1La transition entre l’exercice du pouvoir diplomatique royal (quasi monopolistique) et celui exercé par les nouveaux dirigeants romains à partir de 509 ne pouvait s’effectuer sans tâtonnements. Les rôles respectivement dévolus au Sénat, aux magistrats et secondairement au peuple n’ont pu être fixés en quelques décennies. De fait, aucune structure ne semble en mesure de s’imposer durablement au cours de ce siècle. Le Sénat est fortement présent lors des deux premières décennies, mais il est totalement éclipsé dans la deuxième moitié du siècle ; de même, les magistrats ne semblent pas avoir pu affirmer leur rôle – sauf dans la réception de certaines délégations. La difficulté de l’évaluation de la place réelle occupée par chacun des acteurs de la diplomatie tient principalement au fait que nos sources ont maintenu – volontairement ou non –, un nombre considérable d’imprécisions. Que ces lacunes soient fortuites ou pas, elles signifient au moins que, en cas de doute ou d’absence d’informations, les historiens antiques n’ont pas nécessairement choisi d’appliquer un schéma préétabli ou tardif du fonctionnement des institutions : ils paraissent avoir conservé les imprécisions.

Tableau XXIV. – Répartition du rôle de chaque structure.

Les incertitudes sur le rôle du Sénat

2Le Sénat est explicitement mentionné à l’origine de la décision d’envoi de 22 ambassades et de la réception de 34 missions étrangères. Ces 56 actes diplomatiques représentent plus de 40 % des échanges de la période, soit une proportion un peu plus élevée que la moyenne générale de l’ensemble de la République, qui est d’environ un acte sur trois. En revanche, la proportion d’actes dans lesquels la structure romaine n’est pas mentionnée est nettement plus élevée que lors des siècles suivants : les 45 missions envoyées et reçues par Rome ou les Romains, sans précision complémentaire, représentent un tiers des échanges1. Lorsqu’une ambassade est reçue dans Rome, le Sénat semble déjà être le seul interlocuteur possible, comme au cours des siècles suivants ; cependant durant les toutes premières années de la République, magistrats ou rois (principalement Porsenna) ont pu être sollicités à l’intérieur de la Cité même. Seules quatre missions sont formellement localisées dans Rome ; pour toutes les autres, les textes sont trop imprécis pour affirmer que les légats étrangers ont bien été reçus à l’intérieur de Rome. Dans le sens inverse, lorsque nos sources ne nous disent pas qui furent les décideurs des délégations envoyées à l’extérieur par Rome, il est encore plus difficile d’émettre des hypothèses.

3Ces imprécisions traduisent avec vraisemblance les tâtonnements institutionnels liés au départ de Tarquin. Pour les nouveaux responsables de la cité, la succession fut nécessairement délicate dans le domaine des relations extérieures, comme dans bien d’autres. Comment et par qui remplacer l’exercice d’un pouvoir antérieurement réservé de façon quasi exclusive aux rois ? Ceux qui, parmi les Sénateurs, avaient été à l’origine des changements politiques ont, logiquement, joué un rôle plus ou moins déterminant. De fait, tous les premiers personnages consulaires connus sont présents dans les échanges diplomatiques des premières années, soit en tant que décideurs, soit comme intermédiaires2. Mais leur volonté affirmée de se démarquer du système royal a dû se heurter à la forte personnalisation du fonctionnement de la diplomatie à l’époque des rois. Cette tradition déjà pluri-séculaire ne pouvait favoriser l’émergence d’un Sénat collectivement décideur et seul interlocuteur des échanges diplomatiques dès les premières années de la République.

Le Sénat est rarement présenté comme décideur

4Alors que la proportion d’ambassades envoyées par Rome au v^e siècle est supérieure à la moyenne républicaine, avec 22 initiatives, le Sénat est moins souvent présent que dans l’ensemble des échanges recensés dans notre inventaire3. En outre, il est pratiquement absent de toute initiative diplomatique durant de nombreuses décennies : entre 458 et la prise de Véies, son rôle se serait limité à la nomination de l’ambassade à Delphes en 398.

Tableau XXV. – Les délégations envoyées par le Sénat.

5Note*

6Entre 509 et la bataille du lac Régille, le Sénat n’a officiellement l’initiative que de deux missions : l’ambassade de 507 à Porsenna et celle de 498, avec la demande de ravitaillement auprès de quatre peuples voisins4. En revanche, après la conclusion du foedus Cassianum, les initiatives sénatoriales deviennent nettement plus fréquentes : de 493 au décemvirat, à neuf reprises – soit 16 contacts, car la plupart de ces initiatives sont des actes multiples5 –, le Sénat est explicitement désigné comme décideur de l’envoi des délégations. Dans ce laps de temps, on ne dénombre plus que quatre missions mandatées par une structure non précisée, et seulement trois sont envoyées sur ordre d’un magistrat6.

7La stabilisation des relations avec les Latins aurait donc eu, entre autres conséquences, celle de renforcer l’autorité sénatoriale dans le domaine des relations extérieures. La victoire de 396 et ses prolongements politiques ont probablement favorisé un consensus plus large des dirigeants sur les choix politiques à opérer, permettant au Sénat d’apparaître plus officiellement dans les décisions de politique extérieure. En revanche, le décemvirat est suivi, nous le disions, d’une longue interruption de l’affichage officiel du rôle du Sénat : entre 454 et 396, le Sénat n’apparaît plus qu’en 398, lors de la décision et de la nomination des ambassadeurs envoyés à Delphes7. Or, au cours de la seconde moitié de ce siècle, 13 délégations ont été envoyées par Rome, sans aucune précision sur l’identité du mandataire. Quelles peuvent être les raisons de l’éviction presque totale du Sénat sur une aussi longue période ?

Tableau XXVI. – Les missions envoyées par Rome (sans précision).

8Note*

9Pendant – et surtout après – la période troublée du décemvirat, l’alternance du pouvoir entre consuls et tribuns militaires à pouvoir consulaire a pu entretenir une certaine confusion dans le fonctionnement des institutions. Cependant, les imprécisions concernent les ambassades envoyées tant au moment où le pouvoir est exercé par les consuls que par des tribuns militaires8. Les changements à la tête du pouvoir exécutif ne seraient donc pas seuls en cause ; en revanche le contenu de ces démarches est peut être plus significatif. Entre 438 et 406, les 13 missions envoyées par une structure non précisée ont pour finalité de demander réparation (les trois ultimatums envoyés à Véies), pour sept autres, de rechercher un complément frumentaire et enfin pour les quatre dernières de rechercher des informations auprès d’ennemis déclarés ou potentiels. Les Fétiaux ont été mandatés pour formuler deux des trois ultimatums à Véies (le troisième ayant été présenté par des légats), mais quels que soient les intermédiaires, nos sources ne précisent pas s’ils furent désignés par le Sénat ou par des magistrats. Lors du premier échec des Fétiaux, auprès de Véies en 427, Tite-Live formule d’ailleurs une interrogation assez surprenante : « La guerre serait-elle déclarée par décret du peuple ou suffirait-il d’un sénatus-consulte9 ? » Comment le Sénat (ou certains sénateurs) pouvait-il supposer qu’un sénatus-consulte suffisait pour déclarer la guerre ? La question paraît en vérité bien étrange s’agissant d’un domaine où les rôles respectifs du Sénat et du peuple étaient, en théorie, bien définis.

10La répartition des rôles n’avait certes pas été réalisée dès les premières décennies de la République, mais cet épisode se déroule vers la fin du siècle10. Pour preuve, quelques années plus tard, en 406, après l’affront fait aux délégués romains, les sénateurs « chargèrent par décret les tribuns militaires d’inscrire au prochain ordre du jour de l’assemblée du peuple un projet de déclaration de guerre à Véies11 ». La controverse témoigne de l’âpreté des luttes qui ont dû opposer les différentes forces politiques susceptibles de prendre des décisions dans le domaine des relations extérieures. Tous les tenants d’un pouvoir dans la Cité ont, lors de cet épisode, tenté de jouer un rôle : les sénateurs qui seuls pourraient émettre un sénatus-consulte, les tribuns qui exercent un chantage au recrutement, et c’est finalement le consul qui présente le projet au peuple. Malgré les victoires juridiques de la plèbe, les rivalités n’ont pas totalement disparu. Le conflit qui surgit, à propos de la déclaration de guerre à Véies, semble illustrer les enjeux représentés par le contrôle de la prise de décision lors des déclarations de guerre. La maîtrise du pouvoir diplomatique n’échappe pas aux polémiques opposant, encore à cette date, patriciens et plébéiens.

11La procédure décrite lors des missions de ravitaillement révèle un changement notable entre le début de la période républicaine et les décennies suivantes. Alors que les trois premières missions ayant cette fonction avaient été mandatées explicitement sur ordre du Sénat jusqu’en 48712, l’initiative de ces types de missions n’est ensuite plus officiellement attribuée aux patres. Après 487 (qui plus est, jusqu’à la fin de la République), le Sénat n’apparaît plus jamais expressément lors de la désignation de ces commissions – à l’exception de la démarche de 212 auprès des Étrusques, dans le contexte particulier des années les plus sombres de la deuxième guerre punique13. Le Sénat se serait-il déchargé sur d’autres structures de la mise en place de ces missions ? Aucune information, à notre connaissance, ne permet de savoir si un autre centre de décision s’est substitué au Sénat en ce domaine après le décemvirat. Il faut peut-être y voir un autre élément de la rivalité patricio-plébéienne et de la pression – difficile à identifier –, qu’aurait exercé le peuple sur ces démarches. Les précédentes ambassades, envoyées sur ordre du Sénat, ayant très souvent échoué, la plèbe a-t-elle pu obtenir la responsabilité de l’envoi des nouvelles missions ? Les réticences ou l’éviction du Sénat seraient alors perceptibles à travers son refus d’être officiellement à l’origine de la désignation des délégations. Les lacunes et les imprécisions des sources ne permettent pas de déboucher sur des certitudes, mais elles contribuent à formuler d’autres questionnements.

12L’absence totale du Sénat dans l’envoi des six demandes d’informations mérite aussi quelques commentaires. Toutes ces missions se sont déroulées dans des contextes particuliers, telle la très célèbre mission de 438 à Véies au cours de laquelle les quatre ambassadeurs romains furent tués, ou lors de la commission d’inspection envoyée à Fidènes en 428 pour enquêter sur la participation de jeunes Fidénates à des opérations sur le territoire de Rome14. Le contexte est tout aussi singulier en 423 et 419 avec les missions envoyées chez les Volsques et à Labicum. Ces missions doivent, probablement, être assimilées à des missions d’espionnage15 ; si cette hypothèse est exacte, le contenu même des démarches peut justifier le renoncement du Sénat à afficher ouvertement son rôle. Il est en ce sens frappant de constater que les missions pour lesquelles rien n’est dit des structures de décisions sont précisément des missions d’informations. Lors des six demandes d’informations envoyées à l’initiative de Rome au cours de ce siècle, l’identité du décideur n’est jamais précisée et aucune d’entre elles n’aurait été mandatée par le Sénat. En revanche, la répartition paraît plus équilibrée entre les missions envoyées par le Sénat et envoyées par Rome, sans précision, afin de déclarer la guerre ou de demander de l’aide16. Une telle distorsion conforte l’hypothèse déjà émise : ces imprécisions ne sont probablement pas fortuites ; elles permettent d’éviter au Sénat et/ou aux magistrats d’être directement impliqués dans des missions où l’espionnage – l’objectif plausible – ne pouvait être officiellement affiché.

13L’identification des structures de décisions ne semble pas en revanche liée aux destinataires des missions : le Sénat est décideur dans 18 démarches auprès des Italiens, tandis que 17 missions leur sont envoyées par une structure non précisée. De même, les contacts avec les Grecs d’Occident se répartissent presque à égalité entre deux missions envoyées par le Sénat et deux nommées par des décideurs romains non identifiés par nos sources. Par exemple, la procédure de décision d’envoi de l’unique ambassade extra-italique (de 454, en Grèce ou en Grande-Grèce) est impossible à reconstituer. Denys et Zonaras ne disent rien des rôles respectifs du Sénat et du peuple ; Lydus seul mentionne un décret qui aurait été « pris en commun par le Sénat et le peuple17 ». Tite-Live confirmerait partiellement Lydus et surtout Denys en indiquant qu’une sorte de consensus fut trouvé entre patriciens et plébéiens sur l’envoi de la « commission législative composée à la fois de patriciens et de plébéiens… on était d’accord sur le principe : il ne s’agissait plus que de savoir qui l’exécuterait18 ». Denys complète en quelque sorte la procédure suivie en laissant entendre que le décret sénatorial a été mis en forme et rédigé par les Sénateurs avant d’être présenté au peuple19.

Le Sénat reçoit officiellement des ambassades

14Alors que la proportion d’actes reçus par Rome est un peu inférieure à la moyenne globale, le Sénat est nommément désigné dans la procédure de réception des ambassades dans une proportion supérieure à la moyenne. Dans cette fonction, le rôle affiché du Sénat paraît donc sensiblement plus important que durant les siècles postérieurs20. La place plus importante occupée par le Sénat dans la réception des ambassades se traduit également par le fait que nous ne trouvons pas, comme dans le cadre des initiatives sénatoriales, de longues périodes durant lesquelles le Sénat n’est jamais mentionné. Au contraire, à trois reprises, les imprécisions disparaissent totalement : pendant les années séparant le protectorat de Porsenna du foedus Cassianum, puis de 487 à 465 et surtout durant les 23 dernières années du siècle, nos sources désignent toujours avec précision qui reçoit les délégations étrangères21. Les années comprises entre la victoire du lac Régille et le foedus Cassianum comportent une particularité : entre 496 et 493, le Sénat reçoit officiellement cinq délégations, alors que dans le même temps, une seule mission a été envoyée à Rome par les Latins : celle qui apportait en 495 une couronne d’or à Jupiter mais Tite-Live n’évoque aucun contact avec le Sénat22. La diplomatie paraît susceptible de traduire instantanément la modification du rapport des forces : après 496, les peuples italiques deviennent demandeurs et font le déplacement à Rome.

Tableau XXVII. – Ambassades reçues par le Sénat.

15Note*

16La différence est frappante entre le rôle joué par le Sénat dans la réception des ambassades et celui qu’il affiche dans l’envoi de missions à l’extérieur. Ce décalage semble même caractériser le fonctionnement de la diplomatie, dès ce siècle, mais l’analyse de l’origine géographique et du contenu des démarches effectuées par les voisins de Rome, alliés ou ennemis, doit permettre de renforcer ou non cette impression première. Le Sénat ne reçoit que des délégations venues de peuples italiques : les Grecs d’Occident, par exemple, sont les destinataires de missions romaines, mais ils n’ont jamais envoyé de missions à Rome. Ils n’ont, semble-t-il, rien à dire ni à faire avec la Rome du v^e siècle. Les échanges commerciaux qui s’opèrent entre eux et les Romains n’imposent apparemment pas la mise au point d’accords semblables à celui établi avec Carthage. Soulignons au sujet de ce traité que notre seule source, Polybe, ne dit rien du mode de contact et n’évoque nullement le rôle qu’aurait pu jouer le Sénat : « Le premier traité fut conclu au temps de L. Junius Brutus et M. Horatius23. » Polybe précise qu’il retranscrit un texte rédigé dans une langue que lui et ses contemporains maîtrisent mal ; il est donc peu probable qu’il soit en mesure de fournir des précisions sur l’identité des interlocuteurs en présence. Cependant, on ne peut exclure l’hypothèse que ces lacunes soient la conséquence de la falsification de la datation : si, comme nous le pensons, ce traité doit être daté de la fin du règne de Tarquin, les sources ou les archives républicaines utilisées par Polybe ne pouvaient à l’évidence pas évoquer le rôle joué par le roi étrusque24.

17Les objectifs des missions reçues par le Sénat comportent aussi quelques particularismes. 12 démarches sont destinées à établir ou à rétablir la paix et, lors de ces échanges, les voisins de Rome apparaissent toujours en position de demandeurs dans le cadre de récits relativement précis sur le fonctionnement des institutions. Six missions ayant pour finalité la guerre sont également reçues par le Sénat au cours du siècle. En succédant aux rois, les Sénateurs ont en toute logique, cherché à assumer la responsabilité officielle des missions ayant pour objectifs la paix et la guerre – les fonctions essentielles pour un pouvoir désireux d’acquérir la maîtrise de la diplomatie. De même, lors de la réception des neuf missions ayant pour objectif l’information, le rôle du Sénat est clairement énoncé – un schéma exactement inverse de celui des missions envoyées par Rome avec un objectif similaire, dans lesquelles l’initiative a été le plus souvent été masquée. Les Latins et les Herniques informent les Romains, à huit reprises après 496, des menaces de guerre des Èques et des Volsques, et toutes ces missions auraient été reçues par le Sénat. La valorisation des démarches effectuées par les peuples italiens auprès du Sénat tient assurément au fait qu’elles furent déterminantes pour la prise de décision de guerre ou de paix.

Tableau XXVIII. – Les missions reçues par Rome (sans précision).

18Note*

19En 459, par exemple, les informations fournies par les Latins et les Herniques entraînent la mobilisation des légions romaines25. De même en 445, les alliés latins ayant annoncé les menaces de Èques et des Volsques, le Sénat ordonne aussitôt la levée des troupes26. En revanche, en 423, le Sénat n’a semble-t-il pas voulu prendre en considération l’information transmise par les Latins et les Herniques au sujet de la menace volsque : « L’avis n’était pas sans fondement, mais il n’eut pas le don d’émouvoir les Pères27. » Malgré ce désintérêt apparent du Sénat, le consul Sempronius reçut le territoire des Volsques comme province. Peut-être faut-il établir un lien entre l’effacement très net du Sénat dans cet épisode et la défaite cuisante subie par le consul contre les Volsques28 ? L’année suivante en effet, lorsqu’il est assigné par le tribun de la plèbe, L. Hortensius, ses amis sénateurs le défendent avec bien peu de zèle29. Plusieurs éléments concernant le rôle joué par le Sénat lors de ces événements ont pu être déformés voire falsifiés : officiellement, les Sénateurs ne sont partie prenante ni dans la décision d’intervention, ni dans l’ordre de mobilisation contre les Volsques ; ils n’apparaissent que lors de la désignation du consul. La défaite de Sempronius, qualifiée de « honteuse30 » ne pouvait pas résulter d’une décision prise par les Sénateurs collectivement : la responsabilité se devait d’être imputée au consul, personnellement.

Les contacts avec les nouveaux interlocuteurs

20Il faut évoquer en quelques mots le mode de fonctionnement des structures sollicitées lors de l’établissement des premiers contacts avec un nouvel interlocuteur. Ces relations nouvelles sont relativement peu nombreuses au v^e siècle, notamment après 48631, mais, à l’exception de la première d’entre elles (la trêve avec Ardée), les 13 autres auraient été établies soit par le Sénat (six ou sept ?), soit par Rome, sans autre précision (six). Les magistrats n’auraient donc joué aucun rôle lors de ces contacts.

Tableau XXIX. – Le particularisme des premiers contacts.

21Note*

22La chronologie est assez contrastée : entre 509 et 491, les nouveaux contacts sont établis en alternance par le Sénat et par Rome, sans autre précision ; les 30 années suivantes, aucun nouvel interlocuteur n’apparaît, jusqu’aux demandes d’aide particulières de 460 et de 454 qui auraient été mandatées officiellement par le Sénat. En revanche, après le décemvirat, les nouveaux interlocuteurs ont été mis en contact avec une structure non précisée par nos sources, y compris lors des démarches de ravitaillement dans lesquelles jusqu’ici le rôle du Sénat avait pourtant été fréquemment affiché. Mais ni l’identité des nouveaux interlocuteurs, ni les objectifs des missions en cause ne semblent pas avoir joué sur l’affichage ou non du rôle sénatorial : dans les deux catégories, on trouve tant des Latins que des Italiens et même des cités extra italiques et la répartition des objectifs est presque équivalente. C’est donc essentiellement l’absence (volontaire ou non) des magistrats lors de ces échanges nouveaux qui pose question ; peut-être traduit-elle une forme de dépersonnalisation de la pratique diplomatique. L’expulsion des rois et la véritable obsession qui conduit au rejet de tout pouvoir personnel a probablement incité les premiers magistrats à la plus grande discrétion (tout au moins officiellement) lors de ces premiers contacts ; leur rôle reste d’ailleurs, tout au long de la période, relativement limité.

Le rôle limité des magistrats diplomates et du peuple

23Dans l’histoire diplomatique des débuts de la République, le rôle joué par les magistrats est quantitativement peu important : ils n’apparaissent en tant que décideurs des échanges ou destinataires d’ambassades extérieures qu’au cours de 31 actes diplomatiques : dix missions auraient été mandatées ou accomplies par des magistrats et ils auraient reçu 21 délégations32. Le rôle du peuple est encore plus limité puisqu’il n’est mentionné que lors de trois contacts, qui plus est dans des circonstances assez suspectes. L’indigence de ces statistiques montre à l’évidence que le fonctionnement encore hésitant des institutions n’a pas été, dans un premier temps, favorable aux magistrats, individuellement. Le rejet de la royauté, la méfiance affichée vis-à-vis de tout pouvoir de type monarchique ont dû contribuer à limiter aux yeux de la tradition leur rôle en matière de relations extérieures. Le nombre élevé des incertitudes rend délicate l’évaluation de l’implication réelle des magistrats (comme lors de l’analyse du rôle du Sénat)33 ; mais le déséquilibre particulièrement frappant de la place qui leur est accordée en tant qu’acteurs dans les échanges ne peut être imputé uniquement à ces imprécisions qui, elles, sont présentes presque tout au long du siècle. Après 465, les magistrats ne sont pratiquement jamais les agents (au moins) officiels de la diplomatie romaine.

Les magistrats prennent quelques initiatives avant 465

24La répartition chronologique des interventions diplomatiques des magistrats lors de l’envoi de missions fait apparaître un déséquilibre très marqué entre les premières décennies de la République et le reste du siècle.

Tableau XXX. – Les délégations de missions par les magistrats.

25Le peuple est mentionné lors de la…

26Note*

27Sept des dix initiatives de magistrats supérieurs se situent entre 509 et 498, c’est-à-dire avant la victoire du lac Régille ; deux autres sont datés de 476 et 465 ; puis, entre 465 et la prise de Véies, une seule ambassade aurait été envoyée en 440 par un magistrat – un préfet de l’annone ( ?) dont le statut, fort incertain, ne devait pourtant pas lui permettre d’exercer un pouvoir diplomatique34. La disparition du rôle officiel des magistrats pendant 70 ans, entre 465 et 396, doit probablement s’expliquer soit par le contenu des missions concernées, soit par le résultat des démarches.

28L’objectif de six des dix initiatives de magistrats est de fournir des aides à la République nouvelle et, pour cinq d’entre elles, exclusivement des aides frumentaires. En 508, lors du siège de Porsenna, T. Herminius et Sp. Larcius (les futurs consuls de 506 dont les patronymes sont étrusques) furent chargés d’acheter du blé chez les Latins, les Volsques et à Cumes, sur l’ordre explicite des consuls de 508, selon Denys35. Tite-Live ne dit pas qui eut l’initiative de la démarche, mais son récit s’insère dans une description des activités des Sénateurs face à la menace de Porsenna qui n’est pas incompatible avec la version de Denys. Quelques années plus tard, en 504, Plutarque attribue nommément à Publicola la consultation de l’oracle de Delphes36 – une consultation qui se situerait donc dix ans après la première mission envoyée sur ordre de Tarquin le Superbe. Cette initiative exceptionnelle confirme le rôle particulier de Publicola dont le pouvoir se situe « bien au-dessus de ce qui sera la norme pour les temps ultérieurs37 ». Enfin en 476, après le désastre de la Crémère de 477, les consuls chargent des légats – qu’ils semblent avoir eux-mêmes nommés – d’acheter du blé chez les voisins de Rome38.

29Les demandes d’aide frumentaire, dont les magistrats avaient eu principalement la responsabilité, ne semblent plus nécessaires après 474, lorsque la trêve de 40 ans avec Véies est marchandée contre le versement d’un tribut en blé – des engagements probablement respectés puisque, nous l’avions souligné39, jusqu’en 440, le ravitaillement ne semble pas poser problème. À cette date, la rupture de la trêve fait réapparaître les menaces de famine, imposant la nomination de L. Minucius, dans des conditions obscures40. Selon Tite-Live, il reçut le titre de praefectus annonae et envoya de multiples missions chargées d’acheter du blé. Mais une seule, en Étrurie, aurait eu un résultat si peu important que le blé obtenu fut « incapable d’avoir la moindre influence sur le ravitaillement, il (Minucius) eût recours à une organisation de la famine41 ». L’échec de la politique de L. Minucius (par peur de la famine, les suicides se multiplièrent) serait en outre à l’origine de l’initiative de Sp. Maelius qui se substitua à l’action publique en achetant, à ses frais, du blé auprès des Étrusques, grâce à l’entremise « de ses hôtes et de ses clients » – une initiative qui alimenta l’accusation d’adfectatio regni42.

30Les conséquences de l’échec de Minucius et surtout la crise des institutions consécutive à l’affaire de Maelius peuvent expliquer qu’en 433, comme en 411, lors de l’envoi de missions de ravitaillement, aucune mention ne soit faite désormais au rôle qu’auraient pu jouer les magistrats (ou même le Sénat). Tite-Live, notre seule source, se contente d’indiquer que des legati furent envoyés, sans autre précision43. Les initiatives des magistrats destinées à fournir une aide à Rome se situent toutes dans un contexte intérieur ou extérieur difficile, politiquement et militairement : le siège de Porsenna, le désastre de la Crémère, la rupture avec Véies ou les revendications frumentaires des plébéiens. Les magistrats semblent investis d’une fonction singulière : le Sénat est certes présent dans des démarches de même nature, sauf quand ces missions se déroulent dans un contexte délicat ; elles semblent alors avoir été réservées, en quelque sorte, aux magistrats.

31En dehors des missions destinées à demander de l’aide, quatre missions exceptionnelles par leur contenu sont envoyées sur ordre de magistrats. Le premier acte diplomatique républicain, aussitôt après le coup de force contre Tarquin, est une initiative de Brutus, une démarche pourtant effectuée par les deux légats de Tarquin à Ardée. T. Herminius (le légat de 508 et consul de 506) et M. Horatius (consul suffect en 509) sont en effet tout de suite passés dans le camp de Brutus, dès sa rupture avec le roi. De sorte que, avant même de revenir à Rome, sur ordre de Brutus, ils auraient négocié avec Ardée une trêve de 15 ans – un acte exceptionnel s’il en fut, puisque les légats ont trahi et leur roi et leur mission initiale44. Cette trahison fut militairement et politiquement décisive, car elle permit à l’armée de revenir dans la Cité rejoindre les nouveaux dirigeants de Rome45. Naturellement, cette affaire si singulière ne permet pas de déduire quoi que ce soit du fonctionnement des institutions ; Brutus se comporte ici bien plus comme un monarque que comme un magistrat élu – qu’il n’est d’ailleurs pas !

32En 498, le premier dictateur de Rome, T. Larcius Flavus, prend deux initiatives auprès des Latins : il traite la paix avec les cités latines, puis obtient une trêve d’un an avec l’armée des Latins46 – des acquis bien provisoires puisque rien n’est réglé avant la bataille du lac Régille. Le contexte est ici encore très singulier car, à l’instar de Brutus, le premier dictateur de Rome et chef des armées, semble se comporter plus en roi qu’en magistrat. Pour la première fois, il s’autorise, comme les rois, à désigner des légats afin de traiter de la paix avec les Latins. La datation de la première dictature est fort contestée par nombre d’historiens modernes ; certains pensent que cette magistrature a pu exister dès 501, date à laquelle Tite-Live évoque une « lex de dictore creando47 ». J. C. Richard affirme que « sans nous permettre de faire toute la lumière sur des questions litigieuses, les données traditionnelles ont en dernière analyse le mérite de la cohérence et de la simplicité48 ». Cohérence en effet car, si T. Larcius a bien été le premier dictateur de Rome, il serait, en tant qu’unique détenteur du pouvoir exécutif, seul habilité à prendre des initiatives diplomatiques et, de ce point de vue, son activité est légitime49. En revanche, la dictature étant un recours institutionnel d’exception, comme dans le cas précédent, on ne peut élargir le mécanisme mis en jeu ici au fonctionnement non encore fixé de la diplomatie dans les premières années de la République.

33Pendant les 20 années suivantes, entre 498 et 465, aucune initiative n’est prise par un magistrat, à l’exception déjà évoquée de la demande d’aide frumentaire en 476. La dernière initiative politique d’importance a été prise en 465 par Q. Fabius Vibulanus ; deux ans plus tôt, en 467, il avait obtenu du Sénat en tant que consul « plein pouvoir pour faire la paix avec les Èques selon les termes qu’il avait lui-même choisi50 ». Ces pleins pouvoirs lui permettent d’établir un traité avec les Èques, en agissant seul apparemment – un traité par ailleurs violé dès l’année suivante, selon les informations fournies par les Latins51. Denys suggère que la mission de Fabius, en 466, avait été ordonnée par le Sénat, mais Tite-Live lui attribue un rôle personnel plus important, proche de celui qu’il exerça au cours de son second consulat en 465, immédiatement après ces événements. Le commandement contre les Èques lui fut confié, sans tirage au sort, et il prit l’initiative de nommer des légats – comme avant lui T. Larcius (qui lui était dictateur) – chargés de demander aux Èques de respecter le traité de 467. La démarche fut un échec et les légats du consul « faillirent être maltraités52 ». Les témoignages de Denys et de Tite-Live sont difficiles à concilier, mais il en ressort que, durant ces trois années de lutte contre les Èques, Q. Fabius Vibulanus a joué un rôle personnel de premier plan. Cette guerre était devenue en quelque sorte la sienne et, lors de son troisième consulat en 459, il se bat à nouveau contre les Èques, assiège Tusculum et obtient un triomphe53.

34Le rôle prééminent joué par Fabius dans les rapports avec les Èques se confirme en 458, lorsqu’il est envoyé, explicitement sur ordre du Sénat, à la tête d’une délégation composée de deux autres consulaires, afin d’obtenir le respect du traité54. La mission est un échec cuisant, le général èque conseillant aux légats romains de « s’adresser à ce chêne, lui a autre chose à faire55 ». La carrière singulière de ce Q. Fabius – consul, diplomate, decemvir56 – figure parmi les plus exceptionnelles de ce siècle, trop exceptionnelle pour imaginer qu’il préfigure les modes de fonctionnements postérieurs. Néanmoins, sa gestion presque privée du conflit avec les Èques ressemble fort à celle exercée par la gens Fabia dans les rapports avec Véies. La diplomatie semble constituer, dès le début de la République, un des domaines dans lequel les intérêts privés ou gentilices peuvent continuer à s’exprimer. La personnalité de quelques patriciens, leur autorité, leur influence personnelle sur les choix politiques à mettre en œuvre, les autorisent, semble-t-il, à prendre des initiatives bien plus proches d’une pratique gentilice ou royale que d’un fonctionnement républicain, au sens classique du terme.

Les magistrats ne reçoivent des légations qu’au début du siècle

35Quantitativement, la place occupée par les magistrats est deux fois plus importante dans la procédure de réception que dans l’envoi de délégations, mais la répartition de leurs actions est chronologiquement aussi irrégulière dans les deux fonctions. 17 des 21 délégations reçues sont antérieures à 466 et deux sont datées de 458 et 443. Dans les dernières décennies de la période, des tribuns militaires à pouvoir consulaire auraient reçu en 418 une mission d’information de Tusculum et en 404 la deditio, très suspecte, d’Artena mentionnées par TiteLive57. Le lien entre l’extension du champ d’intervention des armées de Rome et l’origine des missions reçues par les magistrats est patent : toutes ces missions proviennent exclusivement de l’Italie centrale. Les peuples voisins de Rome font donc, comme les Romains, un usage fréquent de la diplomatie, puisqu’ils auraient multiplié les initiatives. Ainsi les Volsques, si fréquemment en conflit avec Rome, envoient le plus grand nombre de missions avec neuf des 21 délégations reçues. Les Étrusques de Véies ont été, quant à eux, à l’origine de cinq missions chronologiquement regroupées entre 485 et 474, c’est-à-dire jusqu’à la conclusion de la trêve de 40 ans58.

Tableau XXXI. – Les magistrats reçoivent des ambassades.

36Le peuple aurait reçu…

37Note*

38Les missions ont été, très majoritairement, reçues par des magistrats supérieurs (consuls ou dictateurs) ayant donc l’imperium, mais les tribuns militaires auraient reçu deux délégations dans des conditions singulières qu’il importera de tenter de préciser. Enfin une ambassade a été envoyée par Véies en 477 à des Fabii dont le titre est mal connu – peut-être s’agit-il de K. Fabius, le consul de 479 dont Denys nous dit qu’à la bataille de la Crémère, il avait un pouvoir proconsulaire59. Les deux tiers des démarches (14 sur 21) ont pour objectif la paix : les magistrats en charge d’opérations militaires sont, en toute logique, les mieux placés pour recevoir des délégués chargés de négocier les premiers règlements politiques des affrontements. Pour autant, leurs prérogatives sont mal établies et les hésitations du fonctionnement institutionnel sont perceptibles à travers plusieurs indices.

39La différence paraît nettement affirmée, dès les premières décennies, entre l’établissement de traités de paix et la réception de deditiones. Les consuls acceptent la deditio de deux cités volsques (Pometia en 502 et Antium en 468) ; celle d’Artena aurait été reçue par un tribun militaire à pouvoir consulaire en 40460. Comme lors des siècles suivants, ils semblent prendre leur décision, seuls. Deux de ces démarches sont par ailleurs suspectes : la deditio d’Antium est probablement le doublet d’un événement très postérieur, daté de 33861. Lors de la deditio d’Artena, nous l’avons évoqué, les règles n’auraient pas été respectées la responsabilité du magistrat est certainement en cause62. a priori, la cité n’a, en effet, pu être rasée qu’avec l’assentiment du chef des armées, mais nous ne savons même pas s’il y eut une entrevue entre les citoyens d’Artena et les tribuns militaires ayant fait le siège de la citadelle, de sorte que les conditions précises de la deditio n’avaient peut-être pas été établies selon les règles qui, un siècle après le départ des Tarquins, avaient été si rarement appliquées63.

40En revanche, les magistrats semblent hésiter à prendre une décision lorsqu’ils reçoivent des délégations chargées d’établir un règlement de paix : ils les renvoient presque systématiquement au Sénat, censé établir un règlement définitif64. Les consuls ne pouvaient-ils, dès les premières décennies de la République, établir que des préliminaires ? En 502, une première ambassade est envoyée par les Sabins au consul Sp. Cassius ; selon Denys, Cassius demanda aux Sabins d’en référer au Sénat afin d’obtenir une paix65. Tite-Live évoque, pour sa part, des négociations entre les Sabins, le dictateur T. Larcius (en 501 ?) et le Sénat, qui auraient « abouti si les Sabins avaient consenti à indemniser Rome de ses préparatifs de guerre, comme elle le réclamait66 ». Après 486 et la demande de paix des Herniques, à nouveau auprès de Sp. Cassius67, la procédure de renvoi auprès du Sénat devient quasi systématique. Cinq ambassades reçues par un magistrat entre 486 et 467 furent ainsi renvoyées au Sénat, après un marchandage de l’autorisation d’aller à Rome68. Pour autant, le Sénat ne semble pas vouloir affirmer nettement sa prééminence dans la prise de décision puisque, dans deux cas sur cinq, il renvoie les délégués auprès du consul. Ces navettes illustrent pleinement les flottements des institutions républicaines primitives. En retournant aux magistrats des délégations chargées de mettre au point des traités de paix ou d’amitié, les Sénateurs reconnaissaient de facto que les magistrats en charge des opérations militaires étaient mieux placés pour prendre ces sortes de décisions69. Soulignons également, qu’aucune source ne nous précise si elles furent entérinées par un vote des comices.

41Les renvois au Sénat se multiplient essentiellement à partir de 486 ; avant cette date, seule la démarche des Sabins en 502 (dont la chronologie est assez floue) aurait fait l’objet d’un renvoi70. Depuis 496, un personnage parait avoir eu dans les rapports avec les peuples extérieurs un rôle de premier plan : Sp. Cassius. Après son consulat en 502, il fut choisi comme maître de cavalerie par T. Larcius Flavus en 501 – l’autre consulaire très présent dans les premières années de la République71. Le désaccord entre les deux hommes éclate en 496, lors des premières discussions sur le sort que Rome doit réserver aux Latins après la victoire du lac Régille72 ; mais en 493, c’est Sp. Cassius qui réussit à imposer sa volonté dans le règlement des rapports latino-romains. Parallèlement, la carrière de son rival T. Larcius semble prendre fin précisément la même année 493, lorsqu’il reçoit le commandement de l’armée contre Corioles73. Lors de son troisième consulat, Sp. Cassius est à nouveau très actif lors de ses contacts avec les Volsques auxquels il aurait réussi à imposer les « conditions de paix les plus honteuses74 ». Avec les Herniques, c’est encore Cassius qui, selon Denys, aurait imposé « un traité qui était une copie de celui qu’il avait fait avec les Latins75 ». Cependant, avec ce traité, il s’attire l’opposition d’une majorité de Sénateurs, en raison de ses initiatives pour régler le problème agraire et répartir le territoire hernique. Accusé, en 485, d’adfectatio regni, il est exécuté. Sa condamnation peut être assimilée à un véritable règlement de compte : après la fin du siège de Rome par Coriolan, la victoire du patriciat romain est complète sur la coalition étrusco-plébeienne menée par Sp. Cassius76. Son élimination se traduit par la disparition pendant les 15 années suivantes des noms plébéiens et étrusques dans le personnel dirigeant de la cité, alors que la même année 485 est engagée la lutte contre Véies.

42Lors des négociations avec les Latins et les Herniques, Sp. Cassius avait personnellement dirigé les opérations et s’est contenté de faire entériner ses décisions par le Sénat77 ; désormais les rapports avec les Veiens sont au contraire très étroitement contrôlés par le patriciat, au coeur même du Sénat. Ni le consul de 478, L. Aemilius78, ni celui de 474, A. Manlius Vulso, ne prennent d’initiatives : ils se contentent de renvoyer tous les ambassadeurs de Véies au Sénat pour les prises de décisions – et c’est effectivement le Sénat qui, en 474, établit la trêve pour 40 ans79. Il faut ensuite attendre les négociations avec les Èques en 467 pour voir à nouveau les Sénateurs donner carte blanche à un consul pour établir une paix80. De plus, lorsque Q. Fabius Vibulanus renvoie les ambassades des Èques au Sénat, l’assemblée refuse de se substituer à l’autorité du consul qui avait en charge le conflit – une des navettes en trois temps entre un consul et le Sénat. En 458, les conditions de la soumission des Èques sont également établies, personnellement, par le dictateur L. Quinctius Cincinnatus, mais les conditions sont si dures (bien qu’il y ait eu dialogue) que la reddition s’apparente plus à une capitulation qu’à une deditio. Il leur fut imposé de passer sous le joug, en revanche les Èques ne furent ni massacrés, ni réduits en esclavage comme lors d’une capitulation81.

43La répartition si irrégulière des interventions des magistrats est assurément liée à l’instabilité institutionnelle générée en premier lieu par le changement de régime en 509, en second lieu par l’alternance entre consuls et tribuns militaires à pouvoir consulaire. À partir de l’affaire de Sp. Maelius, c’est-à-dire après 438 et jusqu’en 396, l’initiative des 15 missions envoyées par Rome durant ces années n’est attribuée explicitement ni aux magistrats ni même au Sénat (à l’exception de la mission religieuse de 398 à Delphes). Une telle concentration d’imprécisions illustre les atermoiements des différents acteurs romains susceptibles de prendre des décisions. Le titre officiel des magistrats n’est probablement pas seul en cause : qu’ils aient été consuls ou dictateurs, jusqu’en 438, les magistrats ne semblaient pas réagir en fonction de leur titre ou de leur fonction. En revanche, les objectifs des missions dans lesquelles des magistrats sont partie prenante sont un peu plus significatifs, sans apporter cependant de réelles certitudes : les trois ultimatums ont été envoyés à Véies sur ordre du Sénat, tandis que les demandes de ravitaillement étaient mises en place par les consuls82. Tite-Live fournit en ce sens un indice indirect : en 411, les consuls auraient décidé seuls de la composition exceptionnelle des missions chargées de procurer du ravitaillement à Rome en raison d’une épidémie ; chaque commission fut composée d’un sénateur et de deux chevaliers83.

Conclusion

44De lourdes incertitudes subsistent, on le constate, quant au rôle joué par les différents tenants du pouvoir susceptibles de prendre des initiatives diplomatiques au cours de ces années. À l’évidence, aucun pouvoir n’a pu s’imposer de façon déterminante en ce domaine. Ni le Sénat, ni les magistrats ne paraissent en mesure de définir avec précision le champ de leurs compétences, même si quelques priorités semblent se dessiner. Les demandes d’informations et d’aides relèvent plus souvent de l’initiative des magistrats que les missions liées à la guerre, par exemple ; mais la répartition des attributions ne parait se mettre en place que très progressivement. L’évolution du fonctionnement de la diplomatie, après l’expulsion des rois, paraît liée étroitement aux conflits internes de la cité et aux luttes entre les différentes composantes du corps civique de Rome. Les magistrats, proches des milieux étrusques et plébéiens – et singulièrement Sp. Cassius – conservent, jusqu’en 485, une capacité d’initiative diplomatique réelle, plus particulièrement dans la procédure de réception des délégations au cours de leurs commandements militaires. À côté de Sp. Cassius, un autre personnage s’arroge un pouvoir considérable en matière de diplomatie durant ces années : le dictateur T. Larcius Flavus, désignant des délégués, comme le faisaient les rois de Rome.

45En revanche, la fermeture du patriciat, qui coïncide avec l’élimination de Sp. Cassius, aurait provoqué une modification sensible du fonctionnement de la diplomatie : les consuls ne prennent plus d’initiatives (au moins officiellement) et renvoient de plus en plus systématiquement les délégations devant le Sénat. Cette reprise en main des relations extérieures n’est cependant affichée que jusqu’en 464, et au-delà de cette date, les Sénateurs semblent répugner encore à prendre en charge officiellement la totalité des rapports, comme en témoigne la forte proportion d’échanges dans lesquels les interlocuteurs des délégations étrangères ne sont pas définis84. La génération des personnalités qui avaient marqué les premières années de la République – dont tous les membres avaient, à des titres divers, joué un rôle actif en matière de diplomatie – disparaît autour de ces années. La fermeture postérieure du patriciat ne laisse ensuite émerger que peu d’individualités – à une exception d’importance, celle de Q. Fabius Vibulanus dans les années 460. Dans la seconde moitié du siècle, le nombre des personnages investis d’un pouvoir consulaire (souvent plus de six tribuns militaires par an) ne facilite pas l’émergence de fortes individualités. La classe sénatoriale semble faire bloc, de façon presque anonyme, autour de cette aristocratie foncière dans laquelle les éléments latins sont probablement devenus dominants. Cet unanimisme paraît même se renforcer après le décemvirat durant lequel Q. Fabius – la dernière personnalité marquante de la période -, disparaît à son tour de la scène politique. En outre, l’échec de la mission qu’il avait lui-même déléguée auprès des Èques au cours de son consulat a pu contribuer à cette évolution85.

46Ainsi, la comparaison entre l’évolution quantitative de l’activité diplomatique et la place occupée par chacune des structures d’intervention au v^e siècle86, permet de mettre en évidence de fortes correspondances entre les périodes d’intense activité diplomatique et les initiatives personnelles. Les périodes de fermeture du patriciat et la reprise en main par le Sénat se traduisent par une chute significative du nombre des rapports avec les peuples extérieurs. L’évolution semble s’articuler autour de quatre temps : de 509 à 485, la fréquence des échanges est la plus élevée du siècle et l’on compte 17 actes reçus ou envoyés par des magistrats. De 484 à 468, la fréquence des actes chute considérablement et cette diminution coïncide avec la fermeture du patriciat après l’exécution de Sp. Cassius. De 467 à 450, la fréquence de l’activité diplomatique remonte sensiblement, mais essentiellement grâce à la forte activité de Q. Fabius. Enfin de 449 à 396, la fréquence des actes retombe au niveau de la période 484-468, après la nouvelle fermeture du patriciat qui suit le décemvirat et la multiplication des tribuns militaires.

47Le Sénat, collectivement, aurait donc joué durant certaines périodes – plus précisément à chaque moment de fermeture du patriciat romain – un rôle bien frileux dans le développement des relations extérieures. Comme en contrepartie, les magistrats opérant hors de Rome paraissent plus aptes à favoriser les ouvertures de la cité sur son environnement italien. Grâce aux contacts qu’ils établissent, notamment lors de la réception de délégations, les magistrats sont amenés à saisir la place que la diplomatie peut occuper dans l’ouverture de Rome sur l’extérieur et l’établissement de relations autres que conflictuelles. Les réticences du Sénat traduisent peut-être un certain décalage entre l’idée que quelques magistrats diplomates se font d’une certaine ouverture de la Cité et celle que les Sénateurs voulaient conserver ou afficher. En effet, l’affichage de rôles contradictoires (ou plus probablement complémentaires) peut refléter tant les intérêts opposés des clans sénatoriaux que la volonté de la tradition annalistique d’imputer des choix politiques différenciés aux tenants du pouvoir.