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Conclusion. Les médias dépolitisent-ils vraiment les mouvements sociaux ?

p. 207-225


Texte intégral

1Un certain nombre d’enseignements peuvent être retirés de l’ensemble des considérations précédentes, qui permettent d’esquisser quelques hypothèses relatives à une éventuelle dépolitisation médiatique des mouvements sociaux. Mais avant d’exposer quelques pistes, il faut d’abord préciser l’usage qui est fait de la notion de politisation. Appliquée au présent objet d’étude, la politisation qualifie la montée en politique de causes sociales, selon une double acception. Elle désigne d’abord une mise en tension du champ politique, entendu au sens institutionnel du terme, avec d’autres champs sociaux. La politisation désigne corrélativement la modification des référentiels1 à travers lesquels vont être construits à la fois le problème et ses solutions. Il s’agit ici de faire tenir ensemble ces deux acceptions, en montrant comment elles peuvent aider à faire sens des tendances relevées dans cette enquête. Armé de cette grille de lecture, on est davantage en mesure de décaler le regard par rapport à ce qui est dit généralement dans la littérature à ce sujet.

2La comparaison entre les cas d’étude que fournissent les mouvements de sans indique que ce processus de politisation est ambigu. Selon le regard qu’on adopte, la médiatisation contribue à la fois à politiser et à dépolitiser ces causes. La médiatisation peut encourager une forme de publicisation, au double sens d’une publicité et d’une mobilisation des pouvoirs publics ; dans le même temps les acteurs protestataires sont souvent dépossédés de leurs propres causes au cours du processus de médiatisation. Les formes de traitement font la part belle à une conception républicaine d’un État qui conserve, au moins symboliquement, son statut de gestionnaire des problèmes sociaux et de garant de l’intégration nationale. Entre tropisme de la culture politique française et vision du monde caractéristique de cette profession, l’attachement des journalistes à une conception valorisée de l’État social semble prégnant. Les « médias » ne constituent bien sûr pas un univers uniforme. Malgré leur homogénéisation et leur neutralisation tendancielles, on observe des divergences entre les lignes éditoriales que suivent les deux chaînes étudiées. Ces tendances renvoient peut-être à des cultures professionnelles relativement spécifiques. Parce qu’elles s’approprient différemment – à la marge du moins – ces enjeux, les rédactions disposent d’une certaine autonomie ; cette autonomie semble traduire la spécificité de la position qu’elles occupent dans le champ médiatique et qui manifeste une certaine vision du monde, différemment politisée. En conclusion est proposée une mise en perspective des aspects inachevés de ce travail.

Une dépolitisation ambiguë

Comment définir la politisation ?

3L’étude de la politisation a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années2. On ne saurait résumer en quelques lignes toutes les approches, au demeurant assez différentes, de ce phénomène. Très basiquement, la politisation d’un problème sera ici assimilée au processus de « passage au politique », c’est-à-dire à sa prise en charge par des acteurs suffisamment influents pour le constituer en objet de débat sur la scène politique institutionnelle. Le problème doit alors être transformé en enjeu structuré par les clivages entre les grandes formations politiques3. Cette définition appelle un certain nombre de précisions.

4Elle oblige d’abord à se situer par rapport à la définition même du politique. Une des définitions les plus répandues dans la science politique contemporaine caractérise le politique comme une instance sociale spécialisée chargée d’une fonction de régulation sociale ; cette fonction naît de la tension entre les conflits et l’intégration dans une société, et s’exerce par un appel à des principes d’arbitrage extérieurs aux parties en présence et tirés des valeurs centrales de la société considérée4. En ce sens, politiser une situation, c’est faire admettre que le règlement du problème revient à l’autorité publique quelle qu’elle soit, ce qui renvoie prioritairement à la reconnaissance de la responsabilité du traitement5 avec, en arrière plan, la question de la responsabilité causale – autrement « dit qui est coupable ? » Autrement dit, la question de la politisation est consubstantielle des débats à propos de la répartition des risques et problèmes devant être prise en charge par la « collectivité » ou les « pouvoirs publics » et ceux relevant de la « sphère privée » ou de la « société civile ». À ce premier élément de définition se rajoute une dimension de polarisation : des « projets mutuellement exclusifs », portés par des groupes antagonistes, se sont solidifiés et prétendent régler tout ou partie de la situation problématique6. Au-delà se niche la dimension davantage symbolique du phénomène politique. Deux grandes orientations, au demeurant non exclusives, peuvent être distinguées. La tradition « idéaliste » valorise une conception de la politique comme un combat pour de « grandes causes », c’est-à-dire la recherche de biens collectifs (ou de « l’intérêt général »), recherche traversée par un mobile éthique : le progrès social, le dépassement des conflits d’intérêt, l’émancipation des travailleurs, etc. Le tout au nom de valeurs comme la solidarité, le patriotisme, la justice, la raison, etc., elles-mêmes adossés à des projets globaux de société – autrement dit des idéologies (Hermet et al., 1998). La tradition « critique » met en avant une conception de la politique comme une activité consistant à construire une intelligibilité d’une situation, dans deux sens complémentaires : la prise de conscience d’un problème – i. e. d’une souffrance préalablement non perçue – qui concerne certains groupes sociaux et pas d’autres7 ; la dénonciation d’une injustice et au-delà d’une domination8. Selon cette acception la politisation peut être définie avant comme l’acquisition d’une lucidité par rapport à une situation donnée et l’expression d’une critique sociale. En ce sens un discours politisé peut prendre la forme d’une déconstruction des idéologies qui tendent à naturaliser la situation ; autrement dit politiser équivaut donc à dénaturaliser la situation et à adopter une vision a priori conflictuelle des rapports sociaux.

5On voit bien que définir la politisation en allant au-delà d’une conception essentiellement interactionniste des procédés d’étiquetage politique constitue un exercice délicat. Cette conception interactionniste est largement influencée, dans la période récente, par les écrits de Jacques Lagroye, lequel résume la politisation à « une requalification des activités sociales les plus diverses, requalification qui résulte d’un accord pratique entre des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser ou a remettre en cause la différenciation des espaces d’activités » (Lagroye, 2003, p. 360-3619). On risque ce faisant de tomber dans le piège de l’objectivisme semble néanmoins nécessaire de disposer de quelques repères plus objectifs, sous peine de ne pouvoir dépasser ni les requalifications objectives du fait des acteurs socialement définis comme politiques, ni même les requalifications subjectives du fait des acteurs sociaux qui labellisent eux-mêmes leurs pratiques comme étant politiques10. Il faut bien sûr tenir compte de la relativité des critères de définition du politique, son repérage s’opérant toujours dans un univers culturel spécifique et à un moment historique particulier. On dira quelques mots à ce sujet un peu plus loin.

6Pour le moment on peut revenir, à un premier niveau, sur la dimension politique du processus de reconfiguration de l’arène publique. La publicisation constitue le préalable de la politisation. Dans cette perspective, politiser une cause c’est d’abord impliquer des acteurs issus du champ politique institutionnel et partisan en faisant admettre que le règlement du problème revient, au moins en partie, aux pouvoirs publics, en particulier à l’État. S’il est aussi important que les prétendants, les outsiders, accèdent au statut de joueur sérieux et légitimes à intervenir dans la controverse, la dynamique du débat fait que les protestataires initiaux peuvent parfois se retrouver en grande partie dépossédés de leur propre cause. Celle-ci se trouve alors prise en charge par les représentants politiques et sa médiatisation se recentre sur les joutes au sein du champ politique. C’est ce qu’on observe dans un certain nombre de cas de figure, notamment lors de l’affaire autour de la loi Debré, ou au moment de la mobilisation des sans-logis de la rue du Dragon. Se font ressentir ici les effets du scepticisme que nourrissent beaucoup de journalistes vis-à-vis du positionnement apolitique affiché par de tels groupes protestataires. Deux reproches majeurs sont en jeu : ne pas assumer un positionnement politique qui apparaît pourtant évident aux yeux – entre autres – des journalistes, et ne pas se montrer à la hauteur sur ce plan. Cette critique exprime plus largement la non croyance en l’autonomie de l’espace syndical ou de l’espace de la contestation sociale par rapport au champ politique partisan. En somme, c’est bien parce que de tels collectifs subvertissent les étiquettes politiques, et par la même occasion une typification qui constitue un point de repère rassurant pour les journalistes, qu’ils posent problème à ces derniers. Ceux-ci attachent en effet une importance considérable aux procédés traditionnels de la démocratie représentative, soit la délégation formalisée par l’élection11. Ils sont secondés, dans ce rôle de gate-keeper, par les acteurs concurrents du champ partisan et syndical, eux-mêmes menacés par cette subversion et qui veillent par leurs interventions tactiques à défendre l’intégrité de cette frontière. Ces derniers sont eux-mêmes appuyés, dans cette entreprise de préservation, par les gouvernants, lesquels peuvent remettre les hiérarchies en ordre par la faveur accordée à la représentativité formelle notamment.

7Les collectifs de sans, comme beaucoup d’autres groupes protestataires sans doute, se retrouvent donc confrontés à un problème auquel doivent communément faire face les acteurs non politiques qui prétendent faire de la politique (Arnaud & Guionnet, 2005, p. 18). Seule la capacité – éphémère – des collectifs mobilisés à perturber ce jeu politique en créant du désordre dans l’espace public est de nature à favoriser leur prise au sérieux. Le succès dont a pu bénéficier la controverse autour de l’appel à la « délation » qu’impliquait, selon ses contempteurs, la loi Debré résume bien, par contraste, la façon dont sont intimement liées la légitimité des groupes porteurs de cause et celle de leurs revendications. Plusieurs pétitions soutenant les sans-papiers ou appelant à la refonte des lois sur l’immigration ont été lancées, sans grand succès médiatique12, avant celle des cinéastes. Or, celle-ci prend (presque) tout de suite. Le fait que la protestation soit portée par des artistes ou des intellectuels, faisant en cela écho à un certain nombre de mythes médiatiques (les événements de mai 1968, les pétitions contre la guerre d’Algérie ou en faveur de l’avortement, etc.), rend apparemment cette mobilisation plus concernante pour les journalistes. Cela est en particulier le cas des générations les plus anciennes, celles qui occupent à cette période les postes de direction et qui ont connu lesdites époques en tant que journalistes de terrain. Profitant des relais qu’il trouve dans le milieu des intellectuels médiatiques, voire des médias eux-mêmes, ce réseau présente en outre l’originalité d’être constitué non de soutiens classiques des sans-papiers (GISTI, LDH, etc.) mais d’artistes avant-gardistes. Ces derniers constituent semble-t-il de meilleurs atouts pour la défense de la cause auprès des journalistes13.

8On voit donc bien qu’à ce premier niveau d’analyse l’impact de la médiatisation sur le processus de politisation est ambigu. Si on envisage maintenant la politisation au prisme des « idées » qui orientent le référentiel du débat public sur ces enjeux, on doit se situer par rapport à des « visions du monde » concurrentes censées inspirer la gestion des problèmes publics. Or, le périmètre du « bien commun » censé être poursuivi par les pouvoirs public est relatif, tout comme les rapports variables, d’acceptation ou de remise en question, à l’ordre social établi. En résumé le problème est le suivant : quel référent se donne-t-on pour évaluer le degré de politisation des « idées » ? Pour tenter d’apporter quelques éléments de réponse à cette question particulièrement épineuse pour la science politique14, la focale sera réduite à l’enjeu fondamental que soulèvent les causes des sans : il s’agit, en termes sociologiques, du lien social, ou en termes politiques de la « question sociale ».

Politisation et « question sociale »

9Pour ce faire, il faut passer par une étape préalable, en revenant au répertoire des manières de penser les questions de logement, d’emploi et d’immigration, tels qu’elles ont été décrites dans le chapitre 4. Ce répertoire est structuré autour d’une coupure entre deux conceptions opposées du lien social15 : une conception « libérale » du lien social et une vision davantage volontariste de la construction et de la défense du lien social.

10La conception « libérale » du lien social, chronologiquement première, est traversée par une tension entre des formes de gestion des souffrances sociales oscillant entre options caritatives ou humanitaires d’un côté, et options répressives de l’autre. Originellement, le modèle libéral renvoie en effet à une « topique du sentiment » partagée entre un traitement assistantiel et un traitement pénal de la misère16, hésitation consubstantielle à la « politique de la pitié » (Boltanski, 199317). Historiquement constituée depuis le XVIIe siècle au moins, cette dernière ressortit de deux volontés : une préoccupation de charité imposée par la compassion ou la morale religieuse, et une préoccupation de maintien de l’ordre social (et économique) visant à réprimer les trouble susceptibles d’être causés par les plus pauvres18.

11Une conception davantage volontariste du lien social, apparue plus tardivement, est pour sa part tiraillée entre : une option d’inspiration marxiste, mettant l’accent sur les phénomènes de domination et d’exploitation entre classes sociales ; un solidarisme républicain, mettant l’accent sur les logiques d’intégration ou d’exclusion sociales ; et une position, défendue notamment par les collectifs de sans, tendant à reconnecter les questions de « pauvreté » et de « citoyenneté » autour de la défense des droits sociaux (Mouchard, 2009). Ce modèle, concrètement mis en place en France à partir de la Révolution de 1789, a été à l’origine inspiré par les théories du contrat social, et il s’est matérialisé d’abord par la promotion des droits sociaux19. Plus tard, quand la « question sociale » a émergé dans le courant du XIXe siècle, le solidarisme républicain et le marxisme20 ont prétendu répondre à cet enjeu, chacun à leur manière. Longtemps influent, le marxisme est aujourd’hui largement dévalué, comme chacun le sait21. Il a été supplanté à partir notamment des années 1980 par des analyses en termes « d’intégration sociale » qui plongent, de près ou de loin, leurs racines dans l’idéologie solidariste républicaine (Audier, 2010). Cette pensée n’a pu être remise au goût du jour qu’à partir du moment où, aussi bien dans l’espace des sciences sociales que dans le champ politique, la « cohésion du corps social » s’est vue conférer le statut d’objectif politique central ; en d’autres termes quand une conceptualité du social de type organiciste est revenue en force à travers le paradigme de l’exclusion, autour duquel est construite la « nouvelle question sociale » (Procacci, 1996 ; Paugam, 1996 ; Thomas, 1997 ; Lafarge, 2001 ; Mouchard, 2001). Cette inflexion supposée du référentiel global de l’action publique22 a été théorisée par certains comme un tournant néolibéral, voire sécuritaire, de l’État contemporain ; L’État est désormais défini comme « un État modeste dans ses ambitions économiques [et sociales], mais intransigeant dans l’exercice de ses fonctions régaliennes23 ». Ce tournant se serait traduit d’abord par une révision – à la baisse – des objectifs consistant à réduire les inégalités sociales et économiques par l’intervention de l’État. Dès lors les pouvoirs publics se détourneraient des politiques interventionnistes généralisées pour traiter par l’assistance uniquement les populations les plus précaires, celles qui sont déjà exclues ou en voie de l’être. Ce tournant néolibéral se serait doublé, en parallèle, d’un tournant sécuritaire. Ce dernier traduirait une des ambiguïtés du projet libéral, qui est de restaurer un État fort recouvrant la plénitude de ses fonctions régaliennes, et donc capable à ce titre de prévenir ou de réprimer les effets négatifs de la dérégulation sociale via le contrôle des comportements sociaux déviants24. Plus centrés sur l’esprit de 1793 ou de 1946, les collectifs de sans subvertissent la notion d’exclusion en en faisant prioritairement le symptôme d’une atteinte aux droits économiques et sociaux25. Dans cette perspective, la réaffirmation de la condition de citoyen au sens large est pour les sans « au principe d’une recomposition statutaire de type socio-politique » fondée sur les droits économiques et sociaux, et notamment le droit à l’assistance (Thomas, 1997, p. 5). Ainsi, la problématique du secours se transforme en problématique du droit en étant fortement associée à celle de la citoyenneté.

12Ces quelques points de repère permettent de clarifier le raisonnement. Si on assimile la politisation à son versant critique, autrement dit si on privilégie le point de vue des acteurs – en l’occurrence les collectifs de sans – le traitement médiatique est largement dépolitisé26. Il semble toutefois qu’il faille nuancer ce jugement en raison de l’importance du cadre « solidariste ». Ce dernier revêt a priori une dimension moins critique27, mais on retrouve une certaine charge politique dans la manière dont il est appliqué aux causes étudiées : la dénonciation d’injustices, l’idéal d’une grande cause, la mobilisation des pouvoirs publics, bref une amorce de politisation. Dans le même temps il reste largement organisé autour de problématisations techniques, notamment dans le cas du mal-logement et du chômage. Les échanges sur des questions techniques et fragmentées remettent peu en cause les limites de l’espace des choix possibles28, laissent entière par exemple la question des causes des problèmes ou interrogent peu les oppositions entre groupes sociaux. Le traitement médiatique de cette « nouvelle question sociale » apparaît au final beaucoup moins politisé que « l’original ». Mais dans le même temps il renferme une conception assez élevée des missions de l’État. La préservation par les journalistes de la figure d’un État social fort, en ce qu’elle manifeste la résistance d’une conception républicaine d’un État à qui il revient toujours de (re)faire le « social » et de répondre aux demandes de certains groupes protestataires, doit être spécifiquement interrogée.

Une culture journalistique de l’État

13Les journalistes, à l’instar d’autres acteurs, continuent à promouvoir l’image d’un État puissant, ce qui traduit une conception relativement ambitieuse des missions du politique. Ils font preuve, ce faisant, d’un attachement encore marqué à la figure de l’État social républicain. Ce constat doit cependant être pondéré : tous les médias ne « pensent » pas pareil l’organisation du monde social, même dans le cas de médias censément neutralisés et très largement homogénéisés comme peuvent l’être les grandes chaînes de télévision. Les lignes éditoriales privilégiées par chacune des deux rédactions étudiées, globalement très proches, présentent toutefois certaines particularités. Ce trait est à rapporter à la persistance de cultures professionnelles partiellement différentes, elles-mêmes liées à des positions distinctes occupées dans le champ médiatique.

L’attachement des journalistes à la figure de l’État social

14L’attachement marqué des journalistes à la figure de l’État social tient à plusieurs facteurs convergents. Elle tient d’abord à l’importance historique de l’État dans la société et au-delà la culture politique françaises29. En France, l’État central continue d’occuper un poids important dans l’action publique, du moins dans les domaines considérés et aux périodes étudiées, comparativement aux instances publiques infra ou supranationales. Du côté des sans eux-mêmes, les positions sociales occupées par un certain nombre de leurs soutiens, au premier rang desquels des militants œuvrant au sein de groupes comme SUD, la FSU, le Groupe des Dix, etc., ne sont pas sans incidence sur l’importance de ce registre d’imputation de responsabilité. L’inscription de ces militants dans des univers professionnels de service public favorise en effet un rapport à l’État comme « réalité à double face30 ». Elle suscite notamment la mise à disposition des collectifs de sans de ressources cognitives et normatives favorisant des cadres d’interprétation faiblement marxisés31. De leur côté, les journalistes sont tenus par les attendus du mode démocratique de légitimation de leur profession, qui leur intime de mettre en valeur les institutions de la démocratie représentative – et donc l’État (Mercier, 1994, p. 98-9932). Ils sont dès lors incités à reprendre à leur compte les appels à l’État formulés par de tels groupes protestataires, voire à questionner de leur propre chef – même si ce cas de figure est plus rare – la responsabilité des gouvernants. Les journalistes se voulant les héritiers de l’idéal démocratique au service du bien public, l’État est ainsi perçu et traité comme tel, c’est-à-dire comme le représentant et le protecteur du bien commun, s’appropriant à cet effet le monopole légitime de la défense de l’intérêt général (Mercier, 1996, p. 99-100). On observe ici une sorte de « réflexe » des journalistes consistant à se tourner vers les autorités publiques face à l’émergence d’un problème social (Neveu, 2004, p. 57), du moins à la période où a été menée l’enquête et à propos spécifiquement des cas d’étude examinés33. On peut, au-delà, faire l’hypothèse que la focalisation des journalistes sur les aspects du problème vis-à-vis desquels l’action publique est la plus directement visible entretient, d’une certaine manière, la prétention du politique à régir le social, et donc la croyance en la « puissance » du politique (Le Bart, 1998, p. 82 et suiv.34).

15Le cadrage « réaliste » des solutions aux problèmes, qui a été exposé dans les chapitres 4 & 5, vient toutefois marquer les limites de ce que le politique peut faire, tel que cela est perçu par les journalistes. Joue ici sans doute, à un niveau très global, une forme d’amoindrissement de l’illusio politique des journalistes. Ce trait, qui a pu être identifié par ailleurs, désigne une perte générale de croyance en la capacité de la politique à « changer le monde35 ». À ce titre, le traitement journalistique des débats ouverts par les causes des sans matérialise, tout en l’entretenant, cette conception du politique pensée avant tout comme la sélection – qui vaut exclusion d’autres solutions plus ambitieuses – de mesures raisonnables par une discussion pacifiée, compte tenu d’indiscutables contraintes techniques et économiques et plus largement de résistances anticipées des opinions publiques. La ligne éditoriale que peuvent sans trop de difficultés suivre les journalistes dépend en effet, en priorité, des termes du clivage prévalent au sein du champ politique36. Or la faiblesse des clivages partisans majeurs dans les domaines étudiés, ou du moins leur faible saillance, rend risquée toute tentative de s’écarter du spectre des solutions convenues. Mais des ouvertures sont possibles : en période de « crise » ou d’élection, autrement dit de forte politisation des enjeux, les logiques de distinction, activées par les contraintes de la compétition politique, jouent à plein ; il est alors possible pour les journalistes d’embrayer sur des définitions de la situation sensiblement plus politisées.

16On ne peut toutefois comprendre ces mécanismes que si on prend en compte les valeurs sociales qui guident les journalistes dans leur activité. Le fait que les journalistes obéissent dans leurs choix de couverture à certaines valeurs dominantes ou conventionnelles – ou tout du moins qu’ils perçoivent comme telles – constitue une hypothèse bien établie de la sociologie des médias37. Ce fait est généralement expliqué par le poids des attentes des « publics », lesquelles attentes incitent à endosser certaines valeurs sociales plutôt que d’autres. Dans les cas étudiés, les demandes adossées aux valeurs les plus contre-culturelles sont les plus facilement écartées, comme l’extension du RMI aux moins de 25 ans ou encore l’augmentation généralisée des minima sociaux, sans parler du revenu citoyen garanti, ni même de la liberté de circulation pour les étrangers38. Les conditions de résonance publique des demandes exprimées par ces groupes, à commencer par leurs conditions de crédibilité et de recevabilité médiatiques, apparaissent bel et bien largement indexées à leur degré de conventionnalité : seuls les aspects consensuels des causes portées par les collectifs de sans reçoivent une audience significative. On observe notamment que les luttes, demandes ou revendications « défensives » – celles qui sont les plus dépolitisées39 – paraissent avoir plus de chances d’être couvertes, et de l’être favorablement, que les luttes « offensives » (Mouchard, 2009). On rejoint dès lors l’hypothèse selon laquelle les causes considérées comme consensuelles, c’est-à-dire n’ayant qu’un « bon » côté40, sont réputées mieux reçues. Encore faut-il que l’enjeu soit perçu comme axiologiquement unidimensionnel, ce qui suppose en amont un travail proprement politique de légitimation, à travers des opérations de « blanchiment41 » ou de « lissage », auquel s’attellent certains des acteurs en présence – à commencer par les groupes protestataires, du moins leurs représentants.

17On soulève ici une question qu’on doit pourtant laisser en suspend : celle des valeurs partagés en propre par les journalistes, question à laquelle il est difficile de répondre tant on sait encore peu de choses en ce domaine42. Pour contourner en partie cette difficulté, la comparaison entre les deux chaînes étudiées permet de proposer quelques hypothèses exploratoires à cet égard. Or, l’analyse typologique des entretiens n’a pas permis, en raison du nombre trop limité d’individus interrogés, de déterminer avec certitude si des clivages profonds en termes de conception et d’interprétation de rôle séparaient les rédactions de TF1 et de France 2 – si ce n’est des tendances très générales déjà éprouvées dans la littérature. À titre d’exemple, les journalistes de TF1 apparaissent fortement incités à ce que leurs sujets soient « utiles » à leur public – si possible dans la vie quotidienne – tandis que les journalistes de France 2 paraissent encore davantage attachés – pour partie du moins – à l’idée que leurs sujets puissent « éclairer » leur public, l’aider à mieux comprendre le monde qui les entoure. Une autre solution consiste à comparer les tendances de la couverture par chaîne, en espérant retrouver des traces de postures distinctives. On observe alors un certain nombre de divergences, à la marge, entre TF1 et France 2. Ces différences permettent de proposer l’hypothèse suivante : la persistance d’éléments de cultures professionnelles propres aux chaînes publiques et privées va de pair avec des conceptions différemment politisées du monde social.

Posture du privé versus posture du public

18Lorsqu’on compare terme à terme les propriétés de la couverture des questions de logement, d’immigration et d’emploi sur TF1 et sur France 2, le premier constat est celui d’une grande similitude, qu’il s’agisse de degré de visibilité conférée à ces enjeux, de leur mise en problème, des topiques à travers lesquelles ils sont appréhendés, ou encore des modes de cadrage dont ils font plus précisément l’objet. Ce constat n’a rien d’étonnant compte tenu de la concurrence acharnée que se livrent les deux chaînes, lesquelles visent grosso modo le même (grand) public dans leur programmation. Cette concurrence aboutit à un effet de standardisation relative des produits qu’elles proposent à leurs téléspectateurs43. Un ensemble d’éléments concourent, à leur mesure, à homogénéiser le traitement de tels enjeux : une organisation très similaire du travail, l’imitation du travail des confrères des grandes rédactions nationales44, les efforts déployés en ce sens par les supérieurs hiérarchiques les plus éloignés du terrain (Lemieux, 2000, p. 411-412), la similitude du réseau des sources officielles, et plus généralement la convergence des types de formation au métier ou des propriétés socio-culturelles des nouveaux entrants, etc.45.

19Ce mimétisme, variable, a plus ou moins de chances d’être activé selon les propriétés du contexte. Comme cela a été souligné dans le chapitre 7, « l’autonomie » journalistique maximale, qui se traduit par une forte différenciation des lignes éditoriales, se produit le plus souvent en régime de routine, c’est-à-dire en dehors des périodes d’intense actualité politique ou sociale. La dimension davantage collective, centralisée et finalement surveillée de la production de l’information durant les périodes de « crise » explique en grande partie les alignements du traitement constatés à ces occasions46. Néanmoins, même durant ces phases particulières des divergences de point de vue sont bel et bien perceptibles. Les deux chaînes étudiées s’approprient en effet de manière singulière ces causes, du moins à la marge, ce qui traduit la persistance d’éléments de cultures professionnelles spécifiques.

20Ainsi, si on considère toute la période étudiée (1990-2002), l’approche du mal-logement et du chômage s’opère sur TF1 sous un prisme aux accents « social-assistantiels47 » plus marqués. Ce trait se donne à voir à travers notamment le poids de la topique de la réinsertion ou de l’assistance, ou encore la saillance des sujets mettant en évidence les conditions de vie difficiles des sans-abri. TF1 offre par ailleurs une vision de l’immigration illégale qui passe davantage que sur France 2 par une perspective répressive (l’accent étant davantage placé sur les filières d’immigration irrégulière, le travail clandestin ou les expulsions) mais aussi, dans le même temps, par une approche humanitaire (mettant l’accent par exemple sur les malheurs des réfugiés et des demandeurs d’asile). Sur France 2, les journalistes accordent globalement, par contraste, davantage d’espace aux débats publics et aux mobilisations, quel que soit le domaine considéré. Lorsqu’on considère plus finement le traitement des grandes mobilisations, entre 1994 et 1998, les résultats des analyses factorielles indiquent une forte proximité entre les deux chaînes, tous corpus confondus48. Les sujets du JT de TF1 et de France 2 se distinguent malgré tout sous un certain nombre d’aspects49. Le traitement privilégié par TF1 est ainsi moins « parisianiste » et plus « provincial » que ne l’est celui de France 250. Corrélativement, en ce qui concerne le choix des sources, témoins et illustrations, TF1 semble animée par une perspective plus proche du terrain, tandis que France 2 privilégie une logique plus légitimiste sur un plan institutionnel ou politique. Au-delà, la chaîne publique mentionne ou commente plus souvent des sondages, produit davantage d’éditos, ce qui semble dénoter une « prise au sérieux » plus assumée de ces causes, en tout cas une propension plus affirmée à monter en généralité. Des différences apparaissent également du point de vue des configurations d’acteurs. TF1 se caractérise par sa tendance à se focaliser sur les témoins directs, les victimes de l’exclusion sociale (notamment du mal-logement et du chômage). Les sans sont davantage dépeints comme isolés, décrits pour eux-mêmes, en dehors de toute interaction avec les autres protagonistes de l’arène publique. Sur France 2 les militants ou responsables d’associations, et plus généralement les animateurs des groupes mobilisés sont davantage visibles, et leur discours acquiert plus d’importance. De même, la dimension politique du discours public des sans passe plus souvent sur France 2 par leurs représentants (notamment dans le cas du mouvement des chômeurs). Les journalistes de la chaîne publique mettent en valeur un éventail plus large de groupes syndicaux ou politiques (notamment dans le cas de l’immigration). Ils s’intéressent plus fortement que ne le font leurs homologues de TF1 aux conflits entre les collectifs de sans et les pouvoirs publics (ou les acteurs économiques). Sur TF1 sont beaucoup plus souvent mises en valeur des institutions à caractère strictement « social » (surtout dans le cas du logement). Les institutions répressives sont également privilégiées par la chaîne privée dans le cas de l’immigration. Les deux chaînes se distinguent également du point de vue de la configuration des enjeux proprement dit. Pour ce qui est des éléments explicatifs des causes du problème, France 2 insiste plus nettement sur les responsabilités concrètes de groupes identifiables, notamment les pouvoirs publics. Par contraste les journalistes de TF1 mettent plus souvent l’accent sur des causalités systémiques, c’est-à-dire très globales et floues. Les différences sont moins nettes en ce qui concerne la couverture des débats autour des solutions aux problèmes. France 2 témoigne d’une tendance à relayer plus fortement les éléments du débat public faisant référence à des projets politiques à long terme et ambitieux, ou à la défense des droits sociaux ou de la justice sociale. Inversement, TF1 se caractérise par sa propension à insister sur les solutions de court terme et adopte plus souvent une logique d’insertion (ou répressive) pour cadrer le règlement des problèmes.

21Ces divergences, bien que marginales, semblent devoir être rapportées à des postures plus générales qui traduisent préférentiellement une certaine conception de la vie sociale, elle-même orientée par une « vision du monde » particulière51. À travers ces trois enjeux, les éditions des journaux de France 2 mettent plus souvent en scène différents niveaux de réactions collectives aux problèmes sociaux, décrivant un corps social organisé. Par contraste, les éditions des journaux de TF1 mettent plus souvent l’accent sur des réactions individuelles à ces mêmes problèmes, selon deux modalités. Une première modalité met en scène des individus isolés voire abandonnés à leur sort. Est ainsi décrit le drame vécu par des populations sans ressources et impuissantes, parfois aidées de l’extérieur ou se prenant en charge elles-mêmes tant bien que mal. Une seconde modalité met en scène, plus rarement néanmoins, des individus actifs, prenant des initiatives pour se sortir par eux-mêmes de leur situation grâce à un effort personnel, leur inventivité, leur astuce ou leur créativité. On retrouve ici, à peu de choses près, les orientations censées caractériser la logique propre au public et la logique propre au privé. Il s’agit davantage, encore une fois, d’une marque distinctive, de quelque chose qui fonde à la marge l’identité particulière des chaînes, plutôt que de tendances massives.

22Le journal de 20 heures de TF1, plus « populaire » en termes sociologiques, semble donc se distinguer par une touche singulière, laquelle se traduit par une prime accordée à des horizons proches et individualistes. Est ainsi dessinée, en filigrane, la représentation d’un univers sur lequel l’emprise de la fatalité est grande et où l’individu apparaît soit isolé et impuissant, soit actif certes mais seul acteur de son propre salut. À cette approche relativement dépolitisée il semble que France 2 oppose une vision davantage politisée, au sens où est dépeint un monde dans lequel l’action collective des citoyens constitue un recours plus efficace pour faire en sorte que les institutions publiques répondent aux besoins exprimés par les groupes sociaux en difficulté52.

Perspectives

23Au moment de conclure cet ouvrage, la médiatisation des causes des sans apparaît globalement mitigée. On vérifie certes, dans leurs grandes lignes, les propositions théoriques constitutives du modèle anglo-saxon. La vision d’une couverture médiatique systématiquement défavorable paraît néanmoins insoutenable au vu des données réunies. Quelques mobilisations témoignent, par leur apparente réussite, du fait que même les médias généralistes – en l’occurrence la télévision – peuvent contribuer, a minima, à « rendre audibles dans l’espace public des voix et des enjeux qui ne disposent pas de la force de l’institué » (Neveu, 2000).

24Telle quelle, cette enquête ne prétend bien sûr pas à l’exhaustivité. Pour répondre pleinement aux questions qu’elle suscite, il conviendrait d’affiner l’analyse, en désagrégeant d’abord cet acteur collectif, les sans, sans doute excessivement uniformisé. Cette recherche a en effet permis d’entrapercevoir des différences importantes entre les groupes et collectifs de sans-logis, de chômeurs et de sans-papiers, sur de multiples plans. Il conviendrait également d’approfondir l’analyse des rapports qu’entretiennent avec les journalistes les divers collectifs rangés sous cette catégorie. Pour ce faire il faudrait notamment s’intéresser au poids de la base des « adhérents » sur les animateurs des mobilisations, du point de vue notamment de l’orientation des stratégies médiatiques53. Symétriquement, il faudrait pouvoir aussi désagréger les rédactions, et se pencher par exemple sur le rôle des responsables rédactionnels ou des directions, généralement peu accessibles aux chercheurs et de ce fait très peu étudiés. Il faudrait également examiner plus précisément un certain nombre de paramètres qui influent à l’évidence sur les processus étudiés mais qui n’ont jusqu’à présent été qu’évoqués, qu’il s’agisse de l’influence du genre des reporters, de la formation des journalistes, ou encore de leur origine sociale54. Il faudrait aussi prendre en compte le poids des contraintes techniques ou des genres rédactionnels55. L’analyse des rôles journalistiques a pour sa part été proposée essentiellement dans une visée exploratoire, et de nombreux aspects sur lesquels il serait intéressant de s’attarder restent sans réponses, comme par exemple la « prise de rôle56 ». Le poids des logiques de rôles ne peut également être compris qu’en restituant les motivations au fondement de leur interprétation, et notamment l’investissement émotionnel constitutif de l’exercice du métier de journaliste57. Il faudrait par ailleurs prolonger l’analyse en termes de rôles en creusant le lien entre rôles et cadrages.

25Enfin, il conviendrait d’élargir la focale à d’autres instances médiatiques et à d’autres types de journalisme, puisque les journalistes de télévision sur lesquels a porté l’enquête ne représentent qu’une petite minorité des journalistes professionnels œuvrant au sein des supports généralistes58. Affiner l’analyse nécessiterait d’ailleurs d’appareiller une enquête résolument ethnographique, en étendant le périmètre des catégories d’intervenants étudiés, et en rentrant davantage en profondeur dans l’exploration du fonctionnement des configurations d’acteurs59.

26Au-delà, il faudrait pouvoir contraster les causes des sans avec d’autres causes, plus ou moins (post) matérialistes, ou encore porteuses de valeurs plus ou moins contre-culturelles. Une direction possible consisterait à travailler la médiatisation des conflits « classiques » du travail (Béroud et al., 2008a et 2008b ; Giraud & Pélisse, 2009). Pour certains, ces conflits sociaux auraient retrouvé une visibilité dans l’univers médiatique qu’ils n’avaient pas connue depuis longtemps. En particulier les journalistes auraient largement couvert des mouvements sociaux dans le domaine de l’enseignement ou des transports collectifs, en particulier à la fin de la décennie 2000. À l’extrême, il serait intéressant de renverser complètement la perspective en se penchant sur les mobilisations de dominants (Offerlé, 2009 ; Mouchard 2010). On sait que des insiders peuvent également être amenés à déployer ponctuellement, face à l’échec des actions de lobbying « ordinaires », des protestations collectives plus ou moins perturbatrices, illégales, spectaculaires ou fondées sur le registre de l’émotion60. Même des groupes qu’on aurait du mal à qualifier a priori de dominés peuvent être incités à opérer un renversement misérabiliste dans les mises en scène de leurs revendications61, en vue notamment d’obtenir une forte médiatisation. Malheureusement ces cas de figure sont, à de rares exceptions, généralement délaissés par la sociologie. Etudier des mobilisations dans des domaines où la gestion des problèmes est très confinée, en matière par exemple de politique budgétaire et fiscale62, d’énergie (nucléaire notamment63), d’armement ou d’affaires étrangères64, permettrait par ailleurs de décaler le regard par rapport aux mobilisations qui se déploient dans le domaine du « social ». La visibilité dont bénéficient certaines mobilisations de sans a en effet probablement à voir avec le fort degré d’hétéronomie que le thème du « social » conserve au sein même de l’univers politique : « ce type d’enjeu reste toujours aisément saisissable, plus que d’autres sans doute, par des porte-parole autres que politiques. C’est dire que cette propriété particulière du thème social rend possible des phénomènes de concurrence élargies » (Gaïti & Collovald, 1990, p. 10).

27Il apparaît enfin nécessaire de sortir du cadre français à l’aide de comparaisons transnationales, lesquelles sont pour l’instant quasi-inexistantes en ce domaine. Se demander si effectivement tout mouvement social est forcément politique (Neveu, 1999a) prend à cet égard une résonance particulière. Un constat s’impose ici : tous les mouvements sociaux ne sont pas forcément, a priori du moins, tournés vers l’État. En tout état de cause, le caractère central de la figure de l’État dans les processus de contestation collective varie sensiblement selon le type de conflit social considéré. Les mouvements de sans apparaissent proches de ce point de vue des mobilisations d’agents publics, qui ont par définition les pouvoirs publics pour adversaire. Par contraste, dans la plupart des autres cas, les pouvoirs publics ou les institutions (para) publiques constituent, à maints égards, davantage un arbitre éventuel des conflits sociaux que leur cible principale. C’est le cas notamment de nombreuses mobilisations dans l’univers du travail, qui se « résument » souvent, au moins au départ, à un conflit entre les directions des entreprises et les coordinations ou syndicats de salariés. Or, la « structure » de conflictualité revêt un impact important sur la médiatisation des causes, et il faut donc tenir compte de ce paramètre. Par-delà ce constat sont en cause les missions attribuées au politique, dont on sait que le périmètre varie selon les contextes nationaux. Plus ces missions sont étendues dans l’ordre symbolique, quel que soit leur degré de réalité en pratique, plus grandes sont les chances que les médias réagissent favorablement aux demandes exprimées par des groupes protestataires cherchant à politiser les problèmes pour lesquels ils se mobilisent. On doit rajouter que la question sociale est différemment conceptualisée selon les pays. Les paradigmes disponibles pour penser le lien social – et les problèmes qui y sont rattachés – ne se résument en effet nullement au couple exclusion/intégration. Au sein d’autres aires culturelles, ces problèmes peuvent être pensés autrement, en termes par exemple d’underclass ou de clivage racial – c’est le cas des Etats-Unis notamment – ou de marginalidad – c’est le cas des pays d’Amérique du Sud notamment65. Ce tropisme culturel n’est sans doute pas sans conséquences sur le sort médiatique des protestations collectives qui ont pour particularité d’interroger le lien social66.

28Afin de refermer cet ouvrage, on doit dire quelques mots à propos de l’actualité récente des mobilisations de sans, et leur médiatisation. La période de forte attention relevée au cœur des années 1990 a laissé la place, à partir de la fin de la décennie, à une lassitude marquée voire à un désaveu de ces causes de la part de nombreux journalistes67. Ce retournement a contraint la plupart des collectifs à purger une période de relégation médiatique relativement longue. Mais les médias ne sont pas les seuls en cause dans ce silence durable. Outre les évolutions internes aux collectifs, notamment le départ des leaders historiques et la démobilisation militante, l’attitude des pouvoirs publics explique très largement ce revirement. À côté des réactions tactiques plus efficaces des gouvernants pour étouffer les mobilisations dans l’œuf68, un accroissement de la répression69 a pu refroidir un certain nombre d’ardeurs, ou tout du moins empêcher les mobilisations de s’installer dans l’espace public. Au-delà, il apparaît que le centre de gravité du débat public, et par là même de la couverture médiatique, s’est ensuite globalement déplacé vers les questions d’insécurité70, assourdissant par contraste l’écho des problématiques économiques et sociales. L’actualité récente montre cependant que les mouvements de sans ne sont pas prêts de s’éteindre et que ces stratégies d’accès à l’agenda médiatique, loin d’être obsolètes, sont toujours susceptibles de faire recette.

29Par exemple le mouvement des « chômeurs recalculés » à l’hiver 2003-2004, rapidement et largement relayé par les médias, a été habilement récupéré par le gouvernement Raffarin, et notamment par Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Emploi. Ce dernier, en prenant l’initiative de rétablir par décret les droits d’indemnisation réclamés par les « chômeurs recalculés71 » – et ce avant même le terme de la procédure judiciaire entamée par des collectifs de chômeurs et une extension potentielle de la mobilisation – a semble-t-il tiré les leçons des précédentes protestations. Le gouvernement s’est alors installé dans le rôle d’arbitre, à l’image de ce qui s’était produit, avec plus de retard et d’hésitations sans doute, à l’hiver 1997-1998.

30Les mobilisations de travailleurs sans-papiers qui se sont étalées à partir de la fin 2007 ont également connu un succès médiatique non négligeable, après une traversée du désert de presque dix ans. Ce renouveau est à mettre en rapport avec une évolution sensible au plan de la mise en forme de la cause des étrangers en situation irrégulière. Une nouvelle configuration d’action a en effet vu le jour, le soutien des grandes centrales syndicales comme la CGT allant de pair avec la réapparition de mouvements de sans-papiers dans le domaine du travail, en synergie avec les mobilisations atypiques72 et en résonance avec la cause altermondialiste et un regain de la critique publique du néolibéralisme73.

31Mais c’est surtout le succès du mouvement des enfants de Don Quichotte à l’hiver 2006-2007 qui doit être souligné74. Cette protestation est parvenue, plus de quinze ans après la naissance de l’association DAL, à faire reconnaître un droit au logement opposable à travers le dispositif de la loi dite DALO75. La publicité offerte à cette lutte par les médias a, sans doute, grandement participé à légitimer l’idée selon laquelle le droit au logement pouvait – devait même – faire l’objet d’une application effective garantie par l’État76. On retrouve en l’espèce les mêmes recettes qui ont fait le succès des mobilisations de sans-logis au début des années 1990. D’abord l’usage de modes d’action perturbateurs et visibles, en particulier pour les médias – en l’occurrence l’installation de campements de tentes sur les berges du Canal Saint-Martin à Paris77. Ensuite la même mise en scène d’une souffrance et d’une injustice durant une période cruciale du point de vue médiatique – les fêtes de fin d’année – comme d’un point de vue politique – l’instrumentalisation de l’enjeu social par les deux principaux candidats à l’élection présidentielle, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy (ainsi que par le gouvernement De Villepin).

32La carrière publique suivie en particulier par la cause du mal-logement illustre parfaitement les effets du travail de sensibilisation effectué pas à pas par des acteurs protestataires qui se sont renouvelés plusieurs fois (à l’image de DAL et de Dd ! !, puis de Jeudi noir ou des Enfants de Don Quichotte)78. Ce constat montre bien que tout n’est pas joué ou perdu d’avance sur ce plan pour les groupes protestataires. Un processus itératif oblige à remettre perpétuellement l’analyse sur le métier, ce qui laisse présumer de l’ampleur du travail restant encore à effectuer si l’on souhaite comprendre pleinement les mécanismes qui encadrent les relations entre médias et mouvements sociaux tout en les documentant d’un point de vue historique.

Notes de bas de page

1 Soit les matrices cognitives et normatives à travers lesquelles les problèmes sont pensés et évalués.

2 Pour un panorama de la diffusion et de l’usage du concept de politisation dans la science politique française, voir Aït-Aoudia, Bennani-Chraïbi & Contamin, 2010.

3 Est ici reprise la définition proposée par Hermet et al., 1998.

4 Cette définition a été popularisée par les travaux de Jean Leca (Leca, 1973). Sur ce point, voir également le dossier de la revue Espace Temps consacré au « Repérages du politique » (Espace temps, 2001).

5 Sur ce point, voir Gerstlé, 2004, p. 16.

6 Ibid.

7 Cette conception fait écho à une autre conception de la politisation, qui n’est d’ailleurs pas nommée comme telle, dans la sociologie américaine, autour du fameux tryptique « naming, blaming, claming » (Felstiner, Abel & Sarat, 1991) ou encore autour des composantes des cadres d’action collective de Gamson (1992) : la composante identitaire, qui renvoie au clivage eux/nous ; la composante d’injustice ; la composante agency, soit la possibilité de remédier à la situation problématique par l’action collective.

8 La domination est ici définie au sens que lui donne Pierre Bourdieu, comme la reproduction des rapports sociaux de hiérarchie, qui sont en quelque sorte naturalisées par le mécanisme de la « violence symbolique », soit la capacité à faire méconnaître l’arbitraire de ces rapports et donc à les faire admettre comme légitimes.

9 Cet intérêt pour l’étude du passage des frontières a suscité de nombreuses études de cas ainsi que des tentatives de synthèses. Lionel Arnaud et Christine Guionnet assimilent la politisation aux « processus d’insertion ou, au contraire, de désengagement, d’éloignement de certains acteurs, comportements ou objets par rapport au champ de la politique institutionnelle, et plus largement par rapport à l’univers perçu et construit comme spécifiquement “politique” par les acteurs sociaux » (Arnaud & Guionnet, 2005, p. 14).

10 Pour une discussion des problèmes suscités par cette posture interactionniste, voir Hamidi, 2006.

11 Un dispositif qui confère encore une certaine légitimité aux syndicats dits représentatifs aux yeux des journalistes. Pour une analyse des critiques portant sur la prétention des organisations militantes à représenter les groupes mobilisés, voir Benford & Hunt, 2001, p. 174.

12 Exemples : le manifeste du GISTI le 16 décembre 1996 ; l’appel des « 121 noms difficiles à prononcer » par Léon Schwarzenberg et Alain Krivine à la fin du mois de janvier 1997 ; la pétition du GISTI du 4 février 1997, proche de celle des cinéastes dans ses revendications. Sur ce point, voir Contamin, 2001.

13 Sur ce point, voir Legavre, 1999 ; Balasinsky & Mathieu, 2010.

14 Pour une synthèse récente, voir Favre, 2007.

15 Sur cette analyse, voir Thomas, 1997, p. 65-78 notamment.

16 Sur le law and order frame, voir de manière plus générale Blum-Kulka & Liebes, 1993 ; Opel & Pompper, 2003. Le protest paradigm frame peut être vu comme une modalité du law and order frame, appliquée aux mouvements sociaux (Chan & Lee, 1984).

17 L’expression « politique de la pitié » est elle-même empruntée à Hannah Arendt (Arendt, 1967, p. 82-165).

18 Sur ce point, voir Foucault, 1972, 1975 ; Gemerek, 1987.

19 Sur le cadre des droits, voir Williams & Williams, 1995 ; McAdam, 1996.

20 On peut définir la question sociale de façon large comme le problème de la mise en péril de la cohésion sociale d’une société globale. Robert Castel la définit comme « une aporie fondamentale sur laquelle une société expérimente l’énigme de sa cohésion et tente de conjurer le risque de sa fracture » (Castel, 1995, p. 18).

21 Pour une analyse générale du processus de déconstruction des classes sociales, voir Boltanski & Chiappello, 1999, p. 376-397. Sur l’affaiblissement tendanciel de l’usage des catégories des PCS dans les travaux de sciences sociales, voir Pierru & Spire, 2008.

22 Jobert et Muller, L’État en action, op. cit.

23 Jobert & Théret, p. 60. Pour une critique de cette analyse, voir par exemple Michel, 2008.

24 Sur ce point, voir par exemple Wacquant, 2004.

25 Sur ce point, voir Mouchard, 2002b.

26 Lorsqu’on interroge les militants et animateurs des mobilisations, on obtient un discours assez critique du traitement médiatique, qui n’est cependant pas partagé par tous – et n’analyse d’ailleurs pas forcément les choses en termes de politisation. Se reporter au chapitre 3 sur ce point.

27 En raison notamment de la vision faiblement conflictuelle des rapports sociaux qu’il privilégie, au profit d’une théorie organiciste du lien social.

28 Sur ce type de raisonnement en termes de problématisation « technique », appliquée à l’enjeu de la gestion des déchets nucléaires, voir Barthe, 2010.

29 Une des caractéristiques essentielles de la culture politique française est souvent décrite comme une ambivalence fondamentale à l’égard de « l’État » ou des « pouvoirs publics », respectés et sacralisés et en même temps contestés et craints ; dit autrement on attend énormément d’un État que l’on conteste avec la même intensité par ailleurs. Cette ambivalence a été décrite dans des recherches ethnologiques (Wylie, 1962 ; Hoffman et al., 1963), à la suite d’observations récurrentes qu’on retrouve déjà chez Tocqueville notamment. Voir également Pitts, 1981.

30 Sur ce point, voir par exemple Bourdieu, 1998, p. 9-17 ; Denis, 2005.

31 Sur ce point, voir Garcia, Giraud, Mouchard & Yon, 2005.

32 Ce rapport symbiotique avec l’État s’explique aussi par le fait que jusqu’au milieu des années 1970 les chaînes de télévision étaient structurellement liées à l’État dans le cadre de l’ORTF. Sur ce point, voir Bourdon, 1994.

33 Ce réflexe manifeste plus généralement la force de l’éthos de l’État dans les médias français (Kuhn, 1995).

34 Il faut bien sûr, ici, prendre en compte les demandes des autres acteurs de l’arène, à commencer par l’autohabilitation des acteurs politiques institutionnels et partisans.

35 Dans le contexte notamment de l’échec du programme du PS de 1981 ; pour une analyse en ce sens, voir Juhem, 2001c.

36 Cette analyse a par exemple été proposée pour décrire la carrière médiatique de la cause anti-raciste, à partir du cas de SOS Racisme (Juhem, 2001a).

37 À titre d’exemple Dominique Wisler montre, à propos la médiatisation des manifestations publiques en Suisse, que la presse locale, par ses choix de couverture, reproduit largement les différences de culture régionales (Wisler, 1999). Érik Neveu parvient à un constat du même type lorsqu’il analyse le traitement des protestations collectives d’agriculteurs bretons par la PQR (Neveu, 2003). Pour une analyse générale du rapport entre valeurs journalistiques et valeurs socialement dominantes, voir Tuchmann, 1978 ; Fishman, 1980 ; Gamson & Modigliani, 1989 ; Seaton, 1997 ; Harcup & O’Neill, 2001.

38 Sur ce point, voir Torpey, 1998 ; Mouchard, 2002b.

39 Au sens où il s’agit de réclamer le maintien de droits ou de mesures sociales existants, et donc de défendre le statu quo du point de vue des arrangements sociaux en vigueur.

40 Sur les « valence issues », voir Nelson, 1984 ; Manza, LomaxCook & Page, 2002. Sur les causes « sans adversaires », voir Juhem, 2001b.

41 Pour parler comme Jean-Gabriel Contamin à propos des grèves de novembre-décembre 1995 (Contamin, 2005).

42 On estime souvent que les valeurs sociales privilégiées par les journalistes varient en fonction de leur interprétation de ce que sont les valeurs de leur audience, laquelle audience varie en fonction des publics visés, selon qu’on a par exemple des visées généralistes, élitistes ou populaires. Sur l’exemple du JT de 13 heures de TF1, voir Kaciaf, 2005b ; Teillet & Leroux, 2001.

43 Ce système conduit, plutôt qu’à une distinction, à une neutralisation de la concurrence par le biais de l’uniformisation de la production (Mercier, 1994, p. 163 ; Bourdieu, 1996).

44 La peur du « ratage » explique ces pratiques d’alignements mutuels. L’envoi de journalistes sur le terrain répond ainsi moins au souci de la rédaction de recueillir des informations inédites qu’à la crainte d’être dépassé par les concurrents. Sur ce point, voir Joinet, 2000.

45 Sur ce point, voir Mercier, 1994, p. 110-111.

46 On observe à l’œuvre les effets de la circulation circulaire de l’information, décrite par Pierre Bourdieu (Bourdieu, 1996). Voir également Neveu, 2004, p. 55.

47 En référence à l’expression de Robert Castel (Castel, 1995).

48 Cf. graphiques 23, 24 et 25, chap. 4.

49 Sur ce point, voir également Siracusa, 2001, p. 202.

50 TF1 bénéficie d’un plus grande nombre de correspondants en province, ce qui traduit une approche de l’information de proximité plus développée, à l’image de l’édition du journal télévisé de 13 heures présentée par J.-P. Pernaut (Leroux & Teillet, 2004, p. 275-284 ; Kaciaf, 2005b).

51 Ces tendances sont congruentes avec les observations effectuées à partir d’autres enjeux, à l’image de la couverture télévisée de l’enjeu « environnement » (DeChevaigné, 2000 ; Comby, 2008). On pourrait aussi les rapprocher de tendances relevées à propos d’enjeux aussi divers que la sécurité routière (Devillard & Marchetti, 2008 ; Grossetête, 2012) ou la santé (Marchetti, 2010).

52 Pour une analyse en ce sens dans le cas de l’enjeu environnement, voir DeChevaigné, 2000, p. 111-117.

53 Pour une illustration à partir du cas des sans-papiers de Saint-Bernard, voir Blin, 2005.

54 Sur toutes ces questions voir Pélissier & Ruellan, 2002 ; Marchetti & Ruellan, 2002 ; Guionnet & Neveu, 2004 ; Lafarge & Marchetti, 2008 ; Chupin, 2009 ; Lafarge & Marchetti, 2011.

55 Ce qui renvoie aux difficultés déjà mentionnées pour réaliser des portraits, aux problèmes posées par la réduction de la durée des interviews, ou aux réticences des journalistes à réaliser des « encadrés » (ce format est le mieux adapté pour creuser l’analyse des problèmes, mais il est souvent considéré comme « chiant » par les journalistes, notamment car il se résume à faire du commentaire sur des images d’archive, et n’implique pas d’aller sur le terrain).

56 Pour une analyse de ce type dans le cas des maires, voir Lefebvre, 1997.

57 Ce qui pose des difficultés méthodologiques quant à la possibilité de saisir les émotions par les méthodes d’enquête des sciences sociales. Sur la perspective émotionnelle dans la sociologie des mobilisations voir notamment Traïni, 2009 ; sur l’émotion dans les médias, voir par exemple Tétu, 2004. Pour une analyse des aiguillons émotionnels dans une perspective de sociologie politique, voir Rozenberg, 2005.

58 La plus grande diversité, en termes d’orientations éditoriales, des titres de la presse écrite, tout comme l’espace rédactionnel plus important dont bénéficie la presse, permet de supposer que ces causes sont mieux représentées, globalement, par la presse écrite que par la presse télévisée.

59 En intégrant aussi les sources des journalistes comme l’AFP (Lagneau, 2010).

60 Une série d’études a ainsi montré que même des groupes mieux dotés sous plusieurs rapports peuvent y avoir ponctuellement recours, comme les agents des finances (Pollac, 1993), les professions médicales (Hétet, 1999) ou les universitaires (Cadiou & Franquemagne, 2007).

61 Sur ce point, voir également les contributions réunies dans Traïni, 2009.

62 Sur ce point, voir par exemple Hmed, 2011.

63 Sur ce point, voir par exemple Baisnée, 2001 ; Barthe, 2006.

64 Sur ce point, voir Mercier, 1993 ; Charon & Mercier, 2004.

65 Sur la différence entre ces notions et leurs implications voir notamment Fassin, 1996b.

66 Par exemple, aux Etats-Unis l’accent est réputés être mis sur les droits individuels et la lutte contre les discriminations, alors qu’en France ce sont prioritairement les politiques sociales redistributives qui sont chargées de rectifier les inégalités.

67 Pour un parallèle avec le mécanisme à l’œuvre dans la lassitude des journalistes face aux crises de santé publique, voir Henry, 2004. Cette lassitude renvoie plus largement au fait que la réceptivité des journalistes à l’égard des lanceurs d’alerte est susceptible de fluctuer considérablement dans le temps. On a affaire ici à « un effet pervers indésirable de la part de la stratégie de mobilisation employée », lorsque les lanceurs d’alerte routinisent leurs actions auprès des journalistes (Arpin, 2010).

68 C’est le cas notamment d’un mouvement de sans-papiers à l’été 2002. Après à peine quelques jours de mobilisation, les sans-papiers sont rapidement reçus par le ministre de l’Intérieur Sarkozy le 27 août, qui n’accède pas à leurs demandes. Les sans-papiers mettent fin à leur protestation le 1er septembre, sans qu’une controverse politique ait pu se cristalliser.

69 Sur la pérennité de la répression, qui nuance la thèse de la normalisation croissante de la contestation en France, voir Mathieu, 2007b ; Combes & Fillieule, 2011.

70 Pour une analyse de l’irruption de l’insécurité dans le débat public, voir Gerstlé, 2003.

71 Cette mesure a été officiellement justifiée pour éviter de favoriser une rupture d’égalité entre les chômeurs, face à la multiplication des procès et le risque de divergence des jurisprudences.

72 Ces mobilisations atypiques ont eu lieu notamment dans les domaines du BTP, de la restauration, du nettoyage et de la sécurité, résonant plus largement avec les luttes de précaires (Perrin, 2004 ; Béroud & Bouffartigue, 2009)

73 Le discours de « l’immigration choisie » du ministre de l’Intérieur puis de l’Économie – puis du Président – Sarkozy n’est sans doute pas étranger à cette évolution. Ce discours est énoncé dans un contexte où la France est supposée manquer de bras dans certains métiers manuels et où, plus largement, le déficit de natalité pose des problèmes au plan du financement des retraites notamment – tout ceci ayant lieu avant la crise économique et financière de 2008-2009.

74 Sur cette opération, voir Schvartz, 2009 ; Boutillon & Prévot, 2012.

75 Loi no 2007-290 du 5 mars 2007 « instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale ».

76 Il faut se garder d’imputer à cette seule mobilisation et à sa médiatisation la concrétisation subite, et ex nihilo, de la loi DALO. Au contraire, celle-ci est le fruit d’un long processus politico-juridique à l’appui duquel cette protestation a constitué un catalyseur opportun. Sur ce point, voir Garcia, 2009.

77 La mobilisation a ensuite essaimé dans une dizaine de villes de province, avec toutefois une audience moindre.

78 Cette continuité renvoie à la fonction de « veille » des organisations « qui permettent aux causes de survivre à leurs périodes de reflux ». Ainsi les « niches militants sont susceptibles de s’activer à nouveau lorsqu’un nouveau cycle protestataire s’enclenche » (Pierru, 2010). Sur ce point voir plus largement Staggenborg, 1988.

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