La figure du sauveteur
|Chapitre IV. L’excellence civique comme identité : organismes de sauvetage et associations de citoyens secoureurs
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- 1 Pierre Arnaud est l’auteur d’une thèse d’État, Le sportsman, l’écolier, le gymnaste, Université Ly (...)
1Lyon est la seule ville française d’importance dont les associations de citoyens secoureurs aient été étudiées. Pierre Arnaud, sur la base d’un imposant travail empirique en matière de sociabilités sportives et populaires, s’est ainsi étonné du caractère tardif de la fondation, en 1859, de la première association se rattachant au sauvetage, la 145e Société de secours mutuels de Lyon, dite Société des Sauveteurs Médaillés1. Les effets des inondations de 1840, 1856, 1858, et 1866, avance-t-il comme première explication, « sans doute la moins pertinente », n’auraient que tardivement convaincu les populations riveraines du Rhône et de la Saône, et les pouvoirs publics, de la nécessité d’organiser et de fédérer les secours volontaires, du moins jusqu’aux créations de la Compagnie Maritime Mobile de Sauvetage du Rhône (1864), et de la Société Centrale de Sauvetage (1865). Il est plus probable, ajoute-t-il, que « la révolution de 1830, la révolte ouvrière à Lyon en 1834, puis la révolution de 1848 », aient favorisé une activité des sociétés de sauvetage orientée vers la résolution de la « question sociale », c’est-à-dire une « morale d’action » davantage préoccupée de mutualité et de solidarité corporative que de secours en cas d’accidents. C’est sur la base de cette dernière hypothèse qu’il convient en effet d’engager l’observation nationale des associations de secoureurs volontaires.
- 2 Une réactivation de cet imaginaire dans un essai récent : Lacroix M., Le courage réinventé, Paris, (...)
2Toutes les associations de sauveteurs qui apparaissent en France à compter des années 1850 ne sont pas, loin de là, des organismes de sauvetage. Bien que tendanciellement, et de manière de plus en plus nette à l’approche du tournant du siècle, toutes ou presque se trouvent portées à se préoccuper plus directement d’une préparation physique, technique et matérielle à l’intervention secourable, l’une de leurs destinations les plus explicites n’en reste pas moins la promotion civique de l’individu dévoué et courageux. Au sein de la concurrence que se livrent les groupes sociaux pour la définition des contours légitimes des comportements individuels socialement et moralement exemplaires, c’est sans doute à ce titre que le secours courageux creuse, des sauveteurs marins aux secouristes, des soldats du feu aux gendarmes de haute-montagne et sapeurs-pompiers newyorkais du 11 septembre 2001, un sillon dont notre mémoire collective conserve encore la trace2.
- 3 Neveu E., Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 1996, p. 82. Sur la notion de « (...)
3Identité individuelle, identité collective, l’excellence civique du secours courageux n’est pas seulement une construction de papier ou une projection de littérateur. Elle est au fondement d’une mobilisation associative originale dont la contribution à la définition des contours et à l’enracinement de la citoyenneté démocratique ne doit pas être négligée. Comme l’ont montré de nombreux travaux de sociologie des mobilisations, la capacité à se doter d’une identité valorisante, « fût-elle imaginée », est une ressource décisive pour l’affirmation d’un collectif au sein de l’espace public, en même temps qu’une expérience sociale souvent déterminante dans l’existence de ceux qui le composent3. Plus encore, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, de l’individu dévoué jusqu’aux strates supérieures qui influencent la direction des affaires publiques une continuité s’esquisse : l’excellence civique du citoyen secoureur peut aussi valoir comme critérium de l’élévation morale des catégories dirigeantes et de la nation qu’elles administrent.
4Le secours en cas d’accident, sur terre comme sur mer, justifie à cet égard d’une compréhension qui, sans les nier, associe à ses finalités pragmatiques de sauvetage celles de l’édification morale collective et de la valorisation identitaire individuelle. Pour s’engager, sans simplifications, dans les linéaments de l’histoire des organisations de citoyens secoureurs, il convient en somme de s’efforcer d’adjoindre à l’histoire sociale de la préservation contre l’accident, et d’abord de l’accident aquatique, noyade ou naufrage, celle de certaines pratiques de la sociabilité démocratique moderne, en l’occurrence la mutualisation de la préservation contre les risques, ou même l’éducation physique et sportive.
Des sauveteurs pour quoi faire ? Nécessités collectives et réponses organisationnelles en matière de secours publics en cas d’accident
- 4 On renverra aux travaux historiographiques ayant été inspirés, au moins pour partie, par la perspe (...)
- 5 Pour les principaux, qui sont utilisés tout au long de cette partie (voir la bibliographie général (...)
5Les secours publics en cas d’accident de la fin du xviiie siècle à 1914 représentent un domaine d’investigation diversifié, aux sources incertaines, et pour l’essentiel délaissé par l’histoire savante, si ce n’est sous l’angle de la reconstitution de la perception collective des menaces en tant que telles4. Les archives en la matière sont, sauf exception, éparses, locales et éclatées. On dispose néanmoins d’une historiographie militante des pratiques de secours en cas d’accident, premier vecteur par lequel s’exprime un prosélytisme en faveur d’une définition particulière de ce type d’activités. Auguste Voisin et Philippe Goelzer à l’aube des années 1880, Albin Rousselet en 1892, Félix Damico, le docteur Grunberg ou Louis Journaux quelques années plus tard, et même Raymond Pitet dans son ouvrage posthume de 1972, tous engagés à titre personnel dans le secours d’urgence aux personnes, fournissent ainsi une lecture téléologique des expériences passées, mobilisant les éléments les plus divers et avec une exactitude souvent partielle5. Sans être négligeable, leur apport appelle une démarche réflexive. Le plus simple est donc d’adopter un propos à la fois chronologique et territorial, en envisageant tour à tour les secours publics en cas d’accident en milieu fluvial et urbain, puis sur la bordure maritime, et d’indiquer le cas échéant les influences ou les liens réciproques.
Philippe-Nicolas Pia précurseur total : premiers soins et excellence civique, la constitution d’un problème collectif sous l’Ancien régime
6Au cours de la seconde moitié du xviiie siècle, l’essentiel de la technique des premiers secours aux noyés et asphyxiés, ainsi que les contours d’une organisation collective rationnelle de diffusion de ce savoir et de mise à disposition du matériel nécessaire, se trouvent connus et expérimentés. Dans cet effort à la fois médical et institutionnel, le pharmacien et échevin de la ville de Paris Philippe-Nicolas Pia occupe la place d’un innovateur multidimensionnel, en matière de thérapeutique, d’information sanitaire, d’installation d’un service de secours publics, et d’invention d’une modalité collective d’incitation à l’intervention secourable. Les généalogistes militants de l’institutionnalisation du sauvetage et des premiers secours ne l’oublieront pas, et trouvent en lui le précurseur de leur propre définition de la nécessité et de la légitimité d’un regroupement organisé des citoyens secoureurs.
- 6 Sur l’interprétation présentée, la bibliographie citée de l’époque ou celle d’histoire des techniq (...)
7L’un des sujets de prédilection de la curiosité médicale des débuts du xviiie siècle, qui devient progressivement expérimentale et se dote de lieux de débats et de comparaisons – le Journal de médecine, chirurgie et pharmacie est créé en 1754 –, concerne l’asphyxie ou « détresse respiratoire ». L’histoire récente des techniques de réanimation fournit un résultat solide : à partir du milieu du siècle, et de manière plus appuyée jusqu’à la Révolution par les résultats réitérés de thérapeutes divers, on connaît les causes de la mort par noyade ou asphyxie, même si le principe explicatif échappe encore, tant que la découverte de Lavoisier de 1777 n’est pas intégrée dans l’explication chimique de la respiration6.
8Antoine Louis, secrétaire de l’Académie royale de chirurgie, dresse en 1752 dans sa Lettre sur la certitude des signes de la mort un bilan complet des constatations, pour partie expérimentales, qui réfutent la théorie de non-pénétration de l’eau dans les voies aériennes en cas de noyade. Parmi d’autres, Chardenon – Mémoire sur les noyés (1761) –, Isnard – Sur la manière la plus simple et la plus sûre de rappeler les noyés à la vie (1759) –, De Villiers – Méthode pour rappeler les noyés à la vie (1771) –, Portal – Rapport sur la mort du sieur Lemaire et de son épouse (1784) –, approuvent et confirment ses travaux. La seconde édition de L’encyclopédie – article « Noyé » (1778) – prend acte de la « solidité des preuves » en la matière, et corrige la théorie ancienne à laquelle elle avait initialement souscrit.
9Parallèlement à ce savoir médical qui progresse, l’administration royale engage quelques initiatives d’information sur les moyens de porter secours. Bien que contradictoires avec la théorie scientifique dominante, et appuyés principalement sur l’expérience pratique, les conseils propagés sont précocement corrects, et se voient validés à mesure du retournement de la théorie elle-même. Aussi L’Avis pour donner du secours à ceux que l’on croit noyé, mis au point par De Réaumur dès 1740, imprimé au Louvre, et diffusé dans la France entière en nombre « très considérable » à cette date, puis en 1758 et 1769, n’est-il pas remis en cause dans les indications qu’il propose. La préoccupation sanitaire de l’administration devance, pour ainsi dire, la médecine, laquelle l’engagera ensuite à son tour à parfaire et étendre son action.
- 7 D’origine bourgeoise, né à Paris le 15 septembre 1721 d’un père apothicaire qui, « par une conduit (...)
10Philippe-Nicolas Pia, chimiste et pharmacien, va s’engager dans l’un et l’autre de ces champs, adoptant la posture syncrétique d’un scientifique éclairé, doublé d’un philanthrope administrateur. C’est en 1772, à cinquante et un ans, qu’il prend la direction de l’Établissement en faveur des noyés créé deux ans plus tôt, et en devient l’animateur particulièrement actif7. Dès son entrée en fonction, il décide de rendre compte annuellement des activités de l’institution, de manière détaillée, militante, au travers d’une publication spécifique, détails des Succès de l’Établissement que la ville de Paris a fait en faveur des Personnes Noyées, qui s’étendra sur près d’une décennie.
- 8 Pia Ph.-N., Détails des Succès de l’Établissement que la Ville de Paris a fait en faveur des Perso (...)
11L’information sur les méthodes de réanimation, relève dès sa première intervention le nouveau directeur, ne saurait suffire à produire les effets sanitaires bénéfiques que l’on est en droit d’attendre, et il ne faut pas s’étonner que jusqu’ici, « comme on ne faisait qu’indiquer les moyens, sans les fournir, et qu’on n’avait pas imaginé de les exciter par des récompenses, le zèle du Gouvernement et de la Ville n’eut pas son effet8 ». Derrière le diagnostic se dessine le programme d’action de l’innovateur : moyens matériels de délivrance des secours et vecteurs d’incitation de la population à leur usage doivent être développés conjointement à la propagande des gestes de réanimation. Doté de sa propre tribune, Pia va donc engager son programme dans une triple direction.
- 9 Outre les Détails des succès…, dont la nature est composite (à la fois médicale et institutionnell (...)
- 10 Pour le détail du débat voir Le Mercure, août 1772, p. 183, novembre 1772, p. 181. Les deux lettre (...)
- 11 Antoine Portal (1742-1832) confirmera par la suite la brillante carrière d’homme de science et de (...)
- 12 Détails des succès, op. cit., vol. iv, pp. xix-xv, xxx et ss.
- 13 « Plus tard (1816), il en conseillera cependant l’emploi en en rappelant les dangers ». Brullard p (...)
12La première est celle de l’amélioration thérapeutique9. L’exergue du premier fascicule des Détails des succès… débute ainsi sur un débat à propos de l’utilité des « lits de cendres chaudes », qui peuvent rendre des services mais dont l’application pratique paraît à l’administrateur de réalisation difficile : le souci de l’efficacité sanitaire et de l’organisation d’un service de secours doit primer sur toute autre considération10. En 1776, un contradicteur d’envergure, Antoine Portal – ancien professeur d’anatomie du futur Louis XVI, titulaire de la chaire de médecine au Collège Royal de France et de la chaire d’anatomie de l’homme du Jardin du Roi, membre de l’Académie Royale des Sciences 11 –, s’avance pour contester les vertus de la « fumigation », injection de fumée dans les intestins par l’anus, dont la pratique a validé les bienfaits. Philippe-Nicolas Pia, non sans relever que Portal commercialise des boîtes de secours qui « contiennent surtout une machine fumigatoire », s’adosse sans crainte à l’autorité empirique de la recension scrupuleuse des soins délivrés par le service dont il a la charge pour renverser l’ordre des préséances théoriques et des finalités de secours : « La plupart des hommes ignorent que des sujets de tout âge, de tout sexe, qui paraissent privés de la vie, conservent encore la puissance vitale, et que la cessation de la respiration et du battement du cœur n’est pas suivie à l’instant de la mort réelle ; le principe de la vie parait donc résider dans des parties plus étendues, plus communes à tous les organes ; […] l’expérience de tous les siècles et de tous les pays démontre cette vérité que la théorie a négligée, désavouée, ou combattue, parce qu’elle ne peut pas l’expliquer ou qu’elle contredit ses systèmes. […] Quand on veut prévenir le Public contre un moyen dont l’utilité est attestée par tant de faits, et par tant de sages praticiens qui respectent jusqu’au scrupule la vie des hommes, il faut autre chose que des probabilités, des raisonnements théoriques 12… » La logique implacable de l’exposition des cas de réanimations réussies et l’impératif de secours s’imposent aux incertitudes de la science médicale, et Portal lui-même en conviendra plus d’un demi-siècle plus tard13. Dans le champ du savoir, le citoyen secoureur vient de remporter sa première victoire.
- 14 Pia Ph.-N., Description de la Boîte-Entrepôt pour le Secours des Noyés, Paris, Lottin, 1775, 16 pa (...)
- 15 On pourrait en décrire le rôle comme « non-humain » dans la terminologie développée par l’anthropo (...)
13La seconde direction d’action de Philippe-Nicolas Pia concerne la mise à disposition des moyens de secours et la formation à leur usage. Le premier point, qui constituera au siècle suivant l’objectif pratique essentiel des initiatives sécuritaires municipales à Paris comme en province, est défendu dans sa Description de la Boîte-entrepôt contenant les secours qu’on est dans l’usage d’administrer aux Noyés d’après l’Établissement que la ville de Paris a fait en leur faveur, selon le sous-titre de l’opuscule qu’il lui consacre14. La « boîte-entrepôt », familière des quais de nombreuses villes fluviales jusqu’au début du xxe siècle, s’impose par son intermédiaire comme un acteur à part entière de l’entreprise de santé publique engagée15. Loin des controverses savantes, la diversité de son contenu marque la possibilité de secours extrêmement variés, mais qui tous justifient d’être engagés, et il neutralise, à l’instar du discours de son concepteur, l’incertitude thérapeutique :
« Quatre rouleaux d’une demi once de tabac ; une boîte de plusieurs paquets d’Émétique de trois grains chaque ; une bouteille de pinte remplie d’Eau-de-Vie camphrée, animée avec l’esprit volatil de Sel-ammoniac ; un flacon de cristal contenant de l’esprit volatil de Sel-ammoniac ; un tuyau ou canule fumigatoire ; une cuillère de fer-étamé ; un ? de souphre et de camphre ; une couverture de laine en forme de tunique ; deux tiges de tuyau fumigatoire pour faire parvenir la fumée du tabac dans les intestins ; une canule à boule ; un bonnet de laine roulé avec deux frottoirs de laine ; une deuxième bouteille de pinte remplie d’Eau-de-Vie camphrée, animée avec l’esprit volatil de Sel-ammoniac ; un soufflet à une seule âme ; une machine fumigatoire reposant sur une tablette pratiquée exprès ; un bandage à saignée ; des plumes pour chatouiller le dedans du nez et de la gorge ; enfin des imprimés qui indiquent la manière de faire usage de toutes les choses contenues dans la Boîte-Entrepôt. […]
Pour l’intelligence et la facilité dans l’administration des secours à donner, on a pensé qu’il serait utile de coller en dedans du couvercle de cette Boîte, l’usage qu’on doit faire des différents articles ci-dessus comportant les secours. Et enfin, au-devant de la Boîte, on affiche une feuille imprimée, qui présente, en précis et par ordre, les secours à administrer aux Noyés, et les conditions qu’on fait aux secouristes. […]
Cette boîte est faite avec de beau bois de Hollande ; elle a 12 pouces de haut (32,5 cm), 18 pouces de long (48,7 cm), 9 pouces de large (24,3 cm), y compris les épaisseurs du bois qui ont 5 lignes (1,1 cm). Toutes les parties en sont assemblées solidement et proprement en queue d’aronde. La serrure de cette Boîte est solide et proprement faite ; et, pour empêcher qu’elle ne soit susceptible de la rouille, on a eu l’attention de faire appliquer par-dessus deux couches de vernis. On a évité de la fermer avec une serrure à clef, parce qu’on a fait réflexion que la serrure peut se mêler, que la clef peut se perdre ; et que, lorsqu’on voudrait faire usage des secours (si cet accident arrivait), on serait obligé, pour ne pas perdre de temps, à briser la Boîte, en faisant sauter la serrure. On voit, par ce détail, qu’on a tâché de tout prévoir, autant qu’on l’a pu. »
14Plus qu’une simple fourniture matérielle, la boîte-entrepôt s’impose comme un dispositif total, concentrant en un lieu unique la possibilité, les moyens, et les motivations de l’acte secourable. La nature de cet acte lui-même et sa perception collective en sont transformés : il se banalise, sort de la spéculation ou du rêve, s’institue en une interaction sociale potentiellement inscrite au cœur de la cité. Si la médaille de récompense civique, la troisième direction du programme de Pia, participe directement de ce souci d’inscription dans la collectivité humaine et politique, la boîte-entrepôt y œuvre quant à elle dans l’ordre de l’occupation et du quadrillage d’un territoire, occupation explicitement et minutieusement pensée, aussi bien dans la qualité et la permanence de l’objet que dans la préservation de son accessibilité.
- 16 Détails des succès, op. cit., vol. i, p. 4.
15« Tout prévoir », la contribution novatrice de l’échevin Philippe-Nicolas Pia aux possibilités d’administration de secours rapides en cas d’accident se complète d’un effort réel de formation, effort qui préfigure l’activité analogue que porteront les associations de la Troisième République. Les sources ne permettent que difficilement de se prononcer sur les contours et la qualité de l’enseignement proposé, sinon que la formation, qui concerne une partie de la garde permanente des ports, est appuyée par une répétition mensuelle, rythme également retenu pour le contrôle des boîtes. L’état des thérapeutiques laisse à penser qu’on est encore loin du geste médical stabilisé et explicité tel qu’il se présente dans le secourisme moderne, et qu’il s’agit d’abord de préparer à l’utilisation des instruments mis à disposition. Pour autant, selon Pia, la mise en place d’une formation systématisée doit permettre l’éradication de certains préjugés largement partagés, transformer les opinions de la population, convaincre de l’opportunité de toutes les tentatives engagées contre la mort apparente. « En effet, dans le nombre des noyés retirés de l’eau, qui n’ont pu être rappelés à la vie, les uns ont péri (peut-être) pour avoir été négligés, faute de confiance dans les secours ; d’autres ont été mal secourus faute d’usage et de pratique dans l’administration qui s’est exécutée sans ordre ; et il est possible que d’autres aient été mal-à-propos jugés morts et trop précipitamment abandonnés sans qu’on ait tenté de les secourir16. »
- 17 Voir sur ce point les remarques de Brullard P. et Larcan A. (op. cit., pp. 271-274 en particulier) (...)
- 18 Détails des succès, op. cit., vol. i, p. 44.
16L’évolution des mentalités conditionne l’espace des possibles du secours d’urgence aux noyés, et le « Public », interpellé par un discours dont il est le destinataire principal, se doit d’adhérer à l’incontournable logique des chiffres avancés, au demeurant assez éclatante : 23 réanimés sur les 28 noyés repêchés en 1772, 22 sur 29 en 1773, 33 sur 39 en 1774, 35 sur 41 en 1775. Si la durée de submersion et la rapidité de l’intervention s’imposent progressivement comme des critères déterminants de réussite – l’avis publié en 1781 stipulera d’ailleurs que « c’est dans le bateau même qui a repêché le noyé qu’il faut commencer les secours » –, l’échevin parisien insiste pour sa part sur l’utilité d’une tentative en toutes circonstances17. Seule vaut l’exception d’un début de putréfaction, preuve indiscutable de la mort : « En effet il est vraisemblable qu’un Noyé de 12 heures doit être réputé sans ressource. Il y a cependant des exemples de semblables résurrections ; et, en général, à moins qu’on n’aperçoive des signes évidents de mort, tels la corruption, ou bien qu’en touchant le corps d’un Noyé l’épiderme ne s’en détache sous les doigts qui le touchent, on doit toujours faire des tentatives pour le secourir, s’il est possible. Et quand on a satisfait à ce devoir dicté par l’humanité, alors il ne reste pas même l’ombre du regret de n’avoir rien entrepris pour les rappeler à la vie18. »
- 19 Ibid., vol. i, p. 6, 8, 54-55, etc. Il précise que généralement on ne sort pas le noyé de l’eau, e (...)
17Dans le débat contemporain sur la mort apparente, Philippe-Nicolas Pia renvoie l’incertitude aux débats des spécialistes. Son insistance sur « le préjugé aussi funeste que barbare » qui empêche généralement que l’on n’ose faire la moindre tentative avant l’arrivée d’un officier de police, participe d’une même attention aux conditions sociales effectives de réception des conseils thérapeutiques. « Quoique le Peuple du Royaume soit assez généralement porté à la compassion, et quoiqu’il souhaitât de donner des secours aux Noyés, souvent il ne le fait pas, parce qu’il ne l’ose ; il est donc essentiel qu’on sache, et on ne saurait trop le redire pour détruire le préjugé où l’on est, que nos Magistrats n’ont jamais prétendu empêcher qu’on tentât tout ce qui peut être tenté en faveur des malheureux qui viennent d’être tirés de l’eau. Ce n’est que quand leur mort est très certaine, que des raisons exigent souvent que la justice s’empare de leurs cadavres19. »
18L’éradication de cette croyance malheureuse ne peut être atteinte que par l’ensemble du dispositif associé à l’Établissement en faveur des noyés, avis, boîtes, primes, médailles, et la mise en place d’une formation des employés de la garde des ports n’est probablement pas étrangère à la force de ce préjugé, l’appui sur des représentants de l’autorité pouvant permettre, en dehors même de leur présence permanente sur les principaux lieux d’occurrences des accidents, d’en contourner les conséquences les plus immédiates. De sorte que l’apparition des premiers « secouristes », loin d’être l’indice d’une professionnalisation avant l’heure des citoyens secoureurs, est sans doute plus sûrement redevable des obstacles rencontrés par une forme précoce et audacieuse de « pédagogie sanitaire », où l’évolution des mentalités populaires est directement perçue et appréhendée.
- 20 Le mot est accueilli pour la première fois dans son sens moderne (encore qu’explicitement relié à (...)
- 21 La première occurence d’après notre dépouillement se trouve seulement dans le volume iii publié en (...)
19L’ultime innovation de Pia dans le domaine de la délivrance des secours doit d’ailleurs probablement être comptée au titre de cette préoccupation : l’invention du terme « secouriste » lui-même, oublié en cet usage durant plus d’un siècle, et qui lui vaudra une popularité renforcée dans les milieux du sauvetage à compter de la création de la Société des Secouristes Français en 189220. L’association redécouvrira le terme, on y reviendra à la fin du présent chapitre, et en popularisera en le formalisant l’emploi qui nous est aujourd’hui devenu familier21.
20Complétant la diffusion des moyens et des méthodes de secours aux noyés, le troisième axe du programme d’action de Philippe-Nicolas Pia concerne l’encouragement au geste secourable. Précurseur remarquable à nouveau, l’échevin parisien inaugure en effet les deux principaux vecteurs de promotion du citoyen secoureur par les autorités publiques pour le siècle à venir. Le premier est un système de primes, réinstitué par la ville de Paris dès 1806 et conservé tout au long du xixe siècle. Un Avis concernant les personnes noyées, qui, paraissant mortes, et qui, ne l’étant pas, peuvent recevoir des secours pour être rappelées à la vie en diffuse les conditions. Quarante-huit livres au total sont prévues pour chaque accidenté, la répartition des récompenses reflétant le rôle des intervenants potentiels : les deux tiers aux membres de la population qui auront signalé, repêché ou réanimé le noyé, le dernier aux agents de l’autorité formés à l’administration des secours.
- 22 Reproduit dans le Détail des succès…, op. cit., vol. 1, pp. 66-67.
« Pour exciter, s’il était nécessaire, à procurer ces différents secours aux Noyés, il sera payé à l’avenir, à compter du jour de la publication des Présentes, pour chaque Personne qui, étant, noyée, aura été retirée de l’eau et rappelée à la vie. Savoir, à quiconque avertira le premier, au Corps de Garde des Ports et Quais le plus prochain, qu’il y a un Noyé, et indiquera le lieu où il est, la somme de six livres. À ceux qui auront retiré de l’eau la personne noyée, et auront aidé à l’administration des secours indiqués, la somme de vingt-quatre livres. Au Sergent et aux Soldats du Corps de Garde qui auront reçu l’avis d’une Personne noyée, se seront transportés dans l’endroit où elle aura été déposée, après avoir été retirée de l’eau, auront veillé et coopéré à l’administration des secours, et du tout auront fait et remis leur Procès Verbal, dix-huit livres, dont le tiers pour le Sergent, et les deux autres tiers à partager également entre les Soldats. […] Dans le cas où, malgré tous les secours et moyens possibles, la Personne noyée ne pourrait être rappelée à la vie, alors les récompenses ci-dessus fixées, seront réduites de moitié22. »
- 23 Ibid., vol. iv, p. 199.
21S’autorisant de l’exemple de la Hollande et du Danemark, l’échevin Pia engage pour la France l’ère moderne d’une assistance d’urgence aux personnes que l’Europe entière tend à reconnaître comme mission d’utilité publique, la Royal Human Society, fondée à Londres en 1774, instituant bientôt un système de primes analogue pour réformer les comportements23.
- 24 Lettre au Mercure déjà citée, reproduite dans ibid., vol. i, p. 86 ; vol. ii, 1774, pp. 114-115 ; (...)
22Le second vecteur d’encouragement au secours, également emprunté à l’exemple de la Hollande et du Danemark, et qui constitue le leitmotiv le plus constant des interventions publiques de Pia, aboutira quelques mois après sa disparition en mai 1779. Interpellant sans relâche tant le gouvernement que l’administration municipale, évoquant la couronne civique des Romains, stipendiant les seules « récompenses de mercenaires » dont on veut faire le prix de l’acte secourable, faute de l’encourager par « les deux mobiles les plus puissants sur le cœur de l’homme, l’honneur et l’intérêt », le pharmacien visionnaire préfigure incontestablement la logique proprement politique qui se projettera quelques décennies plus tard sur le domaine des secours publics en cas d’accident24.
- 25 « Délibération portant qu’il sera distribué des médailles d’argent à ceux qui se seront distingués (...)
23De ses diverses préoccupations, il s’agit de la plus significative de l’excellence civique à laquelle il est parvenu, au terme d’une décennie de militantisme thérapeutique et administratif, à associer le secours aux noyés. Le 14 octobre 1779, le Bureau de la ville de Paris se range en effet à son avis et décide : « Que dans la classe, même infime, du peuple il se trouve des gens qui se conduisent plus par la gloire que par l’intérêt. Que nous avons eu la satisfaction d’en voir plusieurs qui, avec un courage extraordinaire, se sont exposés aux plus grands dangers pour sauver des noyés. Que ce zèle, cette intrépidité produisant presque toujours les plus heureux effets, il était très intéressant de l’entretenir, et même de l’augmenter, non seulement par la récompense pécuniaire déjà établie, mais encore par un présent honorable digne de l’homme de cœur et de courage, ainsi que nos prédécesseurs l’avoient présenté : pourquoi il estimoit devoir proposer et consommer le projet qui avoit été formé de faire frapper des médailles pour être distribuées seulement à ceux qui, par des actions hardies, courageuses ou extraordinaires se sont distingués dans le secours des noyés25. »
- 26 Ibid.
24Le premier signe honorifique permanent du citoyen secoureur vient de naître, d’argent frappé de l’écusson des armes de la Ville et de la légende « Civitatis Parisiensis Proemium fond, 1779 », et sur le revers d’une « couronne composée d’herbages et de fleurs acquatiques et autour de cette couronne ces mots complétant la légende ob submersum Civem redivivu ». L’espace renfermé par la couronne reste vide, « pour y graver ce mot Meruit avec les noms de celui à qui on donnera la médaille, et la datte de l’événement26 ».
- 27 Voir surtout Damico F., La Médaille d’Honneur des Sauveteurs et la Médaille des Secouristes (Étude (...)
25N’en déplaise à l’historiographie militante des secours en cas d’accident27, cette initiative parisienne, qui s’arrêtera avec l’Ancien Régime, n’autorise pas la projection d’une généalogie continue de la promotion civique du citoyen secoureur, et elle n’est jamais évoquée par les administrations de l’Intérieur et de la Marine lorsqu’elles instituent progressivement, à compter des années 1820 et 1830, on l’a vu, les distinctions honorifiques officielles du secours courageux du xixe siècle. Pour autant, complétée de l’ensemble des autres activités de Philippe-Nicolas Pia – thérapeutique, mise à disposition de matériel, propagande sanitaire, formation –, elle annonce les usages symboliques et politiques du secours aux personnes dans la société démocratique que la Révolution mettra bientôt à jour.
Une préoccupation publique mineure : les secours aux accidentés jusqu’à la Troisième République
- 28 « Il est intéressant de considérer l’histoire des gestes et techniques proposés, utilisés, répandu (...)
26Domaine perturbant l’ordonnancement des théories médicales, les secours aux noyés et accidentés parviennent à une institutionnalisation importante à la fin du xviiie siècle. À l’inverse, le siècle suivant voit la curiosité médicale s’éloigner fortement de la question, au point de laisser « sombrer dans l’oubli le plus total la plupart de ces notions et techniques qu’il faudra péniblement et souvent très tardivement redécouvrir28 ». En d’autres termes, on ne progresse guère par rapport à l’organisation établie par Philippe-Nicolas Pia.
- 29 Un original de cet arrêté se trouve dans le carton (DB1-165) des Archives de la Préfecture de poli (...)
27Dès le 9 floréal an VIII (30 avril 1800), la Préfecture de police de Paris rétablit l’allocation des primes, « considérant qu’il importe à l’ordre social et à l’état civil des citoyens de faciliter, autant que possible, la recherche et la connaissance des personnes disparues », et « qu’il est juste de récompenser le dévouement de ceux qui exposent leur vie pour retirer une personne noyée qui par des secours bien administrés peut être rappelée à la vie29 ». Le repêchage avec réanimation réussie pour vingt et un francs, abaissé à quinze en cas de décès, le transport à la basse geôle pour trois à cinq francs.
- 30 Auguste Voisin donne les dates de 1806, 1808, 1818, 1822, 1823, 1836, 1842, 1850, 1858, 1872. Note (...)
- 31 Circulaire du préfet de police aux maires, adjoints et commissaires de police du ressort de la Pré (...)
28Sans modifications d’importance, les primes demeurent ainsi identiques jusqu’en 1921, de nouvelles ordonnances – 1er janvier 1836, 17 juillet 1850, 7 mai 1872, 7 août 1891, 18 octobre 1911, 1er juillet 1921 – réaffirmant régulièrement l’organisation du service, alors que les instructions sur les secours à délivrer sont, pour leur part, marginalement amendées sur l’avis des membres du Conseil de salubrité de la ville établi en 1802, puis du Conseil d’hygiène publique et de salubrité du département de la Seine30. À compter de 1836, la recension systématique inaugurée par Pia est reprise, et un formulaire standard transmis aux maires, adjoints et commissaires de police, pour noter les renseignements sur les victimes et les moyens de réanimation employés31. L’amélioration des thérapeutiques et du matériel passe par le recueil des observations empiriques, auxquels les différents directeurs du service des secours publics en cas d’accident sont d’autant plus intéressés que la fonction est toujours confiée, à partir de 1815, à un médecin.
29La posture du thérapeute-administrateur se retrouve en effet sur le long terme, et tous les successeurs de l’échevin de l’Ancien Régime se réclament de son précédent et de son souvenir. Ces continuateurs se révèlent néanmoins peu déterminants dans leurs rares initiatives, et aucun ne parvient à reproduire son impulsion organisationnelle et sanitaire novatrice. Le docteur Charles-Henri Marc, auquel succède son fils Jules en 1835, puis Auguste Voisin à partir de 1860 et jusqu’à la fin du siècle, peinent visiblement à bousculer l’inertie des autorités publiques.
- 32 Docteur Marc, Plan d’organisation d’une société d’humanité à établir dans la ville de Paris, pour (...)
- 33 Sur cette expérience, voir le dossier des archives de la Préfecture de police de Paris : (DA 37). (...)
30Le docteur Marc envisage ainsi en 1829 d’établir une « société d’humanité » philanthropique qui permettrait de rétablir des corps de « secouristes » ; elle tiendrait une séance publique annuelle où l’on ferait état des résultats obtenus, et où l’on désignerait également « les individus qui s’étant distingués par leur zèle et leur dévouement auraient mérité des récompenses particulières32 ». Le projet reste mort-né. La première moitié du xixe siècle ne voit d’autre initiative, du côté de l’anecdote, que dans l’expérience d’implantation et de formation de chiens-sauveteurs amenés de l’île de Terre-Neuve avec l’aide du ministre de la Marine, où sont engloutis près de quinze mille francs de l’époque, sans autre résultat, bien que l’idée connaisse quelques résurgences plus tardives, que l’acclimatation de la race en métropole33.
- 34 Voisin A. (Dr.), Nouveaux pavillons de secours aux noyés installés à Paris (extrait des Annales d’ (...)
- 35 Voisin A. (Dr.), Note…, op. cit., pp. 6 et ss.
31À compter du Second Empire, Auguste Voisin, qui souligne dans ses comptes-rendus annuels du service l’insuffisance de l’organisation parisienne, porte pour sa part l’effort sur l’innovation matérielle. En 1875, débute sous sa direction la construction des premiers « pavillons de secours aux noyés », comprenant du matériel de réanimation et de transport, un bateau, et en permanence trois agents de police reliés par télégraphe au commissariat de l’arrondissement. Une quinzaine sont en activité à partir du milieu des années 1880, et le restent jusqu’à leur fermeture définitive en 196634. Ces maisonnettes des bords de la Seine et des canaux deviennent familières au paysage parisien, à l’instar des plaques « secours publics » dont s’orne la façade de divers postes de police. La boîte-entrepôt inaugurée par Pia – vingt-sept en 1822, cent-trois en 1861 –, et les brancards – soixante-douze et cent quatre-vingt-un aux mêmes dates, certains équipés de roues à compter de 1876 –, y sont déposés. Ils demeurent la pièce maîtresse d’un dispositif qui n’évolue guère que sous l’impulsion mécanique de la densité urbaine35.
- 36 Baecker H. de, Accidents sur les voies publiques (rapport à la IVe section du Congrès internationa (...)
- 37 Rousselet A., op. cit., p. 35.
32L’acquis de Voisin demeure limité : en 1886 et 1887 les noyades représentent 5,4 % des décès accidentels dans la ville (145 et 168), 11 et 7,9 % des blessés, tandis que les voitures tuent 47 et 33 % des trois mille à trois mille cinq-cent morts par accidents (3292 et 3482), et blessent à proportion de 15,3 et 21,7 %36. En 1890, sur mille vingt-deux personnes secourues à Paris, 32 % le sont dans les nouveaux pavillons, contre 63 % dans les postes de police37. L’administration porte son effort sur une occurrence accidentelle spectaculaire, mais qui reste statistiquement limitée, et elle gère visiblement les apparences au diapason des contraintes budgétaires.
- 38 Baecker H., op. cit., pp. 159-160.
- 39 Ibid., pp. 160-161. Ordonnance de police du 12 mai 1852 pour la mise en place du service des théât (...)
33Elle n’ajoute guère à son crédit, les premiers congrès spécialisés ne s’y trompent pas, que la mise en place d’ambulances volantes, sous tente surmontée d’un drapeau tricolore, ornée d’une plaque à la croix de Genève et portant l’indication « secours publics », avec un médecin, deux brancardiers, le matériel de premiers soins, les feuilles de statistiques, quand on prévoit sur certains points de la capitale une affluence inusitée du public38. Pour le reste, les théâtres doivent en principe disposer depuis le milieu du siècle d’un cabinet médical, d’un médecin de service et d’une boîte « porte-secours » à chaque représentation, et les compagnies de chemin de fer sont également soumises à la mise à disposition de diverses boîtes en station ou embarquées39.
- 40 Voir notamment : Couly P., Organisation des secours publics à Paris (participation de la Société F (...)
34Au vu d’une telle situation, rien d’étonnant à ce que le débat ne s’ouvre au cours des années 1880 sur l’insuffisance des moyens de secours disponibles dans une capitale qui se veut à la pointe du progrès mondial, les exemples étrangers venant souligner le retard français, à Paris comme a fortiori dans le pays tout entier40.
35Les projets sont multiples, arrivent exceptionnellement à exécution, et il est inutile de les détailler sinon pour comprendre combien cette situation favorise la crédibilité des associations de secoureurs volontaires qui se créent en réponse directe à la timidité publique en la matière. C’est le transport des accidentés, ou la question dite des « ambulances urbaines », qui suscite les innovations les plus réelles, grâce à l’initiative privée, à Paris et en province.
- 41 Voisin A. (Dr.), Rapport sur l’organisation des secours publics à New York et les améliorations qu (...)
36Le docteur Nachtel est le premier à ouvrir le débat, le 30 novembre 1880, par une communication à l’Académie de médecine sous le titre Fonctionnement de l’ambulance urbaine de New York destinée à porter les premiers secours sur la voie publique et utilité qu’il y a d’établir un service de ce genre à Paris. Soutenu par l’Académie, repris par Auguste Voisin, discuté favorablement au conseil municipal de Paris le 27 juillet 1883, le projet, qui au vu des sommes avancées – 290 000 francs pour la création d’une première station d’ambulance, 88 000 francs annuels pour son fonctionnement –, paraît condamné à l’enlisement, débouche au final sur l’une des réussites les plus symboliques pour la pensée sociale de la fin du siècle, en validant la nécessaire complémentarité des initiatives privées et publiques en la matière41.
- 42 Publication de référence sur les formes de l’action sociale au tournant du siècle, la Revue Philan (...)
37Créée en décembre 1884, présidée par Jules Simon, la Société des Ambulances Urbaines engrange en effet visiblement les bénéfices de l’attention médiatique multiforme alors portée au citoyen-secoureur et, au terme de trois années de concerts et conférences d’appel à la générosité privée, elle inaugure à l’hôpital Saint-Louis le 2 juin 1888 sa première station parisienne et un réseau de vingt-huit postes avertisseurs. La réussite est d’autant plus remarquée que, le 28 février 1894, au terme d’un peu plus de cinq ans de fonctionnement, le docteur Nachtel remet son œuvre entre les mains du conseil municipal42.
38Le Havre, Rouen, Carpentras, et sur une plus grande échelle Nantes et Marseille avec les docteurs Baudoin et Lop, établissent à leur tour des services de secours des blessés et accidentés dans la dernière décennie du xxe siècle. Mais c’est surtout Bordeaux qui devient, avec Paris, le modèle le plus achevé d’une organisation efficace en la matière, toujours grâce à l’initiative privée et sous l’impulsion du docteur Mauriac.
- 43 Mauriac Dr. E., L’organisation des secours publics en cas d’accidents en Allemagne et en Autriche- (...)
39Plus que Nachtel, celui-ci va insister sur la complémentarité d’un système efficace de transport et d’une éducation sanitaire aux premiers soins, et poursuivre conjointement ces deux objectifs. L’apprentissage des gestes thérapeutiques adaptés est assuré par l’association aux membres de la police bordelaise, ainsi qu’à tous ceux qui désirent acquérir un savoir qui s’impose peu à peu comme indissociable de la figure du secoureur véritablement et efficacement secourable. Aussi le plaidoyer de Mauriac s’appuie-t-il sur la relativisation explicite des acquis des sociétés de secoureurs traditionnelles, annonçant moins leur disparition que la médicalisation progressive de la figure associative d’un sauveteur urbain jusqu’alors à peu près totalement défini par les procédures et enjeux de l’excellence civique : « Les noyés sont presque aussi mal secourus en France que les blessés de la rue et des ateliers. Il existe bien dans toutes les grandes villes et dans la plupart des ports des Sociétés de sauvetage qui ont établi des postes de secours sur les bords des fleuves et dont quelques-unes possèdent même des bateaux de sauvetage. […] Ces sociétés rendent des services, cela n’est pas douteux ; mais leurs membres, qui sont pleins de dévouement et de bravoure quand il s’agit de se jeter à l’eau pour sauver un de leurs semblables, sont le plus souvent inaptes à ranimer un noyé en état de mort apparente. On ne leur apprend pas à pratiquer méthodiquement la respiration artificielle et nombre de malheureux qui auraient pu être sauvés par ce moyen succombent parce qu’on ne fait rien pour les ranimer ou parce qu’ils sont soumis à des moyens de traitement inefficaces, quand ils ne sont pas nuisibles43. »Comme dans la capitale, le service d’ambulances bordelais devient municipal en 1913.
40À l’exception des initiatives tardives en faveur du transport des blessés, le constat du faible développement des secours en cas d’accident au xixe siècle, particulièrement sensible dans le cas parisien, peut être étendu plus largement.
- 44 Voir Archives Municipales de Nantes, (I1 C 94, organisation du service de surveillance des baignad (...)
41En province, on se limite également à placer quelques boîtes de secours rarement ouvertes, à réglementer les bains en rivière, ou parfois, au mieux, à engager un surveillant pour la période estivale. Dès le Premier Empire, puis surtout sous la Restauration, les soucis conjoints de moralité publique et de sécurité justifient ainsi, comme à Nantes et à Lyon vers 1803, de circulaires municipales ou préfectorales qui circonscrivent les lieux de baignades autorisés dans ces villes fluviales, les éloignent du regard des passants, interdisent la nudité, et instituent boîtes de secours et surveillants rémunérés. Dans les deux villes, les mariniers engagés sont dotés d’une embarcation, Lyon en comptant jusqu’à huit en différents points dès 1808, et dépensant mille francs par an à leur entretien, sans changements majeurs jusqu’à la Troisième République44.
- 45 Lussier H., Les sapeurs-pompiers au xixe siècle, op. cit. La place des sapeurs-pompiers dans le se (...)
42Au total seule la lutte contre l’incendie, préservation des propriétés autant que de la vie humaine, et encore avec de forts contrastes et de manière très progressive sur le siècle, comme l’a montré Huber Lussier, connaît un développement important jusqu’à la Première Guerre mondiale, les sapeurs-pompiers demeurant néanmoins à l’écart de la préservation contre les autres risques accidentels45. C’est donc bien pour partie parce que ces risques sont un domaine marginal de préoccupation des autorités publiques que les associations de citoyens secoureurs trouveront une légitimité à se développer.
Le citoyen secoureur contre la violence océane : la structuration autonome et tardive du sauvetage en mer
- 46 Brosse M., La Littérature de la Mer en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis (1829-1870), T (...)
43Sentinelle avancée d’un « devoir d’humanité » poussé jusqu’à l’héroïsme, le sauveteur marin s’incorpore progressivement, à compter de la fin de l’Ancien Régime, tant aux pratiques sociales qu’aux représentations des terres lointaines et mal connues qu’il contribue, comme l’ont bien souligné tour à tour les travaux de Monique Brosse, d’Alain Corbin et d’Alain Cabantous, à dissocier d’une appréhension univoque et longtemps dominante en terme de « côtes barbares46 ».
- 47 Alain Cabantous relève que « c’est pourtant au moment où la régression du pillage – après 1830 – s (...)
44En moins d’un demi-siècle, la figure du secoureur maritime passe du statut de symptôme plus ou moins spontané de l’établissement de la civilisation des mœurs au sein des populations littorales, et qui doit encore beaucoup à l’autosuggestion des élites et des autorités, à celui de personnage social identifié et caractérisé, au moins, on l’a dit, par la récompense honorifique de son dévouement. La figure du sauveteur, comme le souligne l’historiographie récente, est construite en contre-modèle positif des types sociaux violents du pirate, du pillard et du naufrageur, qui prospèrent comme jamais dans la littérature maritime à compter des années 1830, alors que les pratiques dont ils menacent sont à peu prêt totalement éteintes sur le littoral hexagonal47.
- 48 « La problématique propre aux récits de naufrages au xixe siècle montre ces évocations hésitant en (...)
45Du point de vue de l’audience et de l’impact sur l’imaginaire social de l’époque, la dramaturgie de l’événement de mer est sans commune mesure avec celle de l’accident fluvial ou urbain. Les récits de naufrages constituent dès l’Ancien Régime, et plus largement encore dans les deux premiers tiers du xixe siècle, un genre littéraire spécifique, très prisé en France comme dans le reste de l’Europe, et qui hésite entre le simple rapport de mer, très sobre dans son évocation des circonstances du drame, et la complaisance morbide, avec une prédilection pour les scènes de cannibalisme48.
- 49 Sur cet épisode célèbre et son audience : Mercier R., « Le naufrage de la Méduse. Réalité et imagi (...)
46L’exploitation multiforme de la disparition de la frégate La Méduse en 1816 – l’engouement pour les récits des rescapés Savigny et Corréart, le tableau de Géricault présenté en 1819 sous le titre Une scène de naufrage, ou plus tardivement l’évocation mélodramatique du drame par Eugène Sue dans La Salamandre (1832) – témoigne de l’attrait du combat contre les flots49. Ce statut privilégié de la catastrophe maritime dans l’imaginaire social du premier xixe siècle participe directement de la constitution de l’excellence civique du citoyen secoureur, et pas seulement dans son antagonisme au naufrageur mythique. La figure du sauveteur tire sa force et sa cohérence de l’unité de la geste secourable, qu’elle soit du fleuve, de la ville, ou de l’océan, mais son prototype maritime est une incarnation précoce et privilégiée.
- 50 Il se fit remarquer devant une foule nombreuse par sa courageuse intervention du 31 août 1777, sur (...)
- 51 Il trouve sa place dans les modèles du genre déjà évoqués : Béranger L.-P., Le peuple instruit par (...)
- 52 Lavalley G., « Un héros oublié. Jean Bouzard dit le Brave Homme », La Nouvelle Revue, 14, 1882, p. (...)
47Le fameux pilote Jean-André Bouzard de Dieppe, reçu et honoré par Louis XVI qui le désigne pour la postérité comme « le Brave Homme », est le premier des sauveteurs maritimes célèbres50. Sa renommée est telle, estime un siècle plus tard, en 1882, l’un des auteurs de La Nouvelle Revue, que « le modèle divin de dévouement qu’il a laissé est tombé dans le domaine public ». Il est élevé, en cette décennie d’installation de la République, à la dignité d’une institution, après avoir offert un modèle séculaire de la vertu maritime, tant des multiples supports de La morale en action que des histoires de naufrages51 : « L’âme du héros surnage, puisqu’elle est entrée dans le courant qui pousse les nouvelles générations vers de nouveaux sacrifices. Qui peut dire qu’à un siècle de distance, grâce à la mystérieuse collaboration de la légende et de l’histoire, tel acte sublime d’un sauveteur, que nous admirons aujourd’hui, n’a pas été inspiré par le pilote dieppois52 ? »
- 53 Il n’est pas possible de s’attarder sur l’appropriation géographique différentielle de la figure d (...)
48Cette prévalence mythologique du citoyen secoureur marin, dont on retrouve la trace on l’a vu dans la presse populaire de la Troisième République, et qui ne disqualifie nullement les autres théâtres d’intervention, constitue l’arrière plan plutôt que le principe des initiatives sécuritaires de prévention de l’accident maritime. En la matière en effet, rien n’autorise à accorder au littoral une spécificité ou une influence privilégiée, la précocité des entreprises de secours y demeurant très relative, et l’appropriation géographique différentielle de la figure du sauveteur ne s’y révélant, plus encore peut-être que pour les populations fluviales de la Saône et du Rhône, que le produit tardif d’une mobilisation autrement fondée et construite53.
49Le citoyen secoureur, résultat important pour le présent propos et à nouveau confirmé, n’est pour l’essentiel du xixe siècle que marin par accident, autant que marinier, pompier, agent de police ou militaire, et ce n’est que tardivement, de par les nécessités d’une organisation largement financée par la générosité publique, que le canot de sauvetage et la veste de grosse toile cirée s’imposent dans la structure de son imaginaire populaire, au point parfois de presque totalement l’envahir. En effet, à rebours des représentations du dévouement maritime qui s’enracinent avec la Troisième République, la situation des secours en mer se résume en France, jusqu’aux années 1860, à quelques associations locales, et à deux services organisés liés aux principaux ports atlantiques.
- 54 Corbin A., Le territoire du vide, op. cit.
50Les premières initiatives françaises, directement inspirées par le modèle anglais de la Royal Human Society fondée à Londres en 1774, sont principalement redevables de l’essort touristique dont s’accompagne la naissance du « spectacle du rivage », qui profite pour l’essentiel à certaines communes du littoral nord de la France54. Boulogne-sur-Mer en 1825, Dunkerque, Calais, Rouen et Bayonne en 1834, enfin Montreuil-sur-Mer en 1841, se dotent ainsi d’une Société Humaine, dont la finalité associe surveillance des plages et assistance philanthropique aux navires en péril.
- 55 En 1874 le budget de la société de Boulogne est alimenté à 50 % par des subventions, celle de la m (...)
51La première, et longtemps la plus fameuse, celle de Boulogne, se trouve de manière significative instituée par un aristocratique comité à majorité britannique (six pour quatre Français), fait rédiger dans les deux langues les instructions sur les soins à donner, et entérine même dans ses statuts en 1830 la parité des deux nationalités à l’intérieur de son conseil de direction. Lorsqu’en 1849, le premier canot, construit sur plans anglais et acquis grâce à l’aide de la municipalité et du conseil général (1834), se trouve détruit, c’est à la générosité de Sir William Wallace qu’il doit d’être remplacé. En dépit des résultats dont s’honore alors déjà l’association, vingt-deux naufrages combattus et cent cinquante-huit personnes sauvées, l’administration, comme dans les autres communes concernées, demeure largement indifférente55.
- 56 Macquet, Projet d’un service de sauvetage sur les côtes de France, au moyen d’un droit de tonnage (...)
52Pour le reste, concernant principalement le secours aux bâtiments et maintenu jusqu’au xxe siècle, un système de prélèvement de cinq à vingt-cinq centimes par tonneau pour financer matériel et service de sauvetage est géré par les chambres de commerce du Havre (1807) et de Rouen (1810), système dont l’intérêt est reconnu, mais dont les projets d’extension à l’ensemble du littoral demeurent lettre morte56.
- 57 Brindeau L., op. cit.
53Le contraste est fort entre la situation française et celle des autres nations maritimes. La Norvège depuis 1825, la Belgique depuis 1838, le Danemark depuis 1850, les États-Unis sur une échelle plus vaste encore et dès le début du siècle, entretiennent en effet un service public d’État en la matière, tandis que le gouvernement suédois reprend à sa charge en 1855 l’institution privée créée dès la fin du xviiie siècle, et que la Hollande, avec trois sociétés (Amsterdam, Rotterdam, Harlingen), et surtout le voisin et rival maritime anglais, avec la Royal National Life Boat Institution, demeurent depuis 1825 fidèles à un modèle strictement philanthropique, mais d’une efficacité incontestable57.
- 58 Premier rapport de la Commission du sauvetage, 13 janvier 1862, Archives de la Marine (CC4 2075). (...)
54Bien qu’engagée dans une modernisation accélérée de ses moyens de transport et de communication – extension des transports ferroviaires, endiguement et élargissement par canaux du réseau fluvial, création de la Compagnie des Messageries Maritimes (1851) et de la Compagnie Générale Transatlantique (1861), modernisation des installations portuaires de Bastia, Marseille, Nantes, Brest, Saint-Malo, Cherbourg, Le Havre –, la France impériale reste à la traîne de la préservation contre l’accident de mer, au moment où l’intensification du commerce maritime s’accompagne de l’augmentation des sinistres et de leurs conséquences humaines, aux plus proches abords des côtes nationales. Pour l’année 1860, l’administration maritime avance le chiffre de sept cent dix-huit naufrages et neuf cent sept noyés, contre mille douze et neuf cent trente pour l’administration des douanes, et le taux de mortalité par naufrage, supérieur à celui des accidents de mine, avoisine jusqu’en 1900 les trois cents pour cent mille58.
- 59 Cet aspect est bien souligné tant par Corbin, A., Le territoire du vide, op. cit., que par Cabanto (...)
- 60 Le magistrat Castera consacre jusqu’aux années 1840 son activité et ses biens à sa mission philant (...)
55Indifférence des élites, désintérêt des pouvoirs publics, les sensibilités, pourtant nourries du catastrophisme de la littérature maritime – seul l’éloignement et l’étrangeté persistante du monde littoral français permettent de le comprendre 59 –, mettent de longues décennies à prendre la mesure de cette réalité. Jusqu’au milieu du Second Empire, les rares projets repérables envisageant une organisation nationale des secours en mer demeurent le fait d’innovateurs isolés, telle la Société Centrale et Locale de Sauvetage, fondée par le magistrat Castera en 1835, qui disparaît quelques années plus tard avec son fondateur, ou les nombreux mémoires rédigés par le capitaine d’artillerie de marine Tremblay de 1854 à 1863, infatigable partisan de l’extension des « canons porte-amarre60 ».
- 61 Reybaud L., Jérôme Paturot à la recherche d’une position sociale, Paris, Dubochet-Le Chevalier et (...)
56Repérée dans toutes les généalogies militantes du citoyen secoureur, la Société Internationale des Naufrages, créée en 1804, refondée en 1836, ne paraît pas avoir connu un succès bien supérieur, sinon dans la moquerie. « Aucune société ne menait alors plus de bruit dans les colonnes de la publicité et ne se livrait à plus d’expériences ingénieuses », relève de la sorte en 1846 Louis Reybaud dans son décapant Jérôme Paturot à la recherche d’une position sociale, soulignant qu’ » installée rue Neuve-des-Mathurins, au fond d’une cour […] c’est de là qu’elle veille sur les navires en perdition et couvre les mers de bouées de sauvetage », ou milite pour l’emploi du chien de Terre-Neuve : « Pour peu que le noyé y mette de la bonne volonté, l’animal de service, plongeant à toute profondeur, ira le saisir par le collet de son habit, et le ramènera à terre vert comme un concombre. C’est une pêche pour la Morgue : mais le vertueux terre-neuvien n’en aura pas moins rempli son devoir, et la société lui décernera une médaille de sauvetage. Récompenser les belles actions, c’est en propager l’exercice61. »
- 62 Eugène Rouher (1814-1884), homme-clef du Second Empire, à la tête du grand département des Travaux (...)
57Beaucoup plus sérieuse, mais se heurtant durant quatre longues années aux hésitations et aux antagonismes des départements ministériels concernés, la commission officielle mise en place par Eugène Rouher en mars 1861 pour résoudre le problème du sauvetage maritime, « après avoir constaté le peu d’efficacité de tout ce qui s’était fait jusqu’alors », décide pour sa part d’une organisation entièrement inédite62. Association philanthropique directement inspirée du précédent anglais, échappant aux rivalités administratives tout en regroupant à parité dans sa direction des représentants des Travaux Publics – en charge des Phares et Balises – et de la Marine, la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés remet en une décennie la France à niveau des autres grandes nations maritimes.
- 63 Le détail du processus administratif qui s’étend de 1861 au début de l’année 1865 sort du cadre du (...)
- 64 Sur le détail technique et l’organisation de l’association voir, outre la collection des Annales d (...)
58Réussite étonnante d’une bienfaisance éclairée, dirigée par l’État, l’association s’appuie sur le concours des populations regroupées en comités locaux, chargés de la mise en œuvre opérationnelle des secours et préservant « l’esprit d’indépendance » des populations littorales, tout en contournant le risque de dispersion par un strict pilotage centralisé, et les contraintes budgétaires par une souple combinatoire de subventions publiques et de générosité privée63. Moins de deux ans après sa création, la Société Centrale dispose au début de l’année 1867 de trente-quatre stations équipées de matériel lourd – il y en aura quatre-vingt-treize à la fin du siècle –, dont les patrons de canots touchent une rémunération mensuelle (200 francs/an) et les équipiers une prime à la sortie (3 à 5 francs), auxquelles s’ajoutent cinq cents postes de secours confiés aux agents des douanes64.
- 65 Brindeau L., Rapport…, op. cit. ; Merlou P., Avis présenté au nom de la commission du budget charg (...)
- 66 Delarbre J. (Conseiller d’État honoraire, trésorier général des Invalides de la Marine), La Sociét (...)
59Le succès logistique et opérationnel est tel que le projet de nationalisation, déposé par le ministre de la Marine en 1901, est rejeté devant le spectre « d’une vaste organisation officielle », qui « aurait un caractère de froideur et de complication qui ne serait peut-être pas de nature à exciter les mêmes dévouements ou à faire réaliser des progrès durables65 ». Le succès philanthropique ne le cède en rien puisque, subventionnée de 20 à 50 % de son budget annuel (150 000 francs) au cours de ses années d’équipement de 1866 à 1878 (ministères, départements, communes et chambres de commerce), l’association bénéficie précocement de la popularité de la figure du citoyen secoureur (deux legs importants de 100 000 et 200 000 francs sont reçus durant cette période), restant même jusqu’aux premières années du xxe siècle largement en tête de toutes les institutions françaises bénéficiant de la générosité publique : 1 898 000 francs de dons et legs de 1901 à 1907, soit plus du double des sommes que reçoivent durant la même période les trois sociétés réunies composant la Croix-Rouge française66.
60L’histoire concrète du sauvetage en mer, indissociable des usages sociaux plus large de la figure exemplaire du citoyen secoureur, ne se révèle au final ni strictement technique ou organisationnelle, ni simplement administrative ou basée sur une solidarité locale, mais bien à la croisée des divers enjeux que supporte l’imaginaire social de la fin du siècle en matière de préservation contre l’accident.
61En effet, en s’appuyant sur la générosité privée, la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, que son caractère à demi-étatique et ses préoccupations opérationnelles maintiennent durablement à l’écart du réseau des autres associations de citoyens secoureurs, se voit portée aux rhétoriques et scénographies communes à l’ensemble de l’univers de la promotion du secours courageux. L’épilogue du Sauveteur de Pierre Maël en 1889, l’un des romans les plus caractéristiques de la figure du sauveteur marin, ne manque pas de la sorte d’évoquer la remise de la croix d’honneur à Esprit Le Meur, patron de canot de sauvetage de la Société Centrale, dont l’ouvrage a décrit la persistance résolue dans le dévouement à ses semblables.
- 67 Maël P., Sauveteur, Paris, Dreyfous, 1891 (1re édition 1889), ici « Chapitre xiv-Epilogue », pp. 3 (...)
« Cependant la foule s’empresse à l’entrée du Nouveau Cirque de la rue Saint-Honoré. Les portes sont ouvertes. Voitures de maîtres, landaus de grande remise, simples coupés ou cabriolets des compagnies urbaines, prennent la file dans le plus égalitaire des pêle-mêle. Des invités en descendent. Ils appartiennent à tous les mondes, car, sur le terrain du dévouement et de la générosité, tous les Français sont égaux. […] Tout ce monde trouve place à l’intérieur de la salle. La grande pièce a été disposée à cet effet. Une estrade tourne le dos à l’entrée principale, garnie de sièges pour les autorités qui y vont prendre place. Les couleurs nationales en faisceaux et en trophées décorent les murs. Le public occupe tous les degrés du cirque, dont un plancher circulaire a fait disparaître la piscine nautique. Sur ce plancher, d’autres sièges, d’autres bancs sont rangés, et telle est l’affluence que pas une place ne demeure vide. Les retardataires en seront pour leurs frais de route. Ils devront rester à la porte. À la gauche de l’estrade d’honneur, sur des banquettes réservées, sont assis les lauréats de ce concours d’héroïsme. La Société les a fait venir pour leur rendre un témoignage public de sympathie et d’admiration. Ils sont là, une quinzaine en tout, graves, recueillis, pleins de trouble de la fête et de l’honneur qu’on leur fait ; d’autant plus admirables qu’ils ne l’ont pas prévu cet honneur, et que ce n’est point pour l’obtenir qu’ils ont été simplement des héros. Plusieurs parmi eux n’ont jamais rien vu de semblable ; ce bruit, ces murmures, ces messieurs en habit noir, ces visages et ces sourires de femmes, ces fraîches toilettes étalées comme un parterre de fleurs étonnent leurs regards et émeuvent leurs cœurs. Mais émotions et surprises ne les dominent pas. Des yeux qui ont vu le chaos de la tempête peuvent bien affronter le spectacle d’une réunion mondaine. C’est tout au plus si leurs oreilles peuvent constater l’étrange ressemblance qui existe entre le fracas de l’océan et les rumeurs de la foule. Tout à coup, la musique de la garde républicaine fait éclater ses accords. La voûte résonne du bruit des cuivres, et une harmonie mâle sature les ondes sonores. La séance va s’ouvrir ; le moment est venu. L’estrade se garnit67. »
62Les envolées oratoires des assemblées générales et le rituel de la décoration des patrons de canots méritants, régulièrement illustré par la presse populaire, propulsent avec la République le sauveteur marin en référent d’un engagement citoyen qui passe certes les bornes du devoir commun, mais qui éclaire, édifie et réconforte chacun.
- 68 Sur l’importance de cette figure et sa philosophie de la République, étroitement convergente avec (...)
- 69 Revue Philanthropique, tome iii, mai-octobre 1898, p. 274, parmi d’autres reprises de ce texte.
63Mieux que jamais, on le perçoit au cœur de la grande crise morale et politique sur laquelle s’achève le xixe siècle, le 8 mai 1898, quatre mois après la publication de J’accuse, lorsque l’historien Ernest Lavisse, autorité symbolique de premier plan de la République68, termine en Sorbonne par des phrases souvent reprises l’assemblée générale de l’association, élevant la dramaturgie du citoyen maritime courageux au statut de véritable « catharsis » politique : « Mesdames et Messieurs, je vous laisse sur l’impression de ces luttes superbes de cœur d’hommes contre les forces furieuses de la nature, où ces cœurs ont vaincu ces forces. […] À l’heure obscure où nous vivons – car il ne fait pas très beau dans la politique – ces braves gens vous prouvent que la France est là toujours si vaillante, si humaine, la chère France héroïque, la vieille France immortelle. Remerciez l’œuvre qui vous a apporté une émotion si réconfortante. Après avoir applaudi les sauveteurs de cette année, pensez à ceux de l’année prochaine, de l’année d’après, des années qui se succéderont sans fin, car encore et toujours des hommes tomberont à la mer, et le vent soufflera en tempête, et sous le ciel obscurci, la vague fouettée par la grêle poussera le navire à la côte ou au récif, et le canon d’alarme réveillera le sauveteur endormi après sa rude journée dans sa chaumière, et le sauveteur, pour s’en aller au péril de la mer, se lèvera encore et toujours69. »
- 70 Deux pages très représentatives de la porosité des frontières entre le sauveteur maritime et la fi (...)
- 71 L’opposition-similitude du remorqueur professionnel et du sauveteur, transcrite assez finement dan (...)
64Le sauveteur marin, à l’heure où la République craint de vaciller, est brandi comme une ultime icône, celle qui ne triche pas, celle du courage moral et physique au profit de son concitoyen, celle même de la plus profonde des identités nationales, immense et glorieuse responsabilité que le citoyen secoureur ne retrouvera jamais plus, et qui vaut pour indice d’une apothéose mythologique. Si le sauveteur d’Ernest Lavisse appartient à nos Lieux de mémoire contemporains, ce n’est pas seulement, encore qu’aussi, au titre de l’affrontement de l’accident de mer et de la mémoire maritime70, mais d’abord à celui d’un imaginaire civique qu’il ne perdra que progressivement, et encore jamais tout à fait, avec l’apparition des compagnies privées de remorqueurs après 191471.
La médaille et le brancard : référents et finalités de la promotion associative du citoyen secoureur
65Le regroupement associatif autour de la figure du citoyen-secoureur, dont on vient d’envisager les conditions de possibilité quant aux préoccupations sécuritaires, va principalement s’organiser dans une perspective de promotion civique. La Société des Sauveteurs de la Seine, établie en 1853 sous le regard bienveillant des autorités impériales, fournit ainsi le modèle du principal élan des fondations, lequel repose sur la célébration et l’accès à une solidarité mutualiste des individus courageux, la fourniture de matériel ou l’entraînement à l’intervention secourable ne figurant que de manière formelle dans les objectifs recherchés, par la mise en place et l’entretien de quelques boîtes de secours. Néanmoins, de manière progressive à compter de la Troisième République, le référent sécuritaire et ses implications pragmatiques – préparation aux gestes de secours, entraînement physique et apprentissage de la natation – va s’imposer aux associations, sans que soient abandonnées pour autant les finalités d’édification morale et politique.
Des mutuelles de médaillés aux associations de la Troisième République
- 72 Les archives d’associations sont une source documentaire qui n’est repérée et décrite que depuis p (...)
66Un regard national d’ensemble s’impose tout d’abord pour prendre la mesure de ce phénomène associatif méconnu72.
- 73 Ce dénombrement a été réalisé d’après la liste donnée en annexe de l’ouvrage de Damico F., La méda (...)
67De 1853 à 1903, dans une estimation basse, cent cinquante-huit associations de « sauvetage » et/ou de « sauveteurs » sont établies sur l’ensemble du territoire français, moins de 20 % des sociétés créées au cours de cette période n’employant pas l’un de ces vocables, et le second l’emportant largement (65 % des dénominations). Le tableau suivant, qui en détaille par décennies les principales périodes de création, permet de se convaincre que ces dernières se situent, pour l’essentiel, au moment où s’efforce de s’enraciner le régime républicain73.
- 74 Arnaud P., « Le sport en marge ou le poids des sociétés conscriptives. Vitalité et densité du mouv (...)
68En regard du développement associatif qui caractérise la période, le mouvement des sociétés de sauvetage et de sauveteurs demeure certes quantitativement modeste. Ainsi, pour prendre un référent dont la légitimité apparaîtra lorsque l’on envisagera le rôle de la figure du citoyen secoureur dans les conflits de définition des finalités de certaines activités sportives – et plus particulièrement de la natation –, le nombre des associations sportives et/ou conscriptives créées toutes activités physiques confondues, dans le seul département du Rhône, du milieu du xixe siècle à 1900, dépasse celui des sociétés de sauvetage sur la France entière pour atteindre près de deux cents. De même, la fédération de la pratique sportive la plus massive, l’Union des Sociétés de Gymnastique de France, créée en 1873, revendique deux cents sociétés et près de vingt mille membres en 188574.
- 75 Damico F., op. cit., p. 54.
69Le positionnement géographique des créations révèle néanmoins qu’il s’agit d’un mouvement associatif national, sans distinctions régionales significatives. Au tournant du siècle, Félix Damico estime qu’ » actuellement, dans chaque ville de France, et principalement là où se trouvent des cours d’eau, il existe des sociétés dites de sauvetage75 ». La présence de secoureurs médaillés, plus que la probabilité accidentelle et la perspective d’y opposer une action collective, semble néanmoins avoir été déterminante dans la mise en place de nombreuses associations, une part importante des créations étant en effet de nature urbaine (préfectures et grandes villes). Le cas parisien en offre une illustration accentuée avec, pour la ville de Paris au sens strict, plus de vingt créations de 1890 à 1903.
70Le regroupement explicite de « sauveteurs médaillés » initie de fait, du Second Empire aux années 1880, la première vague, limitée, de créations. Orléans, Bordeaux, Rouen, Chalon-sur-Saône, Lyon, Marseille, jusqu’en 1860, puis Tours, Angoulême, Compiègne et Carcassonne, voient ainsi l’apparition d’associations totalement similaires. Bien que ces associations se proposent d’établir des mécanismes de solidarité mutualiste en faveur des secoureurs volontaires, leurs objectifs explicites relèvent également de la formalisation d’une sorte de « phalange civique », d’un regroupement fédérant l’exemplarité des mérites individuels et s’efforçant de la faire enfin pleinement reconnaître.
71Les « buts et objets » sont clairs :
- « 1° – Rassembler les hommes connus par leurs nombreux actes de dévouement.
- 2° – Placer les membres de la Société sous la protection des dignitaires de l’État.
- 3° – Attirer les bienfaits du gouvernement sur les hommes dignes, dévoués à l’ordre et à l’humanité.
- 4° – Créer des pensions et un asile pour les vieux Sauveteurs infirmes et méritants.
- 5° – Admettre à titre de bienfaiteurs des personnes honorables et bien connues qui voudront prêter leur concours et leur appui à la Société.
- 6° – Ne recevoir dans la Société que des hommes qui auront eu une médaille d’honneur pour action de dévouement, ou qui auront, au péril de leurs jours, sauvé la vie de leurs semblables76. »
72Comme il est précisé dans les statuts de l’association établie en Gironde en 1855, les prétendants au titre de membre titulaire doivent justifier « qu’ils ont reçu une médaille d’honneur soit du gouvernement, soit du conseil municipal de Bordeaux, des Sociétés de sauvetage reconnues ou alliées à la France », ou au moins « la production de certificats constatant avoir sauvé au péril de leurs jours la vie à l’un de leurs semblables », et il est ajouté qu’ils doivent avoir satisfait à la loi du recrutement, avoir moins de 50 ans révolus, exercer une profession honorable, être de bonnes vie et mœurs, n’être point atteints d’une maladie chronique ou incurable.
- 77 Il s’agit des associations dont il est possible d’établir le caractère mutualiste effectif à parti (...)
73Si mutualité et célébration de l’individu exemplaire sont mêlées et avancées de concert, c’est néanmoins à la seconde perspective qu’il convient d’attribuer le motif véritable des fondations. Le projet mutualiste n’apparaît en effet qu’en tant que référent initial et transitoire d’une dynamique associative qui, se justifiant toujours de la célébration du citoyen secoureur, va ensuite associer cette dernière à la nécessité pragmatique d’une véritable formation sécuritaire, que celle-ci se suffise à elle-même comme dans le référent « secouriste », ou qu’elle se complète de la pratique physique comme dans certaines associations sportives. À compter de la Troisième République, les mutuelles ne représentent d’ailleurs qu’un tiers, puis un peu moins, du total des associations créées par décennie : 1850-59, 100 % ; 1860-70, 57,1 % ; 1871-80, 35,7 % ; 1881-90, 28 %77.
74Bien que l’importance de ces associations, en terme d’adhérents et de ressources, soit très variable, l’impression générale que dégagent les informations disponibles est celle d’une solidarité financière effective assez limitée. La Société de secours mutuels des Sauveteurs de la Seine, fer de lance du mouvement, se détache ainsi comme une exception puisque, reconnue d’utilité publique en 1871, elle est encore en 1894 l’une des treize mutuelles, toutes catégories confondues (sur un total de plus de sept mille cinq cents), à bénéficier de ce statut, ses dépenses annuelles en frais de maladie, de secours divers et pour les dix-huit pensions qu’elle distribue dépassant alors les 11 000 francs.
75Pour le reste, en 1900, les quarante et une sociétés de secours mutuels de sauveteurs médaillés approuvées, réparties sur vingt et un départements, déclarent officiellement cinq mille quatre cent soixante-sept membres, près de la moitié comptant tout juste ou moins de cinquante membres participants, et une quinzaine (36,6 %) atteignant ou dépassant la centaine.
76Si le nombre de citoyens secoureurs potentiellement bénéficiaires est réduit, on saisit néanmoins imparfaitement la nature de ces associations indépendamment du recours aux participations « honoraires » que réclame leur équilibre financier. Le montant minime des cotisations des adhérents participants (1,50 francs mensuels en général) nécessite en effet un appel massif à cette modalité de bienfaisance, commune à un grand nombre de mutuelles avant et sous la République. Dans près d’un cas sur deux (plus de 40 %), les associations de secoureurs annoncent des membres honoraires égalant ou dépassant de beaucoup les membres actifs, soit plus de quatre mille au total en 1900. Pour les Sauveteurs de la Seine, ce nombre dépasse tout au long de leur histoire le double des secoureurs titulaires, et il est de près du triple pour la Société de la Ville et de l’Arrondissement du Havre (six cent dix-huit pour deux cent quinze titulaires) ou les Sauveteurs Médaillés du Rhône (cent soixante pour soixante-deux).
77La portée de cet honorariat, dont l’importance pourrait étonner indépendamment de la configuration socio-politique qui porte le culte des citoyens secoureurs, est autant symbolique que matérielle. Presque obligée pour les autorités locales confrontées à des risques accidentels marqués (communes maritimes ou fluviales notamment), encouragée parfois par la concurrence politique et électorale (on le verra pour certaines sections des Hospitaliers Sauveteurs Bretons), la participation honoraire vaut plus largement pour signe de prestige notabiliaire.
- 78 Le Sauveteur, décembre 1873. De même : juillet 1880, novembre 1880, novembre 1885. Ou encore le pr (...)
78En l’espèce, les associations ne peuvent manquer de s’en défendre, elle permet également, et d’abord par l’obtention d’un insigne ayant forme de décoration, l’assimilation aux véritables méritants officialisés. « Les membres honoraires reçoivent bien, par irradiation, quelques reflets glorieux de leurs Camarades-Sauveteurs ; car il serait difficile ou vulgaire d’établir des différences qui échappent à une appréciation banale. […] C’est une sorte de stage, dans lequel ils s’exercent à devenir dignes, par des Actes récompensés officiellement, d’être classés parmi les véritables Sauveteurs », s’exclame en guise de justification, en 1873, le directeur de la revue Le Sauveteur, comme de nombreux présidents de section jusqu’au tournant du siècle78. Face aux moqueries, il envisage même en 1880 un brassard officiel d’identification, car « c’est ainsi que les Sociétés de Sauvetage seront universellement respectées de tous, et imposeront silence aux humoristes qui se permettent, sournoisement, d’attaquer des hommes de cœur qui sacrifient leur vie pour sauver celle de leurs semblables ».
- 79 OTT, assemblée générale des Sauveteurs d’Indre et Loire, Le Sauveteur, avril 1869, pp. 6-7.
79Les largesses de l’honorariat des associations de citoyens secoureurs, et au-delà on va le voir du décorum qui les caractérisent, exposent au ridicule, mais elles n’en assurent pas moins l’une de leurs finalités essentielles. En effet, si le membre honoraire n’est qu’un sauveteur d’emprunt, il marque d’abord une forme de collaboration interclassiste qui, dès le Second Empire, et plus encore sous la République, est inlassablement répétée aux tribunes de chaque société. Le président des secoureurs d’Indre-et-Loire le proclame en avril 1869 : « Lisez nos listes, consultez nos annales, et vous verrez partout, outre l’Empereur notre illustre Protecteur, le riche s’inscrire à côté de la blouse qu’il coudoie, et le blason le plus ancien donnant la main à l’homme d’action et de cœur… à l’ouvrier ! C’est un bien grand spectacle que celui-ci messieurs, spectacle devant lequel les fronts s’inclinent, les cœurs battent et les mains applaudissent79. »
- 80 Ibid., mai, septembre et octobre 1872. Ce prix, mis à la disposition de tous les présidents de soc (...)
80La leçon est urgente après la chute du Second Empire, et la principale tribune des sauveteurs, « soldats de la paix », s’engage alors – « ce sont des exemples utiles à montrer à la génération qui s’élève à l’ombre de mesquines passions politiques » – dans « la publication d’une Galerie de Portraits, ayant pour but de mettre en lumière les Actes de patriotisme et de dévouement accomplis par la Noblesse, le Clergé et le Peuple, pendant la dernière guerre ». Elle institue même un « prix du patriotisme », qui deviendra « prix du civisme », afin de « faire, par l’émulation patriotique, de bons citoyens80 ».
- 81 Delhaye, secrétaire général des Sauveteurs de l’Oise, assemblée générale du 18 avril 1870, ibid., (...)
- 82 Fraisse, secrétaire du comité de la Gironde de la S.F.S., ibid., août 1884, p. 3.
81Cette convergence avec le discours des autres entreprises de promotion morale, bien au-delà des lendemains immédiats de la Commune, va caractériser durablement l’ambition du mouvement associatif des secoureurs, immense et redondante leçon qui s’efforce d’opposer « les sentiments généreux » à l’ » espèce d’épidémie du crime [qui] semble s’abattre sur le monde81 ». « Cette nécessité de mettre en avant les actes d’hommes dévoués, inaccessibles à la peur, est le besoin de notre époque. C’est ce qui justifie l’existence des sociétés philanthropiques. Que d’exemples ! Que de leçons ! pour nous toujours tentés, par la force de notre attachement à la vie, de ne considérer que nous-mêmes, de ne voir dans nos semblables que des étrangers, presque des gens d’une autre essence que la nôtre ! Pourtant, Messieurs, ce sont bien des hommes comme nous qui s’agitent à nos côtés, des hommes souffrants des mêmes douleurs que les nôtres, en proie aux mêmes périls qui nous menacent. […] Prêcher la solidarité, encourager le sauvetage et récompenser les sauveteurs, n’est-ce pas marcher de l’avant vers ce noble but : la fraternité82. »
82On ne s’étonne pas au final que, pouvant à partir du décret du 28 octobre 1870 élire leurs présidents (auparavant nommés par l’empereur), ces associations témoignent, sauf exception, d’une remarquable stabilité de direction. Tous les présidents sont renouvelés après 1870, et le confiseur Roche à Tours, ou Grossos au Havre, resteront en poste plus de trente ans. Aucune épuration ne paraît frapper ces mouvements voués aux cultes de l’ordre, de l’union, et de la stabilité sociale.
83En termes de fonctionnement courant, une scénographie festive régulière constitue une part importante de l’activité des associations de citoyens secoureurs.
84Chaque assemblée générale annuelle est l’occasion d’une distribution abondante de prix et de médailles de toutes sortes. Plus valorisantes qu’une obole régulière, de telles fondations séduisent nombre des membres honoraires. Les Sauveteurs de la Seine n’en comptent pas moins de dix-neuf dès 1870, soixante-huit en 1885, tandis les Chevaliers Sauveteurs des Alpes-Maritimes atteignent une sorte de record, avec cent soixante-quatorze récompenses, dont Le Sauveteur donne la liste intégrale de février à juin 1884.
- 83 Le Sauveteur, juillet 1880.
85Comme le relève le secrétaire des Sauveteurs de la Charente, les associations doivent de la sorte, à nouveau, se défendre des interprétations trop rapides : « On a quelquefois reproché aux Sauveteurs l’amour de la publicité, l’éclat avec lequel nous célébrons nos fêtes. Les Sauveteurs, qui risquent chaque jour leur vie pour disputer les victimes à l’eau, aux incendies, qui bravent le danger pour arrêter les chevaux emportés, sauraient-ils être trop donnés comme des exemples de vertu, de dévouement, de sacrifice ? […] Des sceptiques sont allé jusqu’à dire que nos sociétés de sauvetage n’ont aucun but sérieux, ne peuvent rendre aucun service83. »
86À la célébration en assemblée, les associations ajoutent souvent un parcours public. Ainsi, c’est sur le cortège banalisé des pratiques de sociabilité de la France républicaine – musique municipale, associations de sauveteurs, de jouteurs, de gymnastes – que débute l’un des romans de la fin du xixe siècle les plus révélateurs de l’imaginaire social du citoyen secoureur. Le doyen Riquier, point d’orgue du défilé, en incarne le propos, en secoureur volontaire comme figure édifiante parmi les plus dignes de respect et les plus appréciées de la France locale, pacifique et harmonieuse :
- 84 Gerin G., Mariniers du Rhône, Paris, Ollendorff, 1894 (réédition 1927), pp. 4-5.
« On aperçut d’abord la musique municipale, puis la bannière de la société des Sauveteurs, ceux-ci avec le brassard tricolore, raides dans leurs vêtements du dimanche. […] Le père Riquier, le doyen d’âge, fermait la marche en bombant sa poitrine constellée de quatre-vingts médailles de sauvetage, nombre égal à celui de ses années. On lui avait accordé la concession du bac, en récompense de sa longue vie de dévouement. Et toute l’année, l’ancien marinier passait d’une rive à l’autre des gens pour deux sous, en attendant la mort si souvent affrontée. Très vert encore, il marquait le pas, oublieux ce jour-là de ses rhumatismes, la tête enfouie dans un chapeau haut de forme au poil hérissé, le corps à l’aise dans une redingote trop large, de mode surannée. Quand il apparut à la fin du cortège, avec sa glorieuse ferblanterie reluisant au soleil, la foule fit une ovation à ce modeste héros84. »
- 85 Tenue des Sauveteurs de l’Aude, ibid., novembre 1874. Cette tenue est copiée sur celle des Sauvete (...)
87Costumes, drapeaux, musiques, révèlent aux villes de France l’existence rassurante d’une phalange courageuse. Le travestissement, « non obligatoire mais apprécié », comme le stipulent en général les statuts des associations, est l’un des signes de l’incarnation de la figure exemplaire du secoureur : « Pantalon noir, redingote de même couleur, gilet blanc montant de petits boutons dorés et à ancre ; casquette en drap noir, forme marine, avec galon en or sur le haut et le pourtour de la bande, et un autre galon au-dessus de la visière ; jugulaire en cuir verni sur cette visière, ancre en or85. »
88Les occasions de sorties sur la place publique ne manquent pas, et si les démonstrations et concours de sauvetage se généralisent vers la fin du siècle avec l’adoption du référent sportif, les fêtes d’assemblée générale demeurent longtemps réglées par un cérémonial immuable : bal et/ou banquet le samedi soir, le plus souvent célébration religieuse le dimanche en matinée, réception à la gare des délégations d’autres sociétés, cortège à travers les rues de la ville, réunion dans une salle décorée, reconduite des délégations.
89Le Sauveteur donne toujours une description détaillée des festivités, et les instruments de sauvetage, seule expression de la technique de secours, sont souvent appliqués sur les façades ou dans la salle, parfois figurés sur une carte, comme au banquet de la Société des Sauveteurs de la Ville et de l’Arrondissement du Havre, subdivision de Fécamp :
- 86 Ibid., février 1880.
« Le nom de chaque convive était écrit au centre d’une composition photographique réellement heureuse. En tête la devise des sauveteurs : Sauver ou périr, et au milieu d’un ruban déroulé, sur lequel on lisait : la foi, l’espérance, la charité, on voyait un navire en détresse, en vue du port, et un canot de sauvetage arrivant à son secours. Plus bas, à gauche, la machine soufflante inventée par M. Mayné, et à droite, un sauveteur, revêtu de la ceinture de M. Lechandé, est prêt à s’élancer à la mer. Au milieu de la gravure et encadrés par la ligne de sauvetage de M. Victor Endier, on remarque les portraits de Rose Anaïs et Durécu, la garde-malade de Fécamp et le sauveteur havrais [prix Montyon l’un et l’autre]. Entre les deux portraits, un phare avec des attributs maritimes et le nom de Fécamp. Tout en bas de la composition des pompiers sont en train d’éteindre un incendie86. »
- 87 Ibid., février 1892.
90Pour l’essentiel de ce qu’il est possible d’en percevoir, les associations de secoureurs témoignent d’une sociabilité, à la fois édifiante et bon enfant, qui tient plus de la fête populaire que du cercle bourgeois. Le défilé des Sauveteurs du Dernier Adieu du 13 décembre 1891, entrecoupé de libations nombreuses et pompeusement intitulé « promenade militaire », offre un exemple accentué : drapeaux déployés, clairons, défilé devant le président, vin d’honneur ; à 14 heures, départ de Chatou pour Croissy, Croissy-le-Vieux, arrivée après une heure de marche ; vin de bienvenue, tir sur cible, course en tricycle ; toasts à la France, à la Russie, retour ; banquet de trois cents couverts à Chatou87.
- 88 Ibid., janvier et février 1889.
91Cette association, créée en décembre 1888, est d’ailleurs représentative d’une occasion moins joviale de rassemblement public : les sépultures. Les statuts d’un grand nombre de sociétés appellent en effet à une présence obligatoire des membres participants lors de la disparition de l’un des membres, sanctionnée d’une amende en cas d’absence injustifiée. Cette association, au patronyme explicite, recrutant parmi « les sociétés de sauveteurs, de sauvetage, d’ex-militaires existant en France », ou des membres parrainés, y voit même à l’origine son objet unique et suffisant : « Le but de la société est qu’au décès de l’un des membres tous les autres membres sont convoqués pour assister à la cérémonie et une couronne spéciale sera déposée sur la tombe, et s’il y a lieu un secours en argent sera, dans la mesure du possible, accordé à la famille. La société pourra prendre part à toutes les fêtes humanitaires, de bienfaisance et patriotiques. Les membres devront se dévouer et prouver leur attachement par la présence au convoi de celui qui fut leur compagnon de courage88. »
- 89 Elle est inscrite sous le n° 1493 au répertoire des Sociétés de Secours Mutuels de la Seine. Un co (...)
92Trajectoire significative des objectifs entrecroisés de ces associations, l’engouement grandissant autour de la figure du citoyen secoureur amènera la société des Sauveteurs du Dernier Adieu, sans abandonner son intitulé, à des motivations moins funèbres : aide à la veuve et aux orphelins des membres, secours en cas d’accident, mise à disposition de matériel de sauvetage. Elle devient dès 1892 l’une des sociétés parisiennes les plus actives et reconnues, et compte deux cent quatre-vingt membres participants en 1898. Le 30 septembre 1894, pour sa cinquième fête annuelle, une pièce intitulée l’Épave est jouée devant trois mille personnes, tandis que diverses personnalités la saluent (Honoré Arnoul en 1892, Théophile Funck-Brentano, professeur à l’École Libre des Sciences Politiques, en 1895) et que son comité d’honneur comprend mesdames Félix Faure et Carnot89.
- 90 Ben-Amos A., « Les funérailles de Victor Hugo. Apothéose de l’événement spectacle », dans Nora P. (...)
93De manière plus large, la présence démonstrative des citoyens secoureurs s’enracine au fil de la première Troisième République comme composante des cérémonies officielles diverses, telles que l’inauguration de la statue de Thiers à Belfort le 31 août 1884, et bien entendu les funérailles de Victor Hugo le 1er juin 1885. Ce dernier événement, « apothéose de l’événement spectacle », gigantesque « messe civique » qui conduit à la réattribution du Panthéon aux grandes figures exemplaires de la nation, entretient d’ailleurs plus d’un parallèle avec la scénographie festive développée par les sociétés de sauveteurs dès le Second Empire90.
- 91 Au sein d’une bibliographie étendue on mentionnera : Ozouf M., La Fête révolutionnaire 1789-1799, (...)
94Car cette dernière, certes plus modeste, mais tellement plus courante, articule elle-aussi des pratiques dont la visée est directement politique, à mi-chemin des envolées oratoires stéréotypées que prise la mutualité naissante, des distributions de prix célébrant le mérite moral, des cortèges sonores des regroupements gymnastiques, musicaux, conscriptifs, militaires, de sapeurs-pompiers, aux frontières imprécises et perméables et aux préoccupations patriotiques communes. L’historiographie récente a abondamment rappelé que ces mouvements partagent l’ambition de diffuser des normes d’attitudes et de comportements civiques, notamment par des réjouissances publiques qui se tiennent sous le strict contrôle des autorités durant l’Empire, puis la surveillance assouplie de l’administration républicaine91.
95Si cette tolérance ouvre l’arène festive aux définitions antagoniques et concurrentielles du lien social et politique, l’essentiel des associations de citoyens secoureurs se tiendra néanmoins à l’écart des affrontements idéologiques et partisans, demeurant fidèle sur le long terme à une visée fondatrice qui prêche l’espoir d’un progrès tranquille, l’apaisement social, et satisfait autant les inquiétudes des consciences laïques que religieuses.
Les paradoxes des entrepreneurs du rassemblement des citoyens secoureurs : commerce de l’exemplarité civique, journaux, expositions et congrès
96Le mouvement associatif des citoyens secoureurs, qui se distingue on l’a dit de préoccupations uniquement sécuritaires mais utilise un espace d’initiative laissé relativement vierge par l’organisation collective des secours en cas d’accident, ne saurait avoir existé en dehors de l’activité d’un certain nombre d’entrepreneurs et porte-parole de l’exemplarité civique du sauveteur. Dirigeants de sociétés, publicistes, écrivains spécialisés, plumitifs de petit calibre, représentants des couches intermédiaires en quête de revenus et de notoriété, ces individus, à la stature à première vue anecdotique, fournissent par la convergence de leurs parcours des éléments de compréhension assez déterminants de la surprenante appropriation nationale et populaire dont la figure du sauveteur a été l’objet.
97Le premier de ces éléments concerne la dimension nationale de la dynamique associative qui se noue autour du secoureur courageux. Même d’ambitions purement locales, ces entrepreneurs divers s’inscrivent en effet explicitement dans un mouvement étendu à l’ensemble du territoire. L’hypothèse d’une structuration spontanée et simultanée de solidarités territoriales ayant l’objectif d’une préservation accidentelle y trouve un nouveau démenti, quand bien même des formes d’entraide anciennes et traditionnelles puissent trouver un sens et une expression renouvelés dans ce mouvement national.
98Le second élément, plus inattendu, et qui s’inscrit en perspective des utilisations marchandes de l’exemplarité courageuse que la presse de masse saura abondamment investir, touche aux dérivés commerciaux potentiels des signes et certifications de l’appartenance à la phalange secourable et courageuse. Ce « marché du mérite » est moins contradictoire que coextensif aux pratiques officielles ou associatives, et il témoigne à sa manière de l’intensité, et parfois de l’ambiguïté, des motifs d’un désir de reconnaissance qui s’enracine chez le plus grand nombre du cœur de la période romantique jusqu’aux premières décennies de la Troisième République.
- 92 Eco U., De superman au surhomme, Paris, Grasset, 1993 (1re édition italienne 1978), p. 64.
99Louis-Adolphe Turpin de Sansay et Adolphe Huard ont été parmi les premiers professionnels de la plume à se saisir des débouchés de l’identité secourable et courageuse. Leurs parcours, mieux que tout autre, sont révélateurs de « la façon dont se rejoignent et s’influencent mutuellement une industrie culturelle, une idéologie de la consolation, et une technique narrative du roman de grande consommation », lesquelles supportent jusqu’au xxe siècle, comme l’a souligné Umberco Eco, quelques-uns des principaux personnages des fictions héroïques de la culture de masse92.
- 93 Augenot M., Le roman populaire. Recherches en paralittérature, Montréal, Presses de l’Université d (...)
100Originaire de Côte-d’Or, Louis-Adolphe Turpin de Sansay (1832-1891) arrive à Paris avec ses dix-neuf ans. Employé d’administration durant quatre ans, il y rencontre Adolphe Huard (1819-1887), né dans la capitale de parents pauvres, ouvrier typographe bientôt reconverti avec lui en littérateur. Ils commettent ensemble une première comédie-vaudeville, Fais la cour à ma femme (1856), et plus tard trois livrets d’opérettes, Une paille dans l’œil (1857), La barbe de Betasson (1864), Les amoureux de Fauchon (1865). Du point de vue de l’activité et de la réussite littéraires, le premier se détache nettement. Louis-Adolphe Turpin de Sansay, estime Marc Augenot, compte « parmi les romanciers les plus aimés du Second Empire », notamment avec son adaptation du mélodrame, célèbre vingt ans auparavant, de Félix Pyat : Les chiffonniers de Paris93.
- 94 Pixerecourt X. de, Paris ou le livre des cent un, tome vi, 1852, cité par Ubersfeld A., « Le mélod (...)
101Inscrite dans la tradition du roman noir social inspiré d’Eugène Sue (Les Mystères de Paris débutent en 1842), cette œuvre de fiction confronte un banquier malhonnête, un jeune bourgeois au grand cœur réduit à « chiffonner », et une bande de noyeurs professionnels des bords du canal Saint Martin. Le roman-feuilleton, continuité décisive pour saisir la biographie de Turpin de Sansay, s’inscrit dans la continuité du mélodrame, genre du théâtre populaire qui, dès la fin de l’Ancien Régime, selon le mot de l’un de ses principaux théoriciens et auteurs, « offre à la classe de la nation qui en a le plus besoin (le peuple) de beaux modèles, des actes d’héroïsme, des traits de bravoure et de fidélité », et « l’instruit par là à devenir meilleur94 ».
- 95 Sur « cette illumination [qui] a fait couler beaucoup d’encre » (Eco U., op. cit., p. 48), sur le (...)
- 96 Marx K. et Engels F., La Sainte famille, Paris, Ed. Sociales, 1972 (1re édition 1845), chap. viii (...)
102C’est d’ailleurs au lendemain de la première des Deux serruriers de Félix Pyat qu’Eugène Sue, dandy légitimiste qui avait débuté par des romans exotiques aux héros souvent malfaisants (dont La Salamandre inspiré du naufrage de la Méduse), se convertit à la cause ouvrière, avant de porter un an plus tard le roman-feuilleton au rang de phénomène social et politique considérable95. Avec ses Mystères et leurs innombrables continuateurs, le mal et le vice, arrachés à l’atavisme de condition ou familial, aux faiblesses purement individuelles, délivrent une leçon civique, parce qu’ils sont des maladies sociales auxquelles doivent remédier la réduction de la misère, le secours de l’enfance abandonnée, la rééducation des prisonniers, plus largement l’éducation morale et l’aide fraternelle, chrétienne, philanthropique. Le châtiment du crime et la récompense de la vertu, ressorts narratifs et idéologiques désormais décisifs remarqueront Marx et Engels96, sont présentés comme des missions de la collectivité tout entière, issant la fiction au rang de l’utopie politique, entremêlant l’imaginaire national et les types romanesques, et parmi ceux-ci le citoyen secoureur.
- 97 On trouve souvent, dès Les mystères de Paris, des scènes de sauvetage dans les romans-feuilletons (...)
- 98 Le canal Saint-Martin, chanson de Dupenty et Cormon, 1845, extraite de la pièce du même nom, dans (...)
- 99 Turpin de Sansay L.-A., Les Chiffonniers de Paris, Paris, Édouard Blot, 1861 (4e réédition 1879), (...)
103De ce point de vue, Les chiffonniers de Paris est représentatif, comme plusieurs des mélodrames et romans-feuilletons de l’époque – Les Enfers de Paris de Xavier de Montepin, Le Canal Saint-Martin de Charles Deslys 97 –, des menaces que l’on prête aux lieux aquatiques parisiens, et des actes de sauvetage courageux qui leur font pendant : « Redoutez, redoutez honnête citadin/De Pantin à Paris, de Paris à Pantin/Ah ! redoutez le canal Saint-Martin/De minuit au matin, Honnête citadin/Ah ! redoutez le canal Saint-Martin ! (bis)98. » Sans grande originalité, l’ouvrage se structure pour l’essentiel sur une anti-figure du secoureur parisien : « Les noyeurs n’exerçaient que la nuit leur criminelle profession, consistant à jeter dans le canal les retardataires qui s’aventuraient dans ces parages, et à les reporter, comme nous l’avons raconté déjà à la municipalité, qui leur payait vingt-cinq francs par tête de noyé99. » Ses péripéties, appuyées sur les bas-fonds urbains et leurs épisodes macabres, alternent avec de didactiques plaidoyers, tel celui que tient un baron philanthrope sur la tombe d’un vieux chiffonnier, sauveteur véritable :
- 100 Ibid., p. 104 (la typographie est de l’auteur).
« Que sa vie serve donc d’exemple à tous les enfants du peuple réunis dans cette enceinte de la mort, et qui peuvent parfois se laisser égarer dans de funestes entraînements !… Un seul mot, pour le peuple, pour le bourgeois, pour le financier comme pour l’homme d’État doit tout résumer sur la terre : le TRAVAIL ; car le travail, c’est la glorification du présent, l’aspiration de l’avenir ; c’est le frère de ce puissant levier qui soulève les mondes, la PROBITÉ 100… »
- 101 Archives de la Préfecture de police de Paris, dossier personnel Ba 908.
104La frontière est ténue de ces envolées propres à la fiction moralisatrice aux célébrations de l’excellence civique. Louis-Adolphe Turpin de Sansay la franchit en avril 1866, lorsque paraît le premier numéro du Sauveteur, mensuel dirigé par Adolphe Huard, dont il se partage avec Henri Gourdon de Genouillac (1826-1902) la rédaction. De situation aisée, ce dernier, auteur lui aussi de vaudevilles, romans, nouvelles, d’une Grammaire héraldique (1853) et d’une Histoire des ordres, des grandes charges, des titres connus en France (1856), propriétaire du Monde artistique (1862), est un légitimiste de conviction, sans visée politique jusqu’à la République, qui écrira après son départ du Sauveteur (1870) dans Le petit caporal, organe des bonapartistes101.
105Pour les trois initiateurs, les associations de sauveteurs médaillés, alors en plein essor, peuvent constituer une clientèle fidèle, et la nouvelle publication va de fait en rester la principale tribune jusqu’aux premières années du xxe siècle. Il s’agit en somme de se tenir à la croisée d’un marché déjà ancien (les « morales en action » et l’annalistique de la vertu envisagées dans le chapitre ii) et d’un mouvement associatif naissant, dont on s’assure d’ailleurs le patronage par un comité de « membres fondateurs protecteurs », où figurent tous les présidents des sociétés de sauveteurs existantes.
- 102 SNEAB, Séance annuelle…, 1873. La biographie d’Huard demeure obscure. Le carton (F 18415200-203) c (...)
- 103 Le Sauveteur (moniteur du courage et des belles actions, organe spécial des Sociétés de Sauveteurs (...)
106Du côté de l’opportunisme commercial, on peut verser la biographie d’Adolphe Huard, qui s’engage vers cette époque dans une carrière d’entrepreneur de presse, avec La gazette scientifique (organe des académies et sociétés savantes) (1864), Le moniteur du presbytère (1866), Le juge d’armes (1877), La gazette des médaillés de l’Empire, accédant à une notoriété qui lui permet de présider en mai 1873 l’assemblée générale de la Société Nationale d’Encouragement au Bien, où il fonde un « prix de civisme102 ». Du côté de la proximité aux associations, outre le sous-titre de la publication, « Moniteur du courage, organe spécial des sociétés de Sauveteurs médaillés du gouvernement », l’appel est explicite à « grouper, en faisceaux, les Sauveteurs et les Bienfaiteurs ignorés jusqu’alors », en même temps que « relater le mouvement administratif des Sociétés de Sauveteurs, sans jamais pourtant se mêler en rien de l’administration de ces sociétés, […] mentionner les dévouements et bienfaits de tous leurs membres, les discours prononcés dans toutes les Assemblées, les Séances officielles des Sauveteurs, enfin retracer les Portraits biographiques des braves Sauveteurs et des Bienfaiteurs de l’humanité103 ».
- 104 Le contrôle de la presse a été très strict sous le Second Empire, et cette autorisation est un sig (...)
107Annalistique des actes méritoires, vie associative, discours des assemblées, et bien entendu biographies des sauveteurs et des philanthropes qui les dirigent, Le Sauveteur bouleverse moins la formule des périodiques d’exemplarisation morale qui l’ont précédé qu’il ne la circonscrit à l’univers des citoyens secoureurs. Bien qu’impossible à évaluer précisément, son audience ne semble pas totalement négligeable puisque, disponible au numéro, d’un coût modique (50 centimes, 3 francs pour l’abonnement), accueillant des encarts publicitaires en nombre croissant, le journal (il est imprimé en colonnes et paraîtra même, 1875-1878, 1890-1895, in 4°) obtient en juillet 1868 une autorisation de vente sur la voie publique, privilège accordé en nombre très restreint sous l’Empire104.
108Vers cette époque, la couverture s’orne d’une gravure à l’imaginaire éloquent, qui disparaîtra par la suite, triptyque où un sauveteur en chemise, et à la barbe plutôt bourgeoise, sort des flammes en soutenant un enfant, se repose sur un écueil près d’une jeune noyée dénudée et inconsciente, et saisit fermement aux naseaux un quadrupède récalcitrant (illustration n° 40 du cahier iconographique).
109Assez loin des secours publics en cas d’accident, les entrepreneurs du Sauveteur inventent également des formes de marchandisation de l’excellence civique comme identité exemplaire.
- 105 Turpin de Sansay L.-A., Les Sauveteurs Célèbres, Paris, E. Dentu, 1868 (4e réédition 1879), i-iv, (...)
- 106 Turpin de Sansay L.-A., Les Illustrations du courage, du dévouement, de la philanthropie, de la sc (...)
- 107 Le Sauveteur, août et novembre 1886.
110Au périodique s’ajoute, dès 1868, un ouvrage plusieurs fois réédité et souvent cité, Les Sauveteurs célèbres, où l’on trouve, outre quelques candidats acharnés mais toujours repoussés aux prix de vertu de l’Académie française, un grand entrepreneur en bâtiment ayant fondé l’un des prix académiques pour les citoyens secoureurs105. Sous la plume de Turpin de Sansay, mêlés d’imagerie catholique, les citoyens secoureurs deviennent des « Apôtres du dévouement », « Apôtres modernes, qui s’acharnaient à rentrer dans une obscurité silencieuse », mais dont il se donne pour mission de révéler les mérites. En 1882, il s’efforce de lancer, avec force réclame dans le périodique, des fascicules de huit pages, grand format avec couverture cartonnée, Les Illustrations du courage, du dévouement, de la philanthropie, de la science et du travail : « Toute personne qui voudra figurer dans Les Illustrations devra souscrire à un volume et aura droit à une page du fascicule dans lequel elle figurera, et devra prendre aussi 25 exemplaires, à 1 franc, de ce fascicule », soit cinquante francs permettant à chacun de distribuer et conserver le souvenir de ses belles actions ignorées106. Le 19e fascicule est annoncé en décembre 1886, année de la reprise par Turpin de Sansay du périodique, où il réaffirme que l’ » on trouve le Sauveteur dans le marin, dans le soldat, dans l’ouvrier, le bourgeois et même l’homme du monde », et que « le journal doit donc avoir pour seul devise d’aider ces hommes d’élites à franchir le degré qui sépare l’obscurité de la gloire107 ».
- 108 (Archives de la Préfecture de police de Paris, dossier personnel Ba 1288). Rapports du 15 janvier (...)
- 109 Ibid., juin 1887, p. 2.
- 110 Dossier personnel, rapport du 7 décembre 1889.
111Infatigable prosélytisme intéressé du mérite, même menteur, portée renforcée des insignes d’honneur dans la nouvelle République, le feuilletoniste reconverti, atteint de paralysie du côté gauche et « presque dans la misère », notent les informateurs de la Préfecture de police en 1874, s’engage au final dans ses dernières années dans le commerce des décorations de pacotille108. À compter de février 1887, contre quatorze francs, on acquiert le titre de « membre fondateur » du Sauveteur, accompagné de son diplôme et de sa médaille. Pour soixante-dix à deux cents francs, selon le grade désiré, c’est dans « l’Ordre Humanitaire du Mérite Civil », destiné « à récompenser tous ceux qui, sans distinction de classe ni de sexe, auront fait preuve de courage civil, d’honneur et d’humanité », et « matériellement représenté par un diplôme sur bristol aux armes du Comte Turpin de Sansay, son fondateur, et par une belle croix-insigne », que l’on peut être introduit109. Certes, comme l’établira une autre enquête en 1889, le fondateur a soin de préciser, en accord avec la législation, « l’impossibilité de porter cet insigne en dehors des réunions de la société » ; avec plus d’insistance néanmoins, Madame Turpin, épousée en 1875, se fait fort d’obtenir un ordre du Venezuela ou du Cambodge, pour mille cinq cents à quatre mille francs de l’époque110.
112La biographie de Louis-Adolphe Turpin de Sansay s’achève, quatre ans après son ami Huard, en septembre 1891, et Irma Gallet, titulaire de cinquante-trois croix et médailles diverses, devient la rédactrice en chef-propriétaire du Sauveteur, ainsi que « Grande-Maîtresse de l’Ordre Humanitaire du Mérite Civil créé par le grand philanthrope Turpin de Sansay », conduisant difficilement une publication en perte de vitesse jusqu’au nouveau siècle.
113Le petit commerce de la vanité courageuse, qui participe d’une forme de mise en réseau des regroupements de secoureurs, n’est pas éteint pour autant.
- 111 Grandhantz-Loiseau E., Les sociétés de sauvetage, humanitaires et philanthropiques, Paris, Masson, (...)
114Empruntant un parcours assez similaire à ses aînés, un certain Grandhantz-Loiseau (1851- ?) se lance dans la carrière en 1884, avec un ouvrage de circonstance, Les sociétés de sauvetage, humanitaires et philanthropiques, ainsi qu’un périodique, Le Monde humanitaire, « puissant organe des sociétés de sauvetage [qui] ne pourra que prospérer encore », estime Félix Damico au terme de sa vingt-deuxième année d’existence111.
- 112 Dossier « Le monde humanitaire » (F7 12371 Seine 475). L’enquête est initiée sur la demande de l’a (...)
115Distingué en 1896 pour ses publications par la Société Nationale d’Encouragement au Bien, Grandhantz-Loiseau pratique, selon un rapport de la Sûreté Générale de 1904, pour un prix « très élevé », la publication de « la biographie des membres des sociétés de sauvetage qui cherchent par vanité à se mettre en relief », diffusant pour huit francs annuels sa feuille à trois cents abonnés environ. Pour le reste, il « ne tire, depuis de longues années, ses ressources que de moyens frauduleux, ou du trafic de décorations ou diplômes de pure fantaisie […], “Le Sauveteur de Paris”, “Académie Christophe-Colomb de Marseille”, “Croix-Rouge Belge”, “Croix-Blanche d’Italie”, “Aréopage des Décorés de Naples”, etc. », contre vingt à cent cinquante francs, mais en avisant les demandeurs que ces distinctions ne peuvent être portées « qu’en délégation, cortège, ou dans des réunions privées112 ».
116Une fois encore, ironie historique de trajectoires individuelles indissociables des grands artifices collectifs qui les permettent, ce sont d’étranges linéaments de la sociabilité des citoyens secoureurs qui montent à la lumière. En effet, c’est bien de la multiplicité que l’on tire le sentiment de ne pas se confronter ici à l’exceptionnel ou à l’anecdote, car les exemples ne sont ni strictement parisiens, ni limités aux supports écrits.
117Dans le cas de l’étrange Jean Entraygues, ainsi que l’établira l’instruction ouverte en 1888 suite à la dissolution par le préfet de la Société Générale de Sauvetage de la Corrèze, l’enrichissement personnel n’est pas de mise, puisque ce sont les propres deniers du président-fondateur qui alimentent une association à peu près virtuelle.
- 113 Rapport du sous-préfet de Brive en date du 11 avril 1877. Archives Départementales de la Corrèze ( (...)
- 114 SNEAB, Séance publique, 1874, p. 26-27.
- 115 Le Sauveteur, septembre 1886. La société est également mentionnée quelques mois plus tard comme ch (...)
118Entraygues, garçon boulanger ayant quitté Brive vers 1848, croit pouvoir affirmer le sous-préfet de l’endroit en avril 1887, a « gagné une belle aisance à vendre des comestibles », rue des Capucines à Paris, et même atteint à « une petite fortune, qu’il accrut considérablement pendant le siège de Paris, en vendant des marchandises et aussi, dit-on, de la viande de cheval à des prix excessifs113 ». Récompensé par la Société d’Encouragement au Bien en 1874 pour son attitude durant le siège et sa maison « mise à la disposition des ambulances, des pauvres, des voisins114 », il est rentré en Corrèze où, entouré du receveur-buraliste Bara, du capitaine des pompiers et de cinq à six personnes titulaires de la médaille de sauvetage, il crée en 1884 une société « de secours des gens en péril dans une catastrophe quelconque », blason portant « Honneur-Patrie, Courage, Humanité », devise stipulant « Devoir, Abnégation, Sauver sans souci du Danger », quatre cents adhérents affichés, Victor Hugo, Ferdinand De Lesseps, Le Royer (président du Sénat), Floquet (président de la Chambre), présidents d’honneur revendiqués, sans frais, comme plus tard le général Boulanger ou l’empereur du Brésil115. Rapidement délaissée des notables habitants de la ville, l’association ne rassemblera au final durant ses quatre années d’existence que « sept à huit personnes, en général étrangères au département de la Corrèze, et qui sont attirées à Brive par l’appât d’un bon déjeuner offert par le président », le tout motivé, à en croire le sous-préfet, par « le délire des grandeurs, et par dessus tout, des distinctions honorifiques » de l’impétrant, titulaire de nombreux ordres étrangers et soucieux de joindre à ses palmes académiques le ruban rouge.
119Cet exemple languedocien le souligne : le dévolu jeté, à Paris comme en province, sur l’excellence civique du citoyen secoureur, mêle chez certains de ses entrepreneurs intérêt matériel et symbolique en des mesures difficiles à dissocier. Contradictoire, plurivoque, l’engagement associatif au titre de la phalange courageuse s’y révèle autant l’indice d’une quête identitaire que du gain pécuniaire qui peut s’y associer, et ses effets n’en sont pas moins paradoxaux. Le cas des Hospitaliers Sauveteurs Bretons, sur lequel nous allons revenir en détail, en est l’archétype, mais l’on trouve d’autres exemples de fondations équivoques, qui se perpétuent en se transformant ensuite en véritables organismes de secours.
120Le cas de la Compagnie Maritime Mobile de Sauvetage du Rhône justifie d’être un peu développé.
- 116 Archives Municipales de Lyon, (I1 259), rapport de police du 21 décembre 1863.
- 117 Ibid., rapports du 22 novembre 1864 et 30 mai 1865.
121Créée en 1864 par Antoine Parrat, « ancien militaire, ancien marinier, marié, sans enfants, sauf une fille d’adoption recueillie par lui en 1851, […] homme plein de dévouement et d’abnégation, d’une conduite remarquable, qui au péril de ses jours a sauvé la vie à un grand nombre de personnes », titulaire de huit médailles d’or et d’argent et l’un des principaux organisateurs de la Société des Sauveteurs de Lyon fondée en 1859, selon le premier rapport de police le concernant116, l’association se trouve moins d’un an plus tard au centre d’une vaste polémique. La justice s’empare des livres de compte de la société, et son président, traduit en correctionnelle, se trouve alors présenté comme un « homme habile, insinuant », usant du « prestige de quelques médailles dont il est décoré », se mettant continuellement dans l’ivresse, et ayant réussi « par certaines manœuvres à se faire admettre à la retraite comme incurable en 1851 » de sa compagnie de crocheteurs. Engagé sans succès avec sa femme dans une carrière de directeur de bassin pour baigneurs (à Pontcharra jusqu’en 1859), de concierge (1862), de « petite boutique de friture », il a ouvert un cabaret en même temps que l’association où « il était parvenu dès la formation à enrôler une partie des membres de la 145e société de secours mutuels, […] crocheteurs de port et sauveteurs reconnus ». Dissipant avec les membres le produit des cotisations dans son établissement, puis rapidement abandonné de la plupart, il a alors mis en pratique « un moyen qui lui a très bien réussi jusqu’à ce jour […] la mendicité à domicile, demandant de l’argent pour la société des sauveteurs117 ».
122Loin des supports imprimés des publicistes parisiens, la fraude est ici de visée modeste, mais elle vaut comme indice de la variété des opportunités qu’offre le commerce du citoyen secoureur. Elle est également significative des vulnérabilités qu’emporte l’usage collectif d’une figure civique mythifiée en faveur d’une véritable organisation de la préservation contre l’accident, au point que le président et les cercles parisiens de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, alors lancés dans la quête nationale des ressources considérables qui doivent permettre le plein établissement du sauvetage maritime, s’inquiètent en 1866 que ses conséquences ne puissent avoir sapé la générosité locale potentielle à l’égard du secoureur courageux.
- 118 Ibid., lettre du préfet au commissaire spécial le 15 mai 1866 et réponse.
123Loin de leur donner tort, l’enquête s’autorise à conclure que Parrat a « fait d’abondantes moissons », poussé ses agissements « jusqu’à vendre des diplômes de membre honoraire avec promesse d’une médaille de sauvetage et, au besoin, de la croix de la légion d’honneur », en somme « exploité ici l’aristocratie, la bourgeoisie, le grand et le petit commerce, […], et il n’est pas surprenant qu’après lui on ne trouve plus qu’à glaner118 ».
- 119 Ibid., enquête septembre 1865, qui donne un descriptif détaillé de la personnalité de chacun des v (...)
124La Compagnie Maritime de Sauvetage du Rhône, reconstituée (autorisée par arrêté préfectoral en octobre 1865) après la condamnation de son premier président, et dont le nouveau est un arbitre de commerce « qui passe pour être très intéressé », rencontre pourtant à cette même date les faveurs des donateurs. L’un des ses mandataires, fils de l’un des plus zélés acolytes de Parrat, a récolté en deux mois, avec un intéressement de 15 %, près de 2 500 francs. Plusieurs des vingt-neuf nouveaux membres, crocheteurs pour la plupart, « dans une situation sinon précaire, du moins fort modeste », sont très mal représentés : ivrognes, voleur, joueur aux cartes, souteneur, faiseur d’embarras, et « l’on ne compte guère parmi eux qu’un très petit nombre d’hommes signalés pour leur courage et leur dévouement, et dont la présence serait on ne peut plus nécessaire pour atteindre le véritable but que se propose cette société119 ».
- 120 Ibid., rapport du 3 mai 1870.
125Répétition du jeu de miroir menteur, le dévoiement entre Saône et Rhône de la compagnie lyonnaise des secoureurs, à l’aube de la Troisième République, dépasse on le voit la personnalité équivoque de son fondateur. Les mariniers qui s’y engagent, et qui devraient pouvoir se porter au secours des malheureux happés par le courant, remarque cinq ans plus tard encore l’inspecteur principal de la Navigation et des Ports, ne peuvent pas être des mariniers actifs, nécessairement continuellement déplacés par leur propre navigation120. L’association, poursuit-il, qui possède désormais trente barques, ne rend guère de services, attendu que ses embarcations sont le plus souvent louées aux propriétaires de bateaux à laver ; elles ne servent, « en général, qu’à repêcher le linge échappé des mains des lavandières et se perd au fil de l’eau. […] Elles n’ont donc de bateaux-sauveteurs que le nom et on ne les voit presque jamais servir à cet usage ». Il est de la sorte impossible de faire droit à la revendication de l’association, conclut le rapport, de supprimer les quatre mariniers-sauveurs rémunérés par la municipalité, ni d’entendre sa prétention à la surveillance du bain et de la petite école de natation que tient l’un d’entre eux, car ce dernier a sauvé sept ou huit personnes pendant la saison, tandis que les secoureurs volontaires, qui s’enivrent souvent dans leurs postes, « en laissaient se noyer un, sous leurs yeux, et sans lui porter les secours nécessaires, par négligence ou manque d’énergie ».
126Secoureurs sans vigueur, mariniers aux marges de la pauvreté, exploiteurs occasionnels d’une figure de l’excellence civique, une partie de la nébuleuse associative du sauvetage, à Lyon comme ailleurs, prend des allures de ce « petit-cousin de Tartarin » que moquent dans les sauveteurs certains humoristes.
- 121 Dampt G., « Barlinche, sauveteur municipal (fantaisie) », Revue politique et littéraire (Revue ble (...)
127En 1884, le sauveteur Barlinche de la nouvelle de Georges Dampt, introduit en titre et poste par la municipalité de Tarascon, surveillant rémunéré des baignades estivales aux environs de Beaucaire, paraît ainsi épingler, par la satire, quelques dérivations effectives de la patriotique cohorte des « professionnels du dévouement121 ».
128Ne sachant pas nager, mais enseignant doctement les rudiments de l’art du déplacement aquatique, le thorax bardé d’une douzaine de bouchons de liège, la taille ceinte de « deux énormes vessies de porc », Barlinche assure la sécurité, sur la foi de sa seule présence et de son passé de marin. Et lorsqu’il sauve, de ses exhortations et conseils, un nageur qu’il se contente, « les pieds au sec, le corps cambré », de saisir du quai, ce n’est que pour bientôt, fraîchement médaillé, s’accrocher à un infortuné qu’il avait dû se résoudre à rejoindre dans les flots : « Quinze jours après, pour des raisons de santé, il donna sa démission, fut nommé sauveteur honoraire et remplacé par son noyé. »
- 122 Fauchois R., Boudu sauvé des eaux, comédie en 4 actes, (présentée pour la première fois à Lyon thé (...)
129Incompétence sécuritaire, goût des honneurs, la veine satyrique du sauveteur bedonnant et médaillé, plus vaniteux que réellement héroïque, s’attache progressivement à la figure du secoureur, et reflète à coup sûr une partie de sa réalité associative. Rejouée régulièrement de 1919 à la veille de la Seconde Guerre mondiale, la comédie de René Fauchois Boudu sauvé des eaux, que porte à l’écran Jean Renoir en 1932, l’illustre également presque cinquante ans plus tard par le personnage d’un sauveteur médaillé qui poursuit le libraire parisien Lestingois pour le convaincre d’accepter une récompense après le sauvetage du clochard Boudu, cet infatigable zélote du mérite civique amenant finalement, malgré les protestations du libraire, la fanfare des sauveteurs devant la boutique122. Indiscutablement, le siècle avançant, le citoyen secoureur chemine, au risque de sa formidable résonance sociale et politique, entre le ridicule et l’intéressement, entre la vanité et la vénalité.
130Un paradoxe fondamental, répétons-le, subsiste néanmoins : s’il est victime de son audience, le secoureur véritable en est aussi, par des voies détournées, le bénéficiaire. À cet égard, la revue Le Sauveteur ou la Compagnie Maritime Mobile de Sauvetage du Rhône ne sont pas isolés dans les contributions, souterraines, des motifs triviaux aux élévations civiques et aux efficacités sécuritaires auxquelles prétendent les associations dans les deux dernières décennies du siècle. On ne peut pas même exclure, comme dans le cas d’Albert Caron, que l’équivoque de l’engagement ne se résolve en une sorte de véritable « rédemption » individuelle.
- 123 Dossier Archives Nationales « Société Nationale de Sauvetage » AN (F7 12374 Seine 428), rapports 5 (...)
131Pressenti comme président de la Société de Sauvetage d’Ile-de-France établie en 1884, puis fondateur de la Société Nationale de Sauvetage en août 1887, ce dernier contribue en effet à la mise en place de l’une des principales institutions parisiennes : deux cent quatre-vingt membres un an plus tard, plus de deux mille en septembre 1898, lorsque le sous-secrétaire d’État au département de l’Intérieur préside son assemblée. Décoré en 1880 de la médaille militaire pour action d’éclat à Solferino, titulaire d’une mention honorable et d’une médaille de sauvetage de deuxième classe en 1885, Albert Caron est en mai 1887 qualifié par la Sûreté générale de « membre influent du comité républicain de Montmorency, […] favorablement représenté sous tous les rapports », et s’occupant de courtage dans les assurances sur la vie123. Il vient d’être élu au conseil municipal d’Ermont.
- 124 Le Sauveteur, octobre 1890.
132Au terme de deux enquêtes postérieures, il apparaît cependant d’abord soucieux « en fondant la présente société, de se faire connaître et d’essayer de se créer une situation politique », « intrigant et ambitieux et comme cherchant principalement dans l’affaire qui nous occupe, à satisfaire son amour propre sous le couvert d’une œuvre humanitaire », avant de se révéler comme ayant abandonné sa femme et ses deux enfants, et sans biens propres d’aucune sorte pour ne point leur verser pension. Il est amant d’une propriétaire de maison de tolérance qu’il fait passer pour sa femme, et bientôt rejeté des familles honorables de la commune au fait de son véritable état. Son association, dont il quitte la présidence en 1894, n’en prospère pas moins, et il sera récompensé par la Société d’Encouragement au Bien en 1896. S’il est un nouvel exemple des entrepreneurs aux motivations ambiguës du regroupement autour de la figure du citoyen secoureur, Albert Caron n’est néanmoins pas le plus porté au simulacre, puisque le 29 août 1890, arrêtant un cheval emporté avenue de Friedland, il est grièvement blessé, perdant le pouce de la main droite, qui pourra lui être regreffé124.
- 125 Notice biographique dans : Goelzer Ph., Historique de la société des Sauveteurs de la Seine, op. c (...)
- 126 Voir notamment Chambat P., « Les muscles de Marianne », dans Aimez-vous les stades ? Les origines (...)
- 127 « Persécution sournoise », L’Intransigeant, 9 juin 1888.
133En termes de quête de notoriété et d’instrumentalisation politique de l’engagement au titre des citoyens secoureurs, avec de réelles avancées cependant de la cause revendiquée, Edmond Turquet (1836-1914) offre un dernier exemple d’envergure, qui permet d’achever ce parcours des diverses formes d’entrepreneurs intéressés du dévouement secourable. Magistrat du parquet sous l’Empire, démissionnaire en 1868, pour raisons politiques selon ses biographies officielles, pour avoir eu un enfant d’une actrice, qui deviendra plus tard sa femme, selon la Préfecture de police, il est député républicain de l’Aisne de 1871 à 1889, et sous-secrétaire d’État à l’Instruction Publique et aux Beaux-Arts sous trois ministères (février 1879 – novembre 1881, avril 1885 – décembre 1886)125. Président de la Société des Volontaires de 1870-71, chevalier de la Légion d’honneur pour trois blessures dans les Tirailleurs de la Seine, membre de la commission d’Éducation Militaire qui plaidera pour la création des bataillons scolaires, il est également, avec l’historien Henri Martin, les députés Félix Faure et Alfred Mézières, le poète Paul Déroulède, du comité fondateur de la Ligue des Patriotes, le 18 mai 1882126. Proche du général Boulanger, membre de la Ligue Anti-Juive, Edmond Turquet évolue ensuite vers un nationalisme antirépublicain qui mettra fin à sa carrière politique au début des années 1890, et l’oblige à quitter en 1888 la présidence des importantes associations de citoyens secoureurs qu’il exerce durant près d’une décennie, celle de la Société des Sauveteurs de la Seine, et celle de la Société Française de Sauvetage127.
- 128 Intervention devant le bureau des Sauveteurs de la Seine, 12 janvier 1879, cité dans Goelzer Ph., (...)
134Récompensé en janvier 1879, alors qu’il est en poste ministériel et vient d’accéder à la présidence des Sauveteurs de la Seine, première société de secours mutuels de sauveteurs médaillés de France, d’une médaille de sauvetage pour le secours aquatique d’une vieille femme réalisé vingt ans plus tôt (1859), Edmond Turquet est durant une dizaine d’années l’un des plus actifs porte-parole républicains du secours courageux. Intervenant personnellement auprès des autorités, il défend au début des années 1880 le projet de « greffer » sur la mutuelle des Sauveteurs de la Seine l’une des toutes premières associations de secours proprement dit, « qui aurait pour objet de porter assistance aux noyés, aux inondés et aux victimes des épidémies et des accidents de toute nature sur le territoire français, de propager les principes et les procédés de nature à sauvegarder l’existence des personnes menacées, et d’étudier les causes des sinistres et épidémies, ainsi que les mesures à prendre pour en diminuer le nombre128 ».
- 129 AN (F7 12373 Seine 396). Elle affiche, en 1908, 800 actifs, après que certaines sections soient de (...)
- 130 SybiL, « Croquis parlementaires, M. Edmond Turquet », Revue politique et littéraire (Revue bleue), (...)
135L’innovation, réelle, porte à la fois sur l’objectif sécuritaire et la volonté de fédérer les associations existantes. Elle marque la transition du mouvement des citoyens secoureurs vers un nouveau référent d’action où s’affirme le secours effectif et, en 1898, la Société Française de Sauvetage est au premier rang des associations françaises similaires, avec deux mille membres actifs129. Souvent moquée par la presse, « ses aptitudes ne le désignait pourtant pas plus pour les beaux-arts que pour la marine ou la guerre, (..) il était, de fondation, président de la Société des Sauveteurs de la Seine130 », l’action du député Turquet, au-delà de sa biographie personnelle, produit en somme des effets qui ne seront pas négligeables dans l’évolution des secours volontaires en cas d’accident.
136Les statuts de la Société Française de Sauvetage, en retenant les missions de fédérer et d’unifier les associations existantes, de propager les moyens de secours les plus efficients, de les améliorer par la confrontation des résultats ou l’expérimentation directe, annoncent en effet à l’aube du xxe siècle une forme de rationalisation du mouvement associatif des secoureurs. Sans renier le désir d’honorer l’individu courageux, de le soutenir dans les conséquences malheureuses de son dévouement, il s’agit désormais de traduire l’intervention secourable dans les termes d’un savoir positif, lequel ne peut voir le jour sans une collaboration nationale, qui justifiera en retour de l’utilité publique des sociétés.
- 131 Cité dans Goelzer, op. cit., p. 149.
- 132 Rasmussen A., Mil Neuf Cent, numéro spécial « Les congrès, lieux de l’échange intellectuel (1850-1 (...)
- 133 Au sein d’une vaste bibliographie : Murard L. et Zylberman P. (dir.), L’Haleine des faubourgs (vil (...)
137« Les sociétés de Sauveteurs, aujourd’hui disséminées et sans liens sérieux les unes avec les autres, gagneraient à cette entente commune le stimulant dont elles manquent ; ce serait, d’un autre côté, le moyen de faire justice d’associations formées uniquement pour satisfaire des vanités personnelles ou de mesquines ambitions », affirme ainsi lors du premier congrès d’importance, présidé par Edmond Turquet au Palais de l’Industrie, le fondateur des Hospitaliers Sauveteurs Bretons131. Congrès et expositions, en articulant « un idéal de service public » par le vote de résolutions transmises aux autorités, « un idéal d’intégration des couches cultivées » par l’ouverture sur un vaste public, « un idéal d’élaboration et de diffusion du savoir » par la confrontation et la discussion132, s’imposent de la sorte dans l’univers des citoyens secoureurs, comme plus largement dans la vaste nébuleuse de « l’hygiénisme » qui accompagne les premières décennies de la République133.
- 134 Cacheux É., Procès Verbaux du Congrès International de Sauvetage, tenu dans le cadre de l’Expositi (...)
- 135 L’objectif était « de réunir toutes les sociétés de sauvetage de France, en leur laissant leur aut (...)
- 136 Voir AN (F12 7579 et 80).
- 137 Son fondateur, Raymond Pitet, entendu par les responsables de la première, refusera de changer le (...)
138De 1879 à 1904, dix expositions et congrès d’importance, dont deux dans le cadre des Expositions Universelles de 1889 et 1900, s’efforcent de populariser le sérieux des œuvres secourables auprès du grand public, et de répondre à la curiosité du moment pour les formes d’appareillages, bouées, postes de secours, bateaux démontables, moyens de transport des blessés, etc.134. Ils rassemblent également, au titre des secours publics, les associations les plus actives, régulièrement occupées à la mise en place d’une « Fédération des Sauveteurs de France », qui peine à voir le jour135, avant que n’apparaisse en 1902 la « Fédération Française des Sociétés de Sauvetage et de Secours Publics136 », bientôt concurrencée par une « Union Fédérale des Sociétés de Natation et de Sauvetage137 », laquelle annonce l’arrivée d’un autre référent du citoyen secoureur. Une époque s’achève avec le tournant du siècle, et de nouvelles légitimités s’imposent alors au rassemblement de l’excellence civique.
Pour la Patrie, Par la Vertu : la Société des Hospitaliers Sauveteurs Bretons et l’excellence civique du citoyen secoureur
139L’association des Hospitaliers Sauveteurs Bretons constitue l’une des entreprises de promotion du secoureur médaillé, en tant que modèle social et politique de comportement civique, parmi les plus célèbres et les plus durables. Cette « institution de sauvetage et de sauveteurs, de bienfaisance, de moralisation et d’encouragement au bien », selon les termes de son fondateur, créée en 1873, présente en effet au cours de ses vingt premières années d’existence une forme particulièrement représentative et cohérente, en même temps qu’extrême, des dispositifs de récompense, d’encadrement, de soutien et de multiplication du citoyen exemplaire. Caractérisée par son inscription pratique et symbolique dans le domaine maritime, par la proximité explicite à l’Eglise catholique de ses principaux dirigeants et les ambitions moralisatrices de son fondateur, par les incertitudes de ses objectifs véritables et la méfiance durable des autorités républicaines à son égard, la société des Hospitaliers Sauveteurs Bretons illustre également les durables paradoxes des projets civiques engagés au titre de la figure du citoyen dévoué et courageux. Son observation permet donc d’approcher, de plus près encore, les fondements et finalités communs à l’ensemble du mouvement associatif qui se réclame de l’utopie du regroupement exemplaire.
- 138 Henri Nadault de Buffon revendique par son père des liens à la famille de Provence, et par sa mère (...)
- 139 Sainte-Beuve, Journal officiel, repris dans Les causeries du Lundi, tome xiv, p. 320, critique de (...)
- 140 Traité des Eaux de Source et des Eaux Thermales, Paris, Cotillon, 1870, 600 pages ; Les Musées Ita (...)
- 141 Observations critiques sur la loi du 30 juin 1838, concernant les aliénés, Paris, Léautey, 1854, r (...)
140Le destin des Hospitaliers Sauveteurs Bretons, durant les vingt premières années de leur existence, est marqué au coin de la personnalité de leur fondateur, Henri Nadault de Buffon (1831-1890), de son vrai nom Nadault-Buffon, fils d’un ingénieur des Ponts-et-Chaussées et « arrière-petit-neveu » du célèbre naturaliste138. Jeune magistrat, « fort instruit des choses littéraires » et attentif à restituer le naturaliste sous les traits de « l’honnête homme, l’homme de cœur, de sagesse et de sens », note Sainte Beuve, il est l’auteur remarqué en 1860 d’une édition annotée de la correspondance de son illustre ascendant, que complètent cinq autres ouvrages139. Homme de lettres et conférencier accompli, il termine un Traité des eaux de source et des eaux thermales engagé par son père, écrit des ouvrages sur l’art italien, collabore à de nombreuses revues140, produit plusieurs brochures et ouvrages sur des questions sociales ou politiques, dont un triptyque principal : L’Education de la première enfance ou la femme appelée à la régénération sociale par le progrès (1862, trois éditions jusqu’en 1872), Notre ennemi le luxe (1869), Les temps nouveaux (1873)141.
- 142 Lettre du procureur général de Dijon à celui de Rennes où il est nommé en 1863. Archives départeme (...)
- 143 L’un des rapports sollicités pour l’obtention de l’agrément d’utilité publique en faveur des Hospi (...)
141Possédant selon ses supérieurs « la prestance, l’organe, le geste et le souffle oratoire », « un esprit naturellement généralisateur » et un « réel talent142 », il est nommé avocat général en 1867, puis perd progressivement la vue à compter de cette date. Aveugle à partir de 1872, il tire de cette épreuve, selon ses termes, le projet des Hospitaliers Sauveteurs Bretons, afin « de s’oublier lui-même et d’obtenir de Dieu le courage, la patience et la résignation », et quitte la magistrature en 1878. Son portrait est exposé au Salon de 1876, et son buste sera également réalisé. Les éléments présents dans son dossier personnel de magistrat révèlent des « revenus indépendants de son traitement » confortables (3 000 francs en 1861, 8 000 en 1871), bien qu’il soit victime, peu avant la création de l’association, d’une lourde succession paternelle (soit 200 000 francs de créances cumulées pour lui et sa sœur)143.
- 144 Rapport de la commission des récompenses nationales, cité dans Nadault de Buffon H., Le Livre d’Or (...)
- 145 Ibid., p. 17.
142À l’exemple de plusieurs promoteurs de l’excellence civique, mais plus nettement que beaucoup, Henry Nadault de Buffon, chevalier de la Légion d’honneur à dix-sept ans pour « une grande intrépidité unie à un sang-froid au-dessus de son âge » lors des engagements parisiens meurtriers des 23 et 24 juin 1848144, médaille d’or de première classe pour le sauvetage d’un désespéré s’étant jeté dans la Saône à Châlon en mars 1861 (où il est substitut), peut avancer des titres personnels au rang de citoyen courageux. Néanmoins, c’est d’abord au travers des ouvrages qui précèdent la fondation des Hospitaliers Sauveteurs, « admirables prolégomènes de cette Institution de Bienfaisance et d’Humanité145 », que s’affirme sa proximité à l’univers doctrinal et imaginaire des secoureurs volontaires.
- 146 L’Education de la première enfance…, op. cit., 1862, pp. vii-ix.
- 147 Notre ennemi le Luxe, op. cit., 1869, p. 16.
- 148 Les temps nouveaux, op. cit., 1873, pp. i-ii.
143Pour ce jeune magistrat chrétien, une triste constatation s’impose en effet dès le début des années 1860 : « Un relâchement général de la discipline, le progressif attiédissement du principe d’autorité nécessaire à la conduite des peuples et des individus, les attaques audacieuses dirigées avec bonheur contre les grandes lois du respect et de l’obéissance, le matérialisme envahissant lentement le domaine de l’esprit, le progrès sensible du mal auquel ne répond plus, dans une exacte mesure, le progrès du bien146. » Ce diagnostic sévère est prolongé par un second ouvrage qui pointe que « c’est au luxe et non à telle ou telle forme de gouvernement qu’il faut s’en prendre », puisque « ce ne sont pas les gouvernements qui altèrent les mœurs » mais bien « au contraire les mœurs qui corrompent les gouvernements147 ». Il préfigure une forme d’engagement dont la portée, pour être certes politique, n’en rejette pas moins les affrontements partisans, et dont l’excellence civique constitue la pierre de touche. Pour Henry Nadault de Buffon, la défaite de 1870 sonne de la sorte comme une confirmation : « La véritable origine de nos revers n’est ni récente ni politique ; elle se rattache aux racines même de notre société malade de bien des maux, parmi lesquels figurent en première ligne notre égoïsme, notre matérialisme, notre indifférence, le relâchement des liens de famille, l’oubli des vrais principes d’éducation et des véritables devoirs du patriotisme. C’est donc en nous, et en dehors des causes médiates des évènements, qu’il nous faut trouver une solution au problème de notre réorganisation sociale148. »
- 149 « La souveraineté populaire, proclamée par la Révolution française au milieu de la stupeur général (...)
- 150 Ibid., pp. 23-24.
- 151 Ibid., p. 256.
- 152 Ibid., p. 300.
144Exigence de perfectionnement moral de chacun, poussée presque jusqu’à l’utopie, acceptation de la souveraineté populaire, « un principe qui ne se discute plus149 », rejet résolu « du despotisme, du communisme, du socialisme, ces communs ennemis de notre grandeur150 », intériorisation des vertus d’attachement à la Cité et à l’État où « l’homme témoigne de sa supériorité en poussant le dévouement à l’idée abstraite de patrie jusqu’à l’abnégation151 », le civisme dont ce moraliste se fait l’apôtre ne s’oppose pas ouvertement à la perspective républicaine. Henry Nadault de Buffon est à cet égard représentatif de la perspective déjà évoquée de l’encouragement au bien, dans laquelle il s’inscrira très directement, où l’affirmation de l’importance de la foi religieuse coexiste avec la reconnaissance formelle de l’autonomie des enjeux proprement politiques, le clergé catholique, relève-t-il, ayant « peut-être le tort de montrer une tendance trop marquée à se considérer comme un corps dans l’État, ayant son chef à lui, ses maximes à lui, sa règle à lui, n’acceptant de la loi civile que ce qui lui convient d’en prendre et répudiant le reste152 ».
- 153 Dans son premier ouvrage, Nadault de Buffon mentionne sa rencontre avec « le Chef vénéré de l’Egli (...)
145Proche du courant de pensée dont Jules Simon sera le plus célèbre représentant dans les deux premières décennies de la République, évoluant vers un catholicentrisme progressivement plus affirmé – l’association des Hospitaliers Sauveteurs portant significativement le Sacré-cœur en emblème 153 –, ce promoteur des secoureurs bénévoles plaide une perspective civique toute entière ordonnée par la notion de « dévouement », notion essentielle du message religieux en même temps qu’expression séculière la plus achevée de son enseignement.
- 154 L’Education de la première enfance…, op. cit., pp. 347-355. Il souligne qu’il convient de rapporte (...)
- 155 « L’éducation de la femme peut se formuler en un mot : – l’abnégation. Tout ce qu’elle doit être, (...)
- 156 Présentation des statuts des Hospitaliers Sauveteurs : Nadault DE Buffon H., Les annales du bien, (...)
146« L’homme est fait pour le dévouement et les actes magnanimes », relève-t-il dès 1862, et le premier devoir de l’éducation maternelle, par « les lectures, les récits, les exercices, mais surtout les exemples », est de l’ancrer dans le cœur dès l’enfance : « Qu’elle s’arme, pour combattre l’égoïsme, qu’elle détruise la mauvaise semence et qu’elle dresse l’enfant à la privation, au sacrifice, à la générosité ; de cette sorte, en arrachant le germe d’une passion honteuse, elle aura fait naître la plus essentielle des vertus sociales, -le dévouement. Le dévouement est nécessaire au bonheur des sociétés et au bonheur des individus154. » Principe total d’accomplissement de soi, tant pour la femme que pour l’homme155, l’oblation chrétienne est de fait indissociable de l’excellence civique, et elle va logiquement trouver, dans le projet d’ » une fédération des hommes de bien et des gens de cœur capables de lutter contre le scepticisme, fléau du jour, source de l’égoïsme et de l’indifférence, et montrant ce que doit être, dans des temps difficiles, le père et le citoyen156 », les contours pratiques de ses ambitions et de son plein accomplissement.
- 157 Ibid.
- 158 Nadault de Buffon H., Statuts et règlement des Hospitaliers Sauveteurs Bretons, administration et (...)
147Les volumineux statuts rédigés par le fondateur des Hospitaliers Sauveteurs Bretons, près de deux cent soixante pages « comprenant 949 articles, divisés en 10 titres, en 43 chapitres, et 41 sections », « longtemps médités et comparés avec les statuts et règlements des Sociétés des Deux-Mondes, […] code complet du devoir, et comme l’évangile du sauveteur157 », sont d’abord en effet une stricte mise en application de ses convictions morales et politiques. Jamais le projet de contribuer, par le rassemblement des citoyens secoureurs, « à la régénération morale et sociale de la France », de « servir la cause de l’ordre en enseignant l’obéissance à la loi, le retour à la religion et aux sentiments de famille, la soumission à l’autorité », selon les termes de l’article 7, au travers d’une sociabilité modèle et de la publicisation du dévouement par la doctrine et l’exemple, n’avait été ni ne sera plus exprimé aussi clairement158.
148L’association bretonne ne déroge pas pour autant aux caractéristiques principales du mouvement associatif dont elle participe. Ses statuts, redevables, par leur précision et leur ampleur, de la formation juridique et des ambitions doctrinales de leur auteur, offrent ainsi une image accentuée, mais fidèle, des contours de l’identité exemplaire à laquelle prétendent l’ensemble des associations de secoureurs, au moins jusqu’au tournant du siècle. Si les Hospitaliers Sauveteurs Bretons ne sont pas seulement une société de sauvetage (comme la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés), une société d’assistance mutuelle entre sauveteurs médaillés (comme la Société des Sauveteurs de la Seine), une société d’encouragement au bien (comme la SNEAB), mais un peu de tout cela, c’est qu’ils sont pensés, en premier lieu, comme une « collectivité exemplaire », au double sens de la solidarité active entre les membres, et du regroupement de citoyens méritants.
149Trois objectifs structurent les activités de l’association. Le premier, qui relève des secours en cas d’accident, est de grouper « les sauveteurs et les hospitaliers afin d’accroître leurs forces individuelles par l’association et l’expérience » pour assurer « le secours des sauveteurs aux noyés, incendiés et naufragés, et à toute personne en péril » (art. 9), de mettre « à la disposition du public des boîtes de secours, bateaux, appareils et engins de sauvetage » (art. 10), de délivrer « les soins des hospitaliers, hommes et femmes, aux malades, à domicile et dans les hôpitaux, pendant les épidémies, et, en temps de guerre, aux blessés dans les ambulances et sur les champs de bataille » (art. 11), d’étudier « les projets destinés à porter secours à la vie humaine ou à en rendre les conditions meilleures », « les questions générales d’hygiène, de salubrité, de bienfaisance et de sauvetage », et en récompenser les auteurs (art. 12), enfin de protéger « les animaux contre les mauvais traitements de leurs maîtres, possesseurs ou conducteurs » (art. 13). Traduction individuelle de ce programme, les membres de l’association, qui « assistent le public soit en corps, soit isolément », « doivent se tenir constamment prêts à faire le sacrifice de leur vie pour secourir leurs semblables » (art. 102), s’appliquer « à ne jamais s’écarter de la droiture, de la loyauté et de l’honneur, et à se conduire en hommes de cœur et en bons citoyens », « donner l’exemple du patriotisme », et n’hésiter jamais « à prêter main-forte à l’autorité agissant pour maintenir l’ordre ou réprimer un tumulte » (art. 104).
- 159 Nadault de Buffon H., Les Annales du bien, vol. 2, 1877, op. cit., p. 92.
150Si les hospitaliers bretons prétendent incontestablement à être des secoureurs, le sauvetage qu’ils ambitionnent ne se limite pas pour autant à la personne physique de leurs concitoyens. Le second objectif de l’association est en effet d’offrir l’image de la sociabilité régénérée par laquelle la France pourra assurer son relèvement, c’est-à-dire de raffermir et soutenir « ces vertus publiques et privées, sur lesquelles reposent la prospérité et la sécurité des empires159 ». À cet égard, la société envisage d’abord, très classiquement, de « faire de la bienfaisance un moyen de conciliation entre les différentes classes sociales » (art. 5), d’établir « toutes les fois que l’état de la caisse le permettra, […] une distribution en nature aux indigents de la ville » (art. 156), et « près de chaque Section, Sous-Section et Comité un vestiaire et une lingerie où seront reçus les dons en nature » (Art. 642), activités dont aucune trace n’a été conservée.
- 160 « L’instauration par Napoléon Ier et la remise en vigueur sous Napoléon III du livret ouvrier avai (...)
151Plus largement, les sociétaires, dont les rapports « les uns envers les autres sont ceux de camarade à camarade et de collègue à collègue dont ils prennent et reçoivent le titre sans distinction de classe, de fortune ni de rang […] pratiquent entre eux, avec un caractère plus intime, les devoirs d’assistance auxquels ils sont tenus envers le public » (art. 107), ce qui signifie que « les associés riches se doivent aux associés pauvres », que « ceux occupant une position élevée ou remplissant une fonction publique mettront, dans les limites de leur devoir, leur crédit au service de leurs camarades », et qu’ » il en sera de même pour les sociétaires exerçant une profession libérale ou industrielle » (art. 108). De la sorte, du moins selon les termes de ses statuts, l’association « patronne ses divers membres près des administrations particulières et publiques » (art. 21), et « s’entremet officieusement entre patrons et ouvriers » (art. 22). Elle délivre même, aux « sociétaires exerçant une industrie ou vivant du travail de leurs mains », un « livret de Sauveteur » (art. 37), imité du fameux livret ouvrier remis en vigueur, sans grand succès, par le Second Empire, et destiné à recevoir, outre le résumé des services, « les attestations des chefs de service, des maîtres, patrons et chefs d’ateliers » (art. 468)160.
152Plus largement encore, un réseau d’exigences serrées s’impose aux membres, dont « l’assiduité est l’un des premiers devoirs », afin de « s’apprécier, de nouer des amitiés durables, des relations utiles et de faire naître les occasions de s’assister et de se secourir », puisque « dans un temps d’égoïsme, l’amitié doit devenir l’un des bienfaits de l’association » (art. 654). Une abstention prolongée peut « être considérée comme une démission » (art. 657), et sont projetés, dans chaque section, à nouveau sans traces attestées, une bibliothèque (art. 643), et même un Cercle des Sauveteurs (art. 644). À cette impérative sociabilité d’agrément s’ajoute, avec une rare sophistication, une auto-surveillance instituée des membres les uns envers les autres. Les sociétaires sont tenus tant « de faire connaître les faits honorables, ainsi que les actes de courage, de dévouement, de vertu, d’humanité, de bienfaisance, ou de patriotisme accomplis par leurs camarades », que « les actions de nature à entacher la probité, la délicatesse ou l’honneur, et jusqu’au simple relâchement de conduite ou défaut de tenue imputables à un sociétaire » (art. 110), les articles 838 à 914 énumérant une hiérarchie « pénale » de neuf sanctions (de la lettre de rappel à l’exclusion) assorties d’amendes. Un « censeur », qui « remplit l’emploi du ministère public près du Conseil jugeant disciplinairement ou constitué en tribunal d’honneur » (art. 628), et prévu pour veiller « à ce que les sociétaires observent strictement les devoirs d’honneur, d’humanité, d’hospitalité, de délicatesse et de dévouement qui s’imposent à tout homme de bien, et en particulier aux membres de l’association » (art. 619), parachève cet édifice où la sociabilité associative, au risque de l’utopie disciplinaire, se rêve en expérimentation d’une sociabilité civique exemplaire.
- 161 Les autres publications mentionnées sont Le Livre d’or…, op. cit., ainsi qu’un Almanach des sauvet (...)
- 162 Les annales du bien, Bulletin Officiel de la Société Régionale Libre des Hospitaliers Sauveteurs B (...)
- 163 Sur la couverture du premier numéro se trouvent mentionnés : Alphonse Karr, Paul Feval, Hector Mal (...)
- 164 C’est du moins l’avis du préfet d’Ille-et-Vilaine, en septembre 1882 et en avril 1883, qui stipule (...)
153L’ultime objectif de l’association, et non le moindre en terme de mise en œuvre, concerne les publications envisagées « afin d’assurer son action morale et de propager ses doctrines » (art. 8). La principale est un périodique161, Les Annales du bien, « recueil de bonnes lectures destiné à rappeler à la classe aisée les héroïsmes et les souffrances du peuple et à montrer en même temps au peuple que les actes de courage, d’humanité et de bienfaisance ne sont pas aussi rares qu’on veut bien le lui dire chez les heureux et les privilégiés de la terre ». La publication, de format classique et de réalisation soignée (elle comprend des photos à partir de 1903), dans le droit fil de la longue tradition des morales en action, vise à « exciter au bien par l’émulation de l’exemple », en montrant que « dans notre infortuné pays, si la politique divise, le dévouement attire et la charité rapproche162 ». Paginée en volumes annuels de deux cent cinquante à trois cents pages, et bénéficiant, au moins à ses débuts, du patronage de certains littérateurs célèbres, la revue revendique dès sa deuxième année d’existence près de cinq cents souscripteurs, et se poursuivra jusqu’en 1960163. Il s’agit à coup sûr, bien qu’elle absorbe semble-t-il une part importante de ses ressources, de la plus précoce réussite de l’association, et longtemps de la plus convaincante164.
- 165 La première demande de reconnaissance d’utilité publique est déposée le 6 octobre 1877, et débouch (...)
154Force est d’admettre en effet, comme pour nombre d’autres associations de citoyen secoureurs on l’a dit, qu’en regard des projets contenus dans l’étonnante architecture de ses statuts – secours publics en cas d’accident, pratique active d’un civisme modèle et réconciliateur, publicisation du dévouement par l’exemple –, la société des Hospitaliers Sauveteurs Bretons offre durablement l’image de pratiques plus incertaines, et qui peinent, de 1877 à 1895, à convaincre l’administration républicaine de son utilité publique165. L’espace de la grandiloquence civique et patriotique, confirmation importante pour ce qui deviendra la seconde plus importante association de sauvetage maritime de France, voisine à nouveau étroitement avec celui de son simulacre, même s’il demeure difficile de démêler tout à fait, aujourd’hui encore, la part des appréciations relevant des luttes propres à la conjoncture politique du moment.
- 166 L’essentiel des informations et citations suivantes proviennent du dossier « Hospitaliers Sauveteu (...)
- 167 L’association profite de la politique d’autorisation associative de la République naissante, très (...)
155Deux grands axes de critique des activités de la société émergent des six enquêtes conduites entre 1878 et 1894 par les préfets des départements bretons et vendéens, qui sollicitent les avis de leurs subordonnés d’arrondissement, des maires, des commissaires de police des localités les plus importantes 166 – l’association, autorisée en 1873 pour le seul département de l’Ille-et-Vilaine, ayant étendu ses activités aux départements maritimes voisins des Côtes-du-Nord, Finistère, Morbihan, Loire-Inférieure, et Vendée, et revendiquant également plusieurs délégations régionales, dont Paris, Rouen et le Havre167.
156Le premier axe de critique concerne, on ne s’en étonne pas au vu des convictions du fondateur, la dimension politique et antirépublicaine potentielle du regroupement, que Les Annales du Bien ou les discours d’assemblée ne permettent pas néanmoins de valider clairement, et qui, à toutes les dates, suscite des jugements très contrastés. Le maire de Rennes estime ainsi, en mai 1880, que « cette société fait plus de bruit que de besogne, mais elle poursuit un but utile, compte parmi ses membres des gens fort recommandables ». En juin 1885, l’édile de Dinard-Saint-Enogat, arrondissement de Saint-Malo, se dit quant à lui « persuadé que cette société a été faite dans un but de propagande politique et qu’elle ne remplit point celui contenu dans ses statuts », appuyé par le maire de Saint-Servan qui relève « un fait incontestable et de notoriété publique : […] on retrouve, dans cette société, le même personnel qui fait, au Gouvernement, une opposition ouverte dans toutes les élections qui se présentent ». À la même date, le maire de Paramé affirme n’avoir « jamais eu connaissance que cette société se soit occupée d’autre question que celle de l’assistance », et pense en conséquence « que cette société à des titres à la faveur qu’elle sollicite et que l’opinion publique ne serait nullement hostile à la mesure demandée », soutenu par les avis très favorables et sans restriction de ses homologues de Saint-Lunaire, de Saint-Briac, de Saint-Malo et de Rennes.
- 168 L’inquiétude des préfets de ne pas conclure en des sens opposés vers leur administration de tutell (...)
- 169 Cette somme importante joue sans doute un rôle dans l’avis favorable du préfet d’Ille-et-Vilaine e (...)
157Si la perception des effets politiques de l’association demeure, au vu des résultats contradictoires des enquêtes, très ambiguë pour les préfets concernés168, elle affecte également le personnel politique local. Le député républicain d’Ille-et-Vilaine s’oppose ainsi en 1882 à une demande de subvention au conseil général, qui est soutenue par les conseillers appartenant à « la minorité réactionnaire », avant d’attirer, neuf ans plus tard, l’attention du préfet en faveur de l’association. Sans la reconnaissance légale d’utilité publique, écrit-il, la société des sauveteurs bretons, n’ayant que 40 000 francs en caisse, « ne pourra que végéter et disparaître probablement dans un avenir prochain », faute de pouvoir rentrer en possession de deux legs importants, dont la somme totale s’élève à 110 000 francs169.
158Au-delà de l’enjeu financier, l’évolution de la composition de l’association ne paraît pas, en ce début des années 1890, justifier véritablement de ce revirement. En octobre 1894, après la disparition du fondateur, décédé en 1890 et remplacé par le marchand de meubles Cognerai, chevalier de la Légion d’honneur et chef de bataillon de l’armée territoriale, opposant à la République réel et militant, le commissaire central de Rennes estime une nouvelle fois que « la société des Hospitaliers Sauveteurs Bretons réunit toutes les opinions politiques », bien que « ceux qui sont à sa tête doivent être considérés comme réactionnaires ». Il offre même un décompte approximatif des tendances des cinquante et un membres de la section de Rennes : vingt et un « réactionnaires » et « cléricaux », trois « douteux », cinq « modérés » ou « sans nuance politique », vingt-deux « républicains ». Il considère au final que la politique « est étrangère au fonctionnement de la société, quoique que ces Messieurs aient un grand amour pour les cérémonies religieuses à grand orchestre », et que « vu les services que peut rendre cette société, au sauvetage et à l’assistance mutuelle, la récompense d’utilité publique ne pourrait qu’être bien accueillie par la population maritime », et par les trois mille membres participants.
159Le même fonctionnaire de police est également l’un de ceux qui développe le plus explicitement le second type de critiques émises en direction de l’association, à savoir la nature réelle de ses services et des motivations d’action de ses adhérents. Outre « les hautes relations », « le zèle », « l’intelligence » d’Henri Nadault de Buffon, et les patronages prestigieux qui en découlèrent, relève-t-il, « ce qui surtout fit affluer les membres participants, ce fut une décoration que la société s’attribua et que l’on affirmait pouvoir être portée en public » ; ce qui fait que « la majeure partie des sociétaires se compose d’hommes peu disposés à exposer leur vie pour sauver leurs semblables, mais n’ayant envisagé, en s’inscrivant, que l’éventualité de l’assistance et surtout le désir de se parer d’un ruban », soit environ trois mille membres qui, « bon-an, mal-an, fournissent environ 25 000 francs de cotisations ». En juin 1890, le sous-préfet de Saint-Malo considérait de même que « la société fait appel à la vanité en donnant à ses membres, suivant leur qualité, et leurs versements, une médaille ou une rosette insigne qu’ils ont le droit de porter en public », stigmatisant à son tour le désir identitaire de l’excellence civique sur lequel s’appuie, une fois encore, l’imaginaire du citoyen secoureur.
160Il est vrai que les statuts de l’association, s’ils respectent la lettre de la loi en précisant que « la médaille et les insignes des Hospitaliers Sauveteurs Bretons peuvent se porter en public, à la seule condition de ne pas affecter les apparences d’une décoration et de ne pouvoir être confondus avec les distinctions honorifiques conférées par le Gouvernement français et les Gouvernements étrangers » (art. 136), jouent également des tentations du mérite apocryphe, en envisageant l’attribution de la médaille indistinctement comme récompense (art. 111), et comme signe « obligatoire dans les assemblées et réunions générales et particulières, publiques et non publiques de la Société, aux convois des sociétaires, aux cortèges et aux fêtes données par la Société ou en son honneur, et toutes les fois que cette tenue sera prescrite ou qu’un membre remplira un emploi social » (art. 137). Marque distinctive du groupe en même temps que matérialisation de l’excellence civique, le signe d’honneur des hospitaliers chemine, comme l’association dans son ensemble, dans ce clair-obscur permanent qui s’attache à la figure du sauveteur médaillé au fil de la massification de son imaginaire et de ses usages socio-politiques, courageux et vaniteux, dévoué et menteur, reflétant d’ailleurs, plus qu’il ne le produit, un tropisme honorifique largement répandu et qu’amplifient les multiples décorations créées par les autorités républicaines.
- 170 122 des individus composant l’échantillon (18,8 %) sont de profession inconnue, et 24 (3,7 %) ne s (...)
- 171 Fascicule d’adhésion et de présentation de l’association : « Nos Statuts vous donnent le droit de (...)
161Des six cent quarante-neuf responsables de l’association que détaillent en effet les statuts de 1877, soit alors plus de 40 % des sociétaires revendiqués170, il est juste en effet de relever que plus d’un sur deux dispose déjà d’une distinction officielle, ruban rouge (97), médaille pour Actes de courage et de dévouement (224), croix des Ambulances de 1870 (40), phalange active d’un mouvement qui, sans être réductible à une amicale de décorés, demeure résolument inscrit dans un système étatique plus large de certification et de valorisation identitaire du citoyen méritant. À l’école de la « régénération morale et sociale en excitant au bien par l’émulation de l’exemple et des récompenses171 », comment s’en étonner, l’interdépendance des dispositifs nationaux et des motivations individuelles, pour certaines d’apparence dérisoire, transporte inévitablement sa foire au prestige et son marché de dupes.
162Paradoxe déjà relevé des fondements équivoques de la mobilisation des citoyens secoureurs et de l’aboutissement opérationnel de leur activité, au lendemain de sa reconnaissance légale, la société des Hospitaliers Sauveteurs Bretons s’acheminera vers une véritable institution de sauvetage maritime, la seconde de France derrière la société Centrale de Sauvetage des Naufragés. Dans les années 1930, de Royan à La Rochelle et au Havre, et jusqu’à Paris, elle possède près de vingt-cinq stations de sauvetage équipées d’embarcations adaptées et d’équipages entraînés, en outre d’une trentaine des postes de secours. Elle sera fusionnée en 1967 avec la Société Centrale, ainsi qu’avec la Société Humaine de Boulogne-sur-Mer, afin de constituer l’actuelle Société Nationale de Sauvetage en Mer.
La croix de Genève et l’école du courage : le citoyen secoureur secouriste et sportif au début du xxe siècle
- 172 Les référents précédents, et notamment la mutualité, s’ils sont moins prioritaires, ne disparaisse (...)
163Louée et instrumentée, détournée et imitée, monnayée, saisie par des entrepreneurs associatifs dont les motifs d’action ne lui sont parfois qu’un imparfait hommage, la figure du citoyen secoureur, portée par la célébration civique, la solidarité mutuelle, l’intervention active en cas d’accident, se trouve au tournant du siècle revisitée à la lumière de deux nouveaux référents, qui décideront pour l’essentiel de son destin dans les premières décennies du xxe siècle172.
164Leurs postérités respectives un siècle plus tard, nouvelle complexité pour leur restitution, n’en reflète qu’imparfaitement l’importance relative : le plus commun aux oreilles modernes, le secourisme, est probablement moins structurant jusqu’aux années 1950 que le plus méconnu, le sport utilitaire. À partir de ces deux référents, plus complémentaires qu’opposés, c’est surtout à la réinscription toujours recommencée de l’excellence civique dans des pratiques associative à la visée principalement identitaire, qu’il convient d’attacher la réflexion.
- 173 Gallet L., « Les Secouristes », La Nouvelle Revue, tome lxxxix, juillet-août 1894, pp. 167-173.
165Les « secouristes », comme on l’a noté, et comme le relève l’un d’entre eux en 1894 dans une importante revue généraliste du moment, tiennent leur titre « d’un échevin de Paris, le pharmacien Pia, qui, en 1772, tenta d’organiser le premier service de secours publics en cas d’accidents173 ». La Société des Secouristes Français, créée en 1892 par Ernest de Friedberg, reconnue d’utilité publique en 1898, est l’association qui va populariser l’usage du terme qui est aujourd’hui devenu familier.
- 174 Voir notamment Letouzey et Ane, dictionnaire de biographie française, tome xiv, 1979, p. 1290. De (...)
- 175 Le Secouriste, juin 1921, pp. 3-5. Nous avons dépouillé l’intégralité de la collection de la revue (...)
166Son fondateur, fils de Jeanne de Friedberg, co-fondatrice de l’École Normale Supérieure féminine de Fontenay en 1873, engagé volontaire en 1870, attaché à la Banque de France, enseignant puis inspecteur du travail à partir de 1883, est un républicain patriote, gambettiste, puis boulangiste et membre de la Ligue des patriotes174. Comme le souligne la devise de l’association, Tout pour la Patrie et pour l’Humanité, ainsi que la revue de la société au premier anniversaire de sa disparition, « De Friedberg n’avait qu’une politique : l’amour de la Patrie ; il n’en connu jamais d’autre. C’est pourquoi, sous son impulsion, la Société des Secouristes Français fut d’abord et avant tout une société patriotique, poursuivant un but pratique et humanitaire. […] Car si le côté pratique de l’œuvre l’avait tout d’abord vivement séduit, il ne tarda pas à penser que ce corps d’élite des Secouristes Français devait être appelé à jouer un rôle moralisateur en temps de paix et être en temps de guerre une équipe de fervents patriotes175 ».
167En d’autres termes, sous l’impulsion d’Ernest de Friedberg, soucieux de la Revanche et de pallier les lacunes du service de santé militaire, le citoyen secoureur, sans rien abandonner de son excellence civique, se voit doté de la nouvelle panoplie de « l’infirmier volontaire en temps de guerre ».
168L’initiative connaît un succès rapide : six cent auditeurs en 1893, mille neuf cents membres actifs en 1897, deux mille en 1903, trois mille en 1907, six mille en 1921. Paul Deschanel, Alfred Mezières, Albert Sorel, sont membres honoraires, de nombreux ministres participent aux cérémonies publiques, et l’association obtient en 1905 l’un des premiers prix de vertu de l’Académie française attribué à un collectif. Les ressorts de cette réussite, remarquable au sein de la dynamique associative des secoureurs, loin de renvoyer à la simple médicalisation du geste secourable que lui associe le vocabulaire moderne, sont très révélateurs du croisement et la reformulation des imaginaires sociaux et civiques qui s’engagent dans la dernière décennie du siècle sur la base du secours aux accidentés.
169Bien qu’il en dissimule la continuité historique, en effaçant au cours du xxe siècle la portée générique de la notion de « sauvetage » et de ses dérivés, le « secourisme » naissant s’en présente en effet comme un héritier très direct. L’association est de tous les congrès, de toutes les revues du domaine, et son secrétaire général, après le tournant du siècle, l’employé de la préfecture de police Félix Damico, dont on a largement utilisé ici les écrits, est aussi le plus sûr historien militant de la figure du citoyen secoureur.
- 176 Friedberg E. de, Du secourisme (Éducation médicale des personnes chargées de porter les premiers s (...)
170La stratégie de distinction qu’adopte l’association, tout en préservant de l’amalgame avec un « sauveteur médaillé » souvent moqué, ne vaut donc pas rejet. Elle est d’ailleurs défendue avec retenue, malgré les critiques des autres associations concernant la nouvelle dénomination : « Les Secouristes, en gens modestes, n’entamèrent aucune polémique ; ils se contentèrent de s’instruire et d’accomplir leur devoir en soignant les blessés et en montant des postes de secours. Peu à peu leur nom devint populaire, on trouva qu’il sonnait bien à l’oreille, qu’on comprenait de suite ce qu’il voulait dire : Secouriste, individu qui porte secours à toute personne qui en a besoin. Alors les prêtres, les littérateurs, les artistes […] et la presse tout entière s’emparèrent et du mot et de l’idée. […] Leur souffle puissant emporta à travers rivières et montagnes le nom de Secouristes par delà les frontières de France et apprit aux peuples étrangers que Secouristes Français veut dire savoir, modestie, honnêteté, dévouement176. »
- 177 Le Secouriste, mai 1908, p. 37.
171Permanence symptomatique des référents, en 1908, l’association envisage même sérieusement, comme ses homologues du siècle précédent, de devenir une société de secours mutuels, rejetant finalement le projet afin de ne point perdre son « auréole de dévouement absolu » : « Dévouons-nous, en faisant cela nous contribuons à la grandeur de la France parce que nous-mêmes nous seront devenus des êtres d’une plus haute valeur morale », répondent ainsi au projet mutualiste les dirigeants de la société177. Drapé en secouriste, le citoyen secoureur propose toujours l’excellence d’une identité civique qui, en premier lieu, distingue et valorise, à la mesure de l’exemplarité de comportement qu’elle propose.
- 178 Voir notamment : Guyau J.-M., Esquisse d’une morale sans obligation, ni sanction, Paris, Fayard, 1 (...)
172Les Secouristes Français n’abandonnent rien en effet de la perspective civique associée aux sauveteurs médaillés auxquels ils succèdent. Au tournant du siècle, plus que jamais, ainsi que le montrent on l’a vu les activités de la Société d’Encouragement au Bien ou le regain des fondations de prix de vertu, la notion de « dévouement » s’impose comme le fondement d’une morale sociale rassurante, et qui peut satisfaire à la fois les esprits laïques et religieux. Elle devient même, notamment avec Jean-Marie Guyau ou Alfred Fouillée, philosophe quasi-officiel de la période, le pivot d’une partie de la réflexion philosophique sur la cité178. Plus encore que de celui du courage, c’est de cet étendard que s’emparent résolument les secouristes.
- 179 Funck-Brentano T., La civilisation et ses lois. (Morale sociale), Paris, Plon, 1876 ; L’Homme et s (...)
- 180 Cinquième fête annuelle des Sauveteurs du Dernier Adieu (dont il est président d’honneur), 30 sept (...)
173De manière significative, le président de l’association à compter de 1903, et jusqu’à sa mort en 1906, est ainsi le médecin et essayiste Théophile Funck-Brentano, professeur à l’École Libre des Sciences Politiques à partir de 1873, cofondateur et premier directeur du Collège Libre des Sciences Sociales (ancêtre de l’actuelle Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales). L’engagement secoureur s’inscrit dans la continuité des travaux de ce moraliste éclectique et républicain. En 1895, dans L’Homme et sa destinée, il reprend ainsi la galerie, inchangée sur le siècle, des figures de l’excellence civique : « L’homme martyr de sa foi religieuse, le soldat qui se fait tuer pour sa patrie, le père et la mère qui s’immolent à leurs enfants, le fils et la fille qui se dévouent à leurs parents, l’interne qui se penche sur la gorge de l’enfant diphtérique, le matelot qui se précipite dans l’océan pour sauver son semblable, sont des héros au même titre179. » Presque à la même date, devant l’assemblée générale des Sauveteurs du Dernier Adieu, il réaffirme la continuité, dont participent pleinement les Secouristes Français, entre l’engagement associatif et la promotion politique d’un civisme réconciliateur : « Sociétés de secours mutuels, Sociétés de prévoyance, Sociétés de Sauvetage, sous tous les noms et sous toutes les formes, il semble qu’à mesure que le monde moderne devient plus âpre dans le gain, et que les richesses des uns, les privations des autres s’accumulent, notre chère France se couvre d’associations n’ayant d’autre objet que le dévouement et l’abnégation réciproques. C’est là l’unique moyen, en effet, qui, mieux que tous les rêves politiques, permet de retrouver dans la générosité du cœur et dans l’initiative individuelle la compensation à toutes les illusions qui nous égarent. À mesure que les liens sociaux se relâchent, il faut que l’homme, dans son être moral, grandisse180. »
- 181 Zeldin T., « Les médecins français », dans Histoire des passions françaises 1848-1945, Paris, Poin (...)
174À l’instar de Raoul de Friedberg, l’engagement secouriste de Théophile Funck-Brentano repose d’abord sur l’expression de préoccupations morales, sociales et patriotiques. Le citoyen secouriste adjoint néanmoins à l’imaginaire du dévouement et à l’élévation morale, ce médecin devenu moraliste ne peut y être insensible, une formation accentuée à la technique des premiers soins. À l’heure du renforcement généralisé du prestige des professionnels de la médecine dans la société française, que leur fonction positionne comme « médiateurs entre les classes181 », l’imaginaire médical pénètre de la sorte les contours de l’excellence civique du citoyen secoureur.
- 182 Docteur G. de Beauvais, Des premiers soins d’urgence à donner aux noyés et aux asphyxiés. (Confére (...)
175Accompagnant la visibilité grandissante des médecins dans le mouvement associatif des secoureurs, l’injonction ou l’appel au citoyen dévoué, évolution lente et progressive qui s’annonce à l’aube des années 1890, et dont les Secouristes Français se feront les champions, teinte désormais « le courage inébranlable » de nécessités thérapeutiques : « Lorsqu’après de pénibles efforts et au péril même de votre existence, vous venez de retirer d’un fleuve, d’une rivière, un malheureux qui se noyait, une tâche nouvelle vous incombe, aussi importante que la première, mais plus décisive encore. […] Je ne saurais trop recommander à tout sauveteur, d’avoir toujours sur lui une trousse portative – un sauveteur sans trousse est un soldat sans armes182. » Ammoniaque, éther sulfurique, acide phénique, alcool camphré, vinaigre, perchlorure de fer, eau de mélisse des Carmes, extrait de saturne, chlorure de chaux sec, spatule, plumes d’oie, sonde de femme, paire de ciseaux, pince, bande de linge, épingles, fils cirés, allumettes, amadou, seringue de Pravaz, c’est d’un paquetage qui paraît au dimension des anciennes boîtes de secours dont le citoyen secoureur est invité à se munir…
- 183 Voir notamment l’illustration du Supplément illustré du Petit Journal du 18 juillet 1897, « Manœuv (...)
176Infirmier et non médecin – les Secouristes Français n’ont de cesse, comme d’ailleurs le secourisme moderne, de précisément circonscrire ses prétentions –, le sauveteur devenu bénévole performant de l’accident quotidien est certes médicalisé, mais il est tout autant, jusque dans la bouche de l’homme de l’art, renvoyé au citoyen soldat, dont il imite régulièrement les manœuvres jusqu’au cœur de la capitale183. Le citoyen secouriste, l’assimilation est permanente et inlassablement filée, ne naît pas sans raisons dans la décennie des bataillons scolaires, et d’une scène politique encore meurtrie des fameux Chants du Soldat de Déroulède. Qu’Ernest de Friedberg ait été ou non proche de leur auteur, comme le suggèrent certains de ses biographes, importe moins au total que le transfert des imaginaires civiques, régulièrement esquissé dès les « soldats de la paix » des lendemains de la Commune, mais qui s’impose jusqu’à la collusion avec l’association au brassard frappé aux trois couleurs nationales.
- 184 Friedberg E. de, Du secourisme…, op. cit., pp. 3-4.
177Le fondateur des secouristes martèle en effet le message : « Dans ce siècle de progrès, de vapeur, d’électricité, d’automobilisme, la rue est devenue un champ de bataille où la mort nous guette à chaque pas. » Les machines sont des « voisines brutales, inconscientes, dangereuses, qui n’interrompent pas leur marche mathématiquement réglée parce qu’elles rencontrent sur leur chemin le bras ou même le corps d’un homme », et l’on ne compte plus « ceux des ateliers qui tombent tous les jours, en grand nombre, sur le champ de bataille du travail ». Plus encore, « dans sa propre maison on n’est pas en sûreté, les microbes sont là qui vous guettent, ainsi que les poêles mobiles de voisins imprudents184 ».
178Infinité, variabilité, multiplicité des menaces, la guerre ouverte contre l’accident n’en appelle plus seulement au sauvetage des flammes ou de l’onde ; elle réclame la rigueur martiale d’un art des premiers soins qui devra aussi, le jour venu, savoir se transporter vers les champs de batailles des hommes. Rencontre ultime, singulièrement plus tardive que leurs destins souvent confondus au xxe siècle ne pouvaient le laisser supposer, l’infirmier du temps de guerre et le citoyen secoureur se rejoignent ainsi à l’aube du premier conflit mondial.
- 185 Voir par exemple : Boulimie Dr. P., « Les secours aux blessés en temps de guerre », La nouvelle re (...)
179Beaucoup plus anciennes, les trois associations composant la Croix Rouge française, créées en accord avec l’article 8 de la Convention de Genève de 1864, à laquelle la France est le premier pays important d’Europe à adhérer, avaient jusque là suivies un chemin autonome, congrès, revues, univers associatifs et discursifs des secoureurs du temps de paix et du temps de guerre demeurant strictement disjoints dans l’ensemble de la documentation consultée. Il est vrai que, pour l’essentiel, la Société Française de Secours aux Blessés Militaires (1864), l’Association des Dames Françaises (1879) et l’Union des Femmes de France (1881), se consacrent à l’achat de matériel et à la construction d’hôpitaux185.
- 186 Rousselet A., Les Secours Publics en Cas d’Accidents, op. cit., 1892, p. 79.
180Ce n’est que dans les années 1880, très progressivement, qu’elles s’engagent dans l’instruction des premiers soins, avec un succès assez relatif semble-t-il puisque, « à part certaines séances de gala où l’on vient non pas pour s’instruire mais pour voir le monde ou être vu du monde, les cours ordinaires sont insuffisamment fréquentés, et, malgré le zèle et l’activité des professeurs, on est tout étonné, à part un noyau d’auditeurs ou d’auditrices sérieux, de voir à chaque séance de nouveaux visages ignorants de ce qui a été dit avant et peu soucieux de ce que l’on fera après186 ».
- 187 Archives de Paris (DX6 n° 5). Rapport de l’inspectrice en 1897.
181C’est sur ce dernier objectif cependant, autant que sur le partage des motifs patriotiques et la préparation militaire, que les Secouristes Français, citoyens secoureurs soucieux d’intervention pratique, se révèlent complémentaires des trois associations, pour finalement s’associer à elles sous l’étendard de la croix de Genève en 1908. Les secouristes, dont « la grande majorité des membres actifs appartiennent à la classe ouvrière » note une inspectrice de la ville de Paris en 1897187, transforment la portée symbolique de l’assistance aux blessés militaires, qui revenait prioritairement jusqu’alors à ceux et celles qui ne pouvaient plus ou pas combattre (cadres militaires retraités d’active ou de réserve pour l’essentiel notamment). Une longue entreprise de diffusion d’une autre image du citoyen secoureur commence : non plus seulement sauveteur marin au pesant ciré, soldat du feu au casque brillant, mais brancardier en veste, que son brassard identifie (voir l’illustration n° 26), et qui un jour peut-être saura porter son brancard sous la mitraille, tout en banalisant pour l’heure la silhouette de son dévouement quotidien et accessible à tous sur les estrades ou dans les concours de secours.
- 188 Leiris M., L’Âge d’homme, Paris, Folio-Gallimard, 1992 (1re édition 1939), p. 111.
182L’écrivain Michel Leiris, témoin jeune garçon dans la vaste salle du Trocadéro des « exhibitions des “Secouristes français”, société de secours aux accidentés de la rue », se souviendra plus tard du déroulement des démonstrations : « Un homme avec canne et chapeau entrait en scène, marchant d’un pas rapide ; parvenu à peu près au centre de l’estrade, il s’écroulait brusquement ; deux “secouristes” en tenue de ville mais portant un brassard bleu et rouge (aux couleurs de la ville de Paris) se précipitaient alors ; en un tournemain, ils avaient relevé l’accidenté et l’emportaient vers la coulisse, mettant en œuvre des moyens variables suivants les cas : portage à bras, portage à l’aide de cannes formant brancard, voire transport à deux bicyclettes avec dispositif entre les deux pour faire civière. Dès le moment où le personnage apparaissait sur l’estrade, je prévoyais sa chute (sachant, par l’expérience des précédentes séances, comment le cérémonial se déroulait) et c’était l’attente de cette chute qui le plus m’angoissait188. »
183Avatars démocratisés et urbanisés du sauveteur, à la croisée des imaginaires médicaux et militaires, de l’hygiène publique et de la pédagogie civique du dévouement, les secouristes s’inscrivent dans les premières décennies du xxe siècle dans une relation qui est à la fois de concurrence et de complémentarité avec d’autres incarnations modernisées de la figure du citoyen secoureur. Gymnaste secoureur, secouriste gymnaste, sauveteur sportif : ces dernières appartiennent, de manière une nouvelle fois surprenante pour le regard actuel, à l’univers des pratiques physiques et sportives, dont la formalisation et l’autonomie s’esquissent dès la Monarchie de Juillet, mais dont l’audience sociale et l’institutionnalisation se renforcent considérablement à compter de la Troisième République.
184Autre rencontre, autre entrelacement des imaginaires, qui témoigne une fois de plus de la présence multiforme du secoureur volontaire dans la société française du long xixe siècle, le « sauveteur sportif » va largement contribuer, au moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, à la perpétuation des perspectives associatives de célébration et de promotion du citoyen dévoué et courageux.
185Si elle ne s’établit tout à fait, pour les associations de citoyens secoureurs, comme d’ailleurs pour la pédagogie corporelle, qu’au terme d’un long demi-siècle, au moment même où s’engage la concurrence rapidement évolutive des formes diverses de pratiques physiques et sportives, la continuité du secoureur bénévole formé aux premiers soins et du « gymnaste » est esquissée très tôt.
- 189 Les travaux d’Amoros, dès 1819, connaissent de très nombreuses éditions et rééditions. On utilise (...)
186Dès les années 1820, c’est en effet sur la mobilisation du citoyen secoureur que Francisco J. Amoros fonde, pour partie, la légitimité de l’éducation physique moderne, « science raisonnée de nos mouvements, de leurs rapports avec nos sens, notre intelligence, nos sentiments, nos mœurs », dont « la bienfaisance et l’utilité commune sont le but principal », et les moyens « la pratique de toutes les vertus sociales, de tous les sacrifices les plus difficiles et les plus généreux ». Selon les termes mêmes de ce précurseur incontesté, dont l’influence chemine sur le siècle, l’entraînement corporel trempe l’âme en fortifiant les membres, par « la pratique de tous les exercices qui tendent à rendre l’homme plus courageux, plus intrépide, plus intelligent, plus sensible, plus fort, plus industrieux, plus adroit, plus véloce, plus souple et plus agile, et qui nous dispose à résister à toutes les intempéries des saisons, à toutes les variations des climats ; à supporter toutes les privations et les contraintes de la vie, à vaincre toutes les difficultés, à triompher de tous les dangers et de tous les obstacles, à rendre enfin des services signalés à l’État et à l’humanité189 ».
- 190 Sur ce point voir particulièrement les travaux de Defrance J. On suit ici : « Esquisse d’une histo (...)
- 191 Ibid.
187Noble espagnol précepteur des enfants du roi d’Espagne, rallié à l’occupant napoléonien puis réfugié en France, propriétaire du premier grand gymnase public installé à Paris, le colonel Amoros, de 1818 à 1848, au prix d’une intense activité de démarchage et de propagande, « donne l’impression d’avoir le quasi-monopole du marché de la gymnastique en France190 ». Le premier, bien que s’inscrivant en continuité avec d’autres promoteurs des activités corporelles dès la fin de l’Ancien Régime, il conquiert « un statut officiel, une organisation stable et de grande ampleur » en faveur d’une technique gymnastique qui s’adresse à différentes catégories sociales, dans un même lieu, et qui fournit surtout « la matière première d’un discours sur le consensus social et sa symbolique corporelle191 ».
- 192 Amoros Colonel, Manuel d’éducation physique…, op. cit.
- 193 Ibid., p. 453. On notera que le passage est intégralement cité dans l’ouvrage mentionné ci-dessous (...)
188Le chapitre x de son Manuel d’éducation physique, gymnastique et morale (1838) est à cet égard plus que significatif de la ressource que va représenter la silhouette du citoyen secoureur pour les entreprises pionnières de promotion de l’éducation et de l’entraînement du corps. Il s’agit d’y traiter : « Des actes de bienfaisance et des exercices qui disposent à les exécuter192. » Le parallèle a semble-t-il échappé à l’historiographie récente du domaine, mais Amoros y engage de fait ouvertement ses pas dans ceux du père Béranger et des auteurs de « morale en action », et plus largement des dispositifs de promotion de l’exemplarité civique alors en pleine renaissance : « On peut apprendre à faire le bien comme on apprend à faire le mal, et le courage s’apprend comme la vertu. […] Si vous n’entendez jamais parler des vices de l’humanité, si vous ne voyez que des actes de générosité, de vertu, de justice, de bonté, il sera aussi difficile de vous rendre méchant, qu’il le serait de rendre bon un être entouré de mauvais exemples, entendant toujours de mauvais propos, des mensonges, et ne voyant autour de lui que vices et impuretés193. »
189Si la perspective est étroitement copiée de celle des défenseurs de la politique des bons exemples, elle la complète et la renforce néanmoins d’une injonction de perfectionnement individuel étendue au-delà de l’esprit et des valeurs morales. Pour faire le bien, pour s’approcher de l’excellence civique, les continuateurs d’Amoros au début du siècle suivant n’auront de cesse de le répéter, encore faut-il en être physiquement capable : « Un homme arrivé au plus haut degré de la vertu théorique, mais qui ne peut donner aucun secours à un infortuné, qui verra périr dans les eaux ou dans le feu un de ses semblables sans pouvoir se précipiter pour le sauver, serait un homme imparfait, et sa vertu produirait bien peu d’utilité… L’homme réellement vertueux, selon les principes de mon système d’éducation, sera celui qui, à l’amour du prochain, au désir de faire le bien, réunira le plus de moyens possibles de mettre en pratique ces vertus. »
- 194 Ibid., pp. 454-456.
190Contiguïté et bientôt mélange des dispositifs, Amoros ne prêche pas seulement l’entraînement physique au courage du citoyen dévoué, mais il en pense aussi, une fois encore, la promotion et la récompense. Il plaide ainsi qu’ » un bon système de récompenses pour ceux qui se conduiront bien, qui feront du bien, est aussi important, et même plus, qu’un bon code de punitions », et établit en conséquence, à son tour, « un prix annuel de vertu active, laquelle consiste à faire la meilleure action possible, par des moyens physiques et gymnastiques ». Le prix est attribué par un « Conseil des Justes », lequel est rapidement forcé de doubler la distinction devant la volonté des élèves d’aller, selon le créateur, « aux approches de la distribution des prix, […] pour ainsi dire, au-devant des occasions propres à les faire remarquer par quelque action bienfaisante194 ».
- 195 Les planches du Mémoire pour le gymnase normal militaire et civil fondé et dirigé à Paris par M. l (...)
191Le chapitre, en outre de plus d’une vingtaine d’exercices de transport d’un ou plusieurs enfants, de chaise à porteur, de brancard et de déplacement de blessés195, ainsi que d’un modèle d’exhortation à lire aux élèves pour les convaincre que « ceux qui sont exposés aux dangers d’un incendie, et à tant d’autres si fréquens dans la vie, peuvent avoir besoin de [leur] assistance », se termine par l’évocation de plusieurs des actes récompensés : secours aquatique, transport d’un vieillard inanimé, intervention devant un cheval emporté, etc., non sans ajouter l’exemple, déjà traditionnel, du sauveteur de Vérone affrontant le risque de l’écroulement d’un pont habité dans l’Adige.
- 196 Ibid., tome second, chapitre xxxi, pp. 446 et ss.
192Au chapitre « Natation » du second tome du manuel, d’autres exemples de sauvetages courageux sont également donnés, et renforcent la proximité entre les premiers gymnastes modernes et le citoyen secoureur196.
193L’influence de la perspective d’Amoros, répétons-le, va traverser le siècle, et unir durablement dans les sensibilités et les esprits l’entraînement des corps aux finalités du secours à autrui.
194Gustave Flaubert, pour ne prendre qu’un exemple, en témoigne à sa manière en dressant, vers 1870, l’inventaire des lubies de la modernité au travers des engouements de deux retraités versatiles et désœuvrés, Bouvard et Pécuchet. Motivés à l’entraînement aux secours par la lecture du manuel d’Amoros, ces derniers, entre héritage et anticipation, présentent ainsi au regard historique la convergence structurelle de la pédagogie morale et corporelle et de la figure encore tremblée de l’infirmier secouriste moderne :
- 197 Flaubert G., Bouvard et Pécuchet, 1re édition 1880, chapitre viii.
« Un côté de la gymnastique les exaltait : son emploi comme moyen de sauvetage. Mais il aurait fallu des enfants pour apprendre à les porter dans des sacs, et ils prièrent le maître d’école de leur en fournir quelques-uns. Petit objecta que les familles se fâcheraient. Ils se rabattirent sur les secours aux blessés. L’un feignait d’être évanoui, et l’autre le charriait dans une brouette, avec toutes sortes de précautions197. »
- 198 Le point est souligné et commenté par Lambert J. : Le chirurgien de papier, op. cit., « Résister : (...)
195Plus qu’un détail ou une péripétie, l’accentuation de la portée civique des gestes de secours dans la pédagogie corporelle en traverse l’histoire sur le long terme. Contemporain d’Amoros, le suisse Phokion Henri Clias (1782-1854), ex-militaire et gymnasiarque également important et commenté jusqu’à la fin du siècle, développe lui-aussi une méthode où la capacité physique à surmonter le péril est présentée comme un but premier. En 1895, certains hygiénistes, plus préoccupés d’exercices naturels et modérés que d’endurcissement ou d’affrontement des situations difficiles, lui reprochent encore d’avoir, dans son Traité élémentaire de gymnastique rationnelle, hygiénique et orthopédique (1819), « fait de la gymnastique de sauvetage198 ».
196À l’approche du xxe siècle, la lecture péjorative de la référence au citoyen courageux n’en demeure pas moins fort minoritaire. Alors qu’émerge en matière de pédagogie corporelle l’antagonisme formel entre promoteurs d’un modèle « sportif », d’inspiration anglo-saxonne, résolument individualiste et ouvert aux aspects ludiques et compétitifs, et défenseurs d’une tradition gymnastique, où l’emportent pratiques collectives et préparation hygiénique ou militaire, les tenants des deux grands modèles, du moins jusqu’à l’affirmation complète de la compétition comme modalité parfaitement légitime et auto-suffisante de certains « sports » (peu sensible avant la Première Guerre mondiale), aspirent ainsi concurremment à la formation de sauveteurs potentiels. Constatation déterminante, qui explique que les associations de citoyens secoureurs, poussées à défendre l’attractivité de leur pratique, notamment en direction de la jeunesse avec le rapprochement d’une forme d’entraînement et d’éducation du corps, puissent indifféremment puiser à l’un ou l’autre des grands référents émergents.
197Le plus fameux des interprètes et promoteurs de l’éducation physique de la première Troisième République, le baron Pierre de Coubertin, n’est pas le dernier à inscrire dès le début des années 1890 les pratiques corporelles dans une rhétorique de l’excellence civique étroitement coextensive à celle qui supporte l’imaginaire du citoyen secoureur.
- 199 Coubertin P. de, « La force nationale et le sport », La revue des deux mondes, tome vii, 1902, pp. (...)
198Pour le jeune garçon, affirme-t-il en 1902 dans l’une de ses plus célèbres interventions publiques, en reprenant une expression d’Amoros auquel il renvoie d’ailleurs de manière explicite, le sport est « une sorte de gymnase moral », dont la vertu moralisatrice ne se limite pas aux « saines et viriles distractions, propres à occuper l’imagination et à pacifier les sens », mais s’impose en tant qu’école de qualités « telles que le courage, la hardiesse, le sang-froid, la patience, que sa pratique peut acclimater chez l’individu199 ».
- 200 Ibid., pp. 922-923. La doctrine de Pierre de Coubertin, dès la fin de la décennie 1880, s’impose c (...)
- 201 Ibid., p. 922-924.
199Selon ce ferme partisan de la perspective anglo-saxonne, « le sport est une excellente préparation physique au service militaire », mais il est d’abord un lieu décisif pour « un apprentissage social plus propre, dans les temps actuels, à servir les intérêts de la démocratie que ceux de l’armée », en favorisant par la sociabilité associative qui le supporte nécessairement « des habitudes de libre appréciation, un sentiment d’égalité, des tendances à la coalition et à la discussion qui ne sont pas utilisables dans l’armée et peuvent parfois faire obstacle à la militarisation totale de l’individu200 ». Le sportif exemplaire de Coubertin, citoyen avant que d’être soldat, préservé par « l’influence d’un honnête club de football ou d’une société d’escrime ou de courses à pied » de la fréquentation « d’une Bourse du travail, d’un cercle collectiviste ou même d’un de ces cénacles où l’anarchisme se dissimule sous les reflets d’un intellectualisme raffiné », est un individu courageux sans être vindicatif, conscient de l’utilité d’abord personnelle de sa préparation corporelle, et qui « citoyen éclairé dira à son fils : […] au lieu de grimper à une corde lisse dans un gymnase, tu vas accrocher celle-ci à la grille de ma fenêtre et descendre nos deux étages promptement, comme si tu avais à t’en aller d’une maison en flamme201 ».
- 202 Coubertin P. de, La gymnastique utilitaire (sauvetage, défense, locomotion), Paris, Alcan, 1905, p (...)
200Utilité sociale, utilité personnelle, la préservation contre l’accident, comme l’indique plus clairement le sous-titre du manuel dans lequel Pierre de Coubertin résume sa doctrine en 1905, La gymnastique utilitaire (sauvetage, défense, locomotion), s’impose comme l’un des trois principaux piliers de la pratique sportive moderne. Sauveteur potentiel de lui-même, le jeune garçon « débrouillard » est ainsi un secoureur en puissance puisque, « grâce aux exercices sportifs, […] il arrivera à ne se sentir jamais embarrassé en face d’un sauvetage à accomplir, de sa propre défense à assurer, d’un effort à fournir ou d’un moyen de locomotion à utiliser202 ».
- 203 Vaux baron de, Le sport en France et à l’étranger (silhouettes sportives), tome i, Paris, J. Roths (...)
201Au tournant du siècle, le sportif accompli, comme le relève le baron de Vaux dans Le sport en France et à l’étranger, à l’exemple du président de la République Félix Faure, « homme de sports, qui a concentré à leur service toutes les facultés d’un esprit supérieur », est un citoyen secoureur de vocation : il est capable d’aller « tout habillé, en nageant, d’une rive à l’autre de la Loire », mais aussi de sauver « par une mer fort mauvaise, une jeune fillette qui, tombée accidentellement du bateau de plaisance où elle se trouvait, en compagnie de M. Félix Faure, se serait infailliblement noyée sans l’aide du président203 ».
- 204 Sur toutes ces informations, voir : Ministère du Commerce, de L’Industrie, des Postes et des télég (...)
202La plus spectaculaire expression du renouvellement par le sport et les sportifs de l’exemplarité civique du secours courageux est très certainement l’une des compétitions auxquelles le patronyme de Pierre de Coubertin est resté attaché, à savoir les Concours nationaux et internationaux d’exercices physiques et de sports de l’Exposition Universelle de 1900, considérés comme les seconds Jeux Olympiques de l’ère moderne. Membre, au titre de secrétaire général de l’Union Française de Sports Athlétiques, de l’imposante commission d’organisation (soixante-dix-sept membres) mise en place en septembre 1894, le baron de Coubertin siège en effet aux côtés du sénateur Gomot, président des Sauveteurs de la Seine, de Gabriel Goudeau, secrétaire général de la même association, ainsi que du député Boucher-Cadart, président de la Société Française de Sauvetage, et bientôt responsable de l’un des dix concours retenus, celui de « Sauvetage204 ».
203Organisé sous la responsabilité du colonel commandant le régiment des sapeurs-pompiers de Paris, de neufs autres représentants des organismes des soldats du feu, de l’inspecteur de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, d’un représentant de chacune des trois sociétés de la Croix-Rouge française, et d’une quinzaine de membres des associations de citoyens secoureurs (dont l’ingénieur Cacheux et le professeur Funck-Brentano), ce concours marque une avancée décisive dans la rencontre des imaginaires de l’éducation corporelle et sportive et du dévouement courageux. Cette vaste manifestation, à l’image des diverses déclinaisons de la figure du citoyen secoureur, est structurée en trois sections distinctes : « Concours international de manœuvres de pompes à incendie » ; « Concours international de Sauvetage sur l’eau » – comprenant les spécialités de « Sauvetage par embarcation », « Engins de fond » (mannequin repêché à la gaffe), « Engins flotteurs » (lancement de bouée), « Sauvetage par natation » (tenue de ville et de mer, mannequin, vitesse, secours aux noyés et transport) ; ainsi que le premier « Concours international de premiers secours aux blessés civils et militaires ».
- 205 Tijou E. (président de l’Œuvre des Enfants Sauveteurs), Rapports…, op. cit., tome ii, p. 97.
204Si les compagnies de sapeurs pompiers se retrouvent dans la première section, déjà traditionnelle, près de vingt-cinq associations françaises se confrontent dans les deux autres. La section de sauvetage sur l’eau, à laquelle participent deux sociétés anglaises, confirme que « tous ceux qui ont pris part à ce concours étaient des braves », et qu’il est légitime pour tous les citoyens de la République d’ » être fiers qu’ils soient Français, car les peuples qui possèdent de tels hommes ne sont pas en décadence et peuvent avoir foi dans l’avenir205 ». Certes, le concours de natation habillée et chaussée, opposant plus de mille participants, est remporté par un nageur anglais, « mais il faut ajouter que ce dernier s’était préparé d’une façon toute particulière, et, en vue de ce concours, vêtu d’un complet en soie blanche et chaussé de bottines légères, il n’a pas été gêné par ses vêtements, alors que les autres concurrents s’étaient vêtus avec des effets de toile ou de drap, avec poches, et doublés, ce qui a retardé leur course ».
- 206 Ibid., pp. 100-102.
205La compétition en conditions normalisées n’est pas la préoccupation première des organisateurs. Ils consacrent ainsi plus de la moitié du budget de trente-quatre mille francs aux « prix et diplômes », et organisent comme apogée de la compétition « un exercice général dans lequel tous les bateaux de sauvetage se portaient au secours d’un bâtiment marchand monté par cinquante hommes et chargé de marchandises206 ». Mise en scène de l’excellence civique des secoureurs plus que réel affrontement de performances « sportives », la manifestation reste à l’image du mouvement associatif qu’elle mobilise.
206Il en est d’ailleurs de même pour la troisième section, où près de trois mille concurrents se départagent en exercices de « revue du matériel », de brancards avec et sans obstacles à franchir, et de voitures. « Jamais pareille assistance de sauveteurs ne s’était réunie » relève le rapporteur, convaincu que cette dernière série d’épreuves a établi que « les sociétés de sauvetage et d’ambulance se sont perfectionnées », qu’elles sont « aptes à donner des soins éclairés aux blessés civils et militaires », et que « devant leur succès elles vont […] continuer dans la voie du bien, de l’honneur et du dévouement à l’humanité ».
207Sportif sauveteur ou secouriste sportif, spectacles mêlés du corps et du dévouement, du muscle et du brancard, de l’individu courageux et de l’ambulance organisée, la conjonction doctrinale et imaginaire dans laquelle se fond le mouvement associatif des citoyens secoureurs avec le xxe siècle va trouver en définitive son expression théorique la plus stable dans la notion de « sports utilitaires ».
- 207 Spivak M., Éducation physique, sport et nationalisme en France du Second Empire au Front Populaire (...)
- 208 Cité dans Andrieu G., L’Homme et la force (Des marchands de la force au culte de la forme, xixe et (...)
- 209 La formule est en épigraphe de : Hébert G., L’Éducation physique, virile et morale par la méthode (...)
208Outre de Pierre de Coubertin, inventeur littéral et propagateur de la formule, c’est de Georges Hébert, innovateur médiatique, célébré « de l’Action Française à Jaurès », qu’elle tire, au moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, une part importante de son succès207. Ce lieutenant de vaisseau, ayant de peu échappé à l’irruption de la Montagne Pelée en 1902, confessera « le sentiment de solidarité humaine » l’ayant empêché « d’éprouver la moindre satisfaction d’avoir échappé au destin fatal208 ». Inventeur de « la méthode naturelle », qui vise à reconstituer « le degré de développement musculaire et organique » propre à l’homme des « peuplades primitives », il construit durant la première décennie du siècle un ambitieux programme, dont s’inspirera le bataillon sportif de Joinville, sur un objectif et une devise : etre fort pour être utile209.
- 210 Hébert G., Le code de la force, Paris, Lucien Laveur, 1911, p. xvii. De même : Ma leçon-type d’ent (...)
209Retrouvant une fois encore la perspective d’Amoros, dont il fait l’un des « deux grands noms » de l’éducation corporelle, Georges Hébert la poursuit et l’amplifie vers une éducation physique qui soit « l’école de l’énergie », parvienne à « élever le moral et faire naître de nobles sentiments », et exalte « au plus haut point les sentiments de bienfaisance, de devoir, de dévouement… des sujets qui lui seront confiés210 ».
- 211 Hébert G., Le sport contre l’éducation physique, Paris, Vuibert, 1925, pp. 12-13 et 31.
- 212 Hébert G., L’éducation physique, virile et morale par la méthode naturelle, op. cit., p. xvi.
210Plus qu’un vocabulaire, c’est une visée intégralement empreinte de l’imaginaire secoureur qui passionne alors les cercles de l’éducation physique, qui met en garde contre une « culture purement corporelle », et qui assume la nécessité « de subordonner tout l’acquis, physique et viril, à une idée morale dominante : l’altruisme211 ». L’homme fort d’Hébert est un autre sauveteur-né, le plus proche assurément de l’univers du dévouement courageux dans lequel cette doctrine, en dehors de l’institution militaire qui « a copié la lettre de la méthode naturelle sans en saisir l’esprit212 », va trouver au final le principal support pour s’épanouir.
211C’est à un autre professeur d’éducation physique, Raymond Pitet, le dernier entrepreneur associatif important des citoyens secoureurs au xxe siècle, que Georges Hébert, qui n’a semble-t-il pas entretenu de rapport personnel direct avec le mouvement, va devoir l’étonnante postérité de sa perspective. Rien moins qu’anecdotique, cette dernière trajectoire doctrinale et associative a, pour l’histoire du militantisme moral en faveur de l’excellence civique, valeur de confirmation.
- 213 Elle édite le bulletin Préserver et sauver, revendique près de 50 000 licenciés, et continue d’org (...)
212Raymond Pitet (1872-1959) fonde en effet en 1899 l’Association Nationale des Sociétés de Natation et de Sauvetage, qui devient Fédération Nationale de Sauvetage à compter de 1906, et depuis 1973 Fédération Française de Sauvetage et de Secourisme, toujours en activité213. Il présente surtout, dans son parcours biographique, une trajectoire parfaitement homologue de l’archétype social dont il s’est fait sa vie durant l’inlassable promoteur.
- 214 Académie Française, Rapport sur les prix de vertu, 1902.
- 215 Ibid., pp. 61-62. Henry Houssaye (1848-1911), fils du poète et également académicien Arsène Houssa (...)
213Natif du Havre, sauveteur à 30 ans de « dix-huit personnes, tant dans les incendies qu’en se jetant à la mer214 », professeur d’éducation physique au Lycée Charlemagne à Paris, puis aux écoles primaires de Neuilly, récompensé d’un prix de la ville du Havre en 1892, du prix Henri Durand de Blois de la Caisse des Invalides de la Marine en 1898, Raymond Pitet obtient en 1902 le prix de vertu de la fondation Lange de l’Académie française. C’est la première fois qu’un sportif courageux est récompensé sous la coupole mais le rapporteur, témoignant un intérêt nouveau pour les aptitudes physiques des méritants, relève : « Il n’a rien d’un athlète. À voir sa taille mince, son aspect presque frêle, son allure timide, ses yeux très doux, qu’on dirait plutôt d’un professeur de langues ou de géographie que d’un professeur de gymnastique, j’étais tenté de lui demander : “Est-ce bien vous le sauveteur ?” C’est un modeste. Il tient tout ce qu’il a fait pour la chose la plus naturelle du monde. Il semble qu’en sauvant ses semblables, il accomplisse une fonction naturelle. Comme je le questionnais sur les sentiments qu’il avait éprouvés après son premier sauvetage, il m’a répondu : “Je ne sais pas bien. Cela m’a fait plaisir, et ça m’a donné l’envie de recommencer215.” »
- 216 Pitet R., L’ABC du sauvetage et du secourisme, Paris, F.N.S., 1957 (10e édition), page de garde.
- 217 Raymond Pitet, envoyé par le ministère de la Guerre, participe en 1911 et 1913 à des missions de s (...)
- 218 Raymond Pitet décède en 1959, laissant une collection de plusieurs dizaines de milliers d’ouvrages (...)
214Mérite moral, technique de natation plutôt que capacités corporelles au-dessus de la moyenne, le jeune sauveteur incarne déjà un sportif qui tient moins du champion que du militantisme civique. Il n’aura d’ailleurs de cesse de le répéter : « Le sauvetage n’est pas à considérer seulement comme un acte de bravoure puisqu’il réclame une préparation qui en fait un excellent moyen d’enseignement technique, physique et moral de grande valeur culturelle autant que corporelle pour la formation de la jeunesse. […] Qualités du sauveteur-secouriste : esprit de sacrifice – courage – sang-froid – valeur physique et connaissances techniques – courage sans témérité216. » Inlassable, secondée par un engagement militaire de premier ordre avant, pendant et après la Première Guerre mondiale217, l’activité de Raymond Pitet durant près d’un demi-siècle culmine avec son accession en 1949 au grade de commandeur de la Légion d’honneur, décoration remise par Vincent Auriol, président de la République, à l’occasion du cinquantenaire de la Fédération Nationale de Sauvetage218.
- 219 Terret T., Les défis du bain. Formes de pratiques, modèles et résistances dans les processus de di (...)
215À compter des années 1920 néanmoins, dès lors que s’institue la Fédération Française des Sociétés de Natation et de Sauvetage (FFNS), ancêtre direct de la Fédération Française de Natation, un long conflit de légitimité et de redéfinition des finalités des pratiques natatoires s’engage. Thierry Terret en a bien décrit le mécanisme : « Certes, la natation demeure encore très présente en pratique dans les fêtes nautiques des sociétés de sauvetage, mais il n’en est pas de même dans les réunions plus officielles et les championnats, dans lesquels sont préférées joutes ou épreuves de sauvetage. […] Et comme, par ailleurs, les épreuves de sauvetage, de la FFNS cette fois, ne sont guère appréciées par les spectateurs qui viennent voir les vedettes connues de la natation, du plongeon et du Water-polo et que la participation des clubs est chaque fois plus faible, l’accord de 1938 qui intervient entre les deux fédérations, ne fera qu’entériner un état de fait issu de la rupture219. »
- 220 Voir notamment : Fédération Internationale de Natation (amateurs), Fédération Française de Natatio (...)
- 221 Drigny, Le miroir des sports, 57, juillet 1921, (cité par Terret T., op. cit., p. 599). La Fédérat (...)
216Les sportifs utilitaires, qui signent en 1935 un accord avec le Club Alpin Français pour le sauvetage en montagne, se sentent au final moins nageurs que secoureurs, et la centaine d’associations affiliées en 1925 à la fédération Pitet s’inscrivent ouvertement, telle la Société de Sauvetage et de Joutes de Givors, créée en 1886, dans la continuité du mouvement du mouvement mutualiste et associatif des sauveteurs du siècle précédent220. Critiqué par les partisans d’une natation plus compétitive, qui dénoncent ses « retentissants défilés avec uniformes et médailles, la natation n’entrant que pour une bien faible part dans les exercices portés au programme des fêtes annoncées à grand renfort de publicité221 », le sport utilitaire, recentré sur la natation habillée, le sauvetage et les joutes, garde pour lui l’ambition et la devise d’Hébert :
- 222 Présentation de la FNS dans : Pitet R., Recherches sur les origines du sauvetage, des secours et d (...)
« C’est ce travail du sauveteur sur soi-même, cet accomplissement de ses possibilités, ce dépassement toujours recherché que la FNS s’efforce d’inculquer, qui lui permet de revendiquer hautement pour le sauvetage le droit au nom de SPORT. Plonger pour aller rechercher un noyé au fond de l’eau, le remonter et le sortir, puis le ramener à terre, lancer une bouée ou un cordage, arrêter en pleine course un cheval emballé, se jeter à travers les flammes et la fumée pour dégager des enfants, femmes, vieillards bloqués par l’incendie, autant d’actions où s’exprime le caractère essentiel du sport, la lutte contre un obstacle, contre le temps, contre soi-même parfois. Que le sauvetage s’effectue dans l’eau, le feu, les accidents du travail, mines, montagnes, inondations, éboulements, rien n’est possible au sauveteur, même animé d’un grand courage et possédant les qualités techniques, s’il n’a les qualités physiques indispensables d’agilité, force, adresse, réflexes et endurance, sang-froid et présence d’esprit, qui seules peuvent permettre l’exécution222. »
- 223 Sur cette problématique : Corbin A., « Le secret de l’individu », dans Aries P.et Duby G., Histoir (...)
217D’Amoros à Hébert, sur un long siècle, le secours aux blessés comme l’éducation corporelle mêlent leurs imaginaires à celui de l’acte de secours courageux, inventent des pédagogies et des pratiques, revendiquent et renouvellent l’excellence civique d’un citoyen secoureur inlassablement revisité. Repris par les associations de secoureurs, ces grands pôles de représentations et de doctrines, à l’exemple de l’éducation physique et des sports en général, transportent l’ambiguïté d’une éducation simultanée à la « rectitude », posturale, disciplinaire, et à l’auto-gouvernement de libres volontés, éducation de l’énergie, des « forts », des courageux. Mieux que d’autres, les associations de secoureurs, soutenant la perception d’une identité personnelle valorisée, favorisant l’accès à l’excellence par nature équitable du civisme réalisé, pointent que derrière la domestiquation, « un sourd mouvement de libération suit en contrepoint l’histoire des dressages223 ».
218Alors, la brouette de Bouvard et Pécuchet, anecdote et ridicule, ou trace du désir croissant, en allant vers le xxe siècle, des convergences du ludique et de l’utile, du corps et de la morale, du travestissement et du perfectionnement de soi ? Epiphénomène que l’instruction secouriste, dont on pourrait montrer la permanence à peu prêt in-entamée à l’aube du troisième millénaire ?
- 224 La première approche est celle de Elias N. Voir notamment : « Sport et violence », traduction orga (...)
219Rien ne révèle mieux sans doute les pièges de l’anachronisme et de la cécité historique à l’égard de l’univers du citoyen secoureur que ces référents tardifs, dont « le sauvetage comme sport », le plus étrange probablement aux yeux de notre contemporain, n’est pas le moindre, quand bien même il puisse répondre aux définitions savantes et socio-historiques relativement antagoniques du sport comme « forme de combat qui donne du plaisir sans choquer la conscience » – le sportif utilitaire parvenant même à l’improbable alliance de l’agon et du renforcement de la bonne conscience morale –, ou du sport comme « indissociable de la sociabilité sportive » et soumis à « la diversité et l’hétérogénéité de ses manifestations », « de la simple réunion familiale ou domestique (les intimes) au rassemblement de personnes nouant entre elles des relations conviviales et affinitaires, puis à l’association légale qui formalise les rapports humains sur la base d’un code des droits et des devoirs224 ».
220Ce n’est bien entendu au final pas de donner raison ou tort à Raymond Pitet, à ses devanciers et successeurs, qui importe, mais simplement de prendre acte d’une permanence, preuve de la continuité et de la vitalité du regroupement que l’on a envisagé au fil du présent chapitre, preuve de la diversité de ses visages, de ses enjeux, des motivations de ses promoteurs, mais également de sa profonde cohérence sur le long terme, de l’appropriation populaire de l’excellence civique des secoureurs, et du constant renouvellement des procédures sociales de leur célébration.
Notes
1 Pierre Arnaud est l’auteur d’une thèse d’État, Le sportsman, l’écolier, le gymnaste, Université Lyon 2, 1986, dont une version synthétique a été publiée : Le militaire, l’écolier, le gymnaste (Naissance de l’éducation physique en France 1869-1889), Paris, PUL, 1991. On utilise ici : Arnaud P., « De l’eau vive à l’eau domestique : les usages sociaux de la natation et l’apparition de la natation sportive à Lyon au xixe siècle », dans La ville et le fleuve (112e congrès national des Sociétés Savantes, Lyon, 21 au 21 avril 1987), Paris, Éditions du C.T.H.S., 1987, pp. 217-252.
2 Une réactivation de cet imaginaire dans un essai récent : Lacroix M., Le courage réinventé, Paris, Flammarion, 2003.
3 Neveu E., Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 1996, p. 82. Sur la notion de « mobilisation » et ses lectures sociologiques voir plus largement : Offerlé M., Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 1994 ; Lacroix B. ; « Ordre politique et ordre social. Objectivisme, objectivation et analyse politique », dans Grawitz M., Leca J. (dir.), Traité de science politique, Paris, PUF, 1985, tome i, pp. 506-507.
4 On renverra aux travaux historiographiques ayant été inspirés, au moins pour partie, par la perspective de l’histoire des mentalités. Pour une présentation générale, à la fois descriptive et soucieuse des représentations socialement construites : Delumeau J. et Lequin Y., Les Malheurs des temps : histoire des fléaux et des calamités en France, Paris, Larousse, 1987. Sur le long terme des conditions sociales du rapport au danger : Halperin J. « La notion de sécurité dans l’histoire économique et sociale », Revue d’histoire économique et sociale, 1952, xxx, pp. 7-25 ; Febvre L., « Pour l’histoire d’un sentiment : le besoin de sécurité », Annales ESC, 1956, 11, pp. 244-247 ; Delumeau J., Rassurer et protéger. Le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois, Paris, Fayard, 1989.
5 Pour les principaux, qui sont utilisés tout au long de cette partie (voir la bibliographie générale pour l’ensemble des sources) : Voisin A. (dr.), Note sur l’Organisation du Service des Secours Publics dans le département de la Seine, Paris, Pougin, 1878 ; Goelzer Ph., Historique de la Société des Sauveteurs de la Seine, Paris, Wattier, 1879 ; Rousselet A., Les Secours Publics en Cas d’Accidents, Paris, Société d’Édition Scientifique, 1892 ; Damico F., Secours aux Noyés, Asphyxiés et Blessés. (Organisation du Service à Paris et dans le département de la Seine 1740-1894), Paris, Baillière et Fils, 1895, ainsi que La Médaille d’Honneur des Sauveteurs et la Médaille des Secouristes (Étude Historique), Paris, Augustin Challamel, 1905 ; Grunberg J., De l’organisation des secours aux blessés dans les grandes villes. (Les ambulances urbaines de l’hôpital St-Louis), thèse de médecine, Paris, Société d’Éditions Scientifiques, 1897 ; Journaux L., Historique des Sociétés de Sauvetage, Sceaux, Charaire, 1904. Dans les plus récents : Pitet R., Recherches sur les origines du Sauvetage, des Secours et de la Protection des Populations Civiles, Paris, Louise-Raymond Pitet, 1972 (mentionne Pia de manière cursive, ce qui est cohérent avec sa perspective dominée par l’entraînement physique) ; Gaudron G., Messagers de l’espoir, s.l., Union Régionale des Sapeurs-Pompiers de Midi-Pyrénées, 1984 (qui mentionne seulement Pia dans son tableau synoptique sur la chronologie, mais ne lui accorde pas de notice).
6 Sur l’interprétation présentée, la bibliographie citée de l’époque ou celle d’histoire des techniques médicales s’y rapportant, on renverra à : Brullard P., Larcan A., « Histoire des idées et développement de la réanimation respiratoire au xviiie siècle », « Histoire des gestes et des techniques de réanimation au xviiie siècle », « Remarques concernant la prévention, la notion d’urgence et l’organisation des secours au xviiie siècle », Histoire des Sciences Médicales (Organe officiel de la Société Française d’Histoire de la Médecine), tome xiii, 1979, pp. 251-260, 261-270, 271-278 (bibliographie p. 275-278).
7 D’origine bourgeoise, né à Paris le 15 septembre 1721 d’un père apothicaire qui, « par une conduite régulière, avait acquis de l’aisance », il reçoit une éducation soignée. Il sert en Allemagne comme pharmacien en chef de l’armée française, puis revient à Paris pour suivre l’école de médecine. Nommé maître en pharmacie en 1744 il exerce 24 ans cette profession, avant d’être élu échevin de la ville en 1770. Il meurt le 4 mai 1799, peu de temps après avoir donné sa démission d’administrateur des hôpitaux de Paris. Voir par exemple Michaud, Biographie Universelle, Ancienne et Moderne, Paris, C. Desplaces, 1861…, tome xxxiii.
8 Pia Ph.-N., Détails des Succès de l’Établissement que la Ville de Paris a fait en faveur des Personnes Noyées. (Avec les différentes instructions qui y sont relatives, et la manière dont on doit faire usage des objets contenus dans la Boîte où se trouvent réunis les principaux secours qu’on doit administrer aux Noyés. On y a joint une notice chronologique des différents Ouvrages publiés sur cette matière depuis 1700), 7 brochures in 12° et un supplément, Amsterdam, se trouve à Paris chez Lottin l’aîné, 1773-1781. Brochure de 1773, p. 54.
9 Outre les Détails des succès…, dont la nature est composite (à la fois médicale et institutionnelle), il est l’auteur de deux ouvrages thérapeutiques : Avis patriotique concernant les personnes suffoquées par la vapeur du charbon, Paris, Veuve Thibout, 1776 ; Manière méthodique d’administrer aux noyés les secours qui peuvent leur être utiles pour les rappeler à la vie lorsqu’ils paraissent l’avoir perdue, pourvu qu’il reste en eux un principe d’existence quelconque, quand même il ne serait pas évident, Paris, Auguste-Martin Lottin, 1778.
10 Pour le détail du débat voir Le Mercure, août 1772, p. 183, novembre 1772, p. 181. Les deux lettres sont reproduites pp. 74 et 86 du volume i du Détail des succès.
11 Antoine Portal (1742-1832) confirmera par la suite la brillante carrière d’homme de science et de praticien ainsi commencée. Anobli par Louis XVI en 1785, il traverse sans encombre la Révolution, obtient de l’Empire des armoiries et le grade de chevalier de la Légion d’honneur, devient Premier Médecin de Louis XVIII en octobre 1818. Il convaincra ce dernier de créer l’Académie royale de médecine (1820), dont il deviendra président d’honneur perpétuel. L’inégalité des statures en présence permet de comprendre qu’à l’exception des prosélytes des secours de la fin du xixe siècle, le baron Antoine Portal soit généralement considéré comme le principal novateur en matière de réanimation. Voir notamment : Lambert J., Le chirurgien de papier (études d’histoire et de philosophie de l’hygiène), doctorat d’État, Université de Grenoble III, 1991, note 94, p. 566.
12 Détails des succès, op. cit., vol. iv, pp. xix-xv, xxx et ss.
13 « Plus tard (1816), il en conseillera cependant l’emploi en en rappelant les dangers ». Brullard p., Larcan A., op. cit., p. 265.
14 Pia Ph.-N., Description de la Boîte-Entrepôt pour le Secours des Noyés, Paris, Lottin, 1775, 16 pages et 2 planches.
15 On pourrait en décrire le rôle comme « non-humain » dans la terminologie développée par l’anthropologie des sciences, et en particulier par les travaux de Bruno Latour. Latour Bruno, Nous n’avons jamais été modernes. (Essai d’anthropologie symétrique), Paris, La Découverte, 1991.
16 Détails des succès, op. cit., vol. i, p. 4.
17 Voir sur ce point les remarques de Brullard P. et Larcan A. (op. cit., pp. 271-274 en particulier), selon lesquels « la notion d’urgence à porter secours reste une notion inconnue jusqu’au milieu du xviiie siècle », et n’apparaît progressivement que dans le dernier tiers de ce siècle.
18 Détails des succès, op. cit., vol. i, p. 44.
19 Ibid., vol. i, p. 6, 8, 54-55, etc. Il précise que généralement on ne sort pas le noyé de l’eau, et qu’il reste attaché à un bateau, sur le bord, pieds et jambes dans l’eau, ou même tête et tronc, jusqu’à l’arrivée de l’officier de justice.
20 Le mot est accueilli pour la première fois dans son sens moderne (encore qu’explicitement relié à la Société des Secouristes Français) dans le Nouveau Larousse Illustré tome vii (octobre 1904), avant d’être repris en 1912 dans le Larousse de poche. Il n’était associé jusque-là qu’à des sectes jansénistes, dont certaines seront désignées par le terme même, sectes qui se firent connaître par leurs mortifications sur la tombe de François de Pâris, diacre éminemment pénitent et vertueux enseveli dans le charnier des pauvres en 1727 : « les femmes surtout, se mirent à dévorer la terre située sous la dalle tombale de Pâris, à se faire tordre les seins, à se faire piétiner et fouler par des garçons vigoureux nommés les secouristes, à se faire frapper de coups de bûche ». Hillairet J., cité par Retif A., « Histoire étrange du mot “Secouriste” », Vie et Langage, n° 217, avril 1970, pp. 223-227. L’auteur signale une citation de Lecomte J. (le Monde Illustré, sept. 1857), qui affirme que les sauveteurs de la plage de Dieppe portent sur leur chapeau le mot doré de « secouriste », ainsi que l’erreur de Bloch O. et Von Wartburg W. (Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, PUF, 6e édition 1975), erreur reprise dans le Grand Robert de la langue française (tome vii, 1975, p. 661), qui donnent pour le vocable « secouriste » la date du Complément du dictionnaire de l’Académie (1836), où il ne figure pas.
21 La première occurence d’après notre dépouillement se trouve seulement dans le volume iii publié en 1775 (p. 202). Pia n’emploie évidemment pas non plus le terme de « sauvetage » et ses dérivés, dont l’apparition est bien postérieure.
22 Reproduit dans le Détail des succès…, op. cit., vol. 1, pp. 66-67.
23 Ibid., vol. iv, p. 199.
24 Lettre au Mercure déjà citée, reproduite dans ibid., vol. i, p. 86 ; vol. ii, 1774, pp. 114-115 ; vol. iii, 1775, pp. 10-12 ; vol. iv, 1776, pp. ix et xi.
25 « Délibération portant qu’il sera distribué des médailles d’argent à ceux qui se seront distingués dans le secours des noyés. Du jeudi quatorze octobre mil sept cent soixante dix-neuf », Archives Nationales, H. 1878, « Registre du Bureau de la ville de Paris ». Reproduite dans Commission Municipale du vieux Paris, « Type de médaille offerte au xviiie siècle aux personnes qui sauvaient des noyés », P.V. année 1903, pp. 113-114.
26 Ibid.
27 Voir surtout Damico F., La Médaille d’Honneur des Sauveteurs et la Médaille des Secouristes (Étude Historique), op. cit., 1905.
28 « Il est intéressant de considérer l’histoire des gestes et techniques proposés, utilisés, répandus et de constater que souvent ils sont assez proches des gestes que nous utilisons aujourd’hui après une “longue nuit” qui va durer pendant tout le xixe siècle, plus sollicité par la méthode anatomo-clinique, l’identification des circonstances étiologiques, la nosologie, etc., que par le physiopathologie, la thérapeutique et la médecine d’urgence ». Brullard P. et Larcan A., op. cit., p. 261.
29 Un original de cet arrêté se trouve dans le carton (DB1-165) des Archives de la Préfecture de police de Paris. De manière générale les renseignements suivants proviennent de la série (DB1-164 à 167 : Service des secours publics), huit cartons. On a utilisé également le carton (DA1-37 : Secours publics, organisation du service et divers).
30 Auguste Voisin donne les dates de 1806, 1808, 1818, 1822, 1823, 1836, 1842, 1850, 1858, 1872. Note sur l’organisation du Service des Secours Publics dans le Département de la Seine, Paris, Pougin, 1878.
31 Circulaire du préfet de police aux maires, adjoints et commissaires de police du ressort de la Préfecture du 8 octobre 1836. (DB1-166).
32 Docteur Marc, Plan d’organisation d’une société d’humanité à établir dans la ville de Paris, pour prévenir les asphyxies, et secourir les asphyxiés et noyés, présenté à son Excellence le ministre d’État Préfet de Police, manuscrit, (DA1-37).
33 Sur cette expérience, voir le dossier des archives de la Préfecture de police de Paris : (DA 37). Sur la reprise de l’idée : Damico F., Les Secours Publics à Paris : Emploi des Chiens de Terre-Neuve pour le Sauvetage des Noyés (extrait du Journal d’Hygiène ), Paris, Chaix, 1893.
34 Voisin A. (Dr.), Nouveaux pavillons de secours aux noyés installés à Paris (extrait des Annales d’hygiène publique et de médecine légale), Paris, J. Baillière et fils, 1875, 7 pages ; à propos d’une conférence du même, « Les secours aux noyés à Paris », Revue scientifique, 1886, n° 1, 38, pp. 28-29 ; pour la liste des implantations, Rousselet A., op. cit., pp. 35-36.
35 Voisin A. (Dr.), Note…, op. cit., pp. 6 et ss.
36 Baecker H. de, Accidents sur les voies publiques (rapport à la IVe section du Congrès international de sauvetage tenu lors de l’Exposition Universelle Internationale de 1889), Paris, Ministère du Commerce et de l’Industrie, 1889. Une autre version, identique, dans Congrès international de sauvetage de Saint-Malo (1894), qui est celle ici utilisée, « Tableau 1 : Statistique des accidents dans Paris », p.167. Les chiffres pour1886 et 1887 correspondent à la moyenne des années 1883-1887 (3173 tués, 376 blessés). L’administration souligne que de 1875 à 1885 inclus 1 262 noyés ont été secourus par ses soins (ce qui correspond annuellement à peu près aux chiffres de 1886-87), et que 94 % ont été sauvés. Ce dernier résultat est peu spectaculaire puisque seulement 20 % avaient perdu connaissance (Revue scientifique, 1886, op. cit.).
37 Rousselet A., op. cit., p. 35.
38 Baecker H., op. cit., pp. 159-160.
39 Ibid., pp. 160-161. Ordonnance de police du 12 mai 1852 pour la mise en place du service des théâtres, renouvelée le 16 mai 1881 ; pour les chemins de fer, circulaires du ministre des Travaux Publics des 15 novembre 1846 (stations désignées pour boîtes de secours et boîtes à amputation), complétée et étendue par une instruction de juin 1866 (boîtes à pansements dans tous les trains, familiarisation des chefs de trains aux premiers soins).
40 Voir notamment : Couly P., Organisation des secours publics à Paris (participation de la Société Française d’Hygiène à l’exposition et congrès de Leamington), Paris, Delahaye et Cie, 1877.
41 Voisin A. (Dr.), Rapport sur l’organisation des secours publics à New York et les améliorations qui pourraient être apportées dans le service des secours publics à Paris (Préfecture de Police-Conseil d’Hygiène publique et de salubrité de la Seine), Paris, Chaix, 1881. L’historique des propositions et de leur résultat est repris en détail par tous les auteurs du moment : Baecker H. de, op. cit., pp. 162 et ss ; Rousselet A., op. cit., pp. 7 et ss ; Eyraud J., De l’organisation hospitalière du service des prompts secours, Paris, Institut International de bibliographie scientifique, 1897, pp. 11 et ss ; Grunberg J., de l’organisation des secours aux blessés dans les grandes villes. (Les ambulances urbaines de l’hôpital St-Louis), thèse de médecine, Paris, Société d’Éditions Scientifiques, 1897.
42 Publication de référence sur les formes de l’action sociale au tournant du siècle, la Revue Philanthropique mentionne à plusieurs reprises le destin de la Société des Ambulances Urbaines et son épilogue dans son premier numéro du 10 mai 1897 (pp. 30, 270, 453). Sur l’incorporation du domaine des secours en cas d’accident au débat assistance publique-bienfaisance privée voir aussi, à propos de l’organisation bordelaise mentionnée ci-dessous : Simon J., De l’initiative privée et de l’État en matière de réformes sociales (Conférence faite au grand théâtre de Bordeaux le 7 novembre 1891 sous le patronage de la Société des Ambulances Urbaines), Bordeaux, Imprimerie Gounouilhon, 1892.
43 Mauriac Dr. E., L’organisation des secours publics en cas d’accidents en Allemagne et en Autriche-Hongrie – Projet de création d’une société d’ambulances urbaines à Bordeaux, Bordeaux, Feret et Fils, 1890, p. 8. Pour le détail de l’organisation, du même auteur : La société des ambulances urbaines de Bordeaux, son organisation et son fonctionnement, Bordeaux, imprimerie G. Gounouilhou, 1890.
44 Voir Archives Municipales de Nantes, (I1 C 94, organisation du service de surveillance des baignades, primes de sauvetage etc.) et de Lyon (I1 259, bains, boîtes de secours, avis et réglementation). On notera que Lyon installe des boîtes de secours dès 1780.
45 Lussier H., Les sapeurs-pompiers au xixe siècle, op. cit. La place des sapeurs-pompiers dans le secours volontaire a été évoquée dans le chapitre iii. Une description assez impertinente à la fin du siècle de l’organisation française des soldats du feu : D’Almeras H., « Les Sapeurs-Pompiers (L’Incendie de la Rue Rochechouart) », La Nouvelle Revue, tome xcviii, 1896, pp. 136-154.
46 Brosse M., La Littérature de la Mer en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis (1829-1870), Thèse Paris IV, 2 tomes, 1978 ; Corbin A., Le territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage (1750-1840), Paris, Flammarion, 1990 ; Cabantous A., Les côtes barbares (Pilleurs d’épaves et sociétés littorales en France 1680-1830), Paris, Fayard, 1993. Alain Cabantous estime que c’est à compter des années 1770-1780 que se dessine « l’ouverture vers une nouvelle étape, que paraissent souligner rapports officiels et récits en valorisant davantage les actes de sauvetage par rapport aux prédations côtières » (op. cit., p. 232).
47 Alain Cabantous relève que « c’est pourtant au moment où la régression du pillage – après 1830 – se manifeste réellement que le vide créé par le retrait des sociétés barbares du domaine riverain se trouve alors comblé, grâce à la littérature, par l’imaginaire » (op. cit., p. 232). Monique Brosse avance pour sa part qu’ » il semble que, pour contrebalancer les histoires de naufrageurs qui continuent à faire fureur, pour promouvoir une assistance devenue d’autant plus nécessaire que le commerce maritime ne cesse de se développer, les gouvernements aient décidé, plus ou moins officiellement, de divulguer les actes de sauvetage. La publicité pour ces actes croît subitement à partir de 1831, dans l’ensemble des revues maritimes françaises » (op. cit, p. 390).
48 « La problématique propre aux récits de naufrages au xixe siècle montre ces évocations hésitant entre deux directions qui peuvent être présentées dans le même texte. Ou bien la rigueur convaincante que le genre emprunte au rapport de mer originel, document presque alittéraire, source habituelle à l’époque. Ou bien l’insistance sur des épisodes atroces, au demeurant assez monotones, notant les progrès de la soif et du dénuement, et couronnés souvent par des scènes de cannibalisme. La première tendance se généralise à partir de 1840, peut-être sous l’influence des revues spécialisées, qui s’y tiennent ordinairement. L’expansion maximale de la seconde (1770-1830) coïncide assez bien avec le goût du roman noir et du frénétisme. » Brosse M., « Littérature Marginale : les Histoires des Naufrages », Romantisme, n° 4, 1972, p. 113, avec un aperçu de la bibliographie du genre, très étendue.
49 Sur cet épisode célèbre et son audience : Mercier R., « Le naufrage de la Méduse. Réalité et imagination romantique », R.S.H., 1967, pp. 53-65. Sur le tableau de Géricault, mal reçu en France et exhibé en Angleterre en 1820, dans une espèce de cirque itinérant : Houssaye H., « Un maître de l’école française. Théodore Géricault », Revue des deux mondes, 15 novembre 1879, pp. 374-391.
50 Il se fit remarquer devant une foule nombreuse par sa courageuse intervention du 31 août 1777, sur un navire échoué devant le port de Dieppe. Présenté au roi, il devint pour quelque temps dans le tout Paris « le Brave Homme », selon le mot du souverain, reçut une rente de 300 francs, une maison sur la jetée de Dieppe, sur la façade de laquelle son buste fût ajouté en 1846. Les artistes les plus en vue firent son portrait (dont Barbier le Jeune, peintre du roi), les poètes le chantèrent, ses aventures furent portées à la scène.
51 Il trouve sa place dans les modèles du genre déjà évoqués : Béranger L.-P., Le peuple instruit par ses propres vertus, op. cit., 1787, et dans La morale en action ou élite des faits mémorables et d’anecdotes instructives…, op. cit., 1783. On le trouve également chez nombre des imitateurs de Béranger, ainsi que dans le prototype de la littérature de naufrages régulièrement réédité : Deperthes D., Histoire des naufrages ou recueil des relations les plus intéressantes des naufrages, hivernements, délaissements, incendies, famines, et autres événements funestes sur mer, qui ont été publiés depuis le quinzième siècle jusqu’à présent, Paris, Cuchet, an III, 3 tomes.
52 Lavalley G., « Un héros oublié. Jean Bouzard dit le Brave Homme », La Nouvelle Revue, 14, 1882, p. 299-324.
53 Il n’est pas possible de s’attarder sur l’appropriation géographique différentielle de la figure du citoyen secoureur, telle qu’on pourrait par exemple l’envisager dans la perspective de la constitution de « stéréotypes » régionaux. Dans le cas de la société des Hospitaliers Sauveteurs Bretons, présentée plus loin, et en apparence enracinée dans un terroir, l’adhésion à la figure du sauveteur, au moins au moment de la création de l’association et durant ses premières décennies d’existence, participe explicitement d’une intégration à une communauté politique (la patrie, l’humanité), et non d’une identité régionale. Dans cet esprit voir notamment : Bertho C., « L’invention de la Bretagne. Genèse sociale d’un stéréotype », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 35, novembre 1980, pp. 45-62, qui ne dit rien du sauveteur.
54 Corbin A., Le territoire du vide, op. cit.
55 En 1874 le budget de la société de Boulogne est alimenté à 50 % par des subventions, celle de la municipalité en représentant 30 %. Son dynamisme la porte à mettre au point et faire construire une voiture-ambulance novatrice et ingénieuse pour l’époque. Voir notamment : Société Humaine de Boulogne-sur-Mer, Rapport du comité de direction sur les opérations de l’exercice 1874, Boulogne-sur-Mer, Imprimerie Aigre, 1875 ; Deseille E., Histoire de la Société Humaine de Boulogne-sur-Mer, Boulogne-sur-Mer, Imprimerie Aigre, 1876. Sur les autres sociétés : Mechain L. et Raffoux M., Du Sauvetage en Mer à Dunkerque, Paris, Société Nationale de Sauvetage en Mer, 1979 ; Le Huel R., Goury et ses station de sauvetage de 1834 à nos jours, Cherbourg, Editions Isoète, 1998 ; Giard M., Sauveteurs de Normandie, Condé-sur-Noireau, Editions Charles Corlet, 1991. La plupart de ces associations s’annexeront progressivement à la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, à l’instar de celle de Dunkerque en 1875. Boulogne et Montreuil-sur-Mer conservent une organisation autonome jusqu’au début du xxe siècle.
56 Macquet, Projet d’un service de sauvetage sur les côtes de France, au moyen d’un droit de tonnage sur les armements du commerce (Extrait des« Annales maritimes et coloniale » » années 1832), Paris, Imprimerie Royale, 1835 ; Wallon H., Le magasin de sauvetage de Quilleboeuf (et les services qu’il a rendu à la navigation de la Seine), Rouen, Lestringant, 1902. Voir plus largement le rapport parlementaire très précis sur tous ces points : Brindeau L., Rapport fait au nom de la commission de la Marine chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’organisation du sauvetage sur les le littoral de la France et de l’Algérie, Assemblée Nationale, 1re séance du 5 juillet 1901, annexe n° 2596, pp. 528-533.
57 Brindeau L., op. cit.
58 Premier rapport de la Commission du sauvetage, 13 janvier 1862, Archives de la Marine (CC4 2075). Les chiffres fournis par chacun des arrondissements maritimes sont relativement similaires. Ces chiffres correspondent à ceux de Chesnais J.-c., Les morts violentes en France…, op. cit., p. 121.
59 Cet aspect est bien souligné tant par Corbin, A., Le territoire du vide, op. cit., que par Cabantous A., Les côtes barbares, op. cit.
60 Le magistrat Castera consacre jusqu’aux années 1840 son activité et ses biens à sa mission philanthropique, faisant œuvre d’innovateur technique autant que d’organisateur institutionnel. Voir notamment : Castera, Des moyens de salut à préparer aux marins naufragés sur les côtes de France (Mémoire lu à l’académie des sciences dans la séance du 25 février 1833. « Annales maritimes », partie non-officielle, tome i, 1834), Paris, Imprimerie Royale, 1835 ; Quatrième mémoire relatif aux moyens de sauver les naufragés, adressé à l’Académie des sciences le 9 août 1837, et renvoyé à une commission spéciale qui lui en a rendu compte le 30 avril dernier, par l’organe de M. de Freycinet, dont le rapport a été inséré dans les publications hebdomadaires de l’Académie et dans les » Annales maritimes et coloniales », Paris, Imprimerie Royale, 1838. Le capitaine Tremblay publia de nombreux articles et présenta quatre mémoires à l’Académie des Sciences sur les canons porte-amarre. On les trouve rassemblés, avec les commentaires peu amènes de l’administration, dans le riche fonds des Archives de la Marine concernant les réflexions techniques sur le sauvetage maritime (CC4 2075).
61 Reybaud L., Jérôme Paturot à la recherche d’une position sociale, Paris, Dubochet-Le Chevalier et Cie, 1846, pp. 269-274. Selon les historiens des sauveteurs, cette association distribua « une médaille que les bénéficiaires portaient suspendue à un ruban tricolore. Sur une face de cette médaille se trouve, en exergue, le titre de la Société et, au centre, un vaisseau battu par la tempête. Sur l’autre face, une couronne de chêne en relief entoure une devise latine : HOC PRO NAVE AUT CIVE SERVATO TULIT (A mérité cette médaille pour avoir sauvé un navire ou un citoyen). Au-dessus de cette devise on gravait le nom du secouriste ». Damico F., La médaille d’honneur des sauveteurs…, op. cit., p. 23. Voir aussi les articles historiques du comte Guerin de Tencin (marin né en 1785, auteur de plus d’une centaine de sauvetages et premier président des Sauveteurs Médaillés de la Seine), Le Sauveteur, n° 2 et 3, novembre et décembre 1872, et n° 5, 6, 7 et 8, février-mai 1873. La Société des Sauveteurs de la Seine obtiendra l’autorisation d’échanger les diplômes de l’association contre des distinctions officielles jusqu’en avril 1856 (292 au total). Goelzer Ph., Historique de la Société des Sauveteurs de la Seine, Paris, Wattier, 1879, p. 10. Le fonds Marine des Archives Nationales (CC4 2075) possède une lettre du ministère de la Guerre, en date du 20 septembre 1864, qui fait suite à une demande d’un homonyme ou descendant du refondateur de l’association en 1836 et qui relève, citant une note de la même année : « Un sieur Godde, prenant indûment le nom de Liancourt et le titre de comte, et portant illégalement la décoration de l’ordre royal de la Légion d’honneur, vient d’être condamné pour ces différents faits, par le tribunal de première instance du département de la Seine. Le sieur Godde, se disant comte de Liancourt, ayant adressé au ministre de la Guerre, en qualité de fondateur et secrétaire général de la Société des Naufrages et de l’Union des Nations, une demande tendant à obtenir pour cette société un ou plusieurs canons nécessaires, selon lui, pour faire quelques expériences, […] le secrétaire général croit devoir appeler l’attention de monsieur le directeur du personnel sur cet individu ». Un bref article, qui ignore ces aspects équivoques : « La Société Générale Internationale des Naufrages », Sauvetage (revue de la SNSM), n° 3, 4e trimestre 1982, pp. 14-18.
62 Eugène Rouher (1814-1884), homme-clef du Second Empire, à la tête du grand département des Travaux Publics, de l’Agriculture et du Commerce de 1855 à 1863, est le principal maître d’œuvre de la réforme industrielle et économique du pays. Il confie la présidence de la commission à Léonce-François Reynaud (1803-1885), grande figure de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, dont il sera directeur à la fin de sa carrière, architecte de talent qui dirige notamment la réalisation du grand phare des Héaux (Côtes d’Armor), directeur du service des Phares et Balises à partir de 1852, où son action est déterminante dans l’évolution de la signalisation maritime et du balisage des côtes (169 phares en 1853, 361 en 1883, balises et bouées étaient inexistantes jusqu’alors). Il sera président du comité d’organisation de la Société Centrale et élaborera, avec le capitaine de vaisseau Albert, la liste des stations à implanter le long du littoral. Pour une approche descriptive centrée sur l’influence d’individualités marquantes : Rouilleault A., « Eugène Rouher, l’homme qui décida de la création de la Société Centrale de sauvetage des Naufragés », Sauvetage, n° 36, janvier-mars 1991, pp. 19-25 ; « Les pionniers du sauvetage, Léonce-François Reynaud », ibid., n° 31 octobre-décembre 1989, pp. 20-26.
63 Le détail du processus administratif qui s’étend de 1861 au début de l’année 1865 sort du cadre du présent propos. Les Archives de la Marine (CC4 2075 et 2076) permettent de prendre la mesure des avis et consultations rassemblés par les administrations de la Marine et des Travaux Publics, des projets concurrents défendus par chacune d’entre elles (mise à disposition de matériel par la création de « sociétés humaines » pour l’administration des Ponts et Chaussées, encadrement des hommes et constitution de « compagnies de marins-sauveteurs » pour la Marine), et de l’état d’esprit des populations maritimes, certes soucieuses selon les rapports des commissaires de l’inscription maritime « de se dévouer à l’occasion pour secourir leurs semblables en danger de perdre la vie dans les naufrages », mais ne désirant « nullement s’astreindre pour cet objet aux exigences d’une discipline qui leur rappellerait trop le service militaire, pour lequel, vous le savez, ils sont en général peu porté de bonne volonté ». Un bon résumé du processus ayant conduit à la solution retenue : Charie-Marsaines, inspecteur général des Ponts et Chaussées en retraite, Mémoire sur le sauvetage des naufragés, Paris, Dunod, 1868, pp. 22-23. Le siège de la Société Nationale de Sauvetage en Mer (SNSM), créée en 1967 par fusion de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, des Hospitaliers Sauveteurs Bretons et de la Société de Boulogne, ne détient pas d’archives en dehors de deux collections complètes des revues des deux premières associations. Les recherches effectuées dans les dépôts des départements maritimes n’ont pas permis de localiser de fonds importants sur les stations locales, notamment sur le recrutement du personnel et le fonctionnement des comités de direction.
64 Sur le détail technique et l’organisation de l’association voir, outre la collection des Annales du sauvetage maritime, revue de la Société : Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, « Règlement sur le service des canots de sauvetage », dans Description du canot de sauvetage, Paris, Arthus Bertrand, 1867, pp. 27-32 ; Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, Manuel du sauvetage maritime, Paris, Arthus Bertrand, 1869 ; Ragiot M., Exposition internationale de 1889. Congrès international de sauvetage, première section : sauvetage maritime, Paris, imprimerie Edmond Monnoyer, 1889 ; Liebard Th., Étude sur les Postes de Sauvetage, Paimboeuf, Coyaud, 1901 ; Orsoni L., Les Stations de Sauvetage, Flers, A. Levesque, 1901 ; Duboc É., Une Œuvre d’Initiative Privée :la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, rapport au Congrès International d’Hygiène et de Sauvetage de Paris, 2e édition, 1904.
65 Brindeau L., Rapport…, op. cit. ; Merlou P., Avis présenté au nom de la commission du budget chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’organisation…, Assemblée Nationale, annexe n° 3085, 2e séance du 7 mars 1902, pp. 323-324 ; Brindeau L., Rapport supplémentaire…, ibid., annexe n°3176, 1re séance du 28 mars 1902, pp. 432-433, qui conclut sur un projet de loi de simple autorisation de création de postes de sauvetage par le ministère de la Marine, sans autre modification.
66 Delarbre J. (Conseiller d’État honoraire, trésorier général des Invalides de la Marine), La Société Centrale de Sauvetage des Naufragés sur les côtes de France (1864-1879), Paris, Berger-Levrault et Cie, 1879. Sur les chiffres du début du xxe siècle : Revue Philanthropique, 22, novembre 1907-avril 1908, p. 362.
67 Maël P., Sauveteur, Paris, Dreyfous, 1891 (1re édition 1889), ici « Chapitre xiv-Epilogue », pp. 310-311. « Maël » est le pseudonyme de Charles et Vincent Causse, et un nombre impressionnant de romans populaires (à succès) paraîtront sous son nom. On trouve également sa signature, à la même époque, dans la presse populaire illustrée, notamment le 28 novembre 1891 (voir chapitre i).
68 Sur l’importance de cette figure et sa philosophie de la République, étroitement convergente avec la promotion du citoyen courageux : Nora P., « Lavisse, instituteur national », dans Nora P. (dir.), Les lieux de mémoire, op. cit., tome i, pp. 239-275.
69 Revue Philanthropique, tome iii, mai-octobre 1898, p. 274, parmi d’autres reprises de ce texte.
70 Deux pages très représentatives de la porosité des frontières entre le sauveteur maritime et la figure du citoyen courageux dans Mollat du Jourdin M., « Le front de mer », dans Nora P. (dir.), op. cit., pp. 2754-2756. Une étude intéressante sur le devenir actuel du secours en mer : Thibaudeau P., Sauver des vies. La Société Nationale de Sauvetage en Mer, Paris, Textuel, 2001.
71 L’opposition-similitude du remorqueur professionnel et du sauveteur, transcrite assez finement dans le conflit intérieur d’un patron de remorqueur, est au centre de l’un des grand succès de la littérature maritime des années 1930, œuvre du populaire et prolifique romancier R. Vercel : Remorques, Paris, Albin Michel, 1935 (l’édition porte 96e mille). L’ouvrage sera adapté à l’écran un peu plus tard avec Jean Gabin dans le rôle principal. Le film reprend des scènes et répliques explicites du point de vue de ce contraste – l’objectif premier des remorqueurs étant bien entendu la récupération des bâtiments –, qui renouvelle la figure littéraire du citoyen secoureur : « Car si Renaud avait de bon cœur risqué déjà vingt fois d’aller au plein pour sauver l’équipage d’un bateau condamné à couler, il n’était point, comme ceux des canots de sauvetage, un sauveteur désintéressé. Ce qu’il voulait avant tout, c’était ramener à quai le bateau malade afin de pouvoir lui présenter la note » (pp. 66-67). Le sauvetage en mer n’est véritablement pris en charge de manière directe par les autorités publiques qu’à partir de 1970. Le Borgne G., « L’organisation du secours en mer », Sauvetage, n° 19 et 20, octobre-décembre 1986, janvier-mars 1987, pp. 42-46 et 40-43 (condensé de la thèse de droit de l’auteur sur la question). Parmi les ouvrages récents représentatifs de la permanence de l’imaginaire du secours courageux dans le domaine maritime : Fleury G., Le grand courage. Sauvetages en mer, Paris, Grasset, 1988 ; Giard M., Les canotiers de l’impossible, Condé-sur-Noireau, Editions Charles Corlet, 1991, et S.O.S. Sauveteurs en mer, Grenoble, Glénat, 1997 ; Claden Ch. (commandant de l’Abeille Flandre), Au bout de la remorque (Entretiens à bord avec Hervé Hamon), Paris, Seuil, 2001.
72 Les archives d’associations sont une source documentaire qui n’est repérée et décrite que depuis peu dans les répertoires, et les éléments conservés sont rares et lacunaires. On a contacté et/ou visité une cinquantaine de dépôts départementaux ou municipaux, répartis sur 28 départements, plus Paris et le département de la Seine. On trouvera la liste complète des cartons comportant des informations dans la bibliographie générale. La série F7 « associations-sociétés » des Archives Nationales, le fonds Marine, ou les archives locales concernant la Société des Hospitaliers Sauveteurs Bretons sont des exceptions. Aucune des diverses associations encore existantes contactées ne possédait d’archives exploitables, et notamment de listes de membres.
73 Ce dénombrement a été réalisé d’après la liste donnée en annexe de l’ouvrage de Damico F., La médaille d’honneur des sauveteurs…, op. cit., vérifiée et complétée par les autres sources de la documentation. Il s’agit d’une estimation minimale et ne reprenant pas les sections locales des sociétés les plus importantes, au tournant du siècle une douzaine pour les Hospitaliers Sauveteurs Bretons et quatre-vingt-treize pour la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, ce qui porterait le total à deux cent soixante-trois.
74 Arnaud P., « Le sport en marge ou le poids des sociétés conscriptives. Vitalité et densité du mouvement sportif associatif à Lyon et dans le département du Rhône (1853-1915) », dans P. Arnaud (dir.), Les athlètes de la République (Gymnastique, sport et idéologie républicaine 1870-1914), Toulouse, Privat, 1987, pp. 95-123. Les sociétés de sauvetage, comme celles des autres activités physiques, se présentent parfois comme des associations ayant pour objectif la préparation au service militaire, ainsi celle des Sauveteurs Volontaires du Rhône (1888). Voir cet article pour le détail des liens et des répartitions de création entre mouvement conscriptif et sportif au sens strict.
75 Damico F., op. cit., p. 54.
76 Statuts de la Société de Secours Mutuels des Sauveteurs Médaillés du département de la Gironde, 1855 (Archives de la Marine, CC4 2075).
77 Il s’agit des associations dont il est possible d’établir le caractère mutualiste effectif à partir des Rapport sur les sociétés de secours mutuels, à l’Empereur puis au Président de la République, institués par le décret du 26 mars 1852, et publiés de manière annuelle. Ces rapports, intégralement dépouillés de leur création à 1900, dissocient à partir de 1892 les sociétés « autorisées » (sous le régime des articles 291 et 292 du Code pénal et ne possédant pas la personnalité civile), et celles qui sont « approuvées » (sous le régime du décret du 26 mars 1852, avec la faculté de recevoir dons, legs, subventions, de posséder des biens mobiliers, d’obtenir gratuitement des locaux de réunion par les communes…). À compter de cette date, on s’est limité à ces dernières pour lesquelles sont donnés également le nombre de membres participants et honoraires.
78 Le Sauveteur, décembre 1873. De même : juillet 1880, novembre 1880, novembre 1885. Ou encore le président de la section de Charenton de la Société Française de Sauvetage en mai 1892, cité dans Journaux, Historique des Sociétés de Sauvetage, op. cit., 1904, p. 122.
79 OTT, assemblée générale des Sauveteurs d’Indre et Loire, Le Sauveteur, avril 1869, pp. 6-7.
80 Ibid., mai, septembre et octobre 1872. Ce prix, mis à la disposition de tous les présidents de sociétés, « consiste en une belle médaille d’argent (renfermée dans son écrin), un diplôme en parchemin, et une palme de chêne ».
81 Delhaye, secrétaire général des Sauveteurs de l’Oise, assemblée générale du 18 avril 1870, ibid., mai 1870.
82 Fraisse, secrétaire du comité de la Gironde de la S.F.S., ibid., août 1884, p. 3.
83 Le Sauveteur, juillet 1880.
84 Gerin G., Mariniers du Rhône, Paris, Ollendorff, 1894 (réédition 1927), pp. 4-5.
85 Tenue des Sauveteurs de l’Aude, ibid., novembre 1874. Cette tenue est copiée sur celle des Sauveteurs de la Seine, et sera adoptée par un grand nombre des sociétés similaires (voir par exemple les statuts des Sauveteurs de la Gironde, CC4 2075).
86 Ibid., février 1880.
87 Ibid., février 1892.
88 Ibid., janvier et février 1889.
89 Elle est inscrite sous le n° 1493 au répertoire des Sociétés de Secours Mutuels de la Seine. Un compte rendu imprimé (Paris, imprimerie J. Rouhier, 1895, 28 pages) dans AN (F7 12375 Seine 452).
90 Ben-Amos A., « Les funérailles de Victor Hugo. Apothéose de l’événement spectacle », dans Nora P. (dir.), op. cit., pp. 425-464.
91 Au sein d’une bibliographie étendue on mentionnera : Ozouf M., La Fête révolutionnaire 1789-1799, Paris, Gallimard-Folio, 1988 (1re édition 1976), qui a le mérite d’insister le support précoce que constituent les réjouissances publiques pour le modèle de la citoyenneté républicaine. Sur la Troisième République : Vallin p., « Fête, mémoire et politique : les 14 juillet en Limousin (1880-1914) », Revue française de science politique, décembre 1982, pp. 949-972 ; Ihl O., La Fête républicaine, Paris, Gallimard, 1996. Sur les pratiques de sociabilité populaires qui comportent des réjouissances publiques : Lussier H., Les sapeurs-pompiers au xixe siècle…, op. cit., « Chapitre viii - Un penchant pour le faste : fêtes, cérémonies et concours de pompes », pp.104-118 ; Gerbod P., « L’Institution orphéonique en France du xixe au xxe siècle », Ethnologie Française, 1980, tome x, pp. 27-44. Ce dernier décrit le démarrage précoce du mouvement associatif des sociétés musicales, parallèle à celui des sauveteurs et le rejoignant en de nombreux points (un certain nombre des sociétés de sauveteurs se vanteront d’avoir leur propre musique), tout en demeurant d’une extension nettement supérieure (150 000 membres actifs et près de 100 000 honoraires en 1867). Sur les défilés de gymnastes : Chambat P., « Les fêtes de la discipline. Gymnastique et politique en France (1879-1914) », dans Arnaud P. et Camy J., La naissance du mouvement sportif associatif en France : sociabilités et formes de pratiques sportives, Lyon, PUL, 1986, pp. 85-86 ; « La gymnastique, sport de la République ? », Esprit, 4, avril 1987, pp. 22-35 ; « Les vitrines de la République. Uniformes, défilés, drapeaux dans les fêtes de gymnastique en France (1879-1914) », dans Arnaud P. (dir.), Les athlètes de la république, op. cit., pp. 259-268.
92 Eco U., De superman au surhomme, Paris, Grasset, 1993 (1re édition italienne 1978), p. 64.
93 Augenot M., Le roman populaire. Recherches en paralittérature, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 1975, p. 25. Turpin de Sansay a revendiqué de nombreux écrits, dont la plus grande part est parue en livraisons à bon marché. Ceci explique sans doute que la Bibliothèque Nationale ne possède que les principaux. Une bibliographie complète mais invérifiable (qui évoque notamment sept cents chansons), dans Le Sauveteur, novembre 1886, pp. 10-11. Turpin de Sansay, comme Huard, ne figure dans aucun des dictionnaires biographiques consultés. Avec Félix Pyat, le chiffonnier devient le véritable emblème des nuits parisiennes de la période. Delattre S., Les douze heures noires. La nuit à Paris au xixe siècle, Paris, Albin Michel, 2000, p. 556.
94 Pixerecourt X. de, Paris ou le livre des cent un, tome vi, 1852, cité par Ubersfeld A., « Le mélodrame », dans Abraham P. et Desne R. (dir.), Histoire Littéraire de la France, Paris, Éditions Sociales, 1977, tome viii, p. 320.
95 Sur « cette illumination [qui] a fait couler beaucoup d’encre » (Eco U., op. cit., p. 48), sur le détail, la contribution des réactions du lectorat qui accompagnent la rédaction de l’ouvrage, etc. : Bory J.-L., Eugène Sue. Le roi du roman populaire, Paris, Hachette, 1962.
96 Marx K. et Engels F., La Sainte famille, Paris, Ed. Sociales, 1972 (1re édition 1845), chap. viii « Vie terrestre et transfiguration de la critique critique, ou la critique critique personnifiée par Rodolphe, prince de Gerolstein », pp. 222 et ss. Dans le même esprit : Nathan M., « Délinquance et réformisme dans Les mystères de Paris », dans Paris au xixe siècle, aspect d’un mythe littéraire, Paris, PUL, 1984, pp. 61-69 ; Guise R., « Le roman-feuilleton et la vulgarisation des idées politiques et sociales sous la monarchie de Juillet », dans Romantisme et politique 1815-1851, colloque de l’ENS 1966, Paris, Armand Colin, 1969, pp. 316-328.
97 On trouve souvent, dès Les mystères de Paris, des scènes de sauvetage dans les romans-feuilletons : Montepin X. de, Les Enfers de Paris, Paris, Charlieu et Huillery, s.d. (vers 1860), chapitres iv « Sauvetage » et v « Les résultats d’un sauvetage », à propos d’une tentative de suicide par pendaison au bois de Boulogne, et sur une tempête et les péripéties du canot des sauveteurs ; Deslys Ch. (pseudonyme de Collinet Ch.), Le Canal Saint-Martin, Paris, Alexandre Cadot, s.d. (vers 1860), les aventures de deux « bohémiens de Paris » accompagnés de leur chien-sauveteur.
98 Le canal Saint-Martin, chanson de Dupenty et Cormon, 1845, extraite de la pièce du même nom, dans Dumersan et Segur, Chansons nationales et populaires de France, Paris, Garnier, 1866, tome i, pp. 285-286.
99 Turpin de Sansay L.-A., Les Chiffonniers de Paris, Paris, Édouard Blot, 1861 (4e réédition 1879), p. 61.
100 Ibid., p. 104 (la typographie est de l’auteur).
101 Archives de la Préfecture de police de Paris, dossier personnel Ba 908.
102 SNEAB, Séance annuelle…, 1873. La biographie d’Huard demeure obscure. Le carton (F 18415200-203) contient la déclaration du Sauveteur par Huard, « homme de lettres », mais les renseignements personnels sont indiqués comme joints au dossier concernant La gazette des médaillés de l’Empire, qui a disparu. On trouve le même renvoi pour les déclarations des autres mensuels : (F 18356) ; (F 18388) ; (F 18376). L’une des déclarations comporte les indications suivantes, extraites des sommiers judiciaires : « -2 ans de prison. Paris. 2e conseil de guerre. 23 mars 1849. Participation à un mouvement insurrectionnel ; – 3 mois de prison. Paris. 17 juin 1857. Outrage à la morale et aux bonnes mœurs (délit de presse) ».
103 Le Sauveteur (moniteur du courage et des belles actions, organe spécial des Sociétés de Sauveteurs médaillés du gouvernement), mensuel, avril 1866-janvier 1902 (interrompu de septembre 1870 à septembre 1871), paginé sur l’année, 8 à 10 pages par numéro. Dépouillé jusqu’en novembre 1895, avec quelques lacunes, pas de collection intégrale à notre connaissance. Ici, n° 1, avril 1866, p. 1.
104 Le contrôle de la presse a été très strict sous le Second Empire, et cette autorisation est un signe de la bienveillance des autorités à l’égard des regroupements de secoureurs, d’autant plus avec un directeur de publication ayant déjà été condamné. Les déclarations de tirage étaient facultatives, et aucune n’est conservée pour Le Sauveteur dans la série F 18.
105 Turpin de Sansay L.-A., Les Sauveteurs Célèbres, Paris, E. Dentu, 1868 (4e réédition 1879), i-iv, 528 pages. A. Lobgeois et Joseph-Antoine Favre avancent au titre de leur candidature à la récompense académique de la vertu (voir chapitre ii) leur présence dans l’ouvrage.
106 Turpin de Sansay L.-A., Les Illustrations du courage, du dévouement, de la philanthropie, de la science et du travail, Paris, chez l’auteur, 1er fascicule, 1882, 44 pages. La Bibliothèque Nationale ne possède que ce premier fascicule.
107 Le Sauveteur, août et novembre 1886.
108 (Archives de la Préfecture de police de Paris, dossier personnel Ba 1288). Rapports du 15 janvier et 3 novembre 1874, à l’occasion d’un projet de périodique intitulé Moniteur de la noblesse. Le second rapport note : « Il est criblé de dettes et passe pour avoir des relations contre nature avec le sieur Huard avec lequel il cohabite. »
109 Ibid., juin 1887, p. 2.
110 Dossier personnel, rapport du 7 décembre 1889.
111 Grandhantz-Loiseau E., Les sociétés de sauvetage, humanitaires et philanthropiques, Paris, Masson, 1884. Damico, La médaille des sauveteurs…, op. cit., 1905, p. 85. É Cacheux, volontiers ironique à l’égard de ceux « qui se cotisent pour pouvoir offrir des collections d’insignes » (Le Sauvetage en France et à l’Étranger…, op. cit.) le mentionne également dans sa bibliographie. Plus récemment P. Arnaud relève : « Ce mouvement mutualiste et solidariste disposera d’une revue au titre évocateur : Le Monde humanitaire ». « De l’eau vive à l’eau domestique… », op. cit. On trouve des articles du périodique dans Les annales du bien, revue des Hospitaliers Sauveteurs Bretons, mais nous n’avons pas réussi à en localiser une collection.
112 Dossier « Le monde humanitaire » (F7 12371 Seine 475). L’enquête est initiée sur la demande de l’ambassadeur de Russie, sollicité par Grandhantz.
113 Rapport du sous-préfet de Brive en date du 11 avril 1877. Archives Départementales de la Corrèze (1M 213), ainsi que pour l’ensemble des informations qui suivent.
114 SNEAB, Séance publique, 1874, p. 26-27.
115 Le Sauveteur, septembre 1886. La société est également mentionnée quelques mois plus tard comme changeant de nom pour devenir Institut Général de Sauvetage (avril 1887), puis comme devant être pourvue d’une pompe (octobre 1887).
116 Archives Municipales de Lyon, (I1 259), rapport de police du 21 décembre 1863.
117 Ibid., rapports du 22 novembre 1864 et 30 mai 1865.
118 Ibid., lettre du préfet au commissaire spécial le 15 mai 1866 et réponse.
119 Ibid., enquête septembre 1865, qui donne un descriptif détaillé de la personnalité de chacun des vingt-neuf nouveaux membres.
120 Ibid., rapport du 3 mai 1870.
121 Dampt G., « Barlinche, sauveteur municipal (fantaisie) », Revue politique et littéraire (Revue bleue), tome ii, 1884, pp. 533-537.
122 Fauchois R., Boudu sauvé des eaux, comédie en 4 actes, (présentée pour la première fois à Lyon théâtre des Célestins le 14 juillet 1919, reprise à Paris au théâtre Albert 1er le 20 novembre 1920, puis au théâtre des Mathurins le 30 mars 1925, au même le 5 septembre 1933, puis Porte Saint-Martin le 7 juillet 1939), Paris, Berger-Levrault, 1950. Plusieurs autres scènes de la pièce et du film renvoient à la figure civique exemplaire du citoyen secoureur, et détournent les formes d’hommages et de célébrations auxquelles elle renvoie. Renoir J., Boudu sauvé des eaux, 1932, avec Michel Simon dans le rôle du clochard Boudu.
123 Dossier Archives Nationales « Société Nationale de Sauvetage » AN (F7 12374 Seine 428), rapports 5 mai et 2 juillet 1887, 10 septembre 1888.
124 Le Sauveteur, octobre 1890.
125 Notice biographique dans : Goelzer Ph., Historique de la société des Sauveteurs de la Seine, op. cit., pp. 531-539. Dossier personnel de la Préfecture de police de Paris (Ba 1288). Une note d’information en date du 28 août 1878 relève qu’ » il est très riche, le sera plus encore par de nombreuses successions qui doivent lui revenir, […] est neveu d’Ambroise Thomas et compte beaucoup sur lui pour être nommé ministre des Beaux-Arts ». Il connaîtra de 1890 à sa mort en 1914 des problèmes financiers, et demandera à l’État une licence de débit de tabac en 1900.
126 Voir notamment Chambat P., « Les muscles de Marianne », dans Aimez-vous les stades ? Les origines des politiques sportives en France 1870-1930, textes réunis par Ehrenberg A., Recherches, n° 43, 1980, pp. 139-184 ; Sterhell Z., La droite révolutionnaire, Les origines françaises du fascisme 1885-1914, Paris, Points Seuil, 1978.
127 « Persécution sournoise », L’Intransigeant, 9 juin 1888.
128 Intervention devant le bureau des Sauveteurs de la Seine, 12 janvier 1879, cité dans Goelzer Ph., op. cit., p. 379.
129 AN (F7 12373 Seine 396). Elle affiche, en 1908, 800 actifs, après que certaines sections soient devenues autonomes, et en 1912, 1 200 actifs, 200 membres honoraires et 20 sections.
130 SybiL, « Croquis parlementaires, M. Edmond Turquet », Revue politique et littéraire (Revue bleue), tome ii, 1889, pp. 481-484. De nombreuses anecdotes accompagnent la carrière d’Edmond Turquet, notamment lorsqu’il révèlera que « sa fille, n’allait jamais à une représentation de l’opéra-comique sans emporter avec elle une bonne corde à nœud afin de pouvoir se sauver à la première alerte ». Le Figaro, 21 octobre 1880, et « La corde à nœud », 9 juin 1884 ; « Hosanna pour M. Turquet », En Avant, 6 avril 1880, repris de Paris-Journal ; « Un ridicule », Le Paris, 11 octobre 1889.
131 Cité dans Goelzer, op. cit., p. 149.
132 Rasmussen A., Mil Neuf Cent, numéro spécial « Les congrès, lieux de l’échange intellectuel (1850-1914) », n° 7, 1989, p. 44.
133 Au sein d’une vaste bibliographie : Murard L. et Zylberman P. (dir.), L’Haleine des faubourgs (ville, habitat et santé au xixe siècle), Recherches, n° 29, décembre 1977 ; Lambert J., Le chirurgien de papier (études d’histoire et de philosophie de l’hygiène), doctorat d’État, Université de Grenoble III, 1991.
134 Cacheux É., Procès Verbaux du Congrès International de Sauvetage, tenu dans le cadre de l’Exposition Universelle Internationale de 1889 (Direction Générale de l’Exploitation), Paris, Imprimerie Nationale, 1889 ; Cocheris J., Exposition universelle internationale de 1900. Congrès international de sauvetage et des premiers secours (tenu à Paris du 16 au 23 juillet 1900). Procès-verbaux sommaires, Paris, Imprimerie Nationale, 1900.
135 L’objectif était « de réunir toutes les sociétés de sauvetage de France, en leur laissant leur autonomie, et de resserrer les liens de fraternité entre les membres de ces associations pour augmenter le prestige des sauveteurs ». Voir AN (F7 12369 Seine 193).
136 Voir AN (F12 7579 et 80).
137 Son fondateur, Raymond Pitet, entendu par les responsables de la première, refusera de changer le nom de sa fédération. Annales du bien, volume xiv, 1902, pp. 30-32.
138 Henri Nadault de Buffon revendique par son père des liens à la famille de Provence, et par sa mère à la famille impériale – son grand-père fut le dernier préfet du palais de l’Empereur. Son père, né Nadault, a obtenu en 1835 le droit d’accoler le nom de Buffon à son patronyme, ordonnance transcrite sur l’acte de naissance d’Henri en 1836. Henri fera don du cerveau de Buffon au Muséum d’histoire naturelle, et de l’herbier de Daubenton à la Société d’Acclimatation. En 1860 le Conseil d’État, suite à sa sollicitation, émet l’avis qu’il ne peut pas ajouter de particule à son nom, décision réitérée, suite à de nouvelles instances, en 1864 et 1877. Ses notices de magistrat et les lettres de ses supérieurs ne portent pas la particule. Voir : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, (1- U -40 : Dossier personnel Henri Nadault de Buffon). La principale notice biographique est contenue dans un ouvrage qui fait partie des objectifs explicites de l’association qu’il fonde, dont la Bibliothèque Nationale possède un exemplaire à son nom : Nadault de Buffon H., Le Livre d’Or des Hospitaliers Sauveteurs Bretons (Les Sauveteurs et les Gens de Bien), Rennes, Marie Simon, 1893. Le ton est hagiographique et de nombreux extraits de sa correspondance personnelle sont reproduits.
139 Sainte-Beuve, Journal officiel, repris dans Les causeries du Lundi, tome xiv, p. 320, critique de La correspondance inédite et annotée de Buffon, Paris, Hachette, 1860, 2 volumes ; Montbard et Buffon, 1855 ; Buffon et Jean Nadault, 1856 ; Buffon, sa famille, ses collaborateurs et ses familiers, 1863 ; Biographie populaire et illustrée de Buffon, 1867 ; Manuscrits de Buffon. L’homme physique chez Buffon, ses maladies, sa mort, 1868. (Egalement, d’après un manuscrit confié à Buffon : Un épisode de la vie littéraire de Frédéric ii, 1864).
140 Traité des Eaux de Source et des Eaux Thermales, Paris, Cotillon, 1870, 600 pages ; Les Musées Italiens (1866), Rome Antique dans Rome Moderne (1866), De Paris à Venise (1869). Collaborations aux revues Archéologique, Française, Moderne, Britannique, de Bourgogne, au Grand Dictionnaire du xixe siècle, au Panthéon Universel, au Courrier du Dimanche.
141 Observations critiques sur la loi du 30 juin 1838, concernant les aliénés, Paris, Léautey, 1854, repris en partie dans Une Question de Liberté, Paris, Renouard, 1866 ; Une Question de Sécurité Publique, Paris, Maresque, 1870 ; De la Régénération Morale et Sociale de la France, Paris, Doumiol et Cie, 1878 ; L’Education de la première enfance ou la femme appelée à la régénération sociale par le progrès, Paris-Lyon, Librairie Classique de Perisse Frères, 1862 (3 éditions jusqu’en 1872) ; Notre ennemi le luxe, Paris, Furne, Jouvet et Cie, 1869 ; Le temps nouveaux, Paris, Furne, Jouvet et Cie, 1873.
142 Lettre du procureur général de Dijon à celui de Rennes où il est nommé en 1863. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (1-U-40 : Dossier personnel Henri Nadault de Buffon).
143 L’un des rapports sollicités pour l’obtention de l’agrément d’utilité publique en faveur des Hospitaliers Sauveteurs Bretons mettra en cause le désintéressement financier des dirigeants, dont le fondateur.
144 Rapport de la commission des récompenses nationales, cité dans Nadault de Buffon H., Le Livre d’Or des Hospitaliers Sauveteurs Bretons, op. cit., p. 3.
145 Ibid., p. 17.
146 L’Education de la première enfance…, op. cit., 1862, pp. vii-ix.
147 Notre ennemi le Luxe, op. cit., 1869, p. 16.
148 Les temps nouveaux, op. cit., 1873, pp. i-ii.
149 « La souveraineté populaire, proclamée par la Révolution française au milieu de la stupeur générale, est un principe qui ne se discute plus. Ses droits, reconnus imprescriptibles et inaliénables, antérieurs aux avènements ou aux usurpations des princes, sont cause que l’on consulte aujourd’hui le vote populaire pour les transmissions du pouvoir, les modifications aux constitutions ; et, depuis la chute du Premier Empire jusqu’à l’annexion inique et violente de l’Alsace à l’Empire d’Allemagne, on n’avait pas encore osé disposer des peuples sans leur assentiment ». Ibid., souligné par l’auteur, p. 22.
150 Ibid., pp. 23-24.
151 Ibid., p. 256.
152 Ibid., p. 300.
153 Dans son premier ouvrage, Nadault de Buffon mentionne sa rencontre avec « le Chef vénéré de l’Eglise », et la bénédiction que celui-ci voulut bien accorder à sa « modeste entreprise ». Il critique par ailleurs l’attitude des classes dirigeantes qui « vous disent très-gravement que la religion est une institution politique, utile aux gouvernants » : « que les hommes du siècle me permettent de leur dire, c’est là un outrage fait à la religion ; c’est confondre les grandes choses avec les petites, c’est faire de la théologie de sergent de ville ! Mieux vaut ne pas croire ! ». L’Education de…, op. cit., 1862, p. 19. Dix ans plus tard il relève : « La Société a tout à gagner à soutenir une religion qui enseigne la soumission à la loi et l’obéissance à l’autorité ; aussi, depuis que la religion a été attaquée chez nous comme institution sociale, la société n’a-t-elle plus joui d’aucun repos. Nous avons revu l’athéisme à l’œuvre, et on a pu se rendre compte, pour la seconde fois en soixante-dix-huit ans, de ce que deviendrait une société politique dont l’idée religieuse serait bannie ». Les temps nouveaux, op. cit., 1873, p. 394.
154 L’Education de la première enfance…, op. cit., pp. 347-355. Il souligne qu’il convient de rapporter « avec de grands éloges l’histoire d’enfants généreux qui ont agi de la sorte », en s’appuyant notamment sur « un vieux livre, qui a eu de nombreux mais imparfaits imitateurs, La morale en actions {sic} », confirmant à nouveau l’importance d’un siècle à l’autre de l’opus de Béranger.
155 « L’éducation de la femme peut se formuler en un mot : – l’abnégation. Tout ce qu’elle doit être, ce mot sévère la renferme. Tour à tour fille, sœur, épouse, mère enfin, sa mission varie, mais son rôle ne change pas, car, dans tous les âges et dans toutes les conditions, il demande le sacrifice ». Ibid., p. 504.
156 Présentation des statuts des Hospitaliers Sauveteurs : Nadault DE Buffon H., Les annales du bien, vol. ii, 1877, pp. 92-93.
157 Ibid.
158 Nadault de Buffon H., Statuts et règlement des Hospitaliers Sauveteurs Bretons, administration et dignitaires de la Société, Paris, Furne-Jouvet et Cie, 1877, 354 pages. La date officielle de création de l’association est le 12 décembre 1873 (art. 4), et les statuts sont approuvés par l’assemblée générale en mai 1876.
159 Nadault de Buffon H., Les Annales du bien, vol. 2, 1877, op. cit., p. 92.
160 « L’instauration par Napoléon Ier et la remise en vigueur sous Napoléon III du livret ouvrier avaient pour but, en principe, selon le modèle militaire ou domestique, de contrôler cette main-d’œuvre trop gyrovague aux yeux des responsables de l’ordre. Au dire même des contemporains, et notamment pour les spécialistes, le livret est tombé en désuétude ou ne concerne que les moins qualifiés qui ont besoin de certificats pour emporter une embauche face à une concurrence plus âpre ». Charle Ch., Histoire sociale de la France au xixe siècle, Paris, Points-Seuil, 1991, p. 118.
161 Les autres publications mentionnées sont Le Livre d’or…, op. cit., ainsi qu’un Almanach des sauveteurs et un Annuaire, dont il n’a pas été possible de trouver trace.
162 Les annales du bien, Bulletin Officiel de la Société Régionale Libre des Hospitaliers Sauveteurs Bretons, janvier 1875-1960, mensuel. (Dépouillé de sa création au volume xxii, 1919-1924). Ici : tome i, p. 2.
163 Sur la couverture du premier numéro se trouvent mentionnés : Alphonse Karr, Paul Feval, Hector Malot, François Coppée, Gustave Nadaud, Gabriel de la Landelle (écrivain maritime célèbre), Anaïs Segalas, Raoul de Navery, pour ne retenir que les noms les moins oubliés. Certains marqueront explicitement leur volonté de s’associer « à l’œuvre de dévouement et de patriotisme que vous avez si noblement entreprise » (Hector Malot, lettre du volume i, 1875, p.159). Cette mention des « collaborations littéraires » disparaîtra avec le premier numéro de 1880, sous le prétexte de l’importance plus grande désormais accordée aux activités de la société.
164 C’est du moins l’avis du préfet d’Ille-et-Vilaine, en septembre 1882 et en avril 1883, qui stipule que sur les 40 000 francs de recettes de la société, 13 000 sont consacrés à l’assistance et aux secours, alors que « le reste sert à subventionner un journal hostile au gouvernement et à payer des traitements, logements et autres frais des Présidents-Directeur, trésorier… ». Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, (4-X sociétés de sauvetage, et 1-X-354, cote provisoire, « Bienfaisance privée, assistances diverses », HSB 1873-1934).
165 La première demande de reconnaissance d’utilité publique est déposée le 6 octobre 1877, et débouche, après plusieurs refus, le 20 août 1895.
166 L’essentiel des informations et citations suivantes proviennent du dossier « Hospitaliers Sauveteurs Bretons 1873-1934 » des Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, op. cit. Voir également : Archives départementales de Loire-Atlantique (2-X.-503).
167 L’association profite de la politique d’autorisation associative de la République naissante, très libérale dès 1870 et officialisée par la loi de 1901. L’implantation réelle de l’association durant ses deux premières décennies est difficile à évaluer. En 1878 le responsable de la section de Saint-Nazaire avance à destination du préfet de la Loire-Inférieure le chiffre de 49 membres titulaires pour cette ville, sans pouvoir préciser les adhérents des autres sous-sections (Ancenis, Paimboeuf…). Dans le Morbihan, où la société revendique 3 sections (Lorient, Ploërmel, Pontivy), le préfet interroge son homologue d’Ille-et-Vilaine en relevant que, d’après les informations fournies par ses subordonnés, la société est « à peine connue » dans la région, de même d’ailleurs que dans les Côtes-du-Nord (Dinan, Guingamp, Lannion, Loudéac), où le préfet interroge également son collègue basé à Rennes, argumentant à son tour qu’il lui est « assez difficile de (se) prononcer ». En dehors de Paris et des délégations normandes, dont l’activité est attestée au moins jusqu’au tournant du siècle, le reste des implantations revendiquées semble devoir être considéré avec réserve : Bordeaux, Bar-le-Duc (Meuse), Lyon, Tours, Toulouse, Marseille, Nice, Algérie, Tunisie, Angleterre, Ecosse, Autriche-Hongrie, Belgique, Hollande, Espagne, Portugal, Italie, Turquie.
168 L’inquiétude des préfets de ne pas conclure en des sens opposés vers leur administration de tutelle est sensible par leurs contacts « confidentiels » répétés, notamment dans le cas indiqué en mars 1878 du préfet des Côtes-du-Nord à l’intention de son collègue d’Ille-et-Vilaine, qui contacte à son tour celui du Morbihan, et en 1894 de celui d’Ille-et-Vilaine qui joint les deux précédents, et celui du Finistère, par l’intermédiaire de télégrammes codés.
169 Cette somme importante joue sans doute un rôle dans l’avis favorable du préfet d’Ille-et-Vilaine en décembre 1894 à l’intention du président de la section de l’Intérieur du Conseil d’État. L’administration donnera finalement son accord sous condition du remplacement du « Code » imaginé par le fondateur par des statuts « conformes à la jurisprudence du Conseil d’État ».
170 122 des individus composant l’échantillon (18,8 %) sont de profession inconnue, et 24 (3,7 %) ne sont indiqués que comme « sapeurs-pompiers », et l’on peut légitimement penser qu’il s’agit de professionnels (dont 11 officiers). Le chiffre est réduit et confirme à nouveau l’autonomie de l’engagement associatif au titre de la figure du secoureur courageux par rapport à celui de la participation à une compagnie de lutte contre l’incendie ; au total ce ne sont que 44 individus (8,3 % des professions connues) qui sont désignés comme « sapeurs », soit 20 non-professionnels, qui appartiennent à deux exceptions près aux catégories intermédiaires ou aisées de la population. Sur les 503 individus restant, 47 % appartiennent aux couches les plus favorisées, 24 % aux employés et commerçants, 10 % aux militaires et agents de maintien de l’ordre, 15 % aux ouvriers, agriculteurs, marins et mariniers. Les professions maritimes tous statuts confondus (marins, officiers, lieutenants de port, gardiens de phare) représentent 17 % de l’échantillon.
171 Fascicule d’adhésion et de présentation de l’association : « Nos Statuts vous donnent le droit de vous faire admettre parmi nous ; et je ne doute pas qu’il ne vous soit agréable de devenir membre d’une Société fondée dans un but humanitaire, afin de contribuer à notre régénération morale et sociale en excitant au bien par l’émulation de l’exemple et des récompenses. Nous rapprochons entre elles les diverses classes sociales, afin de les confondre dans une pensée commune de services et de devoirs : de la pratique habituelle du dévouement naissent l’abnégation et le patriotisme. Nous assistons les Sauveteurs malades ou indigents, nous adoptons les familles de ceux qui tombent victimes de leur courageux élan. Je vous adresse, avec un résumé de nos Statuts, un bulletin d’adhésion… »
172 Les référents précédents, et notamment la mutualité, s’ils sont moins prioritaires, ne disparaissent pas toujours pour autant. Une autre enquête pourrait établir l’évolution des sociétés de sauveteurs créées sur le modèle mutualiste. On peut citer l’exemple des Sauveteurs Médaillés de la Charente qui, en 1950, affichent encore dans leurs objectifs « de rassembler des hommes qui, pour actions de dévouement, ont au péril de leurs jours sauvé la vie à leurs semblables » et « d’assurer aux membres titulaires les soins médicaux et pharmaceutiques ». Pièce fournie par les Archives Municipales d’Angoulême, courrier du 7 février 1950.
173 Gallet L., « Les Secouristes », La Nouvelle Revue, tome lxxxix, juillet-août 1894, pp. 167-173.
174 Voir notamment Letouzey et Ane, dictionnaire de biographie française, tome xiv, 1979, p. 1290. De Friedberg obtient la Légion d’honneur en 1912, sur proposition du ministre de la Guerre, au titre de son activité associative. Archives Nationales, Dossiers personnels Légion d’honneur.
175 Le Secouriste, juin 1921, pp. 3-5. Nous avons dépouillé l’intégralité de la collection de la revue disponible à la Bibliothèque Nationale, incomplète, juillet 1906-octobre 1911, janvier 1921-mars 1932.
176 Friedberg E. de, Du secourisme (Éducation médicale des personnes chargées de porter les premiers secours. Société des Secouristes Français, Infirmiers volontaires. Origine, but et fonctionnement de la Société. Résultats obtenus). (Rapport présenté au Congrès international de sauvetage et de secours publics, à l’occasion de l’Exposition Internationale d’Hygiène, Sauvetage, et de Secours Publics, au Grand Palais), Orléans-Paris, imprimerie A. Gout et Cie, 1908, pp. 4-5.
177 Le Secouriste, mai 1908, p. 37.
178 Voir notamment : Guyau J.-M., Esquisse d’une morale sans obligation, ni sanction, Paris, Fayard, 1985 (1re édition 1885) ; Fouillée A., « Les transformations futures de l’idée morale », Revue des deux mondes ; 1 - « Éléments scientifiques de la moralité », sept. oct. 1888 (89), pp. 852-886 ; 2 - « Éléments esthétiques de la moralité », mai juin 1889 (93), pp. 789-805 ; 3 - « Fondements psychologiques et métaphysiques de la moralité », septembre octobre 1889 (95), pp. 303-330.
179 Funck-Brentano T., La civilisation et ses lois. (Morale sociale), Paris, Plon, 1876 ; L’Homme et sa destinée, Paris, Plon, 1895, citation p. 107. Né en 1850, Luxembourgeois d’origine, docteur en médecine, il est inspecteur des ambulances en 1870 (il recevra la Légion d’honneur au titre de ses activités médicales pendant la guerre), avant de devenir brièvement chef du service des statistiques au ministère des Finances. À l’École Libre des Sciences Politiques, il enseigne « l’histoire du droit des gens », « les grands hommes d’État du xixe siècle », « l’histoire du temps de paix et du temps de guerre ».
180 Cinquième fête annuelle des Sauveteurs du Dernier Adieu (dont il est président d’honneur), 30 septembre 1894. (AN F 12375 Seine 452).
181 Zeldin T., « Les médecins français », dans Histoire des passions françaises 1848-1945, Paris, Points-Seuil, 1980-1981 (1re traduction française 1978).
182 Docteur G. de Beauvais, Des premiers soins d’urgence à donner aux noyés et aux asphyxiés. (Conférence donnée au Congrès International de Sauvetage de 1889), Paris, Bibliothèque des Annales Économiques, 1889, pp. 3 et 10.
183 Voir notamment l’illustration du Supplément illustré du Petit Journal du 18 juillet 1897, « Manœuvres des secouristes de guerre », mentionnée dans le chapitre i (n° 25 du cahier iconographique).
184 Friedberg E. de, Du secourisme…, op. cit., pp. 3-4.
185 Voir par exemple : Boulimie Dr. P., « Les secours aux blessés en temps de guerre », La nouvelle revue, tome xvi, mai-juin 1882, pp. 517-552 ; Exposition Universelle Internationale de 1900, Congrès international des œuvres d’assistance en temps de guerre (tenu à Paris du 20 au 24 août 1900). Rapports et comptes-rendus des séances, Paris, imprimerie générale Lahure, 1901.
186 Rousselet A., Les Secours Publics en Cas d’Accidents, op. cit., 1892, p. 79.
187 Archives de Paris (DX6 n° 5). Rapport de l’inspectrice en 1897.
188 Leiris M., L’Âge d’homme, Paris, Folio-Gallimard, 1992 (1re édition 1939), p. 111.
189 Les travaux d’Amoros, dès 1819, connaissent de très nombreuses éditions et rééditions. On utilise ici : Amoros Colonel, Manuel d’éducation physique, gymnastique et morale, Paris, Librairie Encyclopédique de Roret, 1838, deux tomes.
190 Sur ce point voir particulièrement les travaux de Defrance J. On suit ici : « Esquisse d’une histoire sociale de la gymnastique (1760-1870) », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 6, décembre 1976, pp. 31-34.
191 Ibid.
192 Amoros Colonel, Manuel d’éducation physique…, op. cit.
193 Ibid., p. 453. On notera que le passage est intégralement cité dans l’ouvrage mentionné ci-dessous de Hébert G., L’éducation physique, virile et morale par la méthode naturelle (1936).
194 Ibid., pp. 454-456.
195 Les planches du Mémoire pour le gymnase normal militaire et civil fondé et dirigé à Paris par M. le colonel Amoros (1821), reprises inchangées dans ses divers écrits, sont reproduites au début du xxe siècle dans les brochures de la Fédération Nationale de Sauvetage. La plus significative montre une suite de dix postures adéquates pour le transport d’un ou plusieurs enfants, à terre ou sur une poutre, d’une vieille femme à l’aide d’une chaise à bras, de deux enfants et d’une jeune femme dénudée et évanouie au sortir d’un incendie (voir l’illustration n° 43 du cahier iconographique).
196 Ibid., tome second, chapitre xxxi, pp. 446 et ss.
197 Flaubert G., Bouvard et Pécuchet, 1re édition 1880, chapitre viii.
198 Le point est souligné et commenté par Lambert J. : Le chirurgien de papier, op. cit., « Résister : la fonction hygiénique de la gymnastique au xixe siècle », pp. 574 et ss.
199 Coubertin P. de, « La force nationale et le sport », La revue des deux mondes, tome vii, 1902, pp. 918-920.
200 Ibid., pp. 922-923. La doctrine de Pierre de Coubertin, dès la fin de la décennie 1880, s’impose comme une alternative au moment où l’abandon des bataillons scolaires, et l’exploitation nationaliste d’une éducation physique militarisante, qui avait guidé les premières initiatives dans l’école, menacent de discréditer la portée éducative de toute pratique corporelle. Il fonde en 1888 le Comité pour la propagation des exercices physiques dans l’éducation, qui sera parfois appelé du nom de son président, alors dirigeant de la Société d’Encouragement au Bien, Jules Simon. Ce comité s’oppose à la Ligue nationale d’éducation physique, où figure Clemenceau, jugée trop politisée et militarisante, et il devient en 1891 le Conseil supérieur de l’éducation physique. Voir notamment la préface et le prospectus de fin de : Coubertin P. de, L’éducation anglaise en France (préface de Jules Simon), Paris, Hachette, 1889.
201 Ibid., p. 922-924.
202 Coubertin P. de, La gymnastique utilitaire (sauvetage, défense, locomotion), Paris, Alcan, 1905, p. x et vi-vii.
203 Vaux baron de, Le sport en France et à l’étranger (silhouettes sportives), tome i, Paris, J. Rothschild, 1899, pp. 9-12.
204 Sur toutes ces informations, voir : Ministère du Commerce, de L’Industrie, des Postes et des télégraphes, Exposition universelle de 1900. Règlements et programmes des concours internationaux d’exercices physiques et de sports, Paris, Imprimerie Nationale, 1900, 464 pages, ainsi que la présentation générale des rapports : Ministère du Commerce, de L’Industrie, des Postes et des télégraphes, Exposition universelle de 1900. Concours internationaux d’exercices physiques et de sports. Rapports publiés sous la direction de M. D. Mérillon, Paris, Imprimerie Nationale, 1901, 2 tomes. Les autres concours des pratiques qui parviennent à cette reconnaissance institutionnelle, sont : Jeux athlétiques ; Gymnastique ; Escrime ; Tir ; Sport hippique ; Vélocipédie ; Automobilisme ; Sport nautique ; Aérostation.
205 Tijou E. (président de l’Œuvre des Enfants Sauveteurs), Rapports…, op. cit., tome ii, p. 97.
206 Ibid., pp. 100-102.
207 Spivak M., Éducation physique, sport et nationalisme en France du Second Empire au Front Populaire : un aspect original de la défense nationale, Thèse d’État, Université de Paris I, 1983, pp. 760 et ss. Hébert, qui exerça peu de responsabilités institutionnelles, a été longtemps négligé de l’historiographie. Il sera directeur de l’enseignement des exercices physiques dans la Marine (1909-1912), puis dirigera, de 1913 à la guerre, le Collège d’athlètes de Reims, institution créée après la maigre performance des sportifs français aux cinquièmes Olympiades de Stockholm de mai à juillet 1912, détruite par les combats et qui ne sera pas reprise après guerre. Lebecg P., « Le collège d’athlètes de Reims », dans L’éducation physique et le sport en France de 1913 à 1936 et les influences étrangères, Paris X Nanterre, centre de recherche en STAPS, 1989, pp. 6-15 (sur la campagne de presse qui accompagne le choix d’Hébert) ; Le Mercier I., « Le collège d’athlètes de Reims », EPS, n° 239, janvier-février 1993, pp. 54-55.
208 Cité dans Andrieu G., L’Homme et la force (Des marchands de la force au culte de la forme, xixe et xxe siècle), Paris, éditions Actio, 1988, p. 269. Cet auteur est l’un des rares à s’être intéressé à Hébert. Voir : « Georges Hébert », dans P. Arnaud (dir.), Le corps en mouvement, Toulouse, Privat, 1981, pp. 291-312 ; « Du débourrage du futur fantassin à la morale de l’effort », dans De Joinville à l’olympisme (Rôle des armées dans le mouvement sportif français), Colloque École Interarmées des Sports 24 au 24 mars 1994, fascicule programme, 98 pages.
209 La formule est en épigraphe de : Hébert G., L’Éducation physique, virile et morale par la méthode naturelle, Paris, Vuibert, 1941 (1re édition 1936), 5 tomes. Voir notamment tome i, « Exposé doctrinal et principes directeurs de travail », pp. 5-9, avec des photographies « d’indigènes », et pp. 105-108.
210 Hébert G., Le code de la force, Paris, Lucien Laveur, 1911, p. xvii. De même : Ma leçon-type d’entraînement complet et utilitaire, Paris, Vuibert, 1913 (2e édition).
211 Hébert G., Le sport contre l’éducation physique, Paris, Vuibert, 1925, pp. 12-13 et 31.
212 Hébert G., L’éducation physique, virile et morale par la méthode naturelle, op. cit., p. xvi.
213 Elle édite le bulletin Préserver et sauver, revendique près de 50 000 licenciés, et continue d’organiser des championnats de sports utilitaires (nage avec mannequin, lancer de ballon avec cordage, etc.).
214 Académie Française, Rapport sur les prix de vertu, 1902.
215 Ibid., pp. 61-62. Henry Houssaye (1848-1911), fils du poète et également académicien Arsène Houssaye (1815-1896), fut collaborateur de La Revue des Deux Mondes et du Journal des Débats. Il s’est surtout occupé de l’histoire et de l’art grecs. Il a écrit 1814, Waterloo, 1815.
216 Pitet R., L’ABC du sauvetage et du secourisme, Paris, F.N.S., 1957 (10e édition), page de garde.
217 Raymond Pitet, envoyé par le ministère de la Guerre, participe en 1911 et 1913 à des missions de secours auprès du corps expéditionnaire. Officier de réserve, blessé et trois fois cité au combat, traversant l’Aisne à la nage en hiver pour des missions de reconnaissance, appelé par Georges Clemenceau pour seconder le préfet de police de Paris dans l’organisation d’abris pour la population, il publie un manuel de combat individuel remarqué par le maréchal Lyautey : Pitet R. (capitaine), Aux Poilus. Conseils pour l’entraînement individuel au combat, Paris, L. Fournier, 1918. Il invente même une baïonnette, testée par lui devant une commission officielle à la Faculté de Médecine de Paris sur deux cadavres, peu avant l’armistice de 1918. Il est envoyé en soutien du service de santé dans le Rif marocain en 1925, le Djebel Druze en 1926, et exerce des fonctions officielles dans la Défense Passive pendant la Seconde Guerre mondiale.
218 Raymond Pitet décède en 1959, laissant une collection de plusieurs dizaines de milliers d’ouvrages sur l’histoire des pratiques physiques et sportives. Le ministère de la Jeunesse et des Sports s’en porte acquéreur en 1972, pour éviter un départ à l’étranger, ne prenant les ouvrages sur le sauvetage que « contraint et forcé » par Madame Pitet, sans en payer aucun. Un grand nombre de cartons sont encore en dépôt et n’ont jamais été traités. Cette collection forme le fonds initial du Musée National du Sport. Entretien avec M. Duruy, directeur du Musée National du Sport, 4 mars 1994.
219 Terret T., Les défis du bain. Formes de pratiques, modèles et résistances dans les processus de diffusion de la natation sportive, thès nouveau régime, Université Lyon I, 1992, p. 612 (reprise et publiée dans L’institution et le nageur. Histoire de la Fédération française de natation [1919-1939], Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1998 et Naissance et diffusion de la natation sportive, Paris, L’Harmattan, 2000). On ne peut que renvoyer sur tous ces aspects à cet important travail, qui souligne notamment (p. 732) : « De fait l’histoire de la natation n’est pas linéaire. Elle révèle surtout, dans un domaine précis, que le processus de sportivisation n’est pas une simple transposition culturelle, ni une transformation progressive des formes traditionnelles de pratiques, mais le résultat d’une lutte pour l’imposition d’un pouvoir et d’une conception qui passe […] par la conquête de légitimités, qu’il s’agisse de celles données par une institution (l’armée, l’école), une science (l’hygiène), la reconnaissance politique ou l’adhésion des pratiquants. »
220 Voir notamment : Fédération Internationale de Natation (amateurs), Fédération Française de Natation et Sauvetage, Annuaire (natation, water-polo, plongeon, sauvetage), s.l., s.e., 1925. Sur l’association de Givors, affiliée à la FNS jusqu’à la Seconde Guerre mondiale : Camy J. (dir.), Identités givordines, rapport à la mission du patrimoine ethnologique, ministère de la Culture-Universités Lyon I et II, 1985. Les associations de sauvetage locales encore existantes appartiennent soit à la poursuite de cette fédération, soit, après s’être rapprochées au fil du xxe siècle de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, à l’actuelle Société Nationale de Sauvetage en Mer (sociétés du lac Léman par exemple), soit à aucune (Société de Secours en Montagne du Salève par exemple).
221 Drigny, Le miroir des sports, 57, juillet 1921, (cité par Terret T., op. cit., p. 599). La Fédération Nationale de Sauvetage organise notamment en 1906 une importante Fête Nationale du Devoir, dont l’objectif est de « récompenser tous les citoyens qui ont risqué leur vie, pour sauver celle de leurs semblables, dans toutes les circonstances : guerres ; naufrages ; chutes à l’eau ; accidents de chemin de fer, de mines, de fosses ; explosions ; incendies ; arrêts de chevaux emportés, d’animaux atteints d’hydrophobie, de malfaiteurs et d’aliénés ; dévouement dans les hôpitaux et pendant les épidémies, etc., etc. ». AN (F7 12369 Seine 190).
222 Présentation de la FNS dans : Pitet R., Recherches sur les origines du sauvetage, des secours et de la protection des populations civiles, Paris, Louise-Raymond Pitet, 1972, p. 51 (ouvrage posthume, d’après des notes de l’auteur, qui contient de nombreuses indications biographiques).
223 Sur cette problématique : Corbin A., « Le secret de l’individu », dans Aries P.et Duby G., Histoire de la vie privée, tome iv « De la Révolution à la Grande Guerre », Paris, Seuil, 1987, pp. 607-610. Sur la rectitude et ses significations, de la civilité à l’habitus physique : Vigarello G., Le corps redressé : histoire d’un pouvoir pédagogique, Paris, J. P Delarge, 1978.
224 La première approche est celle de Elias N. Voir notamment : « Sport et violence », traduction organisée et commentée de Defrance J. et A., Actes de la recherche en sciences sociales, n° 6, décembre 1976. La seconde est d’Arnaud P., Le militaire, l’écolier, le gymnaste (naissance de l’éducation physique en France 1869-1889), Lyon, PUL, 1991, p. 80.
Table des illustrations
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Légende | Sociétés de sauveteurs créées en France par décennies (1850-1903). |
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© Presses universitaires de Rennes, 2006