4. Entrer dans le mouvement en France et en Allemagne
p. 127-152
Texte intégral
1L’émergence structurelle de l’altermondialisation en France et en Allemagne se fera à l’échelle méso-sociologique (les organisations, les réseaux, le mouvement altermondialiste) pour comprendre d’une part l’entrée en politique puis en altermondialisation des militants retenus dans notre échantillon, d’autre part les interactions qui existent entre ces trajectoires individuelles et la vie des organisations et du mouvement dans son ensemble. Ainsi, la structuration des différentes organisations nous a intéressera autant que les changements sociétaux, les mutations du paysage politique ou encore les changements « d’ambiance politique1 ».
Les mouvements altermondialistes français et allemands
2Seattle (1999), Millau (2000), Prague (2000), Nice (2000), Porto Alegre (2001, 2002, 2003), Québec (2001), Göteborg (2001), Gênes (2001), Barcelone (2002), Évian (2003), Gleneagles (2005), Heiligendamm (2007)… les événements altermondialistes se sont succédés à intervalles réguliers pendant presque dix ans. Cette capacité à agir collectivement – notamment à travers l’organisation de contre-sommets, de Forum sociaux européens et mondiaux – est un des critères qui fait du mouvement altermondialiste un mouvement social à part entière. C’est également le cas du mécontentement exprimé par les militants lors de ces rassemblements et des cibles qu’ils désignent, que ce soit la tenue de sommets supranationaux jugés illégitimes, ou une évolution « néolibérale » de la politique nationale et internationale. Ces militants ont également des valeurs en commun – celles de la gauche, comprise dans son acception la plus large – et partagent des croyances, aussi floues soient-elles. « Un autre monde est possible » est celle autour de laquelle tous s’accordent. Enfin, le mouvement altermondialiste porte des perspectives de victoires, même si celles-ci restent assez vagues ou difficilement identifiables. La revendication de la Taxe Tobin, portée par ATTAC dans sa période initiale, a progressivement disparu suite au vote d’une loi par les parlementaires français (en novembre 2001) et belges (en juillet 2004), permettant son application à la condition qu’elle soit adoptée par l’ensemble des autres parlements européens. Au fur et à mesure que le mouvement évolue, ces objectifs se replient sur l’agenda politique national, ou se « sectorisent » et recoupent alors les objectifs des composantes ou des « groupes d’intérêts » réunis au sein de l’altermondialisation. C’est le cas de l’objectif qu’est l’annulation de la dette du tiers-monde, par exemple.
3Si le contre-sommet de Seattle de 1999 est fréquemment cité comme étant la date de naissance de ce mouvement social, ATTAC a pourtant vu le jour en France en 1998 et son équivalent allemand n’a, quant à lui, réellement émergé qu’à partir de 2001. C’est pourquoi un réseau européen de chercheurs a adopté une approche généalogique de l’altermondialisation, afin d’identifier plus précisément ses racines2. L’absolue nouveauté du mouvement a été remise en question par ce travail scientifique. Les mobilisations transnationales du XIXe siècle (mouvement ouvrier, mobilisations de femmes, etc.), tout comme, dans une certaine mesure, la présence internationale des nouveaux mouvements sociaux (NMS) dans les années 1970-1980 (mouvements écologiste, pacifiste, etc.) viennent par exemple relativiser le caractère totalement inédit du militantisme transnational. Cette étude s’est dotée en sus d’une approche comparative qui a permis d’identifier les dynamiques nationales propres aux différents mouvements altermondialistes européens et de situer historiquement leurs spécificités. Les résultats de ces travaux sont brièvement présentés ici et sont complétés par nos propres observations méso-sociologiques.
Les coalitions altermondialistes en France et en Allemagne
4Les dérivés du nom « altermondialiste » présents dans le monde (Global Justice Movement, Globalisierungskritische Bewegung, etc.) et les grand-messes du mouvement (les Forum sociaux mondiaux, par exemple) donnent l’impression d’un mouvement extrêmement répandu par-delà les frontières et relativement uni, sinon uniforme. ATTAC, organisation-phare de l’altermondialisation, est d’ailleurs présente dans 38 pays dans le monde. Cette apparence d’unité est pourtant trompeuse. Une multitude hétérogène de groupes altermondialistes constitue cette nébuleuse. Des spécificités nationales s’y expriment, jusque dans les différents ATTAC nationaux. Ainsi, plusieurs auteurs de l’ouvrage Généalogie des mouvements altermondialistes préfèrent parler au pluriel des mouvements altermondialistes. Cette forme du pluriel illustre mieux la « coalition d’intérêts » qu’est l’altermondialisation, « apparemment unie autour de la dénonciation des méfaits de la mondialisation, de la nécessaire solidarité entre Nord et Sud, ou, enfin, de la volonté d’instaurer une démocratie réellement participative3 ». L’unité du mouvement altermondialiste sur la base d’une cause commune bricolée ad hoc à partir d’une multitude d’intérêts et de petits mouvements préexistants rappelle le concept d’« amplification de cadre » développé par David Snow et alii4.
Globalisierungskritiker et altermondialistes : origines, acteurs, évolutions similaires
5Si c’est au niveau de leurs origines que se situe l’essentiel des différences qui distinguent les mouvements altermondialistes français et allemands, on peut cependant leur trouver quelques points communs. Les NMS – et le tiersmondiste en particulier – ont joué un rôle non négligeable dans la construction du mouvement dans les deux pays. Cette base militante, son répertoire d’action et de revendications, a cependant été nettement plus influente en Allemagne. Certaines campagnes militantes ont par ailleurs joué un rôle de catalyseur pour l’émergence des mouvements des deux pays, comme c’est le cas par exemple des mobilisations de l’hiver 1997/1998 contre l’AMI (Accord Multilatéral sur l’Investissement). Enfin, la désillusion et la déception de nombreux citoyens de gauche suite aux gouvernements sociaux-démocrates français (années 1980-1990) et allemands (1998) ont quant à elles contribué à l’accueil enthousiaste réservé au mouvement altermondialiste. Ces citoyens à la recherche d’un rapport au politique et d’un militantisme différents se sont investis en nombre dans le mouvement.
6Les acteurs altermondialistes (groupes, réseaux, individus) en France et en Allemagne présentent eux aussi plusieurs ressemblances. L’organisation ATTAC tient tout d’abord une place de premier rang dans le paysage organisationnel altermondialiste des deux pays, tant au niveau des effectifs militants que de la couverture médiatique dont elle bénéficie. Après quelques années d’euphorie altermondialiste (2001-2003 environ), on assiste aujourd’hui à un repli progressif des militants d’ATTAC sur des causes politiques nationales ou locales, et à une baisse d’intérêt de ces militants pour les contre-sommets. Les thématiques sociales prennent ainsi une importance grandissante, comme les questions de l’emploi, des privatisations, de la précarité, en alliance avec les syndicats5. Par ailleurs, les altermondialistes d’ATTAC se tournent de plus en plus vers l’expertise militante et coopèrent de moins en moins avec les franges plus radicales du mouvement. Les porte-parole d’ATTAC n’hésitent pas, par exemple, à se distancier publiquement des actions militantes violentes et contribuent ainsi à creuser l’écart entre les militants altermondialistes réformistes et les plus radicaux.
7Au sein d’ATTAC ou aux côtés de cette organisation, se meut une pluralité de courants politiques (partis, mouvements de jeunesse, syndicats) et militants (ONG, groupes écologistes, mouvements d’aide au développement, groupes anarchistes et autonomes, etc.) qui sont engagés dans la nébuleuse altermondialiste. Une partie de l’« extrême gauche » ou des « néo-socialistes6 » des deux pays s’est par exemple beaucoup investie dans le mouvement altermondialiste, ce qui a largement profité à l’essor de ces franges radicales : la LCR en France a rajeuni son image et gagné en popularité ; en Allemagne, des recompositions politiques et militantes ont donné naissance à un parti, Die Linke.
L’altermondialisation en France
8Ce qui différencie avant tout les mouvements altermondialistes français et allemands, ce sont leurs origines politiques et militantes. Celles-ci ont fortement influé sur les méthodes et les moyens d’action des deux mouvements. L’héritage plus important des NMS en Allemagne se ressent par exemple au niveau des structures organisationnelles, plus horizontales qu’en France (notamment au sein d’ATTAC), ce qui se manifeste entre autres par le moindre culte du porte-parole outre-Rhin. Les figures emblématiques que sont, en France, Bernard Cassen7 ou José Bové8, ne connaissent pas d’équivalent en Allemagne. Autre grande différence, la plus forte présence de certains acteurs dans l’un des deux pays, comme c’est le cas des collectifs de défense des sans-papiers et des mouvements paysans du côté français, ou de l’Église et des groupes religieux du côté allemand.
9Isabelle Sommier s’est penchée sur 31 organisations actives dans l’altermondialisation9. Elle note que 60 % d’entre elles ont été créées avant 1996 (dont 15 % avant 1968) et se sont tout simplement greffées à l’altermondialisation en adaptant leur cause au nouveau cadre revendicatif. Ainsi, les militants altermondialistes ne sont en rien une génération militante spontanée, mais sont pour une part importante des militants reconvertis. De la même manière, les 22 % d’organisations altermondialistes fondées après 1998 ne rassemblent pas forcément que des primo-militants. Les militants et les structures militantes « en sommeil », issus des années 1970, ont largement alimenté ces organisations créées au sein-même de l’altermondialisation10.
10Nos notes de terrain issues du contexte du contre-sommet d’Évian en 2003 illustrent cette absence de renouvellement des entrepreneurs politiques et des organisations engagées. Lors des réunions auxquelles nous assistons11, la majeure partie des militants étaient engagés en politique avant l’émergence du mouvement altermondialiste et les organisations représentées sont, elles aussi, dans leur grande majorité préexistantes à l’atermondialisation. La forte présence de militants aguerris lors des réunions d’organisation n’empêche toutefois pas la mobilisation de « simples » primo-militants lors des événements protestataires.
11En France, plusieurs campagnes militantes ou mobilisations ponctuelles présentent avant 1998 des caractéristiques de l’altermondialisation : la contestation des sommets comme mode d’action, l’organisation de forum de réflexion en parallèle, ainsi que le credo de la globalisation des luttes (contre-G7 en 1996 à Lyon, campagne contre l’AMI en 1997-1998, notamment). Isabelle Sommier retient ainsi quatre mobilisations qui constituent des sources militantes ayant alimenté l’altermondialisation française : une mobilisation tiers-mondiste (1989), les grèves de l’hiver 1995 contre le projet de réforme d’Alain Juppé, les Marches contre le chômage (1997 et 1999) et le démontage d’un restaurant McDonald’s (1999). La prégnance de la gauche militante dans ces mobilisations annonciatrices de la lutte « contre la mondialisation néolibérale » va marquer l’orientation de l’altermondialisation en France, notamment pour ce qui est de la prédilection d’une partie du mouvement français pour les questions « sociales » (droit des chômeurs et précaires, défense du service public, etc.).
12Enfin, Isabelle Sommier relève l’investissement politique et militant d’organisations outsiders dans l’altermondialisation. Ces organisations minoritaires dans leur famille d’appartenance politique utilisent le label « transnational » de l’altermondialisation comme ressource politique pour se démarquer des organisations détentrices du pouvoir dans leur secteur politique. C’est le cas par exemple du syndicat Sud (issu de la CFDT) ou encore de la Confédération Paysanne (branche dissidente de la FNSEA), qui, à travers leur engagement altermondialiste, se sont fait une place dans le « marché » militant.
13Les événements-phare de l’altermondialisation en France ont été d’une part la mobilisation de Millau en 2000, puis le contre-sommet de Nice en 2000. Ensuite, le rassemblement du Larzac en août 2003 a réuni entre 200 000 et 300 000 personnes sur le plateau du Larzac, près de Millau. Ce rassemblement altermondialiste s’est posé simultanément en lieu d’un contre-débat à la rencontre de l’OMC de Cancún (septembre 2003), mais également en lieu de comméoration du 30e anniversaire des mobilisations contre l’extension d’un camp militaire du Larzac et comme espace de soutien aux actions anti-OGM de José Bové. Ce rassemblement exprime ainsi clairement la filiation du mouvement altermondialiste avec les mouvements pacifistes des années 1970 et ses liens avec le mouvement paysan de la Confédération Paysanne en France. Enfin, l’année 2003 a été particu lièrement riche pour l’altermondialisation française, puisque cette même année a eu le lieu le contre-sommet d’Évian (juin) et le FSE de Paris-Saint-Denis (novembre).
L’altermondialisation en Allemagne
14Le mouvement altermondialiste allemand est – comme nous l’avons vu – fortement imprégné des NMS des années 1970-1980. Dieter Rucht, Simon Teune et Mundo Yang montrent d’ailleurs que le profil social des militants ainsi que leurs revendications y sont fort similaires : il s’agit dans les deux cas de citoyens issus des classes moyennes éduquées engagés pour la défense de l’environnement, le pacifisme, le soutien des pays du Sud…
15Ces trois auteurs optent pour une analyse chronologique des racines de l’altermondialisation allemande. Si les contre-sommets de Prague (1999) et de Gênes (2001) sont sans aucun doute les éléments déclencheurs du mouvement, il reste qu’ils connaissent des antécédents. C’est avec la fin du système de Bretton Woods en 1973 que la critique de la suprématie des pays les plus riches sur les pays les plus pauvres s’ancre et se développe dans le monde militant. Rucht et alii analysent comment, à partir de là, les instances supranationales (FMI, Banque mondiale, G7…) ont progressivement été prises pour cible en Allemagne.
16La première mobilisation importante a lieu dans le prolongement des mobilisations pacifistes contre les missiles nucléaires, à Bonn en 1985 contre la réunion G7. Elle est suivie en 1988 par une mobilisation importante contre le FMI et la Banque mondiale qui réunit 80 000 militants d’horizons divers. Un an plus tard, l’effondrement de la RDA et du socialisme d’État a pour conséquence un soutien financier accru du gouvernement de l’Allemagne réunifiée aux nouveaux Länder de l’ex-RDA, au bénéfice des mouvements de défense de l’environnement, du droit des femmes et du développement. Cette manne financière publique entraîne la loyauté de ces mouvements à l’égard du gouvernement, ce que les groupes militants plus radicaux ne voient pas d’un bon œil. La distanciation qui en découle entre franges militantes radicales et franges modérées se fait sentir lors du contre-G7 de Munich en 1992, pendant lequel les militants modérés organisent un forum parallèle, tandis que les plus radicaux mobilisent leurs troupes pour une manifestation. Cette alliance entre les modérés et les institutions aura cours jusqu’à la participation des Grünen et du SPD au pouvoir, en 1998, qui signe leur divorce.
17C’est à partir de ce moment-là que l’altermondialisation commence à émerger en Allemagne – et ce, en deux temps, avec une amorce plus précoce pour les militants radicaux qui se mobilisent dès 2000, alors que les militants modérés attendent 2001. Le soulèvement zapatiste du Chiapas au Mexique en 1994 joue un rôle important dans la genèse altermondialiste française et allemande. Il entraîne en effet la constitution de réseaux transnationaux, dans lesquels la gauche radicale allemande s’implique. C’est le cas du groupe INKaK que nous avons étudié. Ces réseaux donnent notamment naissance à l’Action Mondiale des Peuples12, créée en 1998 à Genève. La première grande mobilisation de ces militants dans le cadre de l’altermondialisation est le contre-sommet de Prague en septembre 2000. Les militants allemands anticapitalistes se mobilisent largement à cette occasion et espèrent ainsi égaler le succès de la mobilisation états-unienne de Seattle de 199913. Cette mouvance radicale est ensuite rattrapée par les militants réformistes qui rejoignent le mouvement antimondialisation, devenu « altermondialiste » à partir de 2001.
18Les mobilisations contre la tenue du G8 et d’un sommet européen en 1999 à Cologne rassemblent une alliance large de militants – radicaux et modérés confondus – face à un ennemi commun (le néolibéralisme). Une « caravane des peuples » et la venue de militants de plusieurs pays européens confèrent à cette mobilisation une dimension « internationaliste ».
19Il faut pourtant attendre 2001 pour qu’ATTAC et les courants modérés s’engagent réellement dans l’altermondialisation. Le contre-sommet de Göteborg (juin 2001) marque une première étape dans cet engagement, immédiatement suivi par Gênes (juillet 2001), les deux contre-sommets ayant en commun la répression violente des militants (tirs à balles réelles à Göteborg et mort d’un manifestant à Gênes). La couverture médiatique de Gênes est à la faveur des altermondialistes – contrairement à Prague et Göteborg – qui bénéficient en conséquence du soutien de l’« opinion publique ». ATTAC-Allemagne n’est pas assez développée à l’époque pour mobiliser massivement, mais effectue un excellent travail de communication14. Les articles de presse font de ce fait d’ATTAC la figure de proue de l’altermondialisation, ce qui lui permet de conquérir rapidement plusieurs milliers d’adhérents.
20Les mobilisations se multiplient pour les Allemands à la suite de Gênes, dans leur pays, comme à l’étranger (Bruxelles et Évian, notamment). Une partie du mouvement altermondialiste rejoint le mouvement anti-guerre après les attentats du 11 septembre 2001 et les guerres en Afghanistan et en Irak. Le point culminant des mobilisations altermondialistes allemandes est atteint en juin 2007 avec le contre-sommet d’Heiligendamm.
Perception de la généalogie altermondialiste par les dix-huit jeunes militants
21Au-delà des ascendances du mouvement altermondialiste, mises en évidence par différents travaux en France et en Allemagne, le discours recueilli auprès des acteurs altermondialistes est bien davantage articulé autour de la nouveauté du mouvement, ce qui en fait dans l’esprit de ces jeunes militants un mouvement appropriable par tous. L’importance de ce caractère novateur n’est cependant pas la même pour les militants, selon qu’ils sont « jeunes » ou qu’ils ont quarante ans d’expérience militante derrière eux. Cette présentation du mouvement comme étant « en construction » n’est pas sans déplaire aux jeunes qui s’y engagent, ainsi qu’aux militants déçus par leur expérience politique passée. L’argument de vente utilisé pour la campagne présidentielle de José Bové, qui visait essentiellement le public altermondialiste, illustre ce phénomène. Les proches du candidat altermondialiste expliquaient alors dans la presse les raisons du succès de José Bové dans les sondages (succès qui s’est avéré par la suite très relatif) comme suit : « [C’est] parce que Bové n’est pas un produit fini et qu’il construit quelque chose de nouveau en politique15. » La novation est mise en avant pour disqualifier un pan plus institutionnalisé et passéiste de la politique. Elle veut instituer une rupture temporelle et politique avec celui-ci. Cette vision qu’ont les militants du mouvement qu’ils ont rejoint n’est cependant pas à prendre pour argent comptant : la mise en avant du caractère nouveau de l’altermondialisation par les militants ne doit en effet pas occulter les configurations et les organisations mixtes et hybrides entre situations antérieure et actuelle, notamment les phénomènes de reconversion16.
22L’affirmation de la nouveauté du mouvement par les jeunes militants prend différentes formes. Elle s’exprime notamment dans la recherche d’éléments qui détermineraient la naissance du mouvement, sorte de Carbone 14 des mouvements sociaux. Un militant de Linksruck rappelle ainsi la teneur du discours autour de la mondialisation dans les années 1990, qui diffère de la démarche actuelle du mouvement altermondialiste. Il souhaite montrer, par la mise en évidence de cette césure, que l’altermondialisation dans sa forme protestataire n’est apparue qu’à la fin des années 1990 :
« Sincèrement, le soulèvement des zapatistes – qui est généralement associé au début du mouvement altermondialiste – je n’en ai pas du tout entendu parler à l’époque. J’en ai seulement entendu parler vers 1997-1998. Ça n’a joué aucun rôle pour moi et, sincèrement, même dans Linksruck, on n ‘ en a pas parlé. “Mondialisation”… Je me souviens que j’avais fait un exposé sur “Qu’est-ce que la mondialisation ?” en 1995. On a juste défini le terme mondialisation. On avait évidemment une analyse économiste du terme : les conséquences de la mondialisation et le fonctionnement de l’économie mondiale. Mais [le fait qu’on aborde la question] n’avait aucune conséquence politique directe sous forme de manifestation ou de truc comme ça. » Michael (Linksruck).
23Au-delà des débats qu’alimente la question de la véridicité de la nouveauté des mouvements17, ce qui importe au niveau microsociologique est bien davantage la perception qu’en ont les militants. Les appellations inédites données au mouvement (« antimondialisation » ou « Globalisierungsgegner18 », puis « altermondialiste » ou « globalisierungskritisch19 ») vont dans le sens de l’affirmation d’une nouveauté. Nous l’avons vu, ces appellations successives sont fréquemment qualifiées de « mot-valise », « mot passe-partout », « cache-sexe » ou de « concept-éponge20 » par les militants interrogés. C’est le cas de Juliette et de Philippe, qui préfère d’ailleurs nommer le mouvement « antimondialisation » :
« Dans le Larzac (mobilisations de Millau, 2000), par exemple, on voyait bien qu’“altermondialiste” ça regroupe une constellation d’opinions, de positionnements qui sont extrêmement divers. Je veux dire… C’est presque que ça ne veut plus rien dire. Et ça rassemble des gens tellement-tellement différents qui ne sont tellement pas d’accord entre eux, que je ne sais pas tellement ce que ça veut dire en fait. Il y a globalement l’idée d’une opposition, peut-être d’une recherche d’autre chose qui pour le moment reste complètement embryonnaire et pas du tout crédible. Mais sur le fond, il y a quand même l’idée de faire pression qui prend différents visages et différentes formes et à laquelle, en tous les cas, je souhaite participer. » Juliette (AARRG !!).
« [Le terme “altermondialiste” te parle ?] Euh… Quand je le dis, j’ai l’impression de dire un terme convenu. Je pense que le mouvement en soi est important. Le nom qu’on lui donne, à la limite… je ne vais pas faire un blocage là-dessus. Justement il y a tellement de locutions un peu spécialisées, on arrive à deviner qui vient de quel courant en voyant quel nom il donne au mouvement, que bon finalement ce n’est pas très-très important ! » Philippe (SPEB/ATTAC).
24Ces appellations n’en jouent pas moins leur fonction de maintien à distance des qualificatifs idéologiquement saturés (anti-impérialiste, anticapitaliste), comme nous l’avons vu plus haut et comme le rapporte Andreas :
« “Être altermondialiste”, ça veut aussi dire pour moi être critique du capitalisme et des formes de domination. Et de ne pas séparer tout ça artificiellement. Mais je me définirais quand même comme altermondialiste, parce que c’est par ce mouvement qu’a commencé ma politisation. Parce que c’était plus facile au début d’être contre la mondialisation, plutôt que tout de suite contre le sexisme ou le nationalisme, par exemple. Et puis, on a la possibilité de toucher les gens différemment, quand on est altermondialiste. Mais bon, me concernant, je ne me désigne comme altermondialiste qu’à la condition de considérer que c’est lié à d’autres termes [anticapitalisme, critique des dominations]. » Andreas (INKaK).
25La terminologie idéologique classique reste en effet un élément rebutant pour certains des jeunes militants21. Elle s’avère peu séduisante particulièrement dans la confrontation au monde extérieur, pour la présentation de soi aux autres : la présentation de soi comme « altermondialiste » peut être dans certaines situations plus « vendeuse » que celles d’anticapitaliste, de marxiste-léniniste, de trotskiste ou encore de socialiste-révolutionnaire.
Date et lieu de naissance de l’altermondialisation : Seattle, 1999 ?
26Les militants se sont majoritairement engagés dans l’altermondialisation suite à une mobilisation altermondialiste, le plus souvent un contre-sommet. C’est la participation régulière aux contre-sommets qui a donc logiquement continué à intéresser ces militants dans un premier temps. Le rythme cyclique de ces contre-événements donne une certaine régularité à l’agenda militant altermondialiste. Autant d’occasions de mobiliser d’autres militants et d’être actif sur le terrain.
27L’échec des négociations de Seattle est souvent considéré comme la date de naissance du mouvement altermondialiste, ce qui est évidemment discuté par les tenants de l’approche généalogique de l’altermondialisation22. Si ce courant de chercheurs estime qu’il faut chercher avant Seattle les origines ou les prémices de l’altermondialisation23, il ne lui en enlève pas pour autant sa part d’exceptionnalité dans la liste des moments fondateurs du mouvement.
28Les militants interrogés retiennent quasi-unanimement cette mobilisation de l’hiver 1999 comme point de départ de ce nouveau cycle de mobilisation, notamment parce ce contre-sommet marque le début d’un agenda régulier, récursif et serré de mobilisations contestataires (c’est-à-dire la systématisation de contre-sommets en parallèle des réunions du FMI, de l’OMC, des sommets européens, de Davos et du G7/G8), mais aussi parce que Seattle signifie le début d’une forte médiatisation du mouvement. La contestation de la « mondialisation néolibérale » est alors reconnue « à l’extérieur du cercle des professionnels24 » et ce qui n’était qu’un simple courant d’idées peut désormais être érigé au rang de mouvement à part entière. À la question « Depuis quand existe le mouvement altermondialiste ? », ils répondent ainsi :
« Je situerais le début [du mouvement altermondialiste] à Seattle. C’est là que les gens ont parlé d’un mouvement, ont parlé d’une opposition publique. […] Quand j’étais à Sud par exemple, ce n’était pas clair du tout : on ne pouvait pas vraiment parler d’un mouvement avec un discours vraiment clairement dirigé contre ça et qui refusait ça. [La mondialisation,] c’était un sujet parmi d’autres d’un certain nombre d’organisations, mais qui étaient concentrées sur d’autres sujets. » Guillaume (AARRG !!).
« Seattle. [Pourquoi ?] En fait, dans le bus pour aller [au contre-sommet de] Nice – je ne me souviens plus si c’était pour Nice ou si c’était Gênes, je crois que c’était Gênes… – on avait vu la super cassette sur Seattle. C’était vraiment génial ce film ! Et c’était un mélange de tout ce que j’ai vécu ensuite ! [Le FSE de] Florence [par exemple]… Et il y avait un passage dans la cassette où ils disaient : “Il y a les routiers et les défenseurs des tortues qui se sont retrouvés là, il y avait les syndicalistes, les écolos, les gens qui se battaient contre la dette, contre la déforestation”, tout d’un coup qu’ils se retrouvent là à se battre contre le même ennemi, je pense que c’est vraiment là que c’est parti ! Voilà. Après dans chaque pays et puis à l’échelle internationale, il y a des racines, que ce soit 1995 en France, ça a été aussi le retour des luttes et toutes les associations qui ont émergé de 1995. C’est là que la repolitisation et le retour militant, on en trouve les racines déjà après 1995 en France. Il y a un truc… – je pense que ça n’est pas vraiment lié – mais bon, voilà, le lancement de la conférence intergalactique des zapatistes en 1994. Après je ne sais pas à quel point ça a eu une influence, mais ça fait partie des événements comme ça. Mais bon pour moi, le lancement en tous cas du mouvement, c’est Seattle. » Camille (SPEB/ATTAC).
« Pfff… Pas facile comme question (rire). L’internationalisme classique existe depuis longtemps en fait. Mais ce nouveau mouvement… Oui, bon, c’est avec Seattle qu’on a vraiment pris conscience de son existence. C’était quelque chose de nouveau. Mais ce qu’il y a eu avant Seattle, ce sont les zapatistes. […] Je pense que c’est plutôt ça qui a été pour moi le début de l’antimondialisation. [Tu avais entendu parler des zapatistes dès 1994 ou seulement plus tard ?] En fait, seulement plus tard. Enfin, j’avais pris note du soulèvement des zapatistes [du 1er janvier 1994], mais plutôt à la marge. Et c’est seulement plus tard que j’ai vraiment remarqué que… Enfin, toute la signification et les liens que ça a pu avoir, je ne l’ai retracé qu’après. Pareil pour leur première rencontre intergalactique au Mexique, j’en ai pris note à la marge. En revanche, j’étais là dès la deuxième rencontre [des zapatistes] en Espagne. » Nils (INKaK).
« Depuis Seattle. Enfin, l’altermondialisation sous la forme de mouvement. Parce que Seattle a été une réussite incroyable. […] Maria Mies dit : “Le mouvement altermondialiste a commencé avec l’échec de l’AMI.” Moi, je dis “Non”. Parce que le mouvement altermondialiste n’était pas perçu comme un mouvement à l’époque, ce n’était pas un mouvement. Ce n’était que des cercles d’ONG […] qui ont d’ailleurs été très efficaces, ça c’est certain… Mais la grande victoire qui a eu lieu à Seattle, dans la rue… C’est la pression de la rue qui a donné corps à une société civile qui a tellement mis la pression sur l’OMC que les négociations ont échoué et que la conférence a été interrompue ! […] Soudain cette pluralité d’actions et le fait que les gens aient usé massivement de la désobéissance civile… Et tous ces gens qui étaient assis à même le sol, dans leurs cirés, face aux policiers et qui se foutaient royalement de ce qu’allaient faire les policiers. C’étaient simplement des images. Mais le monde d’aujourd’hui est programmé par les images (rire). Je dirais que c’est pour ça que le mouvement existe, c’est parce qu’on a pris conscience de l’existence d’un mouvement qui s’exprime dans la rue. » Markus (ATTAC).
29Nous retrouvons ici certains signes de la circularité entre discours savants et discours militants25. Le deuxième entretien se passe dans un contexte où de nombreux articles ont paru sur l’altermondialisation et sur le mouvement altermondialiste. De nombreux militants parmi ceux interrogés sont étudiants en sciences sociales et la situation d’entretien les met dans une position où ils peuvent se sentir obligés de montrer qu’ils sont au courant de l’actualité scientifique sur le sujet. L’entretien se trouve alors à la limite de l’interrogation orale scolaire, ce qui n’était en aucun cas voulu.
30Un autre phénomène perceptible dans les entretiens est le travail fait au sein des groupes de reconstruction de l’histoire de l’altermondialisation. Ainsi, le soulèvement des zapatistes en 1994 et leurs « rencontres intergalactiques » sont évoquées par les militants d’INKaK. Ce groupe fait partie d’un réseau plus large (PGA) qui se réfère fortement au mouvement zapatiste. Lorsqu’on rebondit dans l’entretien aux réponses situant la naissance du mouvement altermondialiste en 1994, on identifie rapidement ce phénomène de reconstruction collective, comme on le voit dans l’extrait d’entretien de Nils (INKaK). L’extrait d’entretien de Camille (SPEB/ATTAC) et l’évocation de la cassette vidéo visionnée dans le car l’amenant à Gênes montrent également plusieurs choses. D’une part, une fois encore, la formation interne et l’histoire du mouvement « enseignée » aux militants ; d’autre part la mise en jambe que constitue ce visionnage, qui contribue à euphoriser les militants avant une manifestation et à leur donner l’impression de faire partie d’un « mouvement en marche » ; enfin, l’importance du mythe de l’événement fondateur dans la construction d’un mouvement. La part d’héroïsme que ces jeunes militants voient dans le mouvement altermondialiste est en grande partie le moteur de leur engagement. Markus fait ainsi référence aux « gens […] qui se foutaient royalement de ce qu’allaient faire les policiers ». L’évocation de la résistance des militants face à la répression policière revient fréquemment dans les entretiens, comme nous le verrons avec l’analyse du rapport à la violence. Les références fréquentes au mouvement zapatiste et à la figure du sous-commandant Marcos parlent aussi pour cette recherche de figures héroïques et de sensations fortes.
L’entrée en altermondialisation des dix-huit militants
31Les portraits méso-sociologiques des mouvements altermondialistes français et allemands tracés par Isabelle Sommier, Dieter Rucht, Simon Teune et Mundo Yang comportent des éléments que nous retrouvons dans les trajectoires des militants que nous avons étudiés. L’importance des NMS en Allemagne et celle des grèves de l’hiver 1995 en France sont en effet communes aux résultats de ces études méso-sociologiques et de notre travail microsociologique.
32L’importance du mouvement tiers-mondiste semble en revanche échapper en partie à nos observations, en raison du décalage qui existe entre le jeune âge des militants que nous avons étudiés et la période d’essor du tiers-mondisme (années 1970-1980). L’intérêt que portent certains des dix-huit jeunes militants aux rapports Nord-Sud montre toutefois qu’ils se situent dans la lignée de ces mouvements et partagent avec les militants plus âgés des répertoires revendicatifs proches. Parmi eux, quatre militants se sont d’ailleurs engagés un temps dans une ONG, mais en sont revenus déçus. Parmi les autres, certains trouvent l’engagement tiers-mondiste trop réducteur, trop monopolisé sur une cause unique, ou sont opposés à l’approche développementaliste qui était à l’origine de ce mouvement.
« Je suis convaincu que la compassion ne suffit pas. Enfin la compassion, l’aide concrète. Et je n’ai pas envie de colmater les brèches. Il faut aussi toucher aux mécanismes. Et ensuite voilà, ce n’est pas un dénigrement pour la solidarité concrète, mais… de s’épuiser à faire ça, sans jamais que rien de change… Non. » Nicolas (ATTAC).
« Et puis “tiers-mondiste”, c’est la génération de mes parents… Je n’aurais pas pu être tiers-mondiste ! Il y a un vrai problème de génération, il y a un problème d’appartenance identitaire qui fait que ce n’est pas possible. » Charlotte (AARRG !!).
33Nous avons recensé plus haut les événements qui ont accompagné la socialisation politique des dix-huit jeunes militants et ceux qui ont motivé leur entrée en militantisme. Nous verrons ici d’une part si certains des événements considérés par Isabelle Sommier et Dieter Rucht et alii comme marquants pour les altermondialismes français et allemand26 ont particulièrement poussé ces jeunes à rejoindre le mouvement altermondialiste, et d’autre part quelles caractéristiques du mouvement altermondialiste ont séduit ces jeunes militants.
L’altermondialisation : un vivier politique à investir
34Nous l’avons vu dans la première partie, à l’exception d’une militante d’AARRG !!, tous les militants interrogés étaient engagés dans des organisations ou des réseaux politiques avant de rejoindre l’altermondialisation. Dès lors, on peut se demander pourquoi ils se sont tournés vers des groupes altermondialistes en plus de leur primo-engagement.
35L’intérêt des jeunes activistes pour l’altermondialisation est motivé par un attrait particulier pour plusieurs caractéristiques du mouvement : sa nature flexible, l’articulation inédite d’enjeux en son sein, la coexistence de courants politiques disparates (disparité des acteurs, des moyens d’action et des revendications), son fonctionnement réticulaire, les échelles temporelles et spatiales extensibles (court et long termes ; action locale et internationale), la puissance de la multiplicité posée en opposition à la quête du pouvoir, la mise en avant des « invisibles » (les militants lambda) et le refus du culte de « porte-parole du mouvement27 », etc. Comme le relève Éric Agrikoliansky, l’altermondialisation, plus qu’un mouvement ou qu’une cause, c’est surtout une forme « très imprécise, floue, et donc très exportable », qui « ne peut exister que dans la diversité et l’éclatement28 ».
36Le mouvement altermondialiste semble représenter pour l’ensemble des militants étudiés un « milieu » dans lequel être actif : comme un cadre flou où porter toutes sortes de revendications et, pour certains, comme un moyen de redonner vie à des courants politiques dans lesquels ils sont engagés. Ce regain du politique et du militantisme que représente l’altermondialisation dans le champ contestataire de l’après-1989 répond en effet aux désirs militants des jeunes activistes que nous avons étudiés. Leur carrière militante en construction apprécie cette « nouveauté » ou l’ouverture que génère l’émergence de l’altermondialisation, notamment parce qu’elle rend l’appropriation du mouvement altermondialiste possible par tous et met a priori les primo-militants et les militants plus anciens sur un pied d’égalité. Cette possibilité d’appropriation est d’autant plus centrale qu’elle s’oppose au « caractère définitif » que les jeunes reprochent aux partis29.
Rejoindre l’altermondialisation : la centralité des contre-sommets
37Les militants français et allemands ont, dans leur grande majorité, rejoint l’altermondialisation à la suite d’une mobilisation : Seattle (1999), Prague (2000) et Gênes (2001) pour les Allemands ; Seattle (1999), Millau (2000), Nice (2000), Gênes (2001), Québec (2001) pour les Français. Si l’événement déclencheur de l’engagement politique des militants était localisé dans leurs pays respectifs (France, Allemagne), celui qui a marqué le début de leur engagement altermondialiste s’est trouvé à l’étranger pour la moitié d’entre eux. Ces événements ont servi de déclic à leur engagement altermondialiste, soit que les militants y aient directement participé, soit qu’ils en aient eu vent indirectement : rencontre de militants y ayant participé, lecture de reportages dans la presse ou encore rencontre de militants d’ATTAC lors d’un événement « non-altermondialiste ».
38Les jeunes militants ont vécu ces contre-sommets très différemment. La puissance de ces événements, leur effervescence, les masses qui y sont rassemblées semblent avoir fortement impressionnés certains d’entre eux. Michael a ainsi l’impression d’être « entré dans l’histoire » en rejoignant le mouvement altermondialiste et en suivant les reportages de la presse et de la télévision sur ces contre-sommets :
« Seattle, en 1999, m’a fait l’effet d’une bombe. Ça a été la première fois que j’ai senti qu’il se passait quelque chose… […] C’est la première fois que j’ai vu – au-delà de ce qu’on peut lire dans les livres – que ça s’agitait mondialement. Bien qu’il ne se soit rien passé en Allemagne en termes d’actions. C’était comme un feu d’artifice. C’était pour moi comme un souffle de 1968. Les autres événements qui avaient eu lieu – le soulèvement des zapatistes ou les grandes grèves de 1995 et [le mouvement étudiant] de 1998 en France – je ne les ai pas perçus comme étant altermondialistes dans un premier temps. Tout ça est devenu cohérent avec Seattle. C’était la première chose importante. Le deuxième événement important, c’étaient les événements protestataires de Prague : c’est la première fois que j’ai vraiment activement… c’est la première fois que j’ai vraiment pu dire… que je me suis senti pour la première fois altermondialiste et que je suis devenu actif. […] Vu que je travaillais, je n’ai pas pu aller moi-même à Prague. Mais j’ai aidé pour tous les débats, tous les préparatifs, l’impression des affiches, le journal et tout ça… » Michael (Linksruck).
« Il y a eu le mouvement de Seattle. Moi, j’ai participé aux manifs à Paris. Et depuis ce mouvement-là, il y a eu tous les contre-sommets. Je suis allé au sommet de Prague, en septembre 2000. À l’époque, on n’était pas très nombreux à faire de l’agitation sur les facs, tu vois, à aller faire ces trucs-là. Pour aller à Prague, on était partis avec trois bus. Et la plupart des gens qui maintenant participent à VAMOS et tout ça, je ne les avais pas vus à ce moment-là ! Il y a eu un autre événement important en même temps qui faisait qu’ils ne pouvaient pas faire deux choses en même temps, c’était la Marche mondiale des Femmes à Bruxelles, je crois. Et la LCR à l’époque avait donné priorité à ça et pas à Prague. Contrairement à notre courant à nous, Socialisme International, qui avait mis la priorité sur Prague et pas sur Bruxelles. Du coup, on s’est retrouvés très nombreux du courant là-bas. Et donc, juste après, il y a eu Nice, le sommet de Nice. Et on a créé un comité de mobilisation unitaire sur la Sorbonne pour aller à Nice. Et dans ce comité unitaire, au retour de Nice, on s’est dit : “Qu’est-ce qu’on va en faire ?” et on a créé ATTAC. Tout le monde se retrouvait dedans. Et c’est devenu le comité ATTAC-Sorbonne. » Jérémie (ATTAC).
39À l’impression de faire partie de l’histoire en marche, à la fierté de faire partie des pionniers du mouvement altermondialiste, s’ajoute comme motivation l’envie de participer aux événements protestataires que sont les contre-sommets. Si les « combats de rue » des contre-sommets ont pu susciter des peurs sur le moment (peur de la répression essentiellement), ils ont ensuite attisé l’engagement altermondialiste de certains. Cette relation ambigüe à la violence – qui sera analysée plus loin – comme générateur de sensations constitue une motivation centrale pour les militants, comme on le devine au travers des propos de Sophie :
« Gênes… En fait, je n’y suis pas allée avec un mouvement politique, j’allais à Venise avec des amis […]. C’était sur le chemin. Ça me disait bien d’aller voir. Ça faisait un petit moment qu’on était à ATTAC toutes les deux [, cette amie et moi]. Et on a été hallucinées par la violence. Vraiment, c’est traumatisant quoi […] ! Par contre, en rentrant à Paris, ça m’a vraiment donné envie de m’engager ! » Sophie (ATTAC/VAMOS).
40Quels que soient les contre-sommets évoqués ci-après, les éléments marquants que les dix-huit militants gardent de leur entrée en altermondialisation ne sont pas tellement liés à des revendications, à des causes, mais font bien davantage référence à une forme d’engagement et de protestation. L’enquête quantitative que nous avons menée lors des journées d’été d’Arles et de Marbourg en 2002 montre, elle aussi, que les thématiques de l’altermondialisation restent au deuxième plan dans la liste des éléments motivant les militants à rejoindre l’organisation altermondialiste ATTAC. Lorsqu’on interroge les militants de l’enquête quantitative sur ces motivations, seuls 20 % des réponses des militants font ainsi référence à la « lutte contre le néolibéralisme ». Les autres réponses sont parfois centrées sur des considérations plus personnelles – comme le « désir d’être politiquement actif » (33 % des réponses) – ou évoquent le « désir d’être tenu au courant de l’actualité » (14 %) ou encore la diversité des militants au sein d’ATTAC (12 %), touchant là à une spécificité de cette organisation rassemblant à la fois des militants « non-encartés » et des militants issus de structures variées (ONG, partis, syndicats, associations, etc.).
41Les militants de l’échantillon qualitatif citent, eux aussi, cette diversité des militants altermondialistes au rang des éléments ayant motivé leur engagement. Le mouvement altermondialiste est à leurs yeux vaste, large et diversifié. Autres éléments attractifs, la notoriété et la popularité du mouvement et son capital de sympathie au sein de la population, ainsi que son dynamisme et son étendue internationale :
« Millau a été important, parce que ça a été l’idée d’être dans un grand mouvement, dans quelque chose qui avait une importance internationale et qui était un truc qui parlait aux gens : “Ah oui, l’antimondialisation ! José Bové et tout ça !” Après, naturellement il y a eu Gênes… Tant parce que c’était une épreuve que parce que ça a été un peu une prise de confiance en moi par rapport à mes capacités à organiser des choses, à intervenir sur des questions politiques, enfin, vraiment à hisser le drapeau. » Philippe (SPEB/ATTAC).
« Le moment où je me suis dit : “Tilt ! C’est ça, machin, c’est parti pour longtemps, tout ça !”, c’est [le contre-sommet] de Québec, en 2001. J’étais super impressionné par le caractère large de l’alliance qui s’était constituée face au sommet. Et puis, il y a quand même aussi – dans ce type de structure extrêmement souple, dans le mouvement altermondialiste, etc. – il y a une effervescence qui est en jeu. Alors que dans une structure déjà instituée, il y a toutes les routines qui font qu’il y a moins de découvertes, moins d’expériences… » Nicolas (VAMOS/ATTAC).
« J’étais allé au Canada et c’était juste à côté de Seattle. Donc j’avais rencontré pas mal de gens qui avaient été à Seattle. […] Et c’était finalement plus la forme de lutte politique qui m’intéressait, plus que le thème direct de l’antimondialisation. » Guillaume (AARRG !!).
« [Mon entrée dans le mouvement altermondialiste] est complètement liée au fait que je suis allé à Prague. Pendant ce contre-sommet, on parlait de la politique du FMI, c’est un thème important pour moi […]. Mais ce qui était aussi important, c’est que j’ai remarqué qu’il y avait un mouvement international, avec plein de groupes et plein de thèmes, où les gens se rencontrent internationalement et développent des choses ensemble et remuent aussi des choses. Ça, ça m’a vraiment plu ! » Jens (INKaK).
42Les militants plus âgés de l’échantillon ou dont l’engagement militant est bien antérieur à 1999 sont, pour certains, entrés dans l’altermondialisation non pas par le biais d’un contre-sommet, mais dans le prolongement de leur militantisme antérieur, en se laissant porter par le courant des changements d’opportunités militantes. Les mobilisations contre l’AMI jouent un rôle plus central dans le cas de ces militants, particulièrement pour ceux ayant créé INKaK quelques années plus tard. Les mobilisations contre le Traité d’Amsterdam reviennent également dans plusieurs entretiens de militants allemands.
« Et [je suis restée] à Sud, tant que j’étais à l’ENS. […] Et après, on a vaguement essayé de faire un peu de syndicalisme, mais bon c’est compliqué. […] On continuait à avoir des contacts avec des anciens de Sud : on se voyait, on discutait, on allait aux manifs ensemble, mais on n’avait pas de structure. C’est après [le contre-sommet de] Nice, qu’on a décidé de monter un truc un tout petit peu plus organisé, qui était AARRG !!. » Charlotte (AARRG !!).
« La première chose importante à laquelle j’ai participé, c’était cet accord multilatéral, l’AMI. […] Et puis après, il y a eu justement la création de People‘ s Global Action. […] Il s’est passé plein de choses tout à coup. Le Traité d’Amsterdam par rapport à l’Union européenne. C’est là qu’il y a eu les premières manifestations-monstres contre l’Union européenne. Et puis, il y a eu cet Encuentro30. C’est […] penser la politique autrement. Et puis, il y a eu cette idée [de PGA], d’un réseau mondial à un niveau radical. C’est-à-dire animé par la base. Ce n’est donc pas tellement un événement [qui a motivé mon engagement altermondialiste], c’est plutôt venu du terrain, de la lutte. […] Et puis après, il y a eu cette “caravane d’actions” en 1999. Avant Seattle. C’était en quelque sorte contre le sommet européen et la réunion du G8 de Cologne. Notre caravane a tourné de mai à juin, et puis elle a fini à Cologne. […] L’idée était déjà de faire le lien entre cette caravane et le sommet, mais bon c’était avant Seattle, donc avant toute cette visibilité médiatique des protestations. […] Et puis après, il y a eu les contre-sommets de Prague et de Gênes. » Andreas (INKaK).
« J’étais engagé dans un groupe à la fac au moment de l’AMI. […] Une copine de Berlin m’a mis cet AMI dans les mains qui avait été envoyé par mail un peu partout depuis le Canada. […] Et puis, on s’est dit que ça ne suffisait plus de militer dans un cadre allemand ou national, mais qu’il fallait organiser cette résistance au niveau mondial, justement. » Nils (INKaK).
43Pour finir, deux cas se distinguent de ces militants fortement engagés avant même l’émergence de l’altermondialisation : celui de Juliette (AARRG !!) et d’Anja (ATTAC) qui sont les seules militantes n’ayant quasiment aucun engagement à leur actif, lorsqu’elles rejoignent le mouvement altermondialiste. Ayant simplement l’expérience d’une association d’aide aux enfants handicapés pour l’une et d’une association sportive pour l’autre, leur rencontre avec l’altermondialisation ne relève d’aucune forme de continuité militante. Elle tient davantage de l’accident de parcours ou du « hasard » des rencontres. Nous avons évoqué plus haut le cas de la première, Juliette, qui a rejoint AARRG !! à la suite d’une rupture sentimentale, mais aussi parce que ce groupe se trouvait dans son école (l’ENS) et avait été fondée par des amis. La deuxième, Anja, souhaitait en fait rejoindre un groupe environnementaliste et s’est rendue à cet effet aux protestations entourant la conférence climatique de Bonn :
« Juillet 2001. Je ne suis pas allée à Gênes, je suis allée à Bonn. Pour la conférence sur le climat. Bonn, c’était en plein ma phase de politisation et je cherchais une organisation dans laquelle m’engager. Je voulais rejoindre le BUND31 en fait, les “jeunes du BUND”. Et ils n’y étaient pas en fait et je suis tombée par hasard sur ATTAC… en lisant un reportage de la revue Spiegel. » Anja (ATTAC).
L’« antimondialisation », un désir de contestation
44Nous l’avons vu, une des particularités du mouvement altermondialiste est de calquer son agenda militant essentiellement sur celui des échéances des instances supranationales (OMC, Banque mondiale, FMI, G8, Davos et sommets européens), à l’exception des Forum continentaux et de quelques mobilisations ciblées (contre l’intervention militaire en Irak ou pour le soutien de José Bové, par exemple). L’identité du mouvement dépend ainsi fortement de l’identification de ses adversaires : l’idéologie néolibérale et certaines instances supranationales (OMC, FMI, etc.). Ceci en a longtemps fait un mouvement « contre ». Stigmate contre lequel la partie modérée ou réformiste du mouvement a résisté – ATTAC plus particulièrement –, notamment en faisant en sorte que les médias abandonnent la dénomination « antimondialisation », au profit d’« altermondialisation » en France et « Globalisierungskritisch32 » en Allemagne. Ce changement de nom a une portée symbolique forte, l’évolution des appellations accompagnant bien souvent des changements notables d’orientation33. L’institutionnalisation d’un mouvement nécessite, en effet, bien souvent une modification au moins symbolique de sa dénomination pour marquer publiquement l’abandon des éléments contestataires de son identité.
45Cette dimension du « contre » reste pourtant bien présente dans la trajectoire des militants que nous avons étudiés. La centralité des contre-sommets dans l’entrée en altermondialisation des jeunes militants nous renseigne sur les motivations de leur engagement. Le désir de s’opposer, de se positionner comme partie prenante d’un contre-pouvoir semble être primordial pour eux. Plus de la moitié des jeunes militants définissent leur engagement comme celui d’une opposition, d’une contestation. Ils sont moins nombreux à parler de recherche d’alternatives ou de solutions, d’un engagement « pour » quelque chose (un monde meilleur, une société plus juste, etc.). Simone de Beauvoir écrivait dans les années 1960 : « Nous souhaitions la défaite du capitalisme, mais non pas l’avènement d’une société socialiste34. » Cette façon de penser qui consiste à s’opposer au système en place, tout en refusant d’adopter les systèmes « clef-en-main » fournis par les formations politiques traditionnelles, correspond à la position des jeunes militants de notre échantillon (à l’exception des militants trotskistes) :
« [Se dire altermondialiste], c’est juste tout simplement exprimer le fait qu’on n’est pas d’accord, qu’on ne cautionne pas la manière dont se fait l’ouverture des frontières et la libéralisation du monde. Je trouve que c’est simplement ça. C’est montrer une opposition. […] Je pense que ça me ferait plus chier d’abolir le capitalisme qu’autre chose, parce que je ne sais pas trop ce que je mettrais à la place. […] [AARRG !! c’est] l’idée de pouvoir améliorer dans une certaine mesure le fonctionnement de certains systèmes, que ce soit l’éducation, les prisons, des trucs comme ça. Mais ça reste très concret. Et très localisé. Ce n’est pas l’idée qu’en gros on puisse tout changer. Que tout le monde aille bien. » Guillaume (AARRG !!).
46Nous avons vu que les jeunes militants que nous avons étudiés ont été déçus par l’offre des partis classiques. L’offre politique autre que partisane de la fin des années 1980 et du début des années 1990 qui a répondu un temps aux attentes de ces militants relevait, elle aussi, d’une « politisation négative ». Il s’est agi des mobilisations contre les réformes de l’éducation nationale, des mouvements et groupes antiracistes (Ras l’Front, SOS-Racisme, Manifeste contre le Front national en France et AntiFa en Allemagne) et du mouvement Anti-Castor (contre les convois de déchets radioactifs) en Allemagne. Cette politisation par opposition, et non par adhésion ou conviction35, montre qu’il est souvent plus facile pour ces jeunes militants, comme pour leurs aînés, de dire ce qu’ils ne sont pas politiquement plutôt que ce qu’ils sont36. C’est précisément pour cela que trois des militants que nous avons étudiés refusent l’évolution de la terminologie du mouvement. Sans nom au départ37, le mouvement est rapidement qualifié d’« antimondialisation38 » par les journalistes qui le suivent, puis d’« anti-mondialisation libérale », d’« anti-globalisation » et, aujourd’hui, d’« altermondialiste39 ».
« Moi, j’aimais bien “antimondialisation”, ça sentait un peu le souffre, c’étaient les gens qui étaient “contre”, c’est le mouvement avant Gênes, quand t’avais un sommet et quelques milliers de gens arrivaient et puis qui perturbaient un peu le truc et puis les journalistes faisaient mine de ne pas comprendre pourquoi, donc c’était “antimondialisation”. Donc ça c’était un truc que j’aimais bien. Maintenant “altermondialiste”, bon, c’est passé. Et si le terme qui est générique pour ça, c’est “altermondialiste”, alors pourquoi pas “altermondialiste”. » Philippe (SPEB/ATTAC).
« En l’occurrence, moi j’ai toujours été contre [le terme] “altermondialisation”, c’est un mot qui m’exaspère. Mais simplement, parce que ça a été une sorte de cache-sexe pour ne pas dire “anti”. Je n’ai jamais compris pourquoi les gens ne voulaient pas dire “anti”. Moi, je me suis toujours considérée comme “anti”… “-mondialisation libérale”, si on veut. […] “Antimondialisation”, ça me va très bien ! [Qu’est-ce que ça signifie pour toi “antimondialisation” ?] (Silence) Oui, ça signifie : refuser la logique même du système mondialisé, c’est-à-dire… C’est pour ça qu’“anti” m’intéresse plus qu’“alter”… Enfin “m’intéresse plus”… c’est juste que je ne pense pas qu’on soit “alter”, enfin qu’on soit dans une alternance à je ne sais pas quoi. Mais en tous les cas, je pense qu’il y a une logique de confrontation qui est à maintenir d’une certaine manière entre un système globalisé, qui fonctionne […] presque sur un système d’emprisonnement des biens humains et sur une logique de peur et sur une logique de matérialisme général, et une logique qui lui est totalement antagoniste. […] C’est aussi pour ça que je ne peux pas être dans un parti politique. Parce qu’au fond, je n’ai pas de programme alternatif. » Charlotte (AARRG !!).
47Ces militants font le choix d’une approche exclusivement protestataire. Ils refusent en sus l’approche très économiste et « molle » de ceux qui préfèrent le terme « altermondialiste » et qui rangent la mondialisation dans deux camps distincts : la « mondialisation libérale » ou « économique » d’un côté, la « globalisation des résistances » et la « mondialisation par le bas » de l’autre. Le choix de se dire « antimondialisation » plutôt qu’« altermondialiste » ne signifie en effet pas seulement un positionnement au sein de la société ou du champ politique, cela signifie également un positionnement en sein-même du mouvement de contestation de la « mondialisation ». Aussi Stefan, militant d’ATTAC, use-t-il des différents termes pour se garantir une positon marginalisée dans le mouvement :
« Alors, je crois tout d’abord que le préfixe “anti” est important pour moi, pour exprimer la négation. Mais, en même temps, je trouve ça important de constater qu’on ne peut pas se trouver “en dehors” de la mondialisation, c’est-à-dire que je fais partie de cette “mondialisation” ou de cet “Empire”. C’est pour ça que je trouve les deux termes [antimondialisation et altermondialisation] très légitimes et j’utilise les deux, en fonction naturellement du contexte dans lequel je me trouve. Quand je suis parmi les militants d’extrême gauche (linksradikalen), le fait de me dire “altermondialiste” est naturellement très provocateur, j’aime bien le faire (rire). Et dans le contexte d’ATTAC, c’est “antimondialisation” qui l’est, et j’aime bien le faire également. C’est une question stratégique. » Stefan (ATTAC).
48Les termes « altermondialiste » sont repris par cinq des huit militants français, soit tous à l’exception des militants de SPEB et d’une militante d’AARRG !! ; ainsi que par huit des dix militants allemands. Les deux militants refusant les termes « globalisierungskritisch » ou « für eine andere Globalisierung »40 sont un militant de Linksruck et un militant d’INKaK qui ne les trouve pas assez radicaux. Les autres jeunes militants de l’échantillon acceptent volontiers ou se résignent à choisir le terme « altermondialiste », parce qu’il correspond au cadre de leur militantisme. L’adoption de ce terme ne signifie pas pour autant qu’ils se situent dans une démarche de proposition, de la construction d’un « autre monde ». Les jeunes militants restent en effet flous, lorsqu’il s’agit d’évoquer d’éventuelles alternatives à la mondialisation, ou utilisent l’antienne des mouvements politiques traditionnels :
« L’“altermondialisation”, ça correspond bien à notre combat. Ce qui est bien, c’est qu’au départ les médias ne reprenaient en fait que le terme “antimondialisation” et maintenant – c’est un succès de notre part – on a réussi à imposer que le combat était “altermondialiste”. Pour une autre mondialisation. Mais sinon, on est quand même contre la mondialisation capitaliste. Maintenant, on est dans une étape où on propose une alternative et plus seulement une opposition, comme c’était le cas plus au début. C’est surtout dire qu’une alternative est possible à la société capitaliste, marchande. Et que cette alternative-là, elle va se construire dans les luttes, dans les résistances. Il n’y a pas un modèle de société à plaquer, même si on a quand même des pistes, par rapport aux expériences du passé : démocratie directe, socialisme, socialisation des moyens de production. » Jérémie (ATTAC/LCR).
« Ce ne serait pas “anti”-mondialisation. Ce serait plutôt “altermondialisation”. Mais en même temps c’est un jeu sur les mots qui ne me semble pas non plus avoir beaucoup de sens. Dans la mesure où il n’était absolument pas question de proposer une alternative. […] Dans AARRG !!, il y avait l’idée de soutenir des luttes. Donc participer à ça, ce n’était pas juste de la contestation. C’était constructif, mais de là à parler d’“alternatives”, ça me paraît un peu déplacé. » Juliette (AARRG !!).
49Les difficultés qu’éprouvent certains d’entre eux à formuler les alternatives du mouvement altermondialiste sont liées à l’échec du modèle socialiste soviétique et leur défiance face à la résurgence de ces idéologies. Seuls les militants des groupes trotskistes SPEB, Linksruck et LCR osent faire référence au Grand Soir et à des modèles de société socialistes. Les autres militants envisagent des modifications sectorielles de la société (réduire les inégalités, réformer les instances supranationales).
Le choix d’un mouvement sans têtes
50Les origines des militants de l’échantillon sont assez contrastées, que ce soit en raison de leurs origines nationales, ou en raison de leur trajectoire militante, de leurs premières amours politiques. Ils partagent cependant des caractéristiques communes qui expliquent très certainement leur choix de l’altermondialisation. Ces invariants que l’on retrouve dans leurs propos, ce sont par exemple leur désir initial d’action militante et leur attirance pour les contre-sommets, ou leur déception du champ partisan et des méthodes traditionnelles de la politique, le rejet de la « politique politicienne », ou encore le refus plutôt partagé de la personnification dans le cadre de leur militantisme. Ils refusent ainsi quasi-unanimement le culte des « héros militants » et rejettent le statut de « porte-parole du mouvement ».
Les figures nationales
51À la question « Quelle homme ou femme politique est important pour toi au niveau national ? », la plupart des militants allemands sèchent ou refusent de répondre. Parmi les militants français, Olivier Besancenot (LCR) fait figure d’exception et est cité par la moitié d’entre eux. Parmi ceux ayant cité le leader de la LCR, Philippe (SPEB/ATTAC) cite en sus Arlette Laguiller, Sophie (ATTAC/LCR) Marie-George Buffet et Jérémie (ATTAC/LCR) Gérard Filoche du Parti socialiste. Une militante d’AARRG !! cite Hubert Védrine (Parti socialiste) pour sa position par rapport à la Palestine. Là encore, nous relevons l’influence de la présence d’une extrême gauche non parlementaire en France, qui est la source d’une bonne partie des différences entre les militants français et allemands. Ce qui caractérise les jeunes allemands est leur identification par opposition, concernant leur espace politique national. Ils adoptent ainsi une logique de dénonciation. Les militants qui acceptent de citer une figure politique importante à leurs yeux, le font ainsi le plus souvent « par la négative » en désignant des figures honnies (à leurs yeux) de la politique : ils citent Oskar Lafontaine (ex-SPD/Die Linke), Gerhard Schröder (SPD), Helmut Kohl (CDU) et Ronald Schill (Partei Rechtsstaatlicher Offensive).
Les figures internationales
52Comme l’avait noté Anne Muxel grâce à une étude portant sur la figure du héros menée auprès d’un échantillon de jeunes Français âgés de 17-18 ans, il est souvent plus facile de s’identifier à une figure lointaine, issue de la scène internationale. De la même manière que les réponses données par les jeunes interrogés par Anne Muxel comptaient deux tiers de « héros » étrangers41, l’exercice de l’identification à une figure politique semble moins pesant pour les dix-huit jeunes militants lorsqu’il s’agit de figures étrangères. Mais, là aussi, les militants allemands sont moins participatifs que les français. Les personnalités citées sont Ralph Nader (États-Unis, écologiste), Alfio Nicotra (Italie, Rifondazione comunista), Yasser Arafat (Palestine, Fatah), Mustafa Barghouthi (Palestine), le sous-commandant Marcos (Mexique, zapatiste) et le président Lula (Brésil, Partido dos Trabalhadores), cité à plusieurs reprises, tantôt comme figure positive de la politique internationale, tantôt comme incarnation de l’échec d’un idéal. Une explication pour cette identification facilitée au-delà des frontières pourrait être que leur qualité d’étranger confère à l’action de ces hommes une dimension qui se rapproche davantage de la puissance plutôt que du pouvoir. Mais là encore, plusieurs militants préfèrent s’identifier par opposition et désignent alors George Bush comme figure guidant leur militantisme :
« Pareil, “Qui est important pour moi ?”, je ne sais pas ce que ça veut dire. Mais dans laquelle je me reconnais plus que dans un autre, c’est Besancenot. […] Mais en même temps Bush est aussi important pour moi que lui… même plus. Tu vois ce que je veux dire ? Le truc important pour moi… Des gens qui sont révélateurs ou… Je ne sais pas… Poutine, par exemple, je pense que c’est super révélateur d’un processus de décomposition de ce qu’était l’URSS et d’un truc libéral-autoritaire. Lula aussi. Pour un échec. Pour un truc qui finalement… Pas “finalement”, mais… On avait raison de se méfier avant… C’est du social-libéralisme. » Nicolas (ATTAC/VAMOS).
Les figures altermondialistes
53Concernant les figures du mouvement altermondialiste, la volonté de mettre en avant des « invisibles » ou des militants lambda est transversale chez les militants. Qu’il s’agisse de la mise en avant de militants philippins ou des organisateurs du FSE italien par exemple, ce sont les petites mains de l’altermondialisation qui sont les plus valorisées par les jeunes militants. Ce positionnement des militants n’est pas une nouveauté altermondialiste. L’exemple des mouvements étudiants peut être cité parmi d’autres, pendant lequel « les acteurs comme les commentateurs n’ont eu de cesse d’insister sur l’image d’un mouvement sans leaders reconnus auxquels le groupe aurait pu s’identifier42 ». Cela ne signifie évidemment en rien que le mouvement n’a pas de leaders identifiés, cela révèle davantage les velléités de donner l’image d’un mouvement spontané et d’une action non manipulée par les entrepreneurs politiques.
54Si cette caractéristique n’est pas nouvelle, elle mérite toutefois d’être relevée. Et ce, parce qu’elle constitue l’un des seuls traits que nous ayons trouvé qui ne distingue pas les militants de SPEB et de Linksruck des autres. Si tous les militants reconnaissent que certaines personnes sont plus visibles ou plus médiatisées dans le mouvement, plus de la moitié d’entre eux expriment leurs vives critiques par rapport à la question :
« Je ne suis pas du tout d’accord avec la question (rire). Il y a des personnes effectivement qui sont plus ou moins leaders… Enfin qui ont un certain leadership, qui ont un certain charisme. Maintenant, c’est une question qui me dérange, parce que justement le mouvement altermondialiste, il ne se veut pas ça. Même s’il y a ça, c’est quelque chose qu’on essaie de maîtriser, de contrôler. Et c’est un peu inévitable parce que c’est une question d’implication dans le temps, de charisme. Mais, en tous les cas, on essaie de les combattre, donc je ne vais pas non plus focaliser quelqu’un alors que je ne suis pas d’accord. » Sophie, (ATTAC/VAMOS).
« La personne qui représente la défense des idées altermondialistes ? José Bové, Christophe Aguiton… Des gens comme ça. Ils reflètent ça avec les qualités de ce mouvement et aussi ses défauts. Jacques Nikonoffaussi, il représente ça. Il représente beaucoup de défauts du mouvement, mais il représente le mouvement. Peut-être qu’on pourrait tordre le bâton dans l’autre sens en disant : “Celui qui représente le mouvement pour moi, c’est Franck Dupont, prof à Béthune qui va bosser avec les précaires et les chômeurs de Béthune pour essayer de faire un Forum social local” ou quelque chose comme ça. Des gens qui font un petit travail de fourmi localement, dont on ne parle pas beaucoup, qui font avancer les choses et sans lesquels les personnes dont on connaît les noms ne seraient rien ! Peut-être que je devrais plutôt dire ça : pour moi, c’est Franck Dupont. Pour moi, c’est l’exemple par excellence ! [Il existe vraiment ?] Ah oui, bien sûr ! C’est un mec avec une barbe et des lunettes. Mais une barbe qui a une forme différente de celle des gens de l’appareil43. » Philippe (SPEB/ATTAC).
« Pour moi, ceux qui symbolisent le mieux l’altermondialisation, ce sont les… les invisibles. Ceux que la société rend invisibles, les illégaux (sans-papiers), les êtres… les migrants… Par exemple, ceux parmi les Hommes qui sont le plus touchés par la mondialisation : les femmes migrantes. Ce sont des gens que j’ai rencontrés dans la rue. » Jens (INKaK).
55Sont également souvent citées certaines figures militantes de l’hémisphère Sud, tel Walden Bello, militant philippin de Focus on the Global South, particulièrement présent dans les propos des militants berlinois. C’est le cas aussi du sous-commandant Marcos, figure de proue du mouvement zapatiste au Mexique. Si le visage cagoulé de celui-ci permet aux militants de le compter dans les rangs des invisibles et lui vaut d’être cité parmi les figures altermondialistes, paradoxalement certains regrettent son manque de visibilité dans le mouvement altermondialiste. Quelques célébrités altermondialistes occidentales sont également évoquées en 2003, elles correspondent aux têtes de gondole de la littérature altermondialiste d’alors : Toni Negri est cité par un trotskiste allemand et Naomi Klein revient plusieurs fois dans les propos des militants, mais est le plus souvent rejetée en raison de la starification dont son personnage a été l’objet.
56Concernant les figures phares de leurs organisations, si tous s’accordent à dire qu’il n’y a pas de leader au sein d’ATTAC, de SPEB, de Linksruck, d’IN-KaK ou d’AARRG !!, certains citent des militants qui les « inspirent » ou leur « apprennent des choses » : au sein d’ATTAC-Allemagne, Maria Mies, Elmar Altvater, Peter Strotmann, Oliver Moldenhauer, ainsi que les militants d’ATTAC-Allemagne basés dans la ville de Verden qui ont fortement contribué à la création d’ATTAC en Allemagne ; au sein d’ATTAC-France, Pierre Khalfa, Annick Coupé ; au sein du SWP, Alex Callinicos, Linsey German, Selma Jakob. Susan George (ATTAC-France) et Christophe Aguiton (ATTAC-France) sont également cités comme égéries du mouvement, mais sont simultanément vivement critiqués dans les propos des jeunes interrogés, en raison de leur position sous les projecteurs. Enfin, Bernard Cassen – fondateur d’ATTAC-France – est identifié comme la figure honnie du mouvement, parce qu’il revendique selon les militants la paternité d’ATTAC et de l’altermondialisation, en France, comme à l’étranger :
« Je ne pense pas qu’il y ait un leader au sein d’ATTAC, au sens de leader charismatique qu’on suit parce qu’on est d’accord avec ses idées et qui t’entraîne dans son sillage. Je pense qu’il y a Cassen qui a la mainmise sur ATTAC, parce que c’est son bébé et qui impose ses choix ou les choix de son courant. Maintenant, ce n’est pas un leader au sens tel. Il est très volontariste, il a une puissance de travail énorme, il est très intelligent, mais il n’est pas très charismatique. Et surtout, il est super antipathique. Voilà, je dis que c’est un chef, pas un leader. » Sophie (ATTAC/VAMOS).
57José Bové est le seul qui se distingue du lot de l’ensemble de ces figures de proue. Si la plupart des jeunes militants interrogés dit refuser de faire la génuflexion devant des figures emblématiques ou devant une quelconque idéologie, il n’en reste pas moins que les manifestations pour le soutien de José Bové – rassemblement de 50 000 militants à Millau (2000), plus d’une dizaine de manifestations le 26 juin 2002 en France, rassemblement de 200000 à 300000 personnes dans le Larzac (2003), etc. – montrent la perpétuation d’un besoin de « vénération chez les masses »44 et de leur besoin d’être guidé. La forme du militantisme de ce paysan du Larzac – son recours à des méthodes illégales et radicales, son incarcération – lui garantisse une certaine popularité et le protège partiellement des critiques de ces jeunes militants. À la question « Quelle est la personne qui représente le mieux l’altermondialisation ? », son nom revient chez plus de la moitié des jeunes militants, aussi bien chez les Allemands que chez les Français, toutes tendances confondues. Pourquoi José Bové ? Nous avons vu que la plupart des militants n’acceptent l’unité du mouvement qu’à la seule condition qu’elle ne soit pas synonyme d’« uniformité ». Dans cette configuration bien particulière, la capacité à « rassembler ce qui est extrêmement hétérogène » et la « forte charge symbolique » (Juliette, AARRG !!) que lui attribue l’« opinion publique » est, entre autres choses, ce que les militants retiennent de José Bové :
« Ce n’est pas terrible comme question parce qu’on fait une critique de la personnification. Mais si tu me demandes : “Quelle personne selon toi représente l’altermondialisation pour la majorité des gens ?”, en tous les cas, à une échelle large, c’est Bové qui est le plus représentatif. En tous les cas en France. » Nicolas (VAMOS/ATTAC).
« Je dirais Bové. Parce qu’il fait 3000 trucs. […] Après, politiquement, je peux avoir des critiques sur ce qu’il dit parfois, sur la manière dont il défend ça. Oui, en tous les cas, c’est le plus bel exemple dans le mouvement en France d’un militant qui milite vraiment. Voilà, Bové pour ce côté radical qui va en Palestine et qui le défend et qui fait le plus le lien entre son truc et le mouvement. » Camille (ATTAC/SPEB).
« En France, José Bové pour les paysans, contre la malbouffe, les OGM. Et puis aussi Christophe Aguiton pour l’internationalisme et la prise en compte des chômeurs et des précaires dans le mouvement altermondialiste. Et puis aussi Susan George pour la critique du système et des institutions par quelqu’un qui y a participé à ces institutions et qui connaît bien leur fonctionnement. » Jérémie (ATTAC).
« Bien sûr, on peut toujours parler de José Bové. Mais je pense que ce n’est pas “LA personne”. Je pense que, justement, il y a l’idée que ça reste un mouvement de masse, d’un certain nombre de gens ensemble qui veulent s’opposer. Il n’y a pas de personne, ce n’est pas en suivant telle personne ou en mettant toute ma confiance dans telle personne. » Guillaume (AARRG !!).
58Il est intéressant de noter, par ailleurs, que les militants allemands ne citent aucune figure de leur pays comme étant représentative du mouvement. Les personnalités allemandes ne sont évoquées qu’à partir du moment où l’on interroge les militants de l’échantillon sur les figures importantes issues de leur organisation. La plus forte horizontalité du mouvement altermondialiste allemand explique en partie ce phénomène. Il est également dû à l’absence plus générale de montée en personnification du champ politique allemand, comparativement à son équivalent français.
59Les critiques relatives à la personnification du mouvement, en France et en Allemagne, signifient-elles que ces jeunes militants n’ont plus de modèle à suivre ? Est-ce à dire qu’ils ne partagent plus d’idéal ? Tout porte à croire que celui-ci s’exprime différemment. Certains militants expriment leur idéal à travers des manières de vivre, des démarches « style de vie », c’est-à-dire au travers une démarche individuelle. D’autres, de manière plus classique, conservent des références idéologiques (trotskisme, marxisme, etc.) qui leur servent de fil conducteur dans leur trajectoire. Cette approche du militantisme, par le biais de démarches plutôt individualistes ou au contraire collectives, se traduit par des choix organisationnels différents et par une interaction plus ou moins forte entre vie militante et vie privée.
Notes de bas de page
1 Juhem P., « SOS-Racisme, histoire d’une mobilisation “apolitique” », op. cit.
2 Sommier I., Fillieule O., Agrikoliansky É. (dir.), La généalogie des mouvements altermondialistes en Europe, op. cit.
3 Ibid., p. 8.
4 Snow D. A., Rochford B. E. Jr., Worden S. K., Benford R. D., « Frame alignment processes, micromobilization, and movement participation », American Sociological Review, volume 51, 1986.
5 C’est le cas notamment des mobilisations contre le projet de réforme Hartz IV en Allemagne.
6 Edelbloude J., « Les néo-socialistes est-allemands du PDS face à l’extrême droite », thèse de doctorat, IEP de Paris, 2006, p. 10.
7 Bernard Cassen a activement participé à la création d’ATTAC en France et à son extension au-delà des frontières nationales. Il a été le premier président de l’organisation.
8 José Bové a contribué à la création du syndicat agricole Confédération paysanne en 1987. Il devient une figure emblématique du mouvement altermondialiste à partir de son action de « démontage » d’un restaurant McDonald’s à Millau en 1999.
9 Sommier I., « Sur la généalogie de l’altermondialisme en France », inSommier I., Fillieule O., Agrikoliansky É. (dir.), La généalogie des mouvements altermondialistes en Europe, Karthala, Paris, 2008.
10 Lilian Mathieu a également analysé l’ascendance du mouvement altermondialiste français dans un article paru dans Critique internationale (Mathieu L., « La constitution du mouvement altermondialiste français », Critique internationale, no 27, 2005, p. 148-152).
11 Le 18 décembre 2002, autour de la table des militants en charge des villages alternatifs, nous retrouvons des militants dont les têtes sont connues et dont les organisations sont anciennes. Une bonne partie d’entre eux étaient engagés en politique avant l’émergence du mouvement altermondialiste. Parmi les groupes présents, on compte : des mouvements de jeunesse politiques (JCR, jeunes Verts), des organisations anarchistes et libertaires (CNT, Alternative libertaire, Fédération anarchiste, Organisation communiste libertaire, Scalp/Reflex), des syndicats (Sud-PTT et Sud-étudiants), des associations de lutte pour la reconnaissance de droits (Droits Devant !!, Act Up) ; les seules groupes directement issus de l’altermondialisation sont Indymedia, VAMOS, AARRG !! et ATTAC. Parmi les représentants d’ATTAC et de VAMOS présents ce jour-là, plusieurs sont membres de la LCR ou des jeunes Verts. Deux mois plus tard, nous nous rendons à la réunion du collectif unitaire de mobilisation face au G8 qui rassemble les organisations plus « réformistes » ou plus « traditionnelles ». Autour de la table, les militants sont ceux qui représentaient déjà leur organisation lors des collectifs unitaires visant l’organisation de manifestations ou de rassemblements politiques avant 1998. Les organisations sont, elles aussi, dans leur grande majorité préexistantes à l’altermondialisation : des mouvements de jeunesse, des mouvements et des partis politiques (jeunes Verts et Verts, Les Alternatifs, le MJS et le PS, les JCR et la LCR, le PCF, SPEB), un satellite du PS (SOS-Racisme), des syndicats (Sud-PTT, CGT, UNEF, FSU), des associations tiers-mondistes ou écologistes (CRID, CCFD, Cedetim, Sortir du nucléaire), une association de défense des droits des chômeurs (AC !), etc. ; les seules organisations nonpréexistantes à l’altermondialisation étaient alors ATTAC, AARRG !! et VAMOS.
12 L’Action Mondiale des Peuples est le nom français du réseau international Peoples’Global Action.
13 Le contre-sommet de Seattle n’a eu que peu d’écho en Allemagne. La couverture médiatique de l’événement a été faible et la mobilisation ténue.
14 Kolb F., « Die Medienstrategie von ATTAC », Vorgänge, no 164, décembre 2003, p. 66-69.
15 Zappi S., « José Bové veut disputer à Olivier Besancenot son ancrage en banlieue », Le Monde, 16 avril 2007.
16 Collovald A. (dir.), L’humanitaire ou le management des dévouements, PUR, Rennes, 2002.
17 Melucci A., Challenging codes – Collective action in the information age, Cambridge University Press, Cambridge, 1996, p. 5-9.
18 Littéralement : ennemi de la globalisation ou anti-mondialisation.
19 « Critique de la globalisation », c’est ainsi que les Allemands nomment le mouvement altermondialiste.
20 Traduction libre de schwammig.
21 Cette identification ou non comme anticapitaliste est l’une des lignes de démarcation qui traversent le mouvement altermondialiste. La scission du camp initialement unitaire du contre-sommet d’Évian de 2003 en deux camps (VIG et VAAAG) a par exemple été en partie motivée par l’importance donnée au qualificatif « anticapitaliste » par les franges plus radicales.
22 Rucht D., « Transnationaler politischer Protest im historischen Längsschnitt », inGeiling H., Klein A., Koopmans R. (dir.), Globalisierung, Partizipation, Protest, Leske + Budrich, Opladen, 2001. Sommier I., « Sur la généalogie de l’altermondialisme en France », inSommier I., Fillieule O., Agrikoliansky É. (dir.), La généalogie des mouvements altermondialistes en Europe. Une perspective comparée, Karthala, Paris, 2008.
23 Éric Agrikoliansky, dans L’altermondialisme en France, fait du rassemblement de 1989 pour l’annulation de la dette du tiers-monde un événement précurseur de l’émergence de l’altermondialisation. Pour lui, la plupart des ingrédients de l’altermondialisation sont présents lors de cet événement : le contexte politique (extrême gauche en souffrance, disparition du PSU, épuisement du militantisme politique), les enjeux et slogans (« Agir local, penser global »), la dimension politique internationale des revendications, les alliances militantes (associations environnementales et de solidarité internationale, partis politiques, etc.)… Agrikoliansky É., « Du tiers-mondisme à l’altermondialisme : genèse(s) d’une nouvelle cause », inAgrikoliansky É., Fillieule O., Mayer N. (dir.), L’altermondialisme en France, Flammarion, Paris, 2005.
24 Bourdieu P., « La représentation politique », op. cit., p. 13.
25 Ollitrault S., « Science et militantisme : les transformations d’un échange circulaire : le cas de l’écologie française », Politix, no 36, (4), 1996, p. 141-162. Giddens A., La constitution de la société, PUF, Paris, 1987.
26 Et par exemple, le démontage du restaurant McDonald’s par José Bové en 1999 ou la campagne contre l’AMI côté français ou la campagne contre l’Accord Multilatéral sur l’Investissement côté allemand, mais aussi les contre-sommets de Prague et de Gênes.
27 Certaines figures du contre-pouvoir reviennent cependant dans les entretiens, notamment José Bové et le sous-commandant Marcos.
28 Agrikoliansky É., « L’altermondialisme de A à Z », L’Humanité, 26 janvier 2005a.
29 Muxel A., « Jeunes des années quatre-vingt-dix : à la recherche d’une politique “sans étiquette” », inPerrineau P. (dir.), Engagement politique. Déclin ou mutation ?, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1994, p. 259.
30 Encuentro : rencontre zapatiste.
31 BUND : organisation écologiste allemande qui compte environ 400 000 adhérents.
32 Globalisierungskritisch : critique par rapport à la globalisation.
33 Nous l’avions analysé à propos des mouvements de jeunesse des partis verts français et allemands en 2000 (Jossin A., « Chiche ! et la Grüne Jugend », op. cit.). L’abandon du qualificatif « alternatif » dans le nom des deux mouvements de jeunesse avait alors marqué la volonté d’une partie des militants de Chiche ! (devenu Les Jeunes Verts) et du GAJB (devenu Die Grüne Jugend) de se professionnaliser et d’institutionnaliser leurs mouvements de jeunesse.
34 Beauvoir S. de, La force des choses 1, Gallimard, Paris, 1963.
35 Missika J.-L., « Les faux semblants de la dépolitisation », Le Débat, no 68, janvier-février 1992.
36 Muxel A., « La participation politique des jeunes », op. cit., p. 542-543.
37 Sauf à considérer son commencement avec l’apparition de sa dénomination.
38 Outre-Rhin : « Gegen die Globalisierung » pour qualifier le mouvement et « Globalisierungsgegner » pour qualifier les acteurs.
39 Altermondialiste correspond au terme globalisierungskritisch en Allemagne.
40 Für eine andere Globalisierung : pour une autre mondialisation/globalisation.
41 Muxel A., L’expérience politique des jeunes, op. cit., p. 164.
42 Bourmeau S., Cardon D., Heurtin J.-P., « “La gloire, c’est la galère” », op. cit., p. 56.
43 À un autre moment de l’entretien, Philippe critique en effet la direction d’ATTAC qu’il juge élitiste et qu’il décrit ainsi : « Tous les vieux profs agrégés avec leur barbe et leurs lunettes ». Il oppose cette direction aux comités locaux d’ATTAC qu’il qualifie de « Working class ».
44 Michels R., Les partis politiques, Flammarion, Paris, 1971.
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