8. L’évolution du paysage organisationnel altermondialiste
p. 315-343
Texte intégral
1À la fin de notre enquête, quatre des groupes que nous avions suivis n’existent plus : AARRG !!-Paris et INKaK se sont auto-dissous, SPEB et Linksruck se sont respectivement fondus dans la LCR et le parti Die Linke. Seuls VAMOS et ATTAC ont perduré1. Ceci démontre combien il est important de dépasser les raisons individuelles et les explications personnelles des militants dans l’analyse des phénomènes de défection, et de s’intéresser aussi au niveau de la structure des opportunités politiques2. Comme l’a montré Pierre Bourdieu, il est peu pertinent d’analyser des processus sociaux en les réduisant à une succession de positions successivement occupées par un même acteur ou par un groupe, mais au contraire absolument nécessaire de conjuguer ces trajectoires personnelles à l’analyse de l’espace qui les entoure, lui-même en évolution permanente3.
2Ainsi, pour comprendre les défections des dix-huit militants que nous avons suivis, il convient d’identifier les étapes successives traversées par l’altermondialisation et par les organisations qui la composent. C’est en observant la phase de construction euphorique du mouvement et son caractère unique dans la configuration politique et militante de 1996 à 2001 en France et en Allemagne que nous avons pu comprendre la motivation des dix-huit jeunes à rejoindre le mouvement. C’est cette fois-ci en observant sa déconstruction partielle que nous analyserons la désunion progressive de ces jeunes et de l’altermondialisation à partir de 2004. Nous distinguerons pour cela trois processus de désaffiliation : celui qui a mu les groupes affinitaires INKaK et AARRG !!, celui qui a touché les militants d’ATTAC en France et en Allemagne, et enfin celui des militants de SPEB et de Linksruck.
Les groupes affinitaires : AARRG !!, INKaK et VAMOS
3Les petits groupes affinitaires que nous avons étudiés – AARRG !!, INKaK et dans une certaine mesure VAMOS – se sont construits autour du refus des structures hiérarchiques considérées comme oppressantes et sources de dominations. Les organisations visées étaient alors les partis, mais aussi ATTAC. Qu’elle soit individuelle ou collégiale, toute forme de leadership est honnie par ces militants qui ont voulu une démocratie directe et radicale pour leurs petites structures. Lors de leur fondation, AARRG !!, INKaK et VAMOS ont refusé la constitution en association, l’organisation hiérarchisée et pyramidale, la délégation par mandat, l’identification d’un responsable légal et la possibilité d’adhésion au groupe. Cette attitude correspond à la tendance actuelle des organisations et mouvements militants, dépeinte par Jacques Ion et caractérisée par l’absence de hiérarchie, le pragmatisme, la démocratie participative et la mise en avant des individualités4.
4Nous allons voir que ce fonctionnement fondé sur une démocratie directe, loin d’être irénique, peut dans certains cas être l’objet-même de conflits dans des groupes affinitaires. Le travail de Simon Luck sur le groupe d’AARRG !!-Paris a également démontré5 que le caractère lâche et décentralisé de ce groupe d’agitateurs expliquait en partie son autodissolution, en combinaison avec d’autres éléments tels que la baisse de l’intérêt des médias pour les actions d’AARRG !!, le caractère évolutif et non-défini du groupe6, les conflits interpersonnels, une conception différente de l’avenir du groupe et, enfin, des « habitus mal ajustés » entre le groupe de Paris composé de militants fortement diplômés et le groupe de Toulouse au profil moins élitaire.
5L’absence d’adhésion et la possibilité de quitter le groupe à tout moment ont été désignées par Simon Luck comme un élément supplémentaire motivant les stratégies d’exit spontanées des militants. Or, dans le cas d’AARRG !! comme dans celui d’INKaK, nous avons constaté plus haut que cette grande lâcheté ou faiblesse des liens unissant les individus au groupe, loin de les inciter à quitter le collectif au moindre conflit, les avait au contraire incités à y rester engagés jusqu’à l’auto-sabordage de l’ensemble du regroupement. VAMOS, INKaK et AARRG !! ont en effet été créés ex nihilo par ces jeunes adultes qui y ont investi leurs désirs militants ; le lien qui les attache à leur groupe dépasse donc celui de la simple appartenance. Ces trois organisations, qui peuvent a priori paraître « ouvertes » (pas d’adhésion, fluidité de l’engagement, pas de responsabilités individuelles dans la durée), s’avèrent en réalité répondre à la description de groupes « fermés »7 : une forte socialisation des membres dans le groupe, une affectivité des relations interpersonnelles, une forme affinitaire qui rend l’accès au groupe difficile et donne donc à la présence au sein du groupe un caractère de privilège. Il n’est pas exigé de la part des militants un engagement total et exclusif, mais les militants s’investissent d’eux-mêmes intensément dans le groupe. Pour certains, ce dernier est leur « créature », en ceci qu’ils l’ont eux-mêmes fondé ; les autres ont dû payer le prix fort pour y être admis. Tous s’attachent à le faire évoluer comme ils l’entendent. Une simple stratégie d’exit individuel aurait donc représenté un coût affectif trop important pour les militants ayant fondé et animé ces deux groupes.
6Suite à l’auto-dissolution d’INKaK et AARRG !!, les « orphelins » de ces groupes ne se sont d’ailleurs pas réengagés aussi intensément dans d’autres organisations : certains se sont investis localement dans des groupes écologistes, de précaires ou de soutien aux exilés ; d’autres ont renoncé à toute forme d’engagement organisé.
Le degré de formalisation des structures
7Les groupes affinitaires que nous avons étudiés revendiquent leur absence d’organisation hiérarchisée et l’absence de personnalités dirigeantes en leur sein, ainsi que l’impossibilité d’adhérer à leur groupe. L’absence de formalisation affichée est comme un gage de pureté à leurs yeux, par opposition à la logique du coût et de l’efficacité des organisations structurées. Toutefois, l’absence de formalisation n’est pas totale dans ces groupes affinitaires, puisqu’ils ont un nom, que leurs lieux de réunion sont relativement fixes, parce que les militants qui s’en réclament observent une certaine régularité dans leur fréquentation du groupe, et qu’ils sont inscrits sur une liste de diffusion électronique servant de lien. En ceci, ces groupes représentent bien de véritables entités organisationnelles au sein même d’un mouvement altermondialiste plus large. Seul leur fonctionnement interne n’est pas formalisé. Les dysfonctionnements qui apparaissent au fil de l’existence d’AARRG !! et d’INKaK montrent que l’horizontalité du fonctionnement interne et la démocratie participative qui ont été mises en avant à la manière d’un faire-valoir se révèlent difficiles à tenir, des formes de hiérarchies informelles émergeant assez rapidement8.
8L’impossibilité d’adhérer à ces groupes a certainement contribué à l’émergence de formes de dominations : au sein d’INKaK et de AARRG !! (mais aussi de VAMOS), c’est le fait d’être actif et militant qui fait de vous un membre de ces groupes et non le paiement d’une cotisation. Le choix des orientations des groupes est alors fonction de l’intensité de l’engagement des militants qui les portent : les plus actifs sont ceux qui détiennent le plus de « pouvoir » dans le groupe. La disproportion entre les effectifs très réduits de ces groupes et leur grande visibilité a été le résultat du travail militant intense de « meneurs » ou d’entrepreneurs politiques qui ont accepté de porter les coûts du fonctionnement de leur groupe politique (relations avec les administrations, organisation des réunions et d’actions, gestion des listes électroniques, etc.). La survie de ces petites organisations est totalement dépendante non seulement du poids que les meneurs acceptent de porter, mais aussi de la transmission de compétences et du partage du pouvoir qu’ils effectuent dans le groupe, et de l’état des relations interpersonnelles entre les militants.
9De fortes tensions personnelles ont émergé dans ce contexte, aussi bien dans le cas d’INKaK que dans celui de AARRG !!, notamment autour des questions de pouvoir au sein des groupes : l’absence de hiérarchie et la recherche d’horizontalité ont dans les deux cas laissé place à une hiérarchie informelle mal acceptée, car non cooptée et non légitimée. Les personnes possédant un bon carnet d’adresses et des réseaux militants ont ainsi pu se singulariser, ainsi que celles qui endossaient le rôle de porte-parole lors des interventions extérieures au groupe, se retrouvant de facto détentrices d’un pouvoir symbolique représentatif et décisionnaire. La réflexivité permanente d’INKaK (sous la forme de discussions) concernant le mode de fonctionnement et la gestion des formes de dominations n’a pas pu empêcher l’émergence d’une hiérarchie informelle. VAMOS n’a en revanche pas connu de conflits de ce type, puisque la hiérarchie informelle plaçant l’un d’entre eux à la tête du réseau a été acceptée par les autres militants.
10Ceci ne signifie pas pour autant que les personnes qui se retrouvent à la tête d’une hiérarchie informelle dans ces organisations aient choisi cette position. Dans certains cas, ce sont les médias qui se chargent de désigner une égérie, lorsque les organisations ou les mouvements refusent de désigner un porte-parole, comme l’a montré Joe Freeman pour le mouvement féministe états-unien des années 1960-19709. L’individu auquel incombe alors la tâche de représenter les autres n’a pas toujours choisi ce statut, même s’il s’en accommode ou en apprécie même les retombées en termes de pouvoir et de renommée. La « capiteuse excitation », produite par la combinaison entre la conscience d’agir pour le bien public et l’exercice du pouvoir, peut ainsi expliquer le surengagement des militants qui y ont goûté10. Cette excitation nait de l’acquisition d’un capital social et symbolique qu’ils investissent ou recyclent de diverses manières, mais aussi de la constitution d’un « charisme », de la position sous les projecteurs, etc.
11Dans le cas où le rôle d’animateur, de porte-parole ou de dirigeant est voulu et assumé, il peut toutefois parfois dépasser les ambitions personnelles et les proportions envisagées par le leader informel. Les animateurs de ces groupes affinitaires défendent bien souvent le maintien de règles de fonctionnement implicites et informelles, parce qu’ils profitent (consciemment ou non) de l’absence de règles de pouvoir explicites et formelles. Ce mode de fonctionnement informel s’autoalimente : les personnes en position de domination n’ayant pas été désignées officiellement, elles ne peuvent pas être démises de leur position. En outre, le groupe ne peut pas non plus influencer efficacement les agissements publics de cette personne, puisque le leader autoproclamé n’agit pas officiellement au nom du groupe. De la même manière, ces groupes n’ayant pas de statuts régissant leur fonctionnement interne, il n’est pas possible de prévoir des précautions statutaires empêchant la formation d’une oligarchie – telle que l’a décrite Robert Michels11 –, c’est-à-dire d’un groupe monopolisant les responsabilités. S’ils ne peuvent pas être démis de leurs fonctions, ces individus détenteurs d’un pouvoir de représentation sans mandat sont en revanche fortement exposés aux critiques de leurs camarades et à l’accusation d’abus de pouvoir.
La tyrannie de l’absence de structure12
12L’émergence de formes de hiérarchie informelle dans les organisations refusant la structuration de leur groupe n’est pas une nouveauté. Elle a notamment été illustrée par l’exemple du mouvement de libération des femmes états-unien dans les années 1960 et 197013. Selon la militante féministe Joe Freeman, l’absence de structure dans un groupe militant est totalement illusoire. Se prévaloir d’un groupe sans structure signifie tout au plus que l’on laisse s’instaurer une structure informelle au bénéfice d’individus en position de domination, parce qu’ils disposent de davantage de temps libre, parce qu’ils ont mieux nourri leur carnet d’adresses, qu’ils maîtrisent mieux les techniques de communication et de prise de parole publique que les autres, qu’ils maîtrisent la gestion de l’ordre du jour d’une assemblée générale, qu’ils résistent mieux aux débats prolongés et parfois agressifs14, qu’ils se sont constitué un « habitus de dirigeant » lors de mouvements sociaux antérieurs15, qu’ils ont capitalisé davantage d’expériences militantes par le passé que les autres, qu’ils sont issus de classes sociales valorisées dans le champ de leur militantisme, qu’ils sont « charismatiques16 », etc. – autant de compétences militantes que relève Joe Freeman, mais qui ont aussi été démontrées par Pierre Bourdieu17 ou énumérées dans la panoplie du représentant étudiant de Sylvain Bourmeau, Dominique Cardon et Jean-Philippe Heurtin18.
13En effet, l’égalité des compétences entre les militants de ces groupes affinitaires ne va pas de soi et nécessite un véritable travail de mise à niveau. Les militants les plus dotés en capital social et militant doivent ainsi dans un premier temps non seulement assurer le gros des activités d’organisation et de représentation des groupes affinitaires, mais assurer en plus la transmission de leurs compétences aux autres. Les activistes d’AARRG !! mettent ainsi des kits à disposition des primo-militants ou de ceux moins dotés du groupe, les familiarisent avec leur carnet d’adresse militant. Cette activité de transmission de savoir n’est en aucun cas valorisante pour les jeunes adultes se retrouvant à la tête de ces groupes affinitaires : leur activité est doublement contraignante, puisqu’elle consiste à militer et à transmettre leur savoir ; leur position de chef illégitime leur vaut les foudres et les jalousies de leurs camarades, de la part desquels ils ne récoltent donc que peu de reconnaissance. Guillaume Sainteny a d’ailleurs montré ce même phénomène de grande disproportion entre les coûts et les rétributions dans les organisations où les responsables sont à tout moment révocables, à l’instar du parti vert français : « La suspicion avec laquelle les dirigeants sont regardés par les militants, la fragilité de leur position, leur révocabilité quasi-permanente, les critiques incessantes dont ils sont l’objet conduisent à affecter ces fonctions d’un coût psychologique qui semble considérable19. »
Le cas des conflits internes d’AARRG !! et d’INKaK
14Nous nous pencherons ici davantage sur le cas d’AARRG !! que sur celui d’INKaK, d’une part parce que les conflits liés à la hiérarchie informelle y ont été beaucoup plus forts, d’autre part parce que nous avons dans notre échantillon à la fois une personne qui a tenu les rênes de l’organisation (Charlotte), et deux militants qui se posent en victimes de cette direction non concertée.
AARRG !! et la gestion de l’émergence d’une hiérachie informelle
15Charlotte s’est distinguée au sein d’AARRG !! par son « charisme », par des compétences militantes et par un carnet d’adresses bien remplis grâce à ses responsabilités passées dans des réseaux de précaires. Elle devient assez rapidement la figure de proue d’AARRG !!, parce qu’elle a cofondé ce groupe, qu’elle dispose d’un important capital militant, et qu’elle consacre une part conséquente de son temps libre au militantisme :
« En fait les questions de hiérarchie et tout ça, et de décision, on les a beaucoup posées au début, […] mais après on a souvent pris les choses sous l’angle pragmatique, quoi ! Ce qui avait ses avantages et, quand même, ses inconvénients. Parce qu’en réalité, on a été super surpris de tout ce qui avait été emmagasiné comme malentendus. On croyait avoir évité des discussions fastidieuses… On les a juste reportées, en fait. [Et est-ce que tu étais satisfaite du niveau de démocratie interne ?] On ne peut pas être satisfait de ça, parce qu’au fond, ça se réglait par le vide. […] Dans des groupes aussi petits, on devrait avoir une démocratie radicale, totale… […] Au fond, le parti pris, c’était, en gros, chacun fait ce qui lui plaît. Mais sur une action, moi je préfère faire ci, toi tu préfères faire ça, mais au fond toutes les actions ne se valent pas. Par exemple, moi je me souviens, que je me suis tapée un nombre de réunions unitaires insupportables ! Personne ne voulait faire ça. Sauf que la réunion unitaire, c’est le truc où tu es le porte-parole de fait. Donc tu vois… C’est à la fois la corvée et, en même temps, le truc qui t’expose de fait, parce qu’il faut bien que tu demandes aux autres d’AARRG !! ce qu’ils pensent de ça, pour pouvoir aller le dire à une réunion. Et si tout le monde te dit “On s’en fout, on ne veut pas aller à la réunion unitaire”, tu vas quand même à la réunion unitaire, mais avec quel mandat ? Enfin tu vois ? Tu n’en as pas ! Donc il y a une forme de putsch, de fait, mais qui est lié simplement à une forme de désintérêt. Il faudrait que les corvées soient assumées par tout le monde à tour de rôle pour ne pas qu’on puisse venir te dire un jour que, au fond, tu as parlé pour AARRG !! en disant ci, ou ci, ou ça. Donc, non, ce n’était pas exemplaire. » Charlotte (AARRG !!).
16Le fait que les élites soient informelles au sein d’un groupe ne veut pas dire qu’elles sont invisibles. Cette situation est par conséquent parfois source de conflits, particulièrement lorsque se développe un climat de suspicion parmi les militants qui ne participent pas directement aux discussions de couloir et aux prises de décision. Assez rapidement, le rôle de Charlotte va être critiqué au sein d’AARRG !! et ce conflit interne sera un des éléments centraux de l’autodissolution du groupe. Simon Luck a lui aussi recueilli, dans son mémoire de DEA, les propos de militants d’AARRG !! nourrissant des ressentiments à l’encontre de Charlotte et d’autres responsables auxquels il est reproché d’être les « chefs » du groupe, d’avoir voulu inscrire AARRG !! dans un processus de professionnalisation et d’institutionnalisation, d’avoir désiré accroître la force du groupe en trahissant son originalité, etc. Par exemple, le dépôt des statuts d’AARRG !! en préfecture, défendu par certains des dirigeants informels comme étant le seul moyen d’obtenir des financements pour les déplacements vers les contre-sommets, a été perçu par une majorité des militants parisiens comme une volonté d’institutionnalisation trahissant le projet initial20.
17Bref, les deux parties en conflit au sein d’AARRG !! sont celles que l’on retrouve dans la plupart des organisations : d’un côté les tenants d’un élargissement de l’organisation, fût-ce au prix de compromis, de transactions ou de concessions, de l’autre ceux qui appellent à « un retour aux sources, à une restauration de la pureté originelle21 » :
« Les gens n’étaient plus d’accord sur la manière d’envisager la démocratie au sein d’AARRG !!. Parce que finalement ça devenait trop gros pour le fonctionnement que ça avait pris au départ. Il y a eu une réunion, […] une sorte de sommet de tout AARRG !!, où ça s’est plutôt mal passé, surtout pour les gens de Paris. On nous a accusés justement de monopoliser le mouvement… C’est pour ça aussi que les gens d’AARRG !!-Paris […] ont finalement arrêté… Et puis il y avait aussi le problème de la récupération par la LCR de ce mouvement-là. [Beaucoup d’entre vous sont à la LCR ?] En fait, dans certains endroits comme à Toulouse, il y a un gros pôle qui est à la LCR et qui utilisait en fin de compte le sigle “AARRG !!” dans des réunions ou dans des manifestations de la LCR22. Ce qui nous gênait, parce qu’on avait énormément de contacts avec des mouvements anarchistes qui n’appréciaient pas particulièrement la LCR. » Guillaume (AARRG !!).
« Il y avait deux voies qui se dessinaient pour l’avenir d’AARRG !!. [Une de ces deux voies] était de faire d’AARRG !! plutôt un mouvement de jeunes en faisant de l’entrisme, etc. C’était clairement une instrumentalisation d’AARRG !! par Charlotte pour asseoir sa position sociale. Bien qu’elle ait déjà une certaine assise mais pour la conforter davantage. Et donc dans ce contexte-là, aller aux contre-sommets ou faire Intergalactika23 ou toutes ces conneries, ça devenait important. Puisqu’une des ambitions de Charlotte, c’était carrément de fédérer un truc à une plus grande échelle. Tu vois, qu’AARRG !! prenne un rôle de coordination… Comme elle a du charisme et une certaine aura, elle commençait à vraiment manipuler les gens. Et nous, on pensait que ce n’était pas la fonction d’AARRG !! et qu’on allait complètement dénaturer ce qui faisait sa force. » Juliette (AARRG !!).
18Ce qui est reproché à ces militants, c’est essentiellement l’usurpation de mandats qui les autorise à parler « au nom de ». Selon eux, en mettant en avant leur dévouement impersonnel, leur sacrifice pour le collectif, ces chefs auto-consacrés s’assignent des tâches (la représentation dans les collectifs unitaires, par exemple) dont ils décrètent qu’elles sont sacrées, parce qu’eux-mêmes ont décidé de la valeur de ces choses qui leur procurent des bénéfices personnels. Ce stratagème, que Pierre Bourdieu a nommé « l’effet d’oracle », consiste en la « transcendance du groupe par rapport à l’individu singulier opérée par un individu qui effectivement est d’une certaine façon le groupe, ne serait-ce parce que personne ne peut se lever pour dire, “tu n’es pas le groupe”, sauf à fonder un autre groupe24 ».
19Le problème de la hiérarchie informelle au sein d’AARRG !! a culminé lors du contre-sommet de Gênes où les décisions prises unilatéralement par Charlotte ont été exécutées par le reste du groupe qui a conséquemment été victime d’une répression violente. Ce contre-sommet a représenté pour une bonne part de ces militants une combinaison du « traumatisme du coup de matraque » et de la frustration de se retrouver noyés dans la foule, loin de l’entre-soi de leurs actions originales et médiatisées de Paris. La rancœur nourrie à Gênes s’est alors retournée contre leurs dirigeants informels :
« Au sein d’AARRG !!, [la hiérarchie], c’était simplement quelque chose qui n’était pas complètement décidé. Mais implicitement, [lors des contre-sommets], certaines personnes qui avaient des relations, faisaient jouer le système des réseaux, se retrouvaient finalement à être bénéficiaires de l’information […] qui finalement leur permettait d’avoir une certaine influence sur le reste du groupe et, parfois, ça posait des problèmes. […] Moi ça ne me plaisait pas de dépendre directement [de ces personnes]. Il n’y avait plus finalement ce mouvement qu’il pouvait y avoir sur Paris, quand il y avait des actions beaucoup plus concrètes, où finalement tout le monde […] organisait des actions ensemble. […] La structure d’AARRG !! n’arrivait pas à se maintenir dans le contexte des contre-sommets où on se retrouvait, dans un milieu qu’on ne connaissait pas, à devoir soit manifester normalement – et c’était une forme de protestation qui ne me plaisait pas –, soit à essayer d’organiser des actions dans un dénuement total et où finalement se reconstituait une hiérarchie entre certaines personnes qui connaissaient certaines personnes qui participaient aux réunions du contre-sommet. Et puis nous qui simplement faisions, agissions et on prenait des risques […] que nous ne pouvions pas contrôler. […] Il y a eu ce problème justement à Gênes : il y avait trois personnes qui avaient accès aux réunions tout simplement pour des raisons de place et tout ça, et voilà, on s’est retrouvé tout à coup à devoir faire tomber la grille de sécurité sur le service d’ordre d’une manifestation, alors qu’on était vingt et tout simplement parce que les trois personnes en haut avaient pris cette décision lors de la réunion. Et voilà, nous, on était obligé d’exécuter quelque chose alors que, je pense, on n’aurait pas accepté un tel truc. Et finalement, après, on avait une responsabilité qu’on se sentait obligé d’assumer et qu’on n’avait pas prise personnellement. » Guillaume (AARRG !!).
« À Gênes c’était évident, j’avais trop de casquettes, et c’est une des origines du clash d’AARRG !!-Paris. Cette connaissance de l’italien et des groupes italiens, etc., faisait que j’étais partie en avance pour essayer de comprendre comment ça se passait… Et plus je comprenais comment ça se passait et plus je participais au processus et plus… Ce n’est pas que je ne prenais pas des décisions, mais c’était moi qui… Comment dire ? (silence) C’était moi qui donnais des clefs. Les gens d’AARRG !! n’avaient pas d’autre son de cloche ! Et donc voilà. À force, je passais mon temps en réunion et je ne voyais pas du tout les autres… Et j’avais la sensation de prendre des décisions qui par la suite mettaient les gens en danger, sans pouvoir leur expliquer à quel point ils se mettaient en danger… […] Je disais juste “Voilà ce qui a été décidé” et je repartais à ma réunion. » Charlotte (AARRG !!).
INKaK : l’incompatibilité des approches du militantisme
20Au sein d’INKaK, les problèmes de domination au sein du groupe ont été similaires. Ils n’ont toutefois pas été motivés par l’ambition personnelle de quelques membres, mais par la volonté de certains d’imposer leur approche du militantisme aux autres. En effet, deux courants s’opposaient au sein de ce petit groupe altermondialiste : ceux qui privilégiaient une approche théorique (lectures, rédaction de textes, discussions, etc.) et ceux qui souhaitaient participer à des actions. INKaK s’étant créé notamment autour de la volonté de combattre toutes les formes de domination et de ne pas reproduire celles présentes dans ATTAC, Linksruck et dans les partis politiques, ce problème a évidemment été débattu. Toutefois, les militants d’INKaK ne sont pas arrivés à une solution satisfaisante. Pour répondre à ces conceptions différentes du militantisme, INKaK a créé des sous-groupes. Ceci a eu pour effet de multiplier la fréquence des réunions et « à faire perdre de la cohérence » à l’entité (dixit un militant). L’organisation a donc été auto-dissoute pour ces raisons, puis refondée, avant d’être à nouveau auto-dissoute un an plus tard :
« Il y avait des problèmes dans la structure de notre groupe. Il y avait des structures hiérarchiques, comme dans tous les groupes probablement, parfois de manière officielle, parfois de manière plus dissimulée. Mais, au moins, chez nous, on y réfléchissait. Mais certains ont critiqué le fait que cette réflexivité ne soit pas allée assez loin. La hiérarchie dans tous les comportements… Le fait par exemple que les hommes prennent plus souvent la parole que les femmes. Le fait qu’il y ait toujours eu plus d’hommes dans le groupe que de femmes. […] À la création d’INKaK, il n’y avait que des hommes. Et on s’est demandé pourquoi. C’est peut-être à cause du thème… [Ou peut-être à cause de vos méthodes ?] Oui, je crois aussi. La manière de travailler. Il y avait des moments où on passait notre temps à analyser des textes. Et pour la prochaine action, on fabrique des marionnettes par exemple… Et, c’est peut-être caricatural, mais c’est vrai que là les femmes participent davantage. » Nils (INKaK).
21Ce qui ressort alors des entretiens que nous avons menés, c’est que l’absence de structure et de hiérarchie nécessite des liens amicaux forts entre les militants – proximité qui, en retour, fait obstacle à la perméabilité du groupe et à son ouverture aux nouveaux entrants.
Les conflits interpersonnels : l’élément déclencheur de l’auto-dissolution
22Le coût d’une activité militante portée par très peu d’individus se justifie notamment par les liens amicaux qui se tissent entre les membres de ces groupes affinitaires de petite taille. L’absence de hiérarchie formalisée n’est possible que si ces liens perdurent et si une relation de confiance existe entre les militants, comme c’est le cas de VAMOS :
« Il y a un cadre militant qui s’est établi un peu dans la durée avec des relations de confiance qui se croisent, qui se construisent, etc. […] Il y a des rapports de confiance qui se mettent en place. Parce que, par exemple, dans VAMOS les militants n’ont pas de responsabilités et tout le monde n’a pas le même niveau d’engagement… Du coup, il y a des rapports de confiance qui s’établissent. » Nicolas (VAMOS/ATTAC).
23Au sein d’AARRG !!, mais aussi d’INKaK, cette confiance a rapidement laissé place à de la défiance entre les militants. Or la faible séparation entre sphères privée et militante dans ces organisations fait qu’un conflit entre les militants et les meneurs du groupe entraîne bien souvent la dissolution du groupe, l’impression d’avoir été trahi politiquement signifiant dans ce contexte également la trahison d’une amitié :
« [À la suite des conflits internes,] nous, on pensait qu’on allait quand même pouvoir continuer à militer dans AARRG !!, même s’il y avait des désaccords. Et en fait, […] ça ne marchait plus, parce qu’il y avait un truc tout simple qui était d’avoir naturellement envie de travailler ensemble et ça ne marchait plus. » Juliette (AARRG !!).
« [Et le fait que vous n’ayez aucun statut, pas de hiérarchie officielle, est-ce que ça n’a pas compliqué les choses ?] Simplement, ce qui fonctionne quand tout va bien, et quand je dis “tout va bien”, ce n’est pas simplement la situation politique, c’est aussi les tensions personnelles et compagnie, parce que quand il y a des tensions personnelles et qu’il y a des gens qui ne se parlent pas, de fait, la communication ne passe pas et il n’y a aucune raison qu’elle passe ! Enfin moi je trouve que plus ça va, et plus je suis persuadée qu’en fait on ne peut réellement être dans un groupe comme ça que s’il y a la confiance d’un bout à l’autre. C’est-à-dire que quand ça ne va pas, quand c’est pourri, les gens se mettent à avoir des comportements de mise en accusation des uns des autres. […] AARRG !!-Paris a complètement explosé pour des raisons qui sont personnelles, individuelles et malheureusement psychologiques… Enfin, je veux dire au sens où ce sont des tensions. [Des problèmes relationnels ?] Oui. Très-très-très… » Charlotte (AARRG !!).
24En montrant les dysfonctionnements que peuvent engendrer une hiérarchie informelle et l’absence de transparence des rapports de pouvoir, on tend à désigner ces éléments comme étant les responsables de l’échec de ces groupes affinitaires25. On donne aussi l’impression qu’une hiérarchie bien identifiée, un degré de formalisation plus élevé, une plus grande ouverture pour les nouveaux entrants auraient rendu possible le maintien de ces groupes. Or, nous verrons avec le cas d’ATTAC que ceci est loin d’être évident et que chaque variante de la structuration de l’action collective présente ses faiblesses.
SPEB et Linksruck : du sous-marin au courant politique
25On l’a vu, la confiance est souvent évoquée lors des entretiens avec les militants français. La confiance en soi notamment y est présentée comme un élément indispensable à l’entrée en politique et qui grandit avec la pratique du militantisme. La confiance n’est cependant pas toujours évoquée dans le registre du bénéfice. Oser participer à la vie publique, se sentir à la hauteur de cet engagement, faire face à la technicité de la politique, affronter les autres courants, etc., sont autant d’agissements qui ne vont pas de soi. Les militants s’exposent, prennent des risques en s’engageant, parce qu’ils y engagent leur personne, leurs émotions et leur temps. Leur cercle de sociabilité s’en voit modifié, certains se distancient de leur famille et leurs activités universitaires ou professionnelles pâtissent de leur engagement intense. L’autre contexte dans lequel la confiance est évoquée est celui de la confrontation à l’altérité (les autres militants, une organisation politique, une revendication, un courant politique, une idéologie, etc.), un contexte qui est associé à une prise de risque.
L’épuisement de la démarche propagandiste et de l’obéissance aveugle
26Les militants évoquent dès le premier entretien cette prise de risque que comporte l’entrée en militantisme, alors même qu’ils se trouvent pour la plupart dans une phase euphorique de leur engagement. Lors du deuxième entretien, cette déception est largement consommée pour certains d’entre eux, qui ont conscience qu’elle est fortement corrélée à l’énergie qu’ils ont investie dans leur organisation et dans la cause qu’ils ont défendue.
27En entrant dans une organisation et en y investissant une part importante de leur temps libre, les militants laissent en effet la vie publique s’introduire dans leur sphère privée. Ils mettent leur personne à la disposition d’une organisation, s’en font le porte-drapeau et deviennent ainsi tributaires des méandres de la ligne politique de l’organisation en laquelle ils espèrent pouvoir avoir confiance. En sacrifiant leur vie privée au profit d’un engagement public, les militants attendent une certaine rentabilité de cet investissement et espèrent donc pouvoir accorder leur confiance à la légitimité de la ligne politique de leur organisation. Ils ont besoin de cette confiance pour justifier les moyens d’action qu’ils engagent pour faire face à leurs adversaires politiques (les institutions qu’ils combattent, le gouvernement en place, une idéologie, un autre courant au sein de leur organisation, etc.).
28Lorsque l’organisation trahit cette confiance qui lui a été accordée au départ, les militants revoient leur investissement et leur « dévotion » à la baisse. C’est le cas de Philippe, qui s’est chargé de l’organisation des cars pour le contre-sommet d’Évian (2003) pour SPEB et pour les comités d’Agir Contre la Guerre (ACG). Placé en première ligne, puisqu’il se trouvait dans les cars d’ACG avec les jeunes étudiants et militants auxquels il avait vendu des billets pour se rendre à Annemasse, il a dû défendre les instructions contradictoires de la direction de son organisation. Au cours du trajet, Philippe a dû leur annoncer qu’ils se rendaient finalement à Genève où se réunissaient les organisations du courant trotskiste IST (International Socialist Tendency). Face au mécontentement grandissant des passagers, des conducteurs de car et des organisateurs du Village Intergalactique d’Annemasse, les cars ont finalement déposé ces militants à Annemasse. Tout le long du trajet, Philippe a dû porter en son nom ces décisions contradictoires, ce qui l’a mis en situation de porte-à-faux par rapport aux militants des autres organisations altermondialistes :
« J’avais organisé un comité ACG à Science Po, je me sentais vachement important, vachement… Pas “important”, mais… Je sentais que je pouvais faire quelque chose. C’était vachement exaltant. J’avais tellement vu les gens faire sans faire moi-même et, là, je prenais quelque chose en main. Et c’est beaucoup parti dans tous les sens… Ça laisse un goût amer, parce que je n’ai pas accroché les gens. Je ne savais pas comment m’y prendre, j’ai fait ça de manière trop personnelle, sans beaucoup prendre de décisions collectives. Il y a eu beaucoup de fight. Après ce truc-là, je me sentais moins en confiance. D’autant plus, après avoir emmené des gens au contre-sommet d’Évian… C’était trash ! Parce qu’on avait rempli neuf bus ACG, notamment avec des gens que nous avait envoyés VAMOS et avec une dizaine de gens de Science-po qui voulaient aller à Annemasse. On devait manifester à Annemasse et puis, grosse prise de tête, changement d’avis à la dernière minute… [Et puis finalement vous vouliez tous les emmener à Genève ? Avant de rechanger d’avis et de les déposer à Annemasse…] Mouais… Et puis, on a dormi trois heures à Annemasse [dans le Village Intergalactique], on s’est levés à trois heures du matin pour partir [à pied] à Genève et on s’est vraiment conduit comme des sagouins dans le Village Intergalactique, on a foutu le boxon ! Bon, c’était une erreur. Et ça, ça casse aussi. On a marché 40 km toute la journée. Comment on a pu se monter la tête là-dessus ! Et comment, avec beaucoup de discipline, j’ai convoqué les sept personnes avec lesquelles j’avais vendu les places [de car] à Science Po et puis j’ai été infect ! Pour les convaincre… “Non, non, il faut aller à Genève et si vous n’avez pas de passeport pour aller en Suisse, vous vous démerdez. Et puis, vous irez à pied à Genève, je ne veux pas le savoir…” Les gens avaient des passeports australiens, mexicains, etc., donc ils ne pouvaient pas se rendre à Genève… […] Dans les milieux militants, on noue des rapports de sympathie, on noue aussi des rapports d’antipathie durables ! Ça a aussi créé des tensions au plan personnel. Moi, j’ai moins de confiance. D’ailleurs ça se voit : j’ai un discours un peu aigre par rapport à ça ! Je pense que j’ai moins de confiance dans la direction que je pouvais en avoir avant cet épisode. » Philippe (SPEB/ATTAC).
29La rigidité de ces organisations trotskistes dans lesquelles la hiérarchie est omnipotente pousse les militants de base à défendre une ligne politique aveuglément et de manière offensive. D’autres militants décrivent également la fatigue causée par cette démarche propagandiste propre à SPEB, à Linksruck, mais aussi à la LCR pour les militants qui y sont adhérents concomitamment à ATTAC et/ou à VAMOS. Jérémie décrit l’épuisement conséquent à la démarche propagandiste de son courant (Socialisme au sein de la LCR) :
« Je ne me sens plus capable de militer de façon très propagandiste, comme on le faisait : les grands débats d’idées, les grands trucs, les grands débats avec la Ligue [LCR], les grands désaccords théoriques, j’en ai marre ! […] Et il faut être vraiment blindé pour tenir, parce que c’est assez dur, je trouve. Les accusations, les débats… C’est pas hyper fraternel ! Je trouve. C’est très tendu. Les gens sont très tendus sur leurs trucs, leurs positions. C’est aussi la forme du militantisme propagandiste, un peu missionnaire parfois qui me… que je ne peux plus assumer. » Jérémie (ATTAC/LCR).
30Suivre les orientations de leur direction ou de leur organisation-mère (le SWP) nécessite pour les militants de SPEB et de Linksruck une certaine discrétion par rapport aux stratégies de leur courant – particulièrement dans le cas d’infiltration dans une organisation – et une reconstruction permanente de leurs agissements. Nous avons observé cette justification de leur entrée collective dans ATTAC lors du premier entretien, puis celle de leur abandon collectif du navire au profit de Die Linke et de la LCR, lors du deuxième entretien. Philippe qui a pris un peu de distance par rapport à ce courant trotskiste nous livre une version non-reconstruite de l’entrée de SPEB dans ATTAC, c’est-à-dire qu’il met à jour très clairement les stratégies d’infiltration dans ATTAC :
« Notre entrée dans ATTAC un peu fracassante… Quand on est entré dans ATTAC, on a dit : “Voilà, ATTAC, c’est notre organisation politique et on essaie d’y gagner des orientations politiques.” C’est-à-dire en décembre 2000, à l’assemblée générale de SPEB, on décide de passer à un journal papier. Il y avait un texte avec un titre épouvantable qui était sorti à l’époque, c’était : “On veut un ATTAC révolutionnaire” et c’était une connerie. […] Mais ce texte avait beaucoup circulé par ailleurs dans ATTAC, donc ce qui avait bien préparé notre entrée. On n’avait plus de réunions vraiment de SPEB : nos réunions c’était les réunions d’ATTAC. On a laissé tomber SPEB et on s’est dissous dans ATTAC, et en même temps on a entretenu une confusion entre notre journal [et ATTAC]… Voilà. Et ça, c’est vrai que c’était… Bon maintenant, c’est fait, c’est fait. » Philippe (SPEB/ATTAC).
31Camille, qui est en revanche toujours très active dans SPEB, devient assez nerveuse et très confuse quand il s’agit de justifier le départ collectif d’ATTAC au profit de la LCR :
« [Et ton adhésion à la LCR s’inscrit dans un mouvement d’adhésion collective des militants de SPEB ?] Oui. [Et la décision d’abandonner ATTAC aussi ?] Non. Non, non. Parce que… Non, non, ce n’était pas… Enfin le… Je crois que c’était… La question avec ATTAC, je crois que c’était… C’était pas d’abandonner ATTAC, c’était juste de… […] [Parce que j’ai remarqué que tous les gens de SPEB et tous les gens de Linksruck ont quitté ATTAC au même moment…] Ah oui ? [Mais c’est peut-être le hasard…] Je ne sais pas… Je pense que ce n’est pas le hasard en soi… C’est la question de… Voilà, le mouvement anti-guerre, à partir de… Je pense que c’est à partir de 2001… Bon, le 11-septembre, c’était en 2001. 2001… 2001 ? Le 11-septembre… Voilà. Il y a eu… Ensuite, il y a eu… Jusqu’à Florence, jusqu’au premier FSE de Florence, où il y a eu la grosse manif, etc., donc je pense qu’on était encore dans ATTAC… Et je crois que c’est… Voilà, en 2002, entre Florence et Paris, je crois. Mais c’était en termes de priorité politique et voilà. Donc, de fait, ce n’était pas un hasard dans le sens où, je pense que… Voilà, Linksruck aussi faisait partie de la tendance IST et vraiment… Et il y avait un axe politique porté sur la question anti-guerre et une argumentation sur pourquoi est-ce que c’était ça qu’il fallait construire. Mais je croyais que les camarades de Linksruck avaient réussi à le faire dans le cadre d’ATTAC plus ou moins et… Pour le coup, comme en France, à ATTAC, il y a eu une dissociation entre le fait de dire “Bon, c’est vraiment altermondialiste” et la question de la guerre était un peu mise de côté… Alors, quand on a pu continuer dans ATTAC à faire le truc anti-guerre, on l’a fait, mais sinon… » Camille (SPEB/ATTAC).
32La principale difficulté que rencontrent les militants de SPEB et de Linksruck se situe donc dans leur confrontation au monde militant extérieur à leur organisation. Là, ils doivent faire face à la méfiance permanente des autres militants altermondialistes qui les suspectent de jouer les sous-marins dans le mouvement. Cette position les rend vulnérables, parce qu’elle les expose particulièrement aux soupçons et aux calomnies. Cette situation de sous-marin au sein d’ATTAC qui mettait perpétuellement en jeu le capital politique des militants de SPEB et Linksruck a trouvé une porte de sortie grâce à une modification des opportunités politiques en France et en Allemagne qui a facilité le jeu de positionnement de ces militants au sein de la gauche.
La modification de la structure des opportunités politiques
33L’objectif poursuivi initialement par les militants de SPEB et de Linksruck au sein d’ATTAC était, nous l’avons vu, de convaincre les militants de cette organisation émergente de leur anticapitalisme et de leur anti-impérialisme latents – et ce, dans le but de former à terme une grande force politique anticapitaliste. La forte implication des militants de SPEB et de Linksruck dans les mobilisations anti-guerre – notamment par le biais de commissions au sein d’ATTAC ou par le biais de comités anti-guerre (ACG) – a participé de cette tentative de rallier les militants altermondialistes aux courants trotskistes se réclamant de l’antiimpérialisme. Ils ont ainsi tenté de convaincre ces militants altermondialistes que l’intervention armée des États-Unis était impérialiste et que les militants altermondialistes engagés contre la guerre faisaient donc partie d’un large courant anti-impérialiste.
34Puis, les militants français de SPEB ont perçu la campagne pour le NON au référendum du TCE comme un tremplin pour la transformation d’ATTAC vers une force politique électorale. L’implication d’ATTAC dans les collectifs du NON a en effet placé l’organisation aux côtés des partis politiques, dans une démarche que les militants de SPEB ont perçue comme étant électoraliste. Cette évolution allant dans le sens espéré par l’organisation SPEB dès son entrée dans ATTAC :
« Je pense que les considérations électorales, ça procède d’une reconnaissance du fait politique, une reconnaissance subjective de quelque chose qui est objectivement politique. C’est-à-dire qu’à la base, le mouvement altermondialiste était politique, bien qu’il ne pose pas la question du pouvoir, mais ce n’était pas un mouvement catégoriel : même si les courants qui étaient présents étaient très divers, il y avait quand même un discours général sur un projet, sur “Qui est notre adversaire ?”, et tout ça préparait la… Alors maintenant qu’ATTAC se soit impliqué dans une campagne électorale, ce qui était complètement nouveau… [Pour le référendum concernant le TCE ?] Oui. Parce que bon, à l’époque, il y avait y compris une espèce d’hypocrisie, on s’interdisait de reconnaître le côté politique, en tous les cas ATTAC faisait ça. Nous, à SPEB, on était à fond dedans : “C’est politique, c’est politique !” Mais bon, c’était des fight un peu stériles… C’était un peu le dialogue de sourd. Mais je pense que maintenant, il y a une reconnaissance de ça. C’est la maturation du collectif militant. La campagne pour le NON, ça a été vraiment une étape importante pour le mouvement altermondialiste, en terme politique, en terme militant… C’est une étape. » Philippe (SPEB/ATTAC).
35Malgré cette implication grandissante d’ATTAC dans le champ politique national, perçue comme une avancée par les militants de SPEB, ceux-ci décident en juin 2002 d’intégrer la LCR. Après avoir soutenu Lutte ouvrière pendant la campagne présidentielle de 2002, les militants de SPEB découvrent à la lumière des résultats de l’élection d’avril 2002 que la LCR est en plein essor, tirant profit de son implication dans le mouvement altermondialiste, mais aussi de l’aura de son nouveau représentant, Olivier Besancenot. L’intégration de SPEB dans la LCR est effective à partir de janvier 2004, lorsque la LCR répond positivement à cette demande formulée en 2002. L’intégration des militants de SPEB dans une organisation trotskiste dont la ligne politique est très proche de la leur met un terme ou modère le rôle de propagandistes qu’ils avaient endossé au sein d’ATTAC.
36Les militants de Linksruck ont suivi un cheminement similaire en Allemagne. Très impliqués à la fois dans le mouvement contre l’intervention armée en Irak et contre la réforme Hartz IV au niveau national, ces militants espèrent, là aussi, d’une part convaincre les militants d’ATTAC qu’ils sont anticapitalistes et antiimpérialistes, et d’autre part engager le plus possible l’organisation dans des combats politiques nationaux – l’objectif étant là aussi la recomposition de la gauche et le regroupement de plusieurs organisations au sein d’une nouvelle force anticapitaliste. Nous l’avons vu, la configuration politique en Allemagne à la fin des années 1990 – l’arrivée au pouvoir du SPD et des Grünen, la déception subséquente pour une partie des militants de gauche, l’apparition d’ATTAC dans le paysage militant – ont bouleversé la structure des opportunités militantes et politiques dans le pays. Ensuite, l’apparition du WASG en 200426 lors des mobilisations contre le plan de réforme Hartz IV dans le pays a signifié une possibilité de faire émerger une nouvelle force politique à gauche. D’abord très économiste, l’approche du WASG a été progressivement élargie jusqu’à sa transformation en parti de gauche, la Linkspartei, devenue Die Linke après sa fusion avec le PDS.
37L’organisation Linksruck a été impliquée dans ce processus et, tout comme l’a fait SPEB dans la LCR, s’est totalement fondue dans ce nouveau parti. Cette recomposition du paysage de la gauche est perçue comme un prolongement logique du mouvement altermondialiste par ces militants trotskistes. À l’issue de notre enquête, SPEB et Linksruck n’existent donc plus.
Fonctionnement interne et dysfonctionnements dans ATTAC
38Les jeunes militants d’ATTAC se sont également éloignés de leur organisation. Aucun des militants français n’était actif dans ATTAC lors du deuxième entretien. Quant aux Allemands, seuls deux d’entre eux y étaient encore présents, mais de manière distanciée, car engagés dans une niche relativement autonome par rapport au reste de l’organisation. Cette distanciation partielle d’ATTAC est plus facilement concevable en Allemagne qu’en France, étant donnée la plus grande importance accordée à l’horizontalité, à la démocratie participative et à la liberté d’initiative dans l’organisation altermondialiste de l’autre côté du Rhin. Ainsi, au sein même de l’organisation structurée qu’est ATTAC-Allemagne, il a été possible aux militants que nous avons suivis de déborder la structure organisationnelle en créant des « niches ». Dans ces sortes de groupes affinitaires nidifiés au sein d’ATTAC, Stefan et Markus, qui se situent à l’extrême gauche, ont pu pratiquer, par exemple, des formes plus radicales de militantisme sans être inquiétés par leur direction.
39Ceci n’est pas le cas des jeunes militants français d’ATTAC qui, eux, ont rencontré une limitation de leur liberté d’agir. C’est à l’occasion de la constitution du réseau ATTAC-Campus (réseau de groupes d’ATTAC dans les universités) qu’ils ont été confrontés à de nombreux obstacles. Leur relation avec la direction d’ATTAC a été extrêmement tumultueuse sur ce point. Elle a été alimentée par la confrontation de deux générations militantes au sein de l’organisation. Si la coexistence de militants actifs depuis les années 1970 et de militants âgés de 20-30 ans est relativement bien gérée du côté allemand en raison de la liberté d’agir sus-évoquée, elle est génératrice d’incompatibilités et de conflits du côté français en raison de la rigidité et de la hiérarchisation de la structure d’ATTAC-France. Ces deux configurations différentes font que, dans le cas d’un mécontentement, les jeunes militants français quittent l’organisation de manière plus spectaculaire, parfois en claquant la porte, alors que les Allemands trouvent pour certains des situations intermédiaires au sein de l’organisation qui leur permettent de prendre leur distance de manière plus progressive.
Les carences en démocratie interne d’ATTAC-France
40Ces configurations différentes des deux organisations en France et en Allemagne sont perceptibles dans les résultats de notre enquête quantitative. On note par exemple une plus grande satisfaction des militants allemands par rapport à leur engagement dans ATTAC que chez les militants français : alors que seuls 10,6 % des militants allemands se disent « assez insatisfaits » de leur engagement, ceci est le cas de 20,6 % de leurs homologues allemands27.
41L’enquête quantitative nous renseigne également sur la perception qu’ont les militants d’ATTAC du niveau de la prise de décision dans l’organisation. Les militants, qu’ils soient français ou allemands, aimeraient voir le pouvoir et les lieux de prises de décision mieux répartis au sein de l’organisation : aux niveaux local, départemental, régional et national. Les militants français sont plus nombreux que les Allemands à estimer que les décisions sont prises au niveau national au sein d’ATTAC. Les uns comme les autres regrettent cet état de fait : 60 % des militants allemands situent la prise de décision au niveau national (contre 78,3 % des français), alors que seuls 37,7 % d’entre eux souhaitent que ce niveau soit prépondérant (51,9 % des français). Il est intéressant de noter que les militants français sont largement plus nombreux à souhaiter un pouvoir centralisé ou une démocratie représentative que leurs homologues allemands28.
42Ces résultats concordent avec ceux de notre enquête qualitative. En Allemagne, les jeunes militants d’ATTAC regrettent tous qu’il existe une dichotomie dans l’organisation, entre le niveau national et le niveau local. La plupart d’entre eux estiment pourtant faire de la « politique autrement » (« alternative Politik ») dans ce cadre, parce qu’ils apportent des méthodes novatrices dans le champ du militantisme ou parce que leurs méthodes se distinguent de celles des partis. En France, les jeunes militants d’ATTAC-France soulignent également cette dichotomie local-national qu’ils associent à un problème de circulation de l’information dans ATTAC et à un manque de démocratie interne. Ils estiment, quant à eux, ne pas pouvoir légitimement avoir recours au concept de « politique autrement » dans le cadre de leur engagement dans ATTAC. Comme nous allons le voir, ils sont nombreux à porter un regard très critique par rapport au fonctionnement de leur organisation :
« Effectivement il y a une dichotomie, entre le local qui effectue un travail de fourmi, de mobilisation et le national qui virevolte allègrement au-dessus de tout cela et n’est pas vraiment investi dans les questions locales. Le national aujourd’hui est un peu « jet-set », à Porto Alegre, à Cancun, aux FSE, en Inde, aux sommets européens… Et les comités locaux essaient péniblement d’organiser des bus pour leurs militants sans appui du national… Et l’impression que j’ai, c’est aussi que la représentation au sein d’ATTAC est problématique. » Sophie (ATTAC/VAMOS).
43Les crises successives qu’a traversées ATTAC en France ont, à chaque fois, révélé des dysfonctionnements de la démocratie interne et sont la source d’une bonne partie des critiques émanant des militants. Nombreux sont les documents internes qui dénoncent les ambitions personnelles du noyau directionnel, son omniscience et son omnipotence, le fonctionnement présidentialiste de l’organisation, le style de direction autoritaire et peu collégial d’ATTAC, le sectarisme de l’organisation vis-à-vis du reste du mouvement altermondialiste, etc.29. Ces pratiques qu’incarnent les deux premiers présidents d’ATTAC, Bernard Cassen et Jacques Nikonoff, sont dénoncées par certains membres fondateurs de l’organisation (Susan George notamment) et par différents représentants de l’organisation30, mais aussi par les courants de l’opposition et par des militants ou groupes locaux défectionnaires qui rendent publique leur lettre de démission sur les listes de diffusion électroniques. Tous regrettent l’échec annoncé du projet initial d’AT-TAC, fondé sur le rejet des pratiques politiciennes et des luttes d’appareil.
Les crises successives d’ATTAC-France
44Le capital médiatique et politique qu’a rapidement gagné ATTAC et sa position charnière au cœur du mouvement altermondialiste – obtenue grâce à une capacité à proposer une expertise utile au reste du mouvement –, ont largement favorisé et encouragé les ambitions personnelles de certains de ses dirigeants français.
45Trois épisodes ont particulièrement montré ces abus de pouvoir qui ont convergé vers une dérive présidentialiste de l’organisation. La première est survenue en 2002, lors de la succession de Bernard Cassen à la présidence d’ATTAC. Celui-ci réalise alors un « coup de force », selon ses propres propos31, et désigne unilatéralement son successeur en mettant les instances décisionnelles et l’organisation devant le fait accompli : Jacques Nikonoff prendra sa suite. La présidence d’ATTAC ne pouvant statutairement revenir qu’à un de ses membres fondateurs, le conseil d’administration (CA) attribue rétroactivement à Jacques Nikonoff ce statut. Dès le premier cycle d’entretiens que nous avons menés, les militants d’ATTAC-France ne tarissent pas de critiques par rapport à cet épisode :
« Les dernières élections étaient un vrai spectacle : choisir entre un candidat et toujours le même candidat, c’est pire qu’un simulacre, dans ce cas-là pourquoi ne pas assumer que Cassen avait nommé son successeur ? » Sophie (ATTAC/VAMOS).
46En avril 2004, la direction a à nouveau recours à des pratiques hégémoniques en lançant une liste « 100 % altermondialistes » pour les élections européennes, annonçant là une tentative de prolongement de l’activité associative d’ATTAC dans le champ de la politique électorale32. Ces velléités de recomposition de la gauche ou de création d’une force politique de gauche refondatrice ont été comprises comme une manœuvre d’instrumentalisation par les adhérents d’AT-TAC, qui ont découvert l’entreprise par le biais de militants d’ATTAC contactés pour figurer sur ces listes et ayant décliné l’invitation.
47Enfin, le dernier épisode en date concerne la fraude électorale de juin 2006 pour les élections du nouveau conseil d’administration d’ATTAC. Plusieurs centaines de bulletins électoraux sont alors remplacées dans les urnes par des bulletins de la liste soutenue par Jacques Nikonoff et Bernard Cassen, de manière à renverser la majorité d’élus qui se profile en faveur des candidats soutenus par Susan George.
48Les conséquences de ces crises à répétition se mesurent de différentes manières. Elles se ressentent au niveau de la multiplication des lettres ouvertes de démission des militants et des élus, mais aussi au niveau de la baisse du nombre d’adhérents : en 2003 ATTAC comptait 30700 adhérents33, contre 21527 fin décembre 2006, puis 13 329 à la fin septembre 200734. Fin novembre 2012, ATTAC-France ne comptait alors plus que 8818 adhérents. Enfin, le rejet de ces dérives autocratiques est présent dans les propos des jeunes militants d’ATTAC que nous avons interrogés :
« Le fonctionnement interne d’ATTAC… Disons qu’il y a un peu cette logique d’expert avec un bureau qui pond tous les trucs. Je me souviens du 19 janvier 2002 : on parle de démocratie participative, et puis, il y a un manifeste d’ATTAC qui sort et tous les militants le découvrent en même temps que le reste du monde ! Aucune participation à l’élaboration ! Ça, c’est un peu un problème… » Philippe (SPEB/ATTAC).
« Il y a une bataille dans ATTAC pour la prochaine assemblée générale. […] Si la direction actuelle Nikonoff-Cassen est écartée, je pense que je me réinvestirai. [Qu’est-ce qui te dérange chez eux ?] C’est assez anti-démocratique, pas très clair sur le fond, avec toujours cette ambiguïté sur le repli sur la nation… » Nicolas (VAMOS/ATTAC).
« Alors un mouvement que j’ai vraiment quitté, c’est ATTAC. Fin 2003, j’ai rendu ma carte avec une petite lettre en expliquant que je n’étais pas d’accord avec l’orientation. C’était à un moment où on a vraiment essayé de monter ATTAC-Campus, Nikonoff a été difficile et donc voilà… Ça, ça m’a vraiment énervée. Et puis aussi la désignation du président par candidat unique. Je n’avais pas du tout apprécié ça. Donc j’avais rendu ma carte. [C’était Nikonoff ou Cassen qui vous avait posé des problèmes pour ATTAC-Campus ?] Nikonoff. On pense qu’il était téléguidé par Cassen. » Sophie (VAMOS/ATTAC), 2e entretien.
ATTAC : sous les projecteurs des médias, mais à l’écart du mouvement
49Au-delà de la simple critique de la direction autoritaire des présidents Cassen et Nikonoff, c’est aussi la position qu’ils ont souhaité donner à ATTAC dans le mouvement altermondialiste qui est mise en cause. Plutôt que de concevoir ATTAC comme une composante parmi d’autres au sein d’un espace de convergence que serait le mouvement altermondialiste, ces deux présidents ont préféré en faire une organisation autosuffisante. Ces stratégies de différenciation par rapport au reste du mouvement provoquent des remous, en interne comme à l’extérieur de l’organisation.
50La position d’ATTAC à l’écart du reste du mouvement a irrité certains militants d’ATTAC, estimant que l’organisation avait ce faisant subordonné l’identité première du mouvement altermondialiste à son intérêt d’organisation. Ce dernier point constitue d’ailleurs une des lignes de clivage des courants au sein d’ATTAC, entre d’un côté les partisans d’une organisation diluée dans le mouvement altermondialiste et fonctionnant en réseau, et, de l’autre, les partisans d’une organisation centralisée, structurée, professionnalisée et autonome, une « ATTAC-citadelle » comme on a pu le lire dans la presse35.
51À l’extérieur d’ATTAC, l’omniprésence de l’organisation-phare dans les médias et l’habitude prise par ses dirigeants de s’exprimer au nom de l’ensemble du mouvement altermondialiste sont l’objet des reproches des autres courants altermondialistes. Ces derniers ont l’impression d’être dépossédés de leur lutte, de leur parole et de la singularité de leur expérience, au détriment de la parole d’ATTAC, « légitime, connue et reconnue, autorisée et dotée d’autorité36 ». Ce monopole de la parole légitime que s’est octroyée ATTAC, que ce soit en France ou en Allemagne, n’est toutefois pas seulement le fait de stratégies voulues par l’organisation. Cela tient aussi au fonctionnement des médias qui s’adressent plus volontiers à un interlocuteur professionnel, représentant d’une organisation de 20 000 adhérents plutôt qu’à un groupuscule de 20 personnes37. Le refus de certains courants autonomes de s’adresser à la « presse bourgeoise » et leur absence de travail de communication vers la presse a naturellement accentué ce phénomène.
52Un jeune militant d’ATTAC fortement investi dans l’organisation des contre-sommets et dans les courants plus « mouvementistes » du mouvement altermondialiste décrit cette mise à l’écart de l’organisation voulue par certains dirigeants d’ATTAC :
« ATTAC a toujours voulu construire aussi sa propre identité “ATTAC”, ce qui faisait que, souvent, les militants d’ATTAC étaient moins investis directement dans les collectifs [unitaires]. Beaucoup de gens d’ATTAC avaient aussi une vision […] que l’unitaire se faisait dans ATTAC : que c’était dans ATTAC qu’intervenaient différentes organisations syndicales, différents milieux associatifs, etc. Moi-même, à un moment, j’ai cru que le mouvement altermondialiste, en France, se construisait dans ATTAC. [Fin 2003], c’est déjà un peu moins ça, c’est un peu retombé, parce que beaucoup de gens ont critiqué un peu la manière dont ça se passe dans ATTAC38 et il y en a qui sont partis39… » Militant du Collectif lyonnais Après Gênes (CLAG) et du réseau G8 Illégal.
53La dénonciation des pratiques de la direction d’ATTAC-France ne se réduit pas à des débats de courants internes à l’organisation. Les différentes crises traversées par l’organisation sont relayées par les quotidiens nationaux. La couverture médiatique enthousiaste dont bénéficiait ATTAC dans la presse de gauche a progressivement laissé place au portrait d’une organisation enchevêtrée dans des crises dictées par des logiques d’appareil. Les militants d’ATTAC disent ainsi dans les pages de ces quotidiens nationaux leur désenchantement face à la débâcle du « politique autrement » :
« Je sais que dans toute association il existe toujours différents courants et forcément des oppositions, admet Anne, une Rennaise, ancienne de la CFDT et militante aujourd’hui à Mixcité. Mais là, toutes les pratiques qu’on reproche à nos hommes politiques, on les refait ici : le cumul, les gens qui s’accrochent au pouvoir, voire les manœuvres politiciennes ! C’est grave pour ATTAC40 ! »
54La mauvaise publicité de ces dérives structurelles ne s’arrête d’ailleurs pas aux frontières du pays. Nous avons retrouvé ces critiques chez les militants d’ATTAC-Allemagne qui expriment une forte défiance à l’égard de Bernard Cassen et de Jacques Nikonoff :
« Je n’ai jamais ressenti de réelle sympathie pour les dirigeants français d’AT-TAC. Ce n’est pas évident. Alors, Cassen et compagnie… J’ai fait sa connaissance pendant l’organisation du contre-sommet d’Évian, j’étais délégué pendant une rencontre internationale d’ATTAC : c’était monstrueux, c’était terrible !! Il s’est permis de s’immiscer dans la mobilisation pour Évian, alors que ce n’était pas du tout son truc. J’ai trouvé ça détestable. C’était complètement instrumental : il avait des exigences personnelles, mais une absence totale d’idées vraiment réfléchies… » Markus (ATTAC).
55La deuxième série d’entretiens que nous avons réalisés a eu lieu avant la fraude électorale au sein d’ATTAC. Malgré cela, nous avons pu observer à quel point les crises moins importantes qui ont parsemé le parcours de l’organisation ont entamé son capital politique, c’est-à-dire le crédit politique qui lui était conféré. La reconnaissance et la confiance que les jeunes militants accordaient à ATTAC ont largement décru, allant dans certains cas jusqu’à totalement disparaître. Il est en effet difficile pour ces militants de continuer à porter l’image d’une organisation qui a trahi le principe fondateur de leur engagement : la promesse d’une politique autre.
56La fraude électorale d’ATTAC-France a eu l’effet d’un électrochoc dans l’organisation. Les élus qui ont repris l’organisation à la suite de cet important manquement aux règles démocratiques, ont proposé en 2006 un projet d’évolution des statuts de l’organisation vers davantage de pouvoir pour les adhérents. Cette dynamique a été prolongée dans les nouveaux statuts d’ATTAC votés en 2009. Autre point de refonte important des statuts en 2006, le président de l’organisation pourrait être un simple adhérent élu au CA sans devoir compter parmi les membres fondateurs d’ATTAC, réforme allant dans le sens de l’ouverture de l’organisation aux nouveaux entrants. Ce projet n’avait alors pas été adopté en 2006 (le quorum nécessaire n’ayant pas été atteint), mais a pu l’être en 2009.
Difficultés de la coexistence de deux générations militantes
57Ces deux visions des pratiques militantes qui s’opposent au sein d’ATTAC dépendent d’une part des diverses traditions politiques représentées dans l’organisation, mais aussi de la coexistence de classes d’âge différentes en son sein.
58ATTAC a attiré un grand nombre de militants, notamment pour deux raisons : d’une part, pour le « milieu » militant que l’organsiation représentait, d’autre part pour l’attractivité que représentait la diversité de ses militants. Dès sa création, ATTAC a su mener habilement sa communication externe et a été identifié comme interlocuteur principal du mouvement altermondialiste. C’est à la suite du contre-sommet de Gênes (2001) que son succès médiatique s’est fortement accru, en France comme en Allemagne. ATTAC-Allemagne était très peu présent lors de ce contre-sommet – les effectifs de l’organisation étant faibles en Allemagne à l’été 2001 (30 militants environ) – et sa direction a stratégiquement choisi de rester en Allemagne et de servir de relais pour la presse. ATTAC est alors devenu la vitrine du mouvement altermondialiste, au détriment de franges plus radicales et moins visibles de la mouvance.
59L’organisation a alors été un pôle d’attraction pour plusieurs générations militantes : les anciens soixante-huitards retraités, mais aussi les jeunes générations et les primo-militants intéressés par les contre-sommets. Autrement dit, un « bouillon de culture » militant constitué aussi bien de militants multi-encartés et en recherche de mobilisation, que des militants peu organisés et intéressés par le « supermarché » de courants politiques et de revendications que représente l’altermondialisation. Deux générations sont alors particulièrement actives au sein du mouvement altermondialiste et au sein d’ATTAC, les moins de 30 ans et les plus de 60 ans41, qui n’ont ni les mêmes objectifs, ni les mêmes méthodes, ce qui a conduit dans certaines situations à un conflit générationnel :
« [Tu ne vas plus du tout aux réunions d’ATTAC ? Tu paies juste ta cotisation ?] Oui, c’est ça. Parce que ATTAC-9e-10e, la réunion, ce n’est pas super intéressant… C’est assez vieux. Il n’y a pas beaucoup de jeunes. [Tu ne te reconnais pas dans ce militantisme, dans les gens qui y sont ?] Les gens sont sympas : quand je les croise, on discute. Mais je ne m’identifie pas tellement à ça, quoi ! À ATTAC [9e-10e arrondissements], à un moment donné, après Gênes, il y a eu des jeunes dans la section, il y avait 30-40 personnes qui venaient régulièrement. Et ce qui s’est passé, c’est qu’ils sont partis. Ils ne sont pas restés. Après, pourquoi est-ce qu’eux n’ont pas pu trouver leur place dans la section ? Pourquoi les anciens qui avaient lancé ça, n’ont pas su déléguer suffisamment et responsabiliser les jeunes pour qu’ils restent ? Ça, je ne sais pas pourquoi ça ne s’est pas fait. Malheureusement ils ont fermé le truc, ça n’a pas contribué à ce que ça marche bien sur le quartier. » Jérémie (ATTAC).
60Nous l’avons vu, une des origines du mouvement altermondialiste est liée aux NMS. Cet héritage n’est pas seulement perceptible en termes d’idées, mais également en termes de transfert d’acteurs. Le réveil de structures de rémanence, c’est-à-dire de structures militantes dormantes, a fortement influencé l’altermondialisation dans les deux pays étudiés. Les militants des années 1970, reconvertis en altermondialistes et retraités pour la plupart, ont investi une part importante de leur temps libre dans le mouvement et tiennent bien souvent les rênes des organisations. Ces militants se sont rapidement détournés des formes plus contestataires qui avaient séduit les plus jeunes militants. Des activités d’expertise les ont remplacées – sous forme de Forum sociaux notamment – qui ont la préférence des militants plus âgés mais ne satisfont pas les désirs de radicalité des plus jeunes. Estimant avoir été trompé sur la marchandise en intégrant ATTAC en quête d’action militante, une grande partie de ces jeunes se détournent de l’organisation au profit d’autres formes de militantisme.
Erreur sur la marchandise
61Le succès d’ATTAC s’est construit sur un malentendu : vitrine d’un mouvement prisé pour ces mobilisations sur le terrain et pour le caractère sulfureux de sa contestation (fauchage d’OGM, intrusion dans les zones rouges des contre-sommets, actions festives…), ATTAC s’est rapidement détourné de ces formes de contestation au profit des Forum sociaux et d’une approche plus théorique du militantisme (expertise, commissions thématiques, journées d’été à visée éducative…).
62La médiatisation d’ATTAC a pourtant continué à être associée bien plus au peu d’actions spectaculaires auxquelles l’organisation participe, et bien moins au gros de ses activités réelles (les réunions) - et ce, parce qu’ATTAC investit dans la communication avec les médias pendant la tenue des contre-sommets et que l’organisation assure une permanence entre ces grands événements :
« Moi, je pense qu’on a juste reconstruit quelque chose autour d’ATTAC. Parce que si on y réfléchit sérieusement, depuis qu’ATTAC existe, on sait ce que c’est : c’est-à-dire que ce n’est pas une organisation de lutte. Ça a une vocation qui est d’organiser éventuellement des campagnes, mais effectivement un truc d’éducation populaire, machin, etc. Mais il se trouve qu’il y a une conjoncture qui a fait qu’ATTAC s’est trouvée au cœur d’un mouvement qui quand même avait son centre dans la rue. Mais pour l’essentiel, les gens d’ATTAC – en tous les cas d’ATTAC-France – ils n’aimaient pas ça, enfin, je veux dire, ce n’était pas leur truc. Donc ils ont drainé une génération de gens – des jeunes, mais pas que des jeunes – des gens qui voulaient s’investir dans la rue et tout ça, qui étaient militants, qui étaient actifs et tout, qui ont pour la plupart quitté ATTAC depuis, d’ailleurs. Et aujourd’hui il ne reste que ce que ATTAC était censé être (rire) ! Dès le début, quoi ! Mais bon, ça n’empêche que techniquement, normalement, le G8, ils sont censés s’en occuper, tu vois. Ça fait partie du cahier des charges, quoi (rire) ! […] Alors que là, ils sont en permanence sur le Traité européen… Enfin, c’est bizarre !… » Charlotte (AARRG !!).
63Cette image déformée d’ATTAC a été renforcée par une vision donnée de l’altermondialisation dans les médias comme le fruit d’une immaculée conception, comme un mouvement essentiellement jeune et en rupture par rapport aux militantismes anciens (ouvriers, défense des droits). Comme le note Éric Agrikoliansky, cette revendication impérieuse de nouveauté a certainement contribué au recrutement d’un public jeune et méfiant par rapport aux conceptions traditionnelles de la politisation42. Cette forte exposition médiatique de l’organisation continue à attirer de nouveaux militants, mais entraîne également un reflux d’une bonne partie d’entre eux qui se trouvent confrontés à un décalage entre les activités militantes perçues au travers de campagnes médiatiques et la réalité de terrain :
« [Après Gênes], l’impression que j’ai eue, c’est qu’ATTAC était pas trop dans le pratique. C’est-à-dire que c’était super intéressant l’élaboration d’un contre-discours, mais qu’à la fois… Ils n’envoyaient pas de bus, ils ne boostaient pas les gens… C’était assez vieux. J’étais dans un comité dans le 15e, donc euh… VAMOS, ça a été ça aussi pour moi : le côté plus jeune, des gens qui pratiquement essaient de mettre en place autre chose. Ça, c’est ce qu’ATTAC ne fait pas. » Sophie (ATTAC/VAMOS).
64Ce malentendu n’est pas un phénomène inédit et rappelle, par exemple, le cas du SDS (Students for a Democratic Society) dans les années 1960 aux États-Unis. La couverture médiatique du SDS avait alors provoqué un afflux important d’adhérents, l’organisation était passée de 3 000 membres à 10 000 en 1965. Cet afflux avait toutefois reposé sur un quiproquo. Les nouveaux adhérents avaient en effet été attirés par l’image sulfureuse du mouvement donnée par les médias et se sont rapidement trouvés en décalage avec la génération des fondateurs, des jeunes intellectuels engagés dans un travail politique aux perspectives lointaines43.
Militer pour pouvoir militer : le cas d’ATTAC en France
65De nombreux travaux ont montré la difficile coexistence des classes d’âges au sein des organisations. Bien souvent, ces études concluent à l’éviction des anciens militants dépassés par l’arrivée massive d’une nouvelle génération44. La sous-représentation d’un groupe au sein d’une organisation entraîne en effet bien souvent sa stigmatisation et le place au centre de tensions. Comme nous le voyons ici et comme l’a relevé Olivier Fillieule dans ses travaux consacrés aux défections militantes45, ce ne sont pas toujours les plus anciens qui se trouvent marginalisés dans les organisations. Les militants de longue date peuvent en effet verrouiller l’organisation, ses structures, son droit à la parole, etc., pour mettre un frein à l’intégration des plus jeunes et éviter le renversement de l’équilibre générationnel. Ainsi, le verrouillage d’ATTAC en France par les générations passées va à l’encontre du mythe d’un mouvement altermondialiste au fonctionnement réticulaire et diffus46. Il révèle bien plus la peur d’une génération de militants de « Mai 68 » et des années 1970 de se voir démunir d’un objet militant émergent par la génération montante.
66Un épisode de la vie d’ATTAC en France illustre bien les difficultés qu’ont rencontrées les jeunes militants que nous avons interrogés. Certains d’entre eux ont animé des groupes d’ATTAC dans leurs universités, de manière à implanter l’organisation dans le milieu étudiant et pour faciliter notamment la mobilisation vers les contre-sommets. La tenue de réunions dans les facultés a été rendue difficile par le renforcement des contrôles sécuritaires après les attentats du 11 septembre 2001. Les militants d’ATTAC-Campus ont ainsi souhaité obtenir un statut légal, ne serait-ce que pour pouvoir organiser des réunions et des conférences dans ces universités. Ils ont exprimé à de nombreuses reprises leur volonté de reconnaissance et leur besoin d’autonomie auprès de la direction d’ATTAC. Si l’on reprend les concepts d’Albert Hirschman, ces jeunes militants ont à plusieurs reprises adopté l’attitude voice qui a « pour fonction d’avertir de ses défaillances une firme ou une organisation47 ».
67Ces alertes lancées à la direction d’ATTAC n’ont longtemps suscité aucune réponse satisfaisante au problème. Comme l’écrit un représentant d’ATTAC retraçant le chemin difficile parcouru par les jeunes d’ATTAC-Campus et les interrogations qu’a suscitées leur démarche, « Une objection de principe [à la création d’ATTAC-Campus] : les étudiants ne représentent ni une catégorie sociale, ni une catégorie géographique pérenne. Au nom de quoi privilégierait-on les étudiants par rapport aux jeunes travailleurs, par rapport aux jeunes chômeurs ? Certains comités craignaient qu’une catégorie jeune, donc présumée plus active et imaginative, leur échappe48. » La lenteur du processus d’acceptation d’une spécificité de l’engagement des jeunes a découragé de nombreux militants qui regrettaient d’avoir à « militer pour pouvoir militer », faisant allusion aux négociations internes pour la reconnaissance d’ATTAC-Campus49.
68L’absence prolongée de réponse positive de la part de la direction a ainsi causé l’exit, la défection donc, de Sophie qui n’avait alors plus de bonnes raisons de croire que ses récriminations aboutiraient à un résultat ou, du moins, qui a estimé que l’énergie déployée pour pouvoir militer dans de bonnes conditions au sein d’ATTAC n’était pas compensée par des rétributions symboliques ou des gratifications suffisantes. Lors du deuxième entretien, Jérémie revient également sur cet épisode de son engagement et estime que cette lutte pour la reconnaissance d’ATTAC-Campus a représenté une réelle perte de temps, c’est-à-dire autant de temps en moins consacré au militantisme :
« Moi, quand j’étais à ATTAC-Campus, ma priorité, ce n’était pas les réunions avec Bernard Cassen et compagnie [pour obtenir la reconnaissance du réseau]. On en a fait quelques-unes, mais il y avait tellement de méfiance de leur part, je n’avais pas envie de perdre mon temps à montrer patte blanche. […] Maintenant, apparemment, ça a changé. Il y a une vraie reconnaissance d’ATTAC-Campus. » Jérémie (ATTAC).
« La question des statuts d’ATTAC-Campus… Bon, il y a quelques avancées quand même par rapport à il y a trois ans, quand Cassen s’était complètement opposé à la création d’ATTAC-Université à l’époque. Mais à l’époque, c’est vrai qu’il y avait des problèmes de récupération possible, parce que SPEB voulait absolument mettre la main sur ATTAC, etc. Aujourd’hui c’est plus du tout ça. La majorité des gens du bureau [d’ATTAC] étaient d’accord pour qu’on puisse se constituer en loi 1901, ce qui était notre seule manière d’exister dans les facs. Et qu’il y ait surtout lui [Cassen]… Enfin qu’il y ait une personne qui s’oppose à ça et que du coup on ne puisse pas le faire, je pense que c’est un problème de démocratie hallucinant, mais vraiment. Surtout que c’est la mort. ATTAC-Campus cette année est mort à cause de ça. C’était plus du tout possible de se réunir depuis les attentats, le 11-septembre, etc. Il y a tellement de contrôle, ça devenait un tel boulot ! En fait, il fallait qu’on milite pour militer. Ça devenait hallucinant. Donc ils n’ont pas voulu… C’est aussi pour ça… J’ai encore payé ma cotisation cette année et je vais sûrement continuer à la payer, mais ATTAC je n’ai plus du tout envie de m’investir dedans, à cause de tout ça. Parce que s’ils ne nous donnent pas les moyens de nous bouger, il n’y a pas de raison qu’on… Il n’y a pas de raison que je m’investisse là. » Sophie (ATTAC/VAMOS), 1er entretien.
69Si le mouvement altermondialiste attire les jeunes que nous avons étudiés plus pour sa forme que pour ses revendications, les limites posées à leur liberté d’action ou l’absence d’activisme de terrain constituent un frein important à leur engagement, comme le montre l’expérience d’ATTAC-Campus en France.
70Pour ces jeunes individus dont les gratifications au sein de l’organisation ne font plus le poids face aux coûts du militantisme, la question de la défection s’est posée. La désaffiliation n’est toutefois pas une décision facile à prendre et la sortie du militantisme présente un coût. Ce coût est d’autant plus important que l’engagement des militants a été intense, comme c’est le cas de certains des jeunes que nous avons suivis et qui militaient plus de 20 heures par semaine, parfois depuis plusieurs années. La défection peut alors entraîner une remise en cause du sens de cette activité, la perte du cercle de sociabilité constitué pendant ces années de militantisme, mais aussi le sacrifice d’une identité construite dans le cadre du mouvement ou d’une organisation : un statut de journaliste qui ne sera pas reconnu à l’extérieur du champ militant, une étiquette de « révolutionnaire », un rôle de leader charismatique, etc.
71Pendant des années, le militantisme effréné des dix-huit jeunes individus a été possible uniquement parce qu’ils pensaient que le jeu (militant) en valait la chandelle. Remettre cette évidence en question représente certainement le coût le plus lourd à porter en cas de défection. Le concept d’illusio de Pierre Bourdieu illustre bien l’importance accordée à ce jeu social qui conditionne le militantisme50. Ces jeunes militants sont totalement pris dans le jeu et dans le plaisir de jouer. Et ce, au point de ne plus se rendre compte de la masse de temps investie dans cette activité. Quand on les interroge sur le nombre d’heures passées par semaine dans leur engagement, la plupart répondent « beaucoup » en riant, mais sous-estime généralement de moitié le nombre d’heures effectives passées à militer parce que le militantisme fait partie de la vie des militants, de leurs habitudes.
72Si ces jeunes individus peuvent difficilement arrêter du jour au lendemain de militer, ils ont en revanche la possibilité de quitter leur organisation altermondialiste et de se reconvertir politiquement à moindre coût. Car ce n’est pas la disposition à militer qui a changé chez la plupart de ces militants, mais c’est bien plus leur façon d’envisager ce dévouement51. En fonction de la nature de cette évolution et des déceptions que les militants ont rencontrées dans le mouvement altermondialiste (sentiment de perte de l’individualité dans la masse, refus des structures hiérarchiques, flou des revendications, absence de perspectives de victoires, etc.), leurs choix de reconversion vont connaître des scénarios différents : un engagement dans un parti politique pour certains, un engagement replié sur le local pour d’autres.
Notes de bas de page
1 L’enquête a pris fin en 2008, mais le constat est encore d’actualité début 2013.
2 Nous n’utilisons pas le concept de « structure des opportunités politiques » comme un outil d’analyse synchronique et statique de l’ouverture des différents Etats et systèmes nationaux, comme l’ont fait Hanspeter Kriesi, Ruud Koopmans, Jan Willem Duyvendak et Marco Giugni, par exemple, dans leur étude des mouvements sociaux en Europe (Kriesi H. et alii, New social movements in Western Europe, 1995). Cet usage que nous en faisons se rapproche plutôt de celui qu’en ont fait les études diachroniques d’Outre-Atlantique produites par Doug McAdam, Sidney Tarrow ou Charles Tilly (McAdam D., McCarthy J. D., Zald M. N. (dir.), Comparative perspectives on social movements : political opportunities, mobilizing structures, and cultural framings, Cambridge University Press, Cambridge, 1996). Nous utilisons le concept davantage comme un outil dynamique qui permet d’observer l’évolution de ce que Sidney Tarrow appelle les « proximate opportunity structure », c’est-à-dire les modifications au niveau infranational. Nous nous intéressons ici essentiellement à la modification de la configuration politique et des alliances partisanes, et à l’influence de cette évolution sur le mouvement altermondialiste. La « structure des opportunités » est ainsi l’ensemble des éléments du contexte politique ayant une influence sur la protestation collective (Eisinger P. K., « The conditions of protest behavior in American cities », American Political Science Review, volume 67, no 1, 1973, p. 11-12), tel que l’a repris Charles Tilly en 1978 dans son modèle de la mobilisation.
3 Bourdieu P., « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, volume 62-63, 1986, p. 71-72.
4 Ion J., « Le militantisme en mouvement », entretien, Journal du CNRS, no 192, janvier 2006.
5 Luck S, « Le militantisme à Aarrg !-Paris », op. cit.
6 L’absence de cadre organisationnel bien défini a permis une récupération du projet « AARRG !! » par d’autres militants, notamment à Toulouse. Loin de satisfaire les fondateurs et les militants d’AARRG !! à Paris, ce processus de récupération a parfois été vécu comme une trahison des principes qu’ils avaient édictés. Ils voient ainsi leur « créature » s’éloigner de leurs envies initiales et n’ont plus prise sur l’objet.
7 Coser L., Greedy institutions. Patterns of undivided commitment, The Free Press, New York, 1974.
8 Ceci va dans le sens de la théorie d’Erhard Friedberg qui montre que la structuration des contextes d’action n’est finalement qu’une question de « degrés de régulation ». Friedberg E., « Les quatre dimensions de l’action organisée », Revue Française de Sociologie, volume 33, 1992, p. 531-557.
9 Freeman J., « The tyranny of structurelessness », The Second Wave, volume 2, no 1, 1972.
10 Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, op. cit., p. 174.
11 Michels R., « Die oligarchischen Tendenzen der Gesellschaft », in Michels R., Masse, Führer, intellektuelle. Politisch-soziologische Aufsätze, 1906-1933, Campus, Frankfurt am Main, 1987 (1908). La loi d’airain de l’oligarchie de Robert Michels – que l’on pourrait plus justement nommer « la loi de la nécessité historique de l’oligarchie », comme l’a noté Dieter Rucht (Rucht D., « Linking organization and mobilization : Michels’s iron law of oligarchy reconsidered », Mobilization, volume 4, no 2, 1999, p. 153) – était prévue pour des groupes aux effectifs compris entre 1 000 et 10 000 adhérents selon Bruce H. Mayhew et Roger L. Levinger. Ces derniers ont tenté de démontrer sa validité pour des organisations de plus petite taille (Mayhew B. H., Levinger R., « On the emergence of oligarchy in human interaction », American Journal of Sociology, volume 81, no 5, 1976, p. 1017 ; Wintrebert R., « Décisions, critiques et pouvoirs », thèse de doctorat, EHESS, 2004, p. 594).
12 Titre d’un texte rédigé par Joe Freeman sur l’émergence d’une hiérarchie informelle dans les groupes qui se prétendent horizontaux. Freeman J., « The tyranny of structurelessness », The Second Wave, volume 2, no 1, 1972.
13 La militante altermondialiste Starhawk a, elle aussi, évoqué ces problèmes et tenté de trouver des solutions aux phénomènes récurrents de hiérarchie et de domination informelles dans son ouvrage intitulé Femmes, magie et politique (Starhawk, Femmes, magie et politique, op. cit.)
14 Cette compétence a été mise en évidence notamment dans l’étude que nous avons menée avec Lilian Mathieu lors de la préparation du G8. La violence des débats lors de la préparation d’un « village alternatif » commun aux militants réformistes, trotskistes et anarchistes a montré l’importance du capital militant et des compétences en matière de gestion de débats agressifs. Plusieurs militantes de VAMOS ont ainsi dû quitter la table de négociations, décontenancées par le ton des discussions (Jossin A., Mathieu L., « Féminisme et altermondialisme », op. cit.).
15 Bourmeau S., Cardon D., Heurtin J.-P., « La gloire, c’est la galère », Politix, volume 1, no 1, 1988, p. 56.
16 Le charisme étant évidemment entendu ici comme un construit social, c’est-à-dire un phénomène relationnel, et non substantiel.
17 Bourdieu P., « La représentation politique », op. cit.
18 Bourmeau S., Cardon D., Heurtin J.-P., op. cit.
19 Sainteny G., « La rétribution du militantisme écologiste », Revue française de sociologie, XXXVI, 1995, p. 482.
20 En effet, le refus d’un cadre juridique pour AARRG !! avait été motivé par la peur de voir une hiérarchie émerger qui aurait conféré aux responsables légaux d’AARRG !! le pouvoir de s’opposer à des actions illégales ou dangereuses.
21 Bourdieu P., « La représentation politique », op. cit., p. 13.
22 La LCR a montré à de nombreuses reprises son intérêt pour AARRG !!. Simon Luck a évoqué la présence d’Olivier Besancenot à la réunion fondatrice d’AARRG !! et a démontré les liens de certains militants avec le parti, notamment du groupe de Toulouse qualifié de « détachement de la LCR » par un militant d’AARRG !!-Paris (Luck S, « Le militantisme à Aarrg !-Paris », op. cit., p. 32 et p. 44).
23 Intergalactika est un projet de réseau international jeune et altermondialiste initié au FSM de Porto Alegre (2002) porté notamment par AARRG !! et avec des militants argentins, italiens et suisses. Le projet semble ne pas avoir abouti.
24 Bourdieu P., « La délégation et le fétichisme politique », Actes de la recherche en sciences sociales, no 52-53, 1984, p. 52.
25 Gottraux P., Socialisme ou Barbarie. Un engagement politique et intellectuel dans la France de l’après-guerre, Payot, Lausanne, 2002.
26 WASG : Alternative électorale pour le travail et la justice sociale. Ce parti politique regroupe des altermondialistes et des syndicalistes, ainsi que les déçus du SPD (parti social-démocrate).
27 Journées d’été d’ATTAC à Arles : 19,2 % des militants se disent « très satisfaits » de leur engagement (contre 22,8 % des militants allemands à Marburg), 52,4 % « assez satisfaits » (53,7 % à Marburg), 20,6 % « assez insatisfaits » (10,6 % à Marburg), 2,9 % « très insatisfaits » (3,3 % à Marburg) ; 0,3 % viennent d’adhérer (0,8 % à Marburg) et 4,6 % ne se prononcent pas (8,9 % à Marburg). Si l’ont considère conjointement ATTAC-Allemagne et ATTAC-France, 81,9 % des plus de 60 ans sont satisfaits (« très » et « assez ») de leur engagement dans ATTAC, 69,1 % des 50-59 ans, 68 % des 40-49 ans, 72 % des 30-39 ans, 73,7 % des moins de 29 ans.
28 Plusieurs réponses étaient possibles à cette question.
29 Dans sa thèse portant sur la prise de décisions au sein d’ATTAC-France, Raphaël Wintrebert rappelle qu’ATTAC n’a jamais été un groupe informel et que, dès sa création, la volonté de ses fondateurs a été de se constituer en groupe d’experts et en « organisation stable et pérenne, avec des moyens humains, matériels et financiers importants » (Wintrebert R., « Décisions, critiques et pouvoirs », op. cit., p. 593). Il conclut en 2004 à une tendance oligarchique de la direction de l’organisation, tout en considérant que cet état de fait n’est pas sans appel.
30 Nous pouvons citer par exemple les textes de Thomas Coutrot (membre du conseil scientifique d’ATTAC), « Sont-ils devenus fous ? » daté du 30 avril 2006 ou « Comment l’impensable est devenu possible » du 1er juillet 2006. Mais aussi « Lettre ouverte aux adhérent[e] s de la part des trois vice-présidents d’ATTAC », par François Dufour, Susan George, Gus Massiah, daté du 7 juillet 2005 ; « Elire un nouveau CA pour rassembler et préparer une nouvelle étape » par Jean-Marie Harribey (membre du conseil scientifique d’ATTAC), daté du 11 mai 2006 ; « Aux adhérents et adhérentes d’ATTAC » par Susan George (membre fondateur d’ATTAC) daté du 16 mai 2006. La lettre ouverte de René Passet mérite elle aussi d’être citée : « Lettre ouverte aux fraudeurs anonymes d’ATTAC », 6 octobre 2006.
31 Wintrebert R., « Décisions, critiques et pouvoirs. Vers une sociologie configurationnelle du changement d’ATTAC France (1998-2002) », thèse de doctorat en Sociologie, EHESS, 2004, p. 601.
32 Jacques Nikonoff, président d’ATTAC-France, a écrit un texte quelques mois plus tard pour calmer le débat : « Il faut le rappeler nettement : la direction d’ATTAC ou une partie d’entre elle n’a absolument pas l’intention de faire entrer l’association sur le terrain électoral ni de la transformer en parti politique. […] Cette différence entre les partis et ATTAC relève d’une différence de fonction. Les partis se situent du côté du pouvoir […]. ATTAC, en revanche, se situe du côté du contre-pouvoir. » (Nikonoff J., « ATTAC et le Parti socialiste : la “guerre” serait-elle “finie” ? », texte interne à ATTAC, 2 juillet 2004.)
33 Chiffre extrait d’un article de presse (Politis, 2 septembre 2004).
34 Chiffres extraits d’un texte de membres démissionnaires du conseil d’administration d’ATTAC : Barral A., Benyacoub L., Bernier A., Ciofi B., « Les quatre élus de la sensibilité “Avenir d’ATTAC” quittent le conseil d’administration d’ATTAC », 22 octobre 2007.
35 Hassoux D., « Attac en pleine crise de décroissance », Libération, 12 décembre 2005.
36 Bourdieu P., « Note brève sur l’antinomie de la protestation collective », in Bourdieu P., Propos sur le champ politique, PUL, Lyon, 2000.
37 Si la centralité d’ATTAC sous les projecteurs médiatiques est la même en France et en Allemagne, la stratégie de l’organisation française et de son homologue allemande en termes de gestion des médias est différente. En effet, la plus grande centralité du pouvoir dans ATTAC-France s’exprime aussi à travers l’exercice du droit à la parole légitime et au travail de communication vers les médias : alors que certains dirigeants de l’organisation en France se sont arrogé le monopole du droit de parler et d’agir au nom de l’ensemble des militants d’ATTAC, cette dérive de la représentativité et du rôle de porte-parole a en partie été évitée par ATTAC-Allemagne, qui tente le plus souvent possible de contrevenir au désir des médias d’avoir un interlocuteur unique au sein de l’organisation et de diversifier les prises de parole.
38 Les réunions du CLAG, le collectif altermondialiste lyonnais créé après le contre-sommet de Gênes en 2001, se tenaient, par exemple, dans le local d’ATTAC. Lorsque ces militants ont eu besoin d’ouvrir une ligne budgétaire pour réserver des cars pour emmener des militants vers les contre-sommets, ils ont utilisé le compte bancaire d’ATTAC.
39 Entretien mené par Lilian Mathieu, le 6 juin 2005, dans le cadre d’une enquête pour le GRAAL (Jossin A., Mathieu L., « Féminisme et altermondialisme », op. cit.).
40 Echalier G., « ATTAC aligne ses divisions », Libération, 19 juin 2006.
41 Notre enquête quantitative menée lors des journées d’été d’ATTAC en France et en Allemagne illustre le fait que les 20-29 ans et les plus de 60 ans sont ceux qui offrent le plus de temps à leur organisation ATTAC. 59 % des plus de 60 ans consacrent ainsi plus de 2 heures hebdomadaires à ATTAC (en France comme en Allemagne), contre 31,9 % des 50-59 ans, 34,6 % des 40-49 ans, 31,2 % des 30-39 ans et 37,8 % des 20-29 ans.
42 Agrikoliansky É., « L’altermondialisme de A à Z », L’Humanité, 26 janvier 2005.
43 Neveu E., « Médias, mouvements sociaux, espaces publics », Réseaux, volume 17, no 98, 1999, p. 26.
44 Labbé D., Croisat M., La fin des syndicats ?, L’Harmattan, Paris, 1992.
45 Fillieule O. (dir.), Le désengagement militant, Belin, Paris, 2005.
46 Sommier I., Le renouveau des mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation, Flammarion, Paris, 2003.
47 Hirschman A. O., Défection et prise de parole, Fayard, Paris, 1995, p. 69.
48 Extrait de Weber J., « Contribution de Jacques Weber, élu au Conseil d’administration au titre des adhérents », texte interne à ATTAC, 21 juillet 2005.
49 Le 15 mars 2003, le Conseil d’Administration (CA) d’ATTAC a adopté la « Charte ATTAC-Campus » reconnaissant la dizaine de groupes locaux d’ATTAC-Campus (entre 8 et 15 en mai 2006), ainsi que leur coordination. Cette dernière prend alors le statut de commission au sein du CA.
50 Bourdieu P., « La représentation politique », op. cit., p. 7.
51 Collovald A., « De la défense des “pauvres nécessiteux” à l’humanitaire expert – Reconversion et métamorphoses d’une cause politique », Politix, no 56, 2001.
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2010
Réinventer la ville
Artistes, minorités ethniques et militants au service des politiques de développement urbain. Une comparaison franco-britannique
Lionel Arnaud
2012
La figure de «l'habitant»
Sociologie politique de la «demande sociale»
Virginie Anquetin et Audrey Freyermuth (dir.)
2009
La fabrique interdisciplinaire
Histoire et science politique
Michel Offerlé et Henry Rousso (dir.)
2008
Le choix rationnel en science politique
Débats critiques
Mathias Delori, Delphine Deschaux-Beaume et Sabine Saurugger (dir.)
2009