Annexe 1 : l’enquête

1Sont présentées ici les grandes lignes et étapes de la réalisation de l’enquête. Des éléments méthodologiques fournissant des informations plus précises ainsi qu’une discussion approfondie sur les choix méthodologiques effectués et leur impact sur la recherche est disponible sur demande, à l’adresse suivante : Guillaume Garcia, Centre de Données Socio-Politiques, 27 rue Saint-Guillaume, 75337, Paris cedex 07, <guillaume.garcia@free.fr>

2Concernant d’abord la partie quantitative, par laquelle j’ai commencé mon enquête1, les corpus de sujet de JT qui sont décrits dans l’ouvrage ont été constitués à partir des fonds d’archive de l’Inathèque2. Le « sujet » constitue ici l’unité d’information élémentaire du journal télévisé. Les « sujets » peuvent prendre plusieurs formes : un « plateau » (interview d’un invité dans le plateau du studio), un reportage (souvent introduit par un lancement effectué par le présentateur), une brève (avec ou sans images), un duplex (il s’agit d’un plateau de situation à l’extérieur du studio du journal télévisé), une animation infographique à base de tableaux, graphiques et commentaires (ce qu’on appelle dans le jargon journalistique un « encadré »), une interview filmée (ou « sonore » dans le jargon journalistique), ou encore un éditorial (généralement effectué, par un journaliste de la rédaction sur le plateau).

3Pour constituer ces corpus j’ai tout d’abord sélectionné des mots-clefs propres à l’univers lexical du logement, de l’immigration et de l’emploi. L’application de cet index de mots-clefs m’a permis de recenser respectivement 2 678, 5 943 et 11 108 documents traitant potentiellement du logement, de l’immigration et de l’emploi sur toute la période 1990-2002. J’ai ensuite défini une liste de critères dont au moins un devait être présent pour justifier de la conservation de chaque document. J’ai procédé en tenant compte des critères fournis par la littérature disponible sur chaque thème, en usant d’un certain « sens commun », en mettant enfin à profit les observations préliminaires effectuées sur chaque corpus. Cette opération d’expurgation a été réalisée sur la base de la consultation des seules notices écrites3. Sur cette base, j’ai conservé respectivement 865, 1 820 et 3 120 documents pour constituer les corpus « logement », « immigration » et « emploi ».

4J’ai ensuite procédé à une partie du classement et de catégorisation thématique des sujets, dont les résultats sont détaillés dans le chapitre 1, à partir d’abord du logiciel Corpus (disponible à l’Inathèque), puis en travaillant avec Excel et SPSS. Les notices de JT conservées à l’INA étant souvent (très) succinctes, et puisque je devais manipuler de grandes masses de documents, je ne pouvais pas me permettre de réaliser une transcription exhaustive des sujets. J’ai donc réduit l’analyse de contenu à un corpus plus étroit, recentré sur la période 1994-1998, analyse dont les résultats sont exposés dans le chapitre 4. En ce qui concerne la technique d’exploitation de ce corpus j’ai choisi une solution qui me paraissait à l’époque plus « économique », et qui a consisté en l’application d’un questionnaire à chaque sujet retenu. Le questionnaire (disponible sur demande), autrement dit la grille d’analyse à laquelle j’ai soumis les sujets, a été construit de manière pragmatique, en associant les acquis de la littérature scientifique sur les thématiques développées avec des tests empiriques destinés à évaluer la pertinence des hypothèses sur lesquelles je m’étais initialement fondé. Une première série de sujets « témoins » m’a permis de stabiliser la configuration des variables et des modalités du questionnaire. Le reste des sujets a été codé, dans un second temps, selon cette nouvelle grille stabilisée4. Le codage a été concrètement opéré par visionnage direct dans les locaux de l’Inathèque, chaque sujet étant visionnée autant de fois que nécessaire pour remplir le questionnaire papier (soit deux à trois visionnages en moyenne par sujet). Les questionnaires papiers remplis ont ensuite été saisis informatiquement à l’aide du logiciel Ethnos, que j’avais préalablement paramétré de manière à créer un masque de saisie adapté. J’ai réalisé une première série de traitements statistiques de base, à partir directement du logiciel Ethnos, puis j’ai exporté les données brutes sous Excel. J’ai conservé les variables les plus significatives, celles qui sont présentées dans le graphique 22 (chapitre 4), afin de construire l’ACM. À la suite d’une série de tests destinés à optimiser le regroupement des modalités de chaque variable, j’ai d’abord utilisé le logiciel Trideux. Par la suite j’ai retravaillé mes corpus en procédant à d’autres opérations de recodage et de regroupement de modalités, mais aussi de pondération de variables. J’ai alors utilisé le logiciel SPAD pour produire les ACM dont les résultats sont présentés dans le chapitre 4 et les conditions d’élaboration exposées dans l’annexe 5.

5Il faut également dire quelques mots de la partie qualitative de l’enquête, qui a été engagée dans un second temps5. Le choix des journalistes interrogés s’est fait sur la base de leur contribution à la couverture des thèmes étudiés6. Pour ce faire j’ai préalablement recensé tous les journalistes ayant réalisé les reportages diffusés entre 1994 et 1998 (cette indication apparaît normalement sur chaque notice documentaire du fonds de l’Inathèque), ce qui a fait apparaître une grande dispersion des signatures. C’est le cas notamment du logement et de l’immigration, et un peu moins de l’emploi7. Je n’ai mené des entretiens qu’avec les seuls journalistes ayant produit un nombre minimum de sujets sur chaque thème, de façon à ce qu’ils aient une expérience et une mémoire suffisantes des faits considérés8 – ce qui explique du coup le nombre réduit d’entretiens que j’ai pu réaliser in fine. Le choix des militants et animateurs de collectifs de sans était pour sa part principalement induit par la perspective même de l’enquête : les individus concernés devaient occuper ou avoir occupé des positions de « représentants ». Cette propriété me garantissait qu’ils témoigneraient d’une plus grande maîtrise ou d’une meilleure connaissance de l’élaboration du discours public tenu par leur collectif ou bien encore des problèmes suscités par l’interaction avec les journalistes, comparativement aux simples militants ou adhérents. Sont également entrés en ligne de compte des motifs très pratiques, liés par exemple à la difficulté d’entrer en contact aussi bien avec des militants de collectifs basés en province qu’avec des sans-logis, des chômeurs ou des sans-papiers qui, ayant retrouvé un logement ou un emploi, ou bien ayant été régularisés ou à l’inverse ayant été amenés à quitter le territoire, ont depuis cessé leur activité militante.

6Au total j’ai réalisé une quinzaine d’entretiens formels avec des journalistes. La plupart ont été enregistrés, pour d’autres j’ai dû me contenter de prises de notes. Je n’ai exploité en profondeur que 11 d’entre eux. Les 4 autres, parce qu’ils ont été effectués avec des journalistes relevant du modèle « institutionnel » ou qui n’avaient eu qu’indirectement affaire aux mobilisations de sans, se sont avérés moins intéressants. Ils ne permettaient que d’illustrer des tendances très générales – et déjà connues – sur le métier de reporter de télévision, ce qui explique que je n’en aie pas fait une présentation individualisée. En revanche, les 11 autres profils se sont avérés beaucoup plus intéressants eu égard à ma question de recherche, et ont fait l’objet d’une présentation individualisée plus ou moins précise, notamment dans le chapitre 6. Cinq d’entre eux travaillaient ou avaient travaillé à TF1 : Annie, Baptiste, Mireille, Robert et Vincent. Les six autres travaillaient ou avaient travaillé à France 2 : Bernard, Catherine, Claire, Dominique, Étienne, et Sandrine. Le guide d’entretien portait sur les six thématiques suivantes : les propriétés socio-professionnelles des journalistes (âge, études, formation au métier, position au sein de la rédaction, spécialisations, carrière) ; leurs niveaux de connaissance des sujets traités (logement, immigration ou emploi) ; l’organisation des rédactions, notamment du rubriquage ; le rapport aux sources ; les modalités routinières de traitement de ces enjeux, les cadres de perception de la situation ; la perception des mobilisations sociales et des répertoires d’action collective au regard de leur conception de l’action politique « légitime ».

7J’ai réalisé par ailleurs une douzaine d’entretiens avec des militants ou animateurs de collectifs de sans-logis (avec un militant responsable des relations presses de DAL, une responsable de DAL, un responsable du CdSL, un responsable de Dd ! ! et une militante responsable des relations presses de Dd ! !), de sans-papiers (avec un militant intellectuel de la coordination des sans-papiers de Lille, des responsables de la coordination nationale des sans-papiers9 et un membre de la coordination des cinéastes contre la loi Debré), et de chômeurs (une ancienne animatrice de AC, un responsable du MNCP, un responsable des comités de chômeurs CGT, un responsable de l’APEIS). J’ai également mené trois autres entretiens avec des chargés de la communication d’associations gestionnaires : l’ADIE, la CIMADE et Emmaüs. Le guide d’entretien portait sur les thématiques suivantes : l’ancienneté et le type d’engagement dans l’association ; les fonctions exercées au sein de la structure ; l’organisation des fonctions de représentation et de communication publique, en particulier vis-à-vis des médias ; les ressources de l’organisation, les rapports au système politico-administratif, le rapport aux autres organisations du champ d’intervention ; les types de stratégies d’action et de communication ; le rapport aux médias grand public/aux médias « alternatifs » ; le jeu sur les cadres d’interprétation de la situation.

8Tous les entretiens ont été menés selon la technique de l’entretien semi-directif, mais les sujets abordés par les témoins ont souvent débordé du cadre fixé au départ. Ils sont d’une durée variable, entre 1 h et plus de 3 h. Les conditions de recueil de la parole de ces témoins sont diversifiées. Les entretiens ont été menés aussi bien dans le cadre du travail (au sein des bureaux de TF1 ou de France 2 ou dans les locaux des associations) qu’en dehors (au domicile des enquêtés ou dans des lieux neutres, essentiellement des cafés ou des restaurants). Le caractère parfois très rétrospectif des entretiens doit être souligné : certains faits pour lesquels les témoins ont été interrogés avaient pu se dérouler plus d’une dizaine d’années auparavant.

9Seuls les entretiens les plus riches ont été entièrement retranscrits, et en partie codés de manière thématique. Ce codage a été effectué à la main, sans utilisation de CAQDAS par exemple. Les entretiens ont également fait l’objet d’une analyse interprétative classique. Ils ont été exploités de manière anonyme dans l’ouvrage, à la fois parce que certains n’ont accepté de témoigner qu’à cette condition mais aussi par souci de protéger les autres journalistes et militants encore en activité.

10C’est par le biais d’observations ethnographiques au sein de la rédaction de France 210 que j’ai pu accéder aux aspects plus concrets de l’activité des journalistes de télévision : la sélection des sujets du jour et de leur angle en conférence de rédaction, la préparation des reportages au sein de chaque service, le tournage sur le terrain, la finalisation du produit en salles de montage et de mixage, leur vérification et leur diffusion en salle de contrôle et en régie. Ces observations ont été effectuées durant une période de deux semaines consécutives, à l’occasion d’un stage en juillet 2004, principalement au sein du service économie et social, et secondairement au sein des services informations générales et société. Ce stage a été réalisé dans des conditions particulières, qui doivent être soulignées. Les conditions d’affectation initiale par le bureau des stages de France 2 ont conduit le responsable à annoncer ma présence comme relevant d’un « stage ». Cela a eu pour effet de produire une ambiguïté à propos du statut exact sous lequel j’effectuais ces observations, d’autant plus que je débarquais en même temps que tous les étudiants en école de journalisme – qui effectuent généralement leur stage professionnel l’été. Cette situation présentait un avantage évident, puisque je pouvais plus facilement me fondre dans la masse des étudiants qui circulaient dans les différents espaces de travail de la rédaction (open spaces des services, conférence de rédaction, salles de montage, etc.). Revers de la médaille : si les chefs de service ou de rubrique connaissaient ma situation de doctorant, un certain nombre de reporters, notamment parmi les plus jeunes, ont pu me prendre pour un des « leurs » ; la révélation des véritables raisons de ma présence avait alors souvent pour effet de créer un certain malaise – ce qui est peu surprenant au demeurant. J’ai de fait choisi de rester dans le flou lorsque cela était possible, l’avantage à endosser une position dominée (à travers le statut de « stagiaire d’observation ») consistant à faire en sorte que les journalistes titulaires ne me prêtent qu’une attention mineure. J’ai également profité des opportunités offertes par la période des congés d’été : je pouvais en effet occuper successivement les bureaux des journalistes absents, ce qui me permettait de multiplier les sites d’observation dans les salles de travail sans être visiblement surnuméraire. Je dois également rajouter que j’ai effectué ces observations dans un climat relativement peu propice. La rédaction de France 2 était en effet agitée par une série de remaniements et de troubles assez importants durant cette période, à la suite des soubresauts de l’affaire « Mazerolle-Pujadas » et de l’affaire « Schonberg »11. Il régnait dès lors un climat de suspicion généralisé : interdiction d’accéder au plateau et d’assister aux conférences critiques pour les non titulaires, obligation de porter un badge pour les stagiaires qui désiraient assister aux conférences de rédaction. Cette situation m’a causé un certain nombre de « mésaventures » et a globalement réduit la « rentabilité » de cet exercice en termes de recueil d’information sur la rédaction. Du fait de la brièveté de cette période d’observation et du contexte dans lequel elle s’est déroulée, je n’ai pas eu le temps de réellement m’intégrer au sein d’un service ni a fortiori au sein de la rédaction. Je n’ai donc pu exploiter qu’a minima mes notes de terrain. Ces dernières m’ont surtout servi à vérifier des tendances générales déjà mises en évidence par ailleurs, notamment dans le travail ethnographique de Jacques Siracusa (Siracusa, 2001), et à théoriser de manière générale le processus de production des nouvelles. Ceci explique que je n’aie pas livré de restitution plus précise de ces observations dans l’ouvrage.