2. Entrer en politique : passage dans un parti, puis déception
p. 67-92
Texte intégral
1La dialectique de l’héritage familial et de l’expérimentation personnelle est essentielle dans l’étude du parcours politique des jeunes. Alors même que les jeunes se trouvent encore dans leur environnement familial, tout un ensemble d’éléments et d’événements leur offrent la possibilité de s’en écarter. Le contexte politique et les pratiques culturelles des militants (une émission de télévision, la lecture d’un livre, le cours d’un enseignant, etc.) sont ainsi à prendre en considération, en tant qu’éléments potentiellement déclencheurs d’un engagement politique. L’alternance politique des années Mitterrand en France, la fin des années Kohl en Allemagne, l’émergence de mouvements antiracistes dans les deux pays, l’unification des deux Allemagnes, les manifestations étudiantes en France, les grèves de 1995 sont autant de moments politiques qui ont pu confirmer la socialisation primaire des militants ou au contraire les en détourner. Quel a été l’effet de ces événements sur les jeunes militants ? Vers quelles organisations se sont-ils tournés ? Comment ont-ils vécu leur première expérience du militantisme organisé ? L’appartenance des militants de notre échantillon à une même classe d’âge ou à des classes d’âge très proches permet d’étudier la réception – différenciée ou non – de ces événements et de ces tournants politiques.
Élément déclencheur de l’entrée en politique
2Les enquêtes scientifiques ou journalistiques qui constatent le faible engouement des jeunes pour la politique et leur repli sur la sphère privée sont nombreuses. Certaines d’entre elles n’hésitent pas à présenter ce phénomène comme étant nouveau. Un article du quotidien Le Monde qualifie ainsi en 1999 les jeunes « d’avant-garde de la dépolitisation » en constatant que 91 % d’entre eux ne font plutôt pas confiance aux partis politiques (Le Monde, 21 novembre 1999)1. Une enquête allemande portant sur un échantillon de 4 500 Allemands âgés de 15 à 24 ans arrive à des conclusions similaires en 20002. L’abstention des jeunes lors des échéances électorales, voire leur non-inscription sur les listes électorales, leur faible représentation parmi les adhérents des partis et des syndicats font les titres des quotidiens à l’approche des élections. Les jeunes éprouveraient non seulement peu d’intérêt pour la politique, mais, plus encore, ce phénomène irait en s’aggravant.
3Ce diagnostic pessimiste est pourtant remis en cause par nombre d’enquêtes récentes, qui nuancent ces constatations. C’est le cas de l’enquête EUYOUPART qui montre l’intérêt des jeunes Allemands pour la politique : 50,5 % se disent assez ou très intéressés. Cet intérêt augmente avec l’âge (37 % des 15-17 ans contre 62 % des 24-25 ans) et en fonction des origines (les jeunes Allemands sont plus intéressés que les jeunes issus de l’immigration), fort probablement en raison de la corrélation entre la possibilité de participer aux échéances électorales et l’intérêt pour la chose publique. En outre, une enquête post-électorale CEVIPOF/SOFRES menée en 1978, 1988, 1995 et 1997 montre d’une part qu’il n’y a pas de différence notable entre l’intérêt pour la politique des jeunes et celui de leurs aînés, et d’autre part que l’intérêt des jeunes a un peu fluctué, mais n’a pas réellement décliné de 1978 à 19973.
Média, famille et école : les lieux des prémices d’un engagement politique
4L’intérêt pour la politique des jeunes retenus pour notre échantillon qualitatif a grandi dans la plupart des cas de manière très progressive, grâce à la lecture de journaux ou le suivi de l’actualité télévisée, à travers des discussions avec des militants ou des camarades d’école ou de sport, ou encore à la suite de débats animés en famille, de la confrontation à un événement ou de l’écoute d’un discours politique. Et ce, pendant l’adolescence (12-13 ans), ce qui correspond pour Annick Percheron à l’âge où surgissent des changements comportementaux et intellectuels qui font que l’enfant s’ouvre vers les autres, s’intéresse aux idées qui ne sont pas les siennes, ainsi qu’aux phénomènes politiques4. Si ces premiers pas vers la politique ne peuvent être qualifiés d’engagement que rétrospectivement, il n’en reste pas moins que les militants les citent spontanément lors de l’entretien dans l’énumération des éléments déclencheurs de leur militantisme :
« Dès 13-14 ans… Enfin, juste le fait que je regardais le journal télévisé par exemple, ça m’intéressait de voir les décisions qui étaient prises, les gens qui les prenaient. […] Et je me construisais une opinion par rapport à ça, comme on peut le faire quand on a 13-14 ans. Je pense que je n’aurais pas dit de moi à l’époque que j’étais politisé. C’était aussi un peu […] pour accumuler des connaissances, comme connaître le nom du ministre de l’Environnement et des trucs comme ça […]. C’était un intérêt pour la politique, mais pas une position claire encore… quoique ce sentiment de positionnement à gauche a été là dès le départ. » Nils (INKaK).
5Cette première approche de l’engagement politique a généralement eu lieu soit sur la base d’appartenances primaires – par le biais des parents, d’amis, de figures tutélaires (enseignants par exemple)5 – ou alors à la suite de stimuli intellectuels6 comme peuvent les provoquer des événements politiques ou la découverte d’une organisation politique ou de « militants exemplaires ». Jacques Ion affirme que, dans un paysage militant qu’il décrit comme étant marqué globalement par une diminution simultanée de l’adhésion et du militantisme, l’échelon le plus proche des individus constitue un niveau d’engagement fortement valorisé7. Si nous ne sommes pas certaine que l’attractivité de l’échelon le plus proche des militants soit une réelle nouveauté dans le champ militant, il n’empêche qu’elle est observable dans notre échantillon.
6Lorsque le premier contact avec la politique n’a pas eu lieu directement par l’intermédiaire de parents ou grands-parents engagés (dans un parti, une ONG, etc.), il a généralement eu lieu dans l’univers scolaire et universitaire8. Les militants de notre échantillon qui ont eu leurs premiers émois politiques à l’école les ont le plus souvent connus dans les classes d’histoire-géographie ou d’éducation civique : création d’une association sur les Pays de l’Est avec l’enseignante d’histoire-géographie pour Guillaume (AARRG ! !), création d’un groupe de Greenpeace avec l’aide d’une enseignante de géographie pour Torsten (Linksruck/ATTAC) et découverte de l’aide au développement à l’école pour Anja (ATTAC). Toujours dans le cadre de l’école, les premières réflexions ou actions politiques ont aussi eu lieu sous la forme d’un engagement intense dans la vie politique de son lycée pour Nils (INKaK) et à la suite d’une discussion sur la réalité de la dictature soviétique dans la cour de récréation avec le fils de l’enseignante d’éducation civique pour Nicolas (VAMOS/ATTAC). Enfin, Anja raconte l’influence de l’héritage subi de l’engagement soixante-huitard de ses enseignants :
« Je fais partie de la génération Tchernobyl… euh… enfin d’un mélange entre Tchernobyl et les années 1968. [Quand je suis entrée à l’école,] c’était l’époque où les anciens de 68 faisaient, eux, leur entrée dans les médias et dans l’enseignement. Ils influençaient très fortement les films pour enfants, la publicité, les documentaires. Et puis, ils étaient présents dans les écoles et ils ont contribué à marquer ma socialisation. Et cette combinaison entre Tchernobyl que j’ai vraiment pris en compte à l’âge de neuf ans, et cette génération de soixante-huitards qui après ça, du coup, a fait plein de films sur le thème… Les informations ne parlaient plus que de ça, ça m’a vraiment marquée. C’était présent partout. Et j’ai vraiment été élevée dans cette ambiance de fin du monde. Chez nous, le discours c’était : dans quelques années les forêts auront été détruites, les baleines vont s’éteindre, et puis de toute façon les océans seront bientôt tous morts, il n’y aura plus qu’une espèce de bouillon marron à la place, et puis les centrales nucléaires vont exploser. À l’âge de dix-douze ans, j’étais capable de te faire un exposé détaillé de la façon dont on allait tous mourir, parce que j’avais vu des dessins animés là-dessus. Ce dont les enfants d’aujourd’hui ne sont pas capables à mon avis. Et les réponses à tout ça, c’était des petits trucs du genre “Il faut utiliser des crayons à papier qui ne sont pas laqués et du papier recyclé.” Ouais, super ! ! C’était le genre de réponses qui ne faisaient rien avancer. Et c’est de là qu’est venu mon engagement. Du genre : “Comment est-ce que sont traités les animaux ?”… Et c’était vraiment terrible pour moi : “Oh mon Dieu ! ! Des élevages en batterie ! !” et puis “On coupe les becs des poulets !” » Anja (ATTAC).
Politique partisane versus « revendications concrètes »
7Lorsque cette sensibilisation à la politique n’a pas eu lieu dans les salles de classe, dans les instances scolaires ou dans la cour de récréation, elle a aussi souvent lieu en France à la sortie du collège, du lycée ou de la faculté, au contact des militants de Lutte ouvrière. Pour trois des jeunes Français que nous avons étudiés, ceux-ci leur ont d’abord plu parce que les démarcheurs de Lutte ouvrière ont su les écouter, ont accordé de l’importance à leurs idées, ou tout simplement parce qu’ils les ont impressionnés ou les ont aidés à construire une « raison d’agir », c’est-à-dire à franchir le pas vers un engagement politique9 :
« Mon engagement à LO, c’était très abstrait. J’étais très curieux de voir comment fonctionnait la société […]. Je lisais pas mal de bouquins là-dessus. Les camarades de LO, en fait, ils m’ont donné des réponses, une grille de lecture par rapport à tout ce que je pouvais lire, tout ce qui m’intéressait […]. [Pourquoi est-ce que tu as choisi LO ?] C’est eux qui sont venus me voir. Et il n’y a pas eu un truc qui a déclenché ça. Je n’étais pas révolté particulièrement, j’aimais beaucoup le surréalisme à l’époque : le côté remise en cause des normes, transgression sociale et tout ça. Ça me rapprochait plus d’un mouvement de gauche progressiste. Pourquoi LO plutôt qu’un autre ? C’est vraiment les circonstances au collège. J’étais content de voir des gens qui s’intéressaient à mes idées, qui me prenaient au sérieux, qui n’étaient pas tellement plus vieux que moi, parce qu’ils étaient étudiants, mais qui me consacraient du temps… […] Ils n’utilisaient pas non plus le fait qu’ils étaient mes aînés pour être paternalistes dans la relation ! […] Ils me donnaient des trucs à lire. » Jérémie (ATTAC).
8Ce premier contact à la politique qui s’est fait précocement par l’attrait pour un parti non-parlementaire est cohérent avec la défiance largement partagée des militants à l’égard des partis gouvernementaux, comme nous le verrons plus loin. La constance qui caractérise l’intérêt des jeunes pour la politique s’accompagne en effet d’un net fléchissement de la crédibilité des hommes politiques en France10, qui suit elle-même l’instabilité grandissante de la vie politique marquée depuis 1981 par des alternances gouvernementales répétées11.
9Selon Anne Muxel, l’apparente contradiction entre un intérêt pour la politique d’un côté et de l’autre une perception négative de la vie politique ou le discrédit des hommes politiques qui ne se soucieraient pas assez des attentes des citoyens, révèle un intérêt pour des sujets politiques distants des clivages politiciens traditionnels, tels que « la lutte contre le racisme, la liberté d’opinion, et, bien entendu, les questions relatives au système de formation à l’école et à l’université12 », thèmes qu’Anne Muxel qualifie de « revendications concrètes13 ».
10La plupart des jeunes que nous avons étudiés – et plus particulièrement les jeunes Allemands – ont eux aussi découvert la politique par le biais de ces revendications « plus fondamentales » et « concrètes ». La moitié des jeunes Allemands ont vécu leur premier engagement par le biais de la défense de l’environnement, en adhérant à Greenpeace ou en se rapprochant d’un groupe des Grünen. Ce premier engagement n’a parfois consisté qu’en une simple adhésion à l’organisation, sans militantisme actif. Trois autres se sont sentis engagés pour la première fois lors d’une manifestation antiraciste au début des années 1990. L’émergence du mouvement antiraciste suite à l’unification des deux Allemagne et à la recrudescence de violences contre les étrangers a servi d’élément déclencheur pour ces jeunes Allemands.
11Du côté français, la moitié des militants a été initié à la politique par le biais de ces revendications concrètes : par l’humanitaire, la lutte contre le Front national ou le soutien d’enfants handicapés. Ces répertoires revendicatifs sont ceux qui restent attractifs dans un paysage militant en mutation14, car ils permettent de dépasser l’horizon national. C’est également le cas du mouvement altermondialiste qui reprend les caractéristiques, les revendications, mais aussi en partie les militants de l’écologie et de l’humanitaire15.
12Ainsi, ce bourgeon d’intérêt pour le militantisme s’est dans de nombreux cas posé, dans un premier temps, sur ce qu’Anne Muxel appelle les « thèmes concrets » : la lutte contre le racisme et la préservation de l’environnement. Dans d’autres cas, le premier contact a été un parti politique. Ces premières rencontres avec le militantisme et la politique ont posé leur empreinte sur les trajectoires militantes : la rencontre avec un militant de Lutte ouvrière à la sortie du lycée a, par exemple, signé le début d’une longue carrière trotskiste dans le cas de deux militants français ; une première confrontation difficile avec la hiérarchie d’un parti a dans certains cas incité les jeunes gens à leur préférer des groupes à structure horizontale ; la sensibilisation aux questions environnementales à l’école a mené dans certains cas à un engagement écologiste ; ou encore, les récits héroïques de parents (ex-) militants ont parfois forcé le pas vers un engagement anti-institutionnel ou « révolutionnaire ».
13À noter enfin que l’entrée en militantisme des jeunes individus que nous avons étudiés a été plus précoce en France qu’en Allemagne, si l’on prend en compte la participation active des militants à une organisation en excluant la simple adhésion à une organisation. Elle a eu lieu entre 15 et 19 ans pour les Français et entre 15 et 25 ans pour les Allemands (dont trois au-delà de 24 ans). Le temps prolongé des études en Allemagne et donc l’allongement de l’« entre-deux-âges » (ni enfant, ni adulte) explique probablement les engagements plus tardifs en Allemagne, les jeunes Allemands restant exposés plus longtemps à l’offre militante proposée dans les couloirs des universités et aux organisations agrégeant des « jeunes ».
Motivations à l’entrée en politique
14Les jeunes que nous avons étudiés invoquent des raisons très variées pour expliquer ce premier intérêt pour la politique. À la suite d’Annick Percheron, nous postulons que les premiers émois politiques et les premiers engagements sont plus souvent d’ordre affectif que cognitif16. Les trois quarts des militants se souviennent d’avoir été remués par une cause, sensibilisés par une action d’envoi de cahiers d’école au Burkina Faso, secoués par la chute du mur de Berlin et l’absorption politique de la RDA par la RFA, révoltés par une injustice ou par le racisme, révulsés par des manifestations néo-nazies, etc. D’autres racontent l’admiration éprouvée pour un militant ou un amour de jeunesse pour un camarade de classe communiste.
15Les passions et les motivations qui font agir les individus ne sont pas seulement matérielles et rationnelles, mais parfois, dans une perspective wébérienne, idéelles, émotionnelles ou symboliques. Si les premiers sentiments militants, les discussions politiques, la première manifestation ou la première adhésion à une organisation apparaissent pour la plupart des jeunes que nous avons étudiés lors de leur socialisation primaire, l’entrée en militantisme n’intervient que plus tard, à la sortie du cercle familial17.
Le militantisme comme réponse à des (petites) ruptures biographiques
16Daniel Gaxie a analysé cette fonction d’intégration que joue l’organisation politique à différents moments de l’existence, que ce soit comme exutoire à la révolte contre l’autorité parentale pour certains jeunes, ou pour remplir un vide après une séparation sentimentale, ou encore pour compenser l’isolement de la vieillesse. L’organisation politique joue alors le rôle de « grande famille » accueillante et socialisante dans ces moments difficiles18. Pour la moitié des militants que nous avons étudiés, l’entrée en militantisme est effectivement associée à un besoin de socialisation suite à l’installation dans une nouvelle ville (Paris, Berlin, Hambourg, Munich), lors du commencement des études supérieures. Ces déménagements vers Paris, Berlin ou Hambourg sont également associés à un sentiment de liberté et d’élargissement du domaine des possibilités dans le cadre d’une scène militante plus vaste et plus dynamique :
« Un déménagement [a en effet influencé ma trajectoire militante]. Puisqu’à Paris, j’avais plus de marge de manœuvre, il se passe plus de choses politiquement. Disons que ça a aidé. Quand je suis arrivé à Paris, je me suis mis à militer. Je relayais plus ou moins des initiatives quand j’étais à la faculté catholique [de Lille], mais ce n’était pas trop possible de faire des trucs sans se faire péter la gueule. Paris, ça rendait les choses vraiment plus faciles. Donc effectivement, ça a vraiment facilité les choses. » Philippe (SPEB/ATTAC).
17Le dynamisme de la scène militante de ces trois grandes villes s’accompagne d’une relative préservation de l’anonymat des militants. Loin de leurs familles, ils sont noyés dans une masse militante où, pendant l’exercice de la manifestation par exemple, ils s’exposent moins et se donnent moins à voir que dans un village ou dans une ville dans laquelle le militantisme de gauche est moins développé.
18Ce parallélisme entre les trajectoires personnelle et militante est également visible dans notre échantillon quantitatif. 9,4 % des militants présents lors des journées d’été d’Arles et de Marbourg relèvent la concomitance de leur engagement à ATTAC avec un déménagement, 6,6 % d’entre eux avec la fin de leurs études, 4 % avec le début de leur retraite, 4,2 % avec le début d’une période de chômage, 3,2 % avec le passage en temps partiel ou tout simplement avec une augmentation de leur temps libre, 3,1 % d’entre eux avec un divorce ou une séparation, et enfin 9,2 % avec d’autres changements de leur vie personnelle (vie à l’étranger, maladie, naissance d’un enfant, deuil, début ou la reprise de leur carrière professionnelle19). Soit un total de 39,7 % de militants qui associent leur début de militantisme au sein d’ATTAC à une recherche de sociabilité ou à un changement de leur rythme de vie, le plus souvent dans le sens d’une augmentation de leur temps libre et de leur liberté. C’est aussi le cas des militants de notre échantillon qualitatif, telle Juliette (AARRG ! !) qui a décidé de s’engager à la suite d’une séparation sentimentale :
« Rupture sentimentale (rire) ! Qui était provisoire, mais néanmoins “rupture sentimentale” ! Disons que ça faisait vraiment longtemps que Joseph [militant d’AARRG ! !] me tannait pour que je m’investisse là-dedans [dans AARRG ! !]. […] Et puis, il y a eu le projet d’attaquer Berlusconi qui m’a plu20. Donc là, je me suis un peu boostée pour y aller. Et c’est vrai que ça a coïncidé avec un moment où j’étais complètement paumée. C’était dû à la rupture sentimentale. Naturellement dans ces moments où on est complètement déstabilisé, on pense à des trucs qu’on voulait faire depuis longtemps et qu’on n’a pas faits, et puis on est plus en attente des autres aussi. Et puis, Joseph – qui est un des cofondateurs d’AARRG ! ! – m’a juste dit “Viens !” » Juliette (AARRG ! !).
19Les moments cités par les militants correspondent également à des périodes de changement de statut social, bien souvent d’émancipation et de perte de structure sociale (la famille, le travail, un ancrage géographique et social). Ceci confirme que l’action publique peut remplir la fonction d’outil de renégociation de la position des individus dans la société. Cela ne signifie pas que les militants ont découvert leur fibre militante dans ces périodes de vide, mais plutôt que cette fibre préexistait et que la décision de s’engager ou de se réengager a attendu cette période propice.
20Un autre point intéressant apparaît lors de cette question de l’interaction entre vie personnelle et vie militante : celui de l’absence fréquente de prise de conscience de cette relation, qui confirme l’absence de caractère rationnel de cette décision. Plusieurs militants nous ont en effet dit n’avoir pris conscience de ce lien qu’au moment où la question leur en a été posée. Toujours est-il que l’entrée en militantisme fait ici la jonction entre deux phases de vie. Elle sert pour certains de palliatif structurel et de sociabilité lors du détachement du milieu familial et du cercle d’amis de la socialisation primaire. Elle donne également un sens à la vie de certains autres traversant un passage à vide :
« Moi, j’avais un peu le sentiment que finalement ma vie c’était de la merde et autant la consacrer à quelque chose d’utile ! Bon, je suis moins dark aujourd’hui, mais je pense que ça a beaucoup joué dans le fait que… [Tu voulais convaincre lesautres…] Oui… [J’étais] beaucoup en recherche d’arguments et de choses comme ça. » Philippe (SPEB/ATTAC).
Remodelage du réseau de sociabilité
21Jacques Ion a constaté que la sociabilité et la vie privée – longtemps au centre de la vie des groupements politiques – s’en détachent aujourd’hui de plus en plus21. Les données que nous avons recueillies montrent pourtant que le militantisme reste un moyen de socialisation à certaines périodes de la vie, comme en atteste la concomitance de l’entrée en politique et de petites ruptures personnelles (divorce, retraite, déménagement, etc.). La récurrence des réunions qui se terminent au café autour d’un pot entre militants parle également pour la sociabilité active que génèrent ces groupes. Les militants interviewés citent d’ailleurs spontanément ces nouveaux cercles de sociabilité parmi les changements les plus importants intervenus lors de leur entrée en militantisme. Tous estiment avoir lié des relations d’amitié au sein de leur groupe militant.
22Cette forte sociabilité relevée au sein des organisations constitue le liant au sein de ces groupes. L’homologie des profils sociaux au sein des groupes observés démontre que les idées politiques ne sont pas le seul moteur du rapprochement des individus, mais que l’amitié et le désir de formation de « petits nous » homogènes motivent en grande partie les formations militantes. Nous verrons plus loin comment ces facteurs entrent en compte lors du choix des groupes, mais aussi dans les motivations à rester engagés en leur sein. Comme le notent Frédéric Sawicki et Johanna Siméant, « ce qui permet souvent la réussite de mobilisations collectives, leur inscription dans la durée, est précisément l’existence d’expériences sociales partagées par des groupes d’individus aux propriétés analogues, sinon similaires22 ».
23Au sein de notre échantillon, ces relations amicales évoluent ensuite vers une propension à l’endogamie, plus de la moitié d’entre eux ayant pour (ex-) conjoint un membre de leur groupe politique ou d’une tendance proche. Enfin, trois des militants interrogés cohabitent avec d’autres militants de leur groupe (qui ne sont pas leurs conjoints) et tous voient des militants en dehors des réunions, dans le cadre de leurs loisirs. Cette nécessaire reconstruction d’un réseau de sociabilité lors de l’arrivée dans une nouvelle ville ou dans un nouvel environnement social, poussent certains militants à ne plus fréquenter que des individus partageant leurs idées politiques. Qu’il s’agisse d’un refus d’être confronté à des idées politiques différentes qui remettraient en cause leur engagement intense ou d’un besoin d’être entouré de personnes partageant leurs valeurs, certains des militants renoncent à entretenir les relations qu’ils ont construites avec leurs amis issus de leur socialisation primaire ou prennent de la distance par rapport à leurs parents.
24Dans d’autres cas cependant, ce sont les amis qui prennent leurs distances avec ces militants, en raison de leurs activités politiques. Ce phénomène semble être plus accentué pour les militants issus de groupes trotskistes ou « révolutionnaires » :
« Par contre, par rapport à ma famille, il y a eu peut-être plus de distance et des rapports qui sont moins faciles. Parce que c’est… je n’ai pas coupé les ponts, mais des fois c’est… Enfin je veux dire, on n’a pas les mêmes idées ! Ce ne sont pas les mêmes milieux, ce ne sont pas les mêmes têtes de turcs. Mes parents tapent sur les assistés, moi je tape sur les patrons. » Philippe (SPEB/ATTAC).
« Ce qui a changé dans ma vie quand je suis entré dans Linksruck, c’est surtout ma relation à mon cercle d’amis. C’est un aspect très pervers de Linksruck, parce qu’on est tout le temps sur la défensive […]. On veut en permanence défendre la position du groupe, aussi auprès de ses propres connaissances. Et avec le temps, on perd ces amis-là. Ça arrive assez vite […]. Deux semaines après être entré dans l’organisation, tu es déjà responsable d’un truc. Et puis, tu montes tout le temps en grade. Et plus tu as de responsabilités, plus tu dois défendre la position du groupe, alors même que tu n’as aucune connaissance. Je crois que j’ai réussi à ne pas perdre mon cercle d’amis, enfin, je crois (rire). J’ai fait beaucoup d’efforts en ce sens et on s’est beaucoup disputé. Ça a été très difficile. Ça a été une période très difficile et mes amis ont été très contents lorsqu’il y a eu cette scission dans Linksruck [et que j’ai quitté l’organisation] (rire) ! » Markus (ATTAC, ex-Linksruck).
25Les propos de Markus et Philippe montrent que l’entrée en militantisme d’un individu peut provoquer des turbulences dans son environnement social. L’étude menée auprès des participants au Forum social européen de Paris-Saint-Denis par l’équipe du GRAAL en 2003 atteste également du lien fort entre l’engagement de l’entourage des participants et leur identification au mouvement altermondialiste : 93 % des participants déclarant que leurs amis sont très engagés en politique se présentent comme très identifiés avec le mouvement altermondialiste, contre 66 % de ceux dont les amis ne sont pas du tout engagés23. Les résultats quantitatifs issus de notre enquête lors des journées d’été d’ATTAC à Arles et Marbourg vont dans le même sens : 94,5 % des militants français ont des amis « critiques par rapport aux effets de la mondialisation » (tous leurs amis pour 7,4 % d’entre eux, la plupart d’entre eux pour 47,3 % d’entre eux, quelques uns de leurs amis pour 39,8 % d’entre eux) et 91,9 % des militants allemands (respectivement 13 %, 36,6 % et 42,3 % des catégories sus-citées24).
26La question de l’entourage et de l’environnement est essentielle pour la compréhension des motivations à l’engagement. Comme l’ont montré d’autres auteurs, la pratique du militantisme ne se justifie en effet que si elle représente un profit symbolique pour ceux qui l’adoptent vis-à-vis de ceux qui s’abstiennent. En ceci, l’exercice d’une activité militante est inséparable de l’opinion de l’entourage du militant25. Ainsi, en se détachant de tout élément ou environnement hostile à leurs activités militantes, les militants réduisent le risque de voir leurs vies privée et professionnelle affecter leur dévouement pour le militantisme26. Comme nous l’avons observé plus haut avec la justification ou relativisation par les militants des idées politiques de leurs parents de droite, la dissonance ou discordance cognitive qu’entraînent d’une part le côtoiement de personnes issues de leur socialisation primaire et se situant politiquement à droite et d’autre part leur militantisme de gauche développé au cours de leur socialisation secondaire peut nécessiter des réajustements. L’incohérence entre ces deux cognitions amène à un déséquilibre cognitif chez l’individu27 et le pousse à modifier l’une des cognitions ou l’un des comportements pour tendre à nouveau vers une certaine stabilité. Sachant que l’importance de l’engagement investi par la personne détermine sa disposition à renoncer à une cognition ou à un comportement, il est compréhensible que les militants acceptent de renoncer aux relations amicales moins importantes.
27Dans le cas de l’environnement familial, les entretiens que nous avons menés nous ont montré que les désaccords politiques sont gérés en plusieurs étapes. Passée la phase d’affirmation et de confrontation avec le ou les parents hostiles à l’idéologie portée par le jeune militant, ce dernier cherche dans un deuxième temps à modérer le conflit, en évitant les sujets politiques, par exemple, ou en valorisant les positions communes au détriment des points de désaccord. Lorsque cette relation conflictuelle avec les parents ou avec les amis proches n’est pas aménageable, nous avons vu que la prise de distance entre les parties en conflit est nécessaire à la poursuite des activités politiques du militant.
Apports de connaissance et ascension sociale
28Au-delà de la sociabilité, le militantisme est aussi apprécié pour les connaissances qu’il apporte. Lors des journées d’été d’Arles et de Marbourg en 2002, 14 % des militants interrogés sur les éléments les ayant motivés à rejoindre ATTAC ont ainsi mentionné « le désir d’être tenu au courant de l’actualité ». L’envie d’être au fait de l’actualité ou de creuser certains champs thématiques ne concerne pas uniquement les individus n’ayant pas eu accès aux études supérieures. C’est le cas de Juliette (AARRG !!), par exemple, étudiante à l’École Normale Supérieure :
« Ce n’est pas un événement ou un thème particulier [qui m’a poussée à entrer en politique], c’est […] premièrement d’être dans un contexte où je puisse me cultiver davantage, avec des gens avec un niveau d’exigence qui me permettent de me cultiver moi-même, parce que j’avais un certain sentiment de mon ignorance. Et puis le désir, tout bête, de sortir d’une passivité qui me posait problème. » Juliette (AARRG ! !).
29L’entrée en militantisme sert aussi à certains d’entre eux d’outil pour s’affirmer, échapper à un environnement qu’ils trouvent oppressant – la fermeture des esprits dans son village pour l’un d’entre eux – ou pour affirmer leurs désaccords par rapport aux idées politiques de leur famille – pour trois d’entre eux. Cette boîte à outils permet ainsi aux militants dont les parents se situent à droite de déconstruire le discours familial :
« C’est un truc assez personnel, c’est que ma famille est super de droite, je pense, je suis sûre même (rire), vu que je vois ce qu’ils votent aux élections ! Et je pense que c’était aussi par réaction à la base : trouver les arguments pour les contrer et puis à la fin… ça faisait sens. Ça donnait un système. Et j’ai eu envie de le partager, de ne pas être dans mon coin à élaborer des théories. […] Il y avait des amis de mes parents qui travaillaient à la Banque mondiale aussi et qui passaient leur vie à faire l’apologie de ça, je trouvais ça hyper intéressant de déconstruire ce discours-là. Parce que je trouvais que c’était ça la racine explicative de plein de choses. Et donc quand ATTAC s’est créé, j’avais déjà une attente et du coup c’était super naturel que j’aille vers ATTAC. » Sophie (VAMOS/ATTAC/LCR).
30D’autres militants utilisent également leur militantisme comme outil, mais au sein de l’institution scolaire :
« Je me souviens que j’arrivais à reprendre mes profs sur des trucs et je trouvais ça très amusant parce que j’avais l’impression d’être vachement compétent ! Ça ne s’est pas avéré tout à fait vrai par la suite, mais sur le coup c’était ça. […] J’avais beaucoup de confiance dans les idées marxistes, sans pour autant les avoir complètement comprises. » Philippe (SPEB/ATTAC).
31La majorité de ces militants, engagés dans une démarche de contestation de leur environnement proche, ont choisi d’intégrer des organisations révolutionnaires et/ou anticapitalistes, comme pour mieux marquer leur opposition à l’environnement familial ou scolaire. Cette déconstruction est vécue pour certains comme une libération.
32Autre forme de libération, Michael, seul militant n’ayant pas suivi d’études supérieures prolongées, s’est servi de son militantisme comme d’un ascenseur social. Il se distingue également du gros de l’échantillon par l’origine sociale relativement modeste de ses parents (père employé ; mère femme au foyer avec une formation de coiffeuse). Si Pierre Bourdieu a montré le « poids déterminant du capital scolaire dans le système des facteurs explicatifs des variations du rapport à la politique28 », en faveur d’un investissement des citoyens les mieux dotés en capital scolaire, cette corrélation semble également pouvoir fonctionner dans le sens inverse, en permettant une élévation du capital social par le biais de la participation politique. Lors du premier entretien, ce militant d’une organisation trotskiste allemande (Linksruck/ATTAC) évoquait avec emphase ses motivations à la participation politique en des termes qui faisaient clairement référence à une volonté d’ascension sociale et de sortie de la condition sociale héritée de ses parents :
« Je viens d’un milieu familial assez pauvre […]. L’éducation n’y tenait pas une place importante. L’éducation politique non plus. Je ne pouvais pas non plus m’offrir de voyages, parce que je n’en avais pas les moyens, nous ne partions quasiment jamais en vacances… C’est-à-dire que mon champ de vision du reste du monde était extrêmement réduit et pas seulement en politique. […] [Mon engagement] a été à tous égards une libération. C’est comme si quelqu’un habitait dans une maison qui sent vraiment le renfermé et, tout à coup, quelqu’un ouvre la fenêtre et de l’air frais s’y engouffre […] et on peut enfin regarder dehors et voir qu’il existe encore un monde au-delà de ces quatre murs. Ça a été pour moi une libération. J’ai fréquenté des gens complètement différents. […] C’était comme des vacances. J’ai appris plein de choses du monde, ce que je n’avais pas pu faire, faute de voyages. […] Ça a été comme – c’est un terme à connotation religieuse… – comme une révélation… pour la première fois j’avais l’impression d’être important. […] On peut appeler ça la “liberté”. » Michael (Linksruck).
33L’engagement politique est vécu pour Michael comme un moyen d’acquérir un capital scolaire et social « par la bande », par un moyen détourné. Cette échappatoire par la politique s’est accompagnée d’un déménagement de la petite ville de ses parents vers trois grandes agglomérations (Munich, Hambourg, puis Berlin), où il a pu trouver des réponses concrètes à ses nouvelles aspirations politiques. Par la suite, Michael s’est également inscrit à l’université toujours dans cette envie d’apprendre et de « s’élever » socialement, mais aussi pour enrichir en retour son organisation29.
L’envie d’agir et de se sentir utile
34Enfin, les raisons de l’entrée en militantisme ne doivent pas se réduire à la compensation de frustrations ou de déceptions. L’intérêt pour les questions politiques semble aller de soi pour nombre de militants interrogés. Les réponses recueillies à la question « Un événement ou un thème particulier a-t-il motivé votre engagement politique ? » font allusion à l’évidence de l’engagement, comme par exemple : « Je ne me souviens pas n’avoir pas été engagé. J’ai toujours été engagé d’une manière ou d’une autre. Je trouvais juste plus ou moins de répondant à cet engagement selon les moments. » (Jens, INKaK.) Nous avons cité plus haut le cas de militants qui ont perçu leur entrée en militantisme comme un moyen de parfaire leurs connaissances et leur compréhension des rouages de la société. D’autres militants ont au contraire éprouvé des réticences à rejoindre une organisation politique, en raison de la technicité qu’ils associaient à sa pratique. Ceux-là sont issus de familles politiquement de droite, dans lesquelles la participation politique se résume souvent au vote. Les activités politiques protestataires sont dès lors perçues par ces militants comme étrangères aux attitudes et aux croyances de leurs familles. Ils ont franchi le pas de l’engagement suite à la rencontre de militants sur le chemin de leur socialisation secondaire. Si Albert Hirschman part du principe que la frustration suscitée par cette limitation de la participation à la vie publique entraîne le repli sur le privé30, il semble que cette limitation puisse au contraire motiver certains citoyens à vouloir en faire davantage et à repousser cette limite. C’est le cas de Sophie (VAMOS/ATTAC) dont la famille limitait la participation politique au vote et à des envois de matériel vers le tiers-monde :
« La première fois que j’ai fait un acte politique, je suis allée à une manifestation en 1989, pour l’éducation. Et c’était hyper important, parce que mes parents ne vont jamais à des manifs. Dans la famille, c’est vraiment quelque chose qui ne se fait pas, les gens qui vont dans la rue. Enfin, c’est exactement ce que Fillon avait dit l’an dernier sur le 21 avril : “Ce n’est pas dans la culture de droite de descendre dans la rue.” Ben exactement. Et moi je me sentais hyper décalée et pas à l’aise dans la rue. Et voilà, et à la fois c’était hyper chouette, parce qu’il y avait une ébullition, tout le monde réfléchissait, avait des idées… critiquait les réformes du gouvernement. Moi ça me paraissait surréaliste, parce que je me disais “Ben quand même ce sont des experts…” Ça m’a permis de démythifier ce que font les hommes politiques. D’accord, ce sont des professionnels, mais c’est une vision. Et puis, après, […] je suis arrivée à Paris et dans ma classe [de prépa], il y avait plein de gens qui étaient au MJS, aux JC. Il y avait des gens de LO en dehors d’Henri IV qui n’arrêtaient pas de tracter à la sortie. Et moi, j’étais circonspecte. Mais, du coup, j’ai discuté avec plein de gens qui étaient vraiment engagés politiquement, donc c’était une étape supplémentaire. Et puis quand je suis arrivée à l’École Normale en 1997, il y avait Sud qui venait de se créer. […] Et qu’est-ce qui s’est passé ? Ah oui, j’ai eu mon premier copain communiste. Maintenant ça s’enchaîne : ils sont tous communistes ! » Sophie (VAMOS/ATTAC).
35L’importance centrale de la sociabilité transparaît dans les propos de Sophie. Mais ce qui ressort également de cet extrait est la nécessaire prise de confiance en soi qui précède ou accompagne l’entrée en politique. La « confiance » que l’on doit acquérir, entretenir ou transmettre aux autres militants revient comme un credo dans les entretiens de l’ensemble des militants français – et plus particulièrement encore parmi ceux appartenant à des organisations trotskistes : « On est militant, donc ça veut dire qu’il faut donner confiance, “Toi t’es capable de faire les choses” » Camille (SPEB/ATTAC). Ce gain de confiance – et plus précisément de « confiance en soi » – est perçu comme un bénéfice. Les individus gagnent en confiance en s’engageant et prennent conscience de leurs compétences :
« Si le militantisme m’a apporté quelque chose, c’est que je peux dire maintenant : “Oui, je suis révolutionnaire !” Ce que je dis, c’est que c’est une grille de lecture sur le monde et puis, fondamentalement, ça m’a apporté la confiance. La confiance de se dire : “Ce n’est pas acceptable ce qui se passe et on peut le changer.” Confiance… Une prise de conscience politique et puis une confiance déjà dans ses propres capacités à pouvoir faire les choses. Oui, je pense que c’est une super tradition […] qui est générale dans la tendance [trotskiste]… de donner confiance aux camarades par rapport aux théories, le marxisme […] et plus généralement l’histoire… et d’organiser des choses, que ce soit le journal, l’organisation, etc. Et puis confiance dans les gens, dans la capacité des gens à changer le monde. Pour moi, la confiance, c’est pouvoir changer le monde. » Camille (SPEB/ATTAC).
36Cette confiance nécessaire à l’entrée en politique les accompagne ensuite tout le long de leur engagement. Elle leur fait parfois défaut à certains moments de leur parcours, comme le raconte Jérémie à propos de son deuxième passage au Parti socialiste qui a précédé son entrée en altermondialisation :
« Le militantisme s’est avéré plus difficile de 1997 à 2001 parce qu’on militait dans un milieu un peu hostile quand même : le Parti socialiste. On était beaucoup moins nombreux que lorsqu’on était avec Socialisme International… Donc c’était assez dur au niveau de la confiance. À ce moment-là, j’avais moins confiance qu’avant, dans mes idées : j’étais toujours confronté à des personnes qui étaient très costauds politiquement au PS. C’était dur de se confronter, parce que ce sont des gens qui sont assez convaincus du réformisme. En fait, on gagne en confiance quand on convainc les autres dans son combat politique ! Là, ce n’était pas évident. […] Après je me suis remis au militantisme au moment de Prague. Vraiment ça m’a vachement aidé à me structurer. On a remonté un peu notre mouvement. On a repris confiance en ce qu’on faisait. » Jérémie (Socialisme International/LCR/ATTAC).
37L’importance des événements politiques pour réalimenter l’engagement des militants, pour leur redonner confiance en leurs idées ressort de nombreux entretiens. Ces événements politiques ne jouent pas uniquement le rôle de pompes à énergie, ils servent aussi souvent d’élément déclencheur du premier engagement politique.
1989, 1995 et la gauche au pouvoir : des éléments constitutifs d’un effet de génération ?
38Le militantisme des jeunes que nous avons suivis a donc des racines profondes : leur intérêt pour la politique est ancien et évidemment antérieur à leur entrée en militantisme. Nous avons jusqu’ici évoqué des éléments contingents et endogènes à leur trajectoire qui ont pu provoquer cette entrée en militantisme : un désir de se démarquer d’un environnement oppressant, une volonté d’ascension sociale, un déménagement, une séparation, etc. D’autres événements, exogènes, ont joué un rôle catalyseur pour cette entrée en politique. Il s’agit donc maintenant d’identifier les liens qui existent entre le parcours militant de ces jeunes et les événements politiques des années 1980, 1990 et 2000.
L’expérience de la gauche et des partis verts au pouvoir
39Le contexte politique dans lesquels les jeunes Allemands et Français ont évolué est tout d’abord marqué par deux longs mandats : les années Helmut Kohl en Allemagne de 1982 à 1998 et, en France, l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981 jusqu’à l’élection de Jacques Chirac en 1995. Ces mandats sont évoqués par les jeunes essentiellement au travers de la vision qu’en ont eue leurs parents et à travers le prisme de leur regard d’enfant ou de jeune adolescent. Les configurations politiques des deux pays se trouvent politiquement opposées : d’un côté, seize années avec les chrétiens-démocrates (CDU) à la chancellerie en Allemagne et le cantonnement de la gauche allemande dans l’opposition, terrain propice au développement de réseaux contestataires ; de l’autre, l’arrivée prometteuse de la gauche au pouvoir en France, suivie de quatorze ans de désenchantement pour les militants en désir de rupture politique. Analysant les conséquences de l’arrivée de la gauche au pouvoir en France, Philippe Juhem a montré que la fréquence des déclarations d’appartenance à « la gauche » dans les sondages d’opinion décroît à partir de 1981, et avec elle « le rendement social des attitudes contestataires et de l’adoption des thématiques associées à “la gauche”31 ».
40Les années 1980, au cours desquelles les jeunes Français que nous avons étudiés grandissent et sont scolarisés, sont donc caractérisées par une montée de l’apolitisme, par une faible opposition entre « la gauche » et « la droite », mais aussi par la montée du militantisme moral et de l’engagement par solidarité (l’antiracisme, l’humanitaire, la défense des droits de l’homme). Cette décennie fait suite aux années 1970 qui, à l’inverse, ont été extrêmement politisées et pendant lesquelles, dans le prolongement des événements de Mai 68, la contestation, la radicalité et le militantisme se sont vus fortement valorisés socialement.
41Les années 1990, pendant lesquelles les jeunes de notre enquête s’engagent en politique, voient ces configurations bien ancrées se retourner. En France, Jacques Chirac (RPR) arrive à la présidence en 1995 ; en Allemagne, le chancelier Helmut Kohl (CDU) laisse sa place au chancelier Gerhard Schröder (SPD) en 1998. Les configurations politiques sont donc un temps inversées. Les mouvements contestataires qui avaient persisté pendant le mandat Mitterrandien – et plus particulièrement pendant les périodes de cohabitation de 1986-1988 (mouvement contre la réforme Devaquet en 1986) et de 1993-1995 (mouvement contre le CIP en 1994) – gagnent alors en puissance. L’année 1995 est marquée par l’important mouvement de grève contre le « Plan Juppé » et par le mouvement des « sans » qui a suivi (sans-papiers, sans-logis, sans-emploi). En avril 1997, la décision inattendue de Jacques Chirac de dissoudre l’Assemblée et de précipiter l’échéance du scrutin législatif pour constituer une « majorité ressourcée » et donner un nouvel élan à la France, aboutira au résultat non moins inattendu d’une franche victoire de la gauche plurielle (PS, PCF, Parti radical de gauche, Verts). Cette troisième cohabitation de la Ve République crée la simultanéité de configurations politiques similaires en France et en Allemagne.
42L’accession des sociaux-démocrates français et allemands au gouvernement à la fin des années 1990 marque la première participation des Verts et des Grünen au gouvernement (en 1997 pour les écologistes français, en 1998 pour les allemands). Cette arrivée au pouvoir a – comme en 1981 en France – suscité beaucoup d’espoir qui ont été suivis de déceptions parmi les militants « de gauche ». L’offre politique des partis de gauche est, dans ces périodes d’exercice régulier du pouvoir, moins radicale que pendant les périodes où ils se trouvent dans l’opposition – radicalité par ailleurs déjà mise à mal depuis 1981 concernant les socialistes français32 et depuis les années 1950 pour les sociaux-démocrates allemands33. Outre-Rhin, c’est donc davantage la déception générée par les Grünen qui a été marquante pour les jeunes que nous avons étudiés. La création des partis écologistes en Europe a en effet coïncidé avec une remise en cause des instances représentatives34. Leur progressive institutionnalisation qui a finalement mené à cette participation au pouvoir, signifie un moment de rupture dans leur évolution. Cette confrontation à l’institutionnalisation entraîne inévitablement des reconfigurations, voire des scissions, au sein de ces groupes et parmi leurs sympathisants.
43La désillusion qu’ont entraînée les gouvernements sociaux-démocrates de 1998 en Allemagne35 et des années 1980-1990 en France a marqué personnellement les jeunes que nous avons étudiés. Elle a été pour certains la justification de leur engagement et plus précisément d’un engagement hors du champ partisan. C’est le cas de Markus :
« J’étais déjà intéressé par la politique [avant la guerre du Kosovo], un fort intérêt surtout théorique, déjà en tant que collégien et lycéen. Je m’intéressais à la révolution russe, aux problématique Est-Ouest et Nord-Sud. Et j’ai observé avec beaucoup d’espoir comment le SPD et les Grünen ont été élus. Et puis, comme souvent en Allemagne, j’ai observé comment tous ont été déçus suite à ça. Et puis s’est ajouté à cela la guerre du Kosovo36 qui a signifié pour moi la perte de toute forme de confiance dans la politique, dans la politique gouvernementale. Alors, avec quelques amis, on a réfléchi, on a fait quelques actions à Cologne et on a tenu plein de tables politiques et on a fini par tomber sur Linksruck et ils nous ont évidemment accueillis à bras ouverts (rire) et intégrés dans leur organisation. [Est-ce que tu dirais que tu étais “engagé politiquement” avant la guerre du Kosovo ?] Non. » Markus (ATTAC et ex-Linksruck).
44Les espoirs déçus37 tiennent une place importante dans la définition que les militants donnent de leur « génération ». Ainsi, l’exercice du pouvoir de la gauche française occupe une place primordiale dans un petit ouvrage, Génération altermondialiste, rédigé par de jeunes altermondialistes français (dont certains étudiés ici) :
« En 1988, la campagne de Mitterrand aux présidentielles s’appuyait sur une série d’affiches représentant un bébé, avec marqué : “Génération Mitterrand”. Ce bébé-là, c’est nous ! […] Mais ce contraste entre cette politique et l’espoir, pour nos parents, suscité en 1981, est tel qu’il n’a pu qu’engendrer une grande désillusion par rapport à la politique institutionnelle. En 1997, nouvelles attentes déçues avec une gauche plurielle qui n’est même pas capable de régulariser les sans-papiers, sans parler de changer le système économique38. »
45Pourtant, loin de pousser les jeunes que nous avons étudiés à un repli sur le privé (conformément à la théorie du shifting involvement de Hirschman39), la déception entraînée par ce passage de la gauche sociale-démocrate au pouvoir a amené bon nombre d’entre eux à entrer en militantisme ou à intensifier leur engagement préexistant.
Les événements politiques comme éléments déclencheurs
46Mais bien avant l’expérience gouvernementale de 1997-1998 des sociaux-démocrates en France et en Allemagne, d’autres moments politiques ont eu leur importance dans la trajectoire des jeunes que nous avons étudiés. Lorsque l’on étudie l’entrée en politique des individus, on se penche généralement sur la question de l’offre politique, c’est-à-dire sur le « catalogue » des organisations à disposition pour les prétendants au militantisme. Cette offre politique est souvent précédée d’une « offre protestataire » qui est constituée des divers mouvements sociaux ou manifestations qui orientent souvent en premier lieu le choix des futurs militants.
47Les nombreux mouvements contre les réformes du système éducatif ou des conditions professionnelles des jeunes dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ont par exemple constitué des invitations à l’entrée en militantisme et en politique pour les jeunes de ces décennies, tout comme les mouvements antiracistes (Touche pas à mon pote et manifestations contre le Pen en France ; manifestations contre les marches néo-nazies, mobilisations contre l’agression des demandeurs d’asile en Allemagne) ou encore le mouvement antinucléaire Anti-Castor en Allemagne40. Les organisations nées ou nourries de ces mouvements ont ensuite élargi le champ des possibles politiques. C’est le cas du mouvement AntiFa en Allemagne, de SOS-Racisme, de Ras l’Front, du Manifeste contre le Front national en France, mais aussi des syndicats étudiants dans ce pays.
48Ces « thèmes concrets » (lutte contre le racisme, la liberté de circuler, les questions relatives au système éducatif, la défense de l’environnement, etc.) ont bien souvent constitué la première accroche au militantisme, et ce aussi bien chez les militants français que chez les allemands. Le secteur militant des associations pour la défense des droits de l’Homme, de l’environnement ou contre le racisme reste celui dans lequel les jeunes sont largement plus disposés à s’engager que l’ensemble de la population41, ce que Jacques Ion analyse comme une forme d’« idéalisme pragmatique42 ».
49Plus des deux tiers des militants que nous avons suivis considèrent que c’est un événement protestataire qui a scellé leur décision d’entrer en militantisme, confirmant l’hypothèse d’Anne Muxel sur la protestation comme moyen d’intégration politique43. Les événements qui ont produit un déclic chez ces jeunes et les ont poussés à s’organiser en politique s’étalent tout au long des années 1990 : les manifestations contre la Guerre du Golfe (1991), différentes mobilisations antiracistes en France et en Allemagne dans les années 1990, les mobilisations étudiantes contre le CIP (1994) et les grèves de l’hiver 1995 contre les réformes du gouvernement d’Alain Juppé en France, ou encore une manifestation contre Helmut Kohl (1998), les mobilisations contre l’intervention armée au Kosovo (1999) et le sommet pour le climat de Bonn (2001) en Allemagne. En plus de ces événements protestataires, la chute du mur de Berlin et l’absorption de la RDA par la RFA (1989-1990) est également évoquée. Cette longue énumération montre que l’entrée en politique ne dépend pas simplement d’un événement politique fort, mais que cet événement doit intervenir à un moment de la trajectoire biographique où l’individu est disponible pour cette intrusion du public dans son domaine privé, l’entrée en politique nécessitant l’intersection d’un chemin de vie et d’un contexte politique.
50À l’aide de notre échantillon quantitatif composé de militants français et allemands d’ATTAC, nous pouvons estimer l’importance qu’ont eue les différents événements historiques sur les trajectoires de militants d’ATTAC de plusieurs classes d’âge. Nous avons posé une question intitulée « Certains événements historiques ont-ils eu une influence sur votre engagement ? » La restriction au qualificatif « historique » était maladroite en ceci qu’elle pouvait être comprise comme excluant les événements « politiques » et « militants ». Un grand nombre de militants ont tout de même cité des événements du registre militant ou personnel44. La question était totalement ouverte, les militants n’ont en rien été influencés par des réponses préconçues et avaient la possibilité de donner plusieurs réponses.
51Les militants allemands ont d’abord estimé que les événements de leur vie personnelle ont le plus fortement influencé leur engagement militant (16,26 %), puis les mouvements anti-nucléaire et pacifistes (8,94 %)45, l’effondrement du bloc soviétique (8,13 %), le 11 septembre 2001 (7,32 %), les conflits armés en Yougoslavie en 1999 (4,07 %) et en Afghanistan en 2001 (3,25 %), le contresommet de Gênes en 2001 (6,5 %) et le contre-sommet de Seattle en 1999 (2,44 %). Les militants français ont quant à eux cités prioritairement Mai 68 (15,19 %), la guerre et l’indépendance de l’Algérie (10,03 %)46, les grèves de l’hiver 1995 (6,02 %), la guerre du Golfe en 1990-1991 (5,44 %), les événements de leur vie personnelle (4,58 %), l’élection de François Mitterrand (4,01 %), l’arrivée du Front national au 2e tour de l’élection présidentielle en 2002 (4,01 %), la guerre du Vietnam (2,29 %), le 11 septembre 2001 (2,01 %), le contresommet de Gênes (2 %) et l’effondrement du bloc soviétique (2 %)47. Parmi les événements altermondialistes ayant influencé leur vie militante, on notera que le contre-sommet de Gênes (qui a fortement marqué le lancement d’AT-TAC-Allemagne) est nettement plus cité dans ce pays. On relèvera trois autres événements altermondialistes : le contre-sommet de Seattle évoqué par 2,44 % des Allemands et 1,72 % des Français ; la création d’ATTAC respectivement par 1,63 % et 0,57 % d’entre eux ; la mobilisation contre l’AMI en 1997-1998 par 0,81 % et 0,57 % d’entre eux ; enfin, le démontage du McDonald’s de Millau (1999) et la rencontre protestataire organisée en marge de cette ville (2000) sont cités par 1,44 % des militants français. La vie politique et organisationnelle a également joué un rôle dans leurs trajectoires, puisque 6,3 % des militants français et 2,44 % des Allemands relèvent l’importance d’une élection ou encore la modification de leur cadre militant (respectivement 4,01 % et 3,25 %).
52Ces résultats issus de notre travail quantitatif nous éclairent sur différents points. D’une part, ils montrent la représentation différenciée des classes d’âge lors des journées d’été d’ATTAC en France et en Allemagne à l’été 200248. Les jeunes étaient bien plus nombreux à Marbourg qu’à Arles. La répartition des individus dans les catégories d’âge construites montre une plus forte participation de jeunes aux journées d’été d’ATTAC en Allemagne en 2002 qu’aux journées d’été françaises. 4,9 % des militants avaient moins de 19 ans et 39, 8 % étaient âgés de 20 à 29 ans en Allemagne, contre respectivement 1,5 % et 18 % en France. Par effet de miroir, la participation des personnes de plus de 60 ans étaient nettement plus importantes en France qu’en Allemagne : 23,8 % de 50 à 59 ans en France et 21,5 % de plus de 60 ans, contre respectivement 9,8 % et 7,3 % en Allemagne. La classe d’âge la plus représentée pendant les journées d’Arles étant les 50-59 ans, à Marbourg ce sont les moins de 29 ans.
Âge des militants d’ATTAC aux journées d’été d’Arles et de Marbourg

Diagramme 3 – Pourcentage de la représentation des classes d’âge des militants d’ATTAC aux journées d’été d’Arles et de Marbourg (2002).
53Conséquence de cette répartition inégale des âges à Arles et à Marbourg, les « événements marquants » plus récents sont plus fréquemment cités du côté allemand. Ceci montre l’importance des moments « premiers » ou fondateurs de l’engagement dans la trajectoire des militants. En effet, en calculant le pourcentage des membres d’une classe d’âge ayant cité tel ou tel événement comme ayant été marquant dans leur trajectoire militante, on voit que ce sont essentiellement les premiers événements qui sont cités. Alors que l’on aurait pu penser que les événements politiques intervenant tout au long de la carrière militante et influençant ainsi sa trajectoire, seraient cités par les militants plus anciens, il n’en est (presque) rien49.
54Autre observation concernant la répartition des réponses entre la France et l’Allemagne, les événements protestataires et directement liés à l’altermondialisation tiennent une place plus importante du côté allemand. Au regard des réponses des militants français, l’altermondialisation renvoie au contraire l’image d’un mouvement de recyclage d’autres mouvements, ce qui lui vaut d’ailleurs le nom de « mouvement de mouvements ». Les événements altermondialistes ne tiennent pas une place centrale dans les trajectoires des militants français. Les événements directement liés au contexte national dont bien plus souvent cités par les Français que par les Allemands, qui semblent davantage mobilisés par des événements internationaux. Cet intérêt plus marqué des Allemands pour les événements internationaux s’explique, là encore, par les origines du mouvement altermondialiste puisées dans les NMS, alors que celles du mouvement français sont davantage ancrées dans la politique nationale et plus « traditionnelle » (syndicats, partis). En ceci, nous retrouvons au niveau microsociologique les continuités militantes relevées par les études généalogiques menées à l’échelon méso-sociologique. Les Français citent ainsi l’élection de François Mitterrand, la mobilisation contre la réforme Devaquet, les événements et guerres liés aux colonies, le « démontage » du McDonald’s de Millau, etc. Ceci rappelle que les altermondialistes ont pour la plupart été militants avant l’émergence de l’altermondialisation. Ceci montre également que l’altermondialisation n’est pas née à la suite d’une rupture événementielle forte et qu’elle se situe bien au contraire dans la continuité d’autres mouvements sociaux.
55D’autres différences liées aux contextes historiques et politiques nationaux apparaissent, comme l’importance de la décolonisation pour les militants français, ce qui est lié à la présence de militants tiers-mondistes dans les rangs altermondialistes50. Les militants français accordent beaucoup de valeur à Mai 68 (événement mixte NMS/traditionnel), alors que les allemands semblent davantage marqués par les événements protestataires des années 1970 (NMS). La bipartition du monde, la politique états-unienne passée et actuelle, ainsi que la chute du bloc soviétique qui ont joué un rôle central dans la construction de l’Allemagne d’après-guerre ont également pesé fortement dans les trajectoires militantes allemandes51.
56Plusieurs événements de la politique internationale apparaissent également : leurs importances différenciées sont à comprendre au vu de la politique étrangère de la France et de l’Allemagne. C’est le cas notamment de la « guerre du Kosovo » qui tient une certaine importance pour les militants allemands. Cet événement est moins à comprendre pour sa portée internationale que pour l’électrochoc qu’il a produit dans le champ militant allemand. Nous l’avons vu, la politique étrangère de l’Allemagne portée par le ministre des Grünen et ancienne figure des années 1970 Joschka Fischer avait alors opté pour une intervention armée. Cette politique à contre-courant de la position antimilitariste et pacifiste du parti écologiste avait causé énormément de déception dans les rangs écologistes et parmi leurs électeurs. Nous avons relevé dans une étude précédente l’impact de cet événement dans les rangs du mouvement de jeunesse des Grünen qui s’était soldé par l’autodissolution de certains groupes locaux du mouvement et de la démission de quelques représentants52. Une partie des adhérents verts « adultes » avait également quitté le navire pour rejoindre le mouvement Basisgrünen53. On constate que cet événement a particulièrement marqué la classe d’âge la plus âgée des militants d’ATTAC-Allemagne, donc les militants qui ont été engagés dans les années 1970 et 1980, au plus fort des mouvements pacifistes dans ce pays. Les militants d’ATTAC-Allemagne dont on voit ici qu’ils ont été nombreux à militer dans les NMS – et dont on verra plus tard qu’ils sont en grande partie électeurs des Grünen – ont logiquement souffert de cette décision politique.
L’importance des grèves de l’hiver 1995 pour les militants français
57Au-delà de cette liste des moments initiateurs ou marquants pour les trajectoires militantes, une mobilisation, les grèves de l’hiver 1995, revient de manière récurrente dans les entretiens des militants français au niveau qualitatif et tient une place importante dans l’échantillon quantitatif (6,02 %) où elles sont suivies du mouvement des sans-papiers (1,72 %) en 1995-1996. Les deux événements recueillent 7,74 % des réponses des militants français. Les militants français qui ne se sont pas sentis concernés ou qui n’étaient pas disponibles pour cet événement étaient soit trop jeunes pour deux d’entre eux, soit absorbée par les concours du supérieur pour la troisième. Jérémie (ATTAC), qui était déjà militant à l’époque, raconte la centralité des grèves de l’hiver 1995 dans sa trajectoire :
« C’est ce mouvement qui m’a vachement donné de la confiance ! Pas seulement pour être militant et dans mes idées anticapitalistes, mais aussi pour me dire “C’est possible !” […] Enfin pour me dire “Ce n’est pas une perte de temps de s’organiser, d’y consacrer du temps, à sortir un journal, à le diffuser, à discuter avec des gens, à chercher à recruter aussi, à chercher à construire quelque chose dans la durée…” » Jérémie (ATTAC).
58Les mobilisations de l’hiver 1995 ont-elles entraîné un système de références commun aux individus, ont-elles influé sur leur vision du monde et leur grille d’interprétation des événements ? Peut-on parler de « génération 1995 » au sens de « groupe particulier partageant une relation à un même événement considéré comme fondateur54 ».
59La participation aux grèves de l’hiver 1995 a en effet pu avoir des incidences importantes sur des jeunes dont la trajectoire politique était en construction, et au contraire moins affecter d’autres carrières politiques plus avancées. Ce que nous mesurons ici (sur un petit échantillon qualitatif), c’est la confrontation d’individus qui sont à un stade de leur évolution personnelle et de leur socialisation politique relativement similaires et qui se trouvent confrontés à un même événement politique. Nous préférons alors parler d’effet de période plutôt que de génération pour l’hiver 1995, c’est-à-dire d’un « événement [qui] peut provoquer un effet brutal mais relativement ponctuel des attitudes et des comportements de l’ensemble de l’opinion55 ». Si les grèves de 1995 n’ont pas tellement bouleversé les partis traditionnels et moins encore le reste de la société, il n’en reste pas moins qu’elles ont eu des retombées sur le monde militant. Cet effet de période a ainsi affecté la façon de militer de plusieurs vagues de militants, dont une partie de celles qui se sont tournées vers l’altermondialisation56.
60Certes, Mai 68 et décembre 1995 ne sont en rien comparables du point de vue de leurs ampleurs symboliques et protestataires respectives, mais les deux événements ont ceci de commun que leur portée a été fédératrice de la gauche, qu’ils ont unifié symboliquement des formes de contestations sociales diverses. Le mouvement altermondialiste rassemble plusieurs « générations » de militants, dont des militants des années 1968, très politisés, et d’autres socialisés au cours des années 1980-1990 et marqués par le militantisme moral de l’humanitaire et de l’antiracisme. Le discours très idéologisé et politisé des premiers se voit confronté à celui beaucoup plus neutralisé et « apolitique » des deuxièmes57. L’étincelle qu’a été décembre 1995 dans le paysage militant français a bouleversé cette opposition et remis sur le tapis le déclin annoncé des idéologies, en donnant une cohérence à plusieurs générations militantes qui coexistaient pendant les grèves. Mais 1995 a également propulsé une autre « génération » militante qui est née dans cette dynamique de rassemblement. Une partie de la gauche militante, notamment la gauche écologiste et « alternative58 », s’est d’ailleurs réorganisée à la suite de ces grèves, à la faveur de fusions. En sus de cette dynamique de rassemblement, les grèves de l’hiver 1995 en France ont initié un mouvement de revalorisation de la gauche et le renouveau d’une confiance accordée aux forces de gauche, peu de temps après l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République.
Influence de la chute du bloc soviétique en Allemagne
61Nous n’avons pas pu trouver d’équivalent protestataire allemand à l’événement marquant qu’ont été les grèves de l’hiver 1995 dans les trajectoires des militants français, que ce soit au fil de nos entretiens, au vu des résultats quantitatifs ou au regard de l’histoire politique nationale des années 1990. Les jeunes militants de notre échantillon qualitatif semblent avoir davantage été marqués par des mouvements épars, et plus particulièrement les mouvements écologistes (anti-nucléaire, protection de l’environnement…) et antiracistes (mouvement AntiFa et mobilisations anti-néo-nazis). Si la chute du mur de Berlin, la fin du système soviétique, l’absorption de la RDA par la RFA n’ont quasiment pas joué de rôle dans les trajectoires des militants que nous avons suivis (à l’exception de deux d’entre eux), c’est fort probablement en raison de leur jeune âge59. La chute du mur de Berlin a cependant joué un rôle central dans la reconfiguration de la gauche allemande et dans la revalorisation de l’appartenance à la gauche. Une nouvelle offre politique est tout d’abord apparue dans l’Allemagne réunifiée, le Parti du Socialisme Démocratique (Partei des Demokratischen Sozialismus, PDS), né de la refondation du SED, ancien parti communiste de RDA.
62Après une période de transition pendant laquelle le parti a porté le nom de SED-PDS, le PDS a progressivement tenté, à partir de 1990, de se débarrasser de l’image pesante de ses origines de parti (quasi-) unique de RDA60. Du statut de parti-refuge pour anciens citoyens de RDA, le PDS a élargi son électorat au cours des années 1990 et évolué vers une force de gauche à part entière. En raison de sa (relative) nouveauté dans le champ partisan et de sa participation encore limitée aux instances de pouvoir, le PDS séduit une partie de la population déçue par la gauche gouvernementale et recueille également une part des votes protestataires. Son orientation oppositionnelle a amené le parti à participer activement au mouvement altermondialiste, ce qui a contribué à dépoussiérer son image. Cette posture contestataire a été prolongée par la participation à d’autres mouvements protestataires (notamment contre la réforme Hartz IV) et à un accord électoral sous le nom de Linkspartei. PDS, passé avec l’initiative Arbeit & soziale Gerechtigkeit – Die Wahlalternative (WASG)61. Ces deux forces politiques ont ensuite fusionné en juin 2007 pour donner naissance au parti Die Linke (traduit littéralement : « La gauche »). Ce nom parle pour l’image renouvelée de la gauche que ce parti souhaite donner et pour sa volonté affichée de séduire les déçus de la gauche sociale-démocrate et des Grünen.
63L’apparition en 2004 du WASG, devenu Linkspartei, puis Die Linke, sur la scène politique allemande a radicalement modifié le paysage politique de gauche qui est, depuis, moins binaire : pouvoir et contre-pouvoir sont désormais plus imbriqués. Cette nouvelle force politique reste toutefois assez éloignée de la forme de l’extrême gauche française, notamment parce qu’elle rassemble des personnalités qui ont connu l’exercice du pouvoir (Oskar Lafontaine, ancien président du SPD, par exemple) et parce qu’elle a fusionné avec le PDS, parti participant au pouvoir. La construction du parti Die Linke signifie davantage l’émergence d’une gauche refondatrice, que la constitution d’un pôle de radicalité sur le modèle de l’extrême gauche française. Elle rappelle en ceci l’émergence des Grünen sur la scène politique allemande à la fin des années 1970.
Notes de bas de page
1 Les militants de l’échantillon sont âgés de 15 à 24 ans.
2 Fischer A., Fritzsche Y., Fuchs-Heinritz W., Münchmeier R., 13. Shell-Jugendstudie, 2000.
3 Lors de ces enquêtes post-électorales, 43 % des 18-24 ans disent s’intéresser beaucoup ou assez à la politique en 1997 (47 % en 1978, 40 % en 1988, 49 % en 1995) et 48 % de leurs aînés en 1997 également (46 % en 1978, 42 % en 1988 et 50 % 1995). Muxel A., L’expérience politique des jeunes, Presses de Sciences Po, Paris, 2001, p. 107.
4 Percheron A., La socialisation politique, op. cit., p. 37-38.
5 Sawicki F., Siméant J., « La sociologie de l’engagement militant, un champ de recherches à décloisonner », colloque « Comment penser les continuités et discontinuités du militantisme ? », juin 2006, p. 8. Snow D. A., Zurcher L. A., Ekland-Olson S., « Social networks and social movements: a microstructural approach to differential recruitment », American Sociological Review, volume 45, no 5, 1980.
6 Andrews M., Lifetimes of commitment: ageing, politics, psychology, Cambridge University Press, Cambridge, 1991.
7 Ion J., La fin des militants ?, L’Atelier, Paris, 1997, p. 47.
8 L’étude EUYOUPART de 2003-2005 a relevé le rôle déterminant de l’école pour la participation politique des jeunes, sans pour autant minorer celui de la famille ou du cercle de sociabilité.
9 Sawicki F., Siméant J., op. cit., p. 8.
10 Muxel A., L’expérience politique des jeunes, op. cit., p. 40.
11 L’enquête EUYOUPART confirme cet écart entre un intérêt fort pour la politique et une confiance ébranlée pour les gouvernements et les hommes politiques chez les jeunes en Allemagne. Wächter F., « WP8/D15, Political Participation of Young People in Europe », EUYOUPART, Munich, 2005, p. 30.
12 Muxel A., op. cit., p. 107-108.
13 Muxel A., op. cit., p. 77 et 107.
14 Ion, op. cit., p. 45
15 Rucht D., Teune S., Yang M., op. cit.Sommier I., « Sur la généalogie de l’altermondialisme en France », inSommier I., Fillieule O., Agrikoliansky É. (dir.), La généalogie des mouvements altermondialistes en Europe, op. cit.
16 Percheron, La socialisation politique, op. cit., p. 192.
17 Ce qui correspond à peu près à la classification par âge qu’Annick Percheron avait fait des attitudes politiques et qui situait l’âge de la permissivité et de l’ouverture à 21 ans, soit à la sortie du foyer familial. Percheron, La socialisation politique, op. cit.
18 Gaxie D., « Économie des partis et rétributions du militantisme », op. cit.
19 La question posée « Votre engagement dans ATTAC a-t-il eu lieu en même temps qu’un de ces événements ? » était fermée pour 5 occurrences (déménagement, divorce/séparation, deuil, départ en retraite, chômage) à laquelle 21,4 % des militants ont répondu par la positive. La question était suivie d’une question ouverte « Votre engagement dans ATTAC a-t-il eu lieu en même temps qu’un autre événement ? ». Nous avons obtenu 39 réponses différentes à cette question ouverte, certaines liées à des événements de la vie personnelle des militants, d’autres liées à la restructuration du champ militant, d’autres enfin liés à la vie politique.
20 L’action d’AARRG ! ! a visé la venue de Vittorio Sgarbi, sous-secrétaire d’État italien aux Biens culturels du gouvernement de Silvio Berlusconi, au salon du Livre à Paris, en mars 2002. Lors de ce salon, les militants d’AARRG ! ! ont notamment distribué un tract intitulé « E pericoloso Berlusconi », en portant des masques représentant le visage de Berlusconi et des tee-shirts portant les inscriptions « Je serai le Président Directeur Général de l’Italie » ou « Notre civilisation est supérieure à l’Islam » (citations attribuées à Silvio Berlusconi) avant d’envahir le pavillon italien en hurlant « Vergogna, Vergogna ».
21 Ion J., op. cit., p. 53.
22 Sawicki F., Siméant J., « La sociologie de l’engagement militant », op. cit., p. 11.
23 Coulouarn T., Jossin A., « Représentations et présentations de soi des militants altermondialistes », op. cit., p. 135.
24 Ne se prononcent pas : 2 % des militants français, 3,3 % des militants allemands.
25 Juhem P., « SOS-Racisme, histoire d’une mobilisation “apolitique”. Contribution à une analyse des transformations des représentations politiques après 1981 », thèse de doctorat en Science politique, université de Nanterre, 1998, p. 647.
26 McAdam D., Freedom Summer, Oxford University Press, New York, 1988, p. 44-53.
27 Festinger L., A theory of cognitive dissonance, Stanford University Press, Stanford, 1957.
28 Bourdieu P., « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », Actes de la recherche en sciences sociales, no 36/37, février-mars 1981, p. 6.
29 Élise Cruzel a mis en évidence des phénomènes similaires d’interaction entre militantisme, reconnaissance sociale et formation supérieure dans son étude de carrières militantes au sein d’ATTAC (Cruzel É., « “Passer à l’ATTAC” : éléments pour l’analyse d’un engagement altermondialiste », Politix, no 68, 2004, p. 145-155). D’autres études ont insisté sur ce mécanisme (Rimbert P., « “De l’autre côté de la barrière”. La reconversion “patronale” de syndicalistes ouvriers dans les années quatre-vingt-dix », in Tissot S., Gaubert C., Lechien M.-H. (dir.), Les reconversions militantes, PULIM, Limoges, 2006. Willemez L., « Défendre les salariés : la constitution d’une expertise juridique dans les organistaions syndicales », in Tissot S., Gaubert C., Lechien M.-H. (dir.), Les reconversions militantes, PULIM, Limoges, 2006), notamment celles portant sur la reconversion militante qui ont montré que ces ressources à caractère compensatoire, accumulées pendant les années de militantisme, peuvent être réinvesties dans de nouvelles activités en cas de défection ou de réorientation (Tissot S., « Les reconversions militantes », inTissot S., Gaubert C., Lechien M.-H. (dir.), Les reconversions militantes, PULIM, Limoges, 2006, p. 12).
30 Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, op. cit.
31 Juhem P., « SOS-Racisme, histoire d’une mobilisation “apolitique” », op. cit., p. 569-570.
32 Ibid.
33 Rovan J., Histoire de la social-démocratie allemande, Le Seuil, Paris, 1978.
34 Faucher F., Les habits verts de la politique, Presses de Sciences po, Paris, 1999, p. 12.
35 On peut lire un des signes de cette déception dans la courbe des effectifs militants des sociaux-démocrates allemands. Entre 1998 (date de l’élection de Gerhard Schröder à la chancellerie) et 2007, le nombre d’adhérents du SPD a chuté d’environ 230 000 adhérents. Plusieurs concessions ont été faite depuis à l’aile gauche du parti dans l’espoir de reconquérir la base des sociaux-démocrates (Le Monde, 25 octobre 2007). Le SPD reste toutefois le plus grand parti en Allemagne avec 545 223 adhérents en 2007.
36 La politique étrangère de l’Allemagne portée par le ministre des Grünen Joschka Fischer avait alors opté pour une intervention armée au Kosovo. Ce qui avait causé énormément de déception dans les rangs écologistes et parmi leurs électeurs antimilitaristes et pacifistes.
37 Muxel A., L’expérience politique des jeunes, op. cit., p. 25-26
38 Par des intergalactiques, Génération altermondialiste. Expériences et pratiques, Syllepse, Paris, 2003, p. 14.
39 Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, op. cit.
40 Kolb F., « Der Castor-Konflikt: Das Comeback der Anti-AKW-Bewegung », Neue Soziale Bewegungen, 10e année, no 3, 1997.
41 Voir notamment les résultats de l’étude OIP (Observatoire interrégional du politique) de 1989 : 62 % des 15-17 ans, 48 % des 18-24 ans, contre 41 % de l’ensemble de la population disent pouvoir envisager un engagement dans ce secteur militant (Percheron A., « Au miroir grossissant de la jeunesse », Autrement, no 122, mai 1991).
42 Ion J., op. cit.
43 Muxel A., « Les choix politiques des jeunes à l’épreuve du temps, Une enquête longitudinale », Revue française de science politique, volume 51, no 3, juin 2001.
44 La question n’était pas très éloignée dans le questionnaire de celle concernant la concomitance de leur entrée dans ATTAC et d’événements d’ordre personnel (déménagement, divorce, deuil, départ en retraite, période de chômage).
45 Crise des missiles Pershing en 1983 (3,25 %), accident de Tchenobyl en 1986 (3,25 %) et mobilisations anti-nucléaires (2,44 %),
46 Guerre d’Algérie (8,88 %), indépendance de l’Algérie (0,57 %), répression à Charonne en octobre 1961 (0,29 %) et « événements » algériens post-1989 (0,29 %). Parmi les autres événements internationaux qui ont été cités par les militants allemands et français, on peut évoquer : la guerre du Vietnam (respectivement 1,63 % et 2,29 %), le coup d’État au Chili (1,63 % et 1,15 %), le conflit israélo-palestinien (0,81 % et 1,43 %) et l’intervention armée en Yougoslavie en 1999 (4,07 % et 1,72 %). L’invasion de la Hongrie a été citée par 1,43 % des militants français.
47 Réponses les plus citées par les militants lors des journées d’été d’ATTAC à Marbourg (123 militants) et à Arles (349 militants).
48 Voir à ce sujet le diagramme 1. La moyenne d’âge des participants à ces journées d’été en Allemagne est de 33 ans (Source : ATTAC, « Evaluationsbericht der ATTAC-Sommer-Akademie », novembre 2002). La surreprésentation des jeunes en Allemagne s’explique d’une part par la jeunesse d’une partie des animateurs de l’organisation et par la plus grande place qui y est laissée aux jeunes, d’autre part par le programme de ces journées d’été qui prévoyait quelques actions dans Marbourg. Enfin, Nous reviendrons sur cette composition différente d’ATTAC en France et en Allemagne dans la dernière partie de notre thèse. Autre signe de l’ouverture de l’organisaation allemande, parmi 373 participants interrogés par ATTAC sur place, seuls 190 sont adhérents de l’organisation. Parmi ces adhérents, 36 % le sont depuis moins de trois mois, 19 % depuis moins de six mois (ceci étant en partie dû à la jeunesse de l’organisation allemande en 2002).
49 À l’exception de la chute du bloc soviétique et qui traverse les différentes classes d’âge. Le conflit armé en Yougoslavie touche plus fortement les classes d’âge les plus âgées. Ceci parce que son impact a surtout été fort auprès des anciens militants allemands des années 1970, engagés dans les partis de gauche et chez les Grünen, un public par conséquent plus âgé.
50 Agrikoliansky É., « Du tiers-mondisme à l’altermondialisme : genèse(s) d’une nouvelle cause », inAgrikoliansky É., Fillieule O., Mayer N. (dir.), L’altermondialisme en France. La longue histoire d’une nouvelle cause, Flammarion, Paris, 2005.
51 Il aurait été intéressant ici de distinguer les réponses des Allemands socialisés en RDA, de ceux issus de la RFA. Cependant, lors des journées d’été de Marbourg en 2002, peu d’Allemands socialisés en RDA étaient présents. Parmi les participants interrogés, seuls 6,5 % vivaient en RDA à l’âge de 15 ans, contre 65 % dans la RFA d’avant l’unification, 22,8 % dans l’Allemagne unifiée d’après 1990 et 5,7 % à l’étranger. Cette faible présence d’anciens Allemands de l’Est s’explique en partie par le lieu de la rencontre (dans un « ancien » Land de l’« ex-RFA ») et par les difficultés rencontrées par ATTAC à ses débuts pour sensibiliser les anciens citoyens de RDA.
52 Jossin A., « Chiche ! et la Grüne Jugend - Mode d’engagement similaire, rapport au politique différent – Étude comparée des mouvements de jeunesse des partis verts français et allemands », mémoire de DEA en Science politique, université de Rennes 1, 2000, p. 170-171.
53 Mouvement politique regroupant des adhérents déçus des Grünen, ainsi que des militants encore adhérents au parti et des militants « écologistes alternatifs ».
54 Percheron A., La socialisation politique, op. cit., p. 156.
55 Ibid., p. 174.
56 Sommier I., « Sur la généalogie de l’altermondialisme en France », inSommier I., Fillieule O., Agrikoliansky É. (dir.), La généalogie des mouvements altermondialistes en Europe, op. cit., p. 87-114.
57 Juhem P., « SOS-Racisme, histoire d’une mobilisation “apolitique” », op. cit.
58 C’est le cas Chiche !, fusion des mouvements de jeunesse des Verts, de l’AREV (Alternative Rouge et Verte), de la CAP (Convention pour une Alternative Progressiste) et de CES (Convergence Écologie Solidarité, scission de Génération Écologie) en 1996 (Jossin A., « Chiche ! et la Grüne Jugend », op. cit.) ; c’est aussi le cas des Alternatifs, organisation née en 1998 de la fusion d’une partie de l’AREV et de la CAP.
59 Concernant l’échantillon quantitatif rassemblant des militants de tout âge, nous avons vu plus haut que la chute du bloc soviétique avait été citée comme événement marquant par 8,13 % des militants d’ATTAC à Marbourg en 2002.
60 Andersen U., Wichard W. (dir.), Handwörterbuch des politischen Systems der Bundesrepublik Deutschland. 5., Leske+ Budrich, Opladen, 2003. Edelbloude J., « Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme Démocratique (PDS) face à l’extrême droite », thèse de doctorat en Science politique, Institut d’études politiques de Paris, 2006.
61 Alternative électorale pour le travail et la justice sociale. Ce parti politique a regroupé à partir de 2005 des militants déçus du SPD (parti social-démocrate), des altermondialistes et des syndicalistes.
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