5. Les militants et leur « altermondialisation »
p. 153-212
Texte intégral
1Les éléments qui ont éveillé l’intérêt des dix-huit jeunes militants pour l’altermondialisation sont relativement similaires, homogènes. Une fois la décision prise de rejoindre le mouvement altermondialiste, les militants ont eu à choisir une organisation dans laquelle militer. Nous verrons que plusieurs cas de figures se sont présentés, en fonction notamment de l’état de l’offre organisationnelle altermondialiste et de la disposition des militants à fonder eux-mêmes une structure militante. Si la plupart des cas que nous avons étudiés répondent à des démarches individuelles d’« adhésion » à l’altermondialisation, la décision des militants de SPEB et de Linksruck de rejoindre le mouvement altermondialiste a été collective et stratégique, et a été impulsée par le haut.
2Quelles sont les retombées de cet engagement sur la vie des dix-huit jeunes militants ? Quels sont les coûts/les rétributions accompagnant l’engagement militant dans une organisation altermondialiste ? Dans quelle mesure enfin la défense de cette cause exerce-t-elle une influence sur le quotidien et sur la vie personnelle de ces jeunes militants ?
L’offre organisationnelle altermondialiste en 2000-2001
3L’offre organisationnelle exclusivement altermondialiste (ou « antimondialisation ») en France et en Allemagne se résumait essentiellement à ATTAC avant 2000-2001. Les groupes de la scène autonome, anarchiste ou linksradikale, ainsi que certains groupes trotskistes ou écologistes, se rendaient aux contre-sommets dès septembre 2000, mais ne se réclamaient pas de l’« antimondialisation » entre ces événements. L’organisation ATTAC était, quant à elle, active entre les contre-sommets et fortement médiatisée – et ce, plus particulièrement à partir du contre-sommet de Gênes (2001) pour son pan allemand – ce qui a fortement contribué à la croissance de la courbe de ses adhérents. En guise d’illustration de l’effet de la couverture médiatique de l’organisation, nous pouvons citer les résultats de notre étude quantitative : parmi les militants d’ATTAC interrogés lors des journées d’été de 2002 à Arles et Marbourg, 55,2 %1 des participants avaient pris contact avec ATTAC après en avoir entendu parler dans les médias, contre seulement 26 % qui avaient appris son existence par le biais d’amis ou de leur famille.
ATTAC, les réseaux autonomes, les groupes affinitaires, l’event-hopping
4Aussi, parmi les jeunes militants de notre échantillon qualitatif, ceux qui se sont engagés dans le mouvement avant 2000 en France ou 2001 en Allemagne, ont eu le choix entre la participation aux contre-sommets en solitaire ou un engagement soit dans ATTAC, soit au sein d’organisations préexistantes à l’altermondialisation, soit encore au sein de la mouvance autonome. À part les militants d’INKaK à Hambourg, les jeunes de notre échantillon n’ont pas rejoint les rangs des autonomes, soit pour des raisons idéologiques, soit pour des raisons d’audience : les militants reprochent en effet aux cercles autonomes d’être déconnectés des autres courants politiques et marginalisés dans la société. Les jeunes militants ont donc, pour certains, préféré rejoindre ATTAC, suivant une démarche solitaire ou collective, comme nous l’avons vu. D’autres n’ont pas été satisfaits par cette offre organisationnelle pour des raisons que nous exposerons plus loin. Certains militants, majoritairement issus d’ATTAC, et partiellement insatisfaits par cette offre, ont ainsi créé un réseau de mobilisation pour le contre-sommet de Gênes en parallèle d’ATTAC. Il s’agit du réseau VAMOS, créé en 2001. D’autres ont préféré créer des groupes affinitaires ex nihilo, comme c’est le cas des militants d’INKaK (en 2000) et d’AARRG !! (en 2001).
5Le haut niveau d’éducation et le capital militant2 accumulé par ces militants leur permettent de mobiliser des compétences à ces fins. Certains travaux ont déjà montré comment des ressources agrégées au sein de structures préexistantes étaient utilisées pour nourrir un mouvement social émergent3. Mac Carthy et Zald postulent ainsi qu’aucun mouvement social n’est spontané et que les bases organisationnelles préexistantes fournissent le temps, les moyens, le savoir-faire, le carnet d’adresses, les réseaux nécessaires à l’émergence d’un mouvement. Les organisations que ces militants ont fréquenté avant de rejoindre le mouvement altermondialiste, tout comme le cursus universitaire suivi par ces derniers, laissent leur empreinte dans les groupes altermondialistes. On remarque ainsi dans VAMOS le bagage trotskiste de certains des meneurs du réseau4, mais aussi l’héritage écologiste des militants d’INKaK, ainsi que le capital culturel ou les connaissances techniques – en informatique ou en graphisme – des militants d’AARRG !!. Ces militants, qu’ils rejoignent une organisation ou qu’ils créent un groupe, savent en outre pour la plupart rédiger un tract, organiser une manifestation, recruter adhérents et militants, négocier avec les autres organisations et les forces publiques, communiquer avec les médias, élargir leur carnet d’adresses, etc.
6D’autres jeunes militants de l’échantillon qualitatif ont rejoint le mouvement après que ces groupes affinitaires ont été créés et ont donc eu à faire face à une plus grande offre militante5.
La diversité de la nébuleuse altermondialiste : une qualité appréciée
7Les frontières entre ces groupes exclusivement altermondialistes de Paris ne sont pas toujours très claires. Pourtant, les militants que nous avons interrogés attachent de l’importance aux différences qui existent entre ces groupes et expriment leurs préférences. Ils justifient leur choix d’une organisation plutôt que d’une autre en faisant référence à leur orientation idéologique – autonome, réformiste, écologiste, trotskiste, etc. – ou à leur préférence structurelle – structure organisationnelle pyramidale ou au contraire horizontale. Cette justification est parfois le fruit d’une reconstruction ex-post, particulièrement pour les militants ayant rencontré leur groupe dans leur lieu de socialisation (université pour la plupart). Dans un article reconstruisant les trajectoires des leaders du mouvement contre la loi Devaquet (1986), Sylvain Bourmeau, Dominique Cardon et Jean-Philippe Heurtin ont utilisé le cas de David Assouline pour relever l’importance du « hasard des rencontres » comme élément d’explication des appartenances militantes6. Il semble que pour la plupart des jeunes de notre échantillon, la présence effective des organisations dans leur environnement militant ait été un critère aussi important dans leur choix que l’orientation politique de ces groupes.
« Peut-être que, par hasard, j’aurais pu tomber sur la LCR à l’époque et rejoindre la LCR, mais je n’avais pas très confiance en eux, parce que je ne les voyais pas. Dans le Nord-Pas-de-Calais, on ne les connaît pas, on ne sait pas qui c’est. » Philippe (SPEB/ATTAC).
8L’importance des lieux quotidiens (le quartier, l’université, le lieu de travail, etc.) dans la structuration de l’engagement militant a d’ailleurs été analysée par les tenants du modèle du processus politique7. Pour le reste, nous notons que les profils militants et sociaux-culturels se ressemblent étrangement au sein des différents groupes, ce qui montre que le recrutement s’y fait également par « capillarité et affinité des habitus8 » : AARRG !!-Paris regroupe essentiellement des normaliens à capital social et international élevé, VAMOS et ATTAC des étudiants qui ont suivi un cursus universitaire et qui sont hautement diplômés. L’homogénéité est en partie due à l’attirance spontanée de militants qui présentent des caractéristiques sociales analogues. La proximité sociale des militants favorise en effet la sociabilité au sein des groupes. Le degré d’ouverture et la ressemblance des profils est également une sorte de protection pour ces petits groupes : le profil social ou politique homogène de ces militants influence fortement la sélection des nouveaux postulants à l’adhésion. Pour ces petites organisations qui n’ont pas la force structurale d’ATTAC, il n’est pas possible d’imposer leur marque aux nouveaux militants ou de s’accommoder de profils militants en décalage. L’absence de cadre fort signifie aussi l’absence de protection face à l’influence des minorités entrantes. En sus, l’absence d’adhésion formelle au sein de VAMOS, INKaK et AARRG !! retire aux militants fondateurs la possibilité d’user de la menace d’exclusion pour faire pression sur les militants gênants ou n’adoptant pas les codes du groupe9. La sélection est donc nécessaire à l’arrivée des nouveaux militants potentiels.
9À ces similarités socioculturelles s’ajoutent des trajectoires militantes semblables – les militants d’INKaK sont, par exemple, pour la plupart issus de mouvements écologistes radicaux –, mais aussi des appartenances socio-géographiques communes. Contrairement aux observations de Jacques Ion10, le rattachement à un « territoire » continue dans notre cas à jouer un rôle central dans les préférences organisationnelles des militants. Les dix-huit jeunes militants constituent ainsi leurs réseaux dans les lieux qu’ils fréquentent quotidiennement : La Sorbonne pour certains, la Freie Universität ou l’université Humboldt de Berlin pour d’autres, ou encore la Rote Flora (un théâtre occupé à Hambourg, haut lieu de la scène radicale et alternative), l’ENS, etc. Certains des militants choisissent des lieux occupés illégalement pour leurs réunions – les militants d’INKaK à Hambourg se retrouvent dans la Rote Flora, ceux d’ATTAC à Berlin au Mehringhof – et espèrent ainsi réaffirmer leur ancrage dans la scène du contre-pouvoir.
10Si, de l’extérieur, les frontières entre ces groupes paraissent parfois floues, cela n’empêche pas que la concurrence entre ces groupes tient une place centrale dans leur activité. Comme Pierre Bourdieu le faisait remarquer au sujet des partis politiques, ces groupes n’ont d’existence que relationnelle et « il serait vain d’essayer de définir ce qu’ils sont et ce qu’ils professent indépendamment de ce que sont et professent leurs concurrents au sein du même champ »11. Nous le verrons par la suite, lorsque les militants justifient de leur choix pour leur groupe altermondialiste, ils mettent en exergue l’altérité des autres groupes, par l’énumération de « distinguos, de nuances, de subtilités, de finesses qui passent inaperçus aux yeux des non-initiés et qui n’ont pas d’autre raison d’être que des relations de conflit ou de concurrence entre les différentes organisations12 ». Les militants savent très nettement distinguer les groupes altermondialistes les uns des autres, mais savent aussi apprécier l’hétérogénéité du mouvement altermondialiste. L’unité du mouvement n’est le souhait d’aucun des militants, à l’exception de ceux de SPEB et de Linksruck qui espèrent faire du mouvement altermondialiste une grande organisation anticapitaliste. Les autres militants interrogés disent préférer à l’unité du mouvement des « espaces de convergence » ou de « communication », des réseaux permettant d’élaborer des plateformes ponctuelles. L’unité ne doit en aucun cas laisser place à l’uniformité, puisque la diversité des militants reste pour eux la richesse du mouvement altermondialiste. Ils mettent en avant les apports de la pluralité et craignent l’effet « rouleau compresseur » des collectifs figés :
« Ça ne pourrait pas faire de représentation commune, puisque ce serait juste une sorte de regroupement de différentes opinions. Ça aboutirait plus à restructurer au niveau mondial une opposition bien déterminée, on se retrouverait dans un système politique assez classique où au bout d’un moment j’ai l’impression de, très vite, ne plus être pris en considération. Donc je préfère que ce soit une nébuleuse pas très claire, plutôt que ce soit quelque chose de très structuré où finalement très vite l’individu lambda ne compte plus vraiment, à part qu’il est un parmi des millions d’autres ! » Guillaume (AARRG !!).
11L’unité du mouvement altermondialiste n’a de pertinence que lors des mobilisations altermondialistes, dans son actualité événementielle. En dehors de ces moments, la nébuleuse altermondialiste s’avère plurielle, floue et parfois divisée. Certains théoriciens de l’altermondialisation ont parlé de « multitudes13 » pour la qualifier. Le terme « espaces d’agrégation » utilisé par le passé par Alberto Melucci pour rendre compte des réseaux de mouvements14 est lui aussi pertinent dans le cas du mouvement altermondialiste. Le « nous » altermondialiste est bien l’agrégation d’un grand nombre de « je » altermondialistes – les militants allant d’un contre-sommet à l’autre sans s’organiser entre ces mobilisations – ou de petits « nous » représentés par une multitude de groupes de tailles variables.
Rejoindre l’altermondialisation en solitaire
12Face à l’offre organisationnelle altermondialiste existante, quels ont pu être les critères de choix des dix-huit jeunes militants ? Les conditions de participation à un mouvement ou à une organisation décrites par Olivier Fillieule et Cécile Péchu – avoir de la sympathie pour le groupe, avoir été l’objet d’une information et d’une tentative de recrutement, être motivé à agir et ne pas rencontrer de fortes barrières à la participation15 – se vérifient sur le terrain.
13Comme les adhérents des partis verts français et britannique étudiés par Florence Faucher16, certains militants de notre échantillon ont renoncé à intégrer une organisation en raison de leur difficulté à l’approcher. C’est le cas d’Anja qui a préféré ATTAC au BUND, non pas pour des motivations politiques, mais en raison de la plus grande clarté de l’interface internet d’ATTAC qui lui a permis d’entrer rapidement en contact avec l’organisation.
14De même, le fait que les militants optent pour un engagement dans leur environnement le plus proche (ville, faculté, lieu de socialisation, etc.) s’explique en partie par la facilité d’approche de ces groupes qui se trouvent « à portée de main ». En outre, passée la phase de prise de contact, l’intégration des militants est, elle aussi, un moment décisif pour le maintien de l’engagement.
Créer sa niche dans l’altermondialisation
15Nous l’avons vu, parmi ces militants, certains n’étaient pas satisfaits de leurs expériences politiques passées, qu’ils soient passés par un parti politique (Lutte ouvrière, Les Verts, Die Grünen, le PDS, etc.), par un syndicat (Sud, UNEF, Verdi, etc.), par un mouvement politique (Linksruck, UEC) ou encore par une ONG. L’altermondialisation a donc répondu à cette déception et leur a offert un cadre d’engagement. Plusieurs militants parlent ainsi de façon très utilitariste de leur engagement altermondialiste :
« Je crois que ce terme “altermondialiste” a pour moi une fonction surtout stratégique, une identification stratégique. […] Oui, c’est ça, c’est un positionnement stratégique. [Pour faire partie du mouvement ?] Oui, exactement. Pour agir au sein du mouvement ou pour insuffler des changements en son sein. » Stefan (ATTAC).
16En tant que nébuleuse faiblement structurée, l’altermondialisation constitue un cadre non contraignant, a priori détaché des luttes pour le pouvoir et dépourvu de guerres intestines. C’est ce qui a plu aux militants qui ont créé ou rejoint INKaK et AARRG !!, à une partie de ceux qui ont créé ou rejoint les rangs de VAMOS et d’ATTAC. Pour ceux-là, l’altermondialisation est devenu leur engagement principal, pour certains même exclusif. Le choix de l’altermondialisation a correspondu à un désir de flou et de désordre : c’est le foisonnement de revendications, le « mouvement de mouvements » et l’absence d’idéologie dominante qui leur ont plu.
17D’autres militants parmi ceux que nous avons étudiés se satisfaisaient de l’organisation dans laquelle ils militaient (Grünen, LCR, ONG, etc.) et ont considéré la nébuleuse altermondialiste comme un « milieu » dans lequel agir (selon leur propre terminologie). L’altermondialisation leur a offert avant tout un agenda de mobilisation – c’est-à-dire des échéances rapprochées pour descendre dans la rue et redonner vie à leur organisation « d’origine » –, mais aussi un milieu dans lequel porter les revendications de ces organisations au contact d’autres militants, qu’il s’est agi de sensibiliser à leur cause. Ces militants multi-encartés se trouvent essentiellement dans ATTAC et VAMOS17. Parmi les militants d’ATTAC-Allemagne, certains militent ainsi parallèlement dans une ONG (Fian, Philippinenbüro, WEED), chez les Grünen ou ont leur carte dans un syndicat (Verdi). Les militants français sont davantage multi-encartés et cumulent souvent une carte dans un syndicat étudiant (UNEF, SNES), des collectifs (Palestine, précaires, contre la guerre), un parti (LCR), en plus de leur engagement dans ATTAC et/ou VAMOS.
18L’activité de ces militants multi-encartés dans l’altermondialisation légitime en retour la présence de leurs organisations d’origine et leur visibilité sur le terrain altermondialiste (banderoles, stands, vente de journaux militants) : c’est le cas de la LCR, mais aussi du parti Les Verts dans le VIG18 lors du contre-sommet d’Évian (2003), ou du PDS en Allemagne. La tentative de plusieurs partis de profiter du vent favorable de l’altermondialisation est en effet évidente à partir de 2001. Les responsables de partis ont par exemple pris soin de médiatiser leur participation aux Forum sociaux mondiaux. Cet affichage public était une sorte de gage de leur présence sur le terrain contestataire et dans le monde militant, démontrant leur volonté réelle de changer la société (ce que Philippe Juhem nomme « l’équivalent d’un brevet public de “radicalité” »)19, tout autant qu’un moyen de recruter des jeunes militants dans le vivier altermondialiste.
Les niches : créer des « petits nous » dans l’altermondialisation
19Au sein de l’altermondialisation, la quasi-totalité des militants que nous avons suivis (excepté ceux de SPEB et de Linksruck) se sont organisés en groupes de jeunes, même si le critère d’âge est peu mentionné, sauf sous la forme de choix d’actions et d’engagements spécifiques (actions coup-de-poing, langage spécifique, revendications radicales, identité visuelle, etc.). Ces « niches » au sein de l’altermondialisation, ces « petits nous20 » prennent dans certains cas la forme de groupes affinitaires géographiquement et socialement délimités : un noyau dur d’étudiants de l’École Normale Supérieure pour AARRG !!-Paris ; la Rote Flora pour INKaK. L’ouverture à de nouveaux militants n’était recherchée dans aucun de ces deux groupes ; les activistes s’accommodaient du faible effectif du groupe et de la proximité des militants. Guillaume raconte ainsi les obstacles auxquels il a dû faire face pour rejoindre AARRG !! :
« On a vraiment eu ce problème-là [de la fermeture du groupe] quand il y a eu des nouveaux […] qui étaient intéressés. Parce que je pense que c’est clair que ça a des limites physiques, parce que ça repose quand même sur une confiance, sur une connaissance des gens. C’est pour ça que, très vite, ça a un peu bloqué le fonctionnement quand il y a eu trop de gens, c’est qu’on n’avait pas vraiment de moyens… Ça avait tendance justement à se transformer en organisation où il fallait pouvoir donner une représentation d’AARRG !!, alors que personne ne pouvait vraiment le faire. […] Moi, je me souviens que, par exemple, quand je suis arrivé : au départ j’avais dû téléphoner deux-trois fois, les réunions en fait étaient à un autre endroit, on ne m’avait pas prévenu, donc des trucs comme ça. Donc j’avais dû m’accrocher finalement pour, peu à peu, pénétrer dans ce réseau-là. En même temps, c’est une manière d’autonomiser énormément l’action militante, le militantisme. Finalement, c’est à soi de se prendre en main et d’essayer de vraiment s’accrocher au wagon, plutôt que simplement prendre un billet et attendre qu’on soit tiré par la locomotive. » Guillaume (AARRG !!).
20Les jeunes militants d’ATTAC ont, eux aussi, créé des niches en France et en Allemagne : les groupes d’ATTAC-Campus, mais aussi d’autres sous-groupes thématiques qui ne rassemblent que des jeunes et dont l’approche est soit théorique et plus radicale, soit davantage tournée vers l’action (l’un n’excluant pas l’autre). Leur fonctionnement est proche des groupes affinitaires précités : la commission « précarité » d’ATTAC-Berlin a par exemple été fermée aux nouveaux arrivants d’ATTAC pendant plusieurs mois pour décider de son fonctionnement et de ses objectifs :
« [Le groupe thématique “précarité” ou “précarisation” ne dépend pas directement d’ATTAC ? Au même titre que les autres groupes thématiques ?] (Soupir, puis rire) Pfff… Si, quasiment, c’est presque le même statut, mais bon, pas exactement non plus… Ça a toujours été un groupe thématique… Ou plutôt un cercle de gens qui avaient un peu pris leurs distances par rapport à ATTAC. Le groupe n’était pas ouvert aux autres adhérents de l’organisation. […] L’idée était que nous restions entre nous. Ce qui n’était pas sans poser problème… Et puis voilà… Et puis, le contenu planait à un très haut niveau, ce qui excluait pas mal de monde : on discutait tout le temps de manière très académique… À propos de ce que signifie la précarisation… C’est pour ça que c’était un peu en décalage et ça a fini par perdre un peu sa raison d’être, et ça n’allait pas trop dans le cadre d’ATTAC. » Markus (ATTAC).
21Cette marginalisation volontaire au sein d’ATTAC permet aux jeunes que nous avons étudiés de gérer leur attitude critique par rapport à la direction de l’organisation (en France particulièrement) et aux positionnements de l’organisation. Elle leur permet également de répondre aux envies d’action et au niveau de radicalité réclamé par une partie des jeunes adhérents d’ATTAC ayant rejoint l’organisation à la suite d’un contre-sommet. Cette soupape de sûreté que représentent les niches au sein de l’organisation réduit le risque de défection de ces adhérents.
Choisir l’organisation-phare du mouvement : ATTAC
22Comme indiqué précédemment, le quasi-monopole d’ATTAC dans le catalogue militant des organisations altermondialistes dès l’émergence du mouvement explique, au moins en partie, l’affluence de militants vers cette organisation :
« Avant [le contre-sommet de] Québec, justement, ça m’intéressait l’altermondialisation et il n’y avait pas grand chose en magasin. Et puis voilà quoi. Je suis toujours à ATTAC par ailleurs, mais – pour te dire les choses – je pense que c’est limité, ce n’est quand même pas très activiste, ça ne correspond pas en tous les cas à certains profils. C’est pour ça qu’aussi je me suis investi dans VAMOS et tout ça. » Nicolas (VAMOS).
23Les jeunes militants qui ont rejoint cette organisation en France et en Allemagne ont apprécié l’autonomie des comités locaux d’ATTAC par rapport à la structure nationale, l’audience de l’organisation, la présence en sein de militants d’horizons politiques très divers, son approche pluraliste :
« J’ai pris conscience [avec ATTAC-Allemagne] de ce que pouvait signifier la démocratie. Et que le pluralisme peut insuffler énormément de force. C’était complètement nouveau pour moi après mon expérience dans Linksruck (rire). De la diversité des gens naît un engagement très spécial, très particulier, quelque chose de passionnant, parce que c’est un engagement imprévisible et plein de force en même temps. Ça m’a convaincu du bienfondé de la démocratie de base, du pluralisme, du fait qu’il faut se réunir en tout petits cercles, essayer d’inclure tout le monde dans les processus de décision, de prendre en compte la position du moindre individu pour arriver laborieusement à une décision… Ça, c’est l’aspect le plus important que j’ai retenu d’ATTAC, celui de la lenteur du travail politique et des processus. » Markus (ATTAC).
« Ce que j’ai beaucoup appris à ATTAC, c’est la démarche de militer avec des gens avec lesquels on n’est pas toujours d’accord sur beaucoup de choses. Donc composer avec d’autres, garantir le pluralisme, la diversité dans l’unité. Ça a sans doute eu des incidences sur ma façon de militer de façon plus calme, plus posée. […] À ATTAC, on ne change pas les choses comme on les change dans une organisation politique : donc il faut aussi du consensus, un travail un peu lent. » Jérémie (ATTAC).
24Si ces jeunes militants d’ATTAC ont trouvé à cette nouvelle organisation des qualités qu’ils n’avaient pas trouvées jusque-là au fil de leur parcours militant, la plupart d’entre eux regrettent qu’ATTAC n’investisse pas davantage d’énergie dans les actions protestataires altermondialistes et les mobilisations de terrain. Le grand écart générationnel qui existe au sein de l’organisation entraîne, en effet, un écart dans les attentes des militants. Les militants de moins de trente ans qui ont rejoint ATTAC suite à un contre-sommet ont une envie de mobilisation et d’action que ne partagent pas les militants de plus de cinquante ans qui représentent une part importante des effectifs d’ATTAC, comme nous le verrons plus loin.
25Au-delà de la différence d’âge qui caractérise les militants d’ATTAC, leur profil politique est lui aussi très dissemblable. Un des clivages qui les distingue est celui de l’appartenance ou non à un parti. Cette distanciation d’ATTAC par rapport aux partis est surtout importante pour les militants qui n’appartiennent à aucun parti politique et qui redoutent le phénomène de « récupération » :
« C’est exactement pour ça qu’ATTAC est devenue intéressant à mes yeux. C’est parce qu’ATTAC ne peut pas être élue, parce qu’ATTAC est une force de la société civile et pas une force politique élitaire, parce qu’ATTAC est large, parce qu’ATTAC est présente dans de nombreux secteurs de la population que d’autres partis (sic) ont abandonné. » Markus (ATTAC).
L’approche des militants trotskistes
26Pour les militants trotskistes, la relation entre ATTAC et les forces partisanes de gauche n’est pas forcément honnie. Elle est même souvent recherchée dans le but de créer un front large de la gauche. Elle relève d’une sorte de culture du réseau, qu’il s’agisse de relations personnelles informelles, de systèmes d’affinités fondés sur des intérêts communs, ou encore d’un « système stabilisé (voire institutionnalisé) d’interdépendance entre des organisations fondé sur la multipositionnalité des acteurs, la communauté d’habitus et l’homogénéité des ressources politiques21 ». Ainsi, retrouve-t-on dans les rangs d’ATTAC des militants trotskistes qui se distinguent par une multi-appartenance organisationnelle élevée. Ils interviennent ainsi dans le mouvement non pas en tant que simple individu, ou « simple je », mais bien en tant que « je » porteur d’un collectif. Les parcours politiques transversaux de ces militants répondent au désir d’être présent sur le terrain, et par conséquent dans les mouvements émergents. Cette prédisposition à être multi-encartés multipliant les chances de continuer à s’engager dans davantage d’organisations22.
27La multi-appartenance qui marque pour Isabelle Sommier la rupture par rapport à la fermeture et l’exclusivité des groupes militants des années 197023 est également observable à l’échelle microsociologique de notre étude. Si elle ne concerne que peu ou pas les militants d’AARRG !!24 et d’INKaK, elle est en revanche répandue au sein d’ATTAC, de VAMOS, de SPEB et de Linksruck.
28Le cas de Jérémie engagé dans ATTAC en France illustre bien ce phénomène d’entrelacs entre les organisations. Jérémie est ancien militant de Socialisme international et adhérent de la LCR. Son parcours militant est extrêmement riche et montre sa volonté d’être implanté dans des secteurs variés du paysage militant. Avant notre premier entretien, il avait été membre ou sympathisant de LO, Socialisme international, de la revue Socialisme et de Gauche !, de l’UNEF, l’UNEF-id et l’UNEF-re, des JRE, d’un comité de Sans-papiers, de l’ATMF, du Manifeste contre le Front national, du PS et des MJS, d’ATTAC, du Collectif Palestine interfac, de Stop précarité, de la LCR, du Comité Sorbonne contre la guerre. Lors du premier entretien, il cumulait ainsi six adhésions organisationnelles. Cette implantation multiple a essentiellement pour but de répandre l’idéologie socialiste-révolutionnaire ou trotskiste dans le plus grand nombre de milieux militants. Et c’est d’ailleurs l’implication de la LCR dans le mouvement altermondialiste qui lui a fait préférer ce parti à Lutte ouvrière ou au Parti socialiste dans lequel il était impliqué précédemment :
« [J’ai choisi la] LCR, parce que c’est la seule organisation de la gauche révolutionnaire qui a un avenir politique, parce qu’elle participe au mouvement altermondialiste, parce qu’elle a compris dès le début qu’il fallait s’impliquer dans ce mouvement. » Jérémie (ATTAC/LCR).
29C’est également la volonté des militants de SPEB et de Linksruck, dont la motivation première lors de leur entrée dans ATTAC a été de convaincre les autres militants de leur anticapitalisme latent et de transformer l’organisation en une nouvelle force politique de gauche, comme nous le verrons plus loin.
30Ce sont la relative nouveauté de l’organisation et la liberté d’action accordée à leurs militants par les organisations ATTAC en France et en Allemagne qui ont retenu l’attention de SPEB et Linksruck, mais aussi des jeunes militants qui ne voulaient en aucun cas suivre le modèle « étapiste » des organisations partisanes (modèle qui veut que les nouveaux entrants doivent militer en bas de l’échelle d’une organisation avant d’avoir accès aux postes de responsabilité). Cette liberté d’initiatives au sein d’ATTAC a entraîné un afflux important de militants vers l’organisation et donc un éventail large de niveaux de radicalité parmi ces militants.
VAMOS : branche technique pour l’organisation de mobilisations
31VAMOS, structure diffuse à mi-chemin entre le réseau et le groupe affinitaire, a été créé pour combler ce manque et jouer le rôle d’agence événementielle, de prestataire de services ou de branche technique pour ATTAC. C’est ce qui a plu aux militants qui ont rejoint ce réseau. Le réseau organise la mobilisation des militants altermondialistes vers les contre-sommets et rassemble certains militants des jeunes Verts, de la LCR, de squats, etc., ainsi que des individus atomisés. La création de VAMOS est caractéristique d’un phénomène observé par Jacques Ion qui veut que les réseaux ne soient plus des données préexistantes à l’engagement, mais qu’ils soient dépendants de la transitivité des individus entre divers groupements et de l’action des individus. La connexion entre organisations indépendantes se fait ainsi par le biais des sujets pluri-engagés25.
32VAMOS est donc « personnaliste », par opposition à communautaire26, c’est-à-dire que ce réseau repose sur l’autonomie personnelle des militants, est faiblement ancré territorialement et est caractérisé par un fort turn-over des participants27. Ce réseau ne devait théoriquement pas perdurer après le contre-sommet de Gênes, mais il s’est maintenu en raison des carences d’ATTAC-France. Les activités du réseau VAMOS sont ainsi essentiellement orientées vers l’action : organisation de contre-sommets, création d’une batucada colorée (orchestre samba de percussions), co-organisation d’actions coup de point et de manifestations. L’organisation du réseau est horizontale et rejette la hiérarchie de l’organisation ATTAC. Les militants de VAMOS n’ont pas la possibilité d’adhérer à leur groupe et les décisions sont prises au consensus.
33Le réseau VAMOS est une bonne illustration de la porosité qui existe entre les différents groupes altermondialistes en France. Le réseau se veut une plateforme de mobilisation pour les contre-sommets et regroupe, de ce fait, des militants issus de plusieurs groupes : les militants d’AARRG !! et de SPEB ont participé au réseau dans ses débuts, les militants parisiens d’ATTAC-Campus sont également nombreux à être actifs dans VAMOS. Le flou des frontières entre les groupes tient à la multi-appartenance des militants, comme en témoignent les propos d’un militant d’AARRG !! répondant à une question sur les relations entre AARRG !!, ATTAC et VAMOS :
« C’est assez compliqué, ça ! Il y a pas mal de gens [parmi les militants d’AARRG !!] qui, individuellement, sont à ATTAC ou étaient à ATTAC. Ensuite, je crois qu’il y avait des liens qui se faisaient par ce biais-là, tout simplement parce qu’à ATTAC, ils savaient que telle personne était à AARRG !!. Et que quand il y avait besoin de faire passer des messages et tout ça, ça passait par ces gens-là. Il n’y avait pas de dialogue d’institution à institution, parce que c’était un peu compliqué avec AARRG !!. » Guillaume (AARRG !!).
Les « in » et les « off » des FSE : le signe de la radicalité des militants
34Un moyen de mesurer le positionnement des militants altermondialistes au sein du mouvement est leur prise de position par rapport aux Forum sociaux européens. Lors du premier entretien avec les dix-huit jeunes militants de notre échantillon qualitatif, la plupart d’entre eux sont allés au Forum social européen de Florence (2002) et à celui de Paris-Saint-Denis (2003), certains se sont également rendus aux Forum sociaux mondiaux à Porto Alegre. Seuls les militants du groupe INKaK et un militant du groupe AARRG !! refusent cette forme de participation. Plusieurs d’entre eux expriment la peur de voir leur groupe ou les participants noyés par l’omniprésence et la suprématie d’ATTAC et des organisations trotskistes. Le reproche des militants de VAMOS, INKaK et AARRG !! et de certains militants d’ATTAC concerne la forme d’organisation des Forum sociaux, comme le montre l’exemple de Guillaume :
« J’ai l’impression d’aller à un meeting ou à un congrès, ce qui ne me plaît pas à la base. Donc même si ça se fait au Brésil ou en Italie, c’est juste le lieu qui change, mais ça ne change pas l’esprit. Je n’ai pas l’impression que ce soit là que se fasse la politique. Ou alors ça refait justement une certaine politique que je n’apprécie pas plus que ça. » Guillaume (AARRG !!).
35Parmi les militants qui se rendent aux Forum sociaux, plusieurs adoptent la même attitude critique par rapport à ces rassemblements et se tournent plus volontiers vers les off des FSE, c’est-à-dire vers les forums parallèles des Forum sociaux. Pourquoi les militants adoptent-ils une attitude critique par rapport aux Forum sociaux et pourquoi le mouvement altermondialiste n’arrive-t-il pas à réunir toutes ses composantes lors de ces rassemblements ? La dynamique de refus qui permet de créer une force centripète au sein des contre-sommets n’est pas présente dans les Forum sociaux, qui ont davantage pour but de donner à voir « qui on est » et « ce qu’on veut28 », ce qui met en exergue les différences entre courants altermondialistes. La dynamique de refus des contre-sommets facilite le dépassement des différends qui opposent les organisations très hétérogènes qui se revendiquent de l’altermondialisation. La nécessaire adhésion aux formes de participation du FSE ne laisse pas la même liberté aux militants que lors des contre-sommets, où un cadre d’autonomie est garanti aux participants qui peuvent, à loisir, organiser un forum de discussion, ou plutôt un blocage de routes, ou une action violente. Le principe plus ou moins sous-jacent aux contre-sommets étant le respect de la pluralité des tactiques des militants.
36Cette distanciation des structures et des modes de fonctionnement des FSE rappelle celle que les militants éprouvent par rapport aux structures politiques traditionnelles et partisanes. Le refus des formes traditionnelles qui s’implantent dans les grands-messes altermondialistes pousse justement certains des jeunes que nous avons étudiés à construire eux-mêmes leurs réseaux parallèles et à mettre en place d’autres formes de participation. Ainsi deux militants de VAMOS nous ont-ils expliqué les motivations de leur réseau à organiser un espace parallèle au FSE de Paris29 :
« Ça a été très naturel pour nous de nous intéresser au FSE [de Paris-Saint-Denis]. […] Le FSE, c’est pour nous un moment fort du mouvement, mais il y manque toute une dimension d’action. Donc on se sert du FSE pour avoir une audience à ce moment-là et, en même temps, on est en coopération avec le processus FSE dans le sens où on va essayer d’être complémentaires, en portant la question de l’action et les thématiques qui sont moins… voire pas abordées du tout, comme la désobéissance civile, par exemple. Ce qui est crucial pour nous, c’est cet espace qu’on met en place en parallèle du FSE. Il s’agit d’implanter le Réseau Intergalactique, surtout qu’on devrait le mettre en place avec le réseau No Vox et les réseaux Stop Précarité, ce qui nous permet de tisser à nouveau des liens. L’espoir qu’on a, c’est d’en faire un réseau fort au niveau européen. Mais même si on a des relais dans toute l’Europe, de la Turquie à la Suède, ça reste quand même essentiellement français. […] On va essayer de vivre les alternatives, l’autogestion, le refus du sexisme, des comportements patriarcaux, enfin tous les principes politiques. Enfin, ça rejoint l’espèce de critique constructive (rire) qu’on fait du FSE où on considère qu’une très-très grande place est faite à la conférence, pratiquement au cours magistral, et beaucoup moins à l’action et à la mise en pratique. […] Nos liens avec le FSE sont uniquement formels. On sera programmé au FSE, mais il n’y aura pas d’autres interactions. » Militant de VAMOS, co-organisateur du GLAD30.
« À Paris-Saint-Denis, on a fait le GLAD. C’était très important aussi pour nous. En gros, le mouvement il a deux jambes : il y a les contre-sommets, tous les moments où on va au contact de la mondialisation, c’est la partie anti-globalisation ; et l’autre partie, c’est la partie des Forum sociaux et c’est la partie plus construction des alternatives. Et là, on a participé pas mal au Forum social, on a réussi l’espace du GLAD qui, du coup, nous permettait nous aussi de rentrer dans l’altermondialisation, de ne pas laisser ça aux ONG et aux syndicats. […] Il faut être capable de créer de l’autonomie dans ces moments-là. Il y a eu le lien avec le mouvement antipub qu’il y a eu, on a fait des actions McDo, on a fait un truc sur les sans-papiers, on a occupé Air France. Donc on repère aussi des moments et on profite du rapport de force militant qui est favorable localement pour réaliser des choses. Sophie a fait une intervention, qu’on avait préparée ensemble, sur “À quoi sert le processus des Forum sociaux ?” dans la plénière sur le processus des Forum sociaux à Paris-Saint-Denis. [Tu étais à la fois dans le forum officiel et…] Oui, on était dedans-dehors. » Nicolas (VAMOS), co-organisateur du GLAD.
37Les organisateurs et les participants du off organisent à proximité du FSE officiel un espace militant offrant des cadres de rencontres alternatifs aux grandes plénières ou séminaires du FSE. En effet, la préférence de certains militants pour le off du FSE plutôt que pour le in est également fortement motivée par le refus de la forme magistrale des conférences et séminaires des Forum sociaux. Des actions coup-de-poing sont également organisées pendant le off, comme l’occupation de l’agence commerciale d’Air France sur les Champs Élysées à Paris en 2003 avec pour slogan « Contre l’Europe forteresse ».
38Si l’on exclut les militants qui ne peuvent se rendre aux Forum sociaux en raison de contraintes professionnelles, trois cas de figure coexistent : d’une part les militants participant aux FSE (le « in » dans le jargon militant) ; ceux refusant d’y participer et ne s’y rendant pas ou participant à l’espace alternatif organisé en marge (le « off »31) ; enfin ceux participant à la fois au in et au off. Parmi les militants d’ATTAC que nous avons interviewés, ces trois formes de participation sont représentées : in, off, et in & off. Ceci reflète non seulement le grand spectre de niveaux de radicalité des militants, mais également celui de leurs attentes en termes d’horizontalité de la structure dans laquelle ils militent.
Les groupes affinitaires : AARRG !!, INKaK et VAMOS
39Le manque d’action au sein d’ATTAC relevé par Nicolas de VAMOS (cf. supra) est, avec le manque de radicalité politique de l’organisation et la centralisation de la structure organisationnelle, ce qui est le plus critiqué par les militants qui ont décidé de ne pas rejoindre ATTAC et de créer une nouvelle structure militante altermondialiste. L’étroite collaboration d’ATTAC avec la presse est perçue en outre par certains militants d’INKaK comme une compromission et comme la preuve qu’ATTAC revoit sa radicalité politique à la baisse pour satisfaire les attentes des médias. Les militants de ce groupe d’Hambourg ont d’ailleurs rédigé un long recueil de critique des groupes Linksruck et ATTAC32. Le temps et l’énergie investis par les militants d’INKaK pour rédiger ce pamphlet contre deux organisations évoluant dans leur champ d’action montrent l’importance de la construction identitaire des groupes et de leur positionnement par rapport aux autres groupes altermondialistes. En sus, cela témoigne une fois encore de la grande concurrence, et du jeu des oppositions et des distinctions qui régissent le champ de l’altermondialisation33.
L’attachement à l’horizontalité du fonctionnement interne
40Les effectifs militants importants d’ATTAC n’échappent pas non plus aux condamnations des militants d’INKaK et d’AARRG !! qui voient là encore un facteur augmentant les risques de dilution des revendications altermondialistes, mais également le risque de voir émerger une hiérarchie omnipotente au sein de l’organisation. L’organisation des groupes INKaK, AARRG !! et VAMOS s’est ainsi bâtie sur un modèle opposé à la fois aux structures partisanes et à ATTAC. La structure des trois groupes se veut horizontale, aucun militant d’INKaK, d’AARRG !! ou de VAMOS n’occupe officiellement de fonction au sein de leur groupe. Les décisions sont prises au consensus, le vote étant compris comme une exclusion du débat, de la discussion, de la délibération et comme l’absence de recherche de consensus. Le vote ayant un « caractère définitif » et excluant les minorités34, il laisse à leurs yeux une partie de l’audience insatisfaite.
41Ce refus de délégation que l’on retrouve dans VAMOS, AARRG !! et INKaK n’est pas nouveau et a été essentiellement décrit pour le cas d’une partie des associations de la fin des années 1960 et des années 1970 rassemblant essentiellement des individus des classes moyennes, qui ont fortement critiqué la « démocratie de la délégation au nom de la “participation” et de la démocratie directe35 ».
42Ce refus de la délégation est un trait caractéristique des « dominants », selon Pierre Bourdieu, qui énonce que la démocratie directe ne résiste cependant pas à la différenciation économique et sociale. Ainsi, la distribution inégale du temps libre qui résulte de cette différenciation entraîne « la concentration des charges administratives au profit de ceux qui disposent du temps nécessaire pour remplir les fonctions gratuitement ou contre une faible rémunération36 ». Les propos des militants interrogés abondent en ce sens :
« Je déteste être exclue du processus de décision. Enfin, ce n’est pas une question de pouvoir, hein ! Mais j’ai l’impression qu’on me donne du prémâché. Donc voilà, qu’il y a des gens qui ont pensé pour moi et que je vais juste faire les choses… Il y a des gens qui adorent ça, parce que, comme ils n’ont pas trop le temps ou ils n’ont pas envie de mettre plein de temps dedans, et ben, ils trouvent ça super, parce qu’ils participent au mouvement, ils font des choses, mais ils ne se prennent pas la tête à changer telle virgule dans tel papier ou à passer 10000 coups de fil avec toutes les orgas du mouvement social pour vérifier que tout le monde est d’accord, que tout le monde va être là, comment organiser un truc, etc. Mais moi, je suis hyper réticente à ce que l’on me donne quelque chose que je n’ai pas moi-même discuté. C’est en ça, que ça devient intenable pour une vie professionnelle à côté, si ta vie professionnelle n’est pas liée à ça en fait. Voilà. Ça prend énormément de temps. » Sophie (VAMOS/ATTAC).
43Ces propos montrent également à quel point la capacité qu’ont ces militants privilégiés à produire eux-mêmes leurs actes et leurs opinions politiques entraîne chez eux des réticences à intégrer des organisations à fort effectif, dans lesquelles ils seraient dépendants des décisions de la hiérarchie :
« Moi, personnellement, ATTAC, j’aurais pu être séduit au départ, mais j’ai jamais bien-bien compris finalement ce qu’ils faisaient… Je trouvais que ça discutait encore beaucoup et qu’il n’y avait pas vraiment d’actions. Ce qui me gênait, c’était aussi l’aspect de masse, simplement, qui très vite m’a fait un peu peur. Il y avait déjà 30 000 personnes et, voilà, je ne voyais pas très bien ce que j’allais faire vraiment là-bas ! Si ce n’est être la 30 001e personne. [Et qu’est-ce qui t’a plu dans l’organisation d’AARRG !! ?] Le fait qu’il n’y ait pas d’adhésion du tout – ça s’éloignait de plus en plus d’un parti politique. Ça me semblait être beaucoup plus une manière beaucoup plus individuelle finalement de faire de la politique plutôt que de se ranger dans un parti et de suivre une hiérarchie, des choses comme ça. » Guillaume (AARRG !!).
L’impossibilité d’adhérer à un « nous » collectif
44C’est la participation au groupe qui signe l’appartenance des militants au groupe et non un timbre d’adhésion collé sur une carte. Cette manière de définir sa relation au groupe et de refuser l’adhésion des membres renseigne sur une forme d’indépendance que les militants souhaitent à première vue conserver par rapport à leur organisation. L’impossibilité d’adhérer au groupe, cela fait du « nous » collectif d’INKaK une agrégation de « je », un « je(u) pluriel37 ». L’absence d’adhésion signifie aussi que les militants ne sont pas considérés comme des atomes anonymes38, des éléments lambda, anonymes, interchangeables de l’organisation, mais bien comme des entités singulières et toutes originales. Une des illustrations de ce phénomène est l’utilisation des compétences personnelles et professionnelles des militants, particulièrement au sein d’AARRG !! où la créativité des individus est mise à profit (graphisme, informatique, compétences linguistiques, etc.). Les militants refusent par ailleurs d’afficher à l’extérieur une unité organisationnelle.
45Si donc, conformément aux analyses de Jacques Ion39, la formalisation du « nous » du groupement semble avoir décliné au profit d’une plus grande autonomie du « je » des militants, ces derniers restent, dans notre cas, extrêmement attachés à leur groupe. Leur engagement en saurait par conséquent se résumer à un « engagement post-it », détachable, mobile et résiliable à tout moment40.
46Dans notre cas et en ce qui concerne les groupes affinitaires INKaK et AARRG !!, c’est la sociabilité et l’amitié forte qui s’est instaurée dans ces petites structures qui semblent jouer le rôle de l’adhésif retenant les militants. Il ne semble pas que l’absence de carte d’adhésion entraîne forcément la mobilité des militants, c’est-à-dire leur plus grande propension à quitter le groupe au moindre désaccord.
47Concernant le sentiment du « nous », les groupes INKaK et AARRG !! ne veulent pas communiquer selon les codes traditionnels en parlant au nom de leur groupe, ou en affichant des badges ou drapeaux estampillés au nom du groupe. Charlotte (AARRG !!) refuse ainsi pendant les entretiens de parler au nom de son groupe et répond inlassablement « AARRG !! ne pense pas ». Ce qui n’est pas sans rappeler les premiers mots du texte fondateur d’AARRG !! : « AARRG !! n’existe pas41 ». Ceci n’empêche pas les militants d’INKaK et d’AARRG !! d’exprimer à leur manière ce « nous », ce sentiment identitaire qui demeure très fort. C’est davantage sous la forme de codes visuels (un déguisement, un style de maquette de tracts, un style d’actions) ou à travers un profil social de militants qu’AARRG !! définit par exemple son identité collective. Ainsi, les militants d’AARRG !! arborent-ils des déguisements roses du Pink & Silver Block lors du contre-sommet d’Évian ou des uniformes blancs lors de certaines actions coup-de-poing. Leurs actions détournent les codes du militantisme traditionnel et veulent insuffler « plus de libertés, plus de réenchantement du monde, plus de spiritualité » dans la société (Charlotte, AARRG !!). Leur approche militante rappelle celle de la militante états-unienne et théoricienne de l’altermondialiste Starhawk42 qui suggère de réenchanter la politique grâce à la magie, pour l’exorciser de la politique triste et technicienne. Les militants d’AARRG !! n’adoptent pas toutefois la dimension ésotérique de Starhawk, mais ont cette même approche joyeuse de la politique et du militantisme.
48Quant à INKaK, c’est plutôt à travers des codes, un langage et une ligne de pensée que les militants délimitent leur territoire et signent leur présence dans le champ concurrentiel du militantisme. La preuve de l’existence de ces codes identitaires se trouve dans les propos des détracteurs de la scène linksradikale dans laquelle INKaK évolue. Comme c’est le cas de Markus (ATTAC) :
« Les Linksradikale militent surtout pour eux-mêmes et pour leur autonomie […], et ils n’arrivent plus vraiment à sortir de leurs petits nids… Et ils élaborent un langage qui n’est plus compréhensible au sein d’un environnement comme celui d’ATTAC… Et ça c’est un gros problème ! […] Ils utilisent par exemple un vocabulaire tellement radical que ça effraie pas mal de gens. Ou encore, ils ont recours dans leurs propres propos à un tel niveau d’abstraction que ça n’est plus intelligible pour des gens qui n’ont pas passé cinq années à ne faire que de la théorie politique. Et puis, plein d’autres choses encore… se disputer des journées entières sur le terme à utiliser pour parler du concept d’“hégémonie”… Et “Holloway a dit” par-ci, “Gramsci a dit” par-là, “Marx a dit”, “Foucault a dit”… » Markus (ATTAC).
Activités d’AARRG !! et d’INKaK : théorie versus action
Les militants d’AARRG !! et d’INKaK ont choisi de créer ou de rejoindre des groupes ancrés dans leur environnement social : l’École Normale Supérieure de Fontenay pour AARRG !! et le théâtre occupé de Hambourg Die Rote Flora pour INKaK. Les militants qui rejoignent ces groupes sont acceptés sur un mode affinitaire et sur la base d’interconnaissances. Cette proximité des militants leur permet d’évoluer dans un climat de confiance et de contrôler les apparitions du groupe dans l’espace public : « D’abord c’étaient des gens qui tout simplement essayaient de comprendre un problème et de le formuler. Avec une grande rigueur, sans préjugés. Il y a un niveau d’exigence dans les argumentaires que j’ai pu lire qui fait que j’ai eu confiance. […] Confiance… Ce n’est pas “confiance en quelqu’un”, ce n’est pas vraiment ça… Mais s’il y a confiance, il y a confiance en tous cas dans le cadre intellectuel. » Juliette (AARRG !!).
49La forte sociabilité entre les militants et leur maîtrise de codes internes au groupe, qui souhaite rester sur une base affinitaire, permet de rester hermétique à d’éventuels nouveaux arrivants. La confidentialité et la difficulté d’accès au groupe constituent en quelque sorte aussi la fierté des militants ayant réussi à être intégrés en son sein ou qui ont créé le groupe :
« C’est difficile de rentrer dans AARRG !!. Enfin, tu vois, il y a des gens qui en ont fait l’expérience… Pas au sens où les gens sont austères, etc., mais c’est parce que c’est un truc bizarre, on ne te dit pas ce que tu dois faire… Et ce qui est étonnant, c’est que ce sont souvent des gens très jeunes qui ont tout de suite compris les… Enfin qui ont su utiliser la chose… » Charlotte (AARRG !!).
50Concernant les activités d’INKaK, elles restent assez classiques puisqu’elles sont concentrées sur des discussions théoriques, sur quelques actions locales et sur la participation aux contre-sommets. Leur niveau de radicalité est ce qui les distingue des organisations traditionnelles.
51Les étudiants de l’ENS qui ont rejoint AARRG !! s’accordent tous, au contraire, sur leur rejet du militantisme fondé sur de longues réunions et discussions. Ce rejet est d’ailleurs inscrit dans leur texte fondateur : « AARRG !! n’aime pas les prises de tête. Les débats foireux et stériles qui durent des heures. » Aussi l’activité d’AARRG !! est-elle concentrée en partie sur la production de tracts (les « Aarrguments »), mais surtout sur l’organisation d’actions. Les actions d’AARRG !! ont lieu hors cadre idéologique et visent essentiellement à réveiller les consciences en les provoquant. C’est le cas par exemple d’une action contre les OGM qui avait amené quelques militants d’AARRG !! « clonés » en José Bové – c’est-à-dire déguisés avec des moustaches similaires à la sienne – à occuper le génoplante d’Evry. Début 2003, à l’occasion de l’adoption de la loi pour la sécurité intérieure (LSI), le groupe AARRG !! a par exemple organisé une action intitulée « Un poil de cul pour Sarkozy43 » afin de dénoncer les fichages génétiques de personnes ayant commis une infraction à la loi. Cette action, la maquette et le style décalés des tracts contrastent volontairement avec la formalité des tracts militants. Les militants d’AARRG !! se situent ainsi à contre-courant des schèmes habituels de ce que l’un d’eux nomme « la classe culturelle militante ».
52Les contre-sommets ont également fait partie du répertoire d’action des « Aarrgonautes », mais ont été délaissés par une partie de ces militants suite à leur expérience de la violence lors du contre-sommet de Gênes (cf. supra)44. Les réunions d’AARRG !! sont ainsi exclusivement consacrées à la recherche d’idées45 et à la préparation technique d’actions. Elles sont suivies d’« actions coup-de-poing » dans les jours qui suivent. Ces actions constituent des moments fusionnel forts, à tel point que la présence de nouveaux militants dérange l’intimité des anciens :
« Ça a vraiment été un problème, quand il y a eu des nouveaux […] qui étaient intéressés. Parce que je pense que c’est clair que ça a des limites physiques, parce que ça repose quand même sur une confiance, sur une connaissance des gens. [Qu’est-ce que tu entends par “relation de confiance” ?] En grande partie, c’était à propos des fuites. Quand on connaît les gens ou que ce sont des amis depuis dix ans ou alors que ce sont des gens qu’on rencontre assez régulièrement, l’information tourne beaucoup plus facilement. On n’a pas l’impression finalement de quitter le privé. Finalement on n’a pas l’impression de rendre une information publique, donc ce qui pose toujours le problème à ce moment-là : ça peut être dangereux, ça peut mettre en danger une action, un truc comme ça. […] Quand on avait rendez-vous quelque part, il pouvait très bien y avoir quelqu’un qui était en sous-marin avec nous. » Guillaume (AARRG !!).
53Si le « nous communautaire » n’est pas garanti dans ce groupe par des rites d’entrée et de confirmation de l’identité collective, sous forme de cartes et timbres d’adhésion, qui permettraient de dissocier les militants des « ils » extérieurs, ce sont ces actions collectives qui jouent le rôle de cérémonies annuelles de renouvellement de l’adhésion46, disant la coupure entre les « je » associés et les « ils » de l’extérieur47.
La réception du militantisme d’AARRG !! dans le mouvement altermondialiste
54Ce type d’actions symboliques mobilise des effectifs très limités, ce qui ne force pas le respect des militants des organisations plus larges. Celles-ci n’hésitent pas à dire des militants d’AARRG !! que ce sont des « rigolos » ou qu’ils sont une « agence de packaging ». L’action d’AARRG !! à la marge du champ militant national fait dire aux militants d’ATTAC et de VAMOS qu’ils sont trop déconnectés de l’actualité politique, que leur engagement est trop ponctuel et se résume aux rendez-vous altermondialistes :
« Après [avoir rejoint VAMOS], plusieurs fois j’ai été tentée d’aller voir AARRG !!, parce que je trouvais que dans VAMOS, il y avait beaucoup de gens de la Ligue [LCR] et ça m’ennuyait profondément, parce que je trouvais que ça devenait trop politique. Il n’y avait plus de place pour les autres, parce que les militants de la Ligue étaient très expérimentés par rapport aux autres. […] Enfin, c’est extrêmement intéressant ce qu’ils font [dans AARRG !!], mais ils n’ont aucun ancrage local. Ils sont absolument mondialistes, ce qui est chouette, ça leur permet de faire plein de choses, c’est super visible dans les grandes manifestations, symboliquement et même dans l’efficacité, c’est super intéressant. Maintenant, moi, ce que je trouve hyper intéressant dans le mouvement altermondialiste, c’est de pouvoir faire le lien avec les grandes grèves de l’éducation, de la centralisation et des retraites… Et AARRG !! ne permet pas du tout ça. […] J’ai du mal à voir leur action au quotidien pour essayer de lier les deux niveaux. » Sophie (ATTAC/VAMOS).
« AARRG !!, c’était la meilleure boîte à idées et ça l’est encore en grande partie, mais ce n’est pas une structure militante. C’est-à-dire que ça repose vraiment sur une poignée de personnes, il n’y a pas la volonté d’être présents sur les facs, de mobiliser les étudiants, etc. Alors que l’idée avec VAMOS, c’est de reprendre les trucs d’AARRG !! sur plein de choses, mais c’est aussi de construire un peu largement ce mouvement, de façon à atteindre rapidement une masse critique pour pouvoir exister. Parce que sinon on peut s’épuiser dans des petits groupes, même avec les meilleures idées du monde, mais on n’arrive pas à avancer. » Nicolas (VAMOS/ATTAC)
55Comme le décrivent ces militants d’ATTAC et de VAMOS, les militants d’AARRG !! se positionnent volontairement à la marge des franges modérées du mouvement altermondialiste, tout comme c’est le cas d’INKaK. En conséquence, les militants de ces deux groupes ne participent pas aux Forum sociaux européens, mais aux espaces off des FSE. Dans un article rédigé pour le quotidien L’Humanité, une militante d’AARRG !! décrit l’organisation du off du FSE de Florence (2002) nommé le Hub48. Celui-ci a rencontré un succès assez limité en marge du Forum officiel, tout comme le GLAD un an plus tard (2003). Cette militante fait l’inventaire des caractéristiques de cet événement. Les attributs du off qu’elle valorise donnent une idée du mouvement altermondialiste que les militants d’AARRG !! et d’INKaK souhaiteraient voir émerger : autogestion et horizontalité de la prise de décision, « fourmillement » et multitude des militants par opposition à l’ordre et l’unité du in, origines multinationales des participants et échange d’expériences avec les militants de l’hémisphère Sud, importance des média-activistes par opposition à la coopération avec les médias officiels, centralité de l’action par opposition aux discours, importance du militantisme social et du thème de la précarité, innovation dans les pratiques par opposition au militantisme traditionnel.
SPEB et Linksruck : rejoindre collectivement l’altermondialisation
56Parmi les groupes français et allemands que nous avons étudiés, tous ont été créés dans le contexte de l’altermondialisation, à l’exception de SPEB et Linksruck. Cette différence n’est pas sans incidence sur les différents modes de militantisme et sur le positionnement des militants dans le mouvement. En effet, les militants de ces groupes n’ont pas été intéressés de prime abord par le mouvement altermondialiste et par les tentatives ou les mises en scène de politique alternative que nous avons décrites plus haut. Ils n’ont pas, non plus, choisi individuellement de devenir altermondialiste. Ils ont été séduits par l’une de ces deux organisations trotskistes pour des raisons souvent opposées aux préceptes altermondialistes : en l’occurrence, le niveau de responsabilité qui leur a été confié et la rigueur de l’organisation (hiérarchie claire et pyramidale, règles de fonctionnement rigides, pratique du vote et non du consensus). En effet, ces deux organisations sont bâties sur le modèle des « partis de masse » : activité concentrée sur le recrutement massif de nouveaux adhérents, structuration interne et hiérarchie très fortes, appareil permanent avec des « cadres du parti » disponibles à plein temps pour l’organisation, vivier de militants engagés dans une vie sociale et simultanément dévoués à l’application des décisions du parti, éloge de la loyauté et de l’ardeur en interne, etc.49.
57Dans certains cas, ce sont aussi les thématiques défendues par SPEB et Linksruck, ou leur approche politique qui les ont séduits : la défense de la classe ouvrière, leur label « révolutionnaire » ou encore leur orientation très protestataire, comme l’illustre le cas de Philippe que nous avons évoqué plus haut : « Dans mon lycée c’était : “Je suis révolté, je suis communiste”. […] Et du coup, j’ai adhéré à SPEB. »
58Le goût de ces militants pour l’engagement total auquel incitent SPEB et Linksruck et pour leurs structures extrêmement hiérarchisées fait que la structure des « in » des Forum sociaux ne les rebute en aucun cas. Ils fréquentent exclusivement le versant officiel des FSE, tout en essayant de maintenir à d’autres occasions des relations avec les militants du off.
L’entrée de SPEB et Linksruck en altermondialisation : une démarche impulsée par le haut
59En rejoignant SPEB et Linksruck, les militants doivent adhérer à la ligne politique de l’organisation et s’efforcer de participer aux moments politiques définis comme prioritaires par l’organisation. Ainsi, lorsque l’idée de rejoindre le mouvement altermondialiste a été émise par la direction londonienne du SWP à l’automne 200050, les militants de SPEB et de Linksruck s’y sont pliés et se sont engagés dans la construction du mouvement altermondialiste. Ils l’ont le plus souvent fait dans le cadre de leur organisation, en intégrant collectivement ATTAC (en décembre 2000 pour SPEB ; en 2001 après Gênes pour Linksruck) :
« Ouhlala, l’épopée ATTAC ! On [SPEB] s’est lancé dans ATTAC sans vraiment se rendre compte de ce que c’était, avec l’idée que, voilà, on a débarqué et puis il suffira d’avoir les idées et puis voilà. Il y a une chose qui est sûre, c’est qu’on n’a jamais caché qui on était dans ATTAC, c’est le moins qu’on puisse dire. Donc faire de l’entrisme quand on brandit un journal sur lequel il y a écrit L’Étincelle51… Ce n’était pas de l’entrisme. On a identifié ATTAC comme le mouvement où il y avait le plus de gens… Il y a plein de gens dans ATTAC et il faut y être ! » Camille (SPEB/ATTAC).
60Le thème de l’altermondialisation a représenté, comme le disent eux-mêmes les militants de SPEB et de Linksruck, mais aussi de la LCR, un moyen pour ces organisations trotskistes d’aller à la rencontre de nouvelles recrues potentielles et d’impulser ainsi de l’énergie à ces organisations. C’est ce que rapportent Sabrina de Linksruck, mais aussi Markus, dissident de cette même organisation dans laquelle il a été actif de mai 1999 à fin 2001 :
« Et Seattle a évidemment entretenu [l’élan militant], parce que ça a participé de la construction d’un mouvement. C’est la première fois qu’on a eu à nouveau le sentiment de pouvoir bouger les choses et les gens mondialement. Je suis alors devenue plus active […]. Quand il se passe un événement comme Seattle, c’est comme si on injectait de l’essence dans les militants ou dans les gauchistes ou un truc comme ça (rire). » Sabrina (Linksruck/ATTAC).
« Quand il y a eu le contre-sommet de Seattle, ça a été assez clair, on a tout de suite percuté dans Linksruck – enfin, quand je dis “on”, je veux dire “la direction” de Linksruck – que l’altermondialisation allait être le thème dominant des années à venir. Et aussi qu’un mouvement était né avec Seattle. […] C’est là que l’altermondialisation est entrée dans Linksruck. Alors on a créé ATTAC à Cologne, enfin pas seulement nous les militants de Linksruck, mais plein de gens de Cologne […]. Et l’événement qui a suivi juste après, c’était le contre-sommet de Prague, si je ne me trompe pas. Prague était bien après Seattle, non ? Et le SWP et tous les autres y sont allés… […] ATTAC m’a intéressé, pour cette ouverture totale qu’elle avait, ce spectre très large… ce qui signifiait pour Linksruck à l’époque : “On va pouvoir aller pêcher des militants là-dedans.” Ce que j’ai toujours trouvé débile. Ce que je trouve aujourd’hui encore abject. » Markus (ATTAC et ex-Linksruck).
61Philippe (SPEB/ATTAC) en donne une illustration supplémentaire en évoquant le rassemblement de Millau de l’été 2000 qui avait mobilisé 50 000 militants d’horizons politiques et géographiques divers. La mobilisation avait pour but de soutenir José Bové, alors jugé pour la destruction ou le « démontage » d’un restaurant McDonald’s en août 1999. L’événement avait alors été nommé « Seattle-sur-Tarn » ou encore « le Seattle français de l’antimondialisation » par les médias (Le Monde, 23 juin 2000) :
« Moi, je n’avais pas trop suivi tout ce qui était [altermondialisation]… Au niveau de SPEB et de la tendance internationale, il y a eu à partir des manifs de Seattle un gros boulot d’approche, de motivation politique pour dire : “Allez, c’est un mouvement important, il faut y aller !” Mais bon, moi, je n’avais pratiquement pas suivi ça. Et ce n’est qu’au fur et à mesure que j’ai pris la mesure de l’importance de ce truc-là. […] Et il y a eu Millau qui a été un peu le jour où j’ai mis le pied dedans… mais c’était aussi lié à la ligne politique de mon organisation qui était d’aller à Millau, de construire ce truc-là [le mouvement altermondialiste]. Disons que je suis plutôt venu vers l’antimondialisation par… Je suis plutôt “antimondialisation” parce qu’engagé politiquement. Plutôt qu’engagé politiquement parce qu’“antimondialisation”. ATTAC c’est pareil, c’est parce qu’à SPEB, on a essayé d’entrer dans ATTAC [que j’y ai adhéré]. [Et qu’est-ce qui a fait que tu te définis aujourd’hui spontanément comme altermondialiste, alors que ce n’était vraiment pas le cas il y a deux ans ?] Parce qu’en faisant, on devient. » Philippe (SPEB/ATTAC).
62Cette entrée un peu forcée dans le mouvement altermondialiste pour certains des militants de SPEB et de Linksruck, ne signifie pas pour autant que ces jeunes militants ont eu à regretter de s’être laissés porter dans le mouvement. Philippe, dont nous venons de lire un extrait d’entretien, a par exemple apprécié sa participation à ATTAC et au mouvement altermondialiste :
« [Être altermondialiste], pour moi, c’est être partie prenante du mouvement de contestation globale. Ça c’est sympa. Pour moi, c’est vraiment ce truc-là. C’est être dans un mouvement qui maintenant a des idéologies très diverses. » Philippe (SPEB/ATTAC).
Les « malgré eux » de l’altermondialisation
63La stratégie d’adhésion collective à ATTAC a eu pour conséquence une difficulté éprouvée par certains militants de SPEB et de Linksruck à justifier leur présence dans le mouvement altermondialiste et à se définir comme tel. Au sein de l’altermondialisation, davantage de valeur est accordée à l’agir, au « faire » plutôt qu’au « faire partie de ». Ainsi, il est difficile de se dire « altermondialiste » en se contentant de prendre sa carte d’adhésion dans une organisation se définissant comme telle. Nous avons montré à ce propos, dans une étude parallèle, la corrélation entre le degré d’identification au mouvement et la fréquence des pratiques militantes au sein du mouvement, en interrogeant les participants au FSE de Paris52.
64Les militants trotskistes de SPEB et Linksruck dont les organisations politiques répondent à un modèle traditionnel d’engagement où l’individu devient militant « à partir d’une action préalable, idéologique, syndicale et politique » doivent ainsi pour certains s’adapter à un modèle dans lequel on devient militant « dans et par l’action, celle de s’engager53 ». Aussi, alors que la participation aux événements altermondialistes conditionne l’identification au mouvement, l’un des militants que nous avons étudiés n’a par exemple jamais participé à un événement altermondialiste, ni à une quelconque réunion d’ATTAC. Certains militants de SPEB et de Linksruck détournent ce principe de l’engagement « dans et par l’action » en se se qualifiant de « révolutionnaires » ou d’« anticapitalistes », précisant ensuite que l’identité altermondialiste fait partie de cette catégorie plus englobante.
65La ligne défendue dans le texte du SWP de l’automne 2000 était qu’« être altermondialiste » équivalait à « être anticapitaliste », ce qui justifiait aux yeux du SWP leur entrée dans l’altermondialisation. C’est ce même credo qui sera défendu par les jeunes militants français et allemands dans la nébuleuse altermondialiste. Tout comme d’autres militants de courants différents se sont servis de la plateforme altermondialiste pour faire fructifier leurs revendications (écologistes, humanitaires, etc.), les militants révolutionnaires de SPEB et Linksruck y ont porté leurs convictions. Aussi, ces militants trotskistes n’hésitent pas à qualifier l’ensemble des mobilisations altermondialistes d’« antiimpérialistes » ou d’« anticapitalistes », comme on peut le lire dans les textes de SPEB et de Linksruck : « Le mouvement antiguerre [de 2003] a démontré que nous pouvions opposer à la mondialisation capitaliste la mondialisation antiimpérialiste. […] Le rassemblement du Larzac, en plein cœur de l’été, a été le plus gros rassemblement anticapitaliste en France depuis Seattle54. » Certains d’entre eux n’attachent que peu d’importance au qualificatif « altermondialiste ». Ils participent ainsi au mouvement et aux contre-sommets en tant que militants « anticapitalistes » :
« Je te disais que je ne me définis pas vraiment comme “altermondialiste”, je dirais plutôt anticapitaliste. Ce serait… se battre contre un ennemi, que ce soit l’Union européenne, l’OMC, le gouvernement qui privatise ! C’est avoir cette conscience-là de se battre ensemble à toutes les échelles locales et globales, se battre contre les gens qui sont dans le système. » Camille (SPEB/ATTAC).
« Je me définis de toute façon plutôt comme “anticapitaliste” [plutôt que comme “altermondialiste”]. Et c’est parce que je suis anticapitaliste que je suis par la même occasion altermondialiste55. » Sabrina (Linksruck/ATTAC).
66Dans le cas de SPEB, l’organisation a concentré toutes ses forces au sein d’ATTAC et n’a plus mené, en dehors de ce cadre, d’autres activités hormis la publication de son journal militant.
Entrer en altermondialisation et influencer les masses militantes
67Cette préférence pour l’organisation-phare ATTAC et pour le in des Forum sociaux marque également la volonté de ces militants trotskistes de ne se trouver en aucun cas marginalisés au sein du mouvement altermondialiste. Ils espèrent, bien au contraire, influencer la masse des militants et les convaincre du bienfondé de leur idéologie anticapitaliste56. Aussi, est-ce pour être en prise avec la société que ces militants ont choisi d’intégrer ATTAC, en faisant tout leur possible pour l’orienter vers une masse critique révolutionnaire. L’altermondialisation représente pour ces militants LA revendication du moment à porter et à faire figurer sur sa carte de visite. Les Forum sociaux et les contre-sommets sont les endroits où l’on se montre et où l’on recrute. Pour ce faire, les militants de ces deux formations trotskistes utilisent le jeu des poupées russes dont le principe est le suivant : l’altermondialisation n’est qu’une composante de l’anticapitalisme.
« Je crois qu’il était important que nous… Enfin, je veux dire, de mon point de vue, ATTAC est L’ORGANISATION qui rassemble le plus d’altermondialistes et qui organise le mieux ce mouvement. Et, moi, je ne veux pas faire mon petit truc dans mon coin comme un sectaire, genre juste en tant que Linksruck. Mais je veux au contraire élaborer des idées politiques avec d’autres gens. Je veux écrire le chemin du changement de la société avec d’autres militants. Ce qui veut dire aussi, discuter d’idées socialistes-révolutionnaires. [Est-ce que tu as rejoint ATTAC après Gênes, parce que les idées de l’altermondialisation te plaisaient ou parce qu’il y avait énormément de militants dans ATTAC et qu’un grand mouvement a émergé ?] C’était quand même un peu lié au fait qu’il y avait beaucoup de gens qui commençaient à s’engager politiquement dans ATTAC. [C’était donc davantage pour la forme du mouvement que pour le thème ?] Je travaillais déjà sur ce thème-là avant. Ça ne s’appelait pas forcément “altermondialisation” à l’époque, on disait “anticapitalisme”. [Mais ce n’est pas la même chose, si ? Pour toi, si ?] Ouhlalalala… Si ! Je crois qu’on a affaire à un mouvement anticapitaliste. Critiquer la mondialisation telle qu’elle existe actuellement, c’est comme critiquer le capitalisme tel qu’il existe actuellement. C’est pour ça que c’est la même chose. » Torsten (Linksruck/ATTAC).
« J’ai appris dans Linksruck comment il fallait aborder les gens, qu’il fallait commencer par leurs besoins personnels et essayer de leur trouver des solutions pour leur situation concrète… […] Il faut vraiment les choper avec des choses vraiment très concrètes et ne pas attendre d’eux qu’ils soient déjà anticapitalistes avant d’aller les aborder. ATTAC est en ce moment une organisation en Allemagne qui rassemble énormément-énormément de gens qui viennent parce qu’ils sont critiques, mais pas anticapitalistes de prime abord. Et c’est très-très important en tant qu’organisation révolutionnaire, ou en tant que révolutionnaire, d’essayer d’entrer en contact avec les gens et de construire quelque chose avec eux. […] C’est ça qui m’a convaincu de rejoindre ATTAC et d’aller discuter avec les gens et tout. » Sabrina (Linksruck/ATTAC).
La répulsion des altermondialistes pour les méthodes de SPEB et Linksruck
68Cette approche très différente de la politique a pour corrolaire des réactions de rejet témoignées à son égard, venant d’une part importante des altermondialistes. Si les militants disent avoir envisagé d’intégrer une organisation altermondialiste concurrente à la leur, leur réponse est cependant unanime lorsque l’on évoque SPEB ou Linksruck :
« (Rire) Ça, ça c’est pas du tout possible (rire) !! SPEB ! Mais il n’a jamais été question que j’adhère à SPEB. Je n’y ai même pas pensé une seule seconde. Ils sont sectaires, c’est un groupuscule. Ils ont 20 ans, ils sont plein de certitudes, ils sont monolithiques. Ce n’est pas du tout, du tout possible… Mon engagement politique, c’est : je réfléchis, j’essaie d’élaborer des contre-discours, des alternatives, j’expérimente, quoi ! Eux, c’est : on a des certitudes, on a la vérité. » Sophie (ATTAC/VAMOS).
« SPEB… Alors là, non !! !! Alors là, non !! !! (rire) Vraiment pas possible !! Parce que ce qu’ils défendent, leur mode d’action et tout, je ne trouve ça vraiment pas du tout intéressant. Trop idéologique et puis finalement très-très pauvre ! Vraiment très-très pauvre… Alors là, non ! C’est pas possible ! (rire) » Juliette (AARRG).
« Ma relation à Linksruck se limite au maximum au fait que j’essaie de protéger leurs nouvelles recrues de l’exploitation qu’ils vont subir dans le groupe. » Jens (INKaK).
« Ils pensent que la révolution doit être menée par l’élite […]. Et nous, on pense plutôt que les êtres doivent s’auto-organiser. La révolution, ce n’est pas quelque chose qu’on peut mettre en marche et arrêter, juste comme ça, du jour au lendemain ! » Andreas (INKaK).
« SPEB, c’est une organisation qui en fait a développé pas mal de sectarisme. Ils considèrent – malgré leur faible nombre et leur inexpérience syndicale et politique, parce que ce sont surtout des jeunes – que, malgré ça, ils ont des leçons à donner aux autres. Il y en a qui disent qu’ils ne sont pas sectaires, parce qu’ils interviennent dans ATTAC, dans l’UNEF ou dans d’autres trucs, mais justement lorsqu’ils interviennent, souvent ils ne respectent pas le cadre autonome et démocratique du mouvement auquel ils participent. Dans ATTAC, ça a créé des débats et des remous. Ils se sont faits pas mal détestés par plusieurs comités dans lesquels ils intervenaient. En fait, ils considéraient ATTAC comme un parti politique en gestation, puisqu’ils font surtout du travail de fraction… alors qu’à ATTAC ce n’est pas comme ça qu’il faut s’y prendre ! Moi, c’est toutes ces choses-là qui font que je n’aimerais pas rejoindre SPEB. Parce que même si je suis proche politiquement, dans la pratique ils créent le fossé entre nous. » Jérémie (ATTAC/LCR).
69Les réactions des militants altermondialistes en France et en Allemagne face aux organisations-sœurs SPEB et Linksruck sont identiques car ces deux organisations ont adopté, de part et d’autre du Rhin, le même fonctionnement et des stratégies analogues d’intégration d’ATTAC. Outre les incompatibilités idéologiques que certains peuvent avoir avec ces groupes trotskistes, les militants d’ATTAC, de VAMOS, d’AARRG !! et d’INKaK leur reprochent avant tout leurs pratiques agressives, leur volonté permanente de convaincre, le fait qu’ils soient « trop coincés dans leur théorie » (Guillaume, AARRG !!) et leur structure centralisée et pyramidale, contraire aux principes des militants altermondialistes issus des mouvements écologistes. Les tentatives de récupération de sympathisants d’ATTAC, en jouant sur la confusion entre ATTAC et SPEB/Linksruck, ont également été mal accueillies. Lors des manifestations de 2003 contre la guerre en Irak, les militants de SPEB ou de Linksruck ont, par exemple, utilisé la maquette et le visuel d’ATTAC pour confectionner leurs pancartes, ce qui induisait un amalgame entre ATTAC et Linksruck. Ce manque de transparence dans leur agissement s’est également exprimé, lorsque ces deux organisations ont investi massivement des comités d’ATTAC, sans spécifier publiquement leur appartenance à SPEB et Linksruck.
70Philippe (SPEB/ATTAC) relate ainsi comment il a tenté de convaincre une militante, tandis que Camille (SPEB/ATTAC) revient sur les tentatives de SPEB d’imposer la question des prolongations d’ATTAC dans le champ électoral :
« J’ai rencontré des gens, une fille qui était anar [anarchiste] et qui était choquée que j’essaie de la convaincre : “Là, t’essaies de me convaincre, alors vraiment je suis choquée !”, alors que c’est normal d’essayer de convaincre les gens quand on est soi-même convaincu. Ça me faisait flipper. » Philippe (SPEB/ATTAC).
« Le problème dans ATTAC, c’est que dès le départ, ça c’est plus ou moins voulu entre guillemets “apolitique”, même si ce n’était pas vrai que ça l’était. Et que du coup on a un peu débarqué comme un éléphant dans un truc de porcelaine. Donc je pense qu’on a fait certaines conneries. Mais en définitive, on a aussi construit ATTAC pour de vrai ! On a vraiment construit sur les quartiers, sur les facs ! Tous les camarades ont monté des trucs ATTAC. […] Je pense que ça a participé à donner aussi une direction, enfin je ne dis pas qu’on a donné une direction dans ATTAC ! Loin de là ! Mais ça fait partie aussi des débats qu’il y avait. Consciemment ou inconsciemment, plein de gens se les posaient : “Quelle force politique est ATTAC ?”, “Qu’est-ce qu’on en fait ?” » Camille (SPEB/ATTAC).
71Un autre exemple du non-respect du cadre autonome et a-partisan des réunions altermondialistes, est l’intervention publique des militants de SPEB, lors de l’organisation du premier festival altermondialiste Charivari à Paris (mai 2002), par les militants de VAMOS et d’autres organisations de gauche. Les militants de SPEB avaient alors longuement digressé au micro pour appeler les militants à voter pour Arlette Laguiller (Lutte ouvrière) qu’ils soutenaient à l’époque57.
72Dans la même veine, lors des mobilisations pour les contre-sommets de Bruxelles (2001) et d’Évian (2003), les militants de SPEB ont détourné les bus unitaires transportant des militants. Dans le cas du contre-sommet d’Évian, les militants de SPEB ont finalement renoncé au dernier moment à leur entreprise qui visait à emmener contre leur gré les passagers du bus – qui prévoyaient de rejoindre le village alternatif d’Annemasse – à Genève, lieu de rassemblement des militants du SWP trotskiste. Une militante interrogée lors d’une enquête du GRAAL sur le contre-G8 d’Évian raconte cette expérience :
« À la fin du trajet, j’ai été effrayée, parce que j’ai appris par les dirigeants de ce groupe [SPEB], qu’ils avaient décidé qu’ils ne s’arrêtaient pas à Annemasse, mais qu’ils allaient directement en Suisse pour bloquer Bush à l’aéroport. Je leur ai dit “Mais c’est une folie ! Vous êtes tous des fous furieux, parce qu’il y a des sans-papiers parmi nous peut-être, ou il y a des gens comme moi qui ont juste une carte de séjour ! Schengen est suspendu, si on nous emmène en Suisse, on ne pourra plus revenir en France. Il faut vous rendre compte de ça !” Impossible de leur expliquer ça ! Ils étaient complètement bouchés. Ils étaient dans leur idée fixe. On leur a dit : “C’est ridicule de vouloir arrêter Bush comme ça ! On va se retrouver en prison et c’est tout ce qu’on aura fait. On n’aura rien fait, en fait…” Et ils ne voulaient pas en entendre parler. […] Donc j’étais tout le temps là en train de dire au chauffeur : “Mais où est-ce qu’on est, où est-ce qu’on est ? On arrive, on arrive ? Quand est-ce qu’on arrive ? C’est quoi cette ville ?” Et puis, à un moment donné, je l’ai entendu dire qu’il allait à Annemasse, parce que lui on ne l’avait pas payé pour aller en Suisse et qu’il n’avait pas l’intention non plus de prendre des risques. Et c’est ce qui s’est passé. Tranquillement, il arrive à Annemasse, il nous laisse sortir. Moi je fous le camp, je les laisse tous avec leurs conneries. Et pour te dire, à quel point je n’étais pas contente, je ne suis pas rentrée avec eux [SPEB]. Et je ne me suis même pas fait rembourser mon billet retour. J’ai préféré payer un deuxième billet et repartir avec les anarchistes, tellement je n’avais plus envie d’entendre parler de ces farfelus58… » Militante féministe du « Point G59 ».
73De la même façon, Markus, militant dissident de Linksruck qui a rejoint ATTAC, ne tarit pas de reproches à l’encontre de son ancienne organisation, qu’il accuse de subordonner les militants aux ordres de la hiérarchie :
« Linksruck est une démocratie centralisée ou du centralisme démocratique, comme ils disent. Et ils disent que leurs responsables sont élus, mais il n’y a jamais plus d’une liste de candidats. C’est comme en RDA. [C’est peut-être parce qu’il y a trop peu de candidats…] Oui, peut-être. […] Et la façon de faire de la politique dans Linksruck est très claire : les décisions sont prises [là-haut] et sont transmises au bas de l’organisation. Et il faut s’en tenir à ça. Dans le groupe local de Cologne, on a essayé plusieurs fois de faire les choses différemment […] et ils nous ont dit qu’on était tenu de faire ce qu’ils nous dictaient. Dans le cas contraire, on devait quitter l’organisation. [C’est parce que l’ensemble de l’organisation doit être unie autour d’une seule position ?] Exactement. […] [Comment est-ce que ça se passe concrètement ces instructions qui viennent d’en haut ?] Je dois dire que j’ai quitté l’organisation il y a deux ans et que les choses ont un petit peu changé depuis. Je crois que la direction est plus large, il y a davantage de représentants. […] À l’époque, on recevait des notes de synthèse tous les lundis, qui nous disaient ce qu’il y avait à faire dans la semaine, quelle était la situation politique et quelles positions nous devions avoir par rapport à ça… Aujourd’hui, la pratique des notes a disparu. […] La direction du groupe à l’échelle de la ville se réunissait le lundi soir. C’était très hiérarchisé : le national, la ville, les quartiers, etc. Avec du recul, je trouve ça sinistre. Je ne sais pas ce que j’ai pu fabriquer là-dedans. » Markus (ATTAC/ex-Linksruck).
74Les certitudes des militants de SPEB et Linksruck et leur attitude lors des actions altermondialistes irritent, parce qu’elles constituent un non-respect des règles qui régissent l’entrée d’un groupe dans un champ social. Ce rapport au champ, que Pierre Bourdieu a qualifié d’illusio, est régi par une règle implicite qui veut que toute personne ou groupe entrant dans un champ, même si son but est de renverser les rapports de force de ce champ, doit accorder de la reconnaissance aux enjeux de celui-ci60. Autrement dit, l’agacement suscité par les militants de SPEB et Linksruck, au sein d’ATTAC et du mouvement altermondialiste en général, tient à leur volonté de vouloir imposer leurs codes, leurs méthodes (vote plutôt que consensus), leurs enjeux (faire du mouvement une force anticapitaliste, transformer le mouvement altermondialiste en parti politique) au mouvement, plutôt que de s’adapter et d’adopter les préceptes de celui-ci.
Un cadre autoritaire apprécié par les militants
75Les militants de ces deux groupes accordent une « adhésion globale anticipée » au groupe61, une confiance aveugle dans leur organisation politique. Cette fides implicita signifie qu’ils accordent un crédit illimité à leur organisation et « laissent libre cours aux mécanismes qui tendent à les déposséder de tout contrôle sur l’appareil62 ». Cette logique de l’appareil est particulièrement bien acceptée par les militants de Linksruck, qui comptent parmi les profils sociaux les plus démunis culturellement de l’échantillon. Cette appartenance sociale signifie, pour Pierre Bourdieu, que ces militants sont a priori « plus attachés aux valeurs de fidélité, donc plus enclins à la délégation inconditionnelle et durable63 ». L’organisation a ainsi une forte capacité à canaliser les comportements de ses membres pour les mettre au service de ses objectifs.
76Nous avons cité plus haut le témoignage d’un militant d’INKaK disant vouloir protéger les primo-militants de « l’exploitation » qu’ils allaient subir dans Linksruck. Comme le rappelle Pierre Bourdieu, les militants qui rejoignent ces organisations fortement structurantes sont bien souvent consentants et « tendent à assurer la reproduction des institutions et de leurs hiérarchies64 ».
77Ainsi, Michael, qui a choisi de sacrifier sa vie privée et sa vie professionnelle pour pouvoir s’engager bénévolement à plein temps pour Linksruck, le fait-il de manière consentante. L’impression d’œuvrer pour une cause juste et d’être partie prenante d’une lutte à des fins révolutionnaires suffit à alimenter sa motivation. La discipline trouve en effet pour lui sa justification et son fondement dans la lutte65 et n’est donc pas vécue comme avilissante par les jeunes militants que nous avons rencontrés.
78C’est précisément le caractère totalisant de SPEB et Linksruck, dénoncé par les autres altermondialistes, qui a plu aux jeunes militants ayant rejoint de SPEB et Linksruck. L’impossibilité pour les militants de prendre des initiatives à la base ou d’exprimer une opinion divergente caractérise la volonté de former une unité au sein de ces groupes. Elle s’exprime notamment par la pratique du vote qui permet aux militants de parler d’une voix. Cette volonté d’unicité se trouve à l’opposé des pratiques des groupes affinitaires que nous avons étudiés, pour lesquels la parole unitaire du groupe est évitée autant que possible, les militants refusant de faire parler « l’appareil ». Cette unicité de SPEB et Linskruck qui représente une force pour ces militants : « [Elle est] une et ne tolère aucun discours divergent. Elle suppose un corps uni, dans une logique de combat où la moindre discordance pourrait donner prise à l’adversaire66. » Ainsi, les militants passent souvent du « je » au « nous » lorsqu’ils répondent aux questions pendant les entretiens, ce qui signale l’imbrication des identités individuelle et collective dans l’organisation. Cette force identitaire accorde autant d’importance au « nous » réel (les individus qui forment le groupe) qu’à l’appartenance à un « nous » abstrait ou virtuel (anticapitaliste, révolutionnaire, altermondialiste…).
79« Que nul n’entre ici s’il n’est prêt à mourir pour un théorème », écrivait Pierre Bourdieu pour décrire les codes de l’organisation, les intérêts socialement constitués que les militants doivent s’approprier pour pouvoir en faire partie67. Les militants doivent ainsi être pris au jeu dans leur champ (croire à la révolution, faire référence aux écrits de Marx, etc.). Si la centralité des valeurs, des préceptes, du « théorème » est plus visible concernant les organisations SPEB et Linksruck, il n’en demeure pas moins que l’absence de « nous » fort, le refus de toute forme d’idéologie, le rejet de la hiérarchie et de la délégation ont également valeur de « théorèmes » au sein d’INKaK, d’AARRG !!, de VAMOS…
80L’opacité est une autre caractéristique de la langue de bois définie par Jacques Ion. Les difficultés que nous avons eues à assister aux réunions internes de Linksruck et de SPEB – plus particulièrement dans les périodes de changement d’orientation politique de ces formations trotskistes – en est un exemple. Le résultat des négociations, des votes, etc. est certes rendu public, mais plus rarement l’élaboration et la teneur de ces discussions. Tout est fait pour ne pas laisser filtrer les conflits internes à l’extérieur de l’organisation.
Les rétributions liées à la forte structuration de SPEB et Linksruck
81Cet engagement fortement structurant, voire totalisant dans SPEB et Linksruck s’accompagne par ailleurs de rétributions, telle la socialisation des militants. La plupart des militants de SPEB et de Linksruck de l’échantillon vivent par exemple en colocation avec des membres ou des sympathisants de leur organisation. La plupart d’entre eux sont également célibataires et trouvent dans cet engagement prenant, un exutoire à leur trop plein de temps libre ou à leur demande de sociabilité. Par ailleurs, lors du deuxième entretien, deux militants de Linksruck ayant rencontré un (nouveau) partenaire disent à quel point il leur est important que leur partenaire sympathise avec leurs idées, voire rejoigne leur groupe.
« [Tu m’avais dit la dernière fois que tu avais une ex-petite amie qui faisait partie de SPEB, est-ce qu’il y a des choses qui ont changé de ce côté-là ?] Euh… pfff… (Il rougit) Dans la mesure où j’ai une vie sentimentale inexistante, je ne peux pas répondre à cette question… [Et avant cette ancienne petite amie, est-ce que tes histoires étaient liées au milieu militant ?] J’ai une seule ex, j’ai une vie très bizarre. […] [Est-ce que tu pourrais imaginer être ami ou avoir une “histoire” avec quelqu’un qui n’est pas engagé ou qui ne se situe pas à gauche, qui n’est pas proche de tes idées ?] Disons, qu’il y ait un minimum de recherche de… disons, une dimension critique. C’est clair que les… enfin… (Silence) À deux reprises, j’ai éconduit des filles qui… bon, avec qui je m’entendais bien, mais – apparemment je leur plaisais – mais… je ne sais pas, je ne le sentais pas… Il y avait un truc qui manquait. » Philippe (SPEB/ATTAC).
« [Est-ce que tu crois qu’une relation sentimentale est compatible avec un engagement militant aussi intense que le tien ?] Oui, c’est compatible, si on le souhaite. Mais, moi, je ne veux pas. Les relations n’ont pas d’importance dans ma vie. C’était déjà comme ça avant mon engagement politique. Il y a d’autres choses qui étaient et qui sont toujours plus importantes pour moi. À part l’histoire avec cette fille dont je t’ai parlé, j’ai eu une seule autre histoire pendant mes [seize] années de militantisme, ça a duré trois ans aussi. » Michael (Linksruck).
82Le sacrifice de leur vie privée de certains des militants de SPEB et de Linksruck rappelle la figure-type du militant, l’homo-ideologicus décrit par Philippe Bénéton68, ou le concept de « suicide altruiste » d’Émile Durkheim. Ces figures-type du militant pensent tout devoir à l’organisation qui les a formées et promues, et négligent leur quotidien pour mieux défendre leur cause.
83La possibilité d’accéder à des postes d’appareil sont une motivation supplémentaire pour les militants de SPEB et Linksruck, et ce, plus particulièrement pour les militants en manque de reconnaissance :
« Et j’ai trouvé ça bien qu’on nous donne tout de suite des responsabilités, […] sans que quelqu’un vienne nous dire : “Quand t’auras lu ces 1000 bouquins, reviens nous voir et tu pourras faire quelque chose” ou “Apprends d’abord à parler correctement”. Dans Linksruck, on commence directement à participer. On fait un discours au mégaphone et, au début, il n’est pas terrible, mais on apprend en faisant. J’ai trouvé ça bien. Je me suis sentie prise au sérieux. » Sabrina (Linksruck/ATTAC).
84Les militants évoquent fréquemment la reconnaissance perçue au sein du groupe et l’estime de soi qu’ils ont gagnée dans ces organisations. Ils racontent pour la plupart comment l’organisation les a accueillis les bras ouverts. Le gain de « confiance », que nous avons déjà caractérisé plus haut comme élément moteur du militantisme de ces jeunes, tient également une place centrale dans le discours des militants de SPEB et de Linksruck. Les responsabilités qui sont confiées aux militants dès leur entrée dans ces groupes et la formation interne qui leur met le pied à l’étrier dès les premières mobilisations contribuent à accroître leur estime de soi. La prise de parole au mégaphone ou au micro des nouveaux entrants est largement encouragée par les anciens militants de ces organisations. Lors des réunions de collectifs unitaires, il n’est pas rare d’observer une ovation générale des militants de SPEB ou de Linskruck après l’intervention orale de l’un de leurs camarades. Ce soutien des militants par leurs pairs fait partie d’une stratégie plus générale de ces groupes trotskistes :
« L’importance de la confiance ? Parce qu’on est dans un système qui entretient les gens dans une situation, dans un état d’esprit où “Bon ben, je ne suis pas compétent, il faut que je fasse confiance aux experts, il y a les gens qui parlent bien, il faut que je les suive.” C’est très infantilisant. Et ce n’est pas évident de surmonter ça, ce n’est pas évident d’intervenir en public, c’est quelque chose de pas facile, d’être contredit sans s’énerver, ce n’est pas facile non plus. Donc pour surmonter tous ces trucs-là, il faut une élasticité, il faut avoir du ressort. […] Si tu regardes, il y a énormément d’événements politiques qui ont en fait la confiance comme principal enjeu. Autant à gauche qu’à droite, d’ailleurs. Parce que les manifs du Front national le 1er mai, c’est pour ça aussi. […] La confiance ça reste quelque chose d’important partout. […] Ça motive pour continuer à agir, ça permet d’impliquer plus de monde… La confiance est le contraire de la démoralisation, et quand on compte sur la mobilisation du plus grand nombre de gens pour changer les choses, la démoralisation est un obstacle. » Philippe (SPEB/ATTAC).
85Enfin, l’espoir qu’apporte l’idéologie téléologique de ces organisations révolutionnaires et leur promesse d’un monde meilleur, tiennent une place importante dans le choix des militants. Nous avons vu plus haut que Philippe (SPEB/ATTAC) était à la recherche de marxistes moins pessimistes et plus dynamiques que ceux de Lutte ouvrière, quand il a rencontré les militants de Linksruck puis de SPEB. Les autres militants ayant rejoint ces groupes étaient eux aussi en quête d’un engagement « réenchanteur ». Certains rêvent d’un monde où tous les Hommes seraient égaux, d’autres d’une grande gauche unie et forte.
« Je suis devenue beaucoup plus active quand j’ai rejoint Linksruck, parce qu’ils m’ont apporté plein d’espoir, ils disaient que tout n’était pas que frustration, que tout ne s’effondrait pas… Mais qu’on pouvait construire des choses nouvelles. Ça m’a impressionnée et j’ai trouvé ça bien ! » Sabrina (Linksruck/ATTAC).
86Les militants de ces deux groupes ont en commun une perte de repère, un manque de reconnaissance ou une situation de rupture familiale au moment où ils rencontrent SPEB et Linksruck. Nous l’avons vu, cette rencontre s’est faite pour l’ensemble d’entre eux à la suite d’un déménagement et/ou du commencement de leurs études. À cette perte de repère, s’ajoute une série d’autres manques dont nous pouvons citer quelques exemples ici. Au-delà des problèmes personnels et familiaux de certains – famille inconnue, absence de vie sentimentale – le manque de repères ou de reconnaissance de la plupart d’entre eux est lié à leur environnement politique. L’une a, nous l’avons vu, expérimenté plusieurs groupes politiques dans lesquels elle ne s’est jamais sentie à son aise ou dont elle a été exclue (des communistes réformateurs jusqu’aux autonomes, en passant par la scène écolo-alternative et les jeunes sociaux-démocrates). D’autres vivent, par ailleurs, un désaccord politique profond avec leurs parents, doublé pour l’un des deux d’un malaise au sein de son milieu universitaire : militant de gauche minoritaire au sein d’une université privée catholique, il rejoint ensuite Science Po à Paris où son attitude politique détone. Cette attitude décalée s’exprime notamment lors d’une action contestant un amendement au Projet de Loi sur la Sécurité Intérieure présenté à l’Assemblée nationale en décembre 2002, punissant d’une amende de 7 500 euros et d’une peine d’emprisonnement l’outrage au drapeau tricolore et à l’hymne national :
« Une fois, j’ai fait une action d’outrage au drapeau. […] Je ne sais pas si c’était une très bonne idée, mais bon c’est fait, c’est fait. On était une dizaine à faire ça – il y avait cinquante mecs de droite autour. En gros, c’était jouer à “saute-drapeau” dans la cour de Science-po. On avait fabriqué un grand drapeau tricolore et puis on avait un poste de radio et on passait la Marseillaise de Gainsbourg. […] J’ai commencé à sauter et puis j’ai fait un peu exprès de marcher dessus (rire) et alors là, il y a une brute qui est arrivée du fond de la cour, un type immense, qui est arrivé en courant et qui m’a chopé par le colbac, comme ça, et j’ai vu sa main qui partait comme ça et j’ai dit : “Ouhlala, ça va être pour ma pomme !” Et en fait, non, c’est un autre qui a pris le pain (rire). En fait, le gros problème avec ce truc-là, c’est que, comme finalement c’est un truc qui n’a pas été très bien compris, du coup, face à ce truc-là, je me suis retrouvé tout seul. Et autant, tu te fais attaquer par un “faf”, t’as quand même un certain soutien… Mais, là, il n’y a pas eu de réaction par rapport à ça. C’était un peu pénible comme situation. » Philippe (SPEB/ATTAC).
87Deux autres encore évoquent l’histoire politique de l’Allemagne et la déstabilisation qu’a engendré l’absorption de la RDA par la RFA. Celle-ci a ainsi généré un mal-être chez le militant issu de la RFA et l’impression de ne pas se trouver chez soi dans son propre pays pour la militante de RDA. La mystification faite par SPEB et Linksruck de l’historiographie communiste a certainement aidé ces militants à revaloriser à leurs yeux la RDA absorbée dans l’Allemagne réunifiée. Mais c’est davantage l’oreille attentive des militants de ces organisations, la politique interne d’inclusion et de prise en charge des nouveaux arrivants qui semblent avoir été déterminantes :
« L’unification des deux Allemagne a été une véritable catastrophe. J’ai voulu m’engager politiquement juste après, mais j’étais pas mal frustrée quand je regardais le journal télévisé, de voir tout ce qui se passait vraiment… Parce qu’en RDA, on était protégé, il n’y avait pas d’infos sur le monde entier, toutes ces guerres et tout ça. Tout était paisible, on était élevé dans le calme, tant qu’on ne regardait pas ce qui se passait en coulisses et qu’on s’adaptait au système. C’est pour ça que l’unification a été un choc, à cause de tout ce qu’on a appris… Il y a eu des moments où je disais : “Je ne veux plus regarder le journal télévisé, je ne le supporte plus, c’est trop violent, trop brutal !” Dans ces moments-là, je ne vivais plus que pour moi. J’avais assez de passe-temps pour faire abstraction de toute la politique et toute cette merde […]. L’unification m’a démoralisée. Ce n’est pas comme s’il y avait eu de l’espoir, genre “Maintenant, on va pouvoir faire des choses.” Non, en fait j’étais plutôt un peu frustrée. J’ai eu besoin de plus de dix ans pour digérer tout ça. Au début, j’étais touchée personnellement dès qu’on commençait à parler de l’unification. Je le prenais très personnellement… Je réagissais de manière très émotive. Pendant longtemps, je pleurais presque à cause de ça. J’avais douze ans quand les Allemagne ont été réunifiées, et j’avais l’impression d’avoir eu une belle enfance et d’avoir été heureuse en RDA. […] J’étais assez choquée que plein de gens aient vécu la RDA comme une dictature et qu’ils veuillent absolument la fuir. Enfant, j’avais une image de la RDA qui était fausse. Et puis on m’a arraché cette RDA une première fois, pour de vrai (sourire). Et puis, quelques temps après, on m’a arraché l’image idéelle que j’avais de la RDA, parce que j’ai compris ce que ce pays avait été en réalité pour la plupart des gens. Ça me pose problème aujourd’hui encore. Je ne me sens pas intégrée dans la République fédérale, je me sens comme une outsider. Je dois certes vivre ici, parce que je n’ai pas d’autre patrie, mais je ne me sens pas à ma place ici… Ou plutôt, ma place est dans l’opposition. La première fois que j’ai commencé un travail personnel par rapport à ce problème, c’est quand j’ai pu en parler au sein de Linksruck. Je ne suis plus sentie attaquée, quand on attaquait la RDA.
À un moment, j’ai réussi à séparer les deux choses. Enfin, je veux dire à séparer la RDA de ma personne (rire). » Sabrina (Linksruck/ATTAC).
88Ces militants qui ont moins d’attaches extérieures et qui sont dans une situation de fragilité au moment de leur rencontre avec SPEB et Linksruck, accueillent favorablement la structure forte de ces organisations. Le cadre organisant leur rapport au monde, à la société, au quotidien, n’est pas pour leur déplaire. La démarche « mouvementiste » du groupe assure un agenda militant serré et remplit le temps libre et la vie sociale de ces militants. L’impression d’être enfin compris que nous avons observée chez Sabrina évoquant l’unification des Allemagnes ou chez Philippe, jusque-là souvent minoritaire dans les organisations et les milieux qu’il a traversés, est omniprésente dans le discours des militants de SPEB et Linksruck :
« Vu que je viens d’un milieu parental défavorisé, ça a été pour moi la première occasion de prendre part à la vie de la société. Ça a été très-très important. Ça a commencé déjà avant Linksruck, à travers mes activités politiques avec mes amis, la participation aux manifestations où j’avais le droit de filer un coup de main… Et aussi d’aider à organiser les manifestations et de voir que ce que je faisais pouvait être important pour d’autres gens. Les gens me demandaient mon opinion. Ce n’étaient pas du tout le cas chez mes parents. À l’école non plus. C’est la première fois de ma vie que j’ai ressenti ça. Linksruck n’était qu’une organisation parmi d’autres. Alors pourquoi je les ai rejoints ? Ben, ce qui m’a vraiment encouragé, c’est que ces gens étaient vraiment actifs et qu’ils sont venus me parler. Dans d’autres groupes, c’était plutôt à moi d’y aller et ça durait super longtemps avant qu’on ne se sente plus comme un étranger. » Michael (Linksruck).
89Ce gain de confiance apporté par les deux organisations trotskistes compte parmi les rétributions que les militants pensent recevoir dans le cadre de leur engagement. Si les rétributions sont peu prévisibles par les militants avant leur entrée dans un groupe et peuvent par conséquent difficilement expliquer les raisons de l’entrée dans une organisation, elles renseignent en revanche sur les raisons qui poussent les militants à rester dans ces groupes.
Influences réciproques du militantisme et de la vie privée
90Nous avons demandé aux dix-huit jeunes militants quels étaient les changements intervenus dans leur existence, d’une part depuis leur entrée en politique, d’autre part depuis leur adhésion à une organisation altermondialiste. Nous les avons ensuite interrogés sur les rétributions matérielles ou symboliques qu’ils pensaient obtenir dans ce cadre en échange de leur engagement et qui pourraient expliquer, en partie au moins, le maintien (ou non) de leur engagement.
91La fidélité que les militants accordent à leur organisation est dès lors le fruit d’une interaction entre les individus et les groupes, ou entre les individus et les contextes d’action69. Nous partons donc du principe que l’un et l’autre s’influencent fortement, comme par effet de miroir. La question des répercussions de ce militantisme sur leur vie privée leur a ainsi également été posée. Il apparaît alors que l’action militante des dix-huit jeunes de notre échantillon ne se réduit pas à une action publique, tournée vers l’extérieur, mais qu’elle a également intégré leurs habitudes quotidiennes. Il semble donc intéressant de se pencher sur les efforts d’adéquation théorie/pratique effectués par ces militants et de déterminer à quel niveau de leurs agissements personnels ils s’expriment (consommation, transports, loisirs ou autres secteurs de l’existence).
Coûts de l’altermondialisation et faiblesses des rétributions matérielles
92Tout d’abord, pour les militants qui n’ont pas été satisfaits de l’offre organisationnelle altermondialiste préexistante et qui ont choisi de créer ex nihilo les groupes INKaK, VAMOS et AARRG !!, la prise de risque et l’investissement en temps ont été de taille. C’est le cas aussi des jeunes militants français d’ATTAC qui ont créé – non sans mal, comme nous le verrons – une branche ATTAC-Campus au sein de l’organisation. Pour les membres fondateurs des groupes créés ex nihilo, les rétributions potentielles sont d’autant moins prévisibles que ces groupes ne préexistent pas. En sus, la possibilité pour eux de se reposer sur l’engagement des autres tout en bénéficiant des rétributions de l’organisation – le phénomène de « passager clandestin » ou de free rider70 – est quasiment exclue dans un premier temps. Ces nouveaux groupes, dans lesquels tout est à construire, ont donc peu à promettre en termes d’incitations matérielles ou symboliques à leurs militants. En somme, dans les phases initiales d’une organisation, les risques sont grands et les profits réduits71.
93Au-delà du cas particulier de ces groupes affinitaires émergents, les militants ont énuméré une série de changements qui sont intervenus dans leur existence à la suite de leur engagement militant, et notamment l’influence de cet engagement politique sur le cursus universitaire de plus d’un tiers des militants (certains ont commencé ou repris leurs études, d’autres ont réorienté leur cursus) et les changements intervenus dans le cercle d’amis des militants. Markus, militant dissident de Linksruck, a ainsi confié avoir failli perdre ses amis, en participant à l’organisation trotskiste Linksruck. Quant à Philippe, militant de SPEB, la déformation personnelle qu’il a subie dans son organisation l’a poussé à vouloir absolument convaincre ses proches du bien-fondé de ses idées, entraînant l’éloignement d’une partie d’entre eux.
94Ce sacrifice de la vie privée que semble provoquer l’engagement dans SPEB et Linksruck caractérise également les militants des autres groupes de notre échantillon. En effet, un tiers des jeunes militants évoquent lors des entretiens la perte de leur cercle d’amis à la suite de leur entrée en militantisme et, pour certains, également la prise de distance avec leur famille. La plupart d’entre eux justifient cet éloignement de leurs amis d’enfance et d’adolescence par le manque de temps et par leur difficulté à rester entourés d’individus dénués de conscience politique :
« De plus en plus, mes amis sont aussi des gens avec qui je fais de la politique. Et puis tout simplement dans ma vie sentimentale, les garçons avec qui je sors, c’est tous des garçons engagés. J’ai beaucoup de mal à être avec quelqu’un qui ne soit pas là-dedans. Ben, en tous les cas, ça m’a permis de donner une cohésion. Mais [le militantisme] peut être un peu aliénant parfois… pff… Il y a vraiment une vie en dehors de ça. Et puis comme la plupart des gens ne passent pas tout leur temps à ça, on se sent super décalé aussi, dès qu’on retourne à une vie… Moi, pour mes amis de Nice par exemple, je suis toujours un peu une extra-terrestre : dès que j’arrive, ils me parlent de politique ! Donc c’est un petit peu problématique. » Sophie (ATTAC/VAMOS).
95Ce que cette militante dit d’ailleurs apprécier dans son engagement au sein d’ATTAC, plutôt qu’au sein de VAMOS et de la LCR, c’est qu’ATTAC est une organisation « consensuelle » qui crée le lien avec ses amis « intellectuels » qui n’ont qu’une faible conscience politique : « Pour ATTAC, je n’ai même pas besoin de les traîner : ils viennent d’eux-mêmes. À des conférences, à des réunions. Et c’est vrai que c’est pas mal ! » Sophie (VAMOS/ATTAC).
96Autre coût conséquent à l’engagement, plus d’un tiers des militants affirment que l’empiétement de leur vie militante sur leur temps libre a entraîné l’abandon de leurs loisirs. Le temps important consacré à l’engagement nécessite en effet le sacrifice d’autres occupations : cercles littéraires, opéra, théâtre, cinéma, danse, sport et musique sont évoqués par les militants. L’engagement militant vient remplacer ces loisirs, sans que ces militants semblent toutefois le regretter.
Un militantisme désintéressé ?
97Pourquoi les militants décident-ils de s’engager plus de quinze heures par semaine pour l’altermondialisation72, quitte à renoncer pour certains à une vie sentimentale, à négliger leurs études, à sacrifier une partie de leur cercle d’amis ? Certains consacrent leurs week-ends à la rédaction du journal interne de leur organisation, d’autres se lèvent le samedi matin pour vendre un journal sur les marchés, d’autres enfin dépensent leurs économies pour acheter du matériel en vue d’une action politique. À y regarder de plus près, rien ne distingue réellement le fonctionnement des jeunes altermondialistes de celui des mouvements de jeunesse politiques de gauche73. Le gros de leurs activités consiste en effet à lire et rédiger des textes, passer des coups de téléphone, organiser des réunions, prendre des contacts, lire et écrire des messages électroniques… Seuls les militants d’AARRG !! échappent en partie à cette monotonie en n’organisant de réunions qu’à l’occasion d’actions et en se passant de recruter de nouveaux militants.
98L’un de ces militants, interrogé sur les incitations qui le stimulent dans son militantisme, nous répond : « Rien. Si je fais tout ça, c’est seulement parce que j’ai des convictions. » Est-ce à dire que la seule défense des causes altermondialiste, anticapitaliste ou trotskiste suffit à animer les militants ? À la suite de Daniel Gaxie ou de Mancur Olson74, nous ne pensons pas que l’attachement à une cause constitue l’élément unique et déterminant du militantisme75. Les mobiles idéologiques, les doctrines servent en effet aux militants à justifier leur engagement, mais n’en expliquent pas pour autant tous les ressorts. Daniel Gaxie affirme ainsi que les inclinations idéologiques ne se concrétisent que rarement en militantisme, si elles ne sont pas accompagnées de contacts sociaux, de l’intégration à l’univers des militants et si elles ne sont pas suivies de rétributions matérielles ou symboliques. Il en veut pour preuve le fait que, par exemple, au sein d’une fédération du parti socialiste italien étudiée, seuls 17 % des adhérents maîtrisaient l’idéologie de leur parti76.
99De la même manière, face à la complexité des concepts de « mondialisation » et d’« altermondialisation », certains jeunes militants de notre étude s’égarent parfois. Leurs études prolongées et le capital culturel élevé de la famille de la plupart d’entre eux ne suffisent pas toujours à la maîtrise parfaite de l’« idéologie » altermondialiste et des connaissances de leur champ d’action. Lors des entretiens que nous avons menés, si certains montrent un savoir circonstancié et très riche en matière de culture politique et d’altermondialisation, il n’est pas rare que d’autres militants confondent les instances supranationales ou les dates – une militante situe par exemple le contre-sommet-phare de Seattle en 1998 –, ou encore répondent de manière très floue à la question des buts poursuivis par l’altermondialisation.
100De la même manière, les connaissances approximatives de certains en matière de politique nationale confirment l’hypothèse que, pour ceux-là au moins, ce sont davantage les rétributions symboliques apportées par les organisations qui motivent les militants à rejoindre le militantisme qu’un véritable intérêt pour la politique77 :
« [Est-ce qu’il y a une personnalité politique que tu admires ?] Krivine, par exemple. Parce qu’il a quand même dit les choses clairement au moment où il était ministre. Il a pris des positions que je trouvais… [Krivine a été ministre ? ! ?] Oui, il a été ministre… Euh, non, son frère… [Euh…] Au moment de la Palestine, il a pris position assez clairement. Au moment du 11 septembre aussi. Donc Krivine, par exemple. Il a été ministre des Affaires Étrangères. [Mmmhh…] Tu me fais douter… Védrine !! ! Pardon, excuse-moi !! » Juliette (AARRG !!).
« [Est-ce que tu es allée à Cologne en 1999] À Cologne ? ? [Oui, il y avait un contre-sommet…] (Silence) [Et à Bruxelles en 2001 ?] Euh, c’était… oui… enfin, je ne sais plus vraiment, en fait. Il y avait aussi des actions anti-nucléaires tout le temps auxquelles je participais. Je ne sais pas toujours où j’ai été… Parfois je regarde une vidéo et je me dis “Ouhlala, mais j’y étais aussi là-bas !” » Sabrina (Linksruck/ATTAC).
101Si les coûts sont réels et si la cause n’est pas la motivation principale des militants, quel est alors le nerf de la guerre, quelles sont les incitations matérielles et symboliques qui motivent les militants ? L’altermondialisation n’est pas ou peu créatrice d’emplois. Parmi les organisations que nous avons étudiées, seules ATTAC, Linksruck et SPEB proposent une rémunération financière à des permanents politiques qui sont bien peu nombreux. Parmi les militants que nous avons suivis, un militant d’ATTAC-Allemagne a été faiblement indemnisé pour plusieurs mois de préparation d’un contre-sommet, d’autres l’ont été ponctuellement pour des déplacements et une militante a pu effectuer un stage à mi-temps au sein d’ATTAC à Berlin.
102Le mouvement altermondialiste est non seulement rarement rémunérateur, mais il ne propose pas de réelles perspectives d’obtention de postes politiques et ne garantit pas de carrières politiques, ou du moins pas à court terme. Peu de privilèges semblent a priori réservés aux militants du mouvement. Plusieurs militants répondent d’ailleurs avec fierté qu’ils ne reçoivent aucune rétribution dans le cadre de leur engagement, qu’elles soient matérielles ou symboliques : « Ce n’est pas vraiment une relation de don contre don » dit l’une d’entre eux, un autre affirme que « C’est un acte purement gratuit ». Une militante d’ATTAC et de VAMOS voit dans cette gratuité une distinction supplémentaire par rapport aux structures partisanes :
« Ce qui distingue ce qu’on fait par exemple des gens qui sont dans des partis qui sont payés pour ça, c’est qu’on y passe notre temps et notre argent. Quand t’es au PS, t’as un poste, t’es payé pour faire ça et, finalement, c’est là que tu deviens un mandarin. Nous, c’est l’inverse, on ne reçoit rien pour ce qu’on fait. Socialement, c’est pas un statut, c’est pas des sous. Et c’est en ça que je fais la différence. Vraiment. On n’est pas payé en retour. Je pense que ça change pas mal de choses. Et pour moi du coup, c’est un vrai engagement. » Sophie (VAMOS/ATTAC).
103Cet attachement à la non-rétribution – au moins financière – de leur militantisme rappelle l’image utilisée par Pierre Bourdieu pour évoquer cette valorisation du désintéressement. Selon lui, ce refoulement de l’intérêt et des profits économiques, derrière l’apparence de piété, de vertu et de désintéressement, camoufle malgré tout des intérêts subtils78. En effet, le fait d’affirmer ne tirer aucun avantage matériel immédiat de leur engagement semble garantir à ces militants la pureté de leur militantisme, voué à la défense de biens collectifs. Nous avons vu, par ailleurs, que la majorité des militants altermondialistes ne sont en rien des « perdants de la mondialisation ». Ces militants livrent donc une lutte contre la mondialisation dont les profits ne leur reviendront pas. Leur profil est en ceci similaire à celui de la figure des militants moraux (conscience constituents) qui ne tirent aucun bénéfice direct du succès de l’action et de l’organisation79. Les gratifications perçues grâce au sentiment de servir ou d’œuvrer pour une juste cause expliquent ainsi au moins en partie leur engagement.
La figure du prébendier et celle du militant stratège
104La grande variété des trajectoires militantes, des orientations idéologiques et des profils militants présents au sein du mouvement altermondialiste entraîne de facto une grande variété de motivations au militantisme, une dépendance différenciée aux organisations, des projets et des vocations politiques différents, etc. Nous le voyons ici au travers de deux profils militants présents dans notre échantillon.
Le cas de Michael, prébendier au sein de Linksruck
105Michael, militant de Linksruck, justifie l’absence de rémunération comme la garantie de son indépendance par rapport à l’organisation :
« Par semaine ? Je milite au minimum 35 heures pour Linksruck. Ce à quoi il faut ajouter 5 à 10 heures de militantisme à l’extérieur. [Tu es payé pour ça ?] Non. Je gagne ma vie en travaillant le week-end et les jours fériés comme auxiliaire de vie auprès de personnes âgées. Pour peu d’argent évidemment, 500 euros nets mensuels, et je dois vivre de ça et financer mes activités politiques. Je ne reçois pas un centime de Linksruck. Et, franchement, c’est bien comme ça, parce que ça garantit mon indépendance politique. Je peux les critiquer à tout moment. Je n’aimerais pas me retrouver dans la situation d’être payé à plein temps pour mon engagement, d’avoir des critiques importantes à formuler et de ne pas pouvoir rendre ma carte, parce que ce serait mon gagne-pain. [Tu ne trouverais pas ça normal de toucher un salaire pour tout ce travail ? ?] (Silence) Ben, en fait, ce serait pas mal. Enfin “normal”, je dirais que c’est plutôt… enfin, pour les gens qui travaillent à plein temps, je trouve ça normal. [Mais 35 heures, c’est du…]… Oui, c’est un plein temps… Mais bon, ça a des avantages et des inconvénients. L’inconvénient, c’est que je dois gagner ma vie à côté de ça et que c’est éprouvant et que l’argent que je gagne ne me suffit pas pour vivre. » Michael (Linksruck).
106Cette absence de rémunération n’est cependant pas (ou pas seulement) un choix, puisqu’il n’a jamais été proposé à Michael de percevoir un salaire pour son activité de rédacteur du journal de Linksruck, ni pour ses autres occupations militantes. Cette activité intensive et bénévole pour l’organisation qui place ce militant âgé de 34 ans dans une situation de grande précarité n’est donc qu’en partie choisie. Michael ne possède pas le profil social et professionnel qui lui permettrait de s’engager comme il le fait, c’est-à-dire bénévolement et intensément. Il ne détient ni capital culturel, ni capital social élevé, et sa profession peu rémunératrice ne lui laisse pas la liberté de sacrifier une partie de son temps de travail tout en continuant à percevoir un salaire suffisant. Sa dépendance de Linksruck est ainsi corrélée à l’importance du sacrifice en temps et en argent qu’il a investi depuis des années dans l’organisation. Comme l’a noté Pierre Bourdieu, sa dépendance est d’autant plus totale que le capital économique et culturel qu’il possédait avant son entrée dans ce mouvement politique est plus faible. Ce qui explique son sentiment de tout devoir à son organisation, « non seulement [sa] position qui [l’] affranchit des servitudes de [son] ancienne condition, mais [sa] culture bref tout ce qui fait [son] être présent80 ».
107La vision entrepreneuriale de la politique décrite par Max Weber, notamment au travers de la figure du « prébendier » – « sortes de clients, durablement liés à l’appareil par les bénéfices et les profits qu’il leur assure, tenant à l’appareil pour autant que celui-ci les tient en leur redistribuant une part du butin matériel ou symbolique qu’il conquiert grâce à eux81 » – correspond à la figure de Michael. L’image souvent dépeinte par les organisations de l’immaculé militantisme entièrement dévoué à une cause – conjuguée à la figure honnie de l’apparatchik détourné de l’action militante – garantit aux structures une main-d’œuvre consentante et peu onéreuse, quand elle n’est pas gratuite.
108D’autre part, le renoncement et les sacrifices importants que ce militantisme quasi-compulsif entraîne dans l’existence de cette figure militante – absence de loisirs, absence de vie sexuelle et sentimentale – ne laisse que peu de place à une éventuelle reconversion personnelle en cas de désaccord avec son organisation, aucune chance de fuite en avant. Michael vit en colocation avec des militants de Linksruck, la reconnaissance sociale qu’il a acquise en tant que co-rédacteur du journal de l’organisation n’a aucune valeur en dehors du champ militant, etc. Étant le seul militant de l’échantillon à n’avoir aucune formation supérieure, il ne dispose d’aucune ressource sociale qui l’autoriserait à risquer une prise de distance avec la ligne officielle de son organisation politique82. Ce désintéressement mis en avant par une partie des militants que nous avons étudiés, cette « idéologie du militant dévoué » souvent propagée par les organisations elles-mêmes, dissimule dans un premier temps les rétributions symboliques finalement évoquées par l’ensemble des militants.
La figure du militant stratège
109Cette posture de militant « pur » et la revendication de cet engagement gratuit n’est en effet pas le discours de l’ensemble des militants. Parmi les militants trotskistes de la LCR, de Linksruck et de SPEB, plusieurs assument ouvertement leur engagement stratégique – pour eux personnellement, ou pour leur organisation – et intéressé. L’appartenance concomitante à plusieurs types d’organisations (association, syndicat, parti) relève de l’importance de l’« engagement social » prôné par ce courant idéologique, qui permet d’être en prise avec la société. Ces militants n’ayant pas le don d’ubiquité, cette concomitance est limitée et il leur est nécessaire de renoncer à certains engagements pour mieux concentrer leur énergie dans les nouveaux secteurs émergents. C’est le cas de Nicolas qui, lors du deuxième entretien, explique le réajustement de son multi-positionnement organisationnel :
« Je ne milite plus à ATTAC en tous les cas. Je n’ai pas repris ma carte. C’est vraiment parce que ce n’était pas utile pour moi. Voilà. Moi, j’ai un rapport toujours instrumental au cadre dans le sens où je me demande “À quoi sert mon engagement et mes idées ?” Et là, ça ne servait à rien que je sois dans ATTAC, je n’avais pas le temps de faire ça en plus. » Nicolas (VAMOS/ATTAC).
110À première vue, ces motivations semblent être avant tout matérielles ou stratégiques, elles donnent l’impression que certains militants ont effectivement recours au calcul coût/bénéfice dans leur choix de carrière militante. La volonté d’une petite moitié de notre échantillon qualitatif de devenir « professionnel de la politique » et donc d’être rémunéré pour ses activités militants va également dans ce sens83. Toutefois, ces propos trahissent moins un engagement militant rationnel, que des motivations mues par une « raison suffisante » c’est-à-dire qui ne tient pas de la pure rationalité. Ces militants développent ainsi une certaine réflexion et réflexivité à propos de leur action, sans pour autant agir purement par intérêt. Comme l’écrivait Pierre Bourdieu, les militants « peuvent avoir des conduites raisonnables sans être rationnels ; […] ils peuvent avoir des conduites dont on peut rendre raison […], sans que ces conduites aient eu la raison pour principe84 ».
111Ceci ne montre pas seulement l’intéressement ou la « raison suffisante » qui guide ces militants, ceci indique surtout la place centrale que tient le militantisme dans leur vie. Avant de pouvoir un jour espérer toucher un revenu pour leur militantisme, les militants peuvent occuper au sein d’ATTAC, de Linksruck et de SPEB des postes à responsabilité non rémunérés au sein de l’appareil. Cette forme d’« incitation sélective » (ou « incitation indépendante »), comme la nomme Mancur Olson, à laquelle quelques militants aspirent pour compenser les charges et les coûts liés au fonctionnement des organisations n’est cependant pas la seule évoquée.
Les rétributions symboliques
112D’autres formes de rétributions sont citées par les militants : l’acquisition de compétences, la reconnaissance de leurs pairs, le sentiment d’être utile et d’être un acteur de la société et la construction de nouvelles formes de sociabilité. La question se pose de savoir si l’on peut les qualifier d’« incitations », au sens où ces rétributions ne sont a priori pas escomptées en amont de l’engagement et que l’utilisation de ce concept induirait une explication purement économique de l’entrée en militantisme. Toujours est-il que la nature des incitations ou rétributions fournies varie en fonction des organisations, chacune d’entre elles produisant ses propres mécanismes de rétribution85. Ainsi, les groupes affinitaires INKaK et AARRG !!, et le réseau VAMOS jouent davantage sur la sociabilité et la solidarité de leurs militants ; AARRG !! propose à ses militants un espace de créativité ; ATTAC joue sur l’acquisition de compétences et sur le prestige de l’organisation ; SPEB et Linksruck insistent quant à eux sur la transmission de compétences et de savoir, sur les responsabilités, les postes et la reconnaissance accordés aux adhérents.
113Parmi les rétributions que les militants perçoivent dans le cadre de leur engagement, il y a celles qu’ils n’évoquent pas directement et que l’on devine (démarcation du cercle familial, palliatif à l’absence de vie amoureuse, notabilité au sein du champ contestataire pour ceux occupant des responsabilités, etc.) et celles qu’ils énumèrent (cercle de sociabilité, rencontre amoureuse, palliatif professionnel, estime de soi, considération et prestige, reconnaissance sociale, confiance en soi, conscience d’être actif, acquisition de compétences, avantages matériels, etc.). La plupart de ces rétributions auraient pu être perçues par les militants dans le cadre d’un loisir quelconque. L’engagement militant joue d’ailleurs le rôle de « loisir », comme nous le verrons plus loin avec l’exemple de la participation aux contre-sommets. L’énumération des rétributions symboliques faite par les jeunes militants recoupe la liste d’« ingrédients du bonheur » assemblée par Albert O. Hisrchman : amitié, autonomie, sentiment de sa propre valeur ou estime de soi, etc.86. Elle recoupe également celle des rétributions militantes établie par Daniel Gaxie, qu’elles soient matérielles ou symboliques : injection d’un sens à la vie des individus87, affection, admiration, prestige, responsabilités, exercice de fonctions de représentation, signatures dans la presse locale, participation aux festivités, reconnaissance et considération des concitoyens, popularité, célébrité, acquisition d’une certaine culture et de compétences, ascension sociale, capital de relations sociales et par ce biais acquisition d’un logement ou d’une situation88, intégration sociale, loisir et détente, « micro-marché matrimonial », structuration de l’existence89, etc.
L’adoption d’une posture contestataire
114Une forme de rétribution non répertoriée par Daniel Gaxie, mais analysée par Philippe Juhem à l’appui de son étude des militants de SOS-Racisme, consiste en la possibilité d’afficher une patente de radicalité. Si Philippe Juhem n’a pas catégorisé l’adoption d’une posture contestataire comme une rétribution stricto sensu, il précise qu’elle explique bien davantage la motivation des militants à rejoindre des organisations contestataires que les seuls concepts de « conviction » ou « d’idéologie »90. L’une des militantes que nous avons interrogée cite cette patente de radicalité, ce rôle de révolutionnaire parmi les rétributions récoltées :
« Je passe environ 50 % de mon temps à militer ! (rire) En fait je vais peut-être avoir l’air un peu grandiloquent, mais le fait de militer à SPEB, ça fait que je suis devenue “révolutionnaire” ! Et du coup, ça ne change pas seulement la manière d’analyser le monde, etc., c’est aussi ce qu’on a envie de faire, c’est… c’est-à-dire que ce n’est pas juste un hobby ou une activité comme ça, ça devient une composante de sa vie, des décisions qu’on va prendre… Voilà, ça a changé le fait que je passe à peu près la moitié de ma vie, de mon temps, de mon énergie, de mon argent à essayer de construire une toute petite organisation et à argumenter avec les gens. » Camille (SPEB/ATTAC).
L’acquisition de compétences et la reconnaissance des pairs
115Parmi les réponses spontanées des militants, celles concernant l’acquisition de compétences sont les plus citées, elles concernent plus de la moitié des militants. L’intérêt que représentent les rétributions n’est pas universel, mais dépend fortement de leurs bénéficiaires. Il est ainsi fortement dépendant des attentes des militants, mais aussi de la position sociale des individus ou de leurs projets militants et politiques. Nous l’avons vu, au sein de l’échantillon, les militants de Linksruck présentent un profil social et culturel plus faible que les autres jeunes interrogés. Ce sont donc ces militants qui attachent le plus de valeur aux compétences que leur organisation leur a apportées. Michael (Linksruck) est par exemple en quête de reconnaissance sociale, d’un statut professionnel auquel il n’a pas accès en raison de l’absence de diplômes. Grâce à ses activités militantes, il peut désormais se présenter en tant que « rédacteur d’un journal ». L’exemple d’une autre militante de Linksruck vient confirmer cette plus grande fierté des militants « démunis » à occuper des responsabilités au sein de l’organisation, promesse pour eux d’une possibilité d’ascension sociale91.
116Sabrina (Linksruck/ATTAC) a pu, par exemple, obtenir un poste à mi-temps comme représentante des femmes dans un hôpital berlinois. Cette opportunité professionnelle est selon elle le fruit de ses réseaux et des compétences acquises au sein de son militantisme trotskiste :
« Je suis représentante des femmes à l’hôpital de la Charité et je n’aurais pas obtenu ce boulot si je n’avais pas été active politiquement et engagée. La représentante des femmes a pour mission de publier un journal pour les employés… Donc j’écris ce journal, je recherche des thèmes, pas mal d’articles… [Tu es payée par l’hôpital ?] Oui. [Et en quoi est-ce que ça a un rapport avec ton engagement politique ?] Euh… Ben, parce que ce journal aborde aussi les questions de la discrimination et de l’oppression des femmes et… [Mais tu as obtenu le poste par un adhérent de Linskruck ?] Ah non, non. Enfin, c’est un militant de Linksruck qui m’a dit que le poste se libérait, mais j’ai postulé toute seule. J’ai dû présenter mes positions sur la question et mes convictions. Et ce qui m’a avantagé, c’est que j’avais par exemple déjà écrit un article pour Linksruck, mené une interview, maquetté, parce que sinon je n’aurais eu aucune connaissance dans ce domaine, de comment ça se fabrique un journal… Sinon, je n’aurais pas eu ce boulot. » Sabrina (Linksruck/ATTAC).
117Les compétences citées par les militants englobent l’acquisition de techniques oratoires, la conception d’un journal, l’organisation de conférences, la gestion de réseaux, l’apprentissage de la discussion avec des personnalités politiques, etc. D’autres militants plus dotés en ressources sociales et culturelles vont plutôt apprécier le capital que leur apporte l’organisation d’une mobilisation internationale, comme les contre-sommets. Dans un curriculum vitae militant, l’organisation d’un événement de plusieurs jours, rassemblant 10 000 personnes venues de plusieurs pays est en effet tout à fait valorisable, par exemple lors de l’entrée dans un parti, afin de ne pas avoir à gravir longuement les échelons de celui-ci. Autant de compétences acquises qui sont également énumérées par les dirigeants de mouvements de jeunesse politiques qui ont été interrogés par Florence Moncourtois, ce qui montre une fois encore les similarités de ces formes d’engagement92.
118Ces compétences que les militants acquièrent dans le cadre de leur militantisme se soldent, on l’a vu, par un gain de confiance en soi. Si l’activité militante bénévole renforce et rassure les militants, c’est en raison de la reconnaissance qu’ils perçoivent chez leurs « camarades » ou dans leur hiérarchie. Certains d’entre eux expriment clairement cette attente de reconnaissance, parfois de manière très concrète. Les possibilités de publication que proposent les organisations peuvent être un moyen d’offrir sa reconnaissance à un militant en lui garantissant une audience inespérée93. Un militant d’ATTAC-France en a par exemple bénéficié et a publié un chapitre dans un ouvrage de l’organisation. Par-delà cette publication, il dit lors de l’entretien espérer que l’organisation lui fasse une place au sein du comité scientifique d’ATTAC, ce qui n’est pas sans rappeler le principe de la récompense aux plus méritants dans certains mouvements de jeunesse politiques qui répartissent ainsi leurs places au sein de la direction nationale94.
119La reconnaissance que l’organisation renvoie au militant est ainsi totalement corrélée à l’estime de soi de celui-ci. Cette estime de soi est une rétribution que la moitié des militants évoque. Elle peut être liée au cadre du militantisme : un militant de SPEB dit par exemple apprécier « être identifié à Science-po comme le mec qui bouge ». L’estime de soi peut également venir de compétences professionnelles qui sont reconnues au travers d’activités militantes, comme c’est le cas de Michael :
« Il y a une fois où les larmes me sont venues aux yeux. C’était pendant une rencontre de Linksruck. Une jeune femme – une étrangère, une Turque, je pense – a raconté qu’elle a essayé de monter un comité anti-guerre [d’Irak] dans son école, et vu qu’elle ne parlait pas très bien l’allemand et qu’elle n’avait trop d’expérience politique, elle ne savait pas trop comment s’y prendre. Et elle est tombée sur un article de Linksruck qui s’appelait “Six raisons d’être contre George Bush”. Et elle a tout simplement lu l’article devant sa classe et c’est comme ça qu’elle a pu créer un comité anti-guerre. Et c’est là que je vois que notre journal est utile. Je ne l’aurais jamais cru ! Ça dépasse toutes mes espérances ! » Michael (Linksruck).
Être acteur dans la société et se sentir utile
120Ce sentiment d’être utile rejoint une autre forme de rétribution citée par un tiers des militants, celle d’avoir le sentiment d’être « acteur », d’avoir l’impression d’« influer sur le cours des choses » et de ne pas rester passif face à l’actualité politique. Certains disent être fiers de ce qu’ils font ou de ce qu’ils sont. D’autres sont reconnaissants à leur organisation de leur avoir donné la conviction que n’importe quel individu peut agir sur la société, à son échelle, de leur avoir donné la conscience qu’il est possible de « changer les choses ». Seul un militant ne se dit pas pleinement satisfait de son action :
« Je n’ai pas une satisfaction totale de ce que je peux faire comme engagement. Donc c’est plus une sorte de béquille plus que vraiment un remède, quelque chose qui a pu vraiment me donner une bonne conscience ou quelque chose comme ça. J’ai presque envie de dire que c’est un devoir que j’ai de m’engager, plus que vraiment un plaisir ou une libération que j’ai trouvé dans l’engagement. » Guillaume (AARRG !!).
121D’autres apprécient le fait d’être « un artisan de l’histoire et d’appartenir à un groupe combattant pour des objectifs nobles et désintéressés95 ». Cet « attachement à la cause », la « satisfaction de défendre ses idées96 », semble revêtir davantage d’importance aux yeux des militants qu’une victoire altermondialiste. Seule une militante d’AARRG !! évoque l’hypothétique aboutissement de sa « lutte » comme possible rétribution. Les autres militants s’étendent davantage sur l’action elle-même, dont l’effet surgénérateur constitue un bénéfice en soi97. L’engagement pour ces jeunes militants semble en effet produire plus d’énergie qu’il n’en consomme, ce qui entraîne une (con) fusion entre la lutte et son aboutissement, entre coûts et bénéfices98.
122Loin d’une conception utilitariste de l’action collective, Albert Hirschman postule que le militantisme n’est pas seulement la poursuite d’un but, que les moyens utilisés sont aussi un bénéfice, puisqu’ils transforment les acteurs99. Ceci répond au paradoxe du déséquilibre coût/bénéfice au sein des mouvements ne proposant que peu de rétributions sélectives, et que certains ont résolu par l’évocation d’une forme de « foi » politique100. L’analyse d’Albert Hirschman rejoint ainsi celle qu’avait faite Bourdieu de l’engagement comme une forme de jeu sans visée téléologique101 et que confirment d’ailleurs les propos recueillis auprès de plusieurs militants :
« [Quelles sont les rétributions que tu reçois pour ton engagement ?] C’est le plaisir de se sentir acteur, même à un niveau minuscule. Je dirais que c’est un champ qui s’ouvre, en termes de curiosité, d’investissement, de découverte. » Juliette (AARRG !!).
123Ainsi le bénéfice que les militants retirent d’une action collective est la somme du résultat obtenu à l’issue de l’action et de l’effort militant fourni lors de celle-ci, alors que les approches économistes avaient jusqu’ici plutôt tendance à calculer ce bénéfice en soustrayant l’effort fourni du résultat obtenu102.
La sociabilité militante
124L’engagement intensif des militants, la perte pour certains de leur ancien cercle d’amis induit la création d’une nouvelle sociabilité au sein de leur organisation. Leurs nouveaux amis partagent alors leurs idées politiques et leur passetemps principal. Ainsi, Philippe (SPEB/ATTAC) nous dit que « moins de 5 % » de ses amis sont étrangers à son activité militante et politique. Les discussions menées avec ces camarades, le plaisir de la confrontation d’idées sont d’ailleurs citées par certains militants parmi les rétributions perçues, constituant donc « un puissant moyen d’attachement au parti103 ».
125Les activistes d’AARRG !! ont créé leur groupe militant au sein même de leur cercle d’amis ou de sociabilité préexistant, ce qui n’a fait que renforcer dans un premier temps leurs relations d’amitié. Pour Juliette, rejoindre AARRG !! a donc davantage représenté l’intensification de sa relation à ce cercle précis de sociabilité – celui de son école, l’ENS – que la création d’un nouveau cercle ou que le saut dans l’inconnu qu’aurait signifié le militantisme dans un autre groupe altermondialiste. Les militants d’INKaK se rencontraient quant à eux plusieurs soirs par semaine, ce qui a engendré des liens affectifs profonds entre les individus.
126La sociabilité des militants reste un élément cité spontanément par la moitié des militants. La quasi-totalité d’entre eux affirme par ailleurs avoir lié des relations d’amitié dans leur groupe et rencontré régulièrement ces nouveaux amis en dehors des réunions, pour jouer aux cartes, prendre un café, etc. Certains éprouvent même des difficultés à distinguer les moments qui relèvent du militantisme et ceux qui relèvent de la détente. Trois des militants interrogés ont en sus rencontré leur compagnon actuel au sein de leur organisation altermondialiste, et bien d’autres ont entretenu des relations avec des militants de leur groupe ou, à l’inverse, partagent leur militantisme avec leur compagnon préexistant à leur entrée dans l’organisation. La propension à l’endogamie est ainsi élevée dans les groupes. L’engagement militant de l’entourage des individus étant un facteur accroissant les chances de devenir soi-même militant104, ceci ne fait a priori que renforcer le militantisme des jeunes gens que nous avons étudiés.
127Pour les quelques militants qui se trouvaient dans une situation d’« anomie sociale » avant leur entrée en militantisme, l’engagement a alors été utilisé pour compenser le vide de leur vie privée. Nous avons vu, par exemple, que plusieurs militants de SPEB et de Linksruck vivent en colocation avec leurs « camarades ». Les réseaux de sociabilité développés dans l’organisation apportent ainsi des facilités pour des adhérents qui n’ont conservé que peu de liens en dehors de leur groupe militant. Comme le notait Daniel Gaxie, cet avantage que représente l’acquisition d’un logement par le biais du réseau militant n’est aux yeux des militants qu’un « sous-produit commode mais nullement recherché » du militantisme105. Il n’est d’ailleurs pas cité spontanément au rang des rétributions lors des entretiens. Pour ceux-là, vie privée et engagement collectif forment alors un tout indissociable.
128Enfin, certains militants, tous allemands, vont jusqu’à dire que le militantisme est le sens de leur vie (Lebenserfüllung). À la question des changements qui sont intervenus dans leur vie suite à leur engagement, la moitié d’entre eux affirment soit que « tout a changé », soit que leur engagement a eu des incidences majeures sur leur vie privée.
Adéquation théorie/pratique et cohérence personnelle
129Le militantisme n’est pas simplement la défense d’une cause, d’une revendication, c’est aussi un style de vie pour certains de ces militants, au sens de « routines incorporées dans des habitudes de s’habiller, de manger, de se comporter, et dans des milieux privilégiés de rencontres avec autrui »106. Les activités quotidiennes des dix-huit jeunes s’organisent autour du militantisme qui tient une place centrale dans leur vie. L’acquisition de ressources personnelles se fait ainsi aussi bien sur les bancs de l’université que dans leur vie militante. La structuration extrêmement forte de la vie personnelle de ces jeunes par leur militantisme n’est pas propre au mouvement altermondialiste, elle a été décrite par le passé dans le cas d’autres mouvements. Nous l’avons vu, l’empiètement de la politique sur les loisirs et les amours, le choix du cursus universitaire, du mode de vie et de consommation, va ainsi à contre-courant des observations de Jacques Ion sur le « militantisme distancié » qui se caractérise par « la distinction de plus en plus affirmée entre vie privée et vie militante107 ». Cette différence entre les observations de Jacques Ion et les nôtres est cependant probablement due à la spécificité de notre échantillon, constitué des éléments les plus actifs des groupes retenus, et non de l’ensemble de l’effectif militant de ces groupes.
130Plus généralement, une attention croissante est accordée à l’adéquation théorie/pratique au sein du mouvement altermondialiste, certainement dû à un effet conjoint de l’évolution sociétale en matière de respect de l’environnement et de l’influence des courants écologistes au sein du « mouvement des mouvements ». L’influence des médias et le regard extérieur ne sont pas non plus totalement étrangers à cette évolution des altermondialistes. Lors du contre-sommet organisé à Annemasse contre le G8 tenu à Évian, les organisateurs des villages alternatifs VIG et VAAAG ont par exemple mis en avant leurs préceptes écologistes. Le VIG a organisé des toilettes sèches, privilégié une alimentation locale et/ou équitable (achetée aux paysans de la Confédération Paysanne) et boycotté certains produits (le Coca-Cola, par exemple). Ceci rappelle les cas des militants verts décrits par Florence Faucher qui doivent – s’ils veulent être pris au sérieux – « manifester par leurs comportements qu’ils sont effectivement ce qu’ils prétendent être108 » et poursuivre un idéal quasi-ascétique. Attentes qui vont du recyclage des ordures au pot catalytique pour leur voiture, en passant par l’amour de la nature et la consommation de tofu.
131La presse s’attarde d’ailleurs sur la cohérence entre propos et pratiques des militants altermondialistes, comme l’illustre cet extrait d’article décrivant le rassemblement de Millau en 2000 sous le titre « À Millau, dans la foule qui rit, pleure et applaudit, on ne boit pas de Coca109 » :
« Ils sont cinquante mille et, l’espace d’un jour, la ville leur appartient. […] Ils courent aux forum disséminés dans la ville, s’affalent aux tables du marché fermier, glanent quelques idées auprès des multiples stands de formations politiques et d’associations. Et s’épuisent dans un curieux mélange de fête et d’émotions. […] “Pas de Coca”, annoncent plusieurs cafés de la ville, tandis qu’une énorme vache à roulettes d’où l’on tire du vin se met en branle. »
132Le contexte de ce rassemblement, impulsé à l’origine par la défense des intérêts des paysans du Larzac producteurs de roquefort contre la politique états-unienne, justifie la focalisation sur des pratiques critiques de consommation. Cet exemple n’est pas isolé pour autant. Au contraire, les articles de presse ayant dépeint à d’autres occasions le décalage entre les discours des altermondialistes et leur mode de consommation lors des contre-sommets sont généralement mal reçus par les militants, parce que ces critiques s’immiscent dans l’intimité des valeurs du groupe.
133Pourtant, si l’attachement à l’adéquation théorie/pratique va en grandissant dans le mouvement altermondialiste, il n’est pas le fait de l’ensemble des courants politiques qui y sont représentés. Les jeunes militants que nous avons étudiés ont en effet des attitudes assez différentes dans leur rapport à la consommation : certains voient une forte dichotomie entre privé et public ; d’autres au contraire mêlent les rôles de consommateur et de citoyen et estiment que le privé doit être partie prenante du public. Ces derniers intègrent les agissements relevant de la sphère du privé dans celle de l’action publique.
L’adéquation théorie/pratique : un dogme écologiste
134Ces attitudes différenciées sont en corrélation avec les organisations dans lesquelles les militants sont engagés. Les militants critiques des attitudes consuméristes se retrouvent en effet plutôt dans ATTAC, AARRG !!, VAMOS ou INKaK. Mais la corrélation est encore plus évidente avec le vote des militants : l’attachement à l’adéquation théorie/pratique est totalement lié au vote écologiste et/ou au militantisme au sein des Verts, des Grünen ou d’un groupe écologiste. Les militants votant pour le PDS, le SPD, le PS ou la LCR sont nettement moins intéressés par la cohérence entre leurs discours et leurs pratiques. Cela montre la persistance de la ligne de clivage qui sépare gauche classique et écologie politique. Elle s’exprime à travers le slogan de Ghandi : « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la graine110 », largement repris par les écologistes et les militants pacifistes. Cette « logique de l’outil », développée par Ivan Illich ou André Gorz, fait de l’action individuelle et des moyens utilisés dans la lutte un but en soi. Ainsi, le « vivre vertement » des militants des partis verts français et britannique étudiés par Florence Faucher, et donc l’élargissement du public à la sphère privée, illustrent pour eux la sincérité et l’authenticité de leur engagement. Loin d’avoir recours à des démarches propagandistes pour diffuser leur précepte du « tout est politique », ces militants comprennent davantage leur démarche comme une pédagogie par l’exemple et sont d’ailleurs leurs propres spectateurs, « les premiers à rechercher la preuve de leur identité111 ».
135Omniprésente comme outil chez les écologistes, l’adéquation théorie/pratique des altermondialistes n’a donc rien de novateur112 – contrairement à ce que veulent bien affirmer certains militants altermondialistes pour lesquels l’altermondialisation, suivant un modèle opposé à la « lutte agenda », constituerait une « nouvelle radicalité » qui ne se ferait « au nom de la vie » et non plus « au nom d’un modèle déterminé113 ».
La plus grande influence des NMS et de la « politique autrement » outre-Rhin
136Autre ligne de clivage concernant l’adéquation théorie/pratique : les origines nationales des militants. Cette recherche de distinction par le biais de comportements « responsables » et les réflexions autour des questions d’oppression ou de dominations (genre, couleur de peau/Whiteness, dominations interpersonnelles, etc.) sont davantage présentes en Allemagne qu’en France. Elles font l’objet de discussions régulières au sein des groupes allemands (excepté Linksruck). L’observation des journées d’été d’ATTAC dans les deux pays à l’été 2002 a confirmé ces différences, notamment au niveau des formes d’organisation : les réunions ont lieu en petits groupes en Allemagne et font appel à des méthodes favorisant la participation de tous ; une action « coup-de-poing » est organisée en ville dans le but de former les jeunes militants à la désobéissance civile ; les moments de convivialité sont multipliés dans la cour de l’école dans laquelle se tiennent les journées d’été ; la préparation des repas est plus ou moins autogérée par les militants, les couverts sont lavés par des volontaires et réutilisés après chaque repas ; les repas sont végétariens (vendus 2-3 euros) et les aliments sont en partie issus de l’agriculture biologique.
137Du côté français, les journées d’été ont lieu dans un centre de conférence peu convivial ; les conférences magistrales et les réunions en plénières sont nombreuses et mettent en avant les dirigeants de l’organisation ; des repas industriels sont servis aux militants (vendus 9 euros) sur des plateaux en plastique non réutilisables, avec des assiettes et des couverts, eux aussi, jetables ; la possibilité d’un repas (industriel) biologique est toutefois laissée aux participants et du café issu du commerce équitable leur est proposé.
138Les mêmes différences ont été observées dans les autres groupes dont nous avons pu observer les réunions : lors du congrès d’INKaK à Hambourg, la cuisine était autogérée, la nourriture végétalienne114 et les repas vendus à bas prix. Lors des réunions de VAMOS, les militants apportent généralement de la nourriture industrielle. À noter toutefois que, pour l’organisation du contre-sommet d’Évian en 2003, les militants de ce réseau français ont veillé à ce que l’alimentation et les boissons vendues dans leur village alternatif soit en accord avec leurs préceptes (cf. supra).
139L’âge des organisateurs et des participants – plus élevé en France – explique certainement en partie ces différences entre les journées d’été d’ATTAC à Arles et Marbourg en 2002. Il n’en demeure pas moins que le bagage écologiste des allemands d’ATTAC et leurs origines allemandes pèsent également. Cette distinction entre les Français et les Allemands rappelle celle faite par Florence Faucher entre les militants verts britanniques, extrêmement portés vers l’adéquation théorie/pratique, et leurs homologues français, plus frileux en la matière. L’auteur fait appel au fait religieux dans l’explication de ces différences115. L’éthique du protestantisme, qui a façonné en grande partie la culture allemande (au moins au nord du pays), affirme que le devoir s’accomplit dans les affaires temporelles116 et que le salut de l’âme doit se faire ici-bas. Elle peut expliquer, au moins en partie, la valorisation du quotidien et l’importance accordée aux pratiques personnelles chez les militants allemands. Le catholicisme, plus influent en France, distingue plus fortement public et privé. À cela s’ajoute, en France, la distinction marquée entre nature et culture. La société contre nature et la culture, censées libérer l’être de l’aliénation de la nature, empêchent en effet toute tentative de retrouver ce lien entre nature et culture, au risque de passer pour régressif117.
140Cette distinction allemande s’explique plus simplement encore par l’importance des mouvements écologistes dans l’histoire politique du pays et dans la société, qui fait que les militants allemands doivent faire davantage d’efforts en termes de comportement écologiste pour se distinguer du gros de la population.
141Enfin, le plus grand recours à l’adéquation théorie/pratique en Allemagne tiennent à la structure de la gauche non-parlementaire allemande, comme nous l’avons déjà relevé plus haut. La réflexivité permanente de la gauche alternative allemande (et donc des altermondialistes) est motivée par l’opposition aux partis dans laquelle elle s’est construite118. Ce retrait du champ institutionnel ou professionnel de la politique signifie une certaine pureté aux yeux des militants interrogés et entraîne un fonctionnement en vase clos : les questions telles que « Comment faire de la politique autrement ? », « Comment ne pas reproduire certains fonctionnements politiques ? » ont accompagné la construction de l’altermondialisation allemande et rappellent le concept de « politique autrement » des années 1970119. Elles se retrouvent aussi dans le processus de construction d’ATTAC et dans son résultat : ATTAC-Allemagne n’a pas repris la structure de son homologue français et lui a préféré un fonctionnement plus horizontal.
142Au-delà des effets bénéfiques que les militants interrogés peuvent trouver à cette réflexivité poussée et au fonctionnement en vase clos de la gauche alternative, ils suscitent également des critiques chez certains militants allemands :
« En tant que militant de gauche, on se définit par opposition au bloc des partis et par opposition à un bloc fermé de syndicats avec lesquels on ne veut rien avoir à faire. En se positionnant ainsi, on finit par se retirer dans une niche : “Nous sommes une niche”, ce qui sous-entend “Nous sommes les bons, ouf…”(rire). En fait, c’est une sorte d’autisme, une autoréférentialité totale, c’est-à-dire qu’on ne s’occupe plus que de soi-même. C’est un héritage des mouvements antérieurs, qui veut qu’on se remette tout le temps en question : on ne se demande pas : “Quels sont les problèmes du monde ?”, mais “Comment sont les relations entre nous ?”, “Quels sont nos problèmes ?” (rire). Et puis, ATTAC a été créé en Allemagne avec la volonté d’essayer de fonder quelque chose qui n’ait une structure ni partisane, ni syndicale… Ce qui était très-très important, c’était : “Comment est-ce qu’on fait la politique ?” et “Comment ne pas reproduire certaines pratiques politiques ?”et pas tellement “Quelles revendications - ?” » Markus (ATTAC).
143Ce que décrit ce militant d’ATTAC est une tension chez l’individu entre ses convictions, son « bon sens », sa « bonne conscience », et ce qu’il fait réellement. Un indicateur de cette tension se lit par exemple dans les réactions de trois jeunes militants face au continuum politique gauche-droite. Ces militants ont spontanément distingué la radicalité de leurs idées de celle de leurs pratiques. L’un d’entre eux – étudiant français devenu fonctionnaire entre les deux entretiens – affirme par exemple que ses idées sont restées radicales (1 sur l’échelle120), mais que son absence de la scène militante et son statut de fonctionnaire font que ses pratiques sont modérées (2 sur l’échelle). Un autre militant de la scène linksradikale allemande qui pourtant va loin dans l’adéquation théorie/pratique – notamment en étant végétalien et en pratiquant le vol dans les magasins en signe de protestation contre le consumérisme – suit le même principe et situe ses idées sur le 1 et leurs mises en pratique sur le 3. Il précise lors de ce positionnement que c’est la peur de la répression et les normes sociétales qui le contraignent à ne pas mettre ses agissements en cohérence avec ses idées. Il considère par ailleurs l’exercice d’une activité professionnelle comme un élément faisant perdre de la radicalité à son engagement. Enfin, alors même qu’elle veille à consommer le moins possible et adopte à dessein des comportements respectueux de l’environnement, Sophie considère que son mode de vie aisé constitue un frein à la recherche d’une existence conforme à ses idéaux :
« Mon mode de vie, concrètement, c’est : j’ai un grand appart’ dans le 17e à Paris, alors d’accord il est tout le temps squatté, mais bon… Et ma vie c’est : je consomme au Franprix, au Monoprix. L’alternative, j’essaie de la construire, mais concrètement dans ma vie, je ne sais pas si je peux prétendre être alternative. » Sophie (ATTAC/VAMOS).
144Par ailleurs, il est probable que l’impossibilité pour ces militants d’accéder, dans le cadre de l’altermondialisation, à une forme de pouvoir institutionnalisée – le mouvement altermondialiste ne propose théoriquement pas de candidatures aux élections – influe sur cette volonté de mettre en cohérence « volitions de second ordre » (principes de vie que l’on s’impose) et « volitions de premier ordre » (les actes que l’on fait effectivement) pour reprendre la terminologie freudienne121. En l’absence de postes à pourvoir qui permettraient aux militants d’appliquer des mesures en accord avec leurs principes, ces métapréférences ou principes de vie sont le seul moyen que les militants ont à leur disposition pour témoigner de leur démarche de conciliation entre discours et pratiques.
Répercussions en termes de consommation, de rapports genrés, de transport…
145Cette recherche d’adéquation concerne les trois quarts des jeunes militants. Pour l’un des militants d’INKaK, la radicalité d’un militant se traduit précisément par sa capacité à fusionner politique et vie personnelle. Pour ceux qui ont sympathisé ou milité dans des groupes écologistes, ce précepte d’adéquation et les comportements anti-consuméristes et respectueux de l’environnement sont antérieurs à leur engagement altermondialiste. Ils se sont toutefois accentués avec celui-ci.
Les changements en termes de consommation et de transport
146La critique de la consommation est la principale recherche d’adéquation théorie/pratique citée par les militants. Elle se décline en différents niveaux de radicalité : une militante essaie de limiter ses achats, d’autres participent ou soutiennent des actions de réquisitions de richesse ou de critique de la consommation, certains n’achètent que des produits biologiques, enfin un militant d’AARRG !! ne fréquente plus les supermarchés.
« [Ton engagement a influencé ton mode de vie ?] Mais carrément. Mais alors vraiment-vraiment. C’est-à-dire qu’avant, moi, j’étais super traumatisée par la question de l’eau : les gens qui se lavent les dents et qui laissent couler l’eau… enfin des trucs comme ça. Je faisais toujours très attention à l’eau. Mais mon engagement a changé particulièrement ma consommation. C’est-à-dire que je n’achète presque plus rien, genre des fringues… Et puis, il faut dire que j’en ai tellement acheté au début quand j’ai eu un salaire, j’ai vraiment consommé… On a toujours cette impression-là dans cette société, dès que tu as un salaire, il faut consommer, c’est super, c’est ton statut social, c’est tout ça. Et là, plus du tout, même ça me rebute en fait les magasins. Enfin ça, ça a énormément changé. Mais pas seulement mon engagement, le fait d’être avec mon copain qui habite à Cuba. Là-bas il n’y a pas du tout de pub, il n’y a presque pas de magasin, la consommation n’est absolument pas possible. Et en rentrant ici, à chaque fois ça me fait un choc, parce que j’ai l’impression que le corps de la femme est partout… Que partout-partout, on dit achetez-achetez ! Et ce qui est drôle c’est que ça a vachement influencé mes amis aussi. Des copines surtout, celles avec lesquelles on allait faire les magasins et tout ça, et comme maintenant à chaque fois je n’ai pas trop envie, qu’on discute de vachement d’autres choses comme de politique, eh ben, c’est marrant, parce qu’elles non plus [n’ont plus envie de faire les magasins]. » Sophie (ATTAC/VAMOS).
147D’autres militants font des économies d’énergie ou circulent à vélo. L’une d’entre eux ne prend plus l’avion et achète des vêtements de seconde main et une militante d’AARRG !! dit s’efforcer de « rester poreuse au monde, de ne pas être insensible ». En outre, nous avons vu que l’un d’entre eux vole dans les magasins ou trie les poubelles des supermarchés pour se nourrir. Cette pratique rappelle celle des Freegans – nom issu de la contraction de free et de vegans – mouvement présent dans les pays anglophones et qui se situe dans le courant des militants de la « décroissance122 » :
« Oui [mon engagement a eu une influence sur ma vie]. Ça a tout changé. Je viens par exemple d’arrêter de travailler pour avoir plus de temps pour mes activités politiques. Autre exemple, j’essaie d’arrêter de consommer, autant que possible, en essayant de me procurer des biens gratuitement. Et puis, pour le transport, je fais du stop. » Jens (INKaK).
Questions de genre et de domination
148Certains militants allemands disent, par ailleurs, rester attentifs aux rapports de domination dans leur quotidien. C’est le cas des militants s’étant longuement intéressés aux écrits de Michel Foucault, à sa description d’un pouvoir diffus, énigmatique, à la fois visible et invisible, et investi partout123. S’inspirant de ces théories sur le pouvoir, la contrainte et le contrôle, trois militants allemands ont évoqué leur adéquation théorie/pratique en ce domaine. Ils évoquent ainsi le changement de leur relation aux femmes, et au genre plus généralement. Cet aspect de l’adéquation théorie/pratique que nous n’attendions pas, semble être relativement développé outre-Rhin et s’inscrit dans la critique plus générale des dominations.
149Deux militants d’ATTAC-Berlin ont créé, par exemple, un groupe antisexiste qui sert d’intermédiaire entre des femmes victimes d’abus sexuel au sein de leur organisation militante de gauche et ces organisations. Ils s’intéressent un temps très fortement au mouvement queer124, qui connaît un certain succès sur la scène militante de gauche allemande au début des années 2000, notamment autour des publications de Judith Butler (Gender trouble, par exemple). Depuis, l’un d’entre eux affirme ressentir des « troubles du genre » et « se sentir mal à l’aise dans sa masculinité ». Il vit assez mal sa condition d’homme et peut-être plus particulièrement d’homme hétérosexuel. Il n’a plus de petite amie et vit en conflit avec lui-même, avec son identité, avec la persistance de certains de ses fantasmes qu’il qualifie de « sexistes ». Il relie cet état de trouble au fait qu’il ne souhaite plus séparer sa vie privée de son engagement militant. Suite à cela, il signe pendant un temps ces messages électroniques d’une version bi-sexuée de son prénom (en ajoutant « -a » après son prénom). Cette démarche de « résistance au quotidien » (Alltagwiderstand) aux côtés des femmes malmenées, et ses réflexions par rapport aux questions de domination ont de fortes répercussions sur son identité genrée.
150Les militants d’INKaK ont également poussé assez loin cette réflexion par rapport au genre. Lors de nos observations, nous avons pu assister en 2002 à une fête militante visant la récolte des fonds, et organisée en collaboration avec une association de femmes lesbiennes. Elle consistait en une « queer-party » et se tenait dans la Rote Flora, un grand théâtre occupé qui tient lieu de haut-lieu militant hambourgeois. Dans un lieu assez lugubre – murs délabrés, ambiance très sombre, mannequins en plastique habillés de pointes métalliques, toiles d’araignées géantes tissées avec des chambres à air de vélo, salle d’injections pour toxicomanes au sous-sol, etc. – le travestissement était de mise. Un grand vestiaire était mis à disposition, femmes et hommes se maquillaient dans un coin, d’autres se changaient, certains entraient succinctement dans une « cabine où embrasser », tandis que d’autres se déhanchaient sur la piste de danse. Cet événement, et les autres formes de partenariat entre INKaK et cette association de femmes lesbiennes, témoignent du fait que l’activité militante du groupe est portée sur la réflexion autour des questions de genre. L’un des militants du groupe, Jens, a d’ailleurs lui aussi mêlé ces réflexions autour de la sexualité et du genre à sa vie privée, ce qui l’a amené à être bisexuel pendant un temps.
Végétarisme, végétalisme et droits des animaux
151Les militants allemands d’ATTAC-Allemagne et d’INKaK sont ceux qui vont le plus loin dans cette adéquation théorie/pratique. Trois d’entre eux se sont installés dans une communauté de vie politisée, de manière à ce que vie politique et vie privée ne fassent plus qu’une. En sus, de nombreux militants du groupe INKaK sont soit végétariens, soit végétaliens. Ceci est lié à leurs antécédents dans des courants écologistes, ainsi qu’à la présence de militants de défense des animaux dans INKaK. Une précédente étude nous avait permis de montrer que la pratique du végétarisme semblait beaucoup plus étendue chez les écologistes allemands que chez leurs homologues français125.
152La propension à viser l’adéquation entre ses idées et ses actes n’est cependant pas continue et nous avons observé, lors du deuxième entretien, des changements importants dans ce domaine. Le comportement d’une militante d’ATTAC-Allemagne, écologiste par ailleurs, a montré en la matière une forte intensification en l’espace de deux ans. Pour le deuxième entretien, cette militante me propose de passer avec des petits pains issus de l’agriculture biologique chez elle pour le petit-déjeuner. L’entretien a lieu dans son logement social de la périphérie berlinoise (Spandau). L’hiver à Berlin est glacial, mais elle ne chauffe pas. Elle consent pourtant à jeter quelques briquettes de tourbe et de charbon dans le poêle le temps de l’entretien. Son respect de l’environnement a grandi exponentiellement depuis le dernier entretien. Elle n’a plus de réfrigérateur, est devenue végétarienne et mange uniquement des aliments issus de l’agriculture biologique. Elle a aussi adopté trois rats au prétexte que trop peu de gens adoptent ces animaux. Ils déambulent autour de nous et mangent à notre table.
L’adéquation « sociale »
153Évolution inverse, deux militants très proches également issus d’ATTAC-Allemagne se radicalisent entre les deux entretiens et se rapprochent des mouvements précaires. Dès lors, « manger biologique » ne semble plus correspondre à leur cadre de lutte. Ils justifient ainsi leur changement d’attitude en évoquant des raisons sociales : l’alimentation biologique vendue en Allemagne serait produite à bas pris en Pologne et ils ne veulent en aucun cas cautionner les conditions précaires imposées à ces agriculteurs. Ces militants disent alors ne plus croire aux démarches individuelles de critique de la consommation, qu’elles soient positives (consommer « bio ») ou négative (boycotter des produits). Seule solution à leurs yeux, les campagnes contre les gros producteurs.
« [Ça a influencé] ma consommation, en ceci que je ne vais plus faire mes courses chez Aldi126. Quand j’ai de l’argent en rab’, je préfère faire une donation plutôt que de m’acheter des trucs chers (rire). [Mais tu ne manges pas bio, par exemple ?] Non. Parce qu’il y a des entreprises de bio qui veulent imposer leurs produits bio et quand ils arrivent sur le Marché capitaliste, ils sont obligés d’adopter des méthodes complètement différentes. Je ne crois pas à la possibilité d’une île au sein du capitalisme. Moi, j’aimerais que tous les êtres puissent avoir du bio, manger du bio et vivre écologiquement. Mais pour ça, il faut vraiment supprimer le capitalisme. Ça ne sert à rien de se construire une toute-toute petite île. » Sabrina (Linksruck/ATTAC).
154L’argument social est également celui qui est cité par les militants de SPEB, de Linksruck et d’un militant conjointement adhérent à la LCR et à ATTAC. Ces militants ne notent en effet quasiment aucun changement chez eux dans le domaine de la consommation, mais retiennent des changements dans leur vie en termes d’approche sociale. La plupart disent ne pas avoir les moyens financiers de ces changements de mode de vie, qui seraient réservés à une classe plus aisée. Aussi, la plupart des militants d’organisations trotskistes ne sont pas anticonsuméristes et revendiquent cette absence de réflexivité par rapport à la consommation. Pour ces militants d’origine sociale moins aisée que les autres militants interrogés, l’appartenance à une classe de revenus inférieurs est mise en avant pour justifier la consommation à bas prix. Et réciproquement, cette consommation à moindre coût vient signer une appartenance de classe valorisée au sein de leurs organisations trotskistes. Particulièrement pour ceux dont les parents appartiennent aux classes intellectuelles supérieures et qui veulent s’approprier les signes d’une classe sociale moins favorisée :
« Il y a un truc : je ne vais plus… quasiment plus au Mac Do. Je vais ailleurs : c’est moins cher et c’est meilleur. Après en termes de consommation… Oui, ça a changé dans le sens où c’est moins une question individuelle, en fait. De pouvoir individuel. Parce qu’on consomme les produits faits à l’échelle de masse, et à moins d’être super riche, t’as pas les moyens de manger bio et de pouvoir te passer de tout ça. Si je pouvais avoir un vélo, j’en aurais un, mais je n’ai pas les moyens d’en acheter. Après c’est le monde dans lequel on vit qui est organisé de telle manière qu’on n’a pas le choix en fait. Sauf si t’es assez riche. [Un vélo ça ne coûte pas si cher que ça…] Le truc des transports, ce n’est pas ça… Mais c’est plus consommation alimentaire. Je n’ai pas les moyens d’acheter bio. Je n’ai pas vraiment le choix de ce côté-là. » Camille (SPEB/ATTAC).
« La chose qui a été importante, c’est l’aspect de la mixité sociale ou en tous cas le fait d’avoir, enfin de garder cette préoccupation-là. Maintenant en termes d’habitude alimentaire, je n’ai pas du tout une démarche “style de vie”. Je n’ai pas un mode de vie d’anti-consumériste, parce que je suis étudiant et que je n’ai pas beaucoup de sous. » Philippe (SPEB/ATTAC).
« J’ai acheté des cadeaux il y a un an pour le mariage d’une amie, je suis allé au commerce équitable chez Artisans du Monde pour acheter des cadeaux. Mais sinon, c’est marginal. Je consomme ce que tout le monde consomme. [Rien n’a changé ?] Pas vraiment. Je pense que c’est important qu’il y ait une cohérence, oui, c’est sûr… [Tu trouves ça important ou tu appliques cette cohérence ?] Je l’applique. Par exemple, ça me gêne de manger dans un restaurant où l’addition est de 20 ou 30 euros. Ce n’est pas que je n’aurais pas les moyens de payer ça, mais ça me gêne quand je me dis qu’on est très peu à pouvoir se l’offrir. J’aime plutôt les pratiques qui sont démocratiques. Par exemple, dans le quartier, j’aime bien manger les trucs africains ou les trucs turcs, parce que c’est populaire. Mais c’est moins pour des préoccupations de “mal-bouffe” et tout ça. [C’est plus “social” ?] C’est plus social, oui. Après, c’est vrai que je ne vais pas manger dans les fastfoods en général. Même si j’y vais plus souvent qu’avant, en fait ! Parce qu’à un moment donné, je trouvais que de temps en temps, c’était sympa. [Par exemple, tu peux aller manger dans un Mc Do, alors que tu t’es battu contre eux ?] Je l’ai fait quelques fois, oui. [Et ça ne te paraît pas paradoxal ou incompatible ?] Non, en fait. Non. Parce que c’est individuel, en fait. Ce n’est pas une question de “consommer moins”. Ça, je pense que ça change que dalle. » Jérémie (ATTAC).
155L’altermondialisation met ces militants trotskistes au contact de militants écologistes. Ces rencontres n’affectent pas la conscience de classe des militants et la primauté de la question sociale à leurs yeux, mais suscitent chez certains d’entre eux un intérêt nouveau pour ces questions de consommation, comme l’illustrent les propos de Philippe :
« J’ai lu un bouquin d’une militante altermondialiste américaine qui est une sorcière païenne, Starhawk. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle dit qu’avoir un mode vie en accord avec ses convictions, ça ne veut pas dire que ton mode de vie va changer le monde, mais par contre ça peut te rendre plus fort pour défendre tes convictions. C’est vrai que c’est important. Et en fait, ça te rend plus fort. » Philippe (SPEB/ATTAC).
156Ce que l’on peut retenir de cette question de l’adéquation théorie/pratique, c’est donc que chaque militant, chaque courant la cuisine à sa sauce, ce qui leur donne l’impression d’avoir « une certaine logique » avec eux-mêmes et de « ne pas dire quelque chose et d’agir autrement » (Guillaume, AARRG !!). Si les militants altermondialistes d’origine trotskiste insistent sur l’importance du lien avec la classe ouvrière ou les classes économiquement et culturellement moins favorisées, les militants à fibre écologiste accentuent la remise en question du tout-consommation, rappelant la comparaison faite par Stéphane Wable : « À l’ennemi bourgeois du Parti communiste correspondrait l’ennemi productiviste des Verts127. » La critique de la consommation s’inscrit également dans le cadre des actions des groupes, plus particulièrement de VAMOS et ATTAC. La participation à des actions d’arrachage de publicité par ces militants en France, les actions de réquisition de richesse par les militants d’ATTAC-Allemagne et celles de l’« Église de la Très Sainte Consommation » organisées par VAMOS montrent que cette attitude critique s’exprime également à un niveau collectif. Venu d’Italie, le concept de l’« Église de la Très Sainte Consommation » consiste à clamer des louanges parodiques en l’honneur de la consommation érigée en religion, comme l’illustre le prêche d’un de ces militants :
« Mes bien chers frères consommateurs, mes bien chères sœurs consommatrices, votre calvaire est enfin terminé ! Depuis la nuit des temps en effet, les religions nous ont aveuglés en promettant un paradis après la mort, mais le véritable Paradis est ici, dans le supermarché le plus proche et cela tous les jours128 ! »
157Ceci nous amène à nous pencher sur les modes d’actions des militants altermondialistes, c’est-à-dire la partie visible et émergée de leur engagement. Si l’adéquation théorie/pratique et l’observation d’une forme d’ascétisme militant au quotidien est un mode d’action individuelle qui vise essentiellement l’accord des militants avec leurs idées, les actions se tournent quant à elles vers le public qu’est le reste de la société, qu’ils soient militants ou profanes.
Notes de bas de page
1 Plusieurs réponses possibles, nombre de réponses supérieur au nombre de répondants : total égal à 112 %, ramené ici à 100 %.
2 Le capital militant est « incorporé sous forme de techniques, de dispositions à agir, intervenir, ou tout simplement obéir, il recouvre un ensemble de savoirs et de savoir-faire mobilisables lors des actions collectives, des luttes inter ou intra-partisanes » (Matonti F., Poupeau F., « Le capital militant. Essai de définition », Actes de la recherche en sciences sociales, no 155, 2004, p. 8).
3 McCarthy J. D., Zald M. N., The trend of social movements in America: professionalization and ressource mobilization, General Learning Press, Morristown, 1973. McCarty J. D., Zald M. N., « Ressource mobilization and social movements: a partial theory », The American Journal of Sociology, volume 82, no 6, mai 1977. McCarthy J. D., Zald M. N. (dir.), Social movements in an organizational society, transaction books, New Brunswick, 1987.
4 Jossin A., Mathieu L., « Féminisme et altermondialisme », op. cit.
5 À Paris : ATTAC, SPEB, AARRG !!, VAMOS, les ONG, les groupes écologistes, les groupes anarchistes, les partis mobilisant vers les contre-sommets (LCR, Les Verts, Les Alternatifs), etc. À Berlin et Hambourg : ATTAC, Linksruck, les groupes écologistes, les ONG, le PDS (devenu Die Linke), les groupes anarchistes, autonomes et linksradikale (dont INKaK à Hambourg). Les groupes exclusivement altermondialistes ne se résument cependant à Paris qu’à AARRG !!, VAMOS et ATTAC, à Berlin et Hambourg qu’à ATTAC.
6 Bourmeau S., Cardon D., Heurtin J.-P., « La gloire, c’est la galère », p. 57.
7 McCarthy J. D., « Constraints and opportunities in adopting, adapting and inventing », inMcAdam D., McCarthy J., Zald M. N. (dir.), Comparative perspective on social movement, Cambridge University Press, Cambridge, 1996.
8 Sawicki F., Siméant J., « La sociologie de l’engagement militant », op. cit., p. 22.
9 Voir à ce propos l’exemple de l’organisation Act Up et du fonctionnement des actions « zap » du groupe décrits dans Patouillard, 1998, p. 29.
10 Ion J., La fin des militants ?, op. cit., p. 48.
11 Bourdieu P., « La représentation politique », p. 9.
12 Bourdieu P., loc. cit.
13 Hardt M., Negri T., Empire, Exils, Paris, 2000.
14 Melucci A., « Mouvements sociaux, mouvements post-politiques », Revue internationale d’action communautaire, no 10, 1983.
15 Fillieule O., Péchu C., Lutter ensemble, les théories de l’action collective, L’Harmattan, Paris, 1993.
16 Faucher F., Les habits verts de la politique, op. cit., p. 91.
17 VAMOS et ATTAC-Campus sont très proches. Les animateurs principaux de VAMOS sont également membres d’ATTAC. VAMOS correspond à la branche « activiste » des groupes d’ATTAC-Campus : batucada, organisation des contre-sommets et depuis peu organisation de débats avec projection de films.
18 VIG : Village Intergalactique. Camp organisé par VAMOS lors du contre-sommet d’Évian en juin 2003.
19 Juhem P., « SOS-Racisme, histoire d’une mobilisation “apolitique” », op. cit., p. 382. Le crédit de certaines formations politiques – notamment sociales démocrates – étant largement entamé dans les milieux militants, leur participation à ces événements est souvent vue d’un mauvais œil. C’est pourquoi partis politiques ne peuvent s’afficher en tant que tels lors des Forum sociaux.
20 Ion J., La fin des militants ?, op. cit.
21 Sawicki F., « Questions de recherche : pour une analyse locale des partis politiques », Politix, volume 1, no 2, 1988, p. 18-19.
22 McAdam D., Freedom Summer, Oxford University Press, New York, 1988.
23 Sommier I., Le renouveau des mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation, Flammarion, Paris, 2003, p. 142.
24 Le mémoire de DEA de Simon Luck montre lui aussi que les militants d’AARRG !! sont peu nombreux à être engagés dans d’autres groupes associatifs, syndicaux ou politiques (Luck S, « Le militantisme à Aarrg !-Paris », op. cit., p. 132).
25 Ion J., La fin des militants ?, op. cit., p. 80.
26 Lichterman P, The search for political community: American activists reinventing commitment, Cambridge University Press, New York, 1996.
27 Sawicki F., Siméant J., « La sociologie de l’engagement militant », op. cit., p. 13.
28 Durand C., « Le mouvement altermondialiste : de nouvelles pratiques organisationnelles pour l’émancipation », Europe Solidaire Sans Frontière, juillet 2005.
29 Entretien extrait d’une contribution à une recherche du Centre de Recherches Politiques de la Sorbonne (CRPS, devenu CESSP-Paris, université Paris 1).
30 Le GLAD se veut être un espace de « globalisation des luttes et des actions de désobéissance ».
31 Le premier off s’est tenu en marge du FSE de Florence en 2002 sous le nom de Hub. L’année suivante le GLAD a été organisé en marge du FSE de Paris-Saint-Denis.
32 INKaK, Kritik der verkürzten Kapitalismuskritik, Hambourg, 2001.
33 Bourdieu P., « La représentation politique », op. cit., p. 11.
34 Ion J., La fin des militants ?, op. cit., p. 71.
35 Ion J., loc. cit.
36 « La représentation politique », op. cit., p. 22.
37 « Je(ux) pluriels » est un terme utilisé par Marianne Hérard (Hérard M., « Que pensent les ouvriers de leur salaire ? », Ethnologie française, tome 31, no 3, 2001).
38 Hannertz U., Explorer la ville, Éditions de Minuit, Paris, 1983. Ion J., La fin des militants ?, op. cit., p. 50.
39 Ion J., La fin des militants ?, op. cit., p. 79.
40 Ibid., p. 81. Nous souscrivons sur ce point à l’analyse critique qu’Annie Collovald et Sabine Rozier ont faite des conclusions de Jacques Ion sur l’« engagement post-it » (Collovald A. (dir.), L’humanitaire ou le management des dévouements, PUR, Rennes, 2002).
41 « Lutter dans les règles de l’AARRG !! », texte fondateur, 13 mars 2002.
42 Starhawk, Femmes, magie et politique, op. cit.
43 Les militants d’AARRG !! ont distribué aux passants des cartes sur lesquelles figurait l’adresse du Ministre de l’Intérieur. Le texte inscrit sur ces cartes était le suivant : « Monsieur le Ministre, désirant moi aussi apporter ma contribution à l’extension incontrôlée du fichage génétique des citoyens, telle que prévue par l’article 15 de la loi sur la sécurité intérieure, j’ai l’honneur de vous adresser un élément de mon anatomie intime. Je vous autorise par la présente à opérer tous les prélèvements nécessaires à ma mise en fichier » (Luck S, « Le militantisme à Aarrg !-Paris », op. cit., p. 101).
44 Plusieurs militants d’AARRG !! ont témoigné et parfois porté plainte contre les violences policières subies. Le témoignage de l’un de ces militants, intimidé et frappé pendant plusieurs heures dans un centre de détention, est reproduit en annexe.
45 L’observation participante au sein des réunions d’AARRG !! à Paris a confirmé ce point. Lors d’une réunion d’une durée de deux heures observée en octobre 2002, dix idées d’action ont émergé : défiler en obèses pour la journée de l’enfant, coller des images de CRS sur les abri-bus et construire un « Sarkopoly » avec exclusivement des cases « prison » pour l’anniversaire de la Loi sur la Sécurité Quotidienne (LSQ), organiser des spectacles devant les caméras de vidéo-surveillance, coller des barreaux sur les vitrines de magasins, etc.
46 Ion J., La fin des militants ?, op. cit., p. 29.
47 Ibid., p. 54-55.
48 Dakhli L., « Florence. Nos idées les plus folles », L’Humanité, 27 novembre 2002.
49 Baudouin J., Introduction à la sociologie politique, Le Seuil, Paris, 1998, p. 236-237.
50 Le SWP est la « maison-mère » de SPEB et Linksruck. Le texte appelant à rejoindre l’altermondialisation est disponible sur internet : Chris Harman, « Anticapitalism : Theorie and Pratice », [http://www.marxists.de/anticap/theprax/].
51 L’Étincelle est le journal de SPEB.
52 Coulouarn T., Jossin A., « Représentations et présentations de soi des militants altermondialistes », op. cit., p. 136.
53 Ion J., Spyros F., Viot P., Militer aujourd’hui, Autrement, coll. CEVIPOF/Autrement, Paris, 2005, p. 4.
54 Extrait de « Nous intégrons la LCR », texte d’acceptation du protocole d’accord pour l’intégration de Socialisme Par En Bas/L’Étincelle, voté lors de l’assemblée générale 18 janvier 2004. « Antiimpérialiste » et « anticapitaliste » ne sont pas soulignés dans le texte original.
55 « Ich bezeichne mich ja eher als Antikapitalistin. Dadurch, dass ich Antikapitalistin bin, bin ich globalisierungskritisch. » Sabrina (Linksruck/ATTAC).
56 Cette volonté de pénétrer le mouvement et la masse pour mieux les transformer de l’intérieur, est dictée par les préceptes léninistes (Kriegel A., Les communistes français dans leur premier demi-siècle, Le Seuil, 1985).
57 Après avoir soutenu Lutte Ouvrière, les militants de SPEB se sont reportés sur la LCR après les scores de l’élection présidentielle de 2002 : Olivier Besancenot de la LCR avait alors recueilli près de 1,5 million de voix (4,08 %), loin devant Marie-George Buffet du PCF (1,93 %) et Arlette Laguiller de Lutte Ouvrière (1,33 %),
58 Entretien mené en 2004 pour la publication suivante : Jossin A., Mathieu L., « Féminisme et altermondialisme », inBard C. (dir.), Les féministes de la 2e vague, PUR, Rennes, 2012.
59 Le « Point G » est un village alternatif qui s’est tenu lors du contre-sommet d’Évian.
60 Bourdieu P., Raisons pratiques - Sur la théorie de l’action, Le Seuil, Paris, 1994, p. 152.
61 Bourdieu P., « La représentation politique », op. cit.
62 Bourdieu P., loc. cit.
63 Ibid., p. 22.
64 Ibid., p. 23.
65 Bourdieu P., loc. cit.
66 Ion J., La fin des militants ?, op. cit., p. 70.
67 Bourdieu P., Raisons pratiques, op. cit., p. 153.
68 Bénéton P., « La Dynamique Révolutionnaire ou la logique du totalitarisme », Archives européennes de sociologie, XXII, 1981.
69 Sawicki F., Siméant J., « La sociologie de l’engagement militant », op. cit., p. 6.
70 Olson M., The logic of collective action. Public goods and the theory of groups, Harvard University Press, Massachusetts, 1974, 19591.
71 Bourdieu P., « La représentation politique », op. cit., p. 20. Dans son étude du groupe AARRG !!-Paris, Simon Luck a adopté une analyse inverse de la création ex-nihilo d’organisations militantes. Il décrit comment les membres fondateurs du groupe ont perçu l’altermondialisation comme une fenêtre d’opportunité. Il s’est demandé si l’initiative de créer un groupe dans un secteur non-investi de l’altermondialisation en France ne constituait pas tout simplement une stratégie de ces membres fondateurs pour s’imposer en leaders (Luck S, « Le militantisme à Aarrg !-Paris », op. cit., p. 33). En effet, l’absence de hiérarchie militante préétablie constitue une incitation dans ces nouveaux groupes, qui laissent entrevoir aux militants fondateurs des perspectives de leadership immédiates qu’ils n’auront pas dans d’autres organisations.
72 Ce temps consacré à leur militantisme est tout à fait similaire à celui relevé chez les dirigeants de mouvements de jeunesse de partis politiques (Moncourtois F., « Les jeunes dirigeants politiques français », thèse de doctorat, université de Paris 1, 1997).
73 Pour une description de l’activité des militants verts français et britanniques, voir le travail de Florence Faucher (Faucher F., Les habits verts de la politique, Presses de sciences po, Paris, 1999, p. 118-124). Concernant la description des dirigeants de mouvements de jeunesse politique, voir la thèse de doctorat de Florence Moncourtois qui porte sur les dirigeants des branches jeunes des partis suivants : PCF, Les Verts, PS, Parti Radical, UDF, RPR et FN. Elle note notamment que les dirigeants de mouvements de jeunesse politiques consacrent pour la plupart plus de 10 heures de leur temps par semaine à leur organisation, à part pour les jeunes écologistes, les jeunes radicaux, les jeunes de l’UDF et les jeunes du PS dans une moindre mesure, qui lui consacrent un temps plus réduit (Moncourtois F., op. cit., p. 565-569).
74 Mancur Olson reste toutefois assez imprécis sur la variable « idéologie » comme étant potentiellement explicative de l’engagement. Il la qualifie alternativement de « peu efficace » ou de « secondaire ». À noter que l’auteur formule des réserves quant à l’application de ses analyses à des mouvements « philanthropiques » qui défendent « les intérêts de ceux qui ne sont pas leurs membres » (Neveu E., La sociologie des mouvements sociaux, op. cit., p. 49).
75 Gaxie D., « Économie des partis et rétributions du militantisme », op. cit., p. 126. Olson M., The logic of collective action. Public goods and the theory of groups, Harvard University Press, Massachusetts, 1974 (réédition).
76 Gaxie D., op. cit.Barnes S. H., « Party democracy and the logic of collective action », inCrotty W. J. (dir.), Approaches to the study of party organization, Allyn and Bacon Inc, Boston.
77 Le récent numéro de la RFSP consacré aux compétences politiques nous amène toutefois à nuancer cette analyse. L’article de Daniel Gaxie montre en effet que tous les citoyens, qu’ils s’intéressent peu à la politique ou qu’ils soient au contraire très concernés par celle-ci, disposent d’instruments qui leur permettent de prendre position par rapport aux objets politiques. Les raccourcis (shortcuts) livrés par les élites aux citoyens leur permettent par exemple de produire des opinions à moindre coût, c’est-à-dire avec peu d’informations (Blondiaux L., « Faut-il se débarrasser de la notion de compétence politique ? », RFSP, volume 57, no 6, 2007, p. 767). Daniel Gaxie prend toutefois ses distances avec les théories cognitivistes, en notant que le niveau de connaissance politique influe tout de même qualitativement sur les décisions et les choix de ces citoyens (Gaxie D., Cognitions, auto-habilitation et pouvoirs des « citoyens », RFSP, volume 57, no 6, 2007, p. 748).
78 Bourdieu P., Raisons pratiques, op. cit., p. 163.
79 Neveu E., La sociologie des mouvements sociaux, op. cit., p. 55-57.
80 Bourdieu P., « La représentation politique », op. cit., p. 22.
81 Ibid., p. 20.
82 Gaxie D., « Économie des partis et rétributions du militantisme », op. cit., p. 125.
83 Au sein de notre échantillon quantitatif, donc parmi les militants présents aux journées d’ATTAC en 2002, environ 13 % des moins de 29 ans et 12,4 % des 30-39 ans disent vouloir devenir un « professionnel de la politique », contre 4,2 % des 40-49 ans, 5,5 % des 50-59 ans et 7,8 % des plus de 60 ans. Ce plus grand nombre de réponses positives des plus jeunes est certainement liée à l’ouverture de leur avenir professionnel. Les jeunes de l’échantillon quantitatif se distinguent par ailleurs de leurs aînés en posant des conditions à cette option : 5 % des moins de 29 ans répondent « ça dépend », contre 1 % des 30-39 ans, 2,2 % des 50-59 ans et aucun militant des tranches d’âge 40-49 ans et des plus de 60 ans.
84 Bourdieu P., Raisons pratiques, op. cit., p. 150.
85 Gaxie D., op. cit., p. 135.
86 Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, op. cit., p. 42.
87 Gaxie D., op. cit., p. 126.
88 Ibid., p. 136.
89 Ibid., p. 138.
90 Juhem P., « SOS-Racisme, histoire d’une mobilisation “apolitique” », op. cit., p. 647.
91 Voir Gaxie D., « Économie des partis et rétributions du militantisme », op. cit., p. 130-131.
92 Moncourtois F., « Les jeunes dirigeants politiques français », thèse de doctorat, université de Paris 1, 1997, p. 508-511.
93 Gaxie D., op. cit.
94 Moncourtois F., op. cit., p. 385.
95 Gaxie D., op. cit., p. 151.
96 Ibid., p. 125.
97 Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, Hachette, Paris, 1983. Hirschman A. O., Défection et prise de parole, Fayard, Paris, 1995. Sawicki F., Siméant J., « La sociologie de l’engagement militant », op. cit., p. 7.
98 Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, op. cit., p. 149.
99 Ibid., p. 156.
100 Faucher F., Les habits verts de la politique, op. cit., p. 16-17.
101 Bourdieu P., Raisons pratiques, op. cit., p. 154-155.
102 Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, op. cit., p. 150.
103 Gaxie D., « Économie des partis et rétributions du militantisme », op. cit., p. 137.
104 McAdam D., Freedom Summer, op. cit.
105 Gaxie D., op. cit.
106 Giddens A., Modernity and self-identity: self and society in the late modern age, Polity Press, Cambridge, 1991, p. 81.
107 Ion J., La fin des militants ?, op. cit., p. 53.
108 Faucher F., Les habits verts de la politique, op. cit., p. 139.
109 Gurrey B., Monnot C., « À Millau, dans la foule qui rit, pleure et applaudit, on ne boit pas de Coca », Le Monde, 2 juillet 2000.
110 Muller J.-M., « Lexique de la non-violence », Alternatives non-violentes, no 68, 1988, p. 52.
111 Faucher F., op. cit., p. 265.
112 Ibid. Jossin A., « Chiche ! et la Grüne Jugend – Mode d’engagement similaire, rapport au politique différent », mémoire de DEA, université de Rennes 1, 2000.
113 Benasayag M., Sztulwark D., Du contre-pouvoir, La Découverte, Paris, 2000, p. 6-7.
114 Le végétalisme implique une alimentation exempte de viande et de tous aliments produits par les animaux (produits laitiers, œufs, miel, etc.).
115 Faucher F., Les habits verts de la politique, op. cit., p. 163 et 180. Hermet G., « L’individu-citoyen dans le christianisme occidental », inBirnbaum P., Leca J. (dir.), Sur l’individualisme, Presses de Science Po, Paris, 1991.
116 Weber M., Die protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus, J.C.B. Mohr, Tübingen, 1934.
117 Jacob J., Histoire de l’écologie politique, Albin Michel, Paris, 1999, p. 19-20. Moscovici S., La société contre nature, 10/12, Paris, 1973.
118 Ce phénomène est également perceptible en France, dans une moindre mesure toutefois, comme l’ont noté Christophe Aguiton et Philippe Corcuff. Ils décrivent un sentiment diffus traversant les milieux militants qui consiste à « rabattre l’action partisane sur le sale et l’impur, en se drapant dans la pureté des principes et dans la blancheur de la “base” confrontée à la noirceur des “sommets” » (Aguiton C., Corcuff P., « Mouvements sociaux et politiques : entre anciens modèles et enjeux nouveaux », Mouvements, no 3, mars-avril 1999, p. 10).
119 Hatzfeld H., Faire de la politique autrement : les expériences inachevées des années 1970, PUR, Rennes, 2005.
120 Échelle de positionnement politique gauche-droite, numérotée de 1 à 7.
121 Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, op. cit., p. 123.
122 La décroissance est un mouvement qui s’oppose à l’approche développementaliste et économiciste de la croissance (Latouche S., « De Marx à la décroissance », entretien mené par Jossin A., EcoRev’, no 21, automne/hiver 2005-2006).
123 Foucault M., « Les intellectuels et le pouvoir », inFoucault M., Dits & Ecrits, volume 2, Gallimard, Paris, 2001 (première édition, 1972).
124 Le mouvement queer propose un dépassement des genres masculin et féminin, donc le l’identité sociale sexuée. Reprenant les travaux de Simone de Beauvoir, il part du principe que le genre est un processus en construction, mais lui ajoute une dimension créative. Enfin, il revendique plus généralement le bouleversement des normes et du pouvoir, et donc la libération de l’oppression patriarcale.
125 Jossin A., « Chiche ! et la Grüne Jugend », op. cit., p. 31.
126 Aldi est un supermarché allemand à bas prix, mais dont les propriétaires comptent parmi les personnes les plus riches d’Allemagne.
127 Wable S., « Les Verts et la politique autrement », in CURAPP, La politique ailleurs, PUF, Paris, 1998, p. 100.
128 [http://www.intergalactique.org/spip.php?article13 et http://consomme.free.fr/].
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