de son exploitation en 1985, par locations et acquisitions ; au terme de la décennie suivante, le ménage achète la ferme avant de se retirer.
108Quand l’aide d’ascendants fait totalement défaut, l’accession à la location d’une bonne ferme se paie de dix années de travaux de journaliers pour un jeune ménage, qui néanmoins ne peut acheter la ferme qu’il cultive quand elle est mise en vente, et doit reprendre les travaux pour les autres. Fernand Gilles, né en 1898 – « ma naissance c’est Bellou » –, reprend sur cette commune en 1927 une ferme de 10 ha.
- 46 Le terme vient de « calve », chauve ; les moissonneurs rasent les épis et font du champ un chauve.
« Avant, déjà marié je travaillais chez mon père – on habitait dans notre maison qu’on louait à part – puis j’allais faire la Beauce. J’avais commencé tout gamin à 17 ans, “calvanier46” pour détourer les champs avant moisson. Mobilisé à la guerre, j’y suis retourné en 1923, 24, 25. J’allais pour les binages de betteraves, les luzernes, je m’en revenais ici faire les foins, quand c’était fini j’y retournais faire la moisson ; je m’en revenais par ici aux batteries et puis je repartais pour décolleter les betteraves le 15 octobre, j’étais dans une petite ferme et le patron travaillait avec moi. Ma femme restait à la maison, allait aider chez mon père puis chez les voisins. »
109Ils reprennent en 1935 une ferme de 35 ha.
« Le propriétaire c’était l’ancien notaire, il avait eu aussi la Suardière, puis deux belles maisons du bourg ; mais en 1939 il a mis la ferme en vente, on n’avait pas l’argent pour l’acheter, si on empruntait à 5 du cent ça nous faisait trop monter le fermage, pis il aurait fallu rembourser. On est allés atterrir à la Grange rouge – un hameau –, on était redevenus journaliers. J’ai travaillé dans le bois du Theil, à la Toussaint je partais tout seul, à tâche au nombre de stères, faire du taillis pour le chauffage et les piquets ; puis avec ma femme on a essayé la grume mais c’était trop dur pour elle le passe-partout, alors on ébranchait la grume à terre. On a travaillé aussi dans les bois de Bellou, 2 km à faire pour y aller, on faisait 5 stères de sapin par jour, payés 7 F du stère c’était plus qu’en culture. Quand mon père est mort en 1952 on a pris la succession de sa ferme à Nogent-le Bernard, on la faisait d’ici, tout était en herbe qu’on vendait sur pied, on était redevenus exploitants on a eu la retraite. »
110À 83 ans Fernand, veuf, est propriétaire d’une petite maison aux marges du bourg, qu’il traverse chaque jour pour aller, dans un pré dont il récolte les pommes, s’occuper d’une douzaine de moutons qu’il vend « à celui qui en veut » – la mode des réunions autour d’un méchoui est favorable à ce petit commerce.
111À toute période s’établit dans la collectivité résidente une stratification économique et sociale, qu’à la fois suscite et réfléchit son organisation et son fonctionnement quotidiens. Si l’on revient au cœur du xixe, avant que se fassent sentir les effets de la récession démographique et des premières améliorations de l’agriculture, l’écart est fondamental entre les gros fermiers à la tête d’unités de 30 à 60 ha et les ménages paysans tenant en propriété partielle des fermes de 12 à 20 ha dont les terres ne sont que partiellement regroupées. Les uns disposent de 6 à 10 domestiques s’affairant autour d’un train de culture analogue à celui des riches fermes beauceronnes, ils sont les promoteurs des progrès agronomiques et techniques et dominent l’économie locale ; tandis que les autres congédient le domestique dès que l’aîné des enfants est en âge de travailler, et utilisent leurs modestes moyens à acquérir de la terre plutôt qu’à se dégager d’une agriculture routinière.
112Installés pour la plupart à la périphérie du territoire, les fermiers des domaines restent, en ce temps, à distance de l’essaimage dense des fermes paysannes où se rejoignent « par les chemins de champ » des ménages parents occupant des fermes voisines. Pour la plupart « ils ne sont pas d’ici », leur parenté et leurs « héritages » se situent sur une autre commune ; ils recherchent l’homogamie plutôt que l’endogamie, et les alliances sont rares qui les rapprochent des propriétaires de fermes paysannes sur la commune : quand en 1863 la fille du fermier du Désert épouse un fils de Jean Jacques Poncet, le mandat de conseiller municipal du père du marié, et la parentèle solidement assise de sa mère pallient sans doute la modestie du lot foncier que recevra un héritier qui a 7 frères et sœurs.
113Dans les débuts du xxe siècle l’isolement des fermes de la périphérie est tempéré par un meilleur entretien des routes et chemins ruraux ; mais surtout le développement des commerces et des artisanats de l’équipement agricole, qu’achalande la clientèle des communes limitrophes, accroît pour les fermiers des domaines l’attrait du bourg, valorisé aussi par la présence de l’étude notariale, l’importance de la cure, l’activité encore de deux moulins, enfin une longue réputation d’animation et de rassemblement. Ils ne frayent pas avec le tout venant du paysannat local, mais sont rejoints au haut de la hiérarchie par les fermiers et moyens propriétaires issus des familles ancrées, qui en ce temps édifient ou augmentent leur patrimoine foncier. La diffusion de la carriole attelée de chevaux de trait, relevée dans les inventaires, souligne l’émergence d’une condition paysanne cossue : la catégorisation du siècle précédent s’assouplit, la caste des gros fermiers et la classe des tenanciers de fermes moyennes devenus propriétaires se rejoignent, et les alliances mixtes se banalisent au sein d’une plus large élite endogame (II, pp. 114 et sq).
Que devient le prestige d’« avoir la terre » ?
- 47 J. P. Boinon et J. Cavailhès, « Essai d’explication de la baisse du prix des terres », in P. Lamai (...)
114De 1950 à 1978 la valeur de la terre en France a presque quadruplée, avec un fléchissement quand, après 1970, augmente l’offre sur le marché des agriculteurs qui se retirent en bénéficiant de l’Indemnité Viagère de Départ (I.V.D.) ; « dans le cours des années 1960-1970, les agriculteurs remplacent les propriétaires bailleurs comme groupe “directeur” sur le marché foncier »47. À St Germain on affirme que, en dépit d’une baisse du prix des terres d’au moins 30 % enregistrée sur le plan national de 1976 à 1984, la forte demande dans la petite région maintient à la hausse celui des terres labourables, alors que depuis 1980 celui des prés est en baisse – conjoncture qui semble coïncider avec la progression de l’alimentation au maïs, donc la récession de la demande de prés, pour l’élevage de bovins pour la viande.
115Les successeurs de fermes familiales, en propriété totale ou partielle, représentent encore dans la commune en 1980 la moitié de l’effectif des 77 exploitants figurant sur la liste affichée en Mairie. Cependant ils cultivent des fermes dont la contenance se tient plutôt au-dessous de 20 ha, et ne dépasse pas 40 ha ; ainsi sur les 39 exploitants de cet ordre de surface, 8 actifs et 10 retraités sont les descendants de ménages qui tenaient en propriété totale ou partielle le tiers des fermes dénombrées en 1936, successeurs familiaux eux-mêmes de ménages déjà ancrés en 1911. Pour le plus grand nombre des exploitants actifs, l’installation (parfois de seconde génération) date des mutations qui ont suivi la Seconde guerre. Ces chiffres donnent la mesure de l’affaiblissement de la succession familiale dans la commune depuis la décennie 1960-1970.
116Cette même année 1980, en dépit du processus accéléré des acquisitions foncières des exploitants, la part des terres paysannes, modulée selon les tranches de contenance des exploitations, atteint seulement la moitié de l’ensemble approprié totalisé dans la matrice. Le taux d’appropriation est relativement plus important pour les petites unités : 53 % pour les 23 de moins de 10 ha, 67 % pour les 15 de 10 à 20 ha, tenues dans leur majorité par des agriculteurs de plus de 50 ans, des herbagers notamment ; les 21 exploitations de 20 à 35 ha ont ensemble 45 % de leurs terres en propriété, les 10 exploitations de 35 à 60 ha en ont 52 %, taux qui se trouve infléchi vers le haut par 4 exploitations en propriété totale. Sur les 8 exploitations de plus de 60 ha une moyenne du taux d’appropriation est peu pertinente, car 2 sont totalement en fermage, et celle de 146 ha est en propriété familiale.
- 48 Titre du dernier chapitre de La fin des terroirs, d’Eugen Weber.
117De 1980 à 1988, 22 cessations d’activité sont enregistrées dans la commune ; une partie des terres libérées sont acquises par des cultivateurs déjà propriétaires – 3 d’entre eux projettent une installation en GAEC avec un fils. En dépit des emprunts avantageux qui leur sont proposés, ceux qui reprennent une exploitation – qu’ils succèdent on non à un ascendant n’achètent que les bâtiments et le « noyau » – 5 à 10 ha – et agrandissent la surface cultivée par des locations. Ces observations laissent présumer, dans le groupe paysan – terme obsolète pour désigner les nouveaux « mécano-agriculteurs48 » –, une tendance à maintenir un équilibre entre appropriation et fermage. Il semble que chacun cherche avant tout à « s’étendre », aménageant les terroirs, éventuellement, en deux ensembles concentrés. Le nombre des fermes va toujours diminuant – sur 56 exploitants en 1990, seulement 26 tiennent une unité adossée à des bâtiments professionnels.
118Plus que l’évolution de la balance entre terres appropriées et terres prises en location, évaluée surtout par les anciens agriculteurs, c’est l’extension des exploitations qui est jaugée par les habitants : « à la Chartrie ils ont tout le long de la route maintenant » – inscrite en 1950 à mi-pente d’un coteau, la ferme d’origine (22 ha) a absorbé plusieurs anciens bordages, tant vers le haut que vers le bas, et débordant la route inclut encore des prés le long de la rivière ; « les jeunes de Crennes (41 ha en 1988) » – deux frères –, « ont “englobé” les terres de Grand Bois qui les touchent » (23 ha pris en location, le dernier fermier n’ayant pas de successeur) ; au sud du territoire une autre exploitation s’est tellement agrandie – jusqu’à 150 ha prétendent certains – qu’« elle arrive à toucher tout le monde » ; et un cultivateur de 53 ha, dont 23 en propriété familiale, dit d’un tout proche voisin « avec ses 90 ha maintenant, il va bientôt venir nous manger ».
119Aujourd’hui le réseau cultural aux dimensions incommensurables avec celles du milieu du xixe tend à effacer l’image enfouie dans une histoire profonde du parcellaire étroitement réticulé des fonds paysans, que dominaient domaines et métairies, et à gommer davantage encore, au regard des non-agriculteurs, le clivage entre terres appropriées et terres louées. La perception de la hiérarchie des fermes se conforme aux critères qui valorisent l’unité de production plus que la propriété.
- 49 J.-P. Farcy, Les paysans beaucerons au xixe siècle, Société archéologique d’Eure-et-Loir, Chartres (...)
- 50 Dans cet ouvrage traitant d’une société à dévolution divergente, le lignage englobe toutes les lig (...)
- 51 G. AUGUSTINS, op. cit.
120Pour les agriculteurs du Perche en 1988, comme pour ceux de la Beauce bien auparavant, « le contrôle de la terre exploitée l’emporte sur la possession du sol49 ». L’accélération des acquisitions de fermes par leurs locataires, et par tous des terres des bordages délaissés, a accompagné l’essor de l’agriculture et l’accession des agriculteurs au « management » d’entreprises. Par ailleurs la considération des autres porte désormais tant sur les « nouveaux biens » que sur « les anciens ». Certes des gens âgés mentionnent encore les cycles de transmission foncière qui au long de 4 à 5 générations ont maintenu l’association d’un lignage50 et d’un lieudit, renom de l’un et de l’autre s’étayant. Pourtant, alors qu’autrefois « les transmissions héréditaires étaient un dispositif important pour le prestige [...] aujourd’hui il y a inversion entre ce qui se transmet et ce qui s’acquiert51 ». La monétarisation générale, qui s’immisce bien davantage dans les relations familiales, a sa part dans cette relative dévalorisation de l’héritage.
121La concurrence pour un agrandissement croissant des exploitations a conduit à des figures au sol brouillant, dans la surdimension, le canevas des années 1950. L’intégrité du seul tenant s’est trouvé préservée dans les transactions concernant la plupart des fermes importantes ; faute d’acheteur repreneur, certaines cependant ont été démembrées par les ventes récentes, comme les Grandes Courbes, dont la SAFER a imposé la division en 3 « lots », en 1988, pour satisfaire les demandeurs. Aussi la « concentration » ne présente pas uniformément la figure métaphorique du plan massif des domaines et métairies d’autrefois. La tenure reste un enchevêtrement toujours évolutif de terres héritées, d’autres acquises, et de locations prises à plusieurs. Des exploitations se dispersent en 2 ou 3 « tenants » – certains situés sur des communes voisines, et jusqu’à 30 km de distance –, ou bien dessinent, à partir d’un bloc principal, des antennes perçant les terres voisines ; les chevauchements de limites communales sont fréquentes, et leurs dimensions plus larges : « on a [en propriété] 24 ha d’un côté, 24 ha de l’autre », dit l’exploitant de la ferme des Bordes sur Préval, dont les ascendants ont acquis une série de bordages dans le sud du territoire de St Germain.
122En 1988 le profil de la répartition foncière se trouve gonflé à la base par 488 cotes de moins de 1 ha, nombre qui dépasse celui de 1837. C’est l’effet du flux toujours croissant de l’accession à la propriété individuelle, qui depuis 1970 fait sortir de terre, ou se parer de neuf en passant à de nouveaux acquéreurs, demeures principales et résidences secondaires ; les bâtiments d’anciennes petites fermes « abolies » par l’élargissement de l’économie agricole sont vendus à des étrangers à la commune, ou réaménagés pour leurs loisirs par des descendants de familles résidentes devenus citadins. Près des 2/3 des 141 propriétaires de 1 à 10 ha ne résident pas ; les descendants de la paysannerie de la première moitié du xxe siècle restés dans la région louent leurs terres à des exploitants de leur parenté. Parmi les 47 de cette catégorie qui résident, on compte 28 exploitants en activité, et 31 retraités dont beaucoup ont gardé des prés « pour s’occuper », « pour se désennuyer » disent-ils, en élevant une quinzaine de broutards, ou des moutons. Des 36 cotes de 10 à 20 ha, la moitié – notamment les parcelles en bois – sont à des forains, et 13 à des exploitants de la commune. C’est au nom d’exploitants en activité, ou de retraités auquel un enfant a succédé, que s’inscrivent 16 des 23 propriétés de 20 à 40 ha, et 7 des 9 propriétés de 40 à 60 ha. Les 2/3 du sol des propriétés de 20 à 60 ha sont donc aux agriculteurs. Le domaine de Blandé (72 ha) a été acheté aux Romanet en 1962 par un parisien de profession libérale ; cependant le ménage qui depuis 1974 tient la ferme l’achètera au terme du siècle. L’ensemble de 68 ha ramassant la métairie des Loges et ses entours est l’héritage maternel advenu à un héritier de 5e génération de cultivateurs/propriétaires de 12 ha en 1851, qui exploite aussi, sur la commune proche où il est installé, une surface plus grande héritée de sa lignée paternelle. Au delà, la plus vaste propriété sur le territoire – en groupement foncier familial débordant l’aire du canton – englobe les terres du Désert et de la Frênaie (146 ha), qu’exploite depuis 1968, à partir de la ferme du Désert, le descendant en ligne paternelle de l’acquéreur de la Frênaie en 1888, et plus avant dans le temps du charretier entré à Blandé comme second mari de la veuve du fermier en 1809 ; il a été élu et réélu maire depuis 1974.
123On peut illustrer le mouvement foncier dans la commune par le basculement symétrique et inverse, en moins d’un siècle, des taux des plus grandes et des plus petites surfaces revenant aux exploitants : en 1988 ils possèdent 58 % des surfaces de plus de 20 ha (pour 27 % en 1913), et seulement 13 % des surfaces de 1 à 5 ha, dont ils détenaient 65 % en 1913. Dans la tranche moyenne de 5 à 20 ha, le pourcentage revenant aux cultivateurs/propriétaires a beaucoup moins varié ; il est passé de 30 à 20 %, et cette faible diminution indique la persistance d’une propriété paysanne moyenne, en regard de quelques exploitations en faire-valoir mixte toujours avides de terres. En se référant à la matrice de 1913 on observe que cette tranche de 5 à 20 ha délimitait, pour le temps où la mécanisation et les amendements commençaient à transformer l’économie agricole, la marge foncière accessible à la catégorie moyenne des ménages paysans (un seul sur vingt-quatre, en 1913, possède plus de 15 ha).
Les systèmes de culture au terme du xxe siècle
- 52 Recensement Général de l’Agriculture de 1970.
124De 1955 à 1970 la surface en herbe a diminué du quart52 ; « on a beaucoup retourné les prés » – les pâtures. Quand sont reconnues l’efficacité de l’alimentation fourragère pour les bovins autrefois « laissés à l’herbe », mais aussi l’incompatibilité de l’alimentation au maïs ensilé et de la production laitière, dans toutes les fermes le nombre des « bêtes à viande » double ou triple, sans que dans un premier temps on délaisse l’étable laitière. Puis de jeunes agriculteurs passent, dès 1980, à « la spécialisation céréales/viande », et finissent par « supprimer le lait », « démolir les vieilles écuries » ; des abris pour les jeunes bêtes à l’engrais s’élèvent en lisière des pâtures.
125L’accélération de la concentration des exploitations depuis 1980 va de pair avec une intensification de la production dans les fermes « les plus avancées » autour de deux pôles : spéculation laitière avec sélection des reproductrices, céréaliculture faisant large part – moitié de la sole – au maïs ensilé, pour un élevage à courte rotation de bovins en stabulation.
126Voici d’abord « des fermes sans vaches » – subversion, pour bien des agriculteurs retraités, d’un système de culture où le revenu du lait assurait « la paye du mois » sur la ferme familiale. À Villiers, l’exploitant au bord de la retraite est désigné comme « le premier paysan moderne du village » – son père est arrivé de Belgique après la Seconde guerre. Il tient en fermage 57 ha autour de la ferme, et 13 ha dans une commune voisine ; rotation blé/maïs, pas d’étable mais des vaches allaitantes sur pâtures et 140 taurillons en stabulation, qui deviendront pour la boucherie « du bœuf rajeuni ». Il a aussi développé autour de la ferme une plantation de peupliers dont le logo figure sur les nouvelles cartes de l’Institut Géographique National.
127Le jeune exploitant de la ferme du Taillis cultive en propriété « 18ha en noyau, plus une pâture de 3 ha 50 » achetés en 1973 à un descendant, citadin, de l’exploitant qui en était devenu propriétaire en 1880. En 1980 il augmente la surface cultivée en reprenant après son père la location de 18 ha de terres proches, et ne cesse de « s’agrandir » jusqu’à atteindre près de 100 ha en 1990. L’orientation est céréalière ; « on a supprimé les écuries » [les étables], la sole labourée est moitié en blé, moitié en maïs. En 1981 « 75 veaux, livrés en bandes échelonnées de 15 ou 30, sont nourris sous stabulation pour faire des taurillons de 16/17 mois » ; sur 7 ha en pâtures on élève des veaux sous la mère, vendus à un an. Le jeune exploitant aide aussi ses beaux-parents qui cultivent 22 ha sur une commune limitrophe, moyennant « moitié des récoltes ».
128Dans un projet économique différent, voici deux fermes réputées pour leur spécialisation laitière. À Blandé (68 ha en fermage), dans une salle de traite à 8 postes mari et femme s’affairent matin et soir – « c’est du travail à deux, en une heure et demie on fait passer 60 vaches ». Les veaux sont élevés au lait en poudre ; on recourt à une entreprise pour la moisson, l’ensilage de maïs se fait en équipe d’entraide avec les fermes voisines. Aux Maisons Neuves (43 ha) le ménage d’éleveurs s’attache à la sélection de 40 laitières de race Normande, qui furent longtemps traites à la main par l’exploitant ; reproductrices primées aux concours régionaux, leurs génisses, « retenues d’avance » sur le marché régional, sont élevées sur 11 ha de prés avec des taurillons.
129À la ferme du moulin du Buat – 30 ha héritée par l’épouse, 20 ha « acquis de proche en proche » par le ménage et « 20 ha tout en prés » à 25 km de la ferme, propriété de l’époux –, l’exploitant tient à conserver « un bon équilibre de la terre » et s’oppose au « progrès forcené » prôné par les conseillers agricoles, qui « poussent au maïs/blé. à retourner les prés, déterrer les pommiers, et s’occupent pas de la nature des terrains : ici on conserve le maximum de haies [...] on replante tous les ans des pommiers [...] on a beaucoup de prés sur la rivière, c’est l’élevage qui prime [...] 30 bêtes à viande qui restent dehors, nées à la ferme, nourries à l’herbe au maximum, menées jusqu’à 3 ans » ; l’épouse et sa mère assurent la traite de 20 laitières (avec des trayeuses électriques mais sans salle aménagée) et l’élevage des veaux.
130« Dans toute la région on fait mixte, la viande, le lait, la culture, on ne peut pas faire qu’une seule chose et sur les terres pâteuses il faut laisser du pré. » C’est l’écho de l’orientation la plus courante, nécessaire à la bonne économie des exploitations de 30 à 50 ha : « les troupeaux laitiers c’est la seule production rentable sur de petites surfaces ». Le fermier de la Chartrie (22 ha d’un tenant) est le dernier locataire d’une famille noble, car le fils qui lui succède achète la ferme en 1980 ; il tient le bail depuis 1957 – successeur de son père – et a agrandi l’exploitation de plusieurs bordages proches (en tout 15 ha), et de 20 ha de terres prises en location. Il a toujours « marché avec plus de culture que de bêtes », mais tient à son étable – « 20 laitières, c’est l’affaire de la femme, et c’est l’argent du mois » – ; il élève au pré, de mai à septembre, 60 bêtes à viande, « qu’on finit à l’auge au maïs pour vendre à 3 ans ».
131Une exploitation située au sud du terroir communal s’est orientée vers une spécialisation avicole. De « 5 000 poulets par an en 1970 », la production n’a cessé d’augmenter ; en 1983, après construction d’un nouveau poulailler et intégration dans une grosse entreprise alimentaire, « on arrive à 27 000, en 4 “bandes” par an ». Père et fils, sur le point de s’associer en GAEC, gèrent cet élément essentiel de l’économie familiale, – « une personne vient aider un jour par semaine pour nettoyer le poulailler à la fourche à main » – tout en cultivant aussi les 14 ha de la ferme héritée des parents de l’épouse, 7 ha achetés sur Préval, et depuis 1988 la moitié des terres de la ferme contigüe de la Grande Maurie – 17 ha. L’épouse trait 15 laitières, nourrit les veaux et entretient le jardin. La spécialisation avicole semble plaquée sur un système de culture commun à la plupart des fermes de cette contenance.
- 53 En 1985, 5 fermes emploient un ouvrier 2 journées par semaine ; au Désert il y a deux ouvriers à t (...)
- 54 « On a des personnes d’âge qui vont aider à leurs enfants parce qu’ils fourniraient pas à payer un (...)
132La charge de travail est lourde aujourd’hui pour les ménages d’exploitants qui n’ont plus de domestique à demeure, et ne peuvent recourir qu’à l’aide partielle des 4 à 5 ouvriers agricoles travaillant sur la commune : « à la Grande Vallée (25 ha) autrefois on était presque toujours 6 à 8 de table, maintenant le fils et sa femme ils sont que tous les deux », dit un bordager retraité qui y fut « ménage » avec son épouse dans les années 1930. Les plus grandes fermes seulement emploient quelques heures par semaine un auxiliaire salarié53, car « ce qui gruge c’est les charges sociales », dit-on. D’autres engagent « des stagiaires des écoles d’agriculture » dont le temps de travail sur la ferme est limité. Cependant presque tous peuvent compter, quand le travail presse, sur l’aide de « quelqu’un de la famille 54 ». La carence de main d’œuvre, que ne pallie qu’en partie l’accélération des performances du matériel et la mise en place de groupements d’entraide, oblige ainsi à modérer l’extension de la surface exploitée.
133Mise en place en 1955 par 8 agriculteurs, une CUMA recruta des adhérents dans les fermes de surface moyenne, alors que l’utilisation d’un matériel en commun restait peu prisé dans les plus grandes. Les jeunes exploitants d’aujourd’hui ont revalorisé le travail en commun pour les grands travaux ; ils mettent en place entre voisins – privilégiant les relations de parenté –, des « chantiers de travail » – « pour la moisson il suffit d’être à 2, pour l’ensilage du maïs il faut être à 3 ou 4 » – gérés par une « banque de travail » qui comptabilise les heures prêtées et rendues, « sans intervention d’argent ». Depuis 1975 une « Mutuelle coup dur » soutient les chefs d’exploitation accidentés ou malades ; récemment instaurée, l’« Entraide vacances » est encore peu sollicitée en 1988 : on cite seulement le cas de 3 ménages « qui avaient le même nombre de bêtes, les mêmes machines à traire », et dont « 2 se partageaient le travail dans la ferme de celui qui était parti 8 jours ».
134On a vu que le nombre des « vraies fermes » – ensembles cultivés à partir de bâtiments de résidence et d’exploitation – n’a cessé de diminuer : 60 en 1970, 40 en 1980, 36 en 1988 et 32 en 1990. Mis en vente par une héritière citadine dont les arrière-grands-parents cultivaient la ferme, les 30 ha des Courbes, dont le corps de ferme est l’un des plus imposants de la vallée de la Même, ont été allotis par la SAFER entre 3 acquéreurs ; le noyau avec les bâtiments (6 ha), baillé déjà depuis 1985, héberge en 1988 un élevage de chevaux de selle.
- 55 P. Lamaison, « Questionnaire auprès des notaires. La diversité des modes de la transmission : une (...)
- 56 À cette intégration, dans une première entreprise industrielle locale, de nombreux jeunes issus de (...)
- 57 De leur demande aussi sans doute, en regard précisément de la saturation de la force de travail su (...)
135Comme dans bien d’autres campagnes françaises55, on s’accorde à constater qu’« ici les jeunes ne veulent plus reprendre ». « Après nous il n’y aura plus de paysans », disent leurs parents, « ceux qui prendront les fermes à l’avenir ce sera aussi bien des gens de la ville qui auront fait des études agricoles ». Dans l’ensemble du canton la déficience des successions se manifeste d’abord pour les fermes de moins de 20 ha quand s’installent, à partir de 1965, des entreprises industrielles décentralisées de la région parisienne. L’imprimerie Technigraphic recrute dans la commune même, dès 1968, le tiers des 136 agents qu’elle déclare en 1980, dont 25 sont issus de la moyenne et petite paysanneries : « les garçons du pays, ils en ont pris beaucoup ; ceux qui sont rentrés les premiers venaient pratiquement tous de ferme [...] beaucoup de jeunes sont restés ici à cause de l’usine 56 ». Dans les exploitations de 40 à 70 ha, les mieux doués des adolescents poursuivent des études en vue d’une carrière d’administration ou de commerce, voire scientifique – on cite la réussite professionnelle d’une opticienne de 22 ans dont la rumeur commente le salaire “démesuré”, en 1990. Depuis 1970 une bonne part des jeunes gens, tant fils de fermiers que de petits propriétaires, s’orientent vers des activités para-agricoles – « peseur de lait », employé dans les laiteries ou les abattoirs régionaux, représentant en alimentation animale ou en matériel agricole, assureur –, ou bien deviennent mécanicien, routier ; tandis que le fils qui consent à succéder aux parents « doit faire au moins deux années de collège agricole » pour obtenir un CAP. Parallèlement à cette réticence des enfants d’agriculteurs devant « la reprise » – de portée nationale –, on constate un ralentissement récent de l’offre de terres aux agriculteurs57, dans la mesure où croît la concurrence d’acheteurs projetant dans la petite région la mise en valeur des attraits paysagers, la promotion de loisirs « verts ». Au tournant des xxe et xxie siècles on signale que se trouvent installés – ou projetés – dans la commune, outre l’élevage de chevaux de selle aux Grandes Courbes, deux autres centres équestres – « aux Landes ils ont déjà aménagé 10 boxes » –, un « poney-club », un centre d’accueil d’enfants durant les vacances scolaires.
Notes
1 Unités formant bloc d’une vingtaine d’ha, qui dépendaient des domaines. Cette appellation, qui figure encore dans des actes notariés, ne se réfère plus à un mode de tenure – dans le cours du xviiie déjà le bail est payé en argent, assorti de « faisances » –, mais témoigne de l’emprise foncière de la noblesse locale jusque vers 1750. Cet aspect de leur histoire est connu des habitants ; l’un d’eux présente ainsi son exploitation : « on a 50 ha en tout en fermage, mais les terres qui font bloc autour des bâtiments c’est les 19 ha de l’ancienne métairie sous le château ».
2 D’après l’observation de P. Bois dans des communes sarthoises proches, dans la période pré-révolutionnaire « le bordage [...] était la petite exploitation, le plus souvent de 3 à 10 ha, cultivée surtout à la main, “à la bêche et au croc”, suivant l'expression locale ». Paysans de l'Ouest. Des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l'époque révolutionnaire dans la Sarthe, Paris, Flammarion, p. 185.
3 À la Frênaie, un état des lieux en 1888 dénombre 15 parcelles pour un ensemble de 53 ha 80.
4 Le journal équivaut à 44 ares. Sur le coteau nord de la vallée de la Même apparaît nettement le contraste entre l'assemblage à grandes masses des domaines, et le quadrillage menu autour des fermes et hameaux.
5 Des habitants, aujourd’hui, donnent une interprétation de ce patronyme de consonance étrange dans l’ensemble normand : « l’ancêtre était un soldat mercenaire qui venait de Hongrie, du temps des guerres de Louis XV, son nom devait être difficile à dire pour les gens d’ici, alors c’est devenu Taillfumyr ». Alliés aux Gouvelo de St Maixent, ne résidant plus dans la commune, les Taillfumyr font apposer à leur patronyme « dit St Maixent ».
6 [...] ancien maréchal des logis des gendarmes de la Garde du Roi, maître de camp de ses armées.
7 L’historien J. Vidalenc constate également le maintien de domaines importants, après la Révolution, dans le Perche vendômois, au sud du Perche ornais, où l’on trouve « à peu près la même surface de propriété noble en 1830 qu’en 1773. “Le peuple des campagnes”, La Société française de 1815 à 1848 », p. 164.
8 À la tête de généalogies paysannes figurant dans cette étude, on trouve dans le dernier tiers du xviiie siècle des « laboureurs et marchands », des « marchands de laine », « de grain », « filotiers ».
9 Comme l’évoquent les toponymes de la Bretèche, ou Champfort, et la tour de la ferme de Villiers qui commandait le gué passant la rivière Même dans la direction nord-sud. Dans un état des lieux à la Frênaie en 1906 on signale « une vieille porte de forteresse ayant des clous à tête carrée », une « grande tourelle » et une « petite », une meurtrière. Les habitants qui s’intéressent à l’histoire de leur commune signalent « des oubliettes à la Frênaie, d’où partait un souterrain débouchant au manoir de la Cour, à Bellou ».
10 « une maison manable sans four et à cheminée, une chambre froide à côté, grenier dessus, un fournil à four et cheminée avec un petit cabinet à côté, grenier sur le tout, lavanderie et laiterie, le bâtiment contenant environ deux perches et joignant de toutes parts la cour dudit lieu [...] l’écurie aux chevaux, la grange à bled, la grange à mars couvertes en tuiles, la bergerie, deux toits à porcs contenant environ quatre perches, [...] l’écurie aux bœufs, celle aux vaches se tenant et un toit à porcs en appentis couverts en bardeaux, contenant environ deux perches et demie [...] le petit cellier et deux autres celliers contenant trois perches et demie [...] la cour contenant deux arpents vingt perches[...]un jardin contenant environ neuf perches, situé derrière le pressoir [...] le petit clos derrière l’écurie aux vaches [...] un jardin derrière l’écurie aux vaches [...] la cour contenant environ deux arpents vingt perches [...] » (La perche de Paris, mesure commune ici, équivaut à 50 centiares, l’arpent à 50 ares.)
11 D’après les observations de J. Vidalenc, op cit. p. 164.
12 On dit : « Le Comte X. [châtelain d’une commune limitrophe], il avait sa sœur qui n’était pas mariée, qui avait énormément de propriétés, comme elle est morte avant elle a donné tout à son frère. » Des 7 enfants du châtelain de la Matrassière au début du xxe siècle, 2 fils et une fille décèdent ; en 1924 une de leurs sœurs célibataires, dont le compte sur la matrice s’élève à 146 ha, lègue la ferme de la Matrassière (60 ha) à la fille d’une autre sœur.
13 Terme d’adresse et de référence encore usité par les anciens cultivateurs modestes propriétaires mais de famille ancrée.
14 L’appréciation de la réalité que recouvrent ces désignations doit s’appuyer sur des données complémentaires, car à cette petite échelle de propriété elles peuvent être substitutives. On nomme cependant « cultivateurs » les plus âgés : ainsi François Domin, 40 ans, inscrit sur la matrice pour 1 ha 28 à la Courtillonnière, est « journalier », comme Louis Chartrain, 38 ans, avec 1 ha 66 au Pressoir ; tandis que Louis Gouhier, 58 ans, avec 4 champs faisant 1 ha, est « cultivateur » à la Miterie, comme Louis Vannier, 60 ans, qui possède 1 ha 54 à la Croix du Bal.
15 Parmi lesquels un maréchal, un couvreur, un cabaretier, des menuisiers, un boucher.
16 Élevé par ce tuteur, fermier au Haut-Buat (19 ha), qui n’a pas d’enfant et le fait légataire de ses biens en 1887, Ernest accède au lycée Saint-Louis puis à l’École polytechnique – en 1881 il demande au Conseil municipal une aide pour acquérir son uniforme. Son tuteur laisse à son décès (1888) 3800f de dettes ; Ernest, marié et résidant à Paris, vend une partie de son propre héritage de terres de Launay pour payer ces dettes.
17 Par l’acte de baptême cette même année de François Revel, fils de Mathieu bordager en ce lieu, et père de François.
18 Alors que l’époux de sa fille décédée – enfant trouvé élevé en nourrice, domestique à la Foucherie avant son mariage, restera locataire de petites fermes et finira journalier.
19 Archives de la Mairie.
20 « Le fonctionnement du “marché-père” : la circulation des propriétés dans le bocage normand au xviiie (Domfront) », in Transmettre, hériter, succéder, R. Bonnain, G. Bouchard, J. Goy (dir.), PUF, 1992, p. 85. Selon une observation de B. Derouet cependant, ces ventes ne sont pas forcément majoritaires, « ce qui est en question [...] est l’existence d’un droit de priorité ou d’une “préférence” parentale qui n’implique aucunement que le marché se caractérise par son absence d’ouverture », « Parenté et marché foncier à l‘époque moderne : une réinterprétation », Annales, Sociétés, Civilisations, 2001.
21 cf. Chap. IV le graphique du circuit fermé, à court rayon, durant 150 ans, des ménages de deux familles de moyens propriétaires paysans.
22 Dans « l’état des lieux » de Jarrade avant la reprise en sous-location, Alexandre Meunier., son fermier, se déclare « maître d’hôtel à la Ferté-Bernard », alors qu’au recensement de 1926 il est « cultivateur à Jarrade » : voici un cas de délaissement d’une installation agricole pour un commerce en ville.
23 L’accession par un journalier au bail d’une « petite culture », quelle que soit la modicité de l’ensemble à gérer, semble lui conférer le statut de « cultivateur ». En 1838, les preneurs d’un bail de 9 années pour un bordage comprenant une maison, deux petits jardins, un champ de 80 ares et un autre de 40 ares, se déclarent « cultivateurs » ; de même Jean Fovelle, qui possède une maison et 3 petits champs du bordage de la Petite Vallée, est inscrit au recensement de 1836 « propriétaire et cultivateur ».
24 Paysans de l’Ouest, 1971, cf. supra note 2, p. 24.
25 Pratiques successorales et rapport à la terre sous l’Ancien Régime, in Annales, Sociétés, Civilisations 1989, p.173-206.
26 L’âne supplée couramment le cheval dans le bordage. On dénombre encore 23 ânes dans la commune en 1923.
27 C’est l’assolement quadriennal de la petite culture sans assolement collectif.
28 L’épouse B. et les J. descendent de deux familles qui tenaient des unités agricoles en propriété au Grand Pin en 1837.
29 Pour l’ensemble du Perche, le taux d’émigration des jeunes est évalué à 12 % de leur nombre dans la population pour les deux premières décennies du xxe siècle.
30 On note que ces jeunes émigrés, coupés d’une parentèle ayant biens et notoriété locale, ne trouvent pas, loin du groupe social dont l’une des fonctions est l’appariement des jeunes, d’alliance équivalente, et restent célibataires.
31 Une loi de novembre 1884 encourage les échanges de parcelles contiguës entre propriétaires.
32 . « Mon père élevait des percherons, il achetait des poulains, les revendait aux Américains à 30 mois – c’était avant la guerre car le commerce s’est terminé avec la mécanisation en Amérique, il a vendu le dernier en 1915 ; il y avait à Nogent des intermédiaires qui présentaient les clients » ; c’est la relation d’un gros fermier retraité, dernier descendant dans la commune d’une famille paysanne notable du temps. L’élevage du cheval breton, pour le trait léger – la “bidette” –, prend le relais dans quelques grosses fermes de la petite région, et d’anciens bordagers font état du travail de “dressage” effectué pour des maquignons.
33 En 1891 la Statistique agricole décennale dénombre 15000 pommiers producteurs sur le territoire de la commune.
34 « Quand il y avait un décès puis un partage entre eux ils en vendaient des morceaux pour payer les frais, alors ça leur faisait moins mal au cœur que leurs terres s’en aillent à leurs fermiers ; et les fermiers, comme mon arrière-grand-père, ils étaient là à solliciter. »
35 Cf. les renchaînements d’alliance autour des Rollin et des Vincent, chap. II, fig. 13 et 18.
36 La dot diffère de la mise en communauté des économies de chacun des époux ; elle est un don des parents, et son montant peut être signifié dans l’acte comme une avance d’hoirie, ou comme un « à valoir » sur l’héritage d’un ou des parent(s) décédé(s), ou encore, pour le futur époux, comme représentant la valeur d’un « mobilier de ferme ». Les dots des filles d’Alexis Vincent sont à peu près équivalentes à celles que reçoivent dans le même temps les filles d’un épicier/cafetier, le fils d’un clerc de notaire, mais n’atteignent pas le taux de la dot de Jules Rollin (10 000 F en 1881) ou de sa sœur Céline (8 000 F) à son mariage en 1904 avec le fermier de Villiers, domaine de 53 ha, qui lui reçoit 10 000 F.
37 Cette génération bénéficie des aménagements successoraux qui se mettent en place pour pallier l’éclatement de l’exploitation : après avoir promu le système des soultes qui clarifie le problème des dettes du successeur envers ses cohéritiers (1884), la loi sanctionne l’indivision de l’exploitation (1909).
38 Sur la première matrice 173 constructions nouvelles sont recensées entre 1837 et 1870, dont 69 au bourg, où 50 maisons sont par ailleurs portées détruites. De 1870 à 1880 sont dénombrées 30 constructions nouvelles – boutiques et ateliers surtout. Le report des constructions nouvelles s’interrompt en 1880.
39 Dans le compte de tutelle rendu à son beau-fils, cette seconde épouse rappelle que son ménage a « fait construire une maison pour le mineur Conte, avec 84 arbres de la grand-mère abattus et les matériaux remployés d’un vieux bâtiment démoli ». La vente mobilière au décès de cette grand-mère, à la Papillonnière, en 1879, rapporte 1 747 F et révèle une des maisons les plus cossues de propriétaires paysans. Outre buffet et dressoir, armoire, tables, horloge et miroir, et 7 lits de plumes d’oie, on y trouve 36 draps, 17 nappes, 24 essuie-mains, 37 chemises et 48 tabliers, 35 kg de chanvre broyé, 12 lots de bois et de planches, des bottes de lattes, 6 fûts de pipe.
40 Dans la moitié au moins des inventaires après décès on trouve, parmi les dettes passives, de longues listes de sommes réclamées par les fournisseurs d’alimentation et de services à la ferme, de loyers impayés et de gages dus aux domestiques.
41 cf. IV, fig. 26, p. 179.
42 Selon le Recensement Général de l’Agriculture de 1955, 1725 ha, sur 2500 exploités, sont encore en “prairies”, de qualité variable.
43 Le même Recensement de 1955 relève dans la commune 55 salariés agricoles.
44 À partir de 1925 au Theil se développent deux cidreries s’adjoignant aussi la production d’alcool. En 1936, avec le traitement quotidien de 300 t de pommes, Le Theil est le second centre de l’Ouest, après Lisieux, pour la production du cidre de consommation. « Vers 1935 on avait plus de 300 pommiers plantés autour des champs, ça gênait pour labourer mais c’était une coutume », commente l’ancien propriétaire de Crennes ; « on vendait beaucoup à la cidrerie du Theil, puis à des clients à Bellême, La Ferté ; on avait des fûts de 750 l, puis j’ai acheté un foudre de 70 hl, et 3 de 40 hl ». Pour Le propriétaire de la Maillardière, « dans les années quarante on doublait le revenu de la ferme avec le cidre ; on faisait 1000 t de pommes par an, je portais mes fûts jusqu’à Chartres avec un camion au gazogène ».
45 C’est-à-dire tenir l’exploitation durant le nombre d’années juridiquement requises pour l’installation d’un successeur familial.
46 Le terme vient de « calve », chauve ; les moissonneurs rasent les épis et font du champ un chauve.
47 J. P. Boinon et J. Cavailhès, « Essai d’explication de la baisse du prix des terres », in P. Lamaison, « La diversité des modes de transmission, Une géographie tenace », Études rurales, avril-décembre 1988, p. 225.
48 Titre du dernier chapitre de La fin des terroirs, d’Eugen Weber.
49 J.-P. Farcy, Les paysans beaucerons au xixe siècle, Société archéologique d’Eure-et-Loir, Chartres, 1989.
50 Dans cet ouvrage traitant d’une société à dévolution divergente, le lignage englobe toutes les lignées de la descendance d’un couple d’ancêtres défini, sans distinction entre les fils et les filles ; cependant on décèle dans les représentations et les comportements familiaux de la société locale certains traits qui pourraient se rapporter à un système agnatique de dominance masculine (IV, p. 195).
51 G. AUGUSTINS, op. cit.
52 Recensement Général de l’Agriculture de 1970.
53 En 1985, 5 fermes emploient un ouvrier 2 journées par semaine ; au Désert il y a deux ouvriers à temps plein, dont un conducteur de tracteur.
54 « On a des personnes d’âge qui vont aider à leurs enfants parce qu’ils fourniraient pas à payer un ouvrier. » Au moulin du Buat la mère de l’exploitante vient du bourg tous les jours aider sa fille pour la traite du soir ; à la Chartrie le fils ouvrier, le gendre facteur aident à la ferme durant leur temps de loisir ; au Taillis c’est le père, retiré au bourg, qui vient aider le fils, à Même les deux fils travaillent avec leur père.
55 P. Lamaison, « Questionnaire auprès des notaires. La diversité des modes de la transmission : une géographie tenace ». Études rurales, 1988. Le Recensement général de l’Agricuture de 1979-1980 évalue à 50 %, pour l’ensemble du territoire, le taux de succession incertaine ou improbable.
56 À cette intégration, dans une première entreprise industrielle locale, de nombreux jeunes issus de familles paysannes ancrées répond le constat d’« extériorité » des agents parisiens de l’entreprise, qui ont suivi son déplacement : « ici, nous on est des arrivés », dit un contremaître installé depuis 15 ans dans le bourg. L’arrivée de ces citadins n’a pas été sans effet sur la vie civique locale – en 1977 des « parisiens », dont une femme, sont entrés au Conseil municipal –, ni sur une « modernisation » des genres de vie que les agriculteurs mettent du temps à apprécier : les nouveaux venus ont inauguré des « goûters d’anniversaire » d’enfants, soutenu les innovations sportives (séances de piscine pour les écoliers, de gymnastique pour leurs mères, mise en place d’un court de tennis), et créent de nouveaux loisirs – comme les rallyes en voiture – tout en participant activement à la préparation des réunions festives traditionnelles – les Comices tous les cinq ans, et le Concours de pêche annuel.
57 De leur demande aussi sans doute, en regard précisément de la saturation de la force de travail sur la ferme moyenne qui conserve un élevage laitier.
Table des illustrations
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Titre | Tableau A. Évolution de la répartition foncière 23 |
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Titre | Figure 3. Superficie des propriétés en 1837 |
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Titre | Figure 4. Des domaines |
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Titre | Figure 5. Des métairies, des bordages, un hameau |
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Titre | Figure 6. Partage du Gué 1875 : les terres |
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Titre | Figure 7. Partage du Gué 1875 : les bâtiments, jardins et clos |
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Titre | Figure 8. Échelle des exploitations 1975-1980 |
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