7. Défections altermondialistes : raisons biographiques et évolution de l’altermondialisation
p. 289-313
Texte intégral
1Nous nous intéresserons ici à l’effet qu’ont pu avoir diverses formes de mobilité (géographique, sociale et familiale) sur notre échantillon de jeunes militants altermondialistes et sur leur retrait – même partiel – du militantisme. Nous nous pencherons également sur la réception de l’évolution de l’altermondialisation dans l’échantillon de jeunes militants. L’« exotisme » des contre-sommets et leur fonction de substituts de loisir ont perdu de leur force lors du deuxième cycle d’entretiens. Les militants s’interrogent dès lors sur le sens de ces événements protestataires. La routinisation des Forum sociaux n’a, quant à elle, fait que renforcer les critiques des militants à l’égard de ces grand-messes, qui pour certains ne sont désormais plus que des foires militantes consensuelles.
Les raisons biographiques de la défection altermondialiste
2Les résultats dont nous avons jusqu’alors rendu compte témoignent de l’articulation qui peut exister entre vie privée et vie politique : par exemple, l’entrée en politique, pour les jeunes individus que nous avons suivis, correspond souvent au début de leurs études supérieures, et/ou à un déménagement, et donc à l’éloignement de l’environnement familial. D’autres auteurs ont montré auparavant l’importance des phases intersticielles de la vie sociale dans l’entrée en militantisme, notamment Éric Agrikoliansky à l’appui de son étude sur les militants de la Ligue des Droits de l’Homme1. On l’a vu, l’engagement influence également en retour la vie privée des militants par le biais du phénomène d’adéquation théorie/pratique. Les raisons biographiques sont également à prendre en compte dans l’étude des défections que connaissent les groupes que nous avons étudiés. Certaines études ont montré le poids des cycles de vie individuels et des biographies personnelles sur les trajectoires militantes. Elles ont mis en relation les transformations familiales, socio-économiques et culturelles et les dispositions au militantisme2.
Alternance de bonheur privé et d’action publique
3Albert Hirschman a lui aussi étudié les « cycles3 » d’alternance vie publique, vie privée. Ces cycles sont constitués, selon lui, de deux phases « actives » : d’un côté, celle de l’investissement dans le domaine politique et les affaires civiques ; de l’autre, la recherche d’une vie meilleure pour soi et pour les siens4. L’engagement politique ou militant étant extrêmement coûteux en temps, ces activités d’intérêt public sont condamnées selon lui à connaître une limitation brutale à un moment donné, au profit des affaires privées5. Le repli sur la sphère du privé n’a pour autant rien de passif ou de contemplatif, selon cet auteur.
4Les phases de repli sur le privé interviennent généralement soit dans des périodes de la vie des individus où leur situation économique leur est très favorable ou au contraire dans des périodes de difficultés financières6. L’engagement interviendrait par conséquent plutôt dans les périodes d’entre d’eux. Albert Hirschman ajoute à ce facteur économique favorisant le militantisme d’autres facteurs exogènes essentiellement politiques, certains ponctuels (une tentative de réforme émanant du gouvernement), d’autres plus constants (le niveau national de répression) rappelant le modèle de la « structure des opportunités ». Ces facteurs extérieurs recensés par Albert Hirschman laissent peu de place aux trajectoires émotionnelles, politiques, professionnelles autrement qu’en termes économiques. Il envisage d’ailleurs l’engagement comme une forme de consommation, qui entraîne par conséquent alternativement satisfaction et déception, et contient donc les germes de sa propre destruction7.
5Ce concept d’alternance vie publique/vie privée est assez séduisant, même si son approche purement économiciste nous paraît réductrice. Nous avons observé, grâce à notre échantillon qualitatif, comment les jeunes d’une classe d’âge sont entrés en militantisme selon des mécanismes assez similaires et en réaction à des événements ou des mobilisations nationalement très situées. Dans un deuxième temps, nous analysons comment ces jeunes s’intéressent à l’altermondialisation, puis se retirent dans des phases d’engagement moins intenses, dans les périodes de concessions à leur sphère privée. Cette évolution est fortement influencée par l’âge social des individus, ce qui explique au moins en partie les écarts de représentation entre différentes classes d’âge dans les partis et les organisations militantes, et le fort turn-over que connaissent ces organisations. Les individus repliés sur la construction d’une famille ou d’une carrière professionnelle ont en effet moins de temps à consacrer à certaines formes de militantisme. Ce phénomène de l’âge social explique également le peu de fluctuation en termes de stock militant des mouvements politiques : une classe d’âge social disponible au militantisme venant en chasser une autre qui part s’engager dans sa vie privée.
Vingt-trente ans, une période propice aux changements
6La particularité de l’échantillon de militants que nous avons étudiés étant son jeune âge (26 ans en moyenne), elle entraîne diverses formes de mobilité : géographique, mais aussi sociale et familiale. Ces mobilités ont des répercussions sur l’engagement politique de ces jeunes, en ceci que leurs vies personnelle et militante sont fortement imbriquées. Ces interférences s’expriment notamment à travers l’influence de leur engagement politique sur leur vie quotidienne (consommation, transport, vie en communauté, rapport au genre, etc.) et sur leur cursus universitaire (plusieurs militants ont repris leurs études ou ont changé de cursus après s’être engagés politiquement).
7En retour, les événements qui ponctuent leur trajectoire biographique ont un impact sur leur engagement militant. Les militants avaient entre 22 et 34 ans lors du début de l’enquête. Seize d’entre eux étaient étudiants et aucun n’avait d’enfants à charge. Trois ans plus tard, neuf seulement sont encore étudiants – dont quatre Français qui sont en thèse de doctorat – et quatre militants ont eu ou attendent un enfant. Trois militants ont connu des séparations sentimentales importantes, deux ont déménagé vers une autre ville, cinq sont partis un an à l’étranger.
8Ces formes de mobilité se résument ainsi en trois grandes catégories – géographique, sociale et familiale8 – et chacune d’elle a des retombées sur le rapport de l’individu à son engagement militant. La mobilité familiale, dans le sens d’une installation en couple, provoque généralement un rapprochement des opinions dans le couple dans le cas d’une non-homogamie initiale. La mobilité géographique de ceux partis un an à l’étranger ou de ceux ayant déménagé entraîne, elle, un éloignement de leur nid militant (Paris, Berlin ou Hambourg) : leur militantisme dont ils n’ont jamais eu à interroger le bienfondé – en dehors des discussions familiales ou de discussions avec des amis non engagés –, ne constitue soudain plus une évidence. Enfin, la mobilité sociale ascendante qu’amène la fin du statut d’étudiant de certains et l’entrée dans la vie active nécessite parfois une mise en conformité avec le milieu professionnel dans lequel le militant est promu.
Disponibilité biographique
9L’ensemble de ces changements biographiques a mis un frein au militantisme des jeunes individus rencontrés pour notre enquête, rappelant en cela le concept de « disponibilité biographique » développé par Doug McAdam dans son étude des étudiants impliqués dans le Freedom Summer (mouvement qui a œuvré à inscrire la communauté noire du Mississippi sur les listes électorales). Cette disponibilité décrite par l’auteur englobe un certain nombre de caractéristiques : être majeur, non marié, sans enfant, avoir commencé ses études universitaires et ne pas être inséré professionnellement… Soit les caractéristiques que les jeunes militants que nous avons étudiés ici possédaient lors du premier entretien.
10La variable du temps libre qui est associée à ce statut d’étudiant est celle qui fait le plus défaut aux militants ayant fondé une famille ou accepté un emploi peu avant le deuxième cycle d’entretiens. L’environnement professionnel – lorsqu’il ne s’agit pas d’une organisation militante – qui impose à ces jeunes individus une sociabilité non choisie, est également un facteur n’encourageant pas l’exposition de leurs idées politiques et l’affichage de leur engagement. Nous avons rappelé en effet l’importance de l’approbation (et donc de la désapprobation) de l’entourage comme facteur encourageant (ou décourageant) la poursuite de l’engagement militant9.
Mobilité sociale et géographique : l’entrée dans la vie active
11Ces jeunes gens se sont engagés dans des études supérieures longues qui leur ont permis de faire durer l’entre-deux-âges de la vie étudiante qui précède la vie adulte et qui se caractérise par des hésitations, des atermoiements, « un recul bohême à l’égard des études et du travail10 ». L’allongement de leurs études dans le temps pour les jeunes Allemands que nous avons suivis et pour les jeunes Français qui se sont engagés dans un troisième cycle universitaire a pour conséquence la prolongation d’une activité militante intense. Lors des deux cycles d’entretiens, les militants ont d’ailleurs tout à fait conscience de la durée déterminée de cette situation privilégiée, puisqu’à la question de leur désir de carrière professionnelle, plusieurs d’entre eux expriment avant tout le souhait d’occuper un emploi qui leur permette de bénéficier de la liberté et du temps nécessaires à la perpétuation de leur engagement militant. Ils citent alors les métiers de la recherche, de l’enseignement dans le secondaire ou le supérieur, le journalisme, la formation politique d’adultes, l’expertise pour les ministères, et pour certains éventuellement une activité de permanent politique.
Conflit et contradiction de rôles : Philippe, « fonctionnaire révolutionnaire »
12Au sein de l’échantillon, les individus entrés dans le monde du travail entre les deux entretiens l’ont fait soit dans le secteur universitaire pour les militants français (ATER, recherche, enseignement dans le secondaire ou le supérieur), soit dans le monde associatif ou paramédical pour les Allemands, c’est-à-dire dans des secteurs ouverts à leurs idéaux politiques et à leur démarche militante. Seul un jeune militant français a intégré un secteur plus détaché de son univers militant, puisqu’il est entré dans le fonctionnariat en tant qu’archiviste, dans l’est de la France :
« Je me suis dit “Putain ! Il faut que je fasse quelque chose !, il faut que je refasse quelque chose !” C’était très bizarre de passer de ma vie à Paris qui était rythmée par l’activité militante, où j’avais tout le temps des discussions sur “Pourquoi on fait ça ?”, machin… Et, [dans ma nouvelle ville], je me trouvais dans ce truc-là, une espèce de non-sens absolu et puis dans un milieu qui n’était pas du tout le mien. Et puis du coup, je ne pouvais pas trop parler politique. [Et est-ce que la forme de ton engagement a changé ?] Ah oui ! Carrément ! Comme je ne peux pas militer en journée, ça change pas mal ! Et il y a pas mal d’activités [pour lesquelles] on fait des diff’ devant les usines, mais moi, comme je travaille, je ne peux pas y aller ! […] Il y a un truc qui a changé, c’est que dans mes relations avec les gens, je suis moins imprégné de politique que j’ai pu l’être à un moment. Parce que quand tu bosses, t’es dans une petite structure où il y a 25 personnes, c’est difficile de lever le drapeau ! (rire) Et puis de brancher… […] J’ai beaucoup moins l’habitude de discuter politique et d’essayer de convaincre quelqu’un… […] Et puis il y a aussi un côté un peu désespérant aussi du monde du travail : comme on ne choisit pas les gens, du coup, il y a tout ce fatras de merde qu’ils ont dans la tête… Ça casse un peu, parce qu’au bout d’un moment on prend l’habitude d’entendre que… Enfin, on ne réagit pas. Tu vois, je venais d’arriver, je n’étais pas en confiance et puis il y a des fois, on n’a pas toujours la présence d’esprit quand quelqu’un sort une horreur ou… [Le fait de convaincre les gens au quotidien, c’est quelque chose d’important au sein de la mouvance SPEB…] Oui, de ne pas discuter qu’avec des militants. On avait un peu ce souci de discuter avec des vraies gens, d’essayer de convaincre des vraies gens. Le problème, c’est que les vraies gens – je côtoie beaucoup de vraies gens, maintenant – et ça, c’est un truc qui change par rapport à quand j’étais à Paris, c’est que je vois des ouvriers. J’en connais. Ce n’est pas abstrait, quoi. À Paris, on parlait de la classe ouvrière, on n’était que dans des… Et en même temps, je n’ai pas beaucoup eu l’occasion de discuter avec eux [dans ma nouvelle ville], quoi. Bon, j’essaie de voir un peu comment est l’ambiance, le mode de vie, des choses comme ça. Et les discussions sur le syndicalisme. Bon, je n’ai pas assez ces discussions-là, je trouve, avec les gens que je rencontre dans le coin. » Philippe (SPEB/ATTAC).
13C’est ainsi que Philippe ne milite plus que quatre à cinq heures par semaine, au lieu des quinze à vingt heures hebdomadaires du premier entretien, en raison de ses longues journées de travail et de la faiblesse de son réseau militant. Ce que décrit Philippe dans cet extrait d’entretien est le conflit de rôles qu’il ressent dans son nouvel environnement professionnel et qui détone avec son ancien environnement militant. Il exprime ce conflit de rôles en se présentant dès le début du deuxième entretien comme « fonctionnaire révolutionnaire » sur le ton de la plaisanterie. Ce conflit de rôle n’est pas le premier que rencontre ce fils de médecins libéraux et de droite qui a commencé ses études à l’université privée et catholique de Lille et concomitamment sa trajectoire de militant trotskiste révolutionnaire. Par la suite, il s’est senti « super minoritaire » à Science Po, dans le cadre de son opposition à la guerre du Kosovo en 1999. (« C’était un contexte déprimant : il y avait la guerre au Kosovo, zéro mouvement en France contre ça, les gens étaient hystériques si tu disais que tu étais contre la guerre [contre les bombardements], tu te faisais traiter de fasciste ! Enfin, c’était l’horreur ! ») Puis, toujours dans cette école, il décrit son positionnement de militant trotskiste comme celui d’« un révolutionnaire sans périphérie » ou d’« un poisson hors de l’eau ». Nous avons rencontré d’autres cas de conflits de rôles, de dépassement du rôle conféré aux jeunes gens dans leur éducation primaire, à l’instar de Sophie qui a quitté Nice et son environnement familial bourgeois, catholique de droite pour intégrer des cercles de sociabilité communistes dans sa classe préparatoire littéraire, puis des cercles trotskistes révolutionnaires dans la continuité de son engagement militant altermondialiste.
14L’entrée dans la vie professionnelle n’est évidemment pas vécue de la même façon par l’ensemble des militants. L’idiosyncrasie personnelle, les prédispositions particulières à chacun, entraînent une réaction différenciée aux facteurs exogènes. Le début de la carrière professionnelle n’est pas non plus aussi abrupt que celui de Philippe pour l’ensemble de l’échantillon. Certains n’ont pas eu à déménager et ont pu garder leur cercle de sociabilité et leur environnement militant ; d’autres sont entrés dans le monde du travail de manière progressive, notamment en ce qui concerne les jeunes Français salariés dans le cadre de leur thèse. Ce statut déjoue en effet la représentation sociale classique qui sépare les « inactifs » des « actifs » et pour laquelle l’entrée dans la vie active se fait par le franchissement d’un seuil.
Déplacement géographique
15Parmi les militants qui ont déménagé pour plus de six mois dans une autre ville française ou allemande, ou dans un autre pays, tous ont fait appel à la « grande famille » du militantisme pour se re-sociabiliser et pour les aider à surmonter les difficultés rencontrées lors du déménagement. Ils ont ainsi pris contact – avec plus ou moins de succès – avec des cercles militants après avoir changé de ville : Philippe dans l’est de la France, Anja en Norvège, Tobias en Grande Bretagne, Sophie au Brésil, Nicolas au Mexique, Charlotte dans le sud de la France, etc.
« [Et une des premières choses que tu aies faite en arrivant dans ta nouvelle ville, ça a été de…] Prendre contact avec la Ligue [LCR]. Enfin, j’ai attendu d’avoir un appartement. [Est-ce que tu penses t’être “servi” de ton engagement après tes déménagements pour te resociabiliser ?] C’est un moyen de se structurer, oui. Ça c’est vrai. C’est vrai que j’ai été assez rapidement… Enfin, je connaissais assez rapidement des gens. » Philippe (SPEB/ATTAC).
16Cependant, on l’a vu, si la prise de contact de ces jeunes avec des structures militantes à l’étranger leur a permis de s’entourer d’un réseau social, l’intégration dans le militantisme à l’étranger de ces jeunes Français et Allemands a été quasi-systématiquement un échec sur le plan politique. Cette prise de distance ou mise à l’écart forcée de leur activité militante les a ainsi incités à davantage de réflexivité par rapport à leur engagement altermondialiste. Anja a, par exemple, renoncé à se définir comme « altermondialiste » lors de son séjour en Norvège, en raison de la mauvaise réception du terme dans son entourage norvégien. L’éloignement de leur cercle proche de militants signifie une perte de confiance des militants dans le bienfondé de leur action politique. Ainsi, dans le cas de plusieurs des militants que nous avons étudiés, la prise de distance vis-à-vis leur organisation altermondialiste a eu lieu à leur retour d’un séjour à l’étranger. C’est le cas d’Anja (ATTAC), Tobias (ATTAC), Sophie (ATTAC/VAMOS) et Nicolas (VAMOS/ATTAC).
L’arrivée d’un enfant et la modification des pratiques militantes
17L’ensemble de ces changements – entrée dans la vie professionnelle et déplacements géographiques – a eu comme effet une distanciation ou une baisse d’intensité de l’activité politique des militants. C’est le cas également des bouleversements familiaux. Sabrina raconte ainsi que sa rencontre avec son compagnon, puis sa grossesse au cours du deuxième entretien, la poussent à protéger sa vie privée de l’emprise de la politique alors que, par le passé, Sabrina avait tendance à faire passer le militantisme avant ses compagnes féminines (elle était alors homosexuelle). Dans cet extrait d’entretien, il est intéressant de noter au passage qu’elle place son engagement politique dans le cadre de sa vie privée :
« J’ai traversé différentes phases dans Linksruck. Au début, je militais vraiment beaucoup, je voulais tout découvrir, participer à tout. Et puis, j’ai aussi eu une phase très ambitieuse ou carriériste, où j’étais vraiment impressionnée […] dès qu’on parlait avec de vraies personnalités politiques et je m’éclatais vraiment (rire) ! Et puis, à nouveau une autre phase […] où j’ai dû prendre un peu de distance à tout ça… Me demander ce que devenait ma vie privée, essayer de garder malgré tout un cercle d’amis et une forme de stabilité dans ma vie privée, de manière à ne pas être totalement dépendante de la politique. Parce que j’ai remarqué qu’avant, quand je rencontrais un échec en politique, et bien ça m’oppressait dans ma vie privée. Alors qu’aujourd’hui, je me permets de dire “Ok, politiquement ça c’est important, mais ce n’est pas faisable pour moi en ce moment.” Je tire un trait dessus. Avant, je n’en aurais pas été capable. [Tu faisais tout ?] Oui. Oui, oui. Et je vois la différence. Autrement, je n’aurais pas pu avoir cette relation avec mon compagnon. Mes relations ont échoué à cause de ça par le passé ; la politique primait pour moi. Une petite amie de Berlin m’avait dit à un moment : “Tu choisis, c’est Linksruck ou moi !” et, là, j’ai remarqué que je choisirais Linksruck. Pour mon copain, j’ai mis de côté une partie de mes activités, sinon la relation serait quasiment intenable. Et, là, pour mon enfant, c’est pareil. [Ton ami est engagé ?] Non. […] Notre relation est devenue très vite très forte et proche. Je n’avais jamais connu ça ; on était inséparable. […] C’était… Waouh !! Du coup, il a très rapidement découvert quasiment toute ma vie privée. Et il a vu à quel point j’allais bien après [avoir milité]. Du coup, il a voulu y aller avec moi et il s’y est intéressé et il a trouvé ça super. Il a été très enthousiasmé. [Par rapport à Linksruck ?] Oui, Linksruck. » Sabrina (Linksruck/ATTAC).
18L’arrivée d’un enfant est très importante pour Sabrina. Elle raconte pendant l’entretien comment elle a longtemps fait passer le militantisme avant sa santé. Souffrant de diabète, elle n’hésitait pas à aller militer sans égard pour son état de santé et pour les crises qu’elle traversait. Depuis sa grossesse, elle se ménage pour protéger la santé de son enfant à venir. Charlotte raconte également l’influence de l’arrivée de son enfant sur son rapport au temps. Elle explique d’une part qu’elle n’aurait probablement pas eu d’enfant si son engagement était resté aussi intense que pendant la période d’AARRG !! à Paris. L’effet conjoint de la fin des études prolongées de Charlotte, de l’autodissolution d’AARRG !!-Paris, de sa difficulté à trouver une structure militante dans le sud de la France et de la traversée d’une période de creux dans son militantisme lui ont permis de s’investir dans la construction d’une famille. D’autre part, la présence de cet enfant dans la vie de Charlotte la pousse à renoncer aux risques inconsidérés :
« C’est drôle parce qu’en Écosse [pour le contre-G8], j’ai beaucoup senti que ce n’était pas du tout violent, heureusement. Je l’ai beaucoup senti et c’est lié à la naissance de ma fille, en fait. J’en suis persuadée. C’est-à-dire que j’ai une conscience très forte du danger et j’ai beaucoup moins l’impression qu’avant de pouvoir m’en dégager facilement ! C’est étonnant ! J’ai vraiment perçu ça de manière très-très forte cette année. [À cause de tes responsabilités de mère ?] Tu vois, ce n’est pas rationnel à ce point-là. C’est un truc où le fait de donner naissance à quelqu’un, tu as une sorte de retour sur ta propre condition d’être vivant. C’est instinctif, je pense. Et puis, il y a un truc plus débile qui est que, avant, me faire arrêter, par exemple, je m’en fichais ! Alors que là, je n’avais pas envie de passer dix jours en prison ou… Enfin… T’as des choses comme ça… » Charlotte (AARRG !!).
19Le lien entre la maternité et le militantisme a le plus souvent été analysé pour montrer l’influence de l’entrée en militantisme de mères de famille sur les cadences militantes11, ou alors sur la plus grande disponibilité pour le militantisme que confère aux hommes l’arrivée d’un enfant dans le foyer : le militantisme traditionnel (partis, syndicats) a ainsi « longtemps été facilité par un désengagement des hommes des tâches domestiques, reposant lui-même sur l’exclusion tendancielle des femmes du monde du travail une fois devenues mères12 ». La distribution des rôles est toutefois moins claire dans notre échantillon que celle que décrit cet extrait.
20Le seul homme de notre échantillon à avoir eu un enfant entre les deux entretiens ressent, lui aussi, une mutation de son engagement militant, caractérisée par une moins grande participation aux actions protestataires et par davantage de temps passé devant son ordinateur à gérer le site internet de son réseau militant. Ceci ne signifie pas pour autant l’abandon de l’ensemble de ses activités militantes en dehors du domicile familial, puisque ce militant s’est rendu peu après la naissance de son enfant au contre-sommet de Gleneagles, à l’université d’été de la LCR, à un week-end de répétition de batucada, etc., constat qui invite à nuancer les propos d’Albert Hirschman qui – s’appuyant sur Jean-Jacques Rousseau – avance que l’engagement public comme le repli sur le privé ont une tendance au monopole. La quête du bonheur passerait, selon lui, soit exclusivement par le privé, soit par l’action publique : un équilibre stable entre les deux serait ainsi irréalisable13.
Conséquence de la distanciation : passage à vide et burn out
21Philippe et Jérémie sont les militants français qui ont vécu le plus difficilement la distanciation forcée de leur militantisme. Dans les deux cas, ce passage à vide a été provoqué par un arrêt provisoire de leur engagement, conjugué à une petite rupture biographique : déménagement et entrée dans le monde professionnel pour Philippe ; rupture sentimentale, rupture de contact avec son frère, départ de ses parents au Proche Orient et commencement d’une activité professionnelle (vacations dans l’enseignement secondaire) pour Jérémie. Quand ils se sont retrouvés à l’écart de cet engagement militant qui structurait vingt heures au moins de leur vie hebdomadaire, ces deux militants ont traversé une petite dépression :
« J’ai eu une discussion à bâtons rompus avec mon père, il y a une quinzaine de jours, parce que j’ai eu un épisode un peu difficile ces deux derniers mois. Je lui ai dit “Je me demande si je ne vais pas aller voir un psychiatre”, et puis, non, on a discuté et puis il m’a dit qu’il me trouvait vachement structuré, vachement solide et notamment, il citait en exemple mon engagement politique. Enfin, il me dit que lui-même ne pourrait pas être dans – quelque soit l’organisation – il ne pourrait pas être dans un truc où il doit défendre une ligne ou… Et il me disait : “Je ne suis pas d’accord avec toi et c’est vrai que parfois tu sors des trucs…”, c’est vrai que d’être d’extrême gauche dans un milieu bourgeois, c’est vrai que ça casse… “En même temps, des fois, sur certains points – je ne te le dis pas – mais je reconnais que tu as raison.” Et ça m’a fait super plaisir, parce que je me suis dit, bon ce n’est pas juste un truc où on s’engueule et puis où c’est le dialogue de sourds à chaque fois… […] En fait, c’est peut-être plus la monotonie et la passivité de ma vie militante qui sont conditionnées par les bouleversements de ma vie privée et les interrogations, la crise de la “vingt-cinquaine”. Je l’ai ressenti un peu durement, le fait d’entrer dans la vie professionnelle, des trucs comme ça… » Philippe (SPEB/ATTAC).
« Le passage de l’activisme à l’après [-activisme], ça s’est accompagné d’une période difficile. Et ça s’est fait au même moment où s’est faite la rupture avec mon ancienne amie. Et ma prise de distance au militantisme, ça s’est fait à ce moment-là. Tout s’est enchaîné. Je pense que [cette rupture] a été un facteur aggravant (sourire) ! Peut-être même un peu déclencheur… Non, pas déclencheur, parce que j’avais déjà pris des distances avant, mais ça a précipité les choses. Je l’ai très mal vécu et ensuite ça m’a fait réfléchir sur les conditions du militantisme. Là, il y a eu une période où je n’ai plus rien fait. Et après, c’est vrai que je me suis installé là-dedans, et puis j’ai remis en cause beaucoup de choses. […] Mes réseaux de sociabilité, c’était [les réseaux militants]. Mais j’ai toujours eu beaucoup d’amis extérieurs au militantisme. Par contre, quand j’ai cessé toutes ces activités militantes, je me suis retrouvé face à un temps libre, de disponible et c’est vrai que ça m’a fait très bizarre. Hyper bizarre ! J’ai eu une période de gros questionnement, oui. J’ai eu une période qui n’était pas facile. Mais c’est ça aussi le militantisme, ça remplit le vide aussi parfois qu’on a, dans sa vie. Du coup, toutes mes soirées étaient libres, j’ai pu beaucoup plus bouquiner en fait. Je me suis mis plus à me faire plaisir. En fait, surtout, j’ai perdu aussi pas mal d’amis ces derniers temps qui étaient liés au militantisme. Je me suis retrouvé un petit peu seul, parfois. Je me suis remis à apprendre à faire des sorties un peu seul. Et puis j’ai un peu dû renouveler aussi un peu des relations d’amitié. […] [Mais tu as dit que tu avais gardé quelques amis militants…] En fait, ce ne sont pas vraiment des amis. C’était des liens de camaraderie. Des gens sympathiques… En fait, je me suis replié plus sur mes amis extérieurs. Et puis, comme, là aussi, j’ai perdu pas mal de gens… J’ai dû redéfinir mon rapport aux autres aussi : comment se faisait-il qu’après avoir été tellement engagé, tellement investi et tellement entouré, j’aie pu ensuite me retrouver dans des phases plus solitaires qui n’ont pas été faciles à assumer ? » Jérémie (ATTAC).
22La problématique de la reconnaissance de son engagement que Philippe soulève quand il rapporte la discussion qu’il a eue avec son père est également très présente dans la période de déprime traversée par Jérémie. Lors du premier entretien, il avait exprimé le souhait de recevoir une forme de reconnaissance de la part des organisations (ATTAC, LCR) auxquelles il consacrait parfois jusqu’à une activité à plein-temps : un poste de représentation dans une instance de la structure, sa participation à une publication, etc. Lorsqu’il se retire provisoirement de l’engagement militant, aucun de ses anciens camarades de la LCR, d’ATTAC ou de VAMOS ne se demande ce qu’il est lui est arrivé et ne semble gêné par cette mise en retrait. L’attitude de ses camarades donne une nouvelle fois l’impression à Jérémie d’un manque de reconnaissance de son engagement individuel et il comprend qu’il était perçu comme un simple militant interchangeable. Jérémie aurait probablement aimé que son départ de ces organisations soit l’objet de négociations, de discussions, qu’elle ne se fasse pas sans heurts… alors que celle-ci est finalement passée relativement inaperçue. Pour reprendre la typologie que Massimo Introvigne a faite des individus pris dans un processus de défection, Jérémie aurait aimé occuper le rôle répondant du mécanisme du defector et non dans celui de l’ordinary leave-taking14. Suite à cela, Jérémie ne supporte plus les boutades concernant son engagement passé ou actuel qui ne font qu’accentuer la remise en cause des quinze dernières années de son existence :
« [Les militants de la LCR et d’ATTAC] n’ont pas cherché forcément à comprendre pourquoi, à me dire “Qu’est-ce qui se passe, pourquoi tu ne viens plus ?”, ils s’en foutent quoi. On se soucie surtout des gens quand ils sont en forme et quand ils peuvent donner de leur temps. […] [Pendant] cette période un peu difficile, un peu de remise en cause personnelle, bon avec une petite période de déprime, tout ça, il y a des discussions que je ne pouvais plus avoir avec certains amis. Cet ami de Démocratie Libérale qui est agent immobilier, qui est un peu provocateur tout le temps, son côté justement – faire des vannes, rigoler un peu sur rien –, ça, je ne pouvais plus ! Donc, du coup, j’ai un peu coupé avec lui. Alors que c’était un ami très proche, on partait en vacances souvent ensemble… Je ne le vois plus du tout. Alors que quand j’étais militant, je pouvais sans problème m’affronter à lui, rigoler avec lui, oui. Maintenant que je suis désengagé, je ne peux plus supporter ça. » Jérémie (ATTAC).
23Ce refus de se confronter à des opinions divergentes ou de prendre conscience des zones d’ombre d’un engagement qui a été intense est présent chez plusieurs des militants interrogés. Et ce, précisément parce que les militants que nous avons suivis ont occupé pour la plupart les rôles centraux ou de « direction » dans leurs groupes : fondation et animation de leur groupe ou réseau altermondialiste, dans le cas de Jérémie, Nicolas, Charlotte, Sophie, Jérémie, Nils, Andreas, Markus, Stefan. Et comme l’a relevé Olivier Fillieule à propos des défections militantes, plus les efforts ont été intenses pendant l’engagement militant, plus il est difficile de reconnaître la futilité de ces efforts15. Charlotte compte, par exemple, parmi les personnes centrales du conflit interne qui a mené à l’autodissolution du groupe d’AARRG !! à Paris. Elle nous a pourtant écrit n’avoir pris conscience de la violence de ces tensions interpersonnelles charriées par la disparition d’AARRG !!, qu’à la lecture du mémoire de Simon Luck16 que nous lui avons envoyé après le deuxième cycle d’entretiens. La mise en retrait du militantisme intense pour certains des jeunes militants que nous avons étudiés n’est ainsi jamais une rupture franche, mais prend bien davantage la forme d’un délitement lent et progressif. Les moments de déception s’enchaînent, les premiers doutes apparaissent, l’éventualité d’un désengagement pointe progressivement et la prise de distance de l’organisation s’enclenche pendant une période transitoire. Si ce processus est lent, c’est d’une part parce que les camarades militants sont parfois devenus des amis et qu’il est difficile de « claquer la porte » de l’organisation, comme le raconte l’un des jeunes militants, et de blesser des proches au passage ; d’autre part, parce que ces jeunes militants se protègent pour ne pas avoir à renier ou regretter trop brutalement plusieurs années de vie sociale, comme l’a analysé Albert Hirschman :
« Lorsque l’on pratique un semblable refus de la réalité, cela témoigne de la puissance et de la vitalité de l’expérience de déception. Nous nous livrons à toutes sortes de ruses et d’atermoiements ingénieux avant de nous avouer à nous-mêmes que nous sommes bel et bien déçus – et cela, certainement, en partie parce que nous savons que cette déception risque de nous contraindre à une douloureuse réévaluation de nos préférences et priorités. […] Dans bien des cas, la déception devra atteindre un certain seuil avant d’être consciemment reconnue – mais à ce moment-là, à cause précisément des atermoiements antérieurs, elle aura toutes chances d’être vécue “pour de bon”17. »
24La douleur de l’abandon d’une identité a également été décrite notamment par Helen Ebaugh18 à travers l’exemple de la sortie de rôles de médecins, de retraités, de veuves, de divorcés, de transsexuels et de nonnes. Olivier Fillieule et Mounia Bennani-Chraïbi ont quant à eux inventorié un certain nombre d’éléments contribuant au coût psychique de la défection, et ce, au prisme d’une étude portant sur les mouvements de protestation dans les sociétés musulmanes. Parmi ces éléments, nous pouvons relever les sacrifices consentis à l’entrée dans le groupe militant (notamment en termes de rites d’initiation et de mises à l’épreuve), l’acceptation de la socialisation du groupe au détriment d’une sociabilité préexistante, l’attachement émotionnel au groupe qui varie en fonction du degré de renonciation aux relations sociales extérieures au groupe19.
25Nous avons vu plus haut, avec Albert Hirschman, que le coût de l’action se transforme en bénéfice pour les militants, par la magie de la fusion de la lutte et son aboutissement. Grâce à cette conversion, les militants possèdent ainsi un moyen d’accroître leurs bénéfices en s’engageant davantage. C’est seulement lorsqu’une déception intervient dans ce processus et que les militants ne sont plus entièrement convaincus du bien-fondé de leur action que cette balance un peu particulière du calcul coût-bénéfice se voit ébranlée et laisse place à une évaluation plus classique d’estimation des coûts20. Il nous faut donc ici modérer notre distanciation initiale de l’approche économiciste d’Albert O. Hirschman, puisque nous reprenons finalement les grands traits de son raisonnement.
« En tous les cas, une chose est sûre, c’est que je ne veux plus militer comme j’ai milité avant. En faisant de l’activisme effréné. Ça, je ne peux plus. Je pense que ce n’est pas productif et puis… Oui, je pense que c’est surtout ça et c’est aussi parce qu’on ne se construit pas personnellement quand on fait ça. Je me suis un peu complètement laissé aller pendant pas mal de temps. J’ai milité comme un fou et bon… Je me suis un peu – à un moment donné – je me suis un peu perdu là-dedans. À un moment donné, en plein quand le mouvement était au plus fort, où j’étais vachement engagé, je n’ai fait que ça à plein-temps quasiment. Tous mes soirs de semaine, c’était des réunions. J’enchaînais les réunions, je ne faisais que ça. J’ai beaucoup réfléchi en fait à tout mon militantisme ancien. Je porte un regard très critique sur tout ce que j’ai pu faire. Si maintenant, je devais me réengager, au niveau du militantisme politique, je pense que je ne le ferais plus du tout de la même façon. » Jérémie (ATTAC).
Déception par rapport au mouvement altermondialiste
26Au-delà des raisons purement biographiques, d’autres éléments ont fortement influé le retrait des militants hors de l’altermondialisation. C’est le cas de leur vision soudainement désenchantée du mouvement altermondialiste. Lors du deuxième cycle d’entretien, les mobilisations à l’étranger qui avaient enthousiasmé ces jeunes militants sont dorénavant perçues avec un regard critique. Plusieurs d’entre eux dénoncent l’absence de caractère revendicatif des contre-sommets. Ils évoquent leur vocation purement représentative, à la fois pour le collectif et pour l’individu. Une militante d’AARRG !! qualifie ainsi les contre-sommets de « Festival de Cannes du militantisme ». La présence aux contre-sommets étant pour certains comme un tampon apposé sur une carte d’identité altermondialiste, à l’image de celui dont on marque sa carte électorale après chaque vote.
27Quant aux Forum sociaux, ils suscitaient dès le départ les critiques d’une partie de notre échantillon de jeunes militants. La routinisation de ces forums n’a fait qu’allonger la liste de leurs reproches. Les animateurs des groupes exclusivement altermondialistes que nous avons étudiés souffrent par ailleurs des périodes de creux qui séparent les contre-sommets et qui nécessitent énormément d’énergie pour maintenir une activité militante souvent artefactuelle. Enfin, la faiblesse des perspectives de victoires altermondialistes, au niveau mondial, constitue une difficulté supplémentaire pour maintenir et entretenir les motivations des militants.
La fatigue des contre-sommets
28Ce « tourisme militant » qui, dans un premier temps, a insufflé de l’exotisme au militantisme de gauche s’est avéré par la suite coûteux en temps et en argent. La majorité des militants n’y participaient plus lors de la deuxième vague d’entretiens en 2005 : seuls deux d’entre eux se sont rendus à Gleneagles cette année-là. L’un d’entre eux justifie cette absence de participation en répondant « Gleneagles ne correspondait pas à ma destination de vacances ». D’autres expriment leur fatigue des contre-sommets, moments de protestation dont ils ont l’impression d’avoir fait le tour. L’inefficacité que leur attribuent certains militants contribue à cette désaffection, puisque la préférence des modes d’action dépend de l’utilité que lui confèrent les militants21, comme nous l’avons vu plus haut.
« Je n’ai ni les moyens financiers, ni le temps d’aller [à Gleneagles (2005) et au FSE d’Athènes (2006)]. C’est lors du FSE de Paris [2003] que j’en ai pris conscience : je trouve ça toujours très sympa et intéressant, mais si on n’y va pas avec l’idée de rencontrer des personnes précises et de créer un réseau autour d’une thématique spécifique, dans ce cas… Moi, ça ne me botte plus, je l’ai fait quelques fois et… C’est toujours la même chose et on en reste toujours au stade des généralités, ça ne m’intéresse plus. » Tobias (ATTAC).
« Je suis très-très réservé, mais je l’étais déjà au début, sur les grand-messes, les forums et tout ça. Je n’ai pas l’impression que c’est comme ça que ça peut fonctionner. [Tu es allé à Gleneagles ?] Non, je n’y suis pas allé. C’est aussi parce que ça ne m’intéressait pas. Après Gênes, on était allé en Belgique, à Laeken, et déjà c’était très décevant. En fait, bon voilà, à partir du moment où ça se fait dans des lieux complètement retirés et tout ça, la petite efficacité qu’il pouvait y avoir apparaît très-très faible : aller dans les champs… J’ai du mal à voir l’efficacité qu’on peut avoir sur ce plan-là. Je n’ai pas l’impression que ça puisse donner quelque chose de concret, finalement, ces grandes réunions où, voilà, chacun veut dire qu’il y est allé, mais finalement ce qui en sort… Les liens qui sont supposés se passer, enfin se nouer entre les organisations… Je n’ai pas l’impression qu’il y ait grand chose. » Guillaume (AARRG !!).
29Ce manque d’efficacité montré du doigt par ce militant d’AARRG !! ne désigne pas uniquement les actions collectives menées lors des contre-sommets, mais aussi celles du petit groupe qu’est AARRG !!. La compensation de leurs faibles effectifs militants par des idées originales et des actions spectaculaires se trouve noyée dans la masse des événements militants lors de ces grands raouts. Leur identité de groupe s’en trouve affaiblie :
« [Lors des contre-sommets, le problème] c’est que le groupe n’a plus de cohésion au moment de l’action. Il en a après et avant, mais au moment pile de l’action, on est souvent éclaté. […] Bon, voilà, je pense que c’est une des grosses difficultés. C’est-à-dire que les seuls groupes qui maintiennent des cohésions fortes dans ce type de manifs, au moment où la tension était importante, c’est : ou des groupes super léninistes type désobéissants, poupoufpouf, ou au contraire une organisation ultra souple type black blocks. Enfin voilà. Et nous qui étions vraiment entre les deux, c’est-à-dire avec des formes d’organisation proches de la souplesse des black blocks, mais sans leur capacité de réactivité, c’était compliqué. Pas simplement au niveau de la violence, mais c’était compliqué de se sentir bien, parce que c’est flippant. Et du coup, ça crée des tensions. » Charlotte (AARRG !!).
30D’autres militants, qu’ils soient issus d’ATTAC ou de groupes plus radicaux comme INKaK, regrettent quant à eux la ségrégation grandissante qui se met en place au sein du mouvement altermondialiste : d’un côté, les militants plutôt réformistes ou modérés qui se concentrent sur les Forum sociaux ; de l’autre, les militants radicaux qui mobilisent vers les contre-sommets. Cette impression est toutefois à replacer dans le contexte particulier du contre-sommet de Gleneagles (2005) qui a effectivement exacerbé les dissensions au sein du mouvement. Le réseau Dissent regroupant des militants altermondialistes radicaux se charge, lors du contre-sommet, d’organiser la mobilisation pour les campements ou villages alternatifs. ATTAC-France et-Allemagne n’y sont quasiment pas représentés et n’ont pas apposé leur label sur la mobilisation, ce qui a vraisemblablement d’autant plus freiné la participation des militants plus timorés. Ces derniers craignent que le contre-sommet soit de ce fait plus violent. En sus, la destination est particulièrement lointaine, difficilement accessible hors transport aérien et elle laisse craindre une météo peu agréable pour camper. Aussi, seuls les militants les plus radicaux se rendent au contre-sommet écossais en 2005.
31Les jeunes militants qui ont rejoint le mouvement altermondialiste pour le mélange des genres politiques qui le caractérise sont dès lors déçus par ce grand écart entre réformistes et militants radicaux, soit lors des préparatifs du contre-sommet, soit lors de l’événement lui-même :
« Deux mots encore concernant les contre-sommets. Ça me rebute un peu. Je n’irai pas en Écosse. D’abord parce que la mobilisation va être ridiculement petite… Personne ne mobilise ! […] Et c’est quoi le slogan du contre-sommet ?? C’est “Détruire le G8” (rire), “En finir avec le capitalisme” ou un truc dans le genre… Super radical. Et ce qu’ils veulent, c’est très clair, c’est que tous les militants d’Europe aillent en Écosse pour former des troupes puissantes ! Et ça, ce n’est pas du tout mon truc. Et puis, c’est hyper séparé. D’un côté, Dissent et, de l’autre, cet amas ignoble du “Festival contre le G822” avec le Parti socialiste écossais et les syndicats et tout… Ce n’était pas encore comme ça à Évian, les courants différents se recoupaient et communiquaient entre eux… Mais à Gleneagles, il y a 150 kilomètres qui les séparent ! (rire). » Markus (ATTAC).
« Il y a une disparition de tout ce qui était au milieu ! Il y a eu tout le barouf Bono et Bob Geldof, ce ne sont pas mes méthodes, mais bon le message est passé et ils ont mobilisé des gens. Et puis, de l’autre côté, il y a eu une contestation qui était essentiellement très radicale et très anti-institutionnelle. Et moi, j’étais sciée ! La question se posait de savoir où avait disparu ATTAC, où avaient disparu les partis, même les trotskistes anglais… Zéro. Et même, évidemment, les syndicats ! Et en France, les militants d’ATTAC ne savaient même pas qu’il y avait le G8 ! Et ce qui est très démoralisant, c’est de voir à quel point, au fond, quand il n’y a pas de propagande, les gens ne viennent pas. Mais moi, je suis arrivée à Stirling, il n’y avait que des gens de mon âge à peu près, surtout hyper lookés, d’une manière frappante ! Des hippies, aussi des blacks piercés machin, très lookés, très tribal… Enfin, tu vois, la journaliste qui entre là-dedans, elle te fait un papier couleur ! Mais, de fait, il y avait très peu de gens normaux, quoi (rire) ! Et très peu de gens jeunes. Alors, bon, moi, j’envie toujours les militants qui arrivent à se dire : “L’essentiel, c’est que l’énergie soit bonne.” C’est vrai, mais d’un autre côté, moi j’ai vraiment besoin de sentir qu’il y a une sorte d’appel d’air… [Des nouveaux militants ?] Oui. Des nouveaux ou d’autres. Enfin comment dire… Là, c’était trop connu, quoi ! C’était trop des gens que je connaissais, ce sont des visages que j’ai croisés mille fois. Et je me souviens qu’il y avait une équipe de journalistes, je leur ai dit : “Mais allez demander à Jacques Nikonoff pourquoi il n’est pas là, au lieu de me le demander à moi !” Mais ce qui me surprend, c’est pourquoi ces associations ont complètement déserté. Ou alors ATTAC est une vaste blague. C’est frappant. Pour les Allemands, c’est encore plus surprenant – parce qu’il y avait tout un machin super écolo à Stirling (en 2005), construire des camps, enfin tu vois, c’est aussi pour ça que les Allemands sont venus à Évian (en 2003)… Moi, personnellement, par exemple, ce n’est pas le truc qui me… Je ne tripe pas beaucoup sur le compost. » Charlotte (AARRG !!).
32La diversité des militants participant au mouvement altermondialiste est davantage ressentie comme un éclatement lors du deuxième cycle d’entretien. Si l’hétérogénéité et le flou du mouvement restent valorisés lors de ces entretiens, les difficultés à les gérer se profilent parallèlement, et l’absence de cohérence de la nébuleuse altermondialiste n’est plus seulement perçue comme porteuse d’une « effervescence créatrice23 ».
Le choc de la répression et la peur de la violence
33Lieux de la mise en scène de la confrontation avec la police, les instances supranationales ou le « système », les contre-sommets sont parfois vécus comme l’occasion de gagner en prestige, en montrant sa force, sa bravoure, sa virilité. Cette démarche a toutefois un pendant dont plusieurs militants ont fait l’expérience : la violence répressive et le « traumatisme du coup de matraque24 ». L’intense déploiement des forces de l’ordre lors des contre-sommets et ce qu’Olivier Fillieule et Philippe Blanchard appellent « les nouvelles formes de répression » utilisées à l’encontre des militants altermondialistes amènent d’ailleurs ces auteurs à considérer le militantisme altermondialiste comme un engagement « à haut risque », tel que l’avait défini Doug McAdam25. Cet élément peut selon eux potentiellement générer des réorientations de carrières militantes et de trajectoires individuelles altermondialistes26.
34Ainsi, le militant d’INKAK dont nous avons exposé le parcours et qui se trouvait dans l’école prise d’assaut par les forces de police lors du contre-sommet de Gênes, ne s’est plus rendu aux manifestations nationales et internationales par la suite. Au moment du second entretien, il recommence depuis peu à participer aux mobilisations nationales. De la même manière, plusieurs militants d’AARRG !! organisation caractérisée par l’horizontalité du groupe, son faible effectif et son absence d’ancienneté militante, ont été blessés, emprisonnés ou fortement choqués du fait de l’intense répression policière lors du contre-sommet de Gênes en 2001. Ceux qui n’ont pas été directement victimes de la violence policière conservent en tête les images de leurs camarades ensanglantés et de la tension du contre-sommet. La quasi-totalité des militants d’ARRGG !! a décidé, suite à cette expérience, de ne plus se rendre aux contre-sommets :
« Et c’est vrai qu’on est arrivé [à Gênes], on était LE mouvement antimondialisation… ou altermondialiste français. En fin de compte, numériquement, on était ridicule. On était vingt personnes. Et à vingt personnes, on avait beau avoir des idées, on était dans un pays qu’on ne connaissait pas particulièrement, quand on nous annonce trois jours avant qu’il faut abattre une grille… un mur plutôt gardé (rire)… Ce n’était quand même pas évident. Donc même si, normalement, on compensait justement la faiblesse numérique par la recherche d’idées ou de conceptions, parce qu’on avait un certain nombre de gens qui étaient qualifiés… Il y a un moment où ce n’était plus possible parce qu’on n’était pas dans notre élément. » Guillaume (AARRG !!).
35Face à ce désenchantement qu’occasionnent les contre-sommets pour la plupart de ces jeunes militants, certains ne participent plus à aucun événement altermondialiste et se retirent ipso facto du mouvement altermondialiste. D’autres se replient sur un engagement local ou sur les Forum sociaux.
Les Forum sociaux : l’évolution vers de grosses foires consensuelles
36Les Forum sociaux ne constituent toutefois pas une solution de repli pour l’ensemble des jeunes militants interrogés, car ils souffrent dès le départ du rejet d’une partie d’entre eux. La critique porte notamment sur leur organisation centralisée, la forme souvent magistrale des débats qu’ils proposent, leur évolution vers moins de radicalité et l’implication plus forte des ONG :
« C’est devenu des énormes foires. Les propositions qu’on avait, elles se diluent dans une espèce de discours ambiant où tout le monde – même à droite – les reprend. Il y a beaucoup de gens qui viennent voir un petit peu comme ça, qui viennent un petit peu aux concerts et du coup viennent aussi aux débats. Et j’ai l’impression que ça s’essouffle en fait aussi. J’ai été vraiment impressionnée à Porto Alegre cette année de voir beaucoup de cadres en costard qui venaient là voir un petit concert de Manu Chao, voir un petit truc sur le commerce équitable, là, “Ah oui, ça m’intéresse, je voudrais bien acheter du commerce équitable”… Et c’est intéressant bien sûr. Parce qu’ils n’y auraient jamais pensé sinon avant, etc., mais c’est aussi étrange parce que ça met en avant toute une forme très-très soft du mouvement. » Sophie (ATTAC).
37Les différentes formes de mobilisation proposées par le mouvement altermondialiste répondent à des envies militantes différentes. Ainsi les Forum sociaux s’avèrent-ils particulièrement intéressants pour les militants trotskistes de notre échantillon. Les militants de SPEB et de Linksruck (et une partie de ceux de la LCR) ont investi une grande part de leur énergie dans ces événements qui se sont déroulés à deux reprises dans des villes dans lesquelles leur courant politique (International Socialist Tendency) est fort, à Londres et Athènes. Les Forum sociaux, qui visent moins la démonstration de la force protestataire que la constitution de réseaux militants, conviennent de ce fait aux deux groupes trotskistes que nous avons suivis. SPEB et Linksruck souhaitent en effet recruter de nouveaux militants de manière à évoluer vers la constitution d’une nouvelle force politique ou d’un parti politique incluant les forces altermondialistes. C’est pourquoi ces militants trotskistes n’adhèrent pas aux méthodes des petits groupes, tels AARRG !!, INKaK ou VAMOS, fondés sur une forte sociabilité interne et donc une relative fermeture par rapport au monde extérieur, et dont les moyens d’action visent avant tout à perturber les contre-sommets et moins à se poser en force de proposition.
« [Tu vas aller à Gleneagles ?] Non. [Pourquoi ?] Parce que je ne vois pas quoi y faire. Je n’en vois plus l’intérêt. [Et pour le FSE de Londres, c’est pareil ?] Non, Londres, j’ai failli y aller. Finalement, pour un problème de temps, je n’ai pas pu y aller… [Pourquoi est-ce que tu préfères aller à Londres pour le FSE qu’en Écosse pour le contre-sommet ?] Parce que Londres, c’est un cadre de masse : 20 000 personnes rassemblées dans un même lieu avec des liens avec la population locale de Londres… [Il y avait vraiment des liens avec la population locale ?] D’après les échos que j’ai eus entre autres par le SWP, il y a quand même des franges des syndicats importants et des syndicats des quartiers… Euh… Enfin, de la partie populaire de Londres, et des secteurs parmi les plus radicaux de la gauche musulmane… Donc là, il y a quand même des liens qui se font qu’il n’y avait pas avant. En France, on en est très loin. Donc, ça, c’était un cadre qui m’intéressait plus, parce que c’est plus large. Aller à Gleneagles à quelques centaines, quelques milliers de convaincus pour faire des actions symboliques… Je n’en vois plus l’intérêt. Et ça fait partie aussi de ma rancœur par rapport à VAMOS, tout ce mouvement de batucadistes27 qui n’est pas… Je trouve qu’ils ne se soucient pas d’offrir un cadre pour que tout le monde puisse s’y reconnaître, [VAMOS, c’est] “Si tu ne fais pas de batucada, est-ce que tu as ta place avec nous ?”, donc là il y a un vrai problème. » Jérémie (ATTAC).
38Les déceptions que nous avons observées chez ces dix-huit jeunes militants sont le fruit d’un décalage entre leurs attentes et ce qu’ils ont réellement trouvé dans le militantisme altermondialiste. Certaines caractéristiques de l’altermondialisation qui les avaient d’abord séduits les déçoivent dans un deuxième temps. C’est le cas par exemple de la diversité qui est adulée lors des débuts du mouvement altermondialiste, l’exemple de Seattle et de la coopération inédite entre des chauffeurs routiers et des défenseurs des tortues (teamsters and turtles) étant alors érigés en modèle. Quelques années plus tard, si les militants continuent à apprécier la diversité, le maintien de liens artificiels entre militants de bords politiques très différents – des groupes religieux aux réseaux anarchistes – s’avère coûteuse en énergie. La trop grande diversité militante et politique est parfois contre-productive et se révèle comme un frein à l’efficacité de l’organisation. Si ces jeunes militants continuent à se dire altermondialistes et à se reconnaître dans les préceptes du mouvement dans lequel ils ont inscrit quelques années de leur militantisme, la majorité d’entre eux préfèrent toutefois se replier sur des groupes ou des niches plus homogènes politiquement.
La difficile gestion des périodes de creux
39L’organisation régulière de contre-sommets suivant l’agenda des instances supranationales (G7/G8, FMI, Banque mondiale, OMC, sommets européens, etc.) a représenté pour les entrepreneurs politiques engagés au niveau national, un moyen de raviver l’activité de leurs organisations. Ces contre-sommets mobilisent par ailleurs des individus de manière ponctuelle, qui s’agrègent autour de ces mobilisations, sans pour autant perpétuer leur engagement au-delà des contre-sommets (phénomène appelé « event-hopping »). Les organisations dont l’activité se concentre autour de ces mobilisations protestataires altermondialistes – et moins autour des Forum sociaux et l’éducation populaire – sont tributaires de cet agenda de mobilisation en dents de scie. Les retombées négatives de ce rythme aux échéances espacées sont la fluctuation importante des effectifs de ces groupes.
40Aussi INKaK, VAMOS et ATTAC donnent-ils presque l’impression de tourner « sur et pour eux-mêmes » en dehors des contre-sommets, donc en dehors de leur conjoncture militante. L’activité de ces groupes semble en effet motivée par le maintien d’un effectif militant nécessaire à la survie de ces structures militantes, plus qu’à la défense de leur cause altermondialiste. Le turn-over important de ces groupes signifie en effet un perpétuel recommencement du travail de mobilisation des masses militantes à l’approche des événements altermondialistes. Ce phénomène n’est évidemment pas propre au mouvement altermondialiste et rappelle les études portant sur les partis politiques de masse : celles-ci montrent que ces organisations sont tenues de « dégager, souvent “à froid” et de façon un peu artificielle, des “tâches nouvelles”, trouver en toutes circonstances – y compris les plus calmes et les plus dépourvues d’enjeux – de quoi alimenter l’activisme de leurs membres28 ». La mise en sommeil de ces activités entraîne en effet la disparition des gratifications et des rétributions symboliques qui garantissent la fidélité des adhérents et des militants. La perte des militants constitue ensuite un préjudice pour les petites structures lorsque les contre-sommets approchent. Ainsi, la charge militante qui a reposé sur les épaules des militants de VAMOS au moment de l’organisation du Village Intergalactique lors du contre-sommet d’Évian en 2003 s’est révélée très pesante en raison de la faiblesse de leurs effectifs militants.
41Le maintien d’un rythme militant entre les contre-sommets nécessite un investissement en temps et en énergie également très lourd pour les animateurs de ces groupes ou réseaux. Ceci épuise certains de ces militants et les contraint à sacrifier d’autres pans de leur existence (leurs études, leurs cercles d’amis, etc.). Jérémie et Sophie ont, par exemple, peu à peu abandonné l’animation du groupe d’ATTAC-Sorbonne, à la fois en raison de l’effort sus-évoqué de compenser l’absence d’actualité altermondialiste, mais aussi en raison de conflits avec la direction de l’organisation ATTAC-France, comme nous le verrons plus loin :
« Les collectifs que j’avais animés, contribué à mettre en place à la Sorbonne ou sur les facs, n’ont pas duré, ça a un peu périclité. C’est vrai que ce n’était pas super enthousiasmant pour continuer à militer là-dedans. Surtout que je m’étais vachement investi au début. » Jérémie (ATTAC).
42Lorsque les efforts fournis pour perpétuer une activité entre les contre-sommets s’avèrent vains, les militants réagissent souvent par un burn out, sorte d’épuisement moral. Les difficultés à pérenniser ces structures altermondialistes ont concerné notamment VAMOS, comme nous l’avons vu, et certains groupes locaux et universitaires d’ATTAC en France et en Allemagne. Lors du deuxième cycle d’entretiens, l’euphorie des militants et leur disposition à œuvrer au maintien de ces structures sont un peu retombées. Seul le modèle développé par VAMOS et reposant sur les répétitions régulières de leur batucada semble avoir relativement bien fonctionné.
43Pour répondre à ce problème de grande fluctuation des militants, les groupes que nous avons étudiés (excepté AARRG !!) organisent des débats, des réunions thématiques, des congrès ou festivals entre les contre-sommets. ATTAC calque par ailleurs son agenda sur celui des organisations engagées au niveau national et participe aux événements protestataires nationaux (manifestations, grèves). Peu après sa création, VAMOS s’investit, par exemple, peu à peu dans l’agenda militant parisien et national pour assurer une activité entre les contre-sommets. Ce qui est naturellement facilité par l’appartenance de certains des animateurs du groupe à des organisations politiques traditionnelles (LCR et jeunes Verts, notamment). Les militants de ce réseau altermondialiste participent alors aux manifestations contre certaines réformes nationales et nouent par ailleurs des liens avec les jeunes de Bouge qui bouge – une association de la banlieue parisienne – autour du thème de la répression29, puis avec le réseau de précaires No Vox. Par ailleurs, les militants de VAMOS se sont associés à plusieurs reprises à d’autres militants altermondialistes pour organiser une semaine parisienne de débats altermondialistes, nommée « Charivari ».
L’idéalisme pragamatique et la faiblesse des perspectives de victoire
44L’altermondialisation est un « concept-éponge30 », comme nous l’avons vu dans la première partie. Différents courants d’idées et mouvements politiques extrêmement hétérogènes sont ainsi subsumés sous un même mouvement. En rejoignant le mouvement altermondialiste, ces courants y apportent leurs revendications. Et au fur et à mesure que le mouvement gagne en extension, croît pour lui le risque de perdre en intensité et en précision de ses objectifs.
La Taxe Tobin : un pétard mouillé ?
45Le combat initial de l’organisation ATTAC était pourtant clair – l’instauration d’une taxe nommée « Tobin » sur les flux spéculatifs31 –, mais s’est avéré trop peu radical sans doute, trop « économiciste » ou réformiste au goût de certains des jeunes militants interrogés :
« [Le mouvement altermondialiste] doit rester dans une forme de confrontation : plus de libertés, plus de réenchantement du monde. C’est ça. […] Et plus de solidarité entre les gens, entre les espèces, entre les… Enfin bref… Tu vois ? Une forme de réanimation du monde. [Le mot “altermondialisation”] ne me va pas, parce que je sais qu’il émane d’une contestation très économiste du problème. C’est-à-dire “il y a d’autres solutions”, tu vois ? [Comme la Taxe Tobin, par exemple ?] Voilà. Une espèce d’alternative économiste et technicienne à un monde qu’on propose sous une forme toujours économiste et technicienne. » Charlotte (AARRG !!).
46La revendication de la Taxe Tobin a peu rayonné en dehors d’ATTAC ; elle n’a pas été reprise dans le reste du mouvement altermondialiste. L’idée a en outre rapidement été adoptée par les parlementaires français. Suivant le mouvement des parlementaires canadiens, l’Assemblée nationale française a en effet adopté le principe d’une Taxe Tobin en novembre 2001, fixant à 0,1 % cette taxe sur les transactions financières spéculatives internationales. La taxe n’entrera toutefois en application qu’après l’adoption du même principe par les autres parlements d’Europe. Cette victoire symbolique et politique de l’organisation ATTAC a montré les limites des revendications proches et concrètes pour la construction d’un mouvement social. La récupération de cette taxe par des hommes politiques de droite, loin de signifier une victoire supplémentaire aux yeux des jeunes altermondialistes que nous avons interrogés, démontre pour eux le manque de radicalité et la faiblesse de la dimension utopiste de cette première mesure. En décembre 2007, Jean-Louis Borloo, ministre de l’écologie et du développement durable, annonce ainsi qu’il prévoit de déterrer la Taxe Tobin dans le but de créer un fonds pour la lutte contre le réchauffement climatique.
47La victoire trop rapide d’ATTAC sur ce point et le consensus général autour de cette taxe au sein de la société ont conforté dès 2002-2003 certains des jeunes militants dans le fait que la proposition manquait d’ambition ou que ce combat était d’arrière-garde. C’est le cas des militants de SPEB, des deux militants radicaux d’ATTAC-Berlin, de ceux d’AARRG !! et d’INKaK.
« [Est-ce que tu es pour l’instauration de la Taxe Tobin ?] Mmmhhh… Mouais… [Sans plus ?] Oui, oui. [Tu me poses la question après avoir évoqué] les sans-papiers : la Taxe Tobin, ce n’est pas trop la même échelle ! Franchement, la régularisation de tous les sans-papiers et la Taxe Tobin… [La Taxe Tobin], oui, mais ce n’est pas ça qui va… Il paraît que Chirac aussi est d’accord… Je ne pense pas qu’on défende la même chose avec Chirac !! Il y a des parlementaires européens qui sont d’accord aussi, plein de gens ! Donc ce n’est pas vraiment… » Camille (SPEB/ATTAC).
« Je suis contre cette Taxe Tobin, parce que ça ne change rien à ce qui devrait être changé. Parce qu’elle pourrait renforcer des institutions que je n’ai pas envie de renforcer. Le FMI ou la Banque mondiale pourraient gérer et redistribuer cette Taxe Tobin, par exemple. Et puis, il y a tellement d’énergie qui est investie pour cette Taxe Tobin, alors que ça ne va pas vraiment changer quelque chose. Mais c’est vrai qu’il vaut mieux qu’il y ait cette taxe que rien du tout. Mais je pense que c’est une erreur, ou du moins que ce n’est pas suffisant d’engager ses forces dans ce combat-là. Et c’est pour ça aussi qu’on critique ATTAC. » Andreas (INKaK).
48Les revendications qui ont suivi la Taxe Tobin sont plus difficilement identifiables. Le combat altermondialiste – la lutte contre la mondialisation néolibérale – étant soit abstrait, soit très ambitieux, il présente l’inconvénient de ne pas pouvoir espérer de victoires à court terme. L’idée d’un combat de longue haleine et d’une victoire définitive lointaine peut être motivante, parce qu’elle promet aux individus une longue aventure militante et d’être les acteurs d’une victoire de taille. Mais elle peut également engendrer un découragement, suivi de l’abandon d’une lutte perçue comme inutile, si la défense de la cause s’avère non seulement longue, mais aussi largement infructueuse32. C’est ainsi que Susan George, vice-présidente d’ATTAC, affirmait en 2004 : « Les effectifs d’ATTAC-France […] n’augmentent plus ou régressent. Rien d’étonnant à cela. Les gens se lassent quand ils ne gagnent jamais, ou quand ils ne voient même pas l’objectif… » Et François Dufour, membre fondateur de l’organisation, affirmait lors des journées d’été d’ATTAC de la même année : « Je crains que notre mouvement stagne et déçoive. […] Personne ne nie qu’ATTAC est une réussite, mais nous sommes dans l’attente d’actions. Et ce qui nous manque, c’est justement de réussir un certain nombre de dynamiques33. » Les victoires, la réussite, les instants et récits héroïques comptent en effet parmi les éléments moteurs d’un mouvement, comme l’a démontré l’épisode de Seattle érigé en victoire34.
L’altermondialisation : un modèle d’idéalisme pragmatique ?
49Anne Muxel a relevé à plusieurs reprises dans ses travaux un attrait des jeunes pour les revendications concrètes, ce qui tendrait à en faire des militants d’un « nouveau type » attirés par la « Politique avec un grand P35 ». La fin des idéaux et des utopies, la recherche d’avancées à petits pas, n’est toutefois pas générale selon l’auteur, puisque les jeunes gens seraient également attirés par un « double registre des enjeux planétaires et des enjeux de la vie quotidienne », ce qui les pousserait par exemple à s’engager dans des associations environnementales ou défendant les droits de l’Homme36. Ces dernières causes rejoignent les préoccupations des dix-huit jeunes militants que nous avons étudiés. Plus généralement, cela va dans le sens de la forte participation des jeunes aux événements altermondialistes aux revendications sinon abstraites – la mondialisation, la dette du tiers-monde, les crises financières – du moins éloignées des préoccupations du quotidien.
50Parmi les militants interrogés, les thèmes qu’ils disent préférer sont assez hétérogènes : agriculture, consommation, écologie, défense du service public, démocratie, construction d’une alternative à gauche, guerre, domination Nord/Sud, question du commerce et de l’économie au niveau international, ouverture de l’Europe à l’Est, racisme, critique des dominations, précarité, anticapitalisme, conflit en Palestine, etc. Ces thèmes sont le plus souvent directement extraits du programme de leur organisation ou de l’actualité politique immédiate. Si certains de ces thèmes sont effectivement très concrets (agriculture, précarité, consommation, genre, service public, guerre) et donnent lieu à des actions concrètes, les thèmes-phares de l’altermondialisation restent eux relativement abstraits, ce qu’AARRG !! n’a pas manqué de relever dans son appel fondateur :
« Première difficulté : se dire “contre la mondialisation libérale” a quelque chose de très abstrait. Comment lutter contre ce qui apparaît comme un processus macro-économique anonyme qui affecte la finance, le commerce et la production ? L’idée est de traduire ces grands mots en situations concrètes, de faire voir leurs conditions et leurs implications matérielles. »
51Au-delà de leur caractère abstrait, les revendications altermondialistes (changer le monde, réformer ou supprimer les instances supranationales, supprimer la dette du tiers-monde, etc.) présentent l’inconvénient de ne pas être atteignables à court et moyen termes. Une solution trouvée par les militants pour dépasser à la fois cette abstraction et cette échéance trop lointaine est l’identification de petites retombées concrètes du « processus de mondialisation libérale », présentes dans le quotidien des citoyens. Ainsi, une militante d’ATTAC à Berlin raconte son choix de militer contre l’AGCS37 en expliquant le potentiel de mobilisation de ce thème et les déclinaisons concrètes que l’on peut en faire :
« L’AGCS [m’intéresse particulièrement], parce que par ce biais, on peut faire bouger des choses politiquement et politiser des gens. […] C’est-à-dire que l’on peut s’adresser au petit berlinois dont l’eau est en train d’être privatisée, mais aussi toucher les gens qui s’intéressent à la coopération en matière de développement avec le Népal, parce qu’il s’agit, là aussi, du problème de la privatisation de l’eau. […] C’est un thème qui est saisissable. Au début, l’AGCS est un thème très difficile, mais si on réussit à le cerner, alors il devient vraiment-vraiment saisissable. Privatisation de l’eau, de la santé : tout le monde peut comprendre ça, si tu l’expliques avec des exemples concrets. Et puis, ce n’est pas un thème qui a déjà été traité depuis une éternité. […] Et en plus, on peut organiser des actions dans le cadre de la campagne AGCS. » Anja (ATTAC).
52Les tentatives de transposition des thèmes altermondialistes au niveau du quotidien des citoyens sont fréquentes. En effet, pour pallier la baisse d’activité des groupes altermondialistes entre les contre-sommets, les effets de la mondialisation honnie sont recherchés par les militants au niveau des politiques nationales, ce qui permet aux militants altermondialistes de calquer leur agenda sur celui de l’activité militante nationale. En ceci, la démarche des militants altermondialistes n’est pas si éloignée du concept d’« idéalisme pragmatique » développé par Jacques Ion. Pointant une mutation du militantisme, l’auteur indique que le souci des résultats prime désormais sur la volonté de victoire et, dans ce cadre, l’idéalisme pragmatique est une attitude qui maintient « simultanément des objectifs à long terme et la recherche concrète d’une efficacité sur le court et moyen terme38 ».
53Si la nouveauté du phénomène ne nous paraît pas évidente – ce que Jacques Ion appelle l’idéalisme pragmatique ne correspond-il pas à l’approche des militants communistes depuis l’après-guerre ou des militants écologistes depuis les années 1970 ? –, il est certain que l’intérêt des altermondialistes pour la politique nationale démontre une recherche de résultats concrets. Cette déclinaison des thèmes altermondialistes flous en réalités concrètes, proches du citoyen, peut être illustrée grâce à l’exemple du brevetage du vivant qui est abordé, en France, au niveau national par le biais de la critique de la production d’organismes génétiquement modifiés (OGM). Plus encore, lorsque l’on observe les listes de diffusion d’ATTAC en France et en Allemagne ces dernières années39, on note que leur agenda militant en dehors des périodes de contre-sommet se distingue peu ou pas de celui des syndicats et des partis politiques. Les motifs de mobilisation qui circulent sur les listes de diffusion d’ATTAC-France et d’ATTAC-Campus concernent la privatisation des services publics, les sans-papiers et les chômeurs, le Traité pour une Constitution Européenne, la guerre en Irak, mais aussi la vie syndicale, le droit du travail et le droit de grève, les mouvements lycéens et étudiants, les instances supranationales, la politique électorale, le droit des femmes, l’écologie, la misère sociale, le brevetage des logiciels et du vivant, les OGM, la politique du Proche-Orient et la politique africaine, etc. Pour ce qui est d’ATTAC-Allemagne, les thèmes qui circulent sur les listes électroniques concernent aussi bien la politique européenne que celle des instances supranationales, la réforme Hartz IV, le Traité pour une Constitution Européenne, les mobilisations contre la guerre en Irak, la lutte pour le respect du droit du travail dans les chaînes d’alimentation à bas prix, la sécurité sociale, les mobilisations anti-nucléaires, la lutte des précaires, etc.
54Ce repli sur l’agenda national s’explique aussi par la plus grande facilité de concevoir des victoires militantes au niveau national, plutôt qu’au niveau mondial. Éric Agrikoliansky et Boris Gobille se sont intéressés aux finalités des militants altermondialistes lors du FSE de Paris-Saint-Denis (2003). Selon eux, l’intérêt que présente l’étude des enjeux de lutte des militants est qu’ils renseignent sur « les façons dont les acteurs pensent leur rôle, leur action politique et mettent en scène publiquement leur identité et celle du mouvement auquel ils contribuent40 ». Ce qu’ils retiennent de leur étude est que les altermondialistes présents lors du FSE croient finalement peu à leur capacité à influer sur les inégalités au niveau mondial et se pensent davantage comme un « groupe d’intérêt » travaillant l’agenda national ou européen. Quasi-unanimement persuadés de leur efficacité à sensibiliser l’opinion publique à leurs revendications et à développer un mouvement européen de protestation, les deux tiers d’entre eux pensent également être efficaces dans leur lutte contre les tendances ultralibérales de la société actuelle. En revanche, les auteurs voient dans la prudence des militants face à leur efficacité au niveau mondial un signe fort des limites du concept de « société civile transnationale ».
55Parmi les militants qui se replient petit à petit sur l’échelon national, certains se posent dès lors la question de l’intérêt et de la pertinence de la spécificité altermondialiste par rapport à un engagement plus traditionnel. À cela s’ajoute la baisse de l’attractivité de la cause altermondialiste, mais aussi la routinisation des modes d’action qui semblaient inédits en 2000 (les Forum sociaux, les contre-sommets).
56Mais les défections des dix-huit jeunes militants sont avant tout liées aux crises qui ont traversé les sept organisations suivies. Si ces crises organisationnelles sont probablement liées à la perte de motivation, il n’en reste pas moins que les autodissolutions qui ont eu lieu au sein de notre échantillon sont souvent à attribuer à des problèmes de structures organisationnelles et de conflits interpersonnels.
Notes de bas de page
1 Agrikoliansky É., « Carrières militantes et vocation à la morale. Les militants de la LDH dans les années 1980 », Revue Française de Science Politique, volume 51, no 1-2, 2001, p. 39.
2 Fillieule O. (dir.), Le désengagement militant, op. cit.Sawicki F., Siméant J., « La sociologie de l’engagement militant, un champ de recherches à décloisonner », colloque « Comment penser les continuités et discontinuités du militantisme ? », juin 2006.
3 Albert Hirschman renonce toutefois à la dénomination « cycle », en raison de l’absence de mouvement pendulaire de période constante. Il recherche davantage des caractères généraux de processus récurrents sur une période prolongée (Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, op. cit., p. 15 et p. 22).
4 Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, Hachette, Paris, 1983, p. 20.
5 Ibid., p. 166-167 et p. 177.
6 Ibid., p. 16.
7 Ibid., p. 26.
8 Percheron A., La socialisation politique, Armand Colin, Paris, 1993, p. 193.
9 McAdam D., Freedom Summer, Oxford University Press, New York, 1988, p. 43-55.
10 Thévenot L., « Une jeunesse difficile. Les fonctions sociales du flou et de la rigueur dans les classements », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, no 27-28, mars-avril 1979, p. 9.
11 Ion J., La fin des militants ?, L’Atelier, Paris, 1997.
12 Sawicki F., Siméant J., « La sociologie de l’engagement militant, un champ de recherches à décloisonner », op. cit., p. 15.
13 Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, p. 170.
14 Introvigne M., « Defectors, ordinary leavetakers and apostates: a quantitative study of former members of New Acropolis in France », Nova Religio, no 3-1, octobre 1999.
15 Fillieule O. (dir.), Le désengagement militant, op. cit.
16 Luck S, « Le militantisme à Aarrg !-Paris », op. cit.
17 Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, op. cit.
18 Ebaugh H. R. F., Becoming an ex: the process of role exit, University of Chicago Press, Chicago, 1988.
19 Fillieule O., Bennani-Chraïbi M., « Exit, voice, loyalty et bien d’autres choses encore… », inBennani-Chraibi M., Fillieule O. (dir), Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes, Presses de Sciences Po, Paris, 2003.
20 Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, op. cit., p. 213.
21 Faucher F., Les habits verts de la politique, Presses de sciences po, Paris, 1999. Coulouarn T., Jossin A., « Représentations et présentations de soi des militants altermondialistes », inAgrikoliansky É., Sommier I. (dir.), Radiographie du mouvement altermondialiste. Le second Forum social européen, La Dispute, Paris, 2005.
22 Le festival auquel il est fait référence est la série de concerts organisée notamment par Bono (chanteur du groupe de rock U2) et Bob Geldof. Ces deux musiciens ont supervisé une série de 10 concerts gratuits « humanitaires » dans le monde, le « Live 8 ». De Tokyo à Toronto, en passant par Londres, Berlin, Versailles, les organisateurs ont souhaité exercer une pression en amont du sommet du G8 de Gleneagles et plus particulièrement un appel à l’aide pour le continent africain. L’opération a été critiquée par les militants – et par certains organes de presse – en raison de la dilution du message politique dans un spectacle très imprégné de show business. Le quotidien Le Monde écrit dans son édition du 5 juillet 2005 « Des stands permettent d’acheter des tee-shirts au même logo (20 euros), dont les recettes servent à payer les frais des concerts, mais pas de trace d’espace d’information ou d’associations ». Le coût de l’événement a été estimé à environ 38 millions d’euros (Le Monde, 5 juillet 2005).
23 Agrikoliansky É., « L’altermondialisme de A à Z », L’Humanité, 26 janvier 2005.
24 Memmi D., « Le Corps protestataire aujourd’hui : une économie de la menace et de la présence », Sociétés Contemporaines, no 31, 1998.
25 McAdam D., « Political opportunities : conceptual origins, current problems, future directions », in McAdam D., McCarthy J., Zald M. N. (dir.), Comparative perspective on social movements. Political opportunities, mobilizing structures, and cultural framings, Cambridge University Press, Cambridge, 1996.
26 Fillieule O., Blanchard P., « Carrières militantes et engagements contre la globalisation », in Agrikoliansky É., Sommier I. (dir.), Radiographie du mouvement altermondialiste, La Dispute, Paris, 2005, p. 181.
27 Comme nous le verrons plus loin, les militants de VAMOS ont créé un orchestre de percussion assorti de déguisements roses pour animer leurs actions et colorer leur participation aux événements altermondialistes.
28 Gaxie D., « Économie des partis et rétributions du militantisme », Revue française de science politique, volume 27, no 1, 1977, p. 149.
29 En pointant le thème de la répression comme dénominateur commun entre les « jeunes de banlieue » et les militants altermondialistes, eux aussi victimes de la répression policière, les militants de VAMOS ont souhaité implanter leur militantisme hors-frontière dans leur cadre de vie local. VAMOS a notamment organisé un débat dans un amphithéâtre de l’université de Jussieu (Paris) avec les jeunes de Bouge qui bouge et José Bové.
30 Le terme « concept-éponge » a été utilisé par Mounia Bennani-Chraïbi et Jean-Gabriel Contamin pour discuter le terme « politisation » (Bennani-Chraïbi M., Contamin J.-G., « Regards croisés sur la politisation des individus », congrès de l’AFSP, septembre 2007).
31 L’objet de l’organisation est ainsi défini dans ses statuts : « produire et communiquer de l’information, ainsi que de promouvoir et mener des actions de tous ordres en vue de la reconquête, par les citoyens, du pouvoir que la sphère financière exerce sur tous les aspects de la vie politique, économique, sociale et culturelle dans l’ensemble du monde ». Article 1 des statuts adoptés par l’Assemblée générale constitutive du 3 juin 1998.
32 Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, p. 162-166.
33 Politis, 2 septembre 2004.
34 Agrikoliansky É., « Du tiers-mondisme à l’altermondialisme : genèse(s) d’une nouvelle cause », in Agrikoliansky É., Fillieule O., Mayer N. (dir.), L’altermondialisme en France. La longue histoire d’une nouvelle cause, Flammarion, Paris, 2005.
35 Muxel A., Les jeunes et la politique, Hachette, Paris, 1996, p. 77-107.
36 Ibid., p. 110-111.
37 AGCS : Accord Général sur le Commerce des Services. Cet accord a pour objet la définition des principes généraux devant régir les négociations commerciales en matière de services. Les groupes altermondialistes lui reprochent de vouloir libéraliser les services, dont les services publics (santé, éducation, etc.).
38 Ion J., La fin des militants ?, p. 75.
39 Les listes électroniques ont été observées tout le long de notre travail de recherche. Cette liste de thèmes a été constituée à partir des messages du créneau de février à septembre 2005.
40 Agrikoliansky É., Gobille B., « Des élites transnationales ? », op. cit.
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