6. Moyens d’action et lien au transnational
p. 213-284
Texte intégral
1L’importance accordée par la majorité des jeunes militants que nous avons étudiés aux pratiques de consommation, aux moyens de transport utilisés et à d’autres aspects de leur style de vie donne à première vue l’impression d’un militantisme tourné vers le concret et vers l’efficacité immédiate des agissements. C’est également le cas de l’action de l’« Église de la Très Sainte Consommation » que nous avons citée, mais aussi d’une action « anti-Mc Do » de VAMOS, de l’occupation du génoplante par les militants d’AARRG !!, du soutien des travailleurs des chaînes de restauration rapide par certains militants d’AT-TAC-France, d’AARRG !! et de SPEB, de la vente de petits biscuits intitulés « Arbeitsplätzchen »1 par les militants d’ATTAC-Allemagne contre la réforme du système de chômage, etc.
2Lorsque l’on demande aux militants s’ils pensent organiser des « actions non conventionnelles », la majorité d’entre eux affirment spontanément le faire, à l’exception des militants d’INKaK qui se définissent comme un groupe théorique, mais disent toutefois organiser ce type d’action dans des cadres militants parallèles. Cependant, hormis les militants d’AARRG !! et dans une moindre mesure ceux de VAMOS, les militants peinent à citer des exemples d’actions de type non conventionnel, car elles ne constituent souvent que l’exception parmi des formes plus traditionnelles de militantisme (réunions, débats, manifestations, rassemblements, occupations, etc.). Les militants d’ATTAC-Allemagne essaient toutefois d’organiser des actions à caractère « symbolique », de type théâtre de rue : dans le cadre de la campagne contre l’AGCS, ils ont par exemple distribué des « boîtes de conserve de culture » et accroché une banderole sur un bâtiment. Les militants de VAMOS qualifient leurs actions de « symboliques », et relevant de la « désobéissance civile » : ils ont bloqué des routes lors du contre-sommet d’Évian, organisé des actions devant certaines chaînes de restauration rapide et occupé des bâtiments. Quant aux militants de SPEB et Linksruck, le registre des actions non conventionnelles les intéresse peu, puisqu’ils ne souhaitent pas se distinguer des formes traditionnelles de la politique. Les militants de Linksruck citent toutefois quelques exemples d’actions sortant du lot de leurs actions classiques : la participation à un die-in2 et l’interruption d’un meeting avec des messages inscrits sur leurs t-shirts.
3Ces petites actions « non-conventionnelles » restent relativement isolées dans l’activité altermondialiste et les revendications de ces militants sont plus souvent mal définies, floues et utopistes, que concrètes et immédiates. En outre, entre les événements transnationaux (Forum sociaux, contre-sommets), les activités et les revendications des organisations altermondialistes se concentrent plutôt sur des problématiques nationales – défense du service public, campagne lors des élections nationales, défense du droit de grève, etc. – et, ce plus particulièrement en ce qui concerne l’organisation ATTAC en France (comme l’a montré l’analyse comparée de communiqués de presse des organisations ATTAC en France, Allemagne et Suède3).
4Nous analyserons donc ici les moyens utilisés par ces jeunes militants pour exprimer leurs revendications. La participation aux contre-sommets sera prise comme exemple, parce que ces mobilisations représentent le moyen d’action que les jeunes que nous avons rencontrés ont privilégié dans un premier temps.
Le mouvement altermondialiste : un mouvement de jeunes ?
5Le mouvement altermondialiste est souvent présenté comme un mouvement de « jeunes ». Cependant, lorsque l’on observe certains événements ou la sociographie de certaines organisations du mouvement altermondialiste – dont l’organisation-phare ATTAC – cette affirmation paraît contestable. Pourquoi alors cette réputation de « mouvement de jeunes » ? Tout simplement en raison de la nature des événements qui concentrent la couverture médiatique de l’altermondialisation : les contre-sommets4. Ceux-ci attirent effectivement majoritairement des militants jeunes5, et ce, plus particulièrement au sein des « villages alternatifs »6 construits à cette occasion. Lors du contre-sommet de Gênes, 58 % des militants interrogés par une équipe de chercheurs de l’Institut universitaire européen, avaient moins de 25 ans7. Deux ans plus tard, lors du contre-sommet d’Évian, 42 % des participants ont moins de 25 ans et 66 % moins de 31 ans8. Au sein des villages alternatifs, 77,5 % des activistes ont moins de 29 ans, ainsi que 77 % de ceux ayant participé aux blocages de route9. En sus, ces « villages alternatifs » ou « camps » sont coordonnés par de jeunes militants : l’organisation du Village Intergalactique10 d’Annemasse (5 000 participants) a par exemple été portée par une trentaine de militants âgé de vingt à trente ans ; la délégation de 900 militants allemands pour ce même contre-sommet a, quant à elle, été confiée à trois jeunes militants du même âge par l’organisation ATTAC de leur pays. Ces contre-sommets sont également la vitrine la plus évidente de la transnationalité du « mouvement de mouvements ». Aussi est-on amené à se poser la question de ce lien entre l’affluence de jeunes et la dimension transnationale des contre-sommets.
Un répertoire d’action apprécié par les jeunes
6En quoi l’altermondialisation représente-t-elle un pôle d’attraction pour cette population ? Au sein du champ militant national, le renouvellement du militantisme et des cadres militants opéré par l’altermondialisation apporte de nouvelles opportunités militantes. Celles-ci favorisent la génération des jeunes militants au détriment des anciens. Aussi la hiérarchie qui plaçait traditionnellement les militants anciens et expérimentés en haut de la pyramide se voit-elle bouleversée. Ce renversement de la pyramide hiérarchique au sein du mouvement altermondialiste est essentiellement visible lors des contre-sommets. Le rôle central des jeunes militants avait déjà été observé au sein des nouveaux mouvements sociaux11. Il est possible que les caractéristiques de l’altermondialisation proches de celles des NMS12, combinées à la dimension transnationale accentuent la suprématie des jeunes. De la même manière, au niveau méso, certaines jeunes organisations formées au sein de l’altermondialisation se voient propulsées à l’avant de la scène militante grâce au renversement de l’équilibre jeune/ancien. Le réseau français de jeunes altermondialistes VAMOS dont nous avons vu qu’il ne représente qu’une poignée d’individus, occupe par exemple une place essentielle dans le paysage altermondialiste français. VAMOS a accédé à cette place en se chargeant de la mobilisation pour les contre-sommets en France et à l’étranger, notamment en affrétant des bus pour les militants d’ATTAC-France, puis en mettant en place le contre-sommet d’Évian en 2003.
7La participation plus importante des jeunes à ces événements transnationaux spécifiques tient d’abord au mode d’action mis en avant : l’action protestataire et festive jouant avec les limites de la légalité, accompagnée de la violence politique d’une partie des militants altermondialistes et exposée à la répression policière. Ce répertoire d’action est avant tout recherché par les plus jeunes générations. Olivier Fillieule a d’ailleurs montré dans sa thèse portant sur les stratégies de la rue, que le profil sociodémographique et politique des manifestants, donc des individus disposés à s’exposer en descendant dans la rue, se distingue de celui du reste de la population par sa plus grande jeunesse, sa plus grande affiliations aux organisations (syndicats, partis, associations) et un niveau d’étude plutôt élevé13.
8Dans une étude des participants au FSE (2003), nous avons relevé la plus grande radicalité chez militants âgés de 35-50 ans, qui semblent accepter le plus volontiers les moyens d’action de type confrontatif, suivis de près par les 24-34 ans14. Nous retrouvons les mêmes tendances chez les militants d’ATTAC interrogés lors des journées d’été d’ATTAC, en 2002. Ces données quantitatives font apparaître une différence de perception des moyens d’action entre les militants âgés de moins de 50 ans et leurs aînés. Les jeunes militants estiment particulièrement appropriées les manifestations symboliques et festives et l’utilisation du théâtre de rue pour faire passer les idées de leur organisation15. Le recours à la violence (confrontation avec la police, détériorations, blocage de rue) est également jugé moins inapproprié par les militants de moins de 50 ans16 que par leurs aînés. En revanche, le soutien des partis politiques et la relation aux médias (conférences et communiqués de presse) retiennent davantage l’attention des militants de plus de 50 ans17.
9Ceci n’explique qu’en partie la présence plus importante de moins de 35 ans dans les campements alternatifs des contre-sommets18. Nous verrons d’ailleurs plus loin que le critère des moyens d’action n’est pas le seul à entrer en compte dans la décision de se rendre ou non aux contre-sommets. La disponibilité des militants, leur disposition à accepter des conditions précaires de campement, le coût du déplacement et l’éloignement de ces événements sont autant d’éléments qui freinent les militants à y participer. Mais au-delà de l’intérêt plus grand des jeunes pour ce répertoire, certaines des qualités propres à leur âge les avantagent hors du champ national.
L’accès au transnational favorisé pour les jeunes
10Tout d’abord, l’engagement au-delà du cadre national est facilité pour les jeunes gens en raison d’une conscience continentale ou globale qui serait plus poussée chez eux que chez leurs aînés19. En outre, leur rencontre avec la politique s’est faite dans un contexte différent de celui de la génération de leurs parents. La bipolarité idéologique du monde, la binarité droite-gauche de l’offre politique nationale, les frontières au sein de l’Europe, sont autant de repères qui ont perdu en clarté, quand ils n’ont pas littéralement éclaté. Avec cela, le champ d’action politique s’est élargi au-delà des frontières nationales, remettant en question la pertinence d’une action collective strictement nationale20.
11Ensuite, les qualités qu’exige la participation aux contre-sommets à l’étranger relèvent davantage de l’« entre-deux-âges » (ni enfant, ni adulte) dans lequel se trouvent les étudiants engagés en altermondialisation : une certaine flexibilité, des connaissances linguistiques, du temps libre, une disposition à passer quelques jours dans des conditions précaires au sein des villages alternatifs. Toutes ces caractéristiques ne peuvent être que difficilement réunies par les militants plus âgés, insérés dans la vie active et socialisés dans le cadre du militantisme traditionnel et national, sauf au prix de sacrifices importants en temps et en argent, ou à être rémunérés par une organisation militante. Ces qualités particulièrement utiles pour les contre-sommets, le sont moins pour les Forum sociaux qui attirent des classes d’âge beaucoup plus variées21. Ces Forum proposent des services de traduction (le réseau de traducteurs volontaires Babels22), des logements en dur et une organisation centralisée.
12La question de la structuration de l’organisation (centralisée ou décentralisée) nous amène à considérer l’avantage que constitue une bonne maîtrise des NTIC dans la préparation et l’organisation des contre-sommets. Cette préparation étant relativement décentralisée, elle s’effectue essentiellement par internet. Plusieurs études ont d’ailleurs montré le rôle central d’internet au sein du mouvement altermondialiste23. Une étude menée en France, par Flore Trautmann, auprès des militants d’ATTAC concernant l’usage de cet outil de communication dans le cadre du militantisme24 montre que les jeunes se distinguent par une utilisation élevée d’internet dans le cadre de leurs activités engagées : 89 % des 20-30 ans et 80 % des 30-40 ans en font l’usage, contre 61,5 % des 40-50 ans, 57 % des 50-60 ans, 40 % des 60-70 ans. Les individus plus favorisés socialement que la moyenne de l’association – sur l’axe du capital culturel, mais également sur celui du capital économique – ont eux aussi un usage plus systématique de la communication par internet.
13Cet outil permet d’organiser les événements transnationaux que sont les contre-sommets en limitant les déplacements internationaux en amont des contre-sommets. Internet ouvre également les prises de décision à un plus grand nombre, grâce une forme de communication non-centralisée de type « many to many ». Si l’on ne doit pas se leurrer sur la réalité de l’horizontalité du fonctionnement par internet et sur la solidité des relations que cet outil met en place25, son utilisation rend tout du moins possible la circulation d’informations au niveau international. Et ce, plus particulièrement à l’attention des individus non-organisés qui constituent le gros des effectifs des contre-sommets. L’intensité des échanges électroniques et le sentiment d’être en relation permanente avec d’autres altermondialistes en amont des contre-sommets favorise en outre le sentiment communautaire, la conscience d’être un « nous » durable, sentiment indispensable au sein de réseaux aussi flous26. L’ensemble de ces caractéristiques (flexibilité, connaissances linguistiques, temps libre, maîtrise des NTIC) explique en partie la plus forte participation des jeunes à la vitrine transnationale que sont les contre-sommets.
Les contre-sommets : un « loisir civique » ?
14Parmi les dix-huit jeunes militants de notre échantillon qualitatif, quasiment tous ont intensément fréquenté les contre-sommets. Les militants français l’ont fait plus fréquemment que les Allemands. L’un d’entre eux s’est, par exemple, rendu à huit contre-sommets dont sept à l’étranger (Europe, Amérique centrale, Amérique du Nord), les autres en ont fréquenté entre trois et sept. Seule une militante française n’a jamais eu l’occasion de s’y rendre. Quant aux jeunes Allemands, ils ont participé à deux, trois ou quatre contre-sommets. Seul l’un d’entre eux n’a jamais pu s’y rendre en raison de ses contraintes professionnelles et de difficultés financières. Les Forum sociaux (européens et mondiaux) sont eux aussi bien plus prisés des Français que des Allemands : tous les Français se sont rendus à plusieurs de ces forums (à l’exception de l’un d’entre eux) ; seule la moitié des Allemands a participé à ces forums, et ce, uniquement au niveau européen. Cette différence entre militants français et allemands tient essentiellement à deux critères : d’une part les ressources financières des militants français sont supérieures, la plupart d’entre eux étant rémunérés pour leurs études ; d’autre part, le refus de structures hiérarchiques et de conférences magistrales telles que celles des Forum sociaux est plus largement répandu chez les militants allemands que nous avons étudiés.
Le tourisme militant des contre-sommets
15Pourquoi les jeunes militants se rendent-ils si fréquemment à l’étranger à l’occasion de ces contre-sommets ? Leurs motivations pour cette forme de protestation que sont les contre-sommets ne sont pas uniquement militantes ou politiques. Dans la vie de ces dix-huit jeunes militants, le militantisme a pris la place, on l’a vu, de loisirs – tels que la pratique du sport, les sorties entre amis ou la pratique d’un instrument de musique – et il est en cela devenu assimilable à un « loisir civique ». De la même manière, plusieurs militants interrogés envisagent ces mobilisations à l’étranger comme un moyen de donner sens à leurs voyages. Certains d’entre eux les combinent d’ailleurs à des séjours touristiques dans le prolongement des protestations. En retour, ces mobilisations ont des répercussions sur la vie des militants qui se trouvent beaucoup plus ouverts vers l’étranger, comme en témoigne l’un des militants de Hambourg :
« Mon militantisme déteint sur mon mode de vie, en ceci que je suis contact avec des gens qui vivent dans des pays complètement différents, très loin, et que je suis du coup plus souvent sur les routes et à l’étranger, que je parle plus souvent anglais qu’avant aussi (rire) et que je suis en train d’apprendre d’autres langues. C’est devenu assez central pour moi, d’être présent internationalement. » Jens (INKaK).
16Certains jeunes altermondialistes alternent militantisme local ou national, et rassemblements transnationaux, comme c’est le cas des dix-huit jeunes militants que nous avons étudiés. D’autres concentrent leur engagement sur les contre-sommets et deviennent des « globe-trotters de l’altermondialisation », ainsi que le constate l’un des organisateurs du contre-sommet d’Évian (2003) :
« Que ce soit à Gênes, à Bruxelles, à Séville, on s’aperçoit que les gens qui remplissent les cars qu’on organise, à une très grande majorité, ce ne sont pas des gens militants d’organisation, ce sont des gens qui se déplacent sur ces initiatives-là et qui très souvent en plus ne militent pas du tout localement. C’est ce qui faisait vraiment dire aux critiques libertaires et anars du mouvement altermondialiste que c’était un militantisme de consommation, que c’était un militantisme de voyage, de globe-trotters, qui vont dans des grands sommets et puis qui ne font rien localement27. » Militant du VIG.
17Ce phénomène de « tourisme transnational28 » qui consiste à passer d’un contre-sommet à un autre sans ancrage militant entre les deux a été nommé « event hopping29 » ou « summit hopping » par d’autres auteurs30. Il a été confirmé par une enquête quantitative menée lors du contre-sommet d’Évian : 77 % des personnes interrogées ne s’y étaient pas rendus dans le cadre d’une organisation et 58 % étaient venus avec des amis proches31. Ce qui ne signifie pas pourtant que ces individus ne sont pas organisés : plus de trois répondants sur quatre déclarent appartenir ou avoir appartenu à une organisation, la multiappartenance étant de surcroît fréquente32.
18Heather Mair a, elle, appelé « loisir civique » (civil leisure) cette forme de militantisme qui consiste à allier plaisir et militantisme, phénomène qu’elle a identifié lors de la manifestation altermondialiste de Québec contre la ZLEA33 (avril 2001). Ce concept se distingue de l’acception classique du « loisir » en ceci qu’il ne doit pas être compris comme étant tourné vers soi-même ou comme un comportement consumériste34. Au contraire, le « loisir civique » est selon elle une forme d’engagement publique et collectif, ce qu’Olivier Fillieule avait quant à lui lui qualifié d’« activité sociale individuelle et dynamique35 ».
19Nos observations des contre-sommets d’Évian et d’Heiligendamm nous ont également amenée à considérer cet engagement militant à l’étranger comme une sorte de « loisir militant ». À Évian comme à Heiligendamm, mais aussi à Gleneagles (2005), les militants altermondialistes ont participé pendant plusieurs jours – entre deux à cinq jours généralement – aux activités organisées dans le cadre de la contestation d’un sommet supranational. Ils ont planté leurs tentes dans des villages alternatifs en périphérie du sommet supranational : à Annemasse, Lausanne et Genève en 2003 lors du sommet d’Évian ; à Edimbourg, Stirling et Faslane en 2005 lors du sommet de Gleneagles ; enfin, à Rostock et dans sa périphérie en 2007 pour le sommet d’Heiligendamm. Ces rassemblements dans les campements alternatifs sont faiblement revendicatifs et surtout prisés pour leur forme. Les discussions politiques dans ces villages sont rares. Si elles étaient encore un peu présentes à Annemasse en 2003 – sous la forme de débats, parfois très politiques, notamment avec José Bové (Confédération Paysanne), Gilles Lemaire (Les Verts), Bruno Rebelle (Greenpeace) ou Olivier Besancenot (LCR) –, elles sont allées en déclinant pour aboutir à des contre-sommets quasi-exclusivement tournés vers l’action et la sociabilité.
20Au-delà des nombreuses réunions consacrées à la préparation d’actions, les militants participent aux activités de ces villages alternatifs : projections de films, entraînement aux blocages de route sous forme de jeux de rôle, concerts (Manu Chao et Tiken Jah Fakoly notamment à Annemasse). Ils profitent par ailleurs des infrastructures mises à leur disposition par les organisateurs – buvettes, square pour enfants, espace « chill-out » (espaces de repos), douches, etc.
Les contre-sommets : lieu de théâtralisation du conflit altermondialiste
21À côté de cette ambiance détendue évoquant celle de festivals – des espaces « chill-out » sont par exemple importés des rave parties –, les camps sont aussi le lieu d’une théâtralisation de la lutte altermondialiste. En investissant des champs agricoles, en bloquant des routes aux alentours du sommet officiel du G8, les militants font de ces « non-lieux36 » le lieu de la matérialisation de leur combat politique. Les contre-sommets forment une « arène de conflits sociaux37 », c’est-à-dire un espace de mise en visibilité des revendications du mouvement altermondialiste. À l’issue des contre-sommets, les militants altermondialistes espèrent obtenir des ressources dont ils ne disposaient pas en amont : une meilleure visibilité dans la société grâce à une couverture médiatique satisfaisante, de nouvelles recrues militantes, l’échec des négociations des instances supranationales réunies à l’occasion du sommet contesté, etc.
22La proximité géographique de la réunion des chefs d’État donne l’occasion à certains militants des villages de vivre concrètement leur opposition aux instances supranationales, qui restent relativement abstraites entre les contre-sommets du fait de leur non-territorialisation. La configuration qui résulte de la proximité des militants et des des dirigeants présents lors de ces rencontres supranationales – ceux du G8 dans le cas d’Évian et Heiligendamm, mais aussi ceux du FMI, de l’OMC, etc. – constitue une confrontation indirecte de ces deux parties, une arène publique transversale à plusieurs champs (celui des institutions publiques et celui du contre-pouvoir). Les effectifs policiers importants38 mis en place lors de ces contre-sommets accentuent ce sentiment de se retrouver dans le feu de l’action. Une part des militants perçoit ainsi ces contre-sommets comme l’occasion d’habiter leur rôle de militant et d’extérioriser leur résistance face à ce que nombre d’eux appelle « le système ». Parmi les motivations à entrer en militantisme, on ne doit pas en effet oublier l’importance du mythe du militant révolutionnaire, comme nous l’avons vu au travers de l’exemple de Sabrina, cette militante trotskiste allemande qui évoque la littérature enfantine de RDA pour expliquer l’origine de sa « fibre révolutionnaire ».
23À l’heure où les manifestations ont perdu de leur dimension subversive39, les contre-sommets offrent un terrain et un contexte propice à l’expérimentation du mythe révolutionnaire décrit par Sabrina : des tours de garde sont organisés jour et nuit dans les villages, les veilleurs sont munis de talkies-walkies, un haut mirador a même été construit dans l’un des villages d’Heiligendamm. Lors des assemblées générales du camp de Reddelich (Heiligendamm), l’éventualité d’une attaque policière est plusieurs fois évoquée : certains hommes évoquent alors publiquement des scénarios de combats de rue où certains militants se chargeraient d’évacuer les blessés, tandis que femmes et enfants seraient mis à l’abri40…
La traditionnelle journée de blocage de routes
24En dehors des villages alternatifs, les actions de blocage présentent des mises en scènes similaires. La distance du pays d’origine, le champ des possibilités qu’offrent les zones rurales périphériques des sommets, l’effet euphorisant du nombre de militants, l’impression de prendre part à une dynamique internationale font de ces blocages des actions très ludiques. Les militants mettent en scène des jeux de stratégie grandeur nature et à effet cathartique. En amont, les militants étudient minutieusement les cartes de la région, élaborent des tactiques, chorégraphient les combats avec les forces de l’ordre. Le jour-J, les militants se réveillent à l’aube, forment des groupes affinitaires – chacun portant un nom de code – et inscrivent au stylo indélébile le numéro de téléphone du legal team sur le bras des militants.
25Lors du contre-sommet d’Heiligendamm, 10 000 militants sont ainsi partis au pas de course à travers forêts et champs. La tension alimentée par les organisateurs chez les militants – en les encourageant à laisser leur nom à la legal team41, en leur donnant des instructions précises en cas d’arrestation, en les incitant à courir sur la majeure partie du trajet et à ne jamais se séparer de leur groupe, etc. – leur donne l’impression d’échapper à l’exercice routinisé de la manifestation et d’accéder à un mode d’action bien plus sulfureux. L’usage de jargon militaire par les militants pour décrire les actions de blocage d’Évian renforce ce sentiment d’un jeu de rôle grandeur nature, comme nous le verrons plus loin.
La dimension transnationale dans le mouvement
26La transnationalité du mouvement altermondialiste qui a séduit les jeunes militants n’est pas présente en continu au sein du mouvement altermondialiste. Celui-ci mène en effet une double vie, rythmée par des événements transnationaux réguliers et espacés dans le temps. Le mouvement est donc partagé entre, d’un côté, des moments d’« agrégation42 » – la contestation des sommets supranationaux (moments protestataires) et l’organisation de Forum sociaux continentaux et mondiaux (moments de débats) –, pendant lesquels les différentes organisations, les réseaux, les militants atomisés se rejoignent ; et, de l’autre, une existence nationale dans laquelle les organisations et réseaux mènent leurs activités militantes de manière isolée, de manière tout à fait comparable aux organisations « traditionnelles » (locales ou nationales) et à leurs côtés. Le slogan fortement présent au sein du mouvement altermondialiste « du local au global43 » représente bien ce grand écart entre deux échelons géographiques et politiques éloignés.
27Nous appuyant sur les différentes analyses qui ont été faites de la transnationalité du mouvement altermondialiste, nous verrons, à partir de deux études de cas, à quel point il peut être difficile d’exporter une culture politique nationale, même dans le cas d’un mouvement qui se dit transnational. Enfin, à partir des trajectoires des dix-huit jeunes militants, ainsi qu’à l’aide de l’observation ethnographique des contre-sommets d’Évian (2003) et d’Heiligendamm (2007)44, nous essayerons de mesurer le degré de transantionalité des contre-sommets. Nous verrons que l’extension de l’espace militant au-delà des frontières nationales d’origine a essentiellement des retombées sur la situation des militants au niveau national. La prévalence des réseaux militants nationaux lors des événements transnationaux sera également montrée au travers les contre-sommets du G8, événements-vitrine de la transnationalité du mouvement. Nous montrerons que la dimension transnationale se limite pratiquement aux déplacements de militants d’un pays à l’autre : leurs revendications, les réseaux de militants formés à l’occasion de ces moments protestataires sont bien davantage « multinationaux » que « transnationaux ». À l’issue de cette observation du transnational au sein de notre échantillon et de notre terrain d’étude, nous pourrons identifier les éléments qui relèvent réellement du transnational et les distinguer de ceux qui ne font que s’afficher comme tel.
La transnationalité de l’altermondialisation remise en question
28L’émergence du mouvement altermondialiste à la fin des années 1990 a signifié pour de nombreux observateurs l’avènement d’une société civile transnationale. L’altermondialisation a rapidement étendu son domaine d’influence aux cinq continents, notamment avec l’implantation de l’organisation ATTAC dans 39 pays45. Le Forum social mondial – traditionnellement organisé dans la ville de Porto Alegre (Brésil) – a été organisé en Asie et en Afrique en 2004, 2006 et 2007, afin d’étendre la zone d’influence des altermondialistes, mais aussi de donner l’image d’un mouvement transnational mondialisé.
29Quelques années après la première vision euphorique de l’altermondialisation, différentes études micro-et méso-sociologiques ont interrogé le degré de cette transnationalité. Le travail de Mario Pianta a montré que l’universalité de la transnationalisation des mouvements sociaux était en réalité fortement limitée à l’Europe de l’Ouest et à l’Amérique du Nord46. Ensuite, les études « généalogiques », que nous avons citées plus haut, ont rappelé les origines fortement ancrées nationalement de ces mouvements altermondialistes47 ; le pluriel de l’appellation étant là pour rappeler la multiplicité qui caractérise ce « mouvement de mouvements ». Une des rares études comparatives de l’organisation-phare ATTAC a en outre montré que les revendications des mouvements altermondialistes restent bien souvent repliées sur l’actualité politique nationale48, ce que d’autres monographies nationales et articles avaient également relevé49.
30Dans leur article consacré à « l’altermondialisme en réseaux », Olivier Fillieule et alii interrogent eux aussi la transnationalité du mouvement altermondialiste50. Les auteurs rappellent au prisme de différents rassemblements du mouvement que les participants aux mobilisations qualifiées de transnationales sont le plus souvent majoritairement des acteurs nationaux : c’est le cas du contre-sommet de Seattle en 199951, de celui de Gênes en 2001 et du FSE de Florence en 200252 et de Copenhague en 200253.
31Pourtant, si l’on s’en tient à la définition que donne Sidney Tarrow des « mouvements sociaux transnationaux », le mouvement altermondialiste appartient définitivement à cette catégorie. Il les définit en effet comme étant des « Groupes socialement mobilisés ayant des membres dans au moins deux pays, engagés dans une interaction soutenue de contestation avec les détenteurs du pouvoir d’au moins un pays autre que le leur, ou contre une institution internationale ou un acteur économique multinational54 ». Plus encore, à en croire de nombreux travaux essentiellement d’origine nord-américaine55, une « société civile transnationale », des « réseaux transnationaux » d’activistes et une « sphère publique transnationale » auraient émergé. Éric Agrikoliansky et Boris Gobille relèvent dans un article cet apport analytique et se demandent comment l’action collective qui dépend généralement du cadre national56 – et plus précisément depuis la fin du XIXe siècle en France57 – a pu soudainement passer à un cadre transnational. Ces deux auteurs montrent par ailleurs que la dimension européenne du mouvement altermondialiste est largement sous-estimée au profit de sa dimension mondiale58. Ils rappellent que, si le contre-sommet de Seattle (1999) et le premier Forum social mondial (2001) ont été les deux premiers événements marquants d’une nouvelle vague de mobilisations contre la mondialisation néolibérale, ce sont ensuite les dynamiques continentales qui ont été primordiales pour le mouvement altermondialiste. Et c’est plus particulièrement dans l’espace européen que cette dynamique a pris, soit sous la forme de contre-sommets, soit sous la forme de Forum sociaux européens. En prenant l’exemple de ces FSE, les deux auteurs démontrent ainsi que la portée internationale des enjeux et du cadre d’action du mouvement altermondialiste est concomitante à son ancrage dans l’espace national :
« Les événements altermondialistes se caractérisent en effet par un double mouvement de projection dans l’international : d’une part parce qu’ils impliquent des formes sophistiquées de coordination entre militants issus de différents pays59 ; d’autre part parce que les débats eux-mêmes dans leur contenu et dans leurs modalités portent sur des enjeux internationaux60. […] D’autre part, lorsqu’on interroge [les participants du Forum social européen] sur les enjeux politiques de leur participation au FSE, les enjeux transnationaux ou sans-frontières dominent certes, mais voisinent largement avec des enjeux nationaux ou des enjeux internationaux à fort écho national. Ainsi, si 35 % voient dans la question de l’environnement un des trois enjeux principaux de leur participation au FSE, 45 % les inégalités Nord/Sud, ils sont aussi 38 % à se mobiliser contre la menace sur les services publics ; de même, la lutte contre le chômage et la précarité est tout aussi importante pour eux (19 %) que la construction européenne (21 %), l’illégitimité des organisations internationales (20 %) ou encore la lutte contre la guerre (21 %). Il apparaît du reste que les enjeux internationaux et transnationaux ne sont pour eux jamais séparés d’enjeux nationaux, et inversement, contre l’idée, souvent implicite dans la notion de société civile, d’un clivage entre concernement international et concernement national61. »
32Ce lien fort entre espace national et international a par ailleurs été montré par de nombreux auteurs dont Jackie Smith62 ou Sidney Tarrow63. Ce dernier a développé un concept à partir de l’observation de cette relation national-international : celui du rooted cosmopolitan, acteur à la fois engagé dans des réseaux inter-ou transnationaux, et ancré dans des activités nationales64. Cette coexistence entre activités à l’international et ancrage au niveau national est observable au niveau de l’activité altermondialiste : les mouvements altermondialistes de pays différents entretiennent effectivement des relations, mais de manière très ponctuelle. Ces coopérations ont lieu généralement autour des événements transnationaux que sont les Forum sociaux ou les contre-sommets. En dehors de ces moments, les activités se concentrent essentiellement sur des problématiques nationales, comme cela a été montré pour les organisations ATTAC65.
33Cet ancrage des militants au niveau national au sein du ou des mouvement/s altermondialiste/s se ressent lors des rencontres internationales où les stigmates nationaux des militants, le poids de certains courants militants (féministe, communiste, écologiste, etc.) dans l’histoire politique des pays s’expriment et vont parfois jusqu’à constituer un frein à la coopération inter-ou transnationale.
Persistance du cadre national ou transnationalité ? Une question d’optique
34La question de l’iconographie utilisée pour représenter le mouvement est un exemple parmi d’autres des différences nationales qui peuvent cliver le mouvement l’échelle internationale. Le réseau Euromayday – dont de nombreux membres sont impliqués dans le mouvement altermondialiste et/ou en sont issus66 – a créé une série d’images représentant les « superhéros » victime du système productiviste et capitaliste67. Nicole Doerr et Alice Mattoni, qui ont travaillé sur la production d’images dans les mouvements de précaires européens (Euromayday), ont rapporté les conflits qu’avaient suscités certaines de ces représentations iconographiques68, autour de deux images conçues par des militants italiens (cf. infra). Ces militants sont ensuite allés les présenter à leurs camarades allemands du réseau Euromayday à Hambourg. Là, ces images ont immédiatement été jugées discriminante (image 2) et sexiste (image 3) et les militants allemands ont alors refusé qu’elles soient le support de leur réseau. Si la communication par image semble a priori libérer les militants de la contrainte de la barrière de la langue et leur offrir un langage commun, cet exemple témoigne de la persistance d’une barrière culturelle. Aussi les images ne sont-elles pas non plus toujours facilement exportables et la communication entre militants de cultures différentes nécessite-t-elle non seulement une traduction linguistique, mais aussi une « traduction politique69 ».

Image 2. WONDER QUEER. Slogan associé: Stay horny, stay rebel!70

Image 3. WONDER BRA. Slogan associé : Meglio battere che combattere71
35Une relation privilégiée à l’international et une bonne appropriation des « enjeux lointains72 », évoquée en première partie, caractérisent aussi les dix-huit militants que nous avons étudiés et qui, pour la majorité d’entre eux, ont vécu plusieurs mois à l’étranger juste avant ou entre les deux entretiens que nous avons menés avec eux : Jens est parti sur les routes de l’Est et des Balkans, Tobias a passé un an en Grande Bretagne, Sophie un an au Brésil, Nicolas un an au Mexique, Andreas a vécu en Espagne, Anja a passé un an en Norvège, Camille est partie au Nigéria, Guillaume à Berlin, Stefan a travaillé aux Philippines, etc. Pourtant, à l’exception d’un militant et de ceux partis dans le cadre d’une ONG, aucun d’entre eux n’a réellement réussi à s’engager politiquement hors de son pays d’origine, ce qui montre à nouveau l’importance persistante du cadre national au sein même d’un mouvement transnational :
« Mon engagement… pff… Ce qu’il y a, c’est que tu vois, cette année, ce qui était étrange, c’est que j’ai vraiment essayé de m’engager dans un pays qui n’était pas le mien, donc sur des problématiques qui n’étaient pas les miennes. Et donc là, oui, ça m’a fait vraiment mûrir, dans ce sens-là où je me suis rendue compte qu’être acteur à l’étranger, dans un pays qui n’est pas le tien, je trouve ça extrêmement difficile. […] Il y avait plein de questions qui n’étaient pas les mêmes et où je m’étais sentie déjà pas très à l’aise… Au Brésil, je me suis sentie spectatrice. Et du coup, ça m’a vraiment fait mûrir dans le sens où je me suis rendue compte que notre réalité n’est pas transposable partout. » Sophie (ATTAC/VAMOS).
Une simple question d’optique
36Les avis différents que l’on peut rencontrer sur cette dimension transnationale du mouvement dépendent avant tout de l’approche et du contexte qui sont choisis pour l’étudier. Ainsi, les études portant sur des organisations revendiquant le label altermondialiste menées en dehors des événements protestataires internationaux concluent à un fort ancrage national de ces groupes, alors que celles menées lors de contre-sommets ou de Forum sociaux vont plutôt conclure à un entrelacs des dimensions nationale et internationale. Enfin les approches macrosociologiques, à optique plus large, ne reposant pas forcément sur l’étude d’un panel d’acteurs, mais se concentrant sur l’observation générale du mouvement, pourront conclure à son caractère transnational.
37Nous allons ici nous pencher sur la relation des acteurs à la dimension transnationale au sein du mouvement, au prisme des contre-sommets d’Évian (2003) et d’Heiligendamm (2007). Ces deux contextes de mobilisation s’offrent à la comparaison dans le cadre de notre étude, puisqu’il s’agit dans les deux cas de contre-G8 et que le premier s’est tenu en France, le deuxième en Allemagne73.
Les contre-sommets : événements transnationaux ou multinationaux ?
38Nous avons vu que les contre-sommets altermondialistes sont vécus comme des événements alliant militantisme et loisir. Tout porte à croire qu’ils sont également perçus comme l’occasion de rencontrer les militants altermondialistes des pays voisins, ce qui donnerait sens au déplacement des militants à l’étranger. Cette transposition des manifestations hors du cadre national ne va, en effet, pas de soi. Ces contre-sommets pourraient avoir une portée internationale sans que les militants ne quittent leur pays74. Ce serait le cas si les contre-sommets avaient lieu de manière décentrée : les militants français auraient pu, par exemple, organiser une manifestation à Paris pour protester contre la tenue du G8 d’Heiligendamm en juin 2007. Cette volonté de dépasser les frontières à des fins protestataires s’est pourtant ancrée progressivement dans les pratiques altermondialistes avec le contre-sommet de Cologne contre la réunion des chefs d’État européens et du G8 (1999), celui de Seattle contre l’OMC (1999) et celui de Prague contre le FMI et la Banque mondiale (2000).
39Quels sont les éléments qui motivent ces déplacements ? Il s’agit d’une part d’une sorte « d’isomorphisme entre les formes de la contestation et les cibles de la contestation75 », c’est-à-dire que la contestation altermondialiste des instances supranationales entraîne une projection du cadre de protestation et de revendication à un niveau transnational. Le déplacement des militants se justifie ensuite par la volonté de s’afficher en nombre. Et ce, d’une part pour auto-estimer leurs forces militantes, leur potentiel de mobilisation et le rendre visible auprès des médias ; d’autre part, dans l’espoir de constituer une masse critique, de perturber la tenue des contre-sommets, comme le revendiquent nombre de militants qui justifient ainsi les blocages de route symboliques, organisés en marge des sommets d’Évian (2003), de Gleneagles (2005) et d’Heiligendamm (2007). La question que nous posons ici est de savoir si ces moments de protestation sont utilisés par les militants pour mettre en place des coalitions, coordinations ou réseaux transnationaux, confronter leurs expériences et mettre en place un front commun d’opposition à la « mondialisation néolibérale ».
Des affinités nationales au sein des villages alternatifs
40Lors des contre-sommets d’Évian et d’Heiligendamm, le transnational s’exprime moins sous la forme de coalitions ou de réseaux, que sous la forme de pratiques communes aux mouvements altermondialistes français, allemands, italiens, etc. C’est le cas part exemple du « kit » ou du modèle de contre-sommet qui s’exporte d’une année à l’autre (cf. images 4 et 5). Les précédents contre-G8 étaient construits sur le modèle suivant : deux ou trois villages alternatifs, des actions de blocage de routes en périphérie du sommet des chefs d’État, un forum de discussions et de séminaires organisé par ATTAC et les ONG, une grande manifestation unitaire. L’organisation technique au sein des villages est, elle aussi, reproduite d’années en années et montre la continuité qui existe entre ces événements : les villages sont organisés en barrios affinitaires (quartiers) et parmi les services proposés, on compte des buvettes, des sanitaires, un service d’ordre, un legal team, une infirmerie, etc.
Tableau 8. Programme du contre-sommet d’Heiligendamm (2007) intitulé « Chorégraphie de la résistance ».

La manifestation unitaire a lieu le 2 juin, les villages alternatifs se tiennent tout le long de la semaine, les journées de blocage les 6 et 7 juin. Traduction de l’auteur.
Note 7676
41Quelle a été la réalité de ces coalitions ou réseaux lors des contre-sommets d’Évian et d’Heiligendamm ? Le contre-sommet d’Évian en 2003 a montré une participation exceptionnelle des militants allemands venus au moyen d’un train unitaire77. Ces 900 militants – essentiellement adhérents ou proches de l’organisation ATTAC – se sont rendus dans les villages alternatifs installés à Annemasse et organisés par les réseaux français. Là, leur sociabilité est restée fortement limitée aux militants de leur pays. Les assemblées générales auxquelles ils participaient ne rassemblaient quasiment que des militants allemands. De même, les actions organisées en périphérie des villages alternatifs n’ont mobilisé que des militants d’ATTAC-Allemagne : 150 d’entre eux se sont baignés dans le lac Léman, dont huit déguisés en chefs d’État du G8 qui se sont installés sur des îles pneumatiques ; d’autres militants d’ATTAC-Allemagne sont partis accrocher une banderole sur une passerelle autoroutière. Cette absence de coopération lors de ces actions entre les militants d’ATTAC-Allemagne et ceux d’ATTAC-France peut surprendre dans le cadre d’un mouvement qui revendique sa transnationalité. Les actions en commun ont été limitées à la manifestation unitaire et aux actions de blocage de routes.
42Le sommet d’Heiligendamm en 2007 a montré le même phénomène du côté des militants français. Venus en faible effectif à ce sommet allemand – quelques poignées éclatées de militants venus entre amis ou seuls, ainsi que quelques petites délégations françaises (plus d’une centaine de militants de Sud, du CRID, d’ATTAC…) – ces militants sont restés le plus souvent entre eux dans les villages alternatifs ou dans les différentes manifestations. La raison de ces retranchements nationaux est relativement triviale et relève bien souvent de problèmes linguistiques. Les barrières culturelles et de la langue ont d’ailleurs été étudiées dans d’autres études de cas comme étant un frein à la constitution de communautés de communication au niveau européen78, la langue parlée lors des assemblées à Évian et Heiligendamm ayant été respectivement le français et l’allemand, et dans une moindre mesure l’anglais. Les systèmes de traduction simultanée ad hoc n’ont qu’en partie résolu ce problème et la barrière de la langue s’est révélée être en outre un obstacle au fonctionnement non-hiérarchique de ces villages, les militants étrangers éprouvant des difficultés à participer aux instances de décision. Les décisions prises en amont par les organisateurs nationaux de ces contre-sommets, à Évian puis à Heiligendamm, ont accentué ce sentiment d’exclusion ressenti par les délégations étrangères.
Retombées nationales de ces événements transnationaux
43Dès lors, quelles sont les retombées de ces initiatives transnationales ? Paradoxalement, elles ne se situent pas tellement au niveau international, mais bien davantage au niveau des réseaux militants nationaux. Ces contre-sommets permettent de rassembler des courants politiques qui ont du mal à s’entendre au niveau national. Le dénominateur commun que représente la nationalité permet de dépasser ces dissensions politiques au niveau transnational. Le Block G8 créé à l’occasion du sommet d’Heiligendamm (2007) en a été un exemple. Ce réseau a regroupé 125 organisations majoritairement allemandes et politiquement très différentes – des groupes religieux à l’extrême gauche – sur la base d’une plateforme commune. L’organisation des blocages de routes était le prétexte à ce travail en commun.
44À Évian, en 2003, les blocages ont également été l’occasion de mêler des militants de bords politiques divergents. Ces coalitions inattendues sont racontées par les militants allemands d’ATTAC à leur retour :
« Il y avait une multiplicité d’acteurs différents sur ce blocage, ça nous a rappelé les débuts du mouvement à Seattle. Pendant que certains tenaient à distance les policiers en première ligne en leur jetant des pierres et que d’autres éteignaient les grenades lacrymogènes à quelques pas des lignes de CRS, ATTAC-Campus79 approvisionnait les barricades en bois pour se protéger des gaz lacrymogènes. À l’arrière, les groupes affinitaires discutaient de la suite des événements et juste derrière les délégués des groupes affinitaires tenaient une plénière à propos de la tactique à adopter. Derrière eux, le gros de la logistique se trouvait dans le grand bus du centre autonome d’Amsterdam, d’où étaient diffusées les informations. Les jeunes d’IG-Metall approvisionnaient le blocage en eau depuis le Village Intergalactique avec une voiture de Cologne. Juste derrière, on pouvait manger un repas chaud pour deux euros dans le petit bus des Français ! Un grand groupe “Pink & Silver” dansait et chantait sans interruption au milieu de tout ça, sur des rythmes de carnaval. On avait rêvé depuis des années de cette unité80 ! » Militants d’ATTAC-Allemagne.
45Les groupes affinitaires français côtoyaient les groupes allemands ou néerlandais, sans pour autant s’entremêler. Ceci est en partie le fait du principe même des groupes affinitaires qui repose sur la confiance mutuelle, l’accointance entre les membres de ces petites unités et le partage de valeurs et de perspectives immédiates. Ceci encourage fortement les militants à rester avec leurs proches, et donc avec des militants de même nationalité, au sein de groupes de cinq à quinze militants. Ces petits effectifs et cette homogénéité linguistique et des envies militantes, permettent d’une part de rapidement tomber d’accord sur les décisions à prendre, d’autre part de réagir efficacement en cas d’attaque policière. Ces sous-unités militantes permettent ainsi de gérer, autant que faire se peut, la très grande diversité des militants et des organisations altermondialistes81. Dans les faits, la barrière de la langue, qui avait déjà constitué un obstacle dans les villages alternatifs, s’accentue dans le feu de l’action entre les différents groupes affinitaires. Les militants allemands ont ainsi regretté que les langues aient constitué un obstacle au bon déroulement de la démocratie directe lors des blocages de routes.
Une coalition inattendue rendue possible par l’échelle « transnationale »
46C’est à l’occasion de la préparation de ce même sommet que les retombées du transnational au niveau national ont été les plus visibles et ce, singulièrement du côté français. La mise en place des trois villages alternatifs d’Annemasse a entraîné une configuration et des coalitions inattendues. Initialement, l’idée d’un village commun unique aux réseaux anarchistes, libertaires, trotskistes, modérés et réformistes avait permis à ces militants de se retrouver en amont du sommet d’Évian autour d’une même table, à Paris et à Lyon. Le projet commun amorcé, puis avorté quelques semaines plus tard en raison de dissensions politiques trop fortes82, a toutefois constitué une coalition à caractère exceptionnel. Au-delà des relations entre militants de courants divergents, elle a également mis en réseau des militants de plusieurs villes françaises.
47Une coalition parmi d’autres est née de cette expérience et mérite d’être citée. Les réseaux No Vox et VAMOS ont noué à cette occasion des liens qu’ils ont entretenus au-delà du contre-sommet d’Évian. Le rapprochement d’un réseau de « sans voix » défendant les militants précaires et les « sans » (sans-papiers, sans-logis, sans-emploi, etc.) et d’un réseau de militants jeunes, d’origine aisée et doté d’un capital scolaire élevé, a profité du cadre flou de l’altermondialisation pour se concrétiser. La place de chacun d’eux dans le champ d’action de l’autre gagne en légitimité grâce à ce rapprochement : alors que le mouvement des « sans » et des précaires dit éprouver des difficultés d’insertion dans le mouvement altermondialiste83, il s’assure ainsi une porte d’entrée dans le mouvement ; réciproquement, VAMOS trouve là une opportunité d’insertion dans les réseaux de précaires.
La manifestation unitaire : du flou transnational aux revendications nationales
48La constitution d’un front de refus face à l’absence de légitimité de l’instance supranationale et face à sa politique prend forme plus particulièrement lors de la grande manifestation unitaire. Comme l’a montré Cédric Durand, la proposition d’alternatives politiques n’apparaît qu’au deuxième plan lors de ce moment protestataire, et c’est la construction d’un cadre de solidarité et de convergence entre les parties engagées qui prime à ce moment-là84. Mais là encore, il serait plus juste de qualifier ces actions de multinationales plutôt que d’internationales ou de transnationales, les militants de chacune des nationalités restant entre eux au sein de ces initiatives communes.
49La manifestation unitaire des contre-G8 réunit des militants de toutes tendances : des ONG aux black blocks, en passant par les syndicats, les partis réformistes, les associations de défense des immigrés, etc. Les revendications qui sont portées lors de la manifestation unitaire restent floues et se contentent généralement de contester la légitimité du G8 : « Shut down G8 », « Fight war, fight racism, fight anticapitalism, fight G8 », « Le monde n’est pas une marchandise », « G8 : Highway to Hell – We go for Heaven on Earth for everyone », « No G8 », « Smash capitalism, fight the G8-summit », « Un autre monde est possible »85… D’autres revendications sont tout simplement issues du cadre local ou national des militants, comme par exemple en Allemagne en 2007 : drapeaux du mouvement anti-nucléaire allemand, drapeaux communistes turcs, banderole allemande « Oui à l’État social, non à la privatisation », drapeau du SED86, etc.
50À l’exception des ONG dont le répertoire revendicatif est traditionnellement international, les groupes essaient rarement de transposer leurs revendications au niveau international ou transnational. D’autres exceptions existent, on peut noter par exemple le rassemblement lors du contre-G8 d’Évian (2003) de militantes féministes de différents pays au sein dans un camp non-mixte et leur banderole commune affichant « 3 milliards de clit’[clitoris] contre le G8 ». Cette initiative n’aura cependant pas le succès escompté, seule une petite dizaine de femmes est de ce cortège commun, la majorité de ces féministes ayant rejoint les cortèges militants mixtes de leurs organisations locales ou nationales respectives87. Parmi les cortèges de la manifestation, seuls les black blocks affichent une certaine unité par-delà leurs origines nationales, ainsi que les organisations ATTAC de différents pays. Ces coalitions sont toutefois limitées à la tenue du contre-sommet. Elles sont ponctuelles et se mettent en place quelques mois avant le contre-sommet par le biais de sites et de forum internet. Elles ne perdurent pas une fois la manifestation unitaire terminée.
51D’autres réseaux internationaux se retrouvent lors de ces grands rassemblements altermondialistes. C’est le cas de deux réseaux mettant en avant des approches festives du militantisme. Il s’agit d’une part du Pink & Silver Block apparu lors du contre-sommet de Prague en 2000 qui agrège de jeunes militants habillés de rose et d’argent, et qui sont accompagnés d’une batucada (groupe de percussions samba). Autre réseau, la Clandestine Insurgent Rebel Clown Army qui adopte, selon leurs termes, également la « frivolité » comme tactique de perturbation des sommets supranationaux. Ces militants portent un accoutrement de clown reprenant en partie l’uniforme militaire. Ils tournent au ridicule l’autoritarisme des forces de l’ordre en allant au-devant des policiers et en caricaturant leurs attitudes. Si les groupes du Pink & Silver Block et les « armées de clowns » affichent chacun une unité visuelle de part leurs déguisements et une unité de tactique, il n’en demeure pas moins que leurs groupes restent la plupart du temps clivés nationalement, ou même localement, en fonction des villes dont ils sont originaires88. La préparation que demandent en amont ces actions musicales ou théâtrales militantes (les nombreuses répétitions notamment), rend difficile un véritable travail en commun par-delà les frontières. Le caractère transnational de ces courants altermondialistes se réduit dès lors à une identité visuelle et à des valeurs partagées (festivité, non-violence, anti-autoritarisme, etc.).
L’usage de la violence comme ligne de clivage
52La question de la violence est omniprésente autour des contre-sommets, à la fois lors de leur préparation, pendant la mobilisation-même et dans le cadre des bilans post-événement. Outre qu’il s’avère être un facteur clivant le mouvement altermondialiste, le thème de la violence est également fortement investi par les médias lors des contre-sommets et garantit à ces mobilisations une – bonne ou mauvaise – publicité. Après un retour sur une étude menée avec le CRPS relative à la position des participants au FSE de Paris par rapport à l’usage de la violence et de l’illégalité comme outils militants, nous étudierons la position des dix-huit jeunes militants de notre échantillon qualitatif par rapport à la violence, qui met en exergue le rôle des médias dans les débats autour de la violence politique.
Un mouvement partagé sur la question du recours à la violence
53Les pratiques militantes violentes sont souvent associées au mouvement altermondialiste dans la couverture que la presse en fait, comme en témoignent les titres de quotidiens français : « La nébuleuse des casseurs altermondialistes », « L’Italie se barricade pour le sommet de Gênes et l’UE renforce sa coopération contre les casseurs », « l’Intifada des antimondialistes », « L’onde de choc des violences du G8 », « Guerre sociale »… Et il est vrai que l’infraction à la loi et le recours à la violence sont partie intégrante des objectifs de certains militants altermondialistes (tentatives de transgression de la zone rouge de sommets supranationaux, occupations, blocages de route à Annemasse, Genève, Gleneagles et Heiligendamm, etc.), sans pour autant faire l’unanimité. La question de la violence se retrouve fréquemment au centre des débats internes au mouvement. Preuves en sont les remous qu’ont suscités les prises de position de Susan George (co-fondatrice d’ATTAC-France) suite aux contre-sommets de Göteborg (juin 2001) et de Gênes (juillet 2001) à propos des actes violents de certains militants :
« Je condamne de façon claire et nette ces violences et ceci pour plusieurs raisons. […] Les violences font invariablement le jeu de l’adversaire. […] Quiconque pense que casser des vitrines et “du flic” “menace le capitalisme” n’a pas de pensée politique du tout. […] Nous ne pouvons pas construire un mouvement large et populaire sur la base d’une culture de jeunes et de gens qui sont prêts à se faire casser la figure. […] De plus, cela va casser les alliances entre ceux qui condamnent ces violences et ceux qui les tolèrent et refusent de le faire89. »
54D’autres interventions de figures emblématiques d’ATTAC ont également suscités de vifs débats, comme les propos de Jacques Nikonoff, comme nous le verrons plus loin. Ces prises de position répétées s’adressent au moins autant aux militants altermondialistes qu’à la presse, ces auteurs donnant à travers ces textes l’image de « leaders responsables90 ». Cet extrait reflète bien le clivage qui existe entre ceux qui condamnent ce recours à la violence, et ceux qui le justifient par le principe de renvoi de la violence à son origine ou par le refus de laisser à l’État le monopole de la violence physique légitime. Un positionnement consensuel entre ces deux courants (non formalisés) du mouvement altermondialiste consiste à refuser de juger ces actes violents, tout en s’en détachant à titre personnel, ceci pour préserver l’unité du mouvement altermondialiste. Une déclaration de l’un des dirigeants de l’organisation ATTAC (Pierre Khalfa) illustre bien cette attitude de détachement et de justification du recours à la violence :
« Le comportement de groupes minoritaires utilisant la violence systématique dessert la cause qu’ils sont censés défendre. La médiatisation qui en découle est utilisée pour discréditer l’ensemble du mouvement. Pour autant, nous ne pouvons en rester à ce simple constat. La cause première de la violence est le comportement des gouvernements et des institutions internationales qui d’une part affirment vouloir tenir compte de la “société civile” et d’autre part continuent de mettre en œuvre les mêmes orientations. C’est cet autisme qui est à la source de la radicalisation croissante d’une partie du mouvement et qui permet que la violence apparaisse comme étant la seule solution pour se faire entendre91. »
55Le débat dépasse parfois la simple question de la violence et révèle des tensions plus profondes qui sont le fruit de la grande diversité politique de la nébuleuse altermondialiste. Quand l’acceptation de la violence se trouve motivée par la volonté d’unité du mouvement altermondialiste et par-là même de la reconnaissance de sa nécessaire diversité, la question de l’extrême gauche fait généralement son apparition dans les débats. Un article de Jacques Nikonoff, alors président d’ATTAC, paru en 2003 dans le quotidien Libération à la suite du contre-sommet d’Évian et du rassemblement du Larzac, illustre les lignes de clivage qui traversent le mouvement altermondialiste, plaçant d’un côté les militants plutôt réformistes (ONG, ATTAC, etc.), de l’autre ceux qu’il appelle les « gauchistes » ou « l’extrême gauche » :
« Le mouvement lui-même, et chacune de ses composantes, fabriquent une image et une identité, progressivement, au fil des mots, des actes, des attitudes et des initiatives. Or il est vrai qu’une image “gauchiste” semble parfois le marquer. C’est le cas lorsque des violences sont commises lors des manifestations ; quand des slogans comme “radicalisation” ou “désobéissance civile” sont lancés à la volée, sans débat préalable et sans aucun contenu, ou encore lorsque des appels à “descendre dans la rue” sont lancés tous les quatre matins […]. Au lieu de rassembler, l’extrémisme divise. Le verbiage, la violence, les gesticulations, le sectarisme qui marquent la tradition de l’extrême gauche annonceraient la défaite du mouvement si ce dernier devait y céder. Les libéraux préfèrent toujours l’extrême gauche, car ils savent qu’elle n’a jamais rien gagné et qu’elle ne gagnera jamais92. »
56Retrouve-t-on réellement, comme l’affirme Jacques Nikonoff, un clivage entre les militants d’extrême gauche et les autres militants engagés dans le mouvement altermondialiste ? Ce clivage est-il lié à l’usage de la violence politique ? La radiographie du Forum social européen de 2003, faite dans le cadre des activités du GRAAL, nous apporte des éléments de réponse93.
Légitimité de l’action, rapport à la loi et à la violence lors du FSE de 2003
57En 2005, nous avions étudié les participants au FSE de Paris (2003) en les différenciant notamment sur la base de leur respect ou non de la loi dans le cadre de leurs actions militantes, tout comme sur celle de l’utilisation ou du refus de la violence94. Les participants au Forum social européen interrogés dans le cadre de cette étude se sont positionnés par rapport à des répertoires d’action en spécifiant s’ils avaient déjà eu recours à tel ou tel type d’action et si non, s’ils étaient disposés à s’y prêter. Tout d’abord, nous avons relevé que la quasi-totalité des participants au FSE ne condamne aucunement l’usage de pratiques illégales dans le cadre de l’action politique, tant qu’elles sont non-violentes : le refus d’actions contrevenant à la loi n’est le fait que d’une minorité des participants interrogés (moins de 10 % d’entre eux), la légitimité de celles-ci n’est donc aucunement remise en cause par la majorité de l’échantillon. Ce n’est pas le cas du recours à la violence, qui représente aux yeux des participants un degré de radicalité plus difficile à franchir : l’usage de la violence dans un contexte militant ne retient l’approbation que d’un tiers de l’échantillon. À noter que cette répartition est équivalente à celle de l’étude ayant porté sur les participants au contre-sommet d’Évian (2003), événement qui pourtant rassemble des militants a priori davantage porté vers l’action protestataire95. Cela rejoint également les résultats d’Olivier Fillieule qui, dans son étude des stratégies de la rue, a relevé cette plus grande tolérance des manifestants de gauche pour les actions illégales – 80 % d’entre eux se disent prêts à participer à une manifestation interdite ou estiment « normal » d’occuper un bâtiment, par exemple – alors qu’ils ne sont que 29 % à trouver « normal » l’affrontement avec la police et 7 % de provoquer des dégâts matériels96.
58Par ailleurs, la propension à pratiquer ou accepter tel ou tel mode d’action est généralement liée à l’efficacité que leur confèrent les participants : les moyens d’action jugés les plus efficaces sont les plus pratiqués ou susceptibles de l’être. En partant d’une classification des répertoires d’action proposée par Hans-Martin Uehlinger97 et Dieter Fuchs98, nous avons réparti les actions en trois catégories : répertoires d’action démonstratif (légal et non-violent), confrontatif (illégal et non-violent99), ou de l’ordre de la violence politique (illégal et violent).
59Les actions légales et non-violentes du répertoire démonstratif regroupent la signature de pétitions, la participation à des groupes de réflexion et de discussion, à des manifestations, à des actions symboliques, la distribution de tracts, le boycott de certains produits ou magasins ou pays, la grève, la grève de la faim, les jeûnes et les prières. Les actions illégales du répertoire confrontatif sont l’occupation de bâtiments (usine, école, etc.), la résistance aux forces de l’ordre et l’entrave à la circulation (sit-in, notamment). Le répertoire de la violence politique concerne, quant à lui, les dommages aux biens et les pressions physiques exercées sur une personne.
60Chacun de ces groupes représente une graduation de notre échelle de radicalité des moyens d’action. Les moyens d’action du répertoire démonstratif sont donc jugés « tout à fait » ou « plutôt » efficaces par plus de 60 % des participants, ceux du répertoire confrontatif par 38 à 62 % d’entre eux (selon les modes d’action), ceux de la violence politique par moins de 16 % des personnes interrogées. Ces résultats montrent par ailleurs que les moyens d’actions n’ont pas forcément besoin d’être jugés efficaces pour être pratiqués, puisque le nombre de personnes se déclarant prêtes à y avoir recours est toujours supérieur à celui des réponses leur attribuant de l’efficacité (à l’exception de la grève de la faim qui est jugée efficace par plus de personnes qu’elle ne compte de pratiquants potentiels ou effectifs100). La pratique du jeûne et de la prière est quant à elle indépendante de la variable de l’efficacité : les militants qui y recourent le plus, la jugent quasiment tout aussi inefficace dans ce cadre que les autres participants, cette pratique s’apparentant davantage à un « acte gratuit » ou « pour soi ».
61Les actions relevant de la violence politique sont considérées comme inefficaces par plus de la moitié des participants, ceci renvoyant certainement en partie à la crainte évoquée plus haut de se couper d’une partie de la population et ainsi d’amenuiser la portée du mouvement altermondialiste. Si les violences militantes ont généralement pour effet de faire de la publicité au mouvement contestataire concerné, elle est le plus souvent mauvaise101. Erik Neveu a en effet relevé que le « contrôle social » exercé par l’État ne se limite en aucun cas à la répression policière, mais passe également par un travail de disqualification des formes les plus violentes de contestation. Ainsi, toujours selon l’auteur, aussi longtemps que les mouvements sociaux demeurent pacifiques, ils profitent de la bienveillance de l’« opinion » et d’une reconnaissance comme forme légitime d’expression par les pouvoirs publics102.
Les variables influençant le recours à la violence
62Les résultats de l’enquête quantitative menée lors du FSE nous livrent quelques éléments quant aux caractéristiques distinguant les militants altermondialistes ayant recours à la violence des autres.
La variable du genre
63Pour commencer, le genre est un des facteurs de différenciation pour le recours aux moyens d’action. Les femmes sont moins nombreuses à avoir pratiqué les actions illégales (de 21 à 38 % pour les actions du répertoire confrontatif) et/ou violentes (de 1 à 3 % pour celles de l’ordre de la violence politique) par le passé que les hommes (de 33 à 48 % pour le premier répertoire, de 4 à 8 % pour le deuxième). Elles se disent en outre prêtes à y recourir dans des proportions inférieures à celles observées chez les hommes : plus des trois quarts des femmes refusent les dommages aux biens (contre 65 % des hommes), 94 % d’entre elles les pressions physiques sur des personnes (85 % des hommes), 30 % la résistance aux forces de l’ordre (24 % des hommes), 19 % l’occupation de bâtiments (15 % des hommes), 18 % les actions d’entrave à la circulation (12 % des hommes) ; l’écart est plus grand lorsque la violence entre en jeu. Les moyens d’action du répertoire démonstratif ne connaissent quasiment aucune variation genrée, excepté le « boycott de certains produits, magasins ou pays » : les femmes sont plus nombreuses à affirmer l’avoir pratiqué (74 % l’ont pratiqué, contre 68 % des hommes), alors que les hommes seraient davantage disposés à le faire (28 %, contre et 20 % des femmes), ce qui renvoie à la division sexuée des rôles dans les sociétés contemporaines.
La variable de l’âge
64L’âge des participants a lui aussi des répercussions sur les modes d’action utilisés103. Pour ce qui est de la pratique effective d’actions, les moins de 24 ans sont ceux qui ont tendanciellement le moins pratiqué la plupart des modes d’action, ce qui pourrait être imputé à leur expérience de la politique et de l’engagement encore embryonnaire. Ce sont les plus de 35 ans qui ont la plus grande expérience militante, tous moyens d’action confondus (excepté les dommages aux biens un peu plus pratiqués par les plus jeunes et les jeûnes et prières par les plus de 51 ans)104.
65Les 35-50 ans représentent la catégorie d’âge105 qui accepte le plus les moyens d’action de type confrontatif, suivie de près pour certaines actions par les 24-34 ans : par exemple, seuls 9 % des 35-50 ans refusent les entraves à la circulation, 11 % des 25-35 ans, contre 19 % des moins de 24 ans et 21 % des plus de 51 ans. Ce refus plus marqué des plus jeunes et des plus âgés de l’échantillon des actions illégales se retrouve pour l’exercice de dommages aux biens (répertoire de la violence politique) et est plus nuancé pour les pressions physiques sur des personnes dont les réponses connaissent une répartition similaire (fonction de l’âge), mais moins marquée.
66Ces attitudes semblables entre la catégorie des plus jeunes et celle des plus âgés pourraient s’expliquer en partie par une approche similaire du militantisme : un engagement motivé par la recherche de socialisation, par un trop-plein de temps libre, qui favorise les réflexions plus éloignées du quotidien. L’incidence sur l’implication et sur les risques que ces militants seraient disposés à prendre pourrait constituer un élément d’explication de la répartition des différents répertoires : on ne milite pas de la même façon qu’il s’agisse de se chercher une occupation ou de vouloir changer la société.
L’orientation politique et idéologique
67Autre facteur différenciant les militants ayant recours aux pratiques militantes violentes des autres militants, la question des enjeux politiques et des méthodes envisagées pour changer la société. Sans grande surprise, les individus privilégiant comme modalités de changement les méthodes de rupture avec l’ordre établi (supprimer les institutions financières et économiques internationales, supprimer le capitalisme, rompre radicalement avec les modèles actuels de développement économique) sont ceux qui ont le plus recours aux moyens d’action des répertoires confrontatif et de la violence politique.
68Lors des séminaires du FSE, on pouvait entendre certains militants faire référence aux modalités de changement de la société ; cette opposition du changement radical et des méthodes plus progressives (réformes législatives, démarche « style de vie », etc.) s’exprimaient notamment sous la forme de l’antinomie apparente entre « les alternatives » et « l’Alternative », dialectique des petits matins et du Grand Soir. Les militants privilégiant les modes d’action non-violents penchent davantage pour les méthodes réformatrices : « réformer les institutions économiques et financières internationales », « renforcer le droit international ». Une préférence pour l’action militante au sein des ONG s’exprime chez les militants pacifiques, et plus particulièrement chez ceux refusant non seulement la violence, mais aussi les moyens d’action illégaux.
69Ces modalités de changement à propos desquelles les participants ont eu à se prononcer sont liées aux visées des militants, aux objectifs qu’ils poursuivent. C’est pourquoi cette question s’accompagnait d’une question relative aux enjeux politiques. Au niveau de l’ensemble de l’échantillon se dessine une prédominance de l’enjeu des « inégalités Nord-Sud », cité par près de la moitié de l’échantillon106, puis de « la menace des services publics » (38 %) et de « la question de l’environnement » (35 %). Les autres enjeux qui retiennent l’attention des participants au FSE sont « la lutte contre le capitalisme » et « la toute-puissance des multinationales ». Les « inégalités hommes/femmes » et la « spéculation financière » sont les enjeux qui ont le moins entraîné les participants à se rendre au FSE.
70Les militants se déclarant motivés par la lutte contre le capitalisme et concernés par la menace sur les services publics sont ceux qui ont le plus recours à une large palette de modes d’action, exceptées la grève de la faim et la pratique de jeûnes et de prières ; pour ce dernier « moyen d’action », la tendance est inversée, en ceci qu’ils sont bien moins nombreux à y avoir recours. Ce phénomène de rejet du religieux est associé pour l’ensemble des réponses du questionnaire aux catégories les plus radicales, renvoyant au laïcisme poussé et à l’anticléricalisme fréquent au sein de l’extrême gauche française. Concernant les actions de type confrontatif et de violence politique, c’est parmi les militants favorables aux enjeux « lutter contre le capitalisme » et « la menace sur les services publics » que l’on retrouve le plus de militants dont l’action n’est pas freinée par l’infraction à la loi ou l’usage de méthodes violentes. Pour l’occupation de bâtiments par exemple, seuls 9 % des militants ayant choisi l’enjeu « menace sur les services publics » et 6 % « lutter contre le capitalisme » refusent ce type d’action, contre 20 % de ceux préférant l’enjeu « les inégalités Nord-Sud », 24 % pour « les discriminations ethniques/raciales/homosexuelles » ; pour ce qui est des dommages sur des biens, seuls 56 % des individus de la lutte contre le capitalisme refusent d’y avoir recours, 69 % des partisans de la défense des services publics et par exemple 80 % des militants portant leur préférence sur l’enjeu « la construction européenne ». Si la proportion importante d’individus plus militants et plus radicaux parmi les personnes ayant choisi « la lutte contre le capitalisme » comme enjeu est vérifiée pour tous les moyens d’action (sauf pour la grève de la faim), son corollaire – la proportion de militants moins engagés et moins radicaux – n’est pas particulièrement concentrée autour d’un enjeu particulier. Certains modes d’action semblent davantage liés à un enjeu (les jeûnes et les prières sont moins dépréciés par les participants intéressés par les inégalités Nord-Sud, par exemple) ou en sont distants au contraire (les militants motivés par la menace qui pèse sur les services publics sont ceux qui refusent le plus la grève de la faim107).
Le profil-type du militant ayant recours à la violence
71Que retenons-nous de ces observations ? D’une part, les militants acceptant le recours à la violence politique sont portés sur des enjeux plutôt nationaux, et s’avèrent être de véritables entrepreneurs politiques, engagés sur « tous les fronts ». Leur engagement intense est antérieur au mouvement altermondialiste et a trouvé un prolongement et une opportunité dans ce « mouvement de mouvements ». Son caractère fédérateur laissant chacun libre d’y apporter ses revendications, qui la défense du service public, qui celle de l’hémisphère Sud… chaque enjeu étant ensuite facilement imputable à la mondialisation. Leur engagement militant s’ancre dans un espace plus traditionnel du militantisme, notamment au sein des partis (40 % d’entre eux en ont été adhérents ou le sont encore) et des syndicats ou des associations du droit au travail et de défense de l’emploi : 39 % de ces militants ont été ou sont actuellement membres d’un syndicat, contre seulement 13 % des participants au FSE refusant à la fois les moyens d’action illégaux et l’usage de la violence.
72En bref, cette étude des participants au FSE de 2003 nous a permis de tracer plusieurs portraits d’altermondialistes à partir de leur rapport à la violence politique et aux actions. Nous pouvons ainsi en distinguer deux figures-types qui se trouvent aux extrêmes du spectre des moyens d’action. Il y a d’un côté des militants acceptant la violence politique et qui se caractérisent par une préférence pour les modalités de changement disruptives, une attirance pour les positions extrêmes de l’échelle gauche-droite en politique (la moitié d’entre eux se situent à l’extrême gauche), une proximité de la LCR (19 %), mais aussi des Verts (12 %), une longue expérience militante au sein du mouvement altermondialiste (18 % ont co-organisé au moins un événement altermondialiste, 65 % ont participé à au moins une manifestation altermondialiste par le passé).
73De l’autre côté, nous trouvons des militants refusant à la fois la violence et les moyens d’action illégaux, et se caractérisant par une plus forte incapacité à se positionner sur cette l’échelle gauche-droite (pour plus de 25 % d’entre eux) et un positionnement réparti sur une plus grande partie du continuum gauchedroite (23 % d’entre eux se situent sur le 3, 16 % d’entre eux se situent au centre ou à droite de l’échelle, et 10 % pour chacune des graduations 1, 2, 4 et 5108), un détachement des formes traditionnelles de la politique (80 % n’ont jamais pris leur carte dans une structure partisane), une proximité du Parti socialiste et des Verts pour respectivement 17 % et 10 % d’entre eux, une entrée très récente dans le mouvement altermondialiste (trois quarts de ces individus n’avaient jamais participé à un événement altermondialiste avant le FSE). Entre ces deux figures-type – le militant acceptant toutes les formes de violence et d’illégalité (32,16 %) et celui qui les refuse en bloc (8,46 %) – se trouve le gros des altermondialistes du FSE de Paris-Saint-Denis (59,38 %) qui accepte les actions illégales, mais refuse la violence politique109.
74S’il ne faut en rien négliger les attributs sociographiques des individus – les trajectoires, les stades divers de l’engagement, les rythmes du militantisme ne sauraient en effet dépendre uniquement des affiliations organisationnelles – il semble pourtant que la variété des organisations et des militants participant au mouvement altermondialiste soit le facteur le plus déterminant pour l’échelle de radicalité des moyens d’action ci-utilisée. À chacune de ces appartenances correspondent des formes d’engagement différenciées, tant au niveau des rythmes militants, qu’au niveau des enjeux politiques poursuivis et des modalités de changement envisagées : au sein du mouvement altermondialiste se côtoient à la fois des syndicalistes, des lobbyistes, des activistes et toutes sortes d’autres militants. À la lumière de nos trois répertoires apparaissent nettement deux catégories de participants du FSE, aux positions opposées sur l’échelle de la radicalité : d’une part, les personnes croyantes qui privilégient un engagement caritatif, humanitaire souvent porté au-delà des frontières nationales ; d’autre part, les militants ancrés dans un cadre plus national, celui des syndicats et de l’extrême gauche française. Ces deux profils marquent leurs différences du point de vue de l’intensité de l’engagement et de son rapport à la légalité et à la violence.
75Ce constat de la plus grande radicalité des militants aguerris, d’âge intermédiaire, qui se distinguent davantage par le classicisme de leurs engagements antérieurs que par la nouveauté de leur militantisme altermondialiste va à l’encontre de l’image du jeune militant violent, du « jeune casseur » qui est mise en avant dans la couverture médiatique habituelle du mouvement altermondialiste. Le profil du militant investissant le répertoire de la violence politique dépeint ici est toutefois à nuancer, étant donné que le FSE n’est pas un lieu qui correspond à l’usage de méthodes violentes. Comme l’avaient écrit Éric Agrikoliansky et Boris Gobille, si dans leur couverture du mouvement altermondialiste, les images d’affrontement violents saturent les médias jusqu’à la caricature, les Forum sociaux prennent davantage la forme du « colloque militant » que celle de l’affrontement de rue110. La tenue de forum parallèles au FSE111 (les « off ») démontre d’ailleurs que l’expertise militante et l’organisation de discussions sous forme de séminaires ou de conférences magistrales ne répondent pas aux attentes d’un certain nombre de militants, jeunes pour la plupart, qui lui préfèrent les « actions coup-de-poing » et les discussions plus participatives.
Les dix-huit jeunes militants et leur rapport à la violence
76Si la question de la violence et du recours aux actions illégales des militants se pose peu lors des Forum sociaux, elle est en revanche au cœur des débats lors des campements alternatifs qui se tiennent en marge des sommets. Nous avons vu lors des contre-sommets d’Évian et d’Heiligendamm que les questions de la violence et de la relation aux médias tenaient une place très importante dans les discussions des organisateurs et des participants aux contre-sommets, avant, pendant et au retour de ces rassemblements.
77Le mouvement altermondialiste agrège des courants politiques et militants relativement hétérogènes, ce qui entraîne des divergences sur la question des moyens d’action. Dans son étude des manifestations en France, Olivier Fillieule a montré, par exemple, la plus grande implication des lycéens et des étudiants, ainsi que celle des ouvriers et des agriculteurs, dans les manifestations plus violentes que la moyenne. Ces composantes – les « jeunes » et les syndicats – sont fortement impliquées dans le mouvement altermondialiste, ainsi que les agriculteurs du côté français. Les manifestations des écologistes qui sont, eux aussi, fortement impliqués dans le mouvement altermondialiste sont, quant à elles, le plus souvent pacifiques112. On comprend dès lors que ces différentes parties impliquées dans un même mouvement cultivent de profonds désaccords quant aux moyens d’action auxquels les militants ont recours pour rendre leurs revendications publiques. Il ne s’agit pas d’opposer schématiquement les syndicats, les agriculteurs, les jeunes militants d’une part et certains militants d’ATTAC, les ONG et les écologistes d’autre part. Rappelons-le, le recours à la violence est un fait minoritaire dans le mouvement et aucune des catégories citées ici n’a de position figée par rapport à l’usage ou la tolérance de cette violence chez les autres militants. Toujours est-il que deux grands courants coexistent au sein du mouvement. D’un côté, un courant altermondialiste (non formalisé) affirme que les manifestations pacifiques n’ont aucune audience, alors que la violence ritualisée permet de rendre visibles et publiques des revendications politiques. De l’autre, un autre courant (non formalisé) estime que le gros de la population occidentale est favorable aux idées portées par le mouvement altermondialiste, et que les jets de pierre nuisent à cette sympathie et à l’approche des citoyens plus sceptiques.
La violence des autres : tolérer la violence, mais ne pas y avoir recours soi-même
78Nous avons donc interrogé les dix-huit jeunes militants de notre échantillon qualitatif sur leur rapport à la violence, comprise comme « des actes de désorganisation, destruction, blessures, dont l’objet, le choix des cibles ou des victimes, les circonstances, l’exécution, et/ou les effets acquièrent une signification politique, c’est-à-dire tendent à modifier le comportement d’autrui dans une situation de marchandage qui a des conséquences sur le système social »113, définition d’Harold Nieburg qui présente l’avantage de prendre en compte la dimension politique de l’usage de la violence114. Pour ne pas nous limiter à la catégorisation de ces acteurs en fonction de leur propre usage ou non-usage de la violence, nous les avons interrogés plus largement sur leur attitude par rapport à la violence dans le mouvement. Ont-ils eux-mêmes recours à la violence (contre les biens, contre les personnes) ? La tolèrent-ils chez les autres ? Y a-t-il des contextes politiques qui justifient cet usage de la violence ? Comment envisagent-ils la relation entre violence et couverture médiatique ? Et nous verrons que ces jeunes militants abordent spontanément la question de l’opposition entre violence légale/légitime et violence illégale/illégitime développée par Max Weber.
La violence contre les biens et les choses
79La plupart de ces jeunes militants porte – spontanément ou non – un jugement différencié sur l’usage de la violence à l’égard des personnes et sur celle dirigée contre les choses. La violence contre les biens, qui reste un agissement minoritaire au sein du mouvement altermondialiste, est très majoritairement acceptée par les militants qui affirment soit être capables d’y avoir recours, soit la tolérer chez leurs camarades altermondialistes :
« Je ne compte pas sur la force de mes bras et sur celle des jets de pierre, mais bien sûr la force de conviction de mes arguments. […] Je peux comprendre que des ados démontent un Mc Do ou un truc comme ça. Je comprends la colère qui se cache derrière ces gestes, mais je ne pense pas que ce soit comme ça qu’on puisse convaincre la majorité de la population que les altermondialistes sont dans leur droit. » Michael (Linksruck).
« Casser une vitrine ou se faire plaisir en… Pour moi, ce n’est pas ça la violence. C’est plus du “cassage”. Pour moi, la violence, c’est une violence sociale terrible qui fragilise les individus, qui… [Mais est-ce que c’est quelque chose auquel tu pourrais avoir toi-même recours ?] En fait, je pense que ce type d’action de cassage, c’est contre-productif, parce que ça justifie la répression. Ceux qui font ça, font fausse route. Donc moi, non, je n’aurais pas recours à ça. » Jérémie (ATTAC).
« Je déteste la violence qui dit que “La violence c’est eux, ce n’est pas moi”, “Le monde est violent, tout le monde est violent”, ça n’est pas mon truc. Personnellement, je ne suis pas capable d’être violente. J’ai une colère très forte, mais ça ne m’est jamais venu comme réflexe de vouloir attraper une pierre et de la jeter. C’est un truc qui ne m’est pas naturel. Je pense qu’on ne peut pas adopter les moyens d’en face. Si je me retrouve dans une situation de confrontation où je ressemble à la police, ça me pose un problème important. Ce qui ne m’a jamais empêchée par exemple d’être dans un cordon et de pousser une ligne de CRS, tu vois ? C’est très différent pour moi. [Est-ce que tu fais par exemple la différence entre violence contre les biens et contre les personnes ?] Ah ben, bien sûr. Oui ! Je m’en fous totalement de péter une vitre !! Ça, franchement ! Ça ne vient pas à l’idée de le faire, mais en tous les cas, je ne le condamne pas ça. Franchement, ça ne me pose pas de problème. Et je condamne évidemment la violence contre les personnes !! » Charlotte (AARRG !!).
« Si on veut changer le monde, ça m’étonnerait que tout se passe sans aucune violence. Ensuite, je pense qu’il faut critiquer la violence. Mais je n’exclus pas de participer ou de reconnaître légitime l’usage de la violence. […] Je refuse aussi de condamner l’usage des violences par une partie du mouvement, si on appelle “violence” casser des magasins ou je ne sais pas quoi. Moi, ce ne sont pas mes pratiques, parce que tactiquement aujourd’hui, je pense que ça ne sert pas à grand chose : ça empêche des gens de venir aux manifs parce qu’ils ont peur. Et ce n’est pas visible, parce que les médias en font une couverture politique. Ensuite, je ne pense pas que c’est grave de péter une vitrine de banque ou de brûler une Mercedes, ça c’est sûr. » Nicolas (VAMOS/ATTAC).
80Seule une militante d’ATTAC-Allemagne refuse en bloc la violence, qu’elle soit de son fait ou de celui des autres militants. Elle ne fait qu’un écart à cette position, en affirmant tolérer les détériorations qui ont lieu lors des « actions Castor115 » auxquelles elle a participé pendant lesquelles certains militants s’enchaînent aux rails qui doivent de ce fait être sciés par les forces de l’ordre. Tous les autres militants affirment qu’ils « ne condamnent pas » la violence comme outil militant, ou qu’ils « comprennent » ceux qui en font usage.
La violence contre les personnes
81La violence contre les personnes n’a quasiment pas cours au sein du mouvement altermondialiste, sauf sous la forme de pierres jetées contre les forces de l’ordre. Elle est moins largement acceptée par les militants : cinq d’entre eux disent pouvoir l’envisager eux-mêmes ou la comprendre pour d’autres militants dans des situations éloignées de leur quotidien116. Ceux qui la justifient se projettent dans des situations externes à leurs pays et évoquent par exemple le cas de la Palestine pour deux Français (ou, comme on le verra plus tard, de la Bolivie117 pour un militant allemand) :
« Je n’aurais pas les couilles de le faire, mais je comprends vraiment-vraiment-vraiment-vraiment les gens qui optent pour une lutte armée. Je comprends très-très bien. Je pense qu’à un moment quand on n’a pas d’autres moyens d’action… Bon après, en France il ne faut peut-être pas pousser, mais… Entre la posture de résignation et autre chose, je pense que la question de la violence se pose. Bon, après, dans des situations beaucoup plus difficiles – comme, par exemple, en Palestine – je comprends à 100 %. Après je dirais qu’il y a différents niveaux dans la question de la violence, entre un démontage de Mac Do et un kamikaze qui se fait exploser à un contrôle. » Juliette (AARRG !!).
82Seuls deux militants allemands évoquent la possibilité d’y avoir recours dans le contexte de leur militantisme au quotidien et dans leur contexte national. Le premier fait appel à la légitime défense pour justifier le recours à la violence contre les personnes dans des situations imaginées de combat en corps à corps avec la police. Le deuxième invoque la noble cause de la lutte contre les idées racistes pour la justifier :
« Je te donne un exemple. Si quelqu’un vient vers moi avec une massue pour me fracasser la tête : dans ce cas, je ne vais évidemment pas dire “peace, peace” (voix aiguë et moqueuse). Non, je vais prendre une massue encore plus grosse pour lui en foutre une. » Torsten (Linksruck/ATTAC).
« La question n’est pas tellement si je distingue la violence contre les gens et la violence contre les biens… La question est plutôt celle de la légitimation de la violence (silence). Mais je crois que je ne pourrais pas être violent contre des personnes dans un premier temps. Non, je ne peux pas. [En ce qui te concerne… mais en ce qui concerne les autres, est-ce que tu critiquerais leur violence ?] Pas forcément, mais probablement que oui. Oui… (silence). Oui, c’est exactement comme ça que je le formulerais : “pas forcément”. Il est possible que je trouve ça totalement justifié. Là où je peux m’imaginer être violent contre des personnes, c’est dans le contexte d’une action contre les militants néo-nazis. Bon après, il y a la question de jusqu’où on va dans la violence. Par exemple, jeter des pierres sur les flics, ça me pose problème, parce que ça n’apporte rien. Ils sont ultra-protégés, et la plupart du temps, il ne leur arrive rien (rire). Mais bon, ça peut être parfois un acte symbolique. Mais voilà, ça ne dépasse pas la dimension symbolique, parce qu’il ne se passe rien de toute façon. Le jet de bouteilles est par exemple beaucoup plus sensé dans ce cas, parce qu’il se passe vraiment quelque chose. Il n’y a pas que le moment furtif du jet… Au bout de la lancée, il y a quelque chose qui se brise et qui fait du bruit. » Stefan (ATTAC).
La violence du « système », de l’État, de la police…
83Une plus grande tolérance à l’égard de la violence militante semble aller de pair avec un plus fort investissement des militants. Ces militants remettent en cause le monopole de la violence physique légitime accordé à l’État, ou plus exactement refusent la neutralité de l’appellation « forces de l’ordre », cette euphémisation qui dissimule mal pour eux une violence qu’ils jugent illégitimes dans certains cas118. La moitié d’entre eux relativise ainsi la violence militante en évoquant celle de l’« État », du « système », de la « police » ou du « capitalisme » et parlent de « renvoi de la violence à son origine119 » :
« En règle générale, on a plus tendance à être réprimé qu’autre chose dans le mouvement. L’usage de la violence, la majorité c’est celle des flics. […] Que ce soit dans les mobilisations anticapitalistes, etc., le premier truc c’est quoi qu’il se passe, on défend l’ensemble des gens avec qui on est, etc., par rapport aux attaques policières. Il n’y a pas “les bons militants” ou “les mauvais militants”. » Camille (SPEB/ATTAC).
« Je ne condamne pas le black block, si c’est ça ta question. Je ne dirais pas que je m’associe à leurs pratiques. Mais je ne condamne pas – à part pour les petits casseurs à la petite semaine –, dans le sens où c’est une théorie de la violence au quotidien, à laquelle on répond par l’usage de la violence matérielle. Je ne suis pas forcément d’accord, mais je trouve que ça peut se légitimer dans un certain contexte. Moi je dis, la première violence, c’est celle de la société et c’est celle de la police. Commanditée par les gouvernements. » Sophie (ATTAC/VAMOS).
« Je n’ai pas de problème particulier avec la violence. Je ne suis pas un pacifiste. Tout le système n’est que violence. Les dirigeants usent tous les jours de la violence. Et je pense que la violence peut être un moyen pour nous d’atteindre un autre monde. […] Toutes les révolutions sont passées par la prise des forces de police, la dissolution du gouvernement, etc. Si on regarde la Bolivie, c’est super sanglant. La plupart du temps, la violence ne vient pas de nous. La plupart du temps, elle vient des gouvernements, comme à Gênes où Carlo Giuliani a été tué par balle. » Torsten (Linksruck/ATTAC).
84Avec ces mots, les jeunes militants montrent du doigt la violence répressive dans le cadre de leur militantisme. D’autres évoquent la violence incarnée dans une forme de contrôle social qui imposerait des opinions ou des comportements aux citoyens, ou une « culture politique »120. Dans ce dernier cas, ils ne disent pas être directement victimes de cette violence symbolique ou structurelle121, mais se posent plutôt en défenseurs du droit des opprimés :
« Quand je pense à la violence de la société, à notre quotidien qui suinte la violence… Par exemple une personne qui tout simplement n’a rien à manger, parce qu’elle n’a pas d’argent… Ça c’est de la violence pour moi. […] Et dans ce cas, je trouve ça vraiment important que cette personne ait les moyens de se défendre. Et si certains qualifient cela de violence, alors, effectivement, je ne condamne pas la violence comme moyen d’action politique. » Jens (INKaK).
85Si ces militants ne condamnent pas la violence militante ou se disent prêts à en faire usage, la grande majorité d’entre eux affirment par ailleurs ne pas en faire usage réellement.
Le cas des militants révolutionnaires
86Ceux dont l’engagement révolutionnaire est enraciné dans une perspective téléologique de changement politique, pensent que le moment n’est pas opportun pour user de la violence, mais que le jour viendra où elle sera nécessaire au renversement du système. Pour la majorité des militants de SPEB, de Linksruck et les militants de la LCR qui s’inscrivent dans une démarche révolutionnaire, la violence dans le quotidien de l’action militante est contreproductive puisqu’elle coupe le mouvement du reste de la population et empêche de ce fait la construction d’une masse critique à même de participer, le moment venu, à la révolution. Et c’est précisément au moment du Grand Soir que l’usage de la violence peut faire sens à leurs yeux :
« Dans le mouvement actuel, on est de plus en plus nombreux. Et face à l’état répressif, face à la bourgeoisie, on reste minoritaire. Donc l’usage de la violence par rapport à cet État-là, c’est complètement contre-productif, parce qu’on n’a pas le rapport de force : on se ferait écraser. S’ils veulent réprimer, ils réprimeront très fortement. En plus, par la violence, on s’isolera des masses, enfin de la majorité de la population qui peut sympathiser avec nos idées, mais qui ne va pas se reconnaître dans les formes d’action violentes. Donc, sur les deux plans, on est perdant ! On se fera casser la gueule et en plus, on s’isolera. Donc, moi, je serais plutôt pour aujourd’hui retrouver des formes d’action de masse non-violentes, mais il faut aussi se dire que, à un moment ou à un autre, on sera confrontés à la bourgeoisie et à l’appareil d’État qui la défend de façon beaucoup plus directe et si on est des millions et pas seulement des milliers comme aujourd’hui, alors oui, la violence sera nécessaire. » Jérémie (ATTAC/Socialisme/LCR).
Affichage d’une unité à l’extérieur et existence de lignes de démarcation à l’intérieur
87L’importance de l’unité du mouvement altermondialiste est également invoquée par les militants – et plus particulièrement par ceux de SPEB et Linksruck – pour justifier leur refus de condamner la violence. Nous avons vu comment les prises de position de Susan George en France ou de Peter Wahl en Allemagne ont suscité des remous dans les rangs altermondialistes. Plusieurs jeunes militants interrogés reviennent sur les propos de Susan George et estiment que la question de la violence est un faux débat qui ne vise que la scission du mouvement et l’éviction des questions politiques fondamentales sur lesquelles le mouvement devrait se pencher. Ces prises de parole contre la violence militante constituent en outre pour certains un abus de pouvoir venant des dirigeants d’ATTAC qui useraient de leur statut d’interlocuteur privilégié des médias pour imposer leur point de vue. Cette notoriété aurait été utilisée pour donner de la légitimité à une assertion – la distanciation par rapport aux courants violents du mouvement – dans laquelle ne se retrouvent pas tous les militants altermondialistes et d’ATTAC. Si elle constitue un abus de pouvoir à leurs yeux, c’est également parce qu’aucun d’eux n’a assez de visibilité médiatique pour répondre à ces propos.
88Ce désir de légitimité qu’affiche une partie des dirigeants d’ATTAC leur est notamment indispensable pour entrer dans le jeu politique et se poser comme une force politique à même de se prononcer sur l’actualité de la politique nationale ou européenne (sur le Traité Constitutionnel Européen, par exemple). Pour reprendre la conception du champ politique de William Gamson, ces dirigeants d’ATTAC souhaitent se déplacer de « l’extérieur du système politique », c’est-à-dire du statut d’opposants, vers « l’intérieur du système », c’est-à-dire qu’ils souhaitent faire partie des membres dont les intérêts sont acquis et donc reconnus comme légitimes par les autres membres122. Les militants qui ne sont pas adhérents d’ATTAC jugent cependant déplacées ces interventions normatives de certains membres de l’organisation. Elles ont ainsi contribué à ce que deux des militants d’ATTAC-Allemagne que nous avons interrogés prennent progressivement leurs distances à l’égard d’ATTAC. Leur démarche militante se situe, en effet, bien davantage dans la « déconstruction » de la politique ou dans l’influence de la politique par la marge. Le cadre de la légalité et de l’acceptation des règles que défendent Susan George et Peter Wahl, et qui laisse entrevoir des tentatives de possible institutionnalisation d’ATTAC et/ou du mouvement altermondialiste, ne convient donc pas à leur approche militante.
« Je pense que c’est une bataille sur la légitimité du mouvement. En disant que c’est un mouvement violent, on essaie de le discréditer, de montrer qu’il n’est pas acceptable. Fondamentalement, c’est une volonté de nous marginaliser. […] Il y a énormément de gens qui sont super défensifs et du coup se coupent d’une partie du mouvement, alors qu’on a beaucoup à y perdre à terme. Les gens qui pètent des vitrines et des machins, ça n’a pas empêché le mouvement altermondialisation d’être populaire et pourtant c’est un des trucs par lequel ça a commencé. Si on demandait aux gens [dans la société] “Est-ce que vous êtes pour les gens qui cassent ?”, ils disent non. Et “Est-ce que vous êtes pour les altermondialistes ?”, alors qu’ils les connaissent finalement en grande partie par ces événements-là, ils pensent qu’ils ont raison. Je pense que du point de vue de la décrédibilisation du mouvement sur l’espace publique, ce n’est pas si catastrophique que ça. Et que du coup, ça ne vaut pas le coup de vendre son âme et de s’aplatir complètement. » Nicolas (VAMOS/ATTAC).
« [L’association qui est faite dans les médias entre altermondialisation et violence politique] est un moyen de présenter les altermondialistes comme des gens hyper violents, chose qui effraie les gens naturellement. Et même quand il y a des actions violentes, je pense qu’il est important de défendre ça à l’extérieur. Et, en fait, il faut être super critique en interne, dans le mouvement, dire que la violence ne nous apporte rien. Quand certains organisent des combats de rue avec la police, ça ne fait aucun sens, parce que [les policiers] sont mieux équipés que nous, leurs corps sont protégés, ils ont des matraques, ils ont du gaz lacrymogène, des munitions… On ne peut rien contre eux. Mais c’est important de ne pas se laisser séparer de ces militants. Les gens aiment bien séparer les altermondialistes qui s’asseyent à la table des négociations et les méchants altermondialistes qui jettent des pierres. Il ne faut pas se prêter à ça, parce que ça nous affaiblit au final. » Sabrina (Linksruck/ATTAC).
89Ce dernier argument qui appelle à l’unité du mouvement sans égard pour les moyens d’action des uns et des autres, repose sur un principe transversal au mouvement altermondialiste qui s’exprime dans le concept de « diversité des tactiques ». La diversité des tactiques est devenue un principe fondateur du mouvement altermondialiste depuis le contre-sommet de Seattle en 1999. Elle repose sur le principe qu’aucune organisation n’a le pouvoir ou l’autorité d’imposer aux autres un catalogue de moyens d’action légitimes. Seul moyen de dépasser, mais aussi de préserver la grande hétérogénéité du « mouvement des mouvements », ce concept appelle les militants à accepter que certains préfèrent les forums de discussion et la signature de pétitions, tandis que d’autres vont porter leur préférence sur les actions directes non-violentes ou encore sur l’usage de la violence politique. Les modes d’actions pratiquées à Seattle – et lors des contre-sommets qui ont suivi – ont été aussi diversifiés que l’étaient les organisations mobilisées (syndicats, groupes environnementalistes, militants anarchistes, etc.). Le postulat du respect de la pluralité des tactiques protestataires a alors été un moyen de dépasser le débat sur l’acceptation du recours à des moyens d’action violents, et a été a posteriori considéré comme une force par une large partie des altermondialistes123.
90L’ensemble des dix-huit jeunes interrogés défend ce principe de « diversité des tactiques », encore appelé « pluralité tactique », sorte de règle implicite ou de contrat tacite qui régit l’altermondialisation telle qu’ils la désirent – unie et plurielle – et qui les unit à tous les autres participants par une sorte de « collusion originaire124 ». Cette adhésion immédiate à la nécessité d’un champ125, l’illusio, est régulièrement discutée, mais n’a pour l’instant jamais été remise en question. Elle fait partie de la routine des contre-sommets, et sa remise en question menacerait l’existence même et le succès du mouvement altermondialiste.
91Si le mot d’ordre des militants altermondialistes consiste à ne pas afficher, à l’extérieur du mouvement, de dissensions sur les moyens d’action violents ou non-violents, il en va différemment au sein de l’entre-nous des militants altermondialistes. À l’intérieur du mouvement, les prises de position des militants plus ou moins tolérantes par rapport à la violence sont également un moyen de se situer au sein même du mouvement altermondialiste, plutôt du côté des modérés dont certains représentants n’hésitent pas à critiquer ouvertement l’usage de la violence, comme nous l’avons vu, ou plutôt du côté des militants radicaux. La question de la violence est utilisée pour poser des lignes de démarcation, des frontières au sein du mouvement. Pour certains, c’est un moyen de prouver leur radicalité et de marquer une distanciation par rapport à ATTAC.
L’importance de la présentation de soi
92Si les critiques fusent en interne à l’encontre des militants qui usent de la violence, c’est aussi parce que la manifestation – qu’elle ait lieu dans sa ville d’origine ou au sein d’un contre-sommet – est avant tout un exercice de présentation de soi. Aussi la diversité des tactiques, qui a cours au sein du mouvement, présente-t-elle l’inconvénient majeur, pour les altermondialistes, de leur retirer la possibilité de contrôler leur image publique. Les stratégies de présentation de soi élaborées d’un côté – des marionnettes géantes placées en tête de cortège de manifestation unitaire à Heiligendamm, par exemple, pour donner une image festive du mouvement – peuvent être en un rien de temps annihilées pour peu que des manifestants s’en prennent violemment aux forces de l’ordre ou décident de brûler une voiture, comme cela a été le cas pour la manifestation unitaire citée. Car ce sont ces images de violence et de détériorations auxquelles les médias consacrent le plus de temps de passage à l’antenne, au détriment des images plus joviales de la même manifestation.
93Aussi, le travail de construction d’une « bonne image » et l’« hypertrophie des stratégies de présentation de soi » (décrite dans les travaux de Patrick Champagne126) sont-ils rendu difficiles, voire impossibles, dans un mouvement aussi hétérogène. Les altermondialistes réfractaires à l’image violente qui est donnée d’eux dans les médias doivent redoubler d’efforts pour afficher leur jovialité et leur non-violence. C’est le cas également des agriculteurs lors de la manifestation parisienne (1982) observée par Patrick Champagne. L’auteur rapporte en effet comment les agriculteurs – souhaitant donner d’eux-mêmes l’image de « paysans modèles » –, en font presque trop pour se démettre de leur image de militants violents, allant jusqu’à présenter leurs excuses aux passants pour le dérangement occasionné par la manifestation. Dans une même dynamique, souhaitant rassurer la population habitant aux alentours des contre-sommets, les organisateurs des villages alternatifs ont apposé des affichettes de remerciements à l’attention des habitants du village de Reddelich (2007), tandis que les organisateurs des villages alternatifs VIG et VAAAG d’Annemasse (2003) organisent une petite manifestation à l’attention des habitants des communes limitrophes.
94La couverture par la presse locale et nationale de la préparation du contre-sommet d’Évian (2003) a instauré un climat de peur au sein de la population locale en pointant le risque que se reproduise la violence des contre-sommets de Göteborg et Gênes (2001). En arrivant à Annemasse, les résidents des villages alternatifs découvrent donc une ville en partie vidée de ses habitants et dont les vitrines des magasins sont protégées avec des panneaux de bois. Après avoir offert un apéritif aux habitants de Cranves-Sales – commune jouxtant le VIG –, 2 000 villageois du VIG et du VAAAG se rendent à Annemasse le lendemain pour une « déambulation conviviale ». Cette petite manifestation qui ne dit pas son nom a essentiellement pour but de rassurer la population et évite sciemment les revendications politiques. C’est donc sur la base d’un mot d’ordre original, « Coucou nous voilà ! », et au rythme d’une batucada (orchestre de percussions samba) que les militants tentent de désamorcer la tension palpable dans la ville. Une banderole « Pas de Gênes à Évian » et un sit-in accompagné d’une minute de silence en mémoire du militant abattu par un carabinier insistent sur la volonté d’éviter le scénario répressif du contre-sommet italien de 2001. Une autre manifestation festive aura lieu dans les rues de Cranves-Sales après le démontage des villages.
Un sentiment ambigu lié à la violence : entre peur et excitation
95Ces initiatives visant à diversifier l’image du mouvement altermondialiste, souvent réduite aux faits et gestes de ses militants les plus violents, restent assez peu visibles dans les médias. L’ensemble des altermondialistes se voit ainsi imposer « une présentation, un cadrage du mouvement qui ne correspond pas à l’image que celui-ci entend promouvoir, mais dont il ne peut se débarrasser127 ». L’identité publique d’un mouvement est en effet bien moins la source et la raison de ses actions militantes, qu’elle n’est le résultat de sa publicité médiatique128. Certains courants altermondialistes pacifiques et non-violents écopent ainsi, lors de ces moments de présentation de soi, d’une image publique violente qui leur déplaît et qu’ils n’ont à aucun moment choisie.
96Si la règle tacite de la pluralité des tactiques reste malgré cela largement dominante parmi les altermondialistes, elle nécessite toutefois une certaine organisation, la première étant la séparation des militants en fonction du mode d’action qu’ils ont choisi. Dans le cas contraire, les militants non-violents se trouvent exposés contre leur gré à la violence des autres militants.
97C’est ce qui s’est passé lors du contre-sommet d’Heiligendamm (2007), où certains militants violents ont rompu le compromis, passé en amont entre les militants non-violents et certains courants militants usant de la violence politique, et qui consistait à respecter un cadre non-violent lors de la manifestation unitaire. Ceci a donné lieu à de vifs débats pendant et après le contre-sommet, ainsi qu’à des prises de position tranchées allant à l’encontre du principe de pluralité des tactiques. Et ce, notamment venant de Peter Wahl, l’un des représentants d’ATTAC-Allemagne, qui s’est exprimé dans le sens des propos de Susan George cités plus haut. Ainsi, si l’expérience de la violence peut dans certains cas rassembler et donner l’impression d’une expérience partagée et fusionnelle aux militants129, elle peut aussi séparer pendant et après l’action, lorsque les militants n’ont pas choisi de se retrouver entre les projectiles ou les matraques :
« La violence ? Je ne suis pas complètement opposé. Ensuite, ça dépend laquelle. Enfin moi, personnellement, je n’aime pas l’exercer. Mais en même temps, je l’exerce d’une certaine manière, puisque voilà je fais des choses qui normalement ne sont pas autorisées, qui pourrait être considérées comme violentes. Mais ensuite, ce n’est pas de la violence physique. Très rarement. [Tu fais donc la différence entre violence physique et violence symbolique ?] Oui, moi je dirais que c’est ça. Le but c’est quand même de ne pas arriver à la violence physique. Je ne suis pas musclé et je n’ai pas l’impression que ça a une efficacité quelconque. [Et la violence physique des autres militants dans les manifs ?] Ça dépend. Je ne la condamne pas. Après, quand il y a quelqu’un qui balance une bouteille et que je suis juste à côté et qu’ensuite c’est moi qui me fais casser la gueule, je ne suis pas particulièrement pour. Je trouve que c’est un peu égoïste de balancer sa bouteille sur la bagnole de flics, c’est sympa, mais finalement, c’est ne pas laisser le choix aux autres. C’est un peu s’imposer. C’est plus ça. Ensuite c’est plus la question de savoir comment les autres aussi assument finalement aussi cette violence : l’intérêt des black blocks, c’était aussi que, eux-mêmes, assument cette charge-là et qu’ils ont leurs groupes bien séparés et que normalement […] ils n’impliquent pas les autres qui n’ont pas la même stratégie. » Guillaume (AARRG !!).
« Il y avait des gens qui disaient “On veut aller défoncer le mur”, des gens qui disaient “On veut rester devant”, des gens qui disaient “On veut rester loin”, et puis on choisissait entre ça. […] Respecter aussi les différentes envies militantes des gens, entre ceux qui effectivement avaient envie d’aller balancer des trucs sur les keufs et de se bouffer de la lacrymo, parce que pour eux c’était la confrontation, et les gens à qui ça faisait peur et qui n’avaient pas envie de le faire. Moi, je n’avais pas envie d’être en première ligne et dans ce cadre-là, comme beaucoup de gens, j’avais le loisir de le dire et de le faire. […] À Nice130, moi je me suis retrouvé en première ligne avec des Basques qui étaient en train de foutre le feu à une BNP, je n’avais pas envie d’être là, ce n’est pas mes pratiques. » Militant de VAMOS, coorganisateur du VIG131.
98On retrouve ainsi, dans les propos des dix-huit jeunes militants, plusieurs cas de figures qui varient en partie en fonction de leurs propres expériences militantes. La description de l’activité des contre-sommets a montré que certains militants vivaient la transgression de la loi ou l’exercice de la violence comme une expérience très excitante. Certains des militants que nous avons étudiés partagent cette excitation face à la violence. Ce sentiment reste toutefois ambigu, puisque cette excitation est mêlée à la peur chez la plupart d’entre eux. Rappelons ici le cas de Sophie (ATTAC/VAMOS) qui disait, à propos de sa brève incursion, dans le contre-sommet de Gênes avoir été « hallucinée par la violence » et décrivait la situation comme « vraiment traumatisante », mais qui concluait pourtant : « Et ça m’a vraiment donné envie de m’engager. » La peur mélangée à une forme de fascination pour la violence s’exprime notamment chez Juliette (AARRG !!) qui dit « ne pas avoir pas les couilles » d’avoir recours à la violence politique, rappelant au passage le lien qui est souvent fait entre violence et masculinité. Au sein de notre échantillon, les seuls militants ayant déclaré être prêts à avoir recours eux-mêmes à des actes de violence étaient d’ailleurs de sexe masculin.
99Stefan (ATTAC), pour lequel nous avons vu plus haut que le militantisme l’a poussé à s’interroger sur le statut social que lui confère sa qualité d’homme, s’est également prêté à une longue introspection quant à son rapport à la violence. Ceci nous rappelle que les actes de violence sont aussi là parfois pour dissimuler la vulnérabilité du corps masculin132, comme l’a étudié Mechtild Bereswill à propos de l’usage de la violence dans le milieu carcéral133. Les difficultés ressenties par Stefan à gérer l’image que renvoie son genre peuvent être résolues par la construction d’une « hypermasculinité artificielle134 », par une virilité ostentatoire. Stefan exprime lors du deuxième entretien beaucoup plus clairement l’ambigüité des sentiments que génèrent l’usage et le vécu de situations de violence. Ce ressenti simultané de peur et d’excitation traduit bien la relation double qui existe entre violence et genre sexuel, et qui est manifeste dans le cas de ce militant : la violence consolide et menace simultanément la virilité135. Décidé à dépasser l’incertitude de son sentiment par rapport à la violence militante, Stefan entreprend de s’y essayer dans le cadre d’une action contre un défilé néo-nazi. Accompagné de militants de la scène linksradikale, il prévoit une « confrontation face-to-face » (selon ses mots) avec des militants d’extrême droite. Ceci lui a donné l’occasion de se confronter en amont à ses peurs et de se préparer à un combat au corps à corps avec ces militants. Il s’équipe avant de se rendre à l’action : gants, foulard sur le visage, lunettes de soleil… Et se prépare ainsi au rôle qu’il va investir, à l’affichage de sa force et de son courage physique (un peu à la manière des militants d’Act Up qui simulent dans un premier temps la colère pour faciliter sa montée136). Mais la confrontation contre les militants d’extrême droite n’a finalement pas lieu137 :
« Je suis troublé. Je ne sais pas exactement… Je suis critique par rapport à moi-même. Je vois la facilité qu’il y a à prendre une pierre dans sa main. Et je vois les motivations qui en sont à l’origine. C’est une sensation de puissance et de force, de “On peut tout réussir !” Mais d’un autre côté, j’ai le sentiment de ne pas tout discerner… Ça engage des choses qui me font terriblement peur. » Stefan (ATTAC).
100À l’inverse, Sabrina, qui dit à plusieurs reprises lors des deux entretiens avoir été choquée par la violence de l’actualité télévisée après l’unification des deux Allemagnes, qui affirme également de pas être capable d’avoir des gestes violents hors contexte révolutionnaire, mais qui raconte cependant avec emphase son expérience de la violence lors des contre-sommets de Nice et de Prague. Au fur et à mesure que son récit avance, le ton se fait plus rapide, mais aussi de plus en plus emphatique :
« Alors, ce que j’ai trouvé le plus impressionnant, je crois, c’était Prague d’un côté, et puis Nice aussi… Impressionnant, parce que… À Prague, on était super serré les uns contre les autres pendant plus de deux heures devant ces chars et les premières lignes d’entre nous ont avancé et ont ensuite été évacuées vers l’extérieur. Et on ne pouvait pas bouger. Je ne pouvais même pas lever mon bras. C’était vraiment fort et j’étais impressionnée aussi par les différences entre les gens – parce que c’était international, hein ! – et comment malgré ça les gens s’encourageaient entre eux et se racontaient ce qu’ils avaient vécus pendant ces mobilisations. […] Et puis la population nous apportait sans arrêt de l’eau et de la nourriture et c’était un feeling incroyablement bon. J’avais l’impression que, oui, c’est ça la solidarité internationale ! C’était une sensation agréable de voir que les gens se battaient pour la même chose. […] Et à Nice, c’était mortel, là aussi, parce que la police a utilisé du gaz lacrymogène, c’est pour ça que je m’en rappelle, parce que les gens paniquaient à fond. J’avais à ma droite et à ma gauche des militantes, je crois que c’était deux femmes, elles me tenaient la main et elles se sont complètement recouvert le visage… Si je ne leur avais pas tenu la main, elles seraient restées plantées là ou elles auraient couru je ne sais pas où, elles ne savaient pas où aller !! C’était vraiment impressionnant… […] Une femme a parlé pendant tout ce temps dans un mégaphone et c’était très impressionnant, parce qu’on avait l’impression de ne plus pouvoir respirer à cause du gaz lacrymogène. Et que cette femme arrive à tenir le coup, ça m’a impressionnée. Après ça, il y a eu un mouvement de panique, parce qu’on était dans un gymnase et la police a tout simplement tiré à l’intérieur. Et à côté de moi, un type avait vraiment une grosse blessure, parce qu’il s’était pris une balle en caoutchouc. Il y a un noyau en acier à l’intérieur de ces balles, elles ne sont pas caoutchouteuses comme leur nom l’indique. […] Ce sont des moments où on ressent ce que peut être la violence, comment elle s’exprime, c’est quelque chose que l’on n’expérimente pas forcément quand on vit en Allemagne, en étant allemand et étudiant. Là, on comprend vraiment concrètement à quel point la violence de l’État peut être dangereuse. Et la France, j’ai vraiment trouvé ça impressionnant. La France c’est la classe, parce que les gens apportent souvent des gâteaux ou les paysans apportent des légumes […], parce que c’est une tradition en France d’ériger tout de suite des blocages de routes. » Sabrina (Linksruck/ATTAC).
101La manifestation, le contre-sommet sont des lieux où la conflictualité politique s’exprime mais de manière maîtrisée (avec des règles, des codes). Ils permettent aux militants de mimer la violence, ou de se retrouver côte à côte, et donc en quelque sorte complices de ceux qui en font usage, sans forcément passer eux-mêmes à l’acte138. La satisfaction que Sabrina retire de cette expérience est d’une part liée à l’impression d’échapper à son quotidien militant, et son excitation résulte d’autre part du mélange entre la violence des événements et la dimension internationale de cette expérience qui a une portée symbolique particulière pour une militante se réclamant d’une Internationale trotskiste. Les situations de violence permettent, en outre, pour certains de ces militants de ressentir des émotions fortes ou de la douleur dans leur chair, ce qui donne de la matière à une lutte, à une injustice ou à une cause parfois abstraite.
102L’ensemble de ces expériences de la violence militante lors des manifestations ou des actions coup-de-poing montre à quel point ces militants apprécient d’échapper aux convenances, d’extérioriser leurs émotions, mais surtout de transgresser les règles socialement établies. Nous avons mentionné dans la première partie l’expérience militante de Philippe (SPEB/ATTAC) qui avait organisé une action « d’outrage à drapeau » à Science Po Paris et qui a posteriori l’analysait comme une démarche motivée par l’envie de transgresser le règlement, mais aussi l’espace social dans lequel l’action avait lieu. Dans son étude des militants d’Act Up, Victoire Patouillard a montré comment, justement, le militantisme peut constituer un cadre de transgression, ou plus exactement offrir une mise en situation justifiant le franchissement et la transgression de limites. Une militante de ce groupe de lutte contre le SIDA raconte par exemple qu’il lui a fallu dépasser son habitus et l’éducation qu’elle avait reçue pour réussir à extérioriser sa colère lors des zap139 organisés par Act Up. « J’y arrivais pas. J’avais du mal à crier. », raconte-telle lors de l’entretien. Après plusieurs mois de travail sur soi, elle réussit à mettre de côté la honte qu’elle ressent, puis progressivement à faire abstraction des regards qu’elle sent portés sur sa personne : elle trouve alors une « colère » en elle, qu’elle peut « faire ressortir pratiquement sur commande », et est alors capable de crier, de « hurler ». Ce « sentiment très étrange » est alors vécu à la fois comme un « malaise et une libération140 ».
103S’il ne s’agit pas de violence militante, mais « seulement » de cris de colères, la transgression des codes sociaux et de l’hexis de la retenue141 est bien présente dans les deux cas. Ces propos cités par Victoire Patouillard présentent en effet de fortes similarités avec les récits de Stefan, de Sabrina et d’autres jeunes militants que nous avons interrogés. L’usage stratégique de leur corps, l’importance accordée à la « première fois », à la transgression et aux gestes sont évoqués par les jeunes militants. Cette transgression constitue également une forme de libération de leur socialisation primaire.
La violence militante : un moyen d’action marqué socialement
104Si une certaine catégorie de citoyens entre en militantisme pour « sortir de l’ombre » (les sans-papiers ou les prostituées, par exemple), pour sortir de leur clandestinité et mettre leurs revendications à l’agenda politique, on pourrait presque dire des jeunes militants français que nous avons étudiés qu’ils militent pour « sortir de la lumière », ou pour « entrer dans l’ombre ». Le militantisme donne en effet à ces jeunes, majoritairement issus de milieux favorisés et fortement diplômés, un accès cognitif et parfois un contact humain à des populations démunies (les « sans », les précaires). Plusieurs de ces jeunes militants soutiennent ainsi les démarches de sans-papiers. Charlotte, elle, a milité aux côtés des sans-logis et des chômeurs :
« Le mouvement des chômeurs dans lequel j’étais quand même assez investie et puis le CDSL, ce sont des mouvements qui ont été très forts, mais qui sont durs personnellement. Tu vois, c’est quand même violent ! J’ai fait des rencontres formidables, mais je sais que c’est là typiquement que j’ai découvert le point auquel ta vie personnelle et ta vie militante à ce moment-là se mélangent. […] Tandis que, quand tu vas à une manif de la CGT, tu peux y aller et puis rentrer chez toi. » Charlotte (AARRG !!).
105Le militantisme leur permet par ailleurs d’endosser des « tenues » (affichage corporel) ou des rôles étrangers à leur habitus, à leur cadre familial. Ils peuvent par exemple se dire « révolutionnaires », se réclamer de l’alter-ou de l’antimondialisation à propos de laquelle un militant nous disait qu’il aimait son côté « sulfureux ». Enfin, ils ont la possibilité de se prêter à des agissements violents dans les manifestations ou se retrouver victimes de la répression policière, alors même que leur situation sociale ne les prédispose pas a priori à être la cible des forces de l’ordre.
106De nombreux auteurs ont montré le lien qui peut exister entre les caractéristiques sociales des individus (âge, niveau d’étude, origine sociale et professionnelle, etc.), leurs ancrages politiques et militants et les moyens d’action auxquels ils ont recours. Pour Charles Tilly, au sein d’un mouvement social, les groupes ont un accès inégal aux différentes formes protestataires142. Olivier Fillieule relève quant à lui que la violence des manifestants est plus intense quand ils appartiennent à des secteurs sinistrés de l’économie143. Dans le même sens, Philippe Braud parle d’« handicap culturel » du répertoire de la violence. Le recours à la violence à mains nues dépend, selon lui, de critères de discrimination qui sont pour l’essentiel socioculturels. Dans les groupes sociaux où l’exercice physique, le travail manuel et la force musculaire sont valorisés – chez les ouvriers et les paysans, par exemple – la propension à admettre la violence à mains nues semble plus importante : « C’est pourquoi la légitimation (relative) ou la stigmatisation absolue de la violence physique est sourdement un enjeu dans les antagonismes de classe144. »
107Si nous suivons Philippe Braud, il est donc probable que la propension des jeunes militants à tolérer la violence des autres militants sans y avoir recours eux-mêmes s’explique au moins en partie par leurs origines sociales. Les origines socioculturelles de la majorité d’entre eux les portent a priori vers un plus grand contrôle de leurs pulsions violentes, vers une canalisation et une intériorisation de leurs émotions. On voit d’ailleurs, avec l’exemple des préparatifs et de la réflexivité de Stefan qui envisage d’avoir recours à la violence militante, que son approche de la violence relève d’un « décontrôle contrôlé » de ses pulsions145, d’un essai de débordement maîtrisé. C’est aussi parce que l’identité, comme l’a montré Howard Becker, est une négociation permanente entre actes d’attribution et principes d’identification, que chaque individu, chaque groupe social a la possibilité de se projeter dans le rôle du déviant, mais aussi d’instituer des normes – la non-violence, par exemple – dont la transgression constitue ensuite une déviance146. Le cadre que crée la manifestation est celui d’un espace de transgression, une sorte de parenthèse dans laquelle une certaine forme de déviance est tolérée.
Le traumatisme du coup de matraque
108Certains jeunes militants sont donc à la recherche de situations dans lesquelles ils se trouvent confrontés à la répression policière. Ceci semble en partie résulter d’un besoin de justification de la radicalité et de l’intensité de leur propre engagement « contre le système », comme l’illustrent les propos de Sabrina qui se réjouit de voir la violence de l’État s’incarner et prendre forme lors des contre-sommets. En se mettant dans des situations de danger, en franchissant les barrières qui délimitent la zone rouge dans un contre-sommet, en jetant des projectiles sur les forces de l’ordre, les militants se mettent dans des situations où il est possible que leur corps souffre et qu’ils puissent imputer cette violence au « pouvoir d’en face ». Et ce, un peu à la manière de la pratique de la grève de la faim où les individus retournent la violence contre eux pour rendre leur cause et leur souffrance visibles, mais aussi pour désigner l’État comme responsable de leurs corps souffrants et justifier qu’il soit la cible de leur protestation147. La répression des forces de police permet aux militants de montrer du doigt la répression de l’État. Et ce, peu importe que la violence soit initialement partie du camp militant ou de celui des policiers. Ils procèdent à l’appui du nombre de blessés dans leurs rangs, comme cela a été le cas à Heiligendamm, par exemple. La guerre des chiffres à laquelle se sont livrés militants et policiers ont amené les militants à annoncer – en fonction des organisations – de 200 à 1 000 blessés, avant de revoir ces chiffres largement à la baisse quelques jours plus tard148.
109Enfin, ces situations très physiques de la confrontation catalysent de fortes solidarités et intensifient le sentiment d’appartenance au groupe. Comme l’écrit Philippe Braud, « c’est une caractéristique majeure du passage à la violence physique, toujours “simplificatrice”, que d’exacerber la coupure entre amis et adversaires149, entre l’in-group et l’out-group150 ».
110Cependant, toutes les expériences de la violence en manifestation – qu’elle émane des forces de l’ordre ou des manifestants – ne se sont pas soldées par des souvenirs aussi euphorisants. Le risque de prendre un coup ou d’être victime de la violence policière n’est pas nulle dans les contre-sommets. À Prague, Nice, Göteborg Gênes, Évian, Heiligendamm, etc., plusieurs militants ont été blessés, deux fois par balle, entraînant dans un cas la mort du manifestant. Le contre-sommet de Gênes est de loin celui qui est le plus évoqué concernant les traumatismes liés à la répression policière. Le traumatisme du coup de matraque et l’humiliation des conditions d’incarcération151 ont constitué pour un tiers des militants un apprentissage par le corps des conflits que sous-tendent les mobilisations politiques. Deux de ces militants ont expérimenté une répression qu’ils ont jugée injustifiée en Allemagne lors de manifestations antiracistes. Les autres l’ont expérimentée en 2001 à Gênes. À noter que seuls les jeunes hommes ont directement été victimes de coups. Les jeunes femmes n’ont été que témoins de ces actes, ce qui indique soit que la répression s’exerce en priorité sur les sujets masculins, soit que ces derniers s’exposent davantage à la répression et se mettent plus facilement dans des situations de transgression.
111Un militant allemand d’INKAK se trouvait, par exemple, dans l’un des bâtiments qui a été pris d’assaut par les forces policières à Gênes en juillet 2001. Traumatisé, il ne pouvait plus, dans un premier temps, participer à aucune forme de protestation. Progressivement, il a repris part à des manifestations, mais uniquement en Allemagne, les manifestations à l’étranger l’effrayant encore. Andreas, un autre militant de ce groupe, a lui aussi été échaudé par son expérience de Gênes :
« [À Gênes, la violence t’a un peu…]… effrayé. [Est-ce que ça va mieux ou est-ce que c’est aussi une raison de ta non-participation aux contre-sommets ?] Ça m’a rendu plus prudent, je pense. Je ne suis pas allé au contre-sommet écossais, par exemple, parce que j’ai remarqué que je ne suis pas prêt à prendre ce risque-là. Le mouvement n’est pas assez important à mes yeux en ce moment pour ça. Ça m’a un peu intimidé, en quelque sorte. Mais bon, c’est aussi une question de priorité. En ce moment, je préfère aller à une réunion de thérapie avec 20 participants, plutôt qu’à un contre-sommet avec 200 000 participants, parce qu’une personne de plus ou de moins, ça ne fait pas vraiment la différence. Mais oui, [ce vécu de la violence] entre aussi probablement en jeu dans cette décision. Oui. » Andreas (INKaK).
112Les militants d’AARRG !!, en première ligne dans le conflit de Gênes, ont également particulièrement été touchés par la répression :
« Les violences qu’on a subies à Gênes ont été beaucoup plus marquantes et m’ont fait prendre beaucoup plus de recul sur ce que ça pouvait dire et ce que ça pouvait engager ou comprendre un engagement. [Les militants d’AARRG !! ont été directement victimes de…] Oui, oui, on s’est fait taper vraiment dessus. [Et X…] Oui. X qui s’est fait arrêter, enfin plusieurs se sont fait arrêter. Enfin voilà, on s’est vraiment fait taper dessus, on a vécu la violence d’État. […] Et c’est vrai que ce sont des choses auxquelles je fais peut-être plus attention maintenant… Finalement, c’est quelque chose qui marque : on sait que ça peut arriver et que ça fait mal d’abord et puis que c’est quelque chose où on est complètement perdu, parce que les repères classiques de la protection de l’individu sautent. Donc on ne peut plus se retourner vers quelqu’un pour se faire protéger. Donc c’est vrai que la dernière fois, il y a eu des actions avec les sans-papiers – une occupation de la Mosquée de Paris, notamment – où bien sûr il y avait des confrontations assez violentes avec des CRS et, pour moi, c’était particulièrement… Ça me faisait beaucoup… Très peur. […] Quelques années avant, je n’aurais pas imaginé ça, alors que là, j’avais une vision très corporelle, on va dire, de ce que ça pouvait représenter une charge de CRS. » Guillaume (AARRG !!).
« [Est-ce que toi-même tu as été traumatisée par la violence par exemple à Gênes ?] Oui, bien sûr. Alors là, la violence à Gênes, c’était un truc… La violence à Gênes, elle était très-très-très-très-très forte ! Mais ce n’était pas la violence des manifestants… Enfin… Je regrette de dire ça, parce que c’est ce que tout le monde dit je pense, enfin moi j’ai le souvenir très-très-très précis d’entendre la police arriver, de les entendre insulter tout le monde, de les voir taper, le sang qui coule… Enfin, tu vois ! Ce sont des situations de violence assez inouïes ! Tu vois les gens en sang… [Est-ce que ça a eu des répercussions sur ton engagement ensuite ? Est-ce qu’il y a des lieux que tu as évités à cause d’une possible violence ?] Tu sais, c’est bizarre, pas du tout ! Je pense que pour moi la violence, je l’ai vue quand j’étais gamine [en Tunisie] : les manifs violentes, c’est un truc qui m’est familier… Et ensuite, parce que sur le moment, moi je ne me suis pas fait taper. Par chance… Et pas seulement par chance, parce qu’il y a une forme de présence à l’action où tu te dis… Enfin, si tu ne cèdes pas à la panique en tout cas, parfois tu arrives à trouver l’endroit où tu peux te mettre à l’abri. Il y a une forme de rationalisation, tu vois. Donc, tu prends conscience du danger. Enfin, bon, en tout cas, sur le moment en tout cas, vraiment, j’ai été très choquée par ce que j’ai vu, très choquée par ce que j’ai entendu, parce qu’après il y avait les récits des gens qui s’étaient fait torturer dans les trucs et tout. Moi, les rues de Gênes, je les vois pleines de lacrymogène en tous les cas… Il y a un son, il y a une odeur, il y a un décor et puis il y a des visages, il y a des têtes que je connais et que je vois encore, donc non, non, c’est pas du tout un truc qui est passé… Mais après, je veux dire, ça n’a pas du tout changé [mon engagement]… » Charlotte (AARRG !!).
113Pour la plupart refroidis pas les expériences violentes vécues à Gênes, les militants d’AARRG !! cherchent par la suite une alternative à la confrontation directe avec la police, à laquelle il est difficile d’échapper dans les actions des contre-sommets. Les stratégies inspirées du Pink& Silver Block, qui consistent à dépasser l’opposition entre violence et non-violence, en alliant un engagement festif et des stratégies offensives face aux forces de l’ordre – en usant de stratégies de contournement de la police, en essayant de les neutraliser, sans pour autant avoir recours à de la violence directe –, n’ont pas suffit à protéger ces militants de la violence répressive. Suite au contre-sommet, le groupe d’AARRG !!-Paris traverse une crise profonde et s’interroge – en interne et publiquement – sur le devenir de leur engagement et sur la forme qu’il doit prendre, comme ici dans le quotidien L’Humanité :
« Certains ont déjà partagé l’expérience de Gênes avec nous dans le cortège “Pink” ou parmi les désobéissants. Plus question donc d’aller au plus près des forces dites de l’ordre, nous ne voulons pas de nouveaux martyrs, mais pas question non plus de reculer sur ce que nous voulons exprimer. Alors, comment faire152 ? » Militante d’AARRG !!
Lien entre la violence et les contre-sommets
114Nous noterons au passage que les expériences de la violence que ces jeunes militants ont vécues dans le cadre de leur engagement altermondialiste se situent quasi-exclusivement dans le cadre des contre-sommets. À partir de notre échantillon quantitatif de militants d’ATTAC, nous avons croisé deux variables : l’intention de participer aux contre-sommets et la position des militants par rapport à la violence comme moyen d’action militant. Les résultats vont dans le sens d’un lien entre ces deux variables153. Ceci ne signifie pas pour autant que les militants qui se rendent aux contre-sommets sont majoritairement disposés à faire usage de la violence, puisque seulement un quart d’entre eux pensent que ce moyen d’action est approprié dans le cadre de leur militantisme. Un quart des militants s’étant déjà rendus à un contre-sommet partage également cet avis positif par rapport à la violence militante.
115Ceci peut en revanche indiquer d’une part que les contre-sommets représentent pour une partie des militants un espace d’action dans lequel ils peuvent donner libre cours à leurs envies protestataires, notamment les plus radicales. D’autre part, cela peut aussi signifier que les militants d’ATTAC qui ne souhaitent pas se rendre aux contre-sommets craignent la violence, qu’elle émane des militants ou des forces de police. Nous avons donc interrogé les militants n’envisageant pas de se rendre à un contre-sommet sur les raisons de ces refus. Cette question étant ouverte, les réponses des militants ont été recodées.
116La peur de la violence n’arrive donc pas en première place : c’est davantage le manque de temps (38,4 %) et d’argent (19,2 %), ou l’éloignement des contre-sommets (10,4 %) qui dissuadent les militants de participer à ces événements protestataires154. 6,4 % de ces militants d’ATTAC déclarent toutefois craindre la violence policière lors des contre-sommets et 1,6 % celle des militants. Il est probable que la variable de la violence des militants soit en partie cachée ou comprise dans les réponses « Je ne crois pas à ce moyen d’action » et « Je préfère d’autres modes de militantisme ».
L’usage de la violence : quels bénéfices en termes médiatiques ?
117Les retombées de la pratique de la violence ne se réduisent pas à un effet néfaste en termes d’image pour le mouvement. Le danger encouru par les militants lors des mobilisations est en effet un élément qui contribue à tenir la société et le public en haleine155. Ainsi, les médias couvrent particulièrement certains moments de la vie du mouvement altermondialiste, en l’occurrence plutôt les actes de violence et de désobéissance civile, au détriment des colloques et des forum de discussion ou des manifestations pacifiques et de taille réduite. Cette couverture médiatique revêt une importance aux yeux des altermondialistes, puisqu’elle est un des vecteurs de la publicisation de leurs revendications, mais aussi parce qu’elle a des retombées en terme de recrutement de nouveaux militants. Il est en effet valorisant pour des militants de rejoindre un mouvement visible, étant donné que l’abondance des micros, des caméras, des journalistes, des photographes est aussi le signe du crédit accordé à un mouvement, de l’importance sociale de ses agissements et de ses paroles156. Les médias ont ainsi le pouvoir d’attribuer un capital symbolique aux mouvements et de leur conférer un statut de force politique. Deux des militantes que nous avons interrogées ont d’ailleurs porté leur choix sur le mouvement altermondialiste après leur expérience furtive d’un contre-sommet, suivie de la lecture de reportages qu’en ont faite les médias. Rejoindre un mouvement fortement médiatisé signifie entrer soi-même dans la vie publique, cognitivement, mais parfois aussi concrètement : l’une de ces militantes aura l’occasion d’être l’interlocutrice des lecteurs du quotidien Le Monde sur leur site internet à l’occasion d’un forum sur l’altermondialisation (« Le chat du Monde.fr »), un autre sera gratifié d’un long portrait dans ce même quotidien à l’occasion du contre-sommet d’Évian.
118L’enjeu publicitaire des manifestations violentes est réel puisqu’une grande partie de l’« opinion publique » s’intéresse à la violence exercée par les forces de police et à celle perpétrée à leur encontre. C’est pourquoi une bonne partie des travaux de ces 20-30 dernières années portant sur la question de la violence, en France, abordent ce thème à travers son « utilisation spectaculaire157 », symbolique et stratégique, et donc tournée vers les médias.
119La grande divergence des résultats obtenus par Olivier Fillieule et Ruud Koopmans concernant le même objet – la violence des manifestations en France – nous renseigne, elle aussi, sur la focalisation des médias sur les actes violents et parfois isolés des manifestations. en effet, quand le premier étudie les mains courantes de Nantes et Marseille, ainsi que les archives des CRS, il avance le chiffre de 5 % de manifestations violentes dans ces villes entre 1979 et 1989. Pierre Favre était arrivé au même résultat pour la ville de Paris pendant l’année 1989158. Quand l’équipe de Ruud Koopmans procède à la même recherche, mais en utilisant comme source des revues de presse, il arrive au chiffre de 25 % pour la France sur la période de 1974 à 1989, plaçant la violence manifestante causant des dégâts matériels en France bien au-dessus de celle de l’Allemagne (9 %), les Pays-Bas (6 %) ou la Suisse (3 %). Si le décalage de leurs résultats tient en partie à leur définition de la « violence159 », elle relève également fortement de l’origine différente de leurs sources160.
120Certains des dix-huit jeunes militants que nous avons interrogés voient dans cette couverture focalisée sur la violence une stratégie politique pour ne pas aborder la question des revendications altermondialistes :
« Je pense que c’est à la fois une stratégie médiatique parce que c’est spectaculaire etc. et surtout politique parce que ça permet de ne pas parler de – dans 99 % des cas – de ce qui se passe, c’est-à-dire il y a trois vitrines cassées et il y a 100 000 personnes qui débattent, etc., et on va parler des trois vitrines cassées pour éviter de parler de la politique, de parler des vrais enjeux politiques. » Camille (SPEB/ATTAC).
121Mais ils sont bien plus nombreux à apprécier le bénéfice qu’ils tirent de cet état de fait, le « positive radical flank effects161 », c’est-à-dire le profit que retirent les militants modérés de l’action des radicaux, notamment en termes de publicité. En effet, si les médias couvrent essentiellement les actions violentes et illégales lors des contre-sommets, il n’en demeure pas moins que l’ensemble du mouvement profite de cette visibilité, comme le reconnaissent plusieurs militants d’ATTAC :
« Je crois qu’ATTAC-Allemagne a vachement profité de la violence qui a été exercée pendant les sommets alternatifs ou les contre-sommets, parce que ça leur a donné une couverture médiatique. C’est triste quelque part, si on veut, mais il faut le dire. Après le contre-sommet de Gênes, le magazine Spiegel a écrit un article de 10 pages sur ATTAC. C’était génial ! C’était la meilleure publicité qu’on aurait pu espérer ! À Gênes, je n’ai vu que 10 militants d’ATTAC avec des petits drapeaux comme ça (rire), des vieux !! […] La première chose qu’on ait faite après les actes de violence, ça a été de se distancier des propos de Susan George. On a dit qu’ATTAC avait de la compréhension pour les parties du mouvement altermondialiste pour lesquelles la violence contre les biens représente un moyen d’action légitime et qu’en aucun cas ATTAC ne se distancie de ces cercles militants. […] Ça a été un vrai succès pour nous d’avoir réussi à dire ça ! Si on avait tenu les mêmes propos que Susan George, ATTAC-Allemagne serait tout petit… C’était inimaginable de dire ça dans le contexte allemand… Les gauchistes nous auraient déchiquetés. » Markus (ATTAC).
122Les bénéfices de cette couverture médiatique importante pour le mouvement altermondialiste sont à trouver notamment dans sa rapide expansion mondiale. Les médias ont permis aux militants des quatre coins de la planète de prendre conscience, sinon des similitudes, du moins des connexions possibles entre leurs revendications162. En constituant le lien manquant entre les luttes des individus et des groupes de cultures très différentes, les médias ont aidé à la constitution d’une des particularités du mouvement altermondialiste : sa présence géographique très étendue. Ce qui lui a donné un sentiment de nombre et donc de puissance163.
123Autre bénéfice de la présence massive des médias lors de certains événements altermondialistes : « Les médias, ça protège », selon les propos de Philippe Mangeot164 cité par Erik Neveu165, à propos d’actions illégales. La plus grande retenue des policiers liée à la présence des médias lors des mouvements protestataires, notamment pour préserver leur propre image publique, a toutefois un pendant et s’avère plus complexe que l’assertion de Philippe Mangeot. L’effet de cette présence bénéfique dans le cas de manifestations illégales tend à s’inverser totalement dans le cas de violences militantes.
124Une importante couverture médiatique de mouvements protestataires ayant eu recours à la violence, permet en effet de légitimer en retour l’augmentation des mesures répressives engagées par l’État. L’exemple du contre-sommet d’Heiligendamm est parlant à cet égard. En amont de l’événement militant, la police a procédé à des perquisitions dans quarante structures sociales et militantes (centres autonomes, lieux alternatifs, locaux politiques) et de fouilles aux domiciles de militants berlinois et hambourgeois considérés comme potentiellement dangereux. Elle a confisqué des fichiers et des documents appartenant à ces militants, a prélevé des échantillons olfactifs de ceux-ci, rappelant au passage les pratiques de la police politique de la RDA166. L’article 129a (relatif à la création de groupements terroristes) du code pénal allemand a permis de délivrer des mandats de perquisition justifiés par le soupçon de la « constitution d’une association terroriste » visant à empêcher le G8. La pratique de violences militantes pendant la tenue du contre-sommet a immédiatement annihilé les déclarations de mécontentement – notamment de la part de certains députés et de journalistes – qu’avaient suscitées ces pratiques policières.
125Pendant le contre-sommet, les forces de police ont ensuite utilisé la couverture médiatique axée sur les violences militantes pour annoncer qu’ils envisageaient d’équiper certaines unités d’armes à balles en caoutchouc. Une exagération du chiffre de leurs agents blessés pendant la manifestation unitaire du contre-sommet a également aidé à la justification de ces mesures. La communication de ces données erronées aux médias167 a rapidement répandu un capital de sympathie pour les forces de l’ordre et a contribué à délégitimer le mouvement dans une partie de la population. Pierre Favre a analysé cette stratégie des forces de police qui consiste dans certains cas à ne pas préciser si les policiers déclarés comme blessés ont été admis à l’hôpital168 afin d’« opposer le bilan des blessés dans leurs rangs à celui, éventuel, des manifestants169 ». En outre, Olivier Fillieule a montré comment l’annonce de la radicalisation générale des mouvements protestataires et de leur recours plus systématique à la violence politique est utilisée par les gouvernements pour renforcer leurs mesures répressives et pour restreindre la liberté de manifestation. Cela a été le cas par exemple en 1992 avec la refonte du livre 4 du Code Pénal170.
126Ayant à la fois conscience des bénéfices en termes de visibilité d’une couverture médiatique centrée sur des actes de violence et de ces effets néfastes, certains des groupes que nous avons observés optent pour le recours à une violence qu’ils disent symbolique, mais aussi au jeu avec les frontières de la légalité. Ils maximisent ainsi leur relation avec les organes télévisés et de presse.
La désobéissance civile, la garantie d’un capital de sympathie dans l’opinion publique
127La multiplication des causes et des moments protestataires hors cadre électoral171 attise la concurrence entre mouvements sociaux et appelle l’élaboration de formes protestataires novatrices. Le renouvellement des stratégies de présentation de soi des militants est nécessaire pour attirer des militants fatigués par des répertoires protestataires galvaudés et routinisés, mais aussi pour happer l’attention des médias. Ceci peut revêtir un caractère stratégique pour certaines organisations ou pour des militants souhaitant remodeler leur image publique. C’est le cas d’une partie des militants d’ATTAC en Allemagne qui ont utilisé en 2003 le contre-sommet d’Évian et l’usage de la désobéissance civile pour s’afficher comme une force militante qui se réduit pas à un travail d’expertise et d’éducation populaire :
« Si on s’est rendu au contre-sommet d’Évian, c’est aussi à cause de l’image réformiste que l’organisation ATTAC-Allemagne renvoie d’elle-même vers l’extérieur – enfin, c’est comme ça que les médias la présente – et on s’est dit : “On doit produire une image qui soit efficace pour toucher le public…” Et ça a justement donné cette idée de partir avec un train entier vers Évian et de faire des actions de blocages. Et ça a super bien marché, on avait plein de médias allemands avec nous, qui étaient très-très impressionnés par ce qui s’est passé. Il ne s’attendait pas du tout à ce qu’ATTAC fasse quelque chose de la sorte. On a pu placer de très beaux articles dans les journaux, qui décrivaient très précisément ce qu’était la désobéissance civile et qui expliquaient pourquoi nous ne nous contentions pas de manifester contre le G8, mais pourquoi nous faisions aussi des sit-in. » Markus (ATTAC), co-organisateur de la délégation d’ATTAC-Allemagne pour le contre-sommet d’Évian.
128L’importance grandissante du média télévisé et sa transformation caractérisée par un intérêt accru pour le scandale et le scoop – course à l’audience, financements publicitaires, quête des images chocs, etc.172 – nécessite l’élaboration de stratégies pour sortir du lot de l’actualité. Réussir à mobiliser largement pour se distinguer du gros des manifestations173, montrer sa force numéraire et sa cohésion, casser la routinisation de l’exercice manifestant en affichant une dimension subversive constituent des solutions pour gagner en visibilité. Se projeter à l’échelle transnationale est également un atout dans ce champ concurrentiel de la protestation. L’élaboration d’un mode d’action portant une terminologie renouvelée et distinct de celui des autres mouvements (le contre-sommet, le Forum social) a également certainement joué en la faveur du mouvement. Le mouvement altermondialiste a réussi à imposer une sorte de label protestataire. Il incarne à la fois la dimension transnationale, le dépassement du cadre routinier de la manifestation – en conjuguant différents modes de protestation –, mais aussi une articulation inédite de revendications et des formes de coordination extrêmement souples174. Ainsi, si l’on associe cognitivement par exemple les syndicats à la grève aux manifestations de rue ritualisées (drapeaux, slogans, parcours-type), ou les intermittents du spectacle à l’« agit-prop » et à la négociation175, le mouvement altermondialiste reste lui fortement associé aux contre-sommets, aux Forum sociaux, à l’éducation dite populaire d’ATTAC et, en France, aux fauchages d’OGM pratiqués par la Confédération Paysanne.
129L’émergence de l’altermondialisation a donc constitué un renouvellement de l’offre protestataire qui était jusque-là fortement restreinte au cadre national et les jeunes militants que nous avons étudiés se sont immédiatement saisis de cette ouverture du champ des possibilités militantes et ont rejoint l’altermondialisation peu de temps après son apparition, le plus souvent à l’occasion d’un contre-sommet. Ils privilégient d’ailleurs par la suite cette forme protestataire de l’altermondialisation au détriment de sa branche « éducation populaire ». Concrètement, ces militants se rendent plus volontiers aux contre-sommets (anti-G8,-FMI,-OMC,-sommet européen) qu’aux Forum sociaux (locaux, européens, mondiaux) qui proposent essentiellement des discussions, réunions et conférences altermondialistes.
Répondre aux attentes des médias
130Patrick Champagne, citant en 1984 un adage enseigné élèves-journalistes « Un train qui arrive à l’heure n’est pas un événement », montre que le répétitif, le banal n’est pas digne d’intérêt pour les journalistes. Semblant reprendre cette analyse, Markus nous explique ce qui fait pour lui d’une action un événement réussi : une violence mesurée, un peu de spectaculaire, bref pour reprendre Patrick Champagne : « Il ne suffit pas d’être “vu” ; encore faut-il être “bien vu” pour en tirer tous les bénéfices176. »
« À Gênes, c’est évident que [la violence] ne venait pas seulement de quelques black blocks déchaînés – ce mythe du black block ! –, mais que la violence a été exercée dans de telles proportions par la police, que ça pousse à remettre plus de choses en question. […] Mais bon, je trouve que même dans ces cas-là, il y a des moyens qui sont plus appropriés, comme par exemple la désobéissance civile… Ou plutôt, plus simplement, le fait de démonter les choses plutôt que de les détruire. Le trainstopping qui est pratiqué en Italie, c’est super ! Ils ont démontés des rails, comme ce qui se passe à Gorleben ! […] Et puis, il y a quand même une forme de violence contre les rails, voilà ! Mais c’est une violence totalement acceptée. Alors que les projectiles contre les banques ne sont pas acceptés. Même si, moi personnellement, ça ne me pose aucun problème. Mais bon, on doit toujours garder en tête que, quand on a un truc à faire passer dans l’opinion, il faut réfléchir à ce qu’on fait. Je trouve que c’est important. » Markus (ATTAC).
131On voit dans ces propos que les moyens d’action ne sont pas le fruit de pulsions chez ce militant, mais qu’ils sont envisagés de manière très stratégique. L’équilibre décrit par Markus entre les ingrédients à réunir pour qu’une action soit réussie, visible et acceptée par l’« opinion publique » correspond à l’inventaire dressé par Philippe Braud :
« Une violence soft paraît à de nombreux contestataires comme le moyen efficace de s’imposer à la table de négociation dans un système démocratique ; du moins à deux conditions. La première est l’exigence de visibilité : il faut que les médias en parlent. La couverture journalistique joue un rôle décisif d’orchestration ou d’amplification. Mais leur logique est de privilégier en ce domaine le spectaculaire ou l’inédit qui frappe l’imagination. La seconde condition est de ne pas franchir un certain seuil au-delà duquel elle deviendrait contre-productive dans la perspective de négociations. Soit parce qu’elle provoquerait le surgissement de “préalables” ; soit parce qu’elle déclencherait l’apparition de réflexes sécuritaires susceptibles de faire passer au second plan les problèmes de fond qu’on avait voulu imposer sur le devant de la scène ; soit enfin parce qu’elle risquerait de légitimer en réponse un recours à la force susceptible d’enclencher un scénario d’escalade plus difficilement maîtrisable. Ainsi existe-t-il dans nos sociétés des formes de violence modérées, banales, acceptées. Inscrites de facto dans le jeu institutionnel routinier, ces formes de violence (occupations illégales de la voie publique, barrages routiers, déprédations relativement bénignes, actions plus spectaculaires que brutales, séquestrations à la fois brèves et sans brimades notables) constituent, dans l’intervalle des consultations électorales, une manière de “faire de la politique d’une autre façon”177. »
132La plupart des militants interrogés portent donc leur préférence sur ce qu’ils appellent les actions directes non-violentes ou la désobéissance civile. Lors de ces actions, les militants transgressent les règles dont ils contestent la légitimité – en tentant d’entrer de force dans la « zone rouge » lors des contre-G8, par exemple, c’est-à-dire dans la zone interdite au public dans laquelle se trouvent les chefs d’État membres du G8 –, et jouent bien souvent avec les limites acceptables de la détérioration de biens, comme lors du contre-sommet d’Heiligendamm. Au nom de la cause altermondialiste, 10 000 militants altermondialistes ont, par exemple, anéanti une partie des récoltes d’agriculteurs de la région en traversant au pas de course leurs champs pour aller symboliquement bloquer des routes d’accès au G8. Lors du contre-sommet d’Évian, divers objets ont été brûlés sur les routes lors des barrages policiers, des projectiles ont également volé dans leur direction.
133À travers ces actions jouant avec les frontières de la légalité, les individus s’exposent physiquement et affichent leur détermination, puisqu’ils sont prêts à faire face à des sanctions plus sévères ou une répression plus violente. S’ils prennent des risques pour eux-mêmes, ils prennent en revanche beaucoup moins de risques que dans le cas d’actions violentes pour ce qui est de la réception de leurs actions dans l’opinion publique. Pour reprendre l’adage souvent cité dans les études portant sur la violence militante, ils montrent leur force pour ne pas avoir à s’en servir178.
134Ces actions leur permettent tout autant d’exprimer leur colère ou leurs pulsions de manière contrôlée que de remplir leur fonction de représentation. Les militants manifestent ici à la fois pour eux-mêmes – en extériorisant leur énergie, en criant, en élaborant des stratégies d’action, en répondant à leur propre désir de prise de risque, en créant du lien avec les autres militants, en ayant la satisfaction personnelle d’appartenir à un groupe, etc. – et en communiquant vers l’extérieur, auprès des médias notamment, pour rendre publique leurs revendications. En somme, les militants se font plaisir tout en menant à bien leur mission de communication.
135Si la plupart de ces actions se déroulent pendant les contre-sommets et en marge des Forum sociaux, certains groupes organisent des « actions symboliques » entre ces événements, au niveau local. C’est le cas d’AARRG !!, de VAMOS, d’ATTAC, et en partie d’INKaK dont les militants se joignent individuellement aux actions d’autres groupes. Seuls SPEB et Linksruck disent ne pas être portés sur de telles actions, puisqu’ils leur préfèrent les « actions de masse » :
« Politiquement, nous ce qu’on argumente souvent avec les gens du mouvement qui sont plus pour faire des actions en petit groupe, coup-de-poing, etc., c’est qu’on pense que le moyen le plus efficace, c’est l’action directe, mais de masse et du coup ça renverse complètement les questions de légitimité. Donc voilà, on a plutôt tendance à argumenter ça… Je pense à Seattle. Si on veut arrêter un sommet, ce n’est pas 10 personnes qui vont arrêter ça ou des actions en petits groupes, c’est des manifs de masse. C’est une question de rapport de force. Avant tout. Dans 99 % des cas, la violence, c’est celle de l’État ou de la police. Et le meilleur moyen de combattre ça, c’est l’action de masse et les mobilisations de masse. Et pour nous, notre force, c’est notre nombre. » Camille (SPEB/ATTAC).
136L’affichage de la cohésion militante, et donc de la force virtuelle d’un mouvement179 est ce qui importe pour ces militants trotskistes. Ceci n’ayant rien d’étonnant, étant donné la place centrale accordée aux mouvements de masse dans l’idéologie de ce courant politique.
Du festif et de la désobéissance civile
137Les autres groupes organisent des petites « actions coup-de-poing ». Un groupe de militants d’ATTAC-Allemagne s’est par exemple rendu aux quartiers généraux du SPD et des Grünen pendant une campagne électorale, avec des banderoles et des déguisements de Gerhard Schröder et de Joschka Fischer. Les militants déguisés avaient d’immenses chaussures aux pieds qui symbolisaient le piétinement des revendications de la gauche par les deux hommes politiques (l’abandon immédiat du programme nucléaire, par exemple). Les militants réussissent grâce à cette action à passer dans le journal télévisé le soir même.
138Nous avons déjà cité quelques actions d’AARRG !! (« Un poil de cul pour Sarkozy » ou l’occupation du Génoplante par des militants clonés en José Bové, par exemple) qui est le groupe ayant le mieux su répondre aux attentes des médias en termes de visibilité, de « rupture de ton180 », de clarté du message, de photogénie pour faire passer leurs messages. Le groupe a ainsi réussi a joué avec les limites de la légalité et de la violence, tout en adoptant une forme d’humour dans ses actions. En fournissant en amont des dossiers de presse bien ficelés aux journalistes, les militants augmentent leur chance de figurer dans un article de presse :
« Je pense que nous le but c’est quand même de jouer sur la violence symbolique. Lors des actions, il n’y a jamais vraiment d’utilisation de la violence stricto sensu. Après les gens peuvent trouver ça violent, mais il n’y a pas de coups qui sont donnés. Ensuite, je ne condamne pas du tout la violence qui peut s’exercer, brutale, dans les manifestations. Mais, justement, si j’ai envie de manifester, de m’opposer autrement, c’est aussi parce que je ne trouve pas que ce soit une solution non plus et, finalement, je trouve que c’est la seule manière au sein d’une manifestation de véritablement essayer d’attirer l’attention vers quelque chose. Le problème de la violence, c’est que ça n’explique pas grand chose. […] À chaque action, il y avait en fin de compte un dossier de presse qui était développé avec, qui était vraiment fourni aux journalistes. Avec toujours l’espoir qu’un papier soit fait, non pas sur l’action elle-même, mais justement sur le fond du problème pour qu’on en reparle. Pour maintenir ou pour susciter un intérêt pour une question qui a été oubliée. » Guillaume (AARRG !!).
139Pour reprendre l’expression d’Erik Neveu, les militants d’AARRG !! ont su au mieux comprendre la relation d’associés-rivaux qui régit les liens entre militants et journalistes, entre mouvements sociaux et médias181. S’adapter à ce qu’attendent les médias pour pouvoir profiter en retour d’une publicité – mais parfois aussi s’exposer au risque de la déformation de leurs idées ou à la critique des journalistes – nécessite de prendre en compte la spécialisation des journalistes, de comprendre leurs routines et leurs initiatives, de garder le contrôle de l’usage d’une violence qui doit rester symbolique, etc.182. Concernant les militants d’AARRG !!, et en suivant Patrick Champagne, on pourrait presque dire « que le lieu réel où se déroulent les manifestations, qu’elles soient violentes et spontanées ou pacifiques et organisées, n’est pas la rue, simple espace apparent, mais la presse (au sens large)183 »… À tel point que les militants d’AARRG !! se sont trouvés prisonniers de leur propre succès médiatique, comme le relève Simon Luck184, puisque certains de ces militants en viennent à regretter de devoir parfois agir uniquement pour satisfaire les attentes des organes de presse.
140Les militants d’AARRG !! et de VAMOS utilisent leurs corps et leur tenue lors de ces actions, en revêtant un uniforme blanc pour AARRG !! et un uniforme rose pour VAMOS quand ils se déplacent avec leur batucada. Ils reprennent ainsi pour les uns le code vestimentaire des Tutte Bianche, pour les autres celui du Pink& Silver Block, et laissent ainsi de côté leur « tenue corporelle ordinaire » ou leur « (re) tenue mondaine des corps185 ». Le corps des militants n’est toutefois pas ici une cause – comme c’est le cas des militants d’Act Up décrit par Victoire Patouillard –, mais juste un moyen de renforcer l’identité du groupe et de gagner en visibilité, auprès des passants et des médias. L’utilisation du corps et d’actions subversives peut également être un moyen pour ces petits groupes de compenser leur faible effectif lors des actions ou dans le cortège d’une manifestation.
Les actions symboliques : un succès qui n’est pas garanti
141Ces performances esthétiques, ces actions d’éclat dirigées vers les médias, ne sont pas toujours réussies. Leur succès se mesure essentiellement à leur couverture médiatique et à la satisfaction qu’elle peut générer au sein des propres troupes militantes. Le groupe VAMOS a ainsi connu quelques échecs lors d’actions coup-de-poing. L’une de ces actions visait un restaurant McDonald’s devant les Halles de Paris, en juin 2003. Rendez-vous a été donné au Châtelet avant de rejoindre ensemble le lieu de l’action qui est tenu secret. Peu de militants sont au rendez-vous. L’effectif militant mobilisé lors de l’action n’est toutefois pas le seul effet recherché par les organisateurs, qui peuvent en revanche se vanter d’avoir mobilisé un certain nombre de journalistes. Au signal des organisateurs, la quinzaine de militants suit au pas de course les organisateurs dans les couloirs du métro pour brouiller les pistes d’éventuels policiers. Arrivés devant le restaurant McDonald’s, les militants déploient une banderole, distribuent quelques tracts et de la nourriture aux passants, cette offrande étant présentée comme une alternative à la nourriture de la chaîne de fast food. Les militants ne condamnent pas l’entrée du restaurant. Ils n’ont ainsi perturbé ni les passants, ni les clients du McDonald’s, n’ont pas touché le public et sont rentés entre eux. Le manque de transgression spatiale186 et de perturbation de l’espace a signé l’échec de cette action qui n’a pas eu l’effet spectaculaire annoncé. Les médias, venus nombreux observer l’action de cette petite quinzaine de militants, n’en ont quasiment rien rapporté. Le bilan de l’action est fait dès le lendemain, lors d’une réunion de VAMOS :
« Action Mc Do du 25 juin - Beaucoup de journalistes et de public mais peu de participants “militants”. Il en résulte : difficulté à gérer la présence physique des journalistes qui empêchent presque le bon déroulement de l’action et sa visibilité. Pas assez nombreux pour réellement bloquer l’accès au Mc Do pendant toute la durée. Problème à gérer l’espace. Sans doute action pas assez radicale. […] Action coûteuse car achat de masques, banderole, etc. (matériel réutilisable) et de nourriture (distribuée)187. »
142Le choix d’une action coup-de-poing devant un restaurant de petite taille a été de toute évidence retenu par les militants de VAMOS pour occulter leur faible capacité de mobilisation physique et de visibilité. En choisissant sciemment un mode d’action qui les libère de toute prétention à la représentativité, VAMOS a voulu éviter de tomber sous le seuil en deçà duquel la tenue d’une action protestataire dessert la cause des petits groupes plus qu’elle ne la soutient188. Nous voyons pourtant à la lumière de cet exemple que ce seuil existe même dans le cas d’actions coup-de-poing qui, lorsqu’elles mobilisent peu de militants, peuvent quasiment desservir la cause d’une organisation ou nuire à la dynamique du groupe.
143Au-delà de ces quelques exemples d’happenings au niveau local, le lieu privilégié de ces actions reste donc avant tout l’espace des contre-sommets. Là, les masses rassemblées représentent un vivier garantissant la visibilité des actions symboliques. Le recours à la désobéissance civile n’est donc en aucun cas motivé par un trop faible effectif de militants. Les actions spectaculaires sont organisées par les militants pour se faire plaisir, mais aussi peut-être pour se démarquer au sein d’une actualité très chargée. Nul besoin de communiqués de presse pour faire venir les médias, ils sont déjà sur place. Nous avons vu plus haut que ces contre-sommets représentent pour de nombreux jeunes militants une forme de loisir civique, comportant une part de plaisir associée à une dimension politique. Le plaisir que les militants retirent de ces contre-sommets est lié d’une part à la convivialité des villages alternatifs, mais aussi à l’aventure qu’ils vivent lors des actions de désobéissance civile. Revenons brièvement sur l’une de ces journées de désobéissance civile lors du contre-sommet d’Évian (2003), en périphérie d’Annemasse.
La journée de blocage de routes du contre-sommet d’Évian
144La situation géographique du Village Intergalactique (VIG) – en retrait par rapport à la ville d’Annemasse – a favorisé la vie interne dans le village. Le projet de vie autogérée et alternative a été renforcé par cette contrainte. Ainsi, l’autogestion alimentaire, l’organisation de repas collectifs au sein du VIG, la fréquentation de la buvette proposant des boissons issues du commerce équitable ont été une réussite. Les débats, projections de films, ateliers et concerts organisés du 28 mai au 3 juin ont eux aussi été continûment fréquentés par les militants du VIG.
145Au-delà de la volonté de créer un lieu de vie alternative, les organisateurs du VIG ont aussi voulu ce village comme une base pour l’organisation des actions de blocage du G8 et de la manifestation unitaire du dimanche 1er juin 2003189. Dès le départ, le contre-sommet d’Évian a en effet été envisagé comme l’occasion d’avoir recours à la désobéissance civile et de renouveler les expériences de Gênes et de Seattle. L’éloignement du village alternatif par rapport au sommet du G8 – à une quarantaine de kilomètres de la ville d’Évian – a influé sur les perspectives de perturbation du sommet. Ainsi, les actions de blocage initiées par les militants du VIG auront une portée essentiellement symbolique et viseront à faire connaître aux chefs d’État du G8 leur disposition à perturber leurs sommets.
Perturber le G8 et être visible
146L’invasion de la zone rouge – donc de la zone interdite au public – a été envisagée lors des préparatifs du contre-sommet, notamment par le projet CONTREX190, essentiellement porté par des militants d’AARRG !! à Paris, mais aussi par des militants de VAMOS, des Verts, du DAL, de Sud-étudiants et d’AC !. Les idées d’actions envisagées par ce collectif se veulent très visuelles et de grande envergure (colorer le lac Léman en rose ou organiser une manifestation aquatique avec des pédalos), à l’image de l’action médiatique des Suisses qui « ont mis le feu au lac » en faisant brûler la veille du début du G8 des « feux de résistance au G8 » autour du lac Léman191. Mais l’objectif du collectif CONTREX et d’autres altermondialistes d’un blocus du G8 se révèle rapidement illusoire et est abandonné.
147Le blocage de l’accès au sommet du G8 est alors envisagé. Le choix de l’emplacement des villages alternatifs – le VIG, le VAAAG, le Point G – est motivé par la proximité du « Carrefour des Chasseurs », croisement de routes qui permet de bloquer symboliquement le G8. Se rendant rapidement compte que les actions de blocage n’auront qu’une portée symbolique, l’idée vient en effet aux organisateurs de théâtraliser le blocage, c’est-à-dire d’en donner l’illusion, et ce malgré l’éloignement géographique du sommet du G8 :
« Le blocage s’est quand même vachement préparé dans les villages et finalement la préparation du blocage a été une très bonne chose. Le blocage lui-même a été plutôt un échec, d’abord parce qu’il n’a rien bloqué et puis parce que c’était long, c’était loin… Bon, c’était bien de le faire, parce que c’était montrer aussi qu’on s’affichait sur les routes. » Militant de VAMOS, coorganisateur du VIG192.
148La dimension symbolique et médiatique de ces actions se double de la volonté de former les jeunes militants à la désobéissance civile. Au sein du village, ceux-ci sont formés à la démocratie participative. En dehors du VIG, les militants expérimentent les actions coup-de-poing et les préparatifs en amont. À cet effet, des réunions de préparation ont lieu les jours précédents dans les différents « barrios ». Certaines de ces réunions portent sur la stratégie à développer (quels carrefours bloquer, quels trajets emprunter…) et ont été dirigées par des militants d’AARRG !!. Lors des préparatifs, il est souvent fait référence au manuel militant Intercontinental Deluxe Guide to Blockading rédigé par des militants écologistes radicaux. Pour autant, l’éventail très large des actions proposées par ce guide (utilisation de trépieds pour bloquer les routes, de cadenas pour s’enchaîner, etc.) n’a pas été exploité lors du contre-sommet. Cette tradition d’action directe très répandue chez les écologistes britanniques ne correspond pas aux pratiques militantes des groupes politiques français en général, et plus particulièrement des participants du VIG qui – lorsqu’ils appartiennent à une organisation – se réclament plutôt de groupes trotskistes, communistes ou écologistes plus modérés.
Les préparatifs des actions de blocage
149La veille des blocages, le groupe ASEED193 organise plusieurs sessions d’un jeu de rôle. La formation débute par une approche théorique de la non-violence active, insistant sur l’intérêt de constituer des groupes affinitaires à petits effectifs pendant les actions militantes et de se répartir les rôles en fonction de la prise de risque envisagée. Divers conseils sont prodigués : comment se protéger des gaz lacrymogènes, comment gérer ses émotions – en distinguant la peur de la colère, par exemple –, etc. Dans un deuxième temps, les formateurs invitent les militants à se répartir en deux groupes pour une mise en situation de confrontation : d’un côté les militants altermondialistes, de l’autre des militants jouant le rôle des forces de l’ordre armés de matraques en carton. Pendant une demi-heure environ, les militants répètent ainsi des situations de confrontation avec la police qu’ils risquent d’expérimenter le lendemain.
150L’équipe juridique du village alternatif intervient aussi lors des préparatifs des actions. Elle tient à disposition des villageois du VIG un « mini-guide du manifestant pas content » prodiguant des conseils pour les actions militantes à risque. Si un manifestant se fait arrêter, la legal team lui suggère par exemple de crier son nom à l’adresse des autres militants, de manière à ce que son arrestation soit signalée auprès de l’équipe juridique. Avant chaque action, les militants sont également encouragés à passer dans la tente de la legal team et à la tenir informée du type d’action envisagé et du nombre de militants engagés pour que l’équipe juridique puisse estimer l’ampleur des interpellations potentielles. Nous l’avons vu dans le cas d’Heiligendamm, l’équipe juridique fournit en outre aux militants un numéro de téléphone qu’ils peuvent inscrire au stylo indélébile sur leur bras et qu’ils peuvent ensuite appeler en cas d’interpellation.
Le déroulement des actions : des blocages symboliques et formateurs
151Passé le temps des préparatifs, plusieurs groupes de militants organisent des actions autour des villages alternatifs. La plus grande vague d’actions a lieu le dimanche 1er juin au matin, avec les militants des trois villages, le VIG, le VAAAG et le Point G. Plus d’un millier de militants partent sur les routes à 4 heures du matin. Le « service d’ogres194 » les accompagne dans le but d’afficher la structuration du mouvement, son autonomie et sa détermination face aux forces de l’ordre pendant les actions195. Le système de groupes affinitaires mis en place au sein du VIG est appliqué assez largement pendant les actions et les représentants des groupes se réunissent fréquemment pour décider du déroulement de l’action de blocage. Chaque groupe est composé de 8 à 15 militants. Les militants y choisissent le degré de risque qu’ils sont prêts à assumer et la stratégie qu’ils souhaitent adopter au sein du blocage, ceci en coordination avec les autres groupes. Plusieurs carrefours sont bloqués, pacifiquement dans un premier temps, puis avec des barricades enflammées en réponse aux projections de gaz lacrymogène des forces de l’ordre. Des jets de pierre suivent, initiés par des militants ne respectant pas les directives de non-violence adoptées par consensus au sein des groupes affinitaires.
Un désir de confrontation avec les forces de l’ordre
152À proximité des blocages, les habitants qui subissent les gaz lacrymogènes approvisionnent les manifestants en eau et les autorisent à venir se laver chez eux. Ce soutien d’une partie de la population accentue le sentiment qu’ont certains militants d’accomplir un acte héroïque. La plupart des récits militants publiés sur internet après le contre-sommet ont des sonorités guerrières, certains parlent par exemple de « jeu de stratégie grandeur nature », de « débâcle » ou disent être « postés en embuscade » pendant les blocages. Certains militants d’ATTAC-Allemagne ont par la suite formulé leurs critiques par rapport au recours systématique à des formulations du registre militaire ou à la sémantique du conflit, alors que les coordinations de groupes affinitaires avaient adopté la non-violence active comme principe196. Ces militants montrent dans ce texte que c’est bien le langage qui définit son espace, et non l’inverse197.
153Les militants altermondialistes scénarisent très souvent leur présence à Annemasse en accentuant fortement leur confrontation avec les forces de police. On l’a vu, ces actions permettent à certains militants de plastronner avec leurs « faits de guerre » et ces moments de protestation ont souvent une dimension concurrentielle visant à établir quel militant ou groupe est allé le plus loin dans sa contribution protestataire. Nous retrouvons cette tendance dans les propos de l’un des dix-huit jeunes militants interrogés, Markus, dont le récit de ces blocages est emphatique, ainsi que dans le récit d’un militant écologiste :
« Pour les blocages de routes, les Français se sont barrés plus tôt que nous, nous on est resté 9 heures à bloquer cette route ! La police envoyait du gaz lacrymo en permanence… […] [Et on se demandait] : “Comment est-ce qu’on pourrait réussir à passer derrière les flics ?” » Markus (ATTAC).
« Sur l’autoroute, on croise des dizaines de convois de CRS, de policiers, à tous les péages, pourtant malgré le drapeau Pace198 accroché à ma voiture, ou le programme “G8 Illégal” mis en évidence, ils n’auront pas l’intelligence d’arrêter le dangereux terroriste que je suis. » Militant écologiste ayant participé au VIG199.
154Il semble que l’objectif de nombreux militants lors de ces actions de blocage soit de glaner un trophée militant. L’analogie récurrente aux contre-sommets de Seattle et de Gênes tend à confirmer cette hypothèse. Les militants de la LCR ayant participé à l’organisation du VIG évoquent eux aussi cette envie de confrontation dans leur bilan du contre-sommet : « Les manifestants ont été satisfaits, ont pu avoir un peu d’action et une confrontation avec les forces de l’ordre, pour certains c’était le baptême de gaz lacrymo200. »
155Cette ambiance électrique explique en partie comment les rumeurs ont pu avoir autant de répondant parmi les militants aussi bien dans le VIG que dans le VAAAG. Plusieurs fois au cours des cinq jours, des centaines de militants sont parties précipitamment pensant bloquer un convoi de traducteurs du G8, un camion d’approvisionnement ou répondre à une attaque policière. Bien souvent, les informations qui circulaient s’avéraient erronées, comme le rapporte l’une des coorganisatrices du VIG, notamment chargée de l’approvisionnement en nourriture du village alternatif :
« Et puis, à un moment, il y a quelqu’un qui arrive et qui prend un mégaphone et qui dit : “On a vu des camions de bouffe arriver, il faut partir en action les bloquer, c’est les camions qui vont faire l’approvisionnement du G8 !”… Et en 30 secondes, on les voit tous partir, tous, les Allemands, ils partent tous, on les voit tous quitter le village. […] Et alors on est restés, avec les quelques-uns. […] Et puis, il y en a qui rigolaient quoi, parce que vraiment le village était désert. Et moi je rigolais… parce que j’attendais mon camion frigo ! » Militante de VAMOS coorganisatrice du VIG201.
156Ce désir d’une partie des militants de se frotter à la police n’a pas été totalement satisfait à Annemasse, les forces de police françaises ayant – contrairement à la police suisse – opté pour une faible visibilité de leurs équipes. Certains militants du VIG, et davantage encore du VAAAG, se sont ainsi rendus en Suisse attirés par les échanges violents qui s’y sont tenus certains jours, comme on peut le lire sur le site du groupe AARRG !! :
« Le lendemain, c’était la manif “No Border” à Genève. Cela nous paraissait être un bon test des forces de l’ordre, puisque le parcours n’était pas déposé et avait pour objectif de déambuler dans la zone interdite. On a passé la frontière sans le moindre contrôle. Sur place, c’était incroyable ! […] Les flics nous laissaient faire ce que l’on voulait : ici on brisait les chaînes des grilles de l’OMC, là on caillassait quelques bâtiments, puis on s’attaquait en bonne et due forme au siège de l’office des migrations internationales. Résultat, on a eu droit à trois lacrymos, et c’est tout. Il faut bien avouer que pour le coup, c’est nous qui étions bluffés. On ne comprenait plus rien ! Il n’y avait plus moyen de s’amuser ou quoi ? C’était quoi ce bordel ? Et ils étaient où ces gardes suisses202 ! » Militant de AARRG !!
157Suite à ces blocages, de nombreux militants ont ensuite rejoint la manifestation reliant Annemasse à Genève. La participation à la manifestation visait avant tout la démonstration de l’unité du mouvement altermondialiste et une visibilité médiatique. Là encore, le principe de diversité tactique facilite leur départ vers ce mode d’action moins radical et plus classique :
« Alors, il y a des gens qui sont restés [pour] bloquer, donc qui n’avaient pas envie d’aller à la manif. Ça aussi, ils ont eu toute la possibilité de le faire, et sans passer pour des salauds. Et de la même manière que les gens qui allaient à la manif ne passaient pas pour des traîtres. Parce que c’était des choses dont on avait discuté avant. […] » Militant de VAMOS, coorganisateur du VIG.
Les blocages : une fonction essentiellement symbolique
158Pour les organisateurs, les blocages ont davantage eu pour but de perturber l’organisation des convois du sommet officiel du G8 que de les bloquer réellement. Les organisateurs du VIG en ont pris conscience dès le moment où le lieu des villages alternatifs – à distance du sommet du G8 – a été coopté. Lors des réunions préparatoires pour les blocages au sein du VIG, les organisateurs ne parlent pourtant à aucun moment des faibles perspectives d’efficacité des blocages de route et de leur portée essentiellement symbolique. Bien au contraire, la possibilité d’empêcher l’arrivée des traducteurs officiels, de techniciens ou de camions d’approvisionnement pour le G8 est évoquée régulièrement. Ainsi les blocages ont-ils plusieurs fonctions, internes et externes au mouvement. D’une part, elles permettent d’entretenir et d’actualiser le « nous » altermondialiste, comme des « rites de confirmation de l’identité collective203 ». Les militants d’ATTAC-Allemagne voient également dans ces blocages l’occasion d’initier leurs primo-militants à la désobéissance civile et aux « actions coup-de-poing ». Enfin, une autre fonction interne aux mouvements concerne essentiellement les militants d’ATTAC-Campus, de VAMOS et du CLAG204, qui voient dans ces blocages l’occasion d’affirmer leur radicalité face aux groupes anarchistes et libertaires :
« Après Gênes, il y a eu aussi tout le débat sur la violence. La violence, non-violence, les black blocks, etc. Il y a eu des condamnations très fortes d’ATTAC, de personnalités d’ATTAC, qui ont été très mal reçues dans les mouvances, qu’elles soient libertaires ou plus largement des militants altermondialistes. Nous, on n’était pas forcément d’accord avec ce qu’avaient pu dire certains dirigeants d’ATTAC, et on voulait aussi créer des liens, un peu une passerelle [vers les militants libertaires]. » Militant du CLAG, coorganisateur du VIG205.
159C’est cette même volonté d’expression publique de leur radicalité qui a motivé les militants allemands d’ATTAC, comme nous l’avons vu plus haut. Les organisateurs de la venue des militants allemands ont prêté beaucoup d’attention à la visibilité de leurs actions et ont fourni un important travail envers la presse : les médias allemands ont ainsi accompagné leur cortège dès leur départ en train d’Allemagne. Les jeunes organisateurs rémunérés par ATTAC-Allemagne pour organiser la venue des Allemands à Annemasse envisageaient les blocages comme un moyen de changer l’image trop réformiste d’ATTAC en Allemagne. C’est pourquoi les militants allemands ont majoritairement préféré rester bloquer les routes plutôt que de rejoindre la manifestation unitaire, plus traditionnelle. Cette stratégie a porté ses fruits : ATTAC-Allemagne a tiré un bilan positif de sa participation au contre-sommet d’Annemasse et s’est réjoui de la couverture médiatique allemande.
Le « transnational » : un moyen d’action coûteux
160Nous avons vu dans cette partie que les altermondialistes français et allemands ont recours à une très large partie du répertoire de l’action collective. Ils font appel à la manifestation, aux occupations, aux sit-in, aux happenings, aux interventions publiques, aux déclarations de presse, à l’expertise, à l’organisation de forum de discussion et d’information, aux pétitions, aux blocages de routes, aux rassemblements en campements… – et ce, au niveau local, national et international. Là encore, c’est la diversité des origines militantes des militants altermondialistes qui régit la grande diversité de tactiques.
161Parmi les événements altermondialistes « transnationaux », les contre-sommets sont ceux qui sont les plus médiatisés et qui retiennent le plus l’attention des jeunes militants que nous avons rencontrés. C’est d’ailleurs à la suite de l’un de ces grands rassemblements que bon nombre d’entre eux ont décidé de devenir altermondialistes. À travers ces contre-sommets, les militants espèrent perturber l’agenda du G8, du FMI ou de l’OMC. Les répercussions de ces mobilisations ont été ressenties ces dernières années, où l’on a pu observer une augmentation des frais engagés pour sécuriser ces sommets et les isoler autant que possible. La médiatisation de l’augmentation de ces coûts est en soi une victoire pour les militants altermondialistes qui espèrent ainsi amener les contribuables à se poser la question de l’utilité et de la légitimité des instances supranationales, comme cela a été le cas lors du sommet du G8 à Heiligendamm en 2007.
162La forme que prennent les actions lors des contre-sommets – blocages de routes, action directe non-violente, violence symbolique ou réelle – s’explique probablement par l’absence de lieux d’expression politique pour les citoyens face aux instances supranationales. L’absence de corps intermédiaires entre les altermondialistes et les instances supranationales qu’ils estiment illégitimes ou dont ils contestent la politique, les pousse à avoir recours à ces actions symboliques, comme l’explique l’un des militants d’AARRG !! :
« On est un peu obligés de tomber là-dedans. Il n’y a pas d’organismes, de structures entre l’opposition et les personnes qui sont au pouvoir ou qui dirigent ces trucs-là. Les seuls à faire l’interface, c’est la police avec tout ce que ça peut comporter d’horrible. » Guillaume (AARRG !!).
163Ne pouvant exprimer leur désaccord face à la politique de ces instances, par le vote ou par le biais d’un référendum par exemple, les militants altermondialistes sont tenus de rendre leur mécontentement public en descendant dans la rue et en provoquant l’intérêt des médias.
164Ces contre-sommets présentent un coût élevé pour les jeunes militants, puisqu’ils mobilisent les participants pendant quelques jours et les organisateurs pendant plusieurs mois. En outre, les déplacements à l’étranger qu’ils nécessitent entraînent des dépenses financières que tous ne peuvent pas assumer. Enfin, le déploiement important des forces policières et la violence de la répression lors de certains de ces événements impliquent une autre forme de coût que certains des dix-huit jeunes de notre échantillon qualitatif finissent par renoncer à assumer, comme nous le verrons dans la dernière partie.
165Si les dix-huit jeunes militants sont majoritairement entrés en politique en réaction à une cause ou à un événement local ou national, leur entrée en altermondialisation a le plus souvent eu lieu à la suite d’un événement international : un contre-sommet, une rencontre zapatiste « intergalactique », la campagne contre l’AMI, etc. Ceci les a immédiatement projetés au-delà de leurs frontières nationales. Le caractère international du mouvement altermondialiste, qui n’a plus à être démontré au niveau méso-sociologique, est, nous l’avons vu, également vérifié pour les pratiques militantes de notre échantillon. Mais qu’en est-il du qualitatif « transnational » qui est souvent associé à l’altermondialisation ?
166Une définition large de la transnationalité, telle que celle proposée par Sidney Tarrow, confère sans hésitation le label « transnational » au mouvement altermondialiste. Il a en effet des acteurs engagés dans différents pays et ceux-ci ont pour cible des instances supranationales. Pour autant, les échanges entre les altermondialistes de nationalités différentes semblent relativement restreints aux événements que sont les Forum sociaux et les contre-sommets. Les réseaux qui se mettent en place à l’occasion de ces rassemblements sont très ponctuels et ne perdurent pas une fois l’événement terminé. Nous l’avons vu, les échanges entre militants français et allemands lors des contre-sommets d’Évian et d’Heiligendamm ont, eux aussi, été plutôt restreints. Les mouvements altermondialistes français et allemands se croisent lors de ces rassemblements, leurs militants cohabitent dans les villages alternatifs, participent le plus souvent aux mêmes actions. Cependant, l’existence de ces points d’intersection ne nous autorise pas à parler d’« histoire croisée » à propos des mouvements de ces deux pays.
167Peut-on dire alors qu’aucune initiative transnationale n’est apparue au sein du mouvement altermondialiste ? À l’exception d’une part des militants du réseau Peoples’ Global Action, qui cultivent de véritables relations au niveau transnational206, et d’autre part de réseaux préexistants à l’altermondialisation (les réseaux de la quatrième internationale communiste, par exemple), peu de coalitions ou de réseaux transnationaux réussissent à perdurer au-delà des contre-sommets et des Forum sociaux. En 2002, au FSM de Porto Alegre, de jeunes militants ont tenté d’initier un collectif large qui voulait rassembler sous le nom d’Intergalactica un « laboratoire de résistance globale » coordonnant des jeunes militants altermondialistes de différents pays. Certains militants français du groupe AARRG !! se sont investis un temps dans cette initiative grâce aux financements émanant d’une fondation états-unienne. Ce réseau n’a cependant pas perduré au-delà de la première phase de construction. Les tentatives avortées de construction de réseaux ont échoué en raison de la logistique lourde qu’exigent les relations transnationales et du coût financier qu’elles entraînent. Les coalitions – qu’elles réunissent des acteurs de nationalités différentes ou de courants politiques différents – n’ont rien de naturel et requièrent un « travail de coalition » qui conditionne la réussite ou le délitement de l’initiative207. L’artefact que constitue un réseau transnational qui réunit des réalités de terrain local ou national très différentes est ainsi très dispendieux en temps et en argent.
168L’échec des réseaux altermondialistes transnationaux sur le long terme ne signifie pas que les dix-huit jeunes militants sont dénués de toute forme de référentiel à l’étranger. Parmi les groupes que nous avons étudiés, AARRG !! et INKaK sont très certainement ceux qui se détachent le plus du cadre militant et politique national pour se projeter à l’international. Le référentiel qui a servi de base aux fondateurs d’AARRG !! pour concevoir leur groupe fait, par exemple, appel au MRG espagnol, aux Tute Bianche italiens, aux zapatistes mexicains, au Pink & Silver Block international, à Reclaim the streets en Grande Bretagne…
169Nous le verrons dans la dernière partie, l’engagement au niveau inter-ou transnational n’aura séduit qu’un temps les militants de l’échantillon qualitatif. Quasiment tous les militants que nous avons étudiés se sont éloignés du mouvement altermondialiste pour se replier sur un engagement local ou national. Le capital personnel et militant récolté au niveau international a ainsi été réinvesti. De la même manière, au niveau méso et macro, l’altermondialisation a eu des répercussions sur le paysage partisan national. Celles-ci se sont vues modifiées avec notamment le regain de la LCR en France et la création du parti Die Linke en Allemagne.
Notes de bas de page
1 Le terme « Arbeitsplätzchen » signifie à la fois « petits biscuits » « travail » et « petits emplois ». Les petits biscuits marqués du logo « A » de l’ANPE allemande étaient vendus 1 DM (environ 50 centimes d’euro) sur les marchés de Noël par les militants au profit d’une association d’aide aux démunis. Les biscuits étaient accompagnés d’un tract « Wir backen für Sie Arbeitsplätzchen » proposant des solutions au chômage en Allemagne.
2 Lors des actions de die-in, les militants s’étendent à même le sol.
3 Uggla F., « Between globalism and pragmatism: ATTAC in France, Germany, and Sweden », Mobilization, volume 11, no 1, février 2006.
4 Les Forum sociaux rassemblent également énormément de jeunes gens, comme l’ont montré les études menées lors des FSE de Florence (della Porta D., « La démocratie en mouvement. Les manifestants du Forum social européen, des liens aux réseaux », Politix, no 68, 2004) et de Paris (Agrikoliansky É., Sommier I. (dir.), Radiographie du mouvement altermondialiste, op. cit.). À Florence, 53 % des militants interrogés par l’équipe de Donatella della Porta étaient par exemple étudiants.
5 À l’exception de la manifestation unitaire traditionnellement organisée lors des contre-sommets et qui réussit à rassembler plusieurs générations militantes, ainsi que des forums parallèles organisés lors de ces contresommets et qui attirent des militants plus âgés.
6 La surreprésentation des jeunes est visible notamment sur les images d’archive d’ATTAC-Allemagne concernant le contre-sommet d’Évian. [http://www.attac.de/evian/]. Ces villages alternatifs se veulent un lieu de mise en pratique des utopies et des désirs de changement social de l’altermondialisation. Les villages sont découpés en « barrios ». Ces petits quartiers sont fonction des affinités géographiques et politiques de chacun (barrio Nord/Sud, barrio queer, barrio anarchiste, etc.).
7 Andretta M., della Porta D., Mosca L., Reiter H., Global, No global, new Global : la protesta contro il G8 a Genova, Laterza, Roma, 2002.
8 Fillieule O. et alii, « L’altermondialisme en réseaux », op. cit., p. 21.
9 Ces chiffres sont issus de l’étude quantitative effectuée lors du contre-sommet d’Évian par le CRPS (La Sorbonne, Paris 1) et les universités de Lausanne et Genève (Agrikoliansky É., Sommier I., op. cit).
10 Le VIG – ou Village Intergalactique – est l’un des trois villages mis en place à Annemasse lors du contresommet d’Évian.
11 Brand K.-W., « Kontinuität und Diskontinuität in den neuen sozialen Bewegungen », inRucht D., Roth R. (dir.), Neue soziale Bewegungen in der Bundesrepublik, Campus, Frankfurt, 1987, p. 42.
12 Rucht D., Teune S., Yang M., « La genèse des mouvements altermondialistes en Allemagne », op. cit.
13 Fillieule O., Stratégies de la rue, op. cit., p. 141-142. L’enquête a été menée en France, en 1994, par questionnaires au sein de trois manifestations de gauche (manifestations antiraciste, de défense de l’emploi et mobilisation des chômeurs). Pour plus de détails, voir la présentation des enquêtes auxquelles nous avons eu recours.
14 Coulouarn T., Jossin A., « Représentations et présentations de soi des militants altermondialistes », op. cit.
15 Pourcentage de militants par classes d’âge estimant les moyens d’action cités particulièrement appropriés pour faire passer les revendications d’ATTAC : manifestations symboliques et festives (56,6 % des moins de 29 ans ; 63,6 % des 30-39 ans ; 60 % des 40-49 ans ; 51,7 % des 50-59 ans ; 48 % des plus de 60 ans) et blocage de rue et désobéissance civile (36,1 % des moins de 29 ans ; 31,9 % des 30-39 ans ; 40,3 % des 40-49 ans ; 27,3 % des 50-59 ans ; 25,4 % des plus de 60 ans).
16 Pourcentage de militants par classes d’âge estimant les moyens d’action cités particulièrement inappropriés pour faire passer les revendications d’ATTAC : confrontation directe avec la police (66,1 % des moins de 29 ans ; 62,2 % des 30-39 ans ; 65,2 % des 40-49 ans ; 72,9 % des 50-59 ans ; 77,5 % des plus de 60 ans), petits dommages et détériorations (56,3 % des moins de 29 ans ; 56 % des 30-39 ans ; 65,2 % des 40-49 ans ; 55,2 % des 50-59 ans ; 74,6 % des plus de 60 ans), blocage de rue et désobéissance civile (6,6 % des moins de 29 ans ; 6,6 % des 30-39 ans ; 1,4 % des 40-49 ans ; 11,4 % des 50-59 ans ; 15,5 % des plus de 60 ans).
17 13,6 % des plus de 60 ans et 13,3 % des 50-59 ans jugent par exemple le soutien des partis approprié pour faire passer les revendications d’ATTAC, contre seulement 2,2 % des 30-39 ans, 7 % des 40-49 ans et 9,2 % des moins de 29 ans. 51,4 % des plus de 60 ans et 54,4 % des 50-59 ans jugent la relation aux médias appropriée pour diffuser les revendications d’ATTAC, contre seulement 45,9 % des 40-49 ans et des moins de 29 ans et 47,8 % des 30-39 ans.
18 Parmi les personnes interrogées lors du contre-sommet d’Évian par les équipes du CRPS et des universités de Lausanne et Genève, 77,5 % de celles s’étant rendus aux villages alternatifs avaient moins de 29 ans, ainsi que 77 % de celles ayant participé aux blocages de route. Au sein des catégories d’âge, 55,5 % des moins de 29 ans ont participé aux villages alternatifs (31,3 % aux blocages), 45,8 % des 30-39 ans (26 % aux blocages), 24,5 % des 40-49 ans (14,1 % aux blocages), 21,5 % des 50-59 ans (14 % aux blocages), 12,5 % des plus de 60 ans (4,7 % aux blocages). Les militants plus âgés ont davantage participé aux « groupes de travail » des forums alternatifs.
19 Jung J. K., « Globalization and global identities: over-time and cross-national comparison from the world values surveys in 1981-2001 », rencontre annuelle du Midwest Political Science Association, Chicago, avril 2005. Tarrow S., The new transnational activism, Cambridge University Press, Cambridge, 2005.
20 Muxel A., L’expérience politique des jeunes, op. cit., p. 38.
21 Lors du Forum social européen de Paris-Saint-Denis, la moitié des militants avait plus de 35 ans (Gobille B., Uysal A., « Cosmopolites et enracinés », op. cit.).
22 Lors du Forum social européen de Florence, 400 interprètes ont traduit bénévolement les conférences (della Porta D., « La démocratie en mouvement », op. cit., p. 50).
23 George É., « L’utilisation de l’Internet comme mode de participation à l’espace public dans le cadre de l’AMI et au sein d’ATTAC », thèse de doctorat, ENS de Lyon, 2001. Van De Donk W. et alii (dir.), Cyberprotest: new media, citizens and social movements, Routledge, New York, 2004. Le Grignou B., Patou C., « ATTAC(k) ing expertise: does the internet really democratize knowledge », invan de Donk W. et alii (dir.), Cyberprotest: new media, citizens and social movements, Routledge, New York, 2004. Van Aelst P., Stefaan W., « New media, new movements? The role of the internet in shaping the “anti-globalization” movement », invan de Donk W. et alii (dir.), Cyberprotest : new media, citizens and social movements, Routledge, New York, 2004.
24 Trautmann F., « Internet au service de la démocratie ? Le cas d’ATTAC… », Les Cahiers du CEVIPOF, no 30, octobre 2001.
25 Tarrow S., The new transnational activism, op. cit., p. 138.
26 Mann P., L’action collective. Mobilisation et organisation des minorités actives, Armand Colin, Paris, 1991, p. 38-39.
27 Entretien réalisé en 2005 par Lilian Mathieu (CNRS, université de La Sorbonne, Paris 1). Jossin A., Mathieu L., « Féminisme et altermondialisme - Le Point G au contre-sommet d’Annemasse », in Christine Bard (dir.), Les féministes de la 2e vague, PUR, Rennes, 2012, p. 245-258.
28 Tarrow S., The new transnational activism, op. cit.
29 Rucht D., « Von Seattle nach Genua », op. cit. (on peut traduire « event hopping » par « sauts d’événement en événement »).
30 Grundy J., Howell A., « Negotiating the culture of resistance: A critical assessment of protest politics », Studies in Political Economy, 66, 2001, p. 121-132.
31 Fillieule O. et alii., « L’altermondialisme en réseaux », op. cit., p. 29.
32 Ibid., p. 32-33.
33 La ZLEA est la Zone de Libre-Échange des Amériques. En anglais: Free Trade Area of the America (FTAA).
34 Mair H., « Civil leisure? Exploring the relationship between leisure, activism and social change », Leisure/Loisir, volume 27, no 3-4, 2002/2003, p. 213-237.
35 Fillieule O., « Propositions pour une analyse processuel de l’engagement individuel », Revue Française de Science Politique, volume 51, no 1-2, février-avril 2001, p. 199-200.
36 Augé M., Non-Lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Le Seuil, Paris, 1992.
37 Neveu E., « Trend report: the contentious French », Mobilization, volume 7, no 3, 2002, p. 17-18.
38 16 000 représentants des forces de l’ordre étaient mobilisés lors du contre-sommet d’Évian, ainsi qu’une centaine d’appareils de l’armée (avions, 60 hélicoptères…) (source : Le Monde, 29.05.03). Le même effectif policier a été déployé lors du contre-sommet d’Heiligendamm (soit la plus grosse opération de sécurité depuis l’immédiat après-guerre en Allemagne), dispositif complété par 1 100 soldats. Une clôture de 12 km a en outre été déployée autour du lieu du sommet (source : Le Monde, 25.06.07).
39 Offerlé M., « Descendre dans la rue : de la “journée” à la “manif” », inFavre P. (dir.), La manifestation, Presses de la Fondation Nationale des Sciences politiques, Paris, 1990.
40 Nous verrons plus loin le rôle joué par la virilité dans l’action collective.
41 Legal team : équipe juridique mise en place par les militants lors des contre-sommets et se chargeant essentiellement du suivi des personnes placées en garde à vue. La legal team est directement inspirée des pratiques militantes nord-américaines, d’où l’utilisation de l’appellation anglaise par les militants.
42 Mouchard D., « Les altermondialismes », Critique internationale, no 27, avril-juin 2005, p. 129.
43 Ce slogan est un dérivé du slogan écologiste : « Penser globalement, agir localement » (Faucher F., Les habits verts de la politique, op. cit., p. 120).
44 Lors du contre-sommet d’Évian, nous avons planté notre tente dans le Village Intergalactique et avons suivi ses activités, ainsi que celles du VAAAG et du Point G jusqu’à leur démontage et aux départs des organisateurs. Nous nous sommes également rendue à plusieurs reprises au SPAM (Sommet Pour un Autre Monde), forum alternatif, et à l’espace de convergence. Nous avons par ailleurs participé à la manifestation de présentation dans la ville d’Annemasse, à la manifestation unitaire entre Genève et Annemasse, ainsi qu’à deux blocages de route. Lors du contre-sommet d’Heiligendamm, nous avons logé à proximité du camp de Reddelich dans une maison, avec d’autres doctorants. Nous nous sommes rendue chaque jour dans le village alternatif de Reddelich, ainsi qu’une fois dans le village de Wichmannsdorf. Nous avons participé à plusieurs manifestations et à un grand blocage de route. Nous ne nous sommes pas rendue dans le village alternatif situé dans la ville de Rostock et n’avons pas observé le forum alternatif de Rostock, l’équivalent du SPAM d’Annemasse.
45 Les effectifs de ces organisations nationales sont toutefois très inégaux.
46 Pianta M., « Parallel summits of Global Civil Society », inAnheier H., Glasius M., Kaldor M. (dir.), Global Civil Society, Oxford University Press, Oxford, 2001.
47 della Porta D.(dir.), The Global Justice Movement : cross-national and transnational perspectives, Paradigm Publishers, Colorado, 2007. Sommier I., Fillieule O., Agrikoliansky É. (dir.), La généalogie des mouvements altermondialistes en Europe. Une perspective comparée, Karthala, Paris, 2008.
48 Uggla F., « Between globalism and pragmatism », op. cit.
49 Tarrow S., « The dualities of transnational contention: “Two activist solitudes” or “A new world altogether?” », Mobilization, volume 10, no 1, 2005, p. 53-72. della Porta D., « La démocratie en mouvement. Les manifestants du Forum social européen, des liens aux réseaux », Politix, no 68, 2004, p. 49-77.
50 Fillieule O. et alii, « L’altermondialisme en réseaux », op. cit., p. 14-15.
51 Lichbach M. I., Almeida P., « Global order and local resistance: the neoliberal institutional trilemma and the battle of Seattle », non publié, University of California, Riverside, 2001. Levi M., Murphy G., « Coalitions of contention: the case of the WTO protests in Seattle », Political Studies, volume 54, no 4, 2006.
52 Andretta M., della Porta D., Mosca L., Reiter H., Global, No global, new Global: la protesta contro il G8 a Genova, Laterza, Roma, 2002. della Porta D., « Multiple belonging, flexible identities and the construction of another politics », op. cit.
53 Wahlström M., « Trust and performance. Police communication from an activist perspective », colloque « Policing political protest after Seattle », Fiskebäckskil, 2004.
54 Tarrow S., « La contestation transnationale », Cultures & Conflits, no 38-39, 2000.
55 Florini A. M., The rise of transnational civil society, Carnegie Endowment for International Peace, Washington, 2000. Smith J., Chatfield C., Pagnucco R., Transnational social mouvements and global politics. Solidarity beyond the State, Syracuse University Press, New York, 1997. Keck M. E., Sikkink K., Activist beyond borders: advocacy network in international politics, Cornell University Press, Ithaca, 1998. Guidry J., Kennedy M. D., Zald M., Globalization and social movements. Culture power and the transnational Public sphere, The University of Michigan Press, Ann Arbor, 2000. O’Brien R., Goetz A.-M., Scholte J. A., Williams M., Contesting global governance, Cambridge University Press, Cambridge, 2000. Wapner P., Environmental activism and world civic politics, Suny Press, Albany, 1996.
56 Tilly C., « Social movements and national politics », in Bright C., Harding S. (dir.), Statemaking and social movements: essays in history and theory, University of Michigan Press, Ann Arbor, 1984.
57 Tilly C., La France conteste, Fayard, Paris, 1986.
58 Agrikoliansky É., Gobille B., « Des élites transnationales ? », op. cit.
59 Une « assemblée européenne de préparation », réunissant plusieurs centaines de militants européens, a ainsi été constituée pour préparer le FSE français. Elle s’est réunie à cinq reprises entre septembre 2002 et octobre 2003. Le FSE a de plus été un lieu de rencontre pour plusieurs centaines d’organisations venues de toute l’Europe.
60 Les thèmes des débats sont internationaux, tout comme leurs modalités concrètes de déroulement. Pour le FSE 2003, chaque débat réunissait des experts et des militants venus de toute l’Europe et s’exprimant dans leur propre langue. Chaque salle de conférences était équipée d’un dispositif de traduction pouvant assurer la communication entre 4 ou 5 langues.
61 Agrikoliansky É., Gobille B., « Des élites transnationales ? », op. cit.
62 Smith J. (dir.), Globalization and Resistance, Mobilization, numéro spécial, volume 6, no 1, 2001.
63 Tarrow S., « Transnational politics: contention and institutions in international politics », Annual Review of Political Science, volume 4, 2001.
64 della Porta D., Tarrow S. (dir.), Transnational movements and global activism, Rowman & Littlefield, Lanham, 2004, p. 234.
65 Uggla F., « Between globalism and pragmatism: ATTAC in France, Germany, and Sweden », Mobilization, volume 11, no 1, février 2006.
66 Dohet J., Faniel J., « Euromayday : imitation ou réinvention du 1er mai ? », colloque « Action collective et exclusion sociale en Europe », ENS-LSH de Lyon, 11-12 janvier 2008.
67 Les images sont reproduites sur la page internet suivante : [www.chainworkers.org/IMBATTIBILI/?hero=17].
68 Doerr N., Mattoni A., « Activists communicating across the European space: the EuroMayday campaign against precarity », conférence de l’ECPR, 2007.
69 Doerr N., « Sprache ist nicht das Problem: Die soziale Foren als Testfall für eine zukünftige europäische Öffentlichkeit », Berliner Debatte Initial, 16 (4), 2005. Doerr N., « Towards a European public sphere “from below”? The case of multilingualism within the European social forums », congrès « Alternative Futures and Popular Protests », Manchester Metropolitan University, 2006.
70 Traduction : « Reste “bandante”, reste rebelle » ou « Reste excitante, reste rebelle ». Ces iconographies ont notamment été distribuées sous forme de cartes postales lors du contre-sommet d’Heiligendamm en juin 2007.
71 Ce slogan peut être traduit par « Mieux vaut être une gagneuse que de combattre » ou « Mieux vaut être prostituée que soldat », puisque le vocable utilisé en italien fait allusion à la prostitution et au fait de « faire le tapin » ou « faire le trottoir ». Elle rappelle les slogans utilisés par des militant-e-s queer italien-ne-s lors des manifestations contre la guerre en Irak en 2003.
72 Gobille B., Uysal A., « Cosmopolites et enracinés », op. cit., p. 113-115.
73 La dimension transnationale est susceptible de s’exprimer à différents moments au sein du mouvement altermondialiste. On peut s’attendre à la retrouver lors des Forum sociaux (européens et mondiaux) et lors des contre-sommets, mais aussi sous la forme de réseaux développés par les militants en dehors de ces deux types d’événements. Les observations qui suivent ne concernent qu’une partie des altermondialistes, en l’occurrence ceux qui font la démarche de se rendre aux contre-sommets. Au sein même de cette catégorie, nous avons étudié uniquement l’activité et les militants des « villages alternatifs ». Les participants des « forums alternatif » organisés par les ONG, ATTAC et des groupes aux positions moins « radicales » et moins tournées vers l’action que celles des militants investis dans les campements alternatifs ne sont pas concernés par les observations qui suivent.
74 Cela a été le cas par exemple de la journée internationale de mobilisation contre la guerre en Irak, le 15 février 2003 (Tarrow S., The new transnational activism, Cambridge University Press, Cambridge, 2005, p. 15).
75 Agrikoliansky É., Gobille B., « Des élites transnationales ? », op. cit.
76 Heiliger Damm : « la sainte digue ». L’expression fait référence au nom de la ville dans laquelle le contresommet s’est tenu, Heiligendamm.
77 L’organisation de trains unitaires a été reproduite par l’organisation allemande en 2007 pour le contresommet d’Heiligendamm. Trois trains ont alors été affrétés pour les trajets (aller uniquement) Baal-Rostock, Salzbourg-Rostock et Bonn-Rostock.
78 Kielmansegg P. G., « Integration und Demokratie », inJachtenfuchs M., Kohler-Koch B. (dir.), Europäische Integration, Leske + Budrich, Opladen, 1996. Doerr N., Mattoni A., « Images within the precarity movement in Italy », Feminist Review, 87, 2007.
79 Branche jeune des organisations ATTAC en France et en Allemagne.
80 Compte-rendu d’Évian par Lukas Engelmann, Oliver Pye et Pedram Shahyar (ATTAC-Allemagne). Document interne d’ATTAC-Allemagne. Traduction personnelle.
81 Durand C., « Le mouvement altermondialiste : de nouvelles pratiques organisationnelles pour l’émancipation », Mouvements, no 42, 2005.
82 Les disputes autour du terme « anticapitaliste » ont abouti à la scission du village initial en deux villages, le VIG et le VAAAG, auxquels s’est ajouté un village féministe non-mixte (le Point G).
83 Fabre C., Mandraud I., « Un cortège-parade dans les rues de Paris pour conclure trois jours de débat », Le Monde, 16 novembre 2003.
84 Durand C., « Le mouvement altermondialiste : de nouvelles pratiques organisationnelles pour l’émancipation », Europe Solidaire Sans Frontière, juillet 2005.
85 Slogans relevés lors de la manifestation unitaire du contre-sommet d’Heiligendamm. Les slogans en langue allemande sont ici traduits en français.
86 SED : Sozialistische Einheitspartei (Parti socialiste unifié). Ancien parti (quasi-) unique de RDA.
87 Jossin A., Mathieu L., « Féminisme et altermondialisme », op. cit.
88 Certaines actions communes font toutefois l’exception. C’est le cas d’une action de l’armée des clowns contre un restaurant Mc Donald’s aux alentours d’Heiligendamm, qui a rassemblé des militants d’origines nationales différentes.
89 George S., « J’étais à Göteborg », Le courriel d’information d’ATTAC, no 246, 19 juin 2001.
90 Champagne P., « La manifestation. La production de l’événement politique », Actes de la recherche en sciences sociales, no 52-53, 1984, p. 28.
91 Pierre Khalfa représente l’Union syndicale Groupe des 10 solidaires au sein du collège des fondateurs d’ATTAC-France. Khalfa P., « À propos de la violence », Le courriel d’information d’ATTAC, no 247, 22 juin 2001.
92 Nikonoff J., « Après le Larzac, de nouveaux défis », Libération, 18 août 2003. Cet article avait notamment suscité une longue réponse de Gustave Massiah (vice-président d’ATTAC) se posant contre la division du mouvement altermondialiste : « Pour beaucoup, la radicalité se confond avec la violence et nous sommes sommés de nous en éloigner. ATTAC s’est toujours défini comme une association radicale, au sens de prendre les choses par la racine. Il ne s’agit pas de gérer la société mais de la transformer, de construire un autre monde possible. […] Les luttes sociales et citoyennes sont les formes de résistance à une violence qui permet de maintenir un monde injuste et insupportable. Mais nous savons aussi les conséquences des formes de lutte qui ont privilégié la violence et la manière dont elles ont gangrené les espoirs de libération et d’émancipation. […] Une des réponses à cette contradiction est dans l’invention des nouvelles formes de lutte collective comme la désobéissance civile et la non-violence active. C’est pourquoi nous devons être attentifs à ne pas dévaloriser les formes de résistance légitime et nous ne pouvons nous démarquer de la désobéissance civile quand elle est mise au service des mobilisations de masse. » (Massiah G., « L’unité se construit à partir de la diversité », texte interne à ATTAC 20 septembre 2003.)
93 Agrikoliansky É., Sommier I. (dir.), Radiographie du mouvement altermondialiste. Le second Forum social européen, La Dispute, Paris, 2005.
94 Coulouarn T., Jossin A., « Représentations et présentations de soi des militants altermondialistes », inAgrikoliansky É., Sommier I. (dir.), Radiographie du mouvement altermondialiste. Le second Forum social européen, La Dispute, Paris, 2005.
95 Étude quantitative des universités de Paris 1 et Lausanne lors du contre-sommet d’Évian (juin 2003).
96 Fillieule O., Stratégies de la rue, op. cit., p. 144-145.
97 Uehlinger H.-M., Politische Partizipation in der Bundesrepublik. Strukturen und Erklärungsmodelle, Westdeutscher Verlag, Opladen, 1988.
98 Fuchs D., « The normalization of the unconventional. Forms of political action and new social movements », inMeyer G., Ryszka F. (dir.), Political participation and democracy in Poland and West Germany, Wydawca, Varsovie, 1991.
99 Le répertoire confrontatif pourrait être assimilé à de la désobéissance civile, terme souvent utilisé par les militants altermondialistes pour qualifier leurs agissements. Celle-ci peut être définie comme étant « un acte public, non-violent, décidé en conscience, mais contraire à la loi et devant le plus souvent amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement » selon une définition de John Rawls, repris dans Jürgen Habermas (Habermas J., Écrits politiques, Flammarion, Paris, 1990, p. 117).
100 Pour l’usage de pressions physiques sur une personne, le taux de participation potentielle ou effective et celui d’attribution d’efficacité (« tout à fait » et « plutôt ») sont égaux.
101 À l’exception du contre-sommet de Gênes, où l’intensité des violences policières ont contrecarré l’effet de délégitimation du mouvement altermondialiste qu’auraient pu générer les violences militantes.
102 Neveu E., « Trend report: the contentious French », Mobilization, volume 7, no 3, 2002, p. 45 et p. 115-116.
103 La répartition des femmes et des hommes est équilibrée dans les classes d’âge, à part pour les moins de 24 ans qui comptent un peu plus de femmes dans leurs rangs.
104 À titre d’exemple, nous pouvons citer la pratique de la grève (69 % pour les plus de 51 ans, 76 % pour les 35-50 ans, 61 % pour les 24-34 ans, 58 % pour les moins de 24 ans) et l’occupation de bâtiments (40 % pour les plus de 51 ans, 50 % pour les 35-50 ans, 29 % pour les 24-34 ans, 25 % pour les moins de 24 ans).
105 Quatre catégories d’âge ont été construites pour ce chapitre : moins de 24 ans, 25-34 ans, 35-50 ans, plus de 51 ans. Chacune des catégories représente 25 % de l’effectif de l’échantillon.
106 Trois réponses étaient possibles à la question « Parmi les enjeux suivants, quels sont ceux qui vous ont poussé à participer au FSE ? » parmi une liste de 12 propositions. La somme des réponses avoisine 300 %.
107 L’ensemble de ces résultats quantitatifs ont été produits en collaboration avec Tangui Coulouarn. Coulouarn T., Jossin A., « Représentations et présentations de soi des militants altermondialistes », op. cit.
108 Echelle gauche-droite s’étendant du chiffre 1 au chiffre 9, le centre se situant au niveau du 5.
109 Répertoire démonstratif : plus de 65 % des participants de l’ensemble de l’échantillon affirment y avoir eu recours (exceptés grève de la faim 2 %, jeûnes et prières 9 % et actions symboliques 58 %). Répertoire confrontatif : 35 % à 42 % des participants affirment y avoir eu recours et 40 % à 50 % se déclarent prêts à utiliser ce type d’actions. Répertoire de l’ordre de la violence politique : plus de 70 % des participants affirment n’y avoir jamais eu recours et n’être pas prêts à utiliser ce mode d’action. Les moyens d’action du répertoire confrontatif et de la violence politique ont suscité un fort taux de non-réponses (particulièrement pour les dommages aux biens et l’opposition d’une résistance aux forces de l’ordre), ainsi que certaines actions du répertoire démonstratif (grève de la faim et pratique de jeûnes et de prières) qui sont celles qui rencontrent les taux de non-réponses les plus élevés.
110 Agrikoliansky É., Gobille B., « Des élites transnationales ? », op. cit.
111 Principalement le GLAD, espace de « globalisation des luttes et des actions de désobéissance ».
112 39 % des manifestations dans lesquelles sont impliqués les agriculteurs ou qui portent les revendications des agriculteurs sont violentes, 19 % pour celles qui concernent les « salariés d’entreprises en difficulté » (aciéries, mines, chantiers navals, etc.), 14 % pour celles qui concernent les lycéens et les étudiants, 5 % pour les celles des écologistes. Fillieule O., Stratégies de la rue, op. cit., p. 146-153.
113 Nieburg H. L., Political violence. The behavioral process, St Martin’s Press, New York, 1969, p. 13.
114 Zimmermann E., Political Violences, Crises and Revolutions, Theories and Research, Schenkman, Cambridge, 1983, p. 8. Braud P., « La violence politique : repères et problèmes », Cultures & Conflits, no 9-10, 1993. Fillieule O., Stratégies de la rue, p. 97. À propos de la définition de la violence politique, voir l’introduction de l’ouvrage d’Isabelle Sommier sur le « deuil de la violence politique » en France et en Italie. Elle y revient sur la pertinence des critères utilisés pour définir le concept de « violence politique » : la cible visée par les individus, l’intentionnalité stratégique de l’acte et les effets politiques de la violence (Sommier I., La violence politique et son deuil. L’après 68 en France et en Italie, PUR, Rennes, 1998, p. 14-17). On peut également se référer à son article sur la dialectique violence physique/violences symboliques qui aborde les différentes acceptions du concept de « violence symbolique » (Sommier I., « La dialectique violence physique-violences symboliques. L’exemple de la violence ouvrière dans les années 68 », in CURAPP, La gouvernabilité, PUF, Paris, 1996).
115 Les « actions Castor » sont dirigées contre les transports de déchets radioactifs.
116 La distinction entre violence contre les biens et violences contre les personnes n’a pas été suggérée à l’ensemble des militants. Il est par conséquent possible que d’autres militants ne se soient pas prononcés spontanément dans le sens d’une tolérance pour la violence contre les personnes, alors que telle est leur position.
117 Ce militant fait allusion à la répression des manifestations ouvrières de janvier-février 2003.
118 Philippe Braud a montré la force symbolique de la distinction violence/coercition, ou encore violence/force, qui dramatise d’un côté la violence militante et euphémise de l’autre la violence policière. Cette distinction creuse selon l’auteur « un fossé de légitimité entre l’usage institutionnalisé de la contrainte matérielle au service de l’ordre politique et les usages protestataires ou contestataires » (Braud P., « La violence politique : repères et problèmes », Cultures & Conflits, no 9-10, 1993).
119 Concernant les discours des militants d’extrême gauche autour de l’usage de la violence et leur légitimation (ou de l’absence de légitimation) du recours à la violence politique, voir l’ouvrage d’Isabelle Sommier sur les militants français et italiens à la fin des années 1960 et dans les années 1970, et plus particulièrement le chapitre « Dire la violence » (Sommier I., La violence politique et son deuil, op. cit., p. 53-65). Nous retrouvons dans les propos qu’elle analyse des schèmes identiques à ceux qui guident le discours des dix-huit jeunes militants que nous avons interviewés : la logique de retour de la violence à son origine pour justifier les actes de violence politique (p. 55), le souci émanant des militants trotskistes (SPEB/Linksruck) de « ramener la classe ouvrière à sa mission historique » (p. 18) en s’opposant aux stratégies réformistes, etc.
120 Au sujet de ce concept qui reste discutable en raison de la pluralité de cultures et de subcultures cohabitant au sein d’une même nation, voir le chapitre consacré à la socialisation politique dans l’ouvrage éponyme de Jacques Lagroye et alii (Lagroye J., François B., Sawicki F., Sociologie politique, Presses de Science Po et Dalloz, Paris, 2006, p. 411-417). « Culture politique » peut être entendu comme « le produit d’un mécanisme de régulation des comportements politiques qui inculque aux individus des attitudes fondamentales forgées par l’histoire, et les conduit à partager, au-delà de leurs différences d’opinions politiques, des croyances communes sur la meilleure forme d’organisation sociale et de gouvernement » (Lagroye J., François B., Sawicki F., Sociologie politique, op. cit., p. 417).
121 « Violence symbolique » est compris ici au sens de Pierre Bourdieu (Bourdieu P., Réponses, Éditions du Seuil, Paris, 1992, p. 116), « violence structurelle » au sens de Joan Galtung (Galtung J., « A structural theory of aggression », inFeierabend I. K., Feierabend R. L., Gurr T. R. (dir.), Anger, violence and politics. Theories and research, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1972, p. 85 ; Braud P., « La violence politique : repères et problèmes », Cultures & Conflits, no 9-10, 1993), par opposition à la violence personnelle et directe. Le concept de « violence structurelle » correspond dans ces grands traits au concept de frustration relative de Ted Gurr.
122 Gamson W. A., The strategy of social protest, The Dorsey Press, Homewood, 1975, p. 140-141.
123 On peut se reporter à ce sujet sur les textes de la militante altermondialiste états-unienne Starhawk qui décrivent l’application de ce principe, notamment lors du contre-sommet de Québec (Starhawk, Femmes, magie et politique, Les Empêcheurs de Penser en Rond, Paris, 2003).
124 Bourdieu P., « La représentation politique », op. cit., p. 7.
125 Bourdieu P., Méditations pascaliennes, Le Seuil, Paris, 1997, p. 122.
126 Champagne P., « La manifestation », op. cit., p. 24.
127 Neveu E., « Médias, mouvements sociaux, espaces publics », op. cit., p. 25.
128 Faucher F., Les habits verts de la politique, Presses de sciences po, Paris, 1999, p. 264. Goffman E., La mise en scène de la vie quotidienne, Éditions de Minuit, Paris, 1973, p. 238
129 Braud P., « Introduction », inBraud P. (dir.), La violence politique dans les démocraties européennes occidentales, Cultures & Conflits, no 9, L’Harmattan, Paris, 1993, p. 20-22.
130 Le contre-sommet de Nice s’est tenu en décembre 2000.
131 Entretien mené dans le cadre d’une enquête du GRAAL.
132 Popitz H., Phänomene der Macht, Mohr/Siebeck, Tübingen, 1986.
133 Bereswill M., « Männlichkeit und Gewalt. Empirische Einsichten und theoretische Reflexionen über Gewalt zwischen Männer und Frauen », Feministische Studien, 24e année, cahier no 2, novembre 2006.
134 Kersten J., von Wolffersdorff-Ehlert C., Jugendstrafe: Innenansichten aus dem Knast, Fischer, Frankfurt am Main, 1980. Toch H., « Hypermasculinity and prison violence », inBowker L. H. (dir.), Masculinities and Violence, Thousand Oaks, CA, 1998. Bereswill M., « Männlichkeit und Gewalt », ibid.
135 Meuser M., « Gewalt als Modus von Distinktion und Vergemeinschaftung. Zur ordnungsbildenden Funktion männlicher Gewalt », inLamnek S., Boatca M. (dir.), Geschlecht, Gewalt, Gesellschaft, Leske + Budrich, Opladen, 2003. Smaus G., « Geschlechteridentität als kontextabhängige Variable », inLöschper G., Smaus G. (dir.), Patriarchat und Kriminologie, Kriminologisches Journal, 7e cahier, Weinheim, 1999.
136 Patouillard V., « Une colère politique. L’usage du corps dans une situation exceptionnelle : le zap d’Act Up-Paris », Sociétés contemporaines, no 31, 1998.
137 Ces comportements rappellent au passage la description que Philippe Juhem a fait de jeunes gens en banlieues. Il dépeint une formation sociale fondée sur l’honneur et la virilité et où l’économie symbolique de l’attribution du prestige passe par des bagarres, des frictions avec la police, etc. (Juhem P., « “Civiliser” la banlieue. Logiques et conditions d’efficacité des dispositifs étatiques de régulation de la violence dans les quartiers populaire », Revue française de science politique, volume 50, no 1, 2000, p. 53-72). Isabelle Sommier a par ailleurs étudié la virilité des actions militantes ouvrières, au travers du cas des militants « cégétistes » (Sommier I., « Virilité et culture ouvrière : pour une lecture des actions spectaculaires de la CGT », Cultures & Conflits, no 9-10, 1993).
138 Memmi D., « Le Corps protestataire aujourd’hui : une économie de la menace et de la présence », Sociétés Contemporaines, no 31, 1998, p. 92.
139 Le zap est un mode d’action utilisé par Act Up qui se veut non-violent. Les zap utilisent des outils que sont les pancartes, une corne de brume et/ou des sifflets, et éventuellement des « ballons de sang ». Ils utilisent aussi la colère des militants qui crient et scandent des slogans à l’attention d’un ennemi identifié. Les militants désignent en effet une cible qui est interpelée verbalement et montrée du doigt. Lorsque les forces de police approchent, les militants procèdent alors à un die-in, c’est-à-dire qu’ils s’allongent à même le sol, et se laissent évacuer et porter par les policiers (Patouillard V., « Une colère politique. L’usage du corps dans une situation exceptionnelle : le zap d’Act Up-Paris », Sociétés contemporaines, no 31, 1998, p. 15-35).
140 Patouillard V., « Une colère politique », p. 32-33. Les coupures dans cet extrait de l’entretien sont de notre fait.
141 Soutrenon E., « Le corps manifestant : entre expression et représentation », Sociétés contemporaines, no 31, juillet 1998.
142 Tilly C., La France conteste, Fayard, Paris, 1986.
143 Fillieule O., Stratégies de la rue, op. cit.
144 Braud P., « La violence politique : repères et problèmes », op. cit.
145 Memmi D., « Le Corps protestataire aujourd’hui », op. cit., p. 90.
146 Becker H., Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Métailié, Paris, 1985.
147 Siméant J., « La violence d’un répertoire : les sans-papiers en grève de la faim », Cultures & Conflits, no 9-10, 1993.
148 Haarhoff H., « Zahlenkrieg um die Verletzten », die taz, 7 juin 2007.
149 Schmitt C., La notion de politique, Flammarion, Paris, 1992 (1re édition 1932), p. 69.
150 Braud P., « La violence politique », op. cit.
151 Neveu E., Philippe O., « La politisation pratique », Appel à communications, IXe Congrès de l’Association Française de Science Politique, Toulouse, 2007.
152 Dakhli L., « Florence. Nos idées les plus folles », L’Humanité, 27 novembre 2002.
153 Parmi les militants jugeant l’usage de la violence approprié pour faire passer les idées d’ATTAC, 63,1 % ont l’intention de participer à un contre-sommet et 18,5 % y sont déjà allés. Parmi ceux qui jugent ce moyen inapproprié, 51,8 % ont l’intention de se rendre à un contre-sommet et 15,4 % y sont déjà allés. Pourcentages calculés parmi les 62,6 % de réponses valides.
154 Autres raisons citées par les militants expliquant leur refus de se rendre à un contre-sommet : se sent trop âgé (8,8 %), préfère d’autres modes de militantisme (2,4 %), a peur de la foule ou n’aime pas les rassemblements (1,6 %), ne veut pas dépendre du calendrier des dirigeants (0,8 %), autre réponse (8 %). Le pourcentage a été ramené de 130,2 % (pourcentage des cas) à 100 % (pourcentage des réponses). Seuls 20,3 % des militants d’ATTAC ayant participé aux journées d’été d’Arles et de Marbourg (2002) ont répondu à cette question.
155 Faucher F., Les habits verts de la politique, p. 264.
156 Bourdieu P., « La représentation politique », p. 15.
157 Memmi D., « Le Corps protestataire aujourd’hui », op. cit., p. 89. Dominique Memmi a répertorié les approches des études portant sur la violence dans les mouvements protestataires. Selon elle, la majorité d’entre elles l’abordent sous le signe de son déclin, de son abandon ou de l’autocontrôle des militants dans des situations de tension (ibid., p. 89), des modalités de son contrôle par les forces policières. Autre approche de la violence dans ces publications, celle de son utilisation spectaculaire. Dominique Memmi cite notamment les exemples suivant : Patrick Champagne et son étude portant sur les manifestations (Champagne P., « La manifestation. La production de l’événement politique », Actes de la recherche en sciences sociales, no 52-53, 1984) ; Isabelle Sommier qui s’est penchée sur les mouvements ouvriers de 1968 (Sommier I., « La dialectique violence physique-violences symboliques. L’exemple de la violence ouvrière dans les années 68 », in CURAPP, La gouvernabilité, PUF, Paris, 1996) ; Olivier Fillieule qui a étudié l’émergence de la violence dans les manifestations de rue (Fillieule O., « L’émergence de la violence dans la manifestation de rue. Éléments pour une analyse étiologique », Cultures & Conflits, no 7-8, 1993).
158 Favre P., « Nature et statut de la violence dans les manifestations contemporaines », Les Cahiers de la sécurité intérieure, no 1, 1990.
159 Plusieurs points distinguent la définition de ces deux auteurs. Notamment la question de la définition de ce que l’on retient de ce qu’est une « manifestation violente » : est-ce une manifestation pendant laquelle seuls les militants ont recours à la violence ou la violence des forces de l’ordre peut-elle faire entrer un événement protestataire dans la catégorie des manifestations violentes ? La définition des actes violents entraîne elle aussi des classifications différenciées, le spectre des actes pouvant être considérés comme violents étant très large (pression exercée sur une personne, dégradation de biens, coups portés contre un individu, utilisation d’engins explosifs, etc.).
160 Fillieule O., Stratégies de la rue, op. cit.Koopmans R., « Appendix. The newspaper data », inKriesi H., Koopmans R., Duyvendak J. W., Giugni M. G., New social movements in Western Europe - A comparative analysis, University of Minnesota Press, Minneapolis, 1995.
161 Haines H. H., « Black radicalization and the funding of civil rights: 1957-1970 », Social Problems, volume 32, no 1, octobre 1984. « Radical flank effects » est traduit par « effets de bords radicaux » (Anne Revillard). « The radicals can provide a militant foil against which moderate strategies and demands are redefined and normalized - in other words treated as “reasonable”. Or, the radicals can create crises which are resolved to the moderates’advantage. » (ibid., p. 32).
162 Trautmann F., « Internet au service de la démocratie ? Le cas d’ATTAC… », Les Cahiers du CEVIPOF, no 30, octobre 2001. Tarde G., L’opinion et la foule, Alcan, Paris, 1910.
163 Trautmann F., « Internet au service de la démocratie ? », op. cit.Moscovici S., L’âge des foules, Éditions Complexes, Bruxelles, 1991.
164 Philippe Mangeot a été président d’Act Up en France.
165 Neveu E., « Médias, mouvements sociaux, espaces publics », op. cit.
166 Concernant les pratiques de la police en RDA, voir le dossier de la revue Genèses consacré aux archives de l’Est (Bensussan A., Dakowska D., Beaupré N. (dir.), « Archives de l’Est », dossier thématique de la revue Genèses, no 52, 2003).
167 La police a fait part d’un bilan de 433 policiers blessés, dont 30 grièvement. L’annonce de 30 policiers blessés grièvement, a été revue à la baisse trois jours plus tard au profit de 2 policiers ayant été réellement hospitalisés (Haarhoff H., « Zahlenkrieg um die Verletzten », die taz, 7 juin 2007). La règle en Allemagne veut que seules les victimes d’un accident ayant été hospitalisées soient considérées comme des « blessés graves » (Ibid.).
168 Fillieule O., Stratégies de la rue, op. cit., p. 122.
169 Favre P., « Nature et statut de la violence dans les manifestations contemporaines », Les Cahiers de la sécurité intérieure, no 1, 1990, p. 153.
170 Fillieule O., op. cit.Favre P., « La manifestation entre droit et politique », Cahiers du CURAPP, Amiens, 1993.
171 Collovald A., Gaïti B., « Des causes qui parlent », Politix, no 16, 1991.
172 Neveu E., « Médias, mouvements sociaux, espaces publics », op. cit., p. 40.
173 Olivier Filleule a ainsi montré que 60 % des manifestations en France mobilisent entre 50 et 100 personnes et 30 % moins de 50 personnes (à Paris, Nantes et Marseille), selon les chiffres de la préfecture (Fillieule O., Stratégies de la rue. Les manifestations en France, op. cit., p. 94).
174 Agrikoliansky É., « Altermondialisation : permanence et novation des formes d’engagement », entretien mené par Jossin A. et Petitjean O., EcoRev’, automne 2004.
175 Sinigaglia J., « La fin et les moyens », Le Portique, Cahier 3, 2005.
176 Champagne P., « La manifestation. La production de l’événement politique », op. cit. p. 31.
177 Braud P., « La violence politique : repères et problèmes », op. cit.
178 Champagne P., « La manifestation. La production de l’événement politique », op. cit., p. 24. Memmi D., « La dimension corporelle de l’activité sociale », op. cit.
179 Memmi D., « Le Corps protestataire aujourd’hui : une économie de la menace et de la présence », Sociétés Contemporaines, no 31, 1998, p. 99.
180 À partir de l’étude des militants d’Act Up, Victoire Patouillard appelle stratégies de « rupture de ton » les ruptures des « codes gestuels socialement requis dans une interaction, rupture qui apparaît d’autant plus forte qu’elle se déroule dans un espace public ou offert à la médiatisation ». Elle cite les exemples suivants : couper la parole, crier, hurler, scander, insulter, siffler, montrer du doigt, frapper du poing sur la table, rester debout dans une assemblée assise, former un huis-clos, s’avancer rapidement vers quelqu’un, s’allonger sur le sol, sur une table, menotter son corps à une grille (Patouillard V., « Une colère politique », op. cit., p. 19).
181 Erik Neveu développe ce concept à partir notamment des travaux de Patrick Champagne et de Dominique Marchetti. Il précise que ce lien ne saurait se résumer à une relation duale, puisque qu’elle inclut plus largement un réseau d’interdépendances rassemblant autorités politiques, partis, forces de police, etc. (Neveu E., « Médias, mouvements sociaux, espaces publics », Réseaux, volume 17, no 98, 1999, p. 29-31 et 38).
182 Ibid., p. 30.
183 Champagne P., « La manifestation. La production de l’événement politique », op. cit., p. 28.
184 Luck S, « Le militantisme à Aarrg ! Paris : les limites d’un engagement pragmatique et distancié », mémoire de DEA en Sociologie politique, université de Paris 1, 2004, p. 42.
185 Patouillard V., « Une colère politique. L’usage du corps dans une situation exceptionnelle : le zap d’Act Up-Paris », Sociétés contemporaines, no 31, 1998, p. 18-19.
186 Victoire Patouillard rapporte l’exemple de l’échec similaire d’un zap d’Act Up au sein d’une réception : les militants de la lutte contre le SIDA déposent des cendres sur un buffet et procèdent à un die-in, les invités continuent pourtant à boire leurs coupes de champagne en portant un regard amusé sur les corps gisant à terre (Patouillard V., « Une colère politique », op. cit., p. 21).
187 Extrait du compte-rendu de la Réunion VAMOS-G8 illégal du jeudi 26 juin 2003.
188 Soutrenon E., « Le corps manifestant : entre expression et représentation », op. cit., p. 49.
189 La manifestation du 1er juin a eu davantage pour fonction d’affirmer l’unité du mouvement altermondialiste : unité politique (entre les différents courants représentés) et unité au-delà des frontières (par le biais du trajet qui a relié la France et la Suisse).
190 Commission Opérationnelle des Noctambules Topographes pour des Rassemblements Extraordinaires.
191 L’encerclement symbolique d’Évian et du G8 a été organisé le 31 mai 2003 par un collectif vaudois à l’appel de « Contre le G8 nous mettrons le feu au lac ».
192 Entretien réalisé par Lilian Mathieu dans le cadre d’une enquête menée par le GRAAL (Jossin A., Mathieu L., « Féminisme et altermondialisme », op. cit.).
193 Action for Solidarity, Environment, Equality and Diversity, groupe écologiste radical (au sens de « grassroot »).
194 Les militants du VIG ont baptisé ainsi leur service d’ordre.
195 Par des intergalactiques, Génération altermondialiste. Expériences et pratiques, Syllepse, Paris, 2003, p. 166.
196 « Les actions de blocages à Annemasse ont été et sont encore majoritairement décrites avec des termes militaires. De notre avis, la violence commence avec le langage. Une séparation entre contenu et expression est impossible. C’est pourquoi nous pensons qu’une action décrite en ces termes ne peut être qualifiée de non-violente. Est-ce que nous menons une guerre ou est-ce que nous essayons de construire un “autre monde” ? » Extrait de « Evian-Auswertung », rédigé par Alex Arteaga, Oliver Powalla, Cosima Santoro, Birgit Schneider et Sascha Wolff. Document interne d’ATTAC-Allemagne.
197 Saussure F. de, Cours de Linguistique générale, Payot, Paris, 1916. Bourdieu P., Boltanski L., « Le fétichisme de la langue », Actes de la recherche en sciences sociales, volume 1, no 4, 1975, p. 3.
198 Drapeau aux couleurs de l’arc en ciel, utilisé plus particulièrement en Italie par le mouvement pacifiste, notamment au sein du mouvement altermondialiste. Depuis le FSE de Florence, ce drapeau est porté par des militants altermondialistes d’autres pays.
199 Compte rendu disponible sur le site Indymedia. Indymedia est un média indépendant et militant qui publie en ligne des articles et des comptes rendus d’actions militantes.
200 Extrait de « Ils sont huit, nous étions des milliers ! », bilan signé « Des villageois-e-s intergalactiques », rédigé à Annemasse le 2 juin 2003, document interne à la LCR.
201 Entretien réalisé avec Lilian Mathieu dans le cadre d’une enquête menée par le GRAAL (Jossin A., Mathieu L., « Féminisme et altermondialisme », op. cit.).
202 Extrait de « Escapade savoyarde », rédigé par un militant d’AARRG !!. Texte publié sur le site internet du groupe. On observe ici un fort décalage entre les propos de ce militant d’AARRG !! et de ceux interrogés pour notre étude (qui montrent une forte distance par rapport à la prise de risque lors des contresommets). Ceci s’explique par la cération de groupes d’AARRG !! hors de Paris aux positions très éloignées de celles des fondateurs du réseau. Ces différends ont contribué à la dissolution d’AARRG !!-Paris.
203 Ion J., La fin des militants ?, L’Atelier, Paris, 1997, p. 54.
204 Le CLAG – Collectif Lyonnais Après Gênes – est un collectif qui s’est formé après le contre-sommet de Gênes dans le but de mobiliser pour les contre-sommets à suivre.
205 Entretien réalisé par Lilian Mathieu dans le cadre d’une enquête menée par le GRAAL (Jossin A., Mathieu L., « Féminisme et altermondialisme », op. cit.).
206 Maiba H, « Grassroots transnational social movement activism: the case of People’s Global Action », Sociological Focus, volume 38, no 1, février 2005. Habermann F., « Peoples Global Action: Für viele Welten! In pink, silber und bunt », inWalk H., Boehme N. (dir.), Globaler Widerstand. Internationale Netzwerke auf der Suche nach Alternativen im globalen Kapitalismus, Westfälisches Dampfboot, Münster, 2002. Wood L. J., « Bridging the chasms: the case of Peoples’Global Action », inBandy J., Smith Ja. (dir.), Coalitions across borders, Rowman & Littlefield Publishers, Oxford, 2005.
207 Staggenborg S., « Coalition work in the pro-choice-movement: organizational and environmental opportunities and obstacles », Social Problems, no 33/5, 1986.
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