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La révolution des paroisses

 | 
Restif Bruno

Première partie. Les paroisses de Haute-Bretagne au xvie siècle

Chapitre II. L’église au centre de la paroisse

Texte intégral

L’espace et le sacré

Architecture et espace intérieur de l’église

  • 1 Matz J.-M., « La reconstruction des églises paroissiales après la guerre de Cent Ans : le témoigna (...)
  • 2 Lagrée M., Tanguy B. (dir.), Atlas d’histoire de Bretagne, Morlaix, 2002, p. 85.

1Beaucoup d’églises sont refaites, partiellement ou totalement, à la fin du xve siècle et dans la première moitié du siècle suivant, cette chronologie étant identique à celle qui a pu être établie pour d’autres régions de la moitié septentrionale de la France1. Cette grande vague de travaux commence dans les années 1480 et il s’agit souvent, jusque vers les années 1540, de refaire l’ensemble ou presque du bâtiment, à commencer par la nef. L’époque gothique n’ayant pas connu de traduction architecturale dans les églises paroissiales du monde rural, ces reconstructions se font au détriment des vieilles églises romanes, devenues trop petites, et qui ont pu subir les conséquences des combats de la guerre de Cent Ans, qui au xve siècle touchent les marches de Bretagne2.

2Dans certains cas, comme à Arbrissel, la nef romane est conservée mais les fenêtres sont élargies et la charpente est refaite. Plus souvent, c’est le chœur, roman, qui est conservé, comme à L’Hermitage. En effet, et en principe en tout cas, à la différence de la nef, le chœur est à la charge des décimateurs, sauf en ville où, les dîmes n’existant pas, tout est à la charge des fabriques. Dans les faits, il arrive assez souvent que les paroissiens participent financièrement aux travaux de construction ou de réparation du chœur, soit que la fabrique perçoive une partie des dîmes, soit que l’immobilisme des décimateurs contraigne les paroissiens à entreprendre eux-mêmes les travaux, comme à Saint-Gondran dans les années 1570. Ainsi, un certain nombre de chœurs sont reconstruits au xvie siècle, et sont alors nettement élargis, comme pour l’église urbaine d’Antrain dans les années 1530.

3Même s’il ne faut pas négliger le rôle des autorités ecclésiastiques et celui des seigneurs, ce sont bien les paroissiens qui, généralement, prennent la décision d’entreprendre les travaux, le financement de ceux-ci étant d’ailleurs, du moins à l’origine, la raison d’être des fabriques. À Landavran, en 1534, des travaux ayant été engagés « par le consentement des paroyssiens », « pluseurs des parouessiens […] vindrent […] pour voirs l’augmentacion quelle avoit esté faicte a lad. chapelle [église tréviale], et que estoict a raison de faire pour l’avenir ».

  • 3 Mauger M. (dir.), En passant par la Vilaine. De Redon à Rennes en 1543, Rennes, 1997.
  • 4 Je ne partage donc pas une partie de l’interprétation des planches qui est faite p. 84 de En passa (...)

4Un certain nombre d’églises apparaissent sur les planches réalisées en 1543 en vue de l’aménagement de la Vilaine3. Elles se présentent presque toutes en un seul volume, avec une toiture en ardoise, un fin clocher en haut de nef et un pignon d’abside surmonté par une croix et ouvert par une large verrière. Seule celle de Messac, plus imposante, possède un transept4. L’étude archéologique, au sens large, des édifices conservés, confirme la véracité de cette représentation graphique. Ces églises d’un seul volume sont orientées à l’est, vers Jérusalem et le soleil levant. Leur grande verrière multicolore qui occupe l’essentiel du pignon d’abside est éclairée par le soleil du matin, et illumine alors ces églises encore sombres où les fenêtres restent peu nombreuses. Le maître-autel se trouve aux pieds de la maîtresse-vitre et le prêtre célèbre la messe, non pas en tournant le dos aux fidèles, mais en prenant la tête d’une assemblée symboliquement en marche vers la Jérusalem céleste. Et c’est ainsi vers l’est qu’il lève le calice et le ciboire, une fois les espèces consacrées, tandis que les fidèles assistent au Saint Sacrifice.

  • 5 Cela vaut bien sûr pour les « églises-routes », sans transept, mais pas seulement. Ainsi, lorsqu’i (...)
  • 6 Pour la plupart des paroisses, il est difficile de dire si la clôture du chœur est matérialisée pa (...)

5Les fidèles, bien entendu, n’ont pas accès au chœur, réservé aux clercs, même si le chœur liturgique, appelé « chanceau », ne correspond pas toujours au chœur architectural5. Cette division spatiale peut être matérialisée par un arc triomphal, notamment lorsque le chœur est resté roman et présente un volume moins large que celui de la nef, comme c’est le cas à Tréfumel. Mais, surtout, la séparation entre l’espace des clercs et celui des laïcs est réalisée par le chancel, mur fermant le chœur liturgique, et qui se présente sous la forme d’une cloison de bois ajourée. Dans les églises urbaines et dans certaines églises rurales, le chancel prend la forme du jubé, mur comportant une tribune à laquelle on accède de l’intérieur du chœur par un escalier, et sur laquelle sont placés des lutrins pour la lecture, un ambon pour la prédication, et, dans le cas de Saint-Sulpice de Fougères, un orgue6.

  • 7 De façon significative, la poutre de gloire est toujours appelée « arbre de la Croix » en Haute-Br (...)

6Au-dessus du chancel ou du jubé se trouve une poutre de gloire portant un grand crucifix, et le Christ est généralement entouré de la Vierge et de saint Jean7. Le devis réalisé le 10 août 1586 pour la construction d’un nouveau jubé à Saint-Sulpice de Fougères nous livre une description précise. La poutre portant l’essentiel de l’ouvrage (réalisé en chêne et en pierre de taille) a « vingt huict piedz de longueur », soit un peu plus de 9 mètres. Il est prévu d’y placer, outre l’orgue et les lutrins, « unne chairre neufve », ainsi que « telz ymaiges que on vouldra faire mettre ». « L’arbre ou sera ataché l’imaige du crucifilz sera mins et apossé sur ladicte piecze […], avecques les ymaiges de Nostre Dame et monsieur sainct Jean des deux costez dud. arbre », ce crucifix mesurant près de 6 mètres de hauteur. De chaque côté de « la porte pour entrez de la neff dans le cœur » sont placés deux autels tournés vers la nef, destinés à être des supports de la piété des laïcs. Notons que ces autels appuyés au jubé ou au chancel ne sont peut-être pas présents dans toutes les églises rurales.

  • 8 Cf. Photographie 2.
  • 9 Cf. Photographie 3.
  • 10 Cf. Photographie 4.
  • 11 Cf. Photographie 5.

7L’église apparaît ainsi comme un édifice à lieux multiples. Aux portes du bâtiment succèdent, au niveau du chancel ou jubé, celle du chœur. C’est dans le chœur que se trouve le sacraire, niche ménagée dans le mur nord ou sud et dans laquelle sont placées les Saintes Espèces8. Placé en position latérale et derrière le chancel, le sacraire, qui ne conserve pas de façon permanente des espèces consacrées, n’est pas visible pour les fidèles. Ajoutons à ces lieux les chapelles, qui se multiplient au xve siècle et au début du siècle suivant dans les églises urbaines, les murs des édifices présentant désormais, comme à Notre-Dame de Vitré, une enfilade de pignons9. Dans les principales églises rurales, comme Messac, au sud du diocèse de Rennes, la réalisation des premières chapelles dessine un transept. Dans d’autres cas, une fois la nef reconstruite, il y a, dans le courant du xvie siècle, la construction d’un bas-côté, qui peut accueillir plusieurs chapelles, et d’une tour. C’est le cas, parmi d’autres, à La Baussaine, dans le diocèse de Saint-Malo, comme il apparaît sur le plan réalisé par Roger Blot. À la nef refaite dans les années 1520 est adjoint dans les années 1540-1550 un bas-côté nord qui accueille quatre chapelles10. Puis, en 1575, est construite au sud une tour massive qui accueille le nouveau clocher11. De ce fait, et au fur et à mesure que se déroule le siècle, un certain nombre d’églises sont de moins en moins, du point de vue architectonique, des « églises-routes » dont le volume est ordonné par la verrière axiale, même si le principe est conservé.

Document 15. – Plan de l’église de La Baussaine (Blot R., « La Baussaine. Église Saint-Léon », La vie diocésaine, 2000, n° 12, p. 300).

Document 15. – Plan de l’église de La Baussaine (Blot R., « La Baussaine. Église Saint-Léon », La vie diocésaine, 2000, n° 12, p. 300).

8Toujours en ce qui concerne l’architecture, il faut noter également la réalisation de « chapitreaux », qui prennent soit la forme d’un grand porche réalisé en avant de la porte principale de l’église, soit, plus souvent, comme nous l’avons vu, d’un porche plus petit réalisé, au sud, en avant de la porte donnant directement sur le cimetière. Quant au « revestiere » ou à la « segretainerie » dont il est question dans les comptes de fabrique, il s’agit de l’ancêtre de la sacristie, qui est placé dans la tour lorsque celle-ci est construite. C’est ainsi qu’à Coulon en Montfort, en 1565/1566, une indemnité est versée au charpentier « le jour […] que vinct voyre la tour pour fere la secretenerie ». Cette première forme de sacristie est toujours close par une porte fermée à clé.

9Le mobilier de la nef, presque exclusivement en pierre, est très intégré à l’architecture. Il s’agit des autels, des fonts baptismaux en bas de nef et des bénitiers près des portes. Généralement, les pierres des murs ne sont pas apparentes, car ceux-ci sont régulièrement blanchis à la chaux, et il en est parfois de même des porches. Il semble que dans la plupart des églises des couleurs soient appliquées sur les voûtes. En effet, à Saint-Sulpice de Fougères, en 1521/1524, 55 sous sont versés « au paintre qui paignit la capelle, savoir la voulte de sainct Sebastien, tant pour sa painne que pour les materes que il y mist ». Et à Coulon en Montfort, en 1601/1602, ce sont 27 sous que les trésoriers « baillerent […] aud. Briand blanchisseur, pour peindre et merquer d’occre rouge les deux arches des deux chappelles de lad. eglisze ». Quant au sol, il est « pavé », probablement avec de la tuile. Les dépenses courantes concernent les ardoises de la toiture, les clous pour les fixer, le « pavé », la chaux, sans oublier la rémunération des couvreurs et le remplacement des lattes abîmées.

  • 12 Sur les réalisations artistiques de la famille d’Espinay à Champeaux, voir Joubert S., « Audace et (...)
  • 13 Cf. Photographie 6.

10D’un point de vue stylistique, force est de reconnaître que les églises de Haute-Bretagne relèvent plus des modèles gothiques que des modèles architecturaux de la Renaissance. Pourtant, ceux-ci ne sont pas absents. Ils trouvent une illustration dans l’église à la fois collégiale et paroissiale de Champeaux, financée par la famille d’Espinay12, ainsi que dans les portails sud des églises de Bais13, Tinténiac, Visseiche et Saint-Hilaire-des-Landes, sans oublier la porte de la chapelle nord-ouest de l’église de Louvigné-de-Bais. Mais ces modèles paraissent sans doute trop novateurs aux yeux des fidèles qui financent la reconstruction de l’immense majorité des églises, choisissent les architectes et passent les contrats, ce qui explique la prédominance du style gothique.

Le temps du vitrail

  • 14 Callias Bey M., Chaussé V., Gatouillat F., Hérold M., Les vitraux de Haute-normandie. Corpus Vitre (...)

11Comme en Haute-Normandie14, les nombreuses reconstructions d’églises s’accompagnent d’un développement de l’art du vitrail. Dans ces bâtiments, en effet, la maîtresse-vitre est, avec le maître-autel, le principal élément organisateur de l’espace, et pour cette raison elle fait l’objet d’un investissement non seulement symbolique, mais également financier et artistique particulier. C’est aussi, dans une moindre mesure, le cas des autres verrières dans les églises des villes et des collégiales, notamment dans les chapelles nouvellement construites. Dans les églises rurales, en revanche, si des vitraux de qualité sont parfois placés dans les chapelles du transept, bien souvent les fenêtres de la nef, étroites et sans signification liturgique, contiennent des verrières ornementales et non pas figurées.

12En général, il s’agit d’une commande aristocratique, ce qui peut répondre d’ailleurs en partie à une obligation de principe lorsque le patron de la paroisse est chargé de l’entretien du chœur. C’est ainsi que la maîtresse-vitre de l’église collégiale et paroissiale de Champeaux est un don de Guy III d’Espinay et de sa femme Louise de Goulaine, représentés agenouillés sur le vitrail. La commande aristocratique concerne aussi les chapelles seigneuriales qui, dans nombre d’églises, forment les bras du transept. C’est le cas dans l’église des Iffs, où se trouve la chapelle des châtelains de Montmuran, qui font réaliser des vitraux dédiés à la Vierge. À Louvigné-de-Bais, la famille d’Espinay exerce un véritable mécénat en finançant, conjointement avec les paroissiens, la réalisation de plusieurs verrières, et vraisemblablement en choisissant les thèmes.

13Les marchands jouent aussi un rôle non négligeable dans les villes et les bourgs les plus importants. À Notre-Dame de Vitré, où l’année de compte commence le dimanche des Rameaux, une Entrée du Christ à Jérusalem prend place au-dessus de la porte sud. Le Christ y est accueilli par des notables qui ont tout de marchands vitréens. Les interventions de ce type se font par le biais de la fabrique. En 1521/1524, à Saint-Sulpice de Fougères, ce sont près de 200 livres qui sont dépensées pour la réalisation d’une « grant vitre mipse de nouveau a la chapelle neufve de sainct Sebastien ». Le marché, « faict o [avec] le consoil et advis de la plus sainne et maire partie des paroessiens et en presence de partie d’icelx », est passé avec « Jacques Fauyent, vitriez demourant en la ville de Coustances », en Normandie. Puis deux personnes, dont un ecclésiastique, se rendent à Avranches « voirs le divis d’icelle vitre pour la fere conforme à une aultre vitre […] aud. lieu d’Apvranches ». Il existe donc une pluralité de commanditaires mais, quels qu’ils soient, l’art du vitrail connaît partout une révolution.

  • 15 Je ne partage donc pas l’avis de Gatouillat F., Hérold M., Les Vitraux de Bretagne, Rennes, 2005, (...)
  • 16 Les Petite et Grande Passion de Dürer et une Descente aux Limbes de Léon Davent (réalisée en 1547, (...)

14À partir de la fin du xve siècle, en effet, l’art du vitrail est totalement renouvelé en Haute-Bretagne, même si cela se fait de façon progressive, notamment dans l’utilisation de la grisaille et du jaune d’argent. Dans les années 1530 naît l’école de Vitré, dont émergent deux ou trois artistes. Pierre Symon réalise à la fin des années 1530 l’Entrée du Christ à Jérusalem placée au-dessus de la porte sud de l’église Notre-Dame de Vitré15. Ce vitrail-tableau (la scène occupant toute la largeur de la fenêtre), un des premiers de la région, s’inscrit pleinement dans la Renaissance artistique par le caractère fortement unifié de la composition et par l’utilisation des ors, des verts et des mauves aux côtés des bleus et au détriment des rouges, les deux couleurs traditionnelles. C’est probablement lui aussi qui réalise les vitraux des quatre chapelles construites dans les années 1530 dans l’église à la fois collégiale et tréviale Notre-Dame de La Guerche. Au début des années 1540, il s’installe à Fougères, y travaillant à l’église Saint-Sulpice, sans doute aussi à celle de Saint-Léonard, ainsi qu’à l’église paroissiale de Javené, où il réalise notamment une Circoncision sur le modèle d’une gravure de Dürer. L’autre grand maître-verrier de Vitré est Gilles de La Croix-Vallée, dont le style est assez proche de celui de Pierre Symon. C’est lui qui, dans les années 1540, réalise, à Louvigné-de-Bais, les vitraux commandés par Guy III d’Espinay et sa femme Louise de Goulaine, de même que, probablement, la maîtresse-vitre de Champeaux, don des mêmes mécènes. En 1567, le vitrail de La Descente aux Limbes, réalisé pour l’église de Louvigné-de-Bais, est l’œuvre de Guyon Colin, élève de Gilles de La Croix-Vallée, qui s’est inspiré des gravures de Dürer et de Léon Davent16. Dans ces vitraux, l’architecture Renaissance et certaines scènes sont des emprunts aux modèles bellifontains diffusés par la gravure.

  • 17 De ce vitrail, seule subsiste aujourd’hui la partie supérieure, la partie centrale ayant été refai (...)

15Le principal maître-verrier qui n’appartient pas à l’école vitréenne est Michel Baionne, peut-être originaire de la région de Moncontour, dans le diocèse de Saint-Brieuc. Les premières réalisations que nous pouvons lui attribuer concernent l’église paroissiale de Beignon, dans le sud du diocèse de Saint-Malo, en 1540. Michel Baionne s’installe ensuite à Rennes et son style se perfectionne, par une mise au plomb qui respecte toujours les formes, une utilisation de pièces de verre de tailles différentes selon l’effet recherché, un dessin sûr et précis et une très grande qualité du traitement des visages. Cet artiste travaille dans le diocèse de Rennes et dans l’est du diocèse de Saint-Malo, son atelier réalisant ensuite la maîtresse-vitre de Saint-Symphorien en 1568-1569. Après cette date, il y a un déclin de la production du vitrail, même si quelques œuvres marquantes sont encore réalisées : la maîtresse-vitre de Bazouges-la-Pérouse en 1572, le vitrail du jugement de saint Yves aux Iffs, et celui du Sacrifice d’Isaac à Champeaux, ce dernier étant réalisé en 1594 pour la nouvelle chapelle seigneuriale d’Espinay17.

  • 18 Ce qui subsiste des scènes de la Dormition de la Vierge et de l’Assomption a été réutilisé au xx s (...)
  • 19 À nouveau, je ne partage pas l’opinion de Gatouillat F., Hérold M., op. cit., p. 279.

16Dans l’ensemble, peu de saints figurent sur les vitraux, à l’exception de la Vierge qui est souvent honorée. La Vie de la Vierge est illustrée à Bazouges-la-Pérouse et à Louvigné-de-Bais. L’Annonciation et le Couronnement de la Vierge, premier et dernier mystères de sa vie, sont représentés à Notre-Dame de La Guerche. Les vitraux de Ploërmel glorifient la Vierge par des représentations de l’Annonciation, de la Vierge à l’Enfant, de la Dormition de la Vierge et de l’Assomption18, auxquelles il faut ajouter un Arbre de Jessé. En effet, l’Arbre de Jessé, qui représente la généalogie du Christ et fait par là le lien entre les deux Testaments, comporte, au sommet de l’arbre et donc de la représentation, une Vierge à l’Enfant, et devient ainsi par la même occasion une glorification de Marie. Michel Baionne a réalisé un Arbre de Jessé à Beignon, sa première œuvre connue, et a repris les mêmes cartons pour son ultime chef-d’œuvre, celui de Moulins19. Ce dernier est pourtant plus riche du point de vue théologique, car l’artiste a remplacé les anges musiciens par Moïse et les Prophètes, tandis que la colombe symbolisant l’Esprit Saint surmonte l’ensemble de la scène.

  • 20 Aujourd’hui disparue.
  • 21 Dufief-Moirez D., « Le vitrail de la Transfiguration à Louvigné-de-Bais », Arts de l’Ouest, 1977, (...)

17Mais c’est de la vie, de la Passion et de la Résurrection du Christ que traitent la plupart des représentations. On peut ainsi signaler la nativité et la Circoncision à Javené, la Lapidation de la femme adultère et la Résurrection de Lazare à Saint-Léonard de Fougères, l’Entrée à Jérusalem à Notre-Dame de Vitré, la Descente aux Limbes à Louvignéde-Bais, la Pentecôte à Saint-Sulpice de Fougères20 et à Champeaux. À Louvigné-de-Bais, Guy III d’Espinay et Louise de Goulaine font placer une transfiguration qui convient à la devise de leur famille, « je repousserai l’ombre »21.

  • 22 La date portée « 1569 » paraît en effet correspondre à une réparation mais la question reste débat (...)

18À l’exception de cette verrière, placée à l’origine dans le chœur, la maîtresse-vitre accueille toujours, pour des raisons théologiques et liturgiques, une représentation de la Passion, représentation qui constitue souvent un programme riche sur le plan théologique, comme c’est le cas à Saint-Gondran. Réalisée sans doute au milieu des années 155022, elle est certainement la plus belle œuvre de Michel Baionne. Cette composition est une méditation sur le pouvoir, la condamnation par Caïphe, le renvoi par Hérode et la condamnation par Pilate se superposant dans l’axe médian, sous la croix. À la lecture linéaire se superpose donc une lecture axiale. La violence est très présente, mais la narration (qui, comme il est d’usage, commence en bas à gauche et se termine en haut à droite) commence et se termine avec la présence des proches et amis. Sur la croix se tient un pélican, métaphore du sacrifice christique. La partie haute, elle, se lit de haut en bas, et la dernière image est donc celle du Christ qui, après avoir été livré, délivre Adam et Ève, et par là même l’humanité.

19Chaque matin, le soleil levant, symbole du Christ ressuscité, anime la scène de la Passion, tandis que le Sacrifice est renouvelé sur le maître-autel, qui se trouve placé juste au-dessous de la maîtresse-vitre. Celle-ci donne donc sens à l’ensemble de l’église et explique son organisation spatiale. Elle constitue en même temps l’ouverture, vers la Jérusalem céleste, de cet espace accumulant les clôtures, celle du chœur, celle du bâtiment lui-même et, à l’extérieur, celle de l’enclos paroissial.

Espace et sacré autour de l’église et sur le territoire paroissial

20À Gévezé, en 1552-1554, est réalisé un enclos qu’ouvre une véritable porte, vraisemblablement faite à la fois de bois et de pierre. Ainsi, l’église n’est pas au contact direct de l’espace profane : un mur enclôt le bâtiment et le cimetière adjacent, terre sacrée qui ne doit pas être souillée, toute pollution nécessitant à nouveau sa bénédiction. La logique d’emboîtement d’espaces clos – « chanceau » dans lequel est placé le maître-autel et le sacraire, nef séparée du « chanceau » par le chancel ou jubé, porche – se poursuit donc à l’extérieur du bâtiment.

  • 23 En tout cas, tous les comptes de fabrique conservés pour le xvie siècle font référence à des dépen (...)
  • 24 Dans le Haut-Maine, selon Florence Lepareur, la plupart des clôtures de cimetières seraient réalis (...)

21D’après les comptes de fabrique, il semble bien que toutes les paroisses (mais on peut toujours imaginer qu’il existe des exceptions23) possèdent un enclos au xvie siècle, ce qui ne signifie pas nécessairement qu’il s’agit à chaque fois d’un enclos total, les ouvertures du mur ne comportant peut-être pas toujours d’échaliers. En tout cas, nombreux sont les enclos qui existent déjà au début du siècle24. Ainsi, à Sens, plus de 7 livres sont dépensées dès 1495 pour la réparation des murs du cimetière. À Sens comme ailleurs, les fréquentes réparations pourraient révéler une certaine fragilité du matériau, mais elles signalent surtout un bon entretien du mur, d’autant que ce sont généralement les crues d’hiver qui sont à l’origine des dégradations.

  • 25 Presque partout et non pas partout, car trois portes monumentales conservées datent des xive ou xv(...)
  • 26 Aucune porte monumentale du xvie siècle n’a été conservée, et il en est de même pour le xviie d’ai (...)

22Par contre, il n’est quasiment jamais question de la réparation des « passees » qui permettent d’entrer dans le cimetière, mais presque toujours de leur réalisation, ce qui paraît être le signe d’une nouveauté. Dans sa forme la plus simple, la « passee » est un « passaige de pierre ». Il s’agit généralement d’une ou de quelques grosse(s) pierre(s) empêchant le passage des animaux mais permettant aux paroissiens d’entrer dans l’enclos en enjambant l’obstacle. À Saint-Gondran, en 1601, il est prévu de « faire mettre unne passes de piere avecq deulx marches de chaincun costé de lad. muraigle ». Cette pierre n’est pas simplement posée, la « passee » étant toujours « masonnee ». L’entrée principale, suffisamment large pour laisser passer les chariots lors des travaux de réparation de l’église, est, elle, aménagée de façon spécifique, et il s’agit là presque partout, de façon certaine, d’une nouveauté25. À Landavran, l’encadrement, réalisé en 1533/1534, est en bois, surmonté d’une pièce horizontale qui forme une sorte de chapiteau rudimentaire et qui est recouvert d’ardoise. Les portails monumentaux constitués exclusivement en pierre semblent peu nombreux. Il en existe peut-être un à La Fontenelle, enclave du diocèse de Dol dans le nord du diocèse de Rennes. En effet, en 1604, le maçon Guillaume Bigot reçoit 49 livres « pour avoir rediffié le portal du simitiere […] et racoustré […] aultres murailles26 ». Désormais, d’après les comptes de fabrique, les portes en bois (souvent au nombre de deux, comme à La Fontenelle) qui sont abritées par ces portails sont fermées à clé. Cela achève la clôture de l’espace, comme le font les portes de l’église et le chancel, et permet d’insister, là aussi, sur le caractère sacré et non profane de l’espace considéré.

  • 27 De fait, l’ossuaire n’est en rien une spécificité bas-bretonne et ne présente aucun caractère « ce (...)
  • 28 Cf. Photographie 12.

23L’autre nouveauté, cette fois sans précédent, est l’ossuaire27, qui apparaît au début du xvie siècle. À Saint-Sulpice de Fougères, 30 livres sont dépensées en 1515 « pour la faczon du reliquayre a ossemens qui a esté faict ou cymitiere joignant le pignon » d’une des nouvelles chapelles de l’église. Il est réalisé en pierre et est couvert par une charpente en bois. Il comporte trois pinacles, et chacun est surmonté par une croix de fer. C’est ce modèle qui se répand dans les paroisses au long du siècle, avec, semble-t-il, une certaine avance pour le diocèse de Rennes. À Gévezé, dans le diocèse de Rennes, l’ossuaire est refait de 1594 à 1596, pour plus de 200 livres. La somme est nettement plus faible à Domalain, dans le sud du pays de Vitré, quand il s’agit d’en bâtir un pour le « petit cimetiere ». Mais la somme était faible également (une quinzaine de livres) lorsque les paroissiens de Gévezé avaient fait réaliser, cette fois dans l’unique cimetière, attenant à l’église paroissiale, un premier ossuaire dans les années 1550, et il s’agissait alors sans doute d’un appentis assez simple surmontant un porche sud28. C’est probablement un ossuaire de ce type que désirent les paroissiens de Saint-Gondran, dans le diocèse de Saint-Malo cette fois, lorsque, en février 1599, ils décident de faire édifier en même temps un porche. Accueillant les os des trépassés, une fois les corps décomposés, l’ossuaire forme un nouvel espace clos, et cette nouveauté pourrait de même exprimer la diffusion de cette conception qui consiste à séparer, dans l’espace, le profane du sacré, les corps des défunts étant placés dans un espace dont le caractère sacré est renforcé (l’ossuaire se trouvant lui-même à l’intérieur de l’enclos).

  • 29 Déceneux M., « Le grand calvaire breton. Une formule née dans le haut pays », Ar Men, n° 132, 2003 (...)
  • 30 Ibidem, p. 41.
  • 31 Il semble cependant, d’après quelques restes archéologiques, que d’autres calvaires de ce type aie (...)
  • 32 Blot R., « Le calvaire de La Nouaye », La vie diocésaine, 1992, n° 7, p. 191, et « Croix et calvai (...)
  • 33 La croix d’enclos de Landavran est en tout cas en bois au milieu du xvie siècle.

24Le caractère essentiellement, voire exclusivement, sacré du cimetière semble assez bien intégré à la fin du siècle, puisqu’à Helléan, près de Josselin, lorsque les paroissiens délibèrent à propos du fouage en 1597, ils le font « au davant de la principalle breche et passe du simitere […], hors terre saincte, lieu acoustumé ». Le cimetière accueille une grande croix qui, elle aussi, vise à matérialiser le caractère sacré de l’espace. Marc Déceneux a montré qu’en Bretagne le grand calvaire est une formule née dans la région gallèse, au début du xive siècle dans le Poudouvre, et au début du siècle suivant au sud-ouest de Rennes, essentiellement dans la partie la plus orientale du diocèse de Saint-Malo29. Dans ces régions exercent des ateliers qui donnent une grande force expressive aux personnages représentés, et qui savent rendre lisibles des conceptions théologiques assez élaborées. Leur savoir-faire est visiblement transmis en Basse-Bretagne30, mais disparaît en pays gallo dans la seconde moitié du xve siècle. Le calvaire de La Nouaye, au nord de Montfort, constitue le seul calvaire du xvie siècle qui ait été conservé31. Il comprend un triple emmarchement, un autel et un socle. Sur celui-ci sont représentés les symboles des évangélistes, ainsi que sainte Véronique tenant le voile sur lequel est empreinte l’image de la Sainte Face, tandis qu’une Pietà est représentée sur le fût. Roger Blot a trouvé deux parties hautes, ce qui signifie soit qu’il y en a eu deux successives, soit qu’il a existé deux calvaires32. Toutes deux sont à double croisillon et comportent les larrons. Sur l’une d’elles, le Christ est entouré par la Vierge et saint Jean, tandis que l’Esprit Saint descend sous la forme d’une colombe. Des croix conservées, et que nous pouvons dater avec certitude comme étant du xvie siècle, un nombre important sont des croix d’enclos, qui traduisent, à la suite de celles du xve siècle, le renforcement de l’intérêt porté à l’enclos paroissial, qui accueillait peut-être auparavant, dans un nombre inconnu de cas, une croix de bois33. Si la plupart de ces nouvelles croix semblent financées par les fabriques, quelques-unes le sont par des recteurs, comme à Roz-Landrieux en 1586.

  • 34 Blécon J., « Les croix rurales du canton de Guer », MSHAB, t. lvii, 1980, p. 128-161. À l’issue de (...)

25En dehors de l’enclos paroissial, d’autres croix monumentales balisent le territoire. Du fait d’une certaine rareté des dates portées avant le xviie siècle, mais aussi du fait du nombre important de disparitions et de déplacements, conclusion qui apparaît avec évidence à la lecture du travail approfondi de Jean Blécon sur les croix rurales de l’actuel canton de Guer34, une étude de réseau apparaît absolument impossible.

  • 35 C’est la conclusion de Jean Blécon (ibidem).
  • 36 Ropartz S., notice sur la ville de Ploërmel, 1864, rééd. Paris, 1999, p. 74. Cf. Photographie 13.
  • 37 Martin H., « La fonction polyvalente des croix à la fin du Moyen Âge », Espace et le sacré (L’), n (...)

26La plupart des croix conservées sont en granit et comportent à l’avers le Christ en croix et au revers une Vierge à l’Enfant. Parfois, le revers porte une Pietà, tandis qu’à l’avers la Vierge et saint Jean encadrent le Christ. En dehors des pays granitiques, les croix sont moins nombreuses. Le schiste, dominant dans le sud du diocèse de SaintMalo, ne se prête pas facilement à la sculpture, et les croix-palis sont donc généralement dépourvues de décor ; de toute façon, la plupart d’entre elles ne seraient pas antérieures au xviie siècle35. Quant aux croix de grès qui ont été réalisées au xve siècle dans le bassin rennais, elles restent sans descendance au siècle suivant. Lorsque l’épigraphie permet d’identifier le commanditaire, il apparaît que celui-ci est généralement un particulier. À Roz-Landrieux, le blason de la famille du Han, qui possède, dans la même paroisse, le manoir de La Mettrie du Han, figure sur une croix placée au lieu-dit Le Prieuré, aux limites de la seigneurie. À Ploërmel, vaste paroisse qui comprend à la fois une ville, des faubourgs et des campagnes, des croix marquent les limites du territoire exempt de fouages, les campagnes payant seules cet impôt36. Ainsi, et en dehors du cas de l’enclos, les croix marquent les limites des banlieues urbaines, des propriétés, des terroirs, sont des repères le long des chemins ou des carrefours, et constituent en même temps un moyen d’affirmation d’un pouvoir ou d’un prestige social. Cela ne les empêche évidemment pas de sacraliser l’espace, et d’avoir ainsi, comme l’écrit Hervé Martin, une « fonction polyvalente37 ».

Sacré et profane. L’affrontement, déjà, de deux conceptions, et son inscription dans l’espace

  • 38 Nassiet M., « Signes de parenté, signes de seigneurie : un système idéologique (xvexvie siècle) » (...)
  • 39 « Claude Lévi-Strauss appelant “maison” une personne morale, détentrice de biens matériels et imma (...)
  • 40 Nassiet M., art. cit., p. 214.
  • 41 Ibidem, p. 211.
  • 42 Leguay J.-P., Martin H., Fastes et malheurs de la Bretagne ducale. 1213-1532, Rennes, 1982, p. 347
  • 43 Nassiet M., art. cit., p. 184.
  • 44 Ibidem, p. 216.
  • 45 Du Fail N., Sauvageau M., Chapel, Les plus solennels arrests et reglemens donnez au Parlement de B (...)

27« Il est notoire par des milliers de pièces de procédures des siècles passez, particulièrement depuis 1480 jusqu’en 1539, que la noblesse de cette province, s’étant abandonnée à l’ambition de se distinguer dans les églises par des prééminences et prérogatives de places […], la province se vit troublée, non seulement par une infinité de procès […] mais aussi par des querelles. » Ainsi écrit Hevin, célèbre jurisconsulte, et Michel Nassiet le cite en exergue de son étude sur le « système idéologique » de la noblesse bretonne aux xve et xvie siècles38. Dans cette étude, Michel Nassiet montre à quel point le blason est un système signifiant, véritable discours sur l’alliance et la parenté, élément fondamental, donc, de cette « société à maisons » – reprenant ici la définition avancée par Claude Levi-Strauss39 – qu’est la noblesse bretonne des xve et xvie siècles. Désignant la lignée, le blason, placé en certains endroits, « fonctionne comme un signifiant auquel est associé un autre signifié, le signifié de connotation, ici les seigneuries40 », et par son emplacement il renvoie donc aux pouvoirs de commandement. Or, l’église constitue un espace public « offrant des supports, murs, vitraux, où les blasons pouvaient être exhibés41 », d’où l’importance des prééminences d’église. Celles-ci se traduisent par la possession d’une litre, normalement réservée au fondateur, d’enfeux, de bancs, d’armoiries placées sur les murs ou sur les vitraux, ou de chapelles, le tout selon un système hiérarchisé, donnant par exemple plus d’importance au chœur puis aux chapelles qu’à la nef. Si tous ces éléments ne sont pas une nouveauté du xve siècle, ils se multiplient à la fin de ce siècle, aboutissant à ce qu’Hervé Martin appelle une « privatisation partielle de l’espace religieux42 ». Cette multiplication des signes s’accompagne d’un accroissement des conflits, signalé par Hévin. Ainsi, en 1513, au Châtellier, les membres de deux familles, armés, s’opposent dans l’église au moment d’une inhumation, le combat n’étant évité que de justesse43. En effet, si une prééminence peut faire l’objet d’une rivalité, c’est aussi parce qu’à terme l’enjeu peut « devenir la seigneurie désignée par cette prééminence44 ». En 1539, un édit royal interdit toute nouvelle possession, si ce n’est pour le patron fondateur. Il est suivi en 1567 d’un arrêt du Parlement de Bretagne faisant, de même, « defenses a tous de quelque condition qu’ils soient, s’attribuer droit de preeminences, bancs, accodouers, escabeaux, ne autres prerogatives au dedans des eglises, s’ils ne sont patrons ou fondateurs d’icelles, et qu’ils en fassent promptement aparoir par titres45 ».

28Dès le début du xvie siècle, les membres de l’élite roturière cherchent à imiter la forme des prééminences d’églises. D’assez nombreuses marques de marchands apparaissent sur les murs des églises de Dinan et de Vitré, imitant en quelque sorte les blasons. Par ailleurs, de simples sieurs acquièrent une tombe prohibitive et font placer une dalle funéraire. Dans l’église Saint-Sulpice de Fougères subsistent quinze tombes portant une date du xvie siècle, à chaque fois postérieure à 1550. La totalité d’entre elles, à l’exception de deux, désignent un sieur et/ou son épouse, qui souvent, d’après les inscriptions, ont fondé des messes. Toutes ces dalles sont placées en bas de nef ou sur les bas-côtés. Une des deux autres dalles ne porte qu’une date, le nom du défunt ayant été effacé, et dans le dernier cas il s’agit d’un « chevalier », dont la dalle est placée juste à l’entrée du jubé. C’est ainsi une véritable géographie sociale que dessine la répartition des dalles funéraires dans les églises urbaines, les titulaires de sieuries, s’ils cherchent à imiter la forme des prééminences, ne pouvant être confondus avec ceux des seigneuries.

29Même si elles ne peuvent acquérir une tombe prohibitive, plusieurs personnes réussissent, moyennant le versement d’un droit à la fabrique et au recteur, à se faire inhumer dans l’église, alors que la majorité des paroissiens sont enterrés dans le cimetière. Les sépultures dans l’église – ou sous le porche – concernent cinq à dix personnes par an à Chavagne, petite paroisse située près de Rennes, et une petite trentaine de personnes par an à Montauban, gros bourg du diocèse de Saint-Malo. La nef n’est pas seule concernée puisqu’à Sens, en 1515, 4 sous sont dépensées « pour avoir abiglé [réparé] les tombeaulx du chanceau », mais il s’agit alors, exclusivement, des tombes des seigneurs et des prêtres.

30Face à la « privatisation partielle de l’espace religieux » qui se développe au xve siècle, l’évêque de Rennes Jacques d’Espinay réagit en 1464 en interdisant désormais de placer des armoiries dans les églises sans son autorisation. En 1496, l’évêque de Saint-Malo Guillaume Briçonnet interdit de placer dans les églises des bancs, des tombes et de nouvelles armoiries, interdiction reprise, en français cette fois, par son fils et successeur Denis Briçonnet, dans des statuts synodaux promulgués en 1515. Cependant, il est aisé d’imaginer les difficultés d’application de telles mesures, et l’édit de 1539 a en la matière beaucoup plus d’efficacité que les décisions épiscopales. Les mêmes statuts synodaux de Denis Briçonnet rappellent qu’il est nécessaire « que les cymetieres soient avironnez de murs pour garder les bestes d’y entrer », qu’un chancel doit être placé « devant le cueur pour garder la presse des gens lais [laïcs] », « qu’il y ait bonnes portes et huys [serrures] fermant de bonnes clefs a l’eglise, et que l’on ne garde nulles choses profanes a l’eglise, neantmoins qu’ils soient aux curez, sinon en cas de necessité pour obvier a feu ou autres ruyne ». À travers toutes ces mesures, il s’agit d’instaurer une stricte séparation spatiale entre le monde profane et le monde sacré, et de faire ainsi en sorte que l’église ne soit une maison publique que dans le domaine religieux. Il existe donc bien deux conceptions qui s’affrontent, et la nouvelle conception paraît l’emporter au xvie siècle de façon nettement plus sensible qu’il n’a été parfois dit.

31En revanche, les politiques épiscopales achoppent partiellement sur la question des prééminences d’église, même si les problèmes sont en partie réglés par l’édit de 1539. La question des inhumations dans le bâtiment de culte se présente de façon assez semblable, dans la mesure où il s’agit là aussi d’une forme de privatisation de l’espace sacré, du moins lorsqu’une dalle funéraire est apposée. En 1514, à Saint-Sulpice de Fougères, « les vicaires » de l’évêque de Rennes ordonnent qu’une « tumbe soit bessee au ras du pavement ». À Gévezé, les dépenses en « pavé » ayant été assez importantes en 1581/1582, l’examinateur du compte « ordonne que par cy appres ceulx qui seroint ensepulturez en l’egllize, leur heritiers la feront repavez a leurs frais », mais cette décision n’est guère suivie d’effet dans les années suivantes.

Les aspects matériels du culte

Les objets du culte, un type de culture matérielle aux usages spécifiques

32Aux xve et xvie siècles, plusieurs comptes de fabrique commencent ou se terminent par un inventaire des ornements. L’ordre de classement des objets est souvent le même d’une paroisse à l’autre. À Louvigné-de-Bais, par exemple, en 1504, les calices et les ciboires viennent en premier, car ils contiennent le Corps et le Sang du Christ, puis c’est le tour des vêtements, linges et garnitures, des livres liturgiques, des encensoirs et des chandeliers, des bannières et des croix, enfin des objets divers, luminaire compris. À Taillis, en 1537, la liste des ornements se clôt sur l’équipement des « élus » qui constituent la milice paroissiale. Or, si cet équipement appartient bien à la paroisse, il ne peut sur le principe appartenir à la fabrique, qui ne doit se charger que des aspects religieux. Mais ce n’est que dans les années 1570 qu’à Taillis la catégorie « ornemens de guerre » disparaît.

33Quels qu’ils soient, les objets sont rangés dans des coffres. L’inventaire dressé à Taillis en décembre 1537 signale « ung coffre » et « deux huges » (grands coffres) de « boays de chesne, ferment o [avec] cleff et claveure [serrure] ». Tous les coffres possèdent des « bandes de fer » et plusieurs serrures, souvent trois. Les clés sont donc nombreuses, certaines étant conservées par les trésoriers et d’autres par les ecclésiastiques. Les ornements sont répartis dans les coffres en fonction de leur nature, et les objets sont posés les uns sur les autres. En l’absence de « segretainerie » (ancêtre de la sacristie), les coffres sont placés dans le chanceau, puis ils sont transportés dans la tour une fois celle-ci construite, et sont alors à l’abri derrière une nouvelle porte. C’est que les vols et tentatives de vols ne sont pas rares, constituant une des raisons principales de la fermeture des portes de l’église, le soir venu.

34Il faut noter, dans l’ensemble, le bon état dans lequel se trouvent les objets du culte. Ainsi, à Louvigné-de-Bais, en 1504, seuls des surplis et serviettes sont « cassez et non servans », situation que l’on constate dans bien des paroisses. En effet, les objets abîmés sont presque systématiquement réparés. Lorsqu’ils sont trop vieux ou trop abîmés, ils sont souvent échangés, notamment lorsqu’il s’agit de pièces d’orfèvrerie. Les nouveaux objets sont systématiquement bénis. Pour ce faire, les trésoriers les portent dans la ville épiscopale ou ailleurs, en fonction des visites de l’évêque ou du vicaire général, et pas nécessairement dans le diocèse d’appartenance de la paroisse. En 1586/1587, les trésoriers de Montauban, paroisse située dans le diocèse de Saint-Malo mais dans le bassin de Rennes, versent 66 sous pour les « depans de deulx homes et d’un cheval, qui porterent grand numbre de linge neuf a Rennes pour faire benaquir [bénir] ».

35Dans toutes les paroisses, l’orfèvrerie représente une partie importante des objets destinés à l’exercice du culte. En 1540, il y a à Saint-Aubin-des-Landes, dans le pays de Vitré, trois calices d’argent doré et trois d’étain, un ciboire d’étain et un de cuivre, une croix d’argent doré et deux de cuivre. À Paramé, près de Saint-Malo, il y a en 1574 « une grande croix d’argent que l’on porte en procession », deux calices d’argent doré et un d’étain, trois ciboires d’argent. La hiérarchie ecclésiastique se montre assez peu exigeante sur ce sujet. Dans les statuts synodaux qu’il promulgue en 1515, l’évêque de Saint-Malo Denis Briçonnet exige la présence dans chaque paroisse de « deux croix portatives, un ensensouer, deux chandeliers » et « ung calice d’argent », mais tolère visiblement les calices d’étain. De ce fait, toutes les paroisses pour lesquelles ont été conservés des inventaires d’ornements se trouvent en conformité avec ces normes.

36L’achat de ces objets représente évidemment une somme très importante pour les fabriques. L’achat d’une croix de procession en argent, à Sens, dans le diocèse de Rennes, en 1498, représente une dépense de 120 livres, alors qu’en général le montant total des dépenses d’une année se monte à un peu plus d’une vingtaine de livres. Aussi s’avère-t-il intéressant de se pencher sur la commande. Tout d’abord, les trésoriers, « par commandement des paroessiens dud. lieu de Sens, furent envoyer a Gonné [Gosné]querir une crouez pour la voyer [voir] a y prendre patron [modèle] ». Puis un trésorier et trois autres paroissiens sont « envoyés a Rennes parler ovecques les orfebvres pour faire lad. crouez, et auxi ovecques monsieur le chancelier luy savoir si c’estoit son plaisir d’y donnez sa volunté, et furent quatre jours pour parvenir a parler ovecque led. chancelier, et auxi pour voyer les crouez de la ville pour y prendre patron ». Le même trésorier et un de ces paroissiens retournent à Rennes pour discuter avec un orfèvre afin de « scavoir si prendroit la charge de lad. crouez au pris de XII livres le marc ». Celui-ci acceptant, « retournerent une aultre foiz lesd. thesauriés », accompagnés de deux ecclésiastiques et six paroissiens, dont deux hommes qui avaient fait le premier voyage, « pour marchander ovecques led. Raullet Martin de faire la crouez, luy baillez le divis, et auxi luy baillez et prendre obligacion chacun de sa part ». Par la suite, de l’argent est versé à l’orfèvre « a deux termes ». Enfin, « lors que la crouez fut preste a coustre sur le bouays [bâton de bois] pour la voyer, peser, coustre et achever », le même trésorier retourne à Rennes avec un ecclésiastique et trois autres paroissiens. Tous les éléments présents ici se retrouvent dans les autres commandes importantes de pièces d’orfèvrerie, quelle que soit la paroisse : interviennent toujours les trésoriers, les paroissiens ou une partie d’entre eux, le clergé local et la hiérarchie ecclésiastique. Quant aux orfèvres, il y en a à Dinan, Fougères, Vitré, Rennes et Saint-Malo.

37Bien plus cher encore que les objets d’orfèvrerie est l’orgue, instrument de musique que seules les paroisses urbaines les plus riches possèdent. C’est le cas, en dehors des villes épiscopales, de Saint-Léonard de Fougères, peut-être à partir du début du xvie siècle, probablement de Notre-Dame de Vitré, mais nous ne disposons d’aucune information à ce sujet, et, de façon certaine cette fois, de Saint-Sulpice de Fougères, à partir des années 1440, date évidemment précoce et qui illustre bien la richesse de la paroisse.

Textile et sacré, ou la paramentique au service de l’histoire

  • 46 Chasuble : vêtement porté par-dessus tous les autres par le prêtre qui célèbre la messe.
  • 47 Dalmatique : vêtement porté par-dessus tous les autres par le diacre et le sous-diacre lors de la (...)

38Pour les bannières, vêtements et linges liturgiques comme pour l’orfèvrerie, l’investissement financier, que nous pouvons mesurer grâce aux comptes de fabrique, est assez lourd pour les paroisses. L’achat d’une bannière neuve, à Gévezé, en 1573/1574, s’élève à 150 livres, sans compter l’étui, alors que les années précédentes le total des dépenses de la fabrique s’élève en moyenne à un peu plus d’une cinquantaine de livres. Le coût des vêtements liturgiques est moindre, mais non négligeable, puisque les trésoriers de Taillis, dans le pays de Vitré, dépensent 26 livres en 1565 « pour abvoir faict racoustrer [raccommoder] les ornementz de lad. eglise, scavoir les chassibles [chasubles46] et daulmoaires [dalmatiques47] de velours, tant pour velours, soys, passement, fil, et pour la paye et despens ».

  • 48 Étole : longue bande d’étoffe portée autour du cou par le célébrant et les desservants à la messe (...)
  • 49 Manipule : bande d’étoffe portée sur le bras gauche par le célébrant et les desservants lors de la (...)
  • 50 Surplis : vêtement de dessus, constitué de toile fine, porté par les membres du clergé en dehors d (...)
  • 51 Aube : vêtement de dessous, en toile de lin ou de chanvre, que portent les clercs pour célébrer la (...)
  • 52 Amict : Pièce de tissu blanc portée sous une aube, servant à en protéger le col aussi bien qu’à pr (...)
  • 53 Voir Lagadec Y., Restif B., « Pouvoir et religion dans une paroisse rurale de Haute-Bretagne au xv (...)
  • 54 Courtine : rideau placé sur le côté d’un autel (deux courtines encadrent alors l’autel) ou, éventu (...)
  • 55 Costumes de statues : vêtements placés sur les statues les plus vénérées. Ce sont souvent des robe (...)
  • 56 Ainsi, il y a à Saint-Sulpice de Fougères, en 1503, 12 courtines et rideaux, sans compter les tapi (...)
  • 57 Aribaud Ch., Soieries en sacristie : fastes liturgiques, xviie-xviiie siècles, Paris/Toulouse, 199 (...)

39Malgré l’investissement financier que représentent ces ornements, la plupart des paroisses sont bien pourvues dès le début du xvie siècle, ce que nous révèlent les inventaires d’ornements parfois joints aux comptes de fabrique. Ainsi, à Louvigné-de-Bais, dans le pays de Vitré, on compte en 1503/1504 2 bannières, 11 chasubles, sans doute 10 dalmatiques, presque toutes pourvues d’étoles48 et de manipules49, 21 surplis50, 37 aubes51, 46 amicts52, 64 nappes53. Les paroisses urbaines sont encore mieux pourvues, en quantité et en qualité, et les différences portent d’abord sur les courtines54, les parements d’autel, les costumes de statues55, ainsi que le nombre de vêtements liturgiques56. Mais les situations sont diverses car une paroisse moins riche comme celle de Sens, dans le nord du diocèse de Rennes, ne possède, toujours en 1503, que 3 chasubles. Par ailleurs, l’évolution chronologique ne se traduit pas nécessairement par un accroissement quantitatif, mais nombre de paroisses de Haute-Bretagne apparaissent au xvie siècle mieux pourvues que celles du Haut-Languedoc au siècle suivant57.

  • 58 C’est le cas, par exemple, des statuts synodaux de l’évêque de Saint-Malo Denis Briçonnet, en 1515

40À l’achat lui-même s’ajoutent les frais d’entretien (ainsi doit-on régulièrement faire appel à des « cousturiers ») et de nettoyage. En effet, deux fois par an en général, des femmes sont payées pour nettoyer le linge, à l’exception des corporaux, linges placés pendant la messe sous les objets contenant les Saintes Espèces et sous les hosties, et qui, du fait de ce contact, ne peuvent, insistent les statuts synodaux58, être lavés que par des ecclésiastiques. Pour réduire les coûts, les trésoriers d’un certain nombre de paroisses achètent de la toile, du fil et certaines étoffes, et ce sont des artisans locaux, voire, comme à Paramé, les paroissiens eux-mêmes, qui réalisent certains vêtements et linges liturgiques, tels les surplis, les aubes ou les nappes. Tous, ensuite, sont bénits.

41Si des artisans locaux ou des paroissiens confectionnent certains linges et vêtements, il n’en va pas de même pour les objets, notamment les bannières et les chasubles, que seuls les brodeurs peuvent réaliser. Il apparaît que ceux-ci résident presque tous à Rennes, et le recours à leurs services forme une aire d’influence de la ville, qui est d’abord une zone de rayonnement économique. Celle-ci couvre la totalité des diocèses de Rennes et de Dol, ainsi que l’essentiel du diocèse de Saint-Malo. Nous trouvons bien quelques brodeurs dans les principales autres villes, à savoir Vitré, Fougères et, dans une moindre mesure, Saint-Malo et Dinan, mais ils sont bien peu nombreux et ils se trouvent en concurrence directe avec ceux de Rennes. Notons au passage que des brodeurs rennais se déplacent dans les paroisses rurales, sans doute sur demande des trésoriers de fabrique, pour établir certains marchés puis livrer des ornements. La distance maximale du rayonnement de la ville en la matière s’élève à une soixantaine de kilomètres.

42La question du choix des ornements, et donc de la commande, constitue une entrée essentielle pour saisir aussi bien le jeu des pouvoirs dans le cadre de la paroisse que certaines circulations dans le domaine artistique et culturel. Dans le choix des vêtements et linges liturgiques interviennent évidemment les prescriptions de la hiérarchie ecclésiastique qui, comme pour les autres objets du culte, se montre peu exigeante au xvie siècle. Ainsi, l’évêque de Saint-Malo Denis Briçonnet se contente en 1515 de rappeler la nécessaire présence de « trois nappes pour le moins pour l’autel, deux ou trois corporaux, deux torchemains […], et qu’il y ait pour le moins deux peres d’abillement devant nommez pour dire les messes, et deux surpelis », prescriptions déjà fort anciennes et largement respectées dans l’ensemble des paroisses pour lesquelles nous avons conservé des inventaires d’ornements. Quelques vicaires généraux savent cependant se montrer un peu plus exigeants, et les trésoriers de Sens, dans le diocèse de Rennes, reçoivent, en 1514/1515, une « injunction » du vicaire général qui leur demande d’acquérir deux étoles, trois manipules et deux chandeliers de cuivre, tous neufs.

43Pour autant, les paroissiens jouent également un rôle dans le choix des bannières, linges et vêtements. Les goûts de la société laïque interviennent aussi par le biais des dons, qui constituent pour partie une forme d’évergétisme nobiliaire, ce qui fait que certaines chasubles portent des armoiries. Dans les paroisses urbaines, les dons sont également le fait des bourgeois, et l’on compte 21 dons de vêtements et de linges pendant les trois années du compte qui court de 1521 à 1524 à Saint-Sulpice de Fougères. Mentionnons enfin les dons effectués par des ecclésiastiques. L’inventaire des ornements dressé à Louvigné-de-Bais en 1504 montre qu’ils concernent une chasuble et une « chapelle », c’est-à-dire un ensemble composé d’une chasuble et de deux dalmatiques, accompagnées d’étoles et de manipules. Les testaments, et notamment les fondations testamentaires, constituent aussi, surtout pour les ecclésiastiques, l’occasion d’effectuer ce genre de dons.

  • 59 Damas : étoffe tissée dont les mêmes dessins apparaissent à l’endroit en satin sur fond de taffeta (...)

44De nombreux acteurs interviennent donc dans le choix des ornements, et ce n’est que dans ce contexte qu’il convient d’étudier les tissus, les couleurs et les ornementations, en lien avec l’usage liturgique des objets. La bannière principale d’une paroisse est presque toujours de velours ou de damas59 rouge, ce qui s’explique à la fois par l’association de cette couleur au sang du Crucifié qui figure toujours sur ces bannières et par le prestige de la couleur pourpre, choisie pour un objet qui est d’abord le symbole de la paroisse. La Vierge et saint Jean encadrent souvent le Christ, tandis que le saint patron figure sur l’autre face. Notons enfin que ces bannières sont ornées de fils d’or ou d’argent.

  • 60 Le bleu sert à remplacer le violet ou le blanc.

45Si l’on considère ce qu’il en est des chasubles, on peut constater qu’à Louvigné-de-Bais, en 1504, toutes les couleurs sont représentées, même le bleu, mais l’acquisition du violet est récente. Il faut noter cependant l’absence de dalmatiques de couleur rouge ou verte. Il existe à l’inverse une chasuble « de pluseurs couleurs », qui est sans doute d’usage polyvalent, ce qui n’est guère étonnant vu le caractère encore relativement souple des prescriptions liturgiques. Par ailleurs, seules certaines chasubles ne sont pas en soie. Cette paroisse est donc très bien fournie, mais cette situation n’a rien d’exceptionnel : c’est le cas de presque toutes les paroisses pour lesquelles nous avons conservé des inventaires d’ornements, même si le blanc n’est parfois acquis qu’au début du xvie siècle, le bleu n’apparaissant quant à lui que rarement, ce qui n’est pas étonnant dans la mesure où il ne s’agit pas d’une couleur liturgique à proprement parler60. Ajoutons que, partout, la majeure partie des vêtements apparaissent en bon état, ce qui s’explique notamment par la régularité des réparations, mais aussi par une forme de recyclage : ainsi, à Gévezé, en 1621/1622, les trésoriers font « retaindre un chasuble bleuff et jaulne, et icellui mips an coulleur viollet, et fait reborder ».

  • 61 Antependium : devant d’autel en tissu (le mot désigne en fait n’importe quel devant d’autel en mat (...)

46Partout, le maître-autel et, suivant les cas, les autels latéraux, sont encadrés par des courtines, tandis que des antependiums61 sont placés sur la partie antérieure des autels. De même, dans toutes les paroisses pour lesquelles nous avons conservé des inventaires d’ornements, il existe au moins une robe pour la statue de la Vierge, parfois un vêtement pour une autre statue (ainsi une écharpe pour celle de saint Mathurin à Landavran), et des linges pour couvrir l’ensemble des statues pendant le Carême. Enfin, de plus en plus, un parement est placé sur les fonts baptismaux.

L’importance du luminaire

47Les comptes des fabriques sont marqués par l’importance des dépenses en luminaire. Dans les vingt dernières années du siècle, ces dépenses ont tendance à s’accroître, ce qui s’explique en partie par l’inflation. Celle-ci n’est toutefois pas la seule responsable de l’augmentation des dépenses, car dans l’ensemble les paroisses semblent accroître progressivement leur consommation de cire dans le dernier tiers du xvie siècle, même si, sur le plan quantitatif, un véritable palier n’est souvent franchi qu’au début du xviie siècle. En attendant, la quantité de cire consommée chaque année varie assez fortement suivant la richesse de la fabrique. En tenant compte des dons et des fondations, qui souvent ne laissent pas de traces dans les comptes de fabrique, il apparaît que, de 1570 à 1590, la quantité de cire utilisée chaque année dans l’église de Saint-Gondran est d’environ 13 livres, tandis qu’à Paramé 25 livres de cire sont achetées en 1562.

  • 62 Vincent C., Fiat Lux. Lumière et luminaires dans la vie religieuse du xiiie au xvie siècle, Paris, (...)
  • 63 Dans de nombreuses paroisses, le miel fait partie des denrées offertes par les paroissiens à la fa (...)

48Il s’agit de cire d’abeille, ainsi que le prescrit le magistère62, cire généralement produite dans la région, ce qu’atteste entre autres l’importance des offrandes de miel63. Nous ne saisissons qu’indirectement le fonctionnement du commerce de la cire, car les ciergers ne sont pas organisés en métier. Il apparaît que nombre d’entre eux résident dans les villes ou dans les principaux bourgs, mais les ciergers se déplacent aussi dans les paroisses rurales pour la « reformation du luminaire », entendons la récupération de la cire usagée, car il n’est pas question de perdre un produit aussi précieux.

  • 64 Vincent C., op. cit., p. 94-95.

49Les cierges sont décorés avec de l’« orpel », cuivre doré, et du vert-de-gris, fournis tous deux par le cierger, ce qui constitue, pour les paroisses rurales, le seul moyen de décorer les cierges avec les couleurs habituellement employées dans les cathédrales, le vert et le rouge64. Les cierges présentent une certaine diversité. Les bougies sont généralement qualifiées de « menue chandelle », désignant ainsi les pièces les plus légères. Il faut aussi compter avec les torches et flambeaux, réalisés à partir de bâtons de sapin, dont la partie supérieure est recouverte de cire, tandis que les pilets sont des bâtons sur lesquels sont posés des cierges. Du point de vue liturgique, le luminaire le plus important est celui constitué par le cierge pascal. Réalisé à l’aide d’un moule spécifique, il bénéficie également, pour le rangement, d’un étui spécialement conçu. Tous les autres sont rangés dans un casier en bois, fermant à clé.

  • 65 De ce fait, les torches sont souvent imposantes. Pour ce qui est du Corpus Domini, l’évêque de Sai (...)
  • 66 Qui a lieu le 2 février. À cette occasion, tous les assistants participent à une procession en ten (...)
  • 67 Vincent C., Fiat Lux…, op. cit., p. 460-468.

50Ces différentes formes d’emploi de la cire renvoient à des usages variés. L’achat de cire et la « reformation de la veille cire » ont lieu une, deux ou trois fois par an, toujours à Pâques, fête à laquelle peuvent s’ajouter la Chandeleur, la Fête-Dieu, l’Assomption, Noël ou la fête patronale. Les torches et flambeaux sont généralement utilisées pour les processions, à côté de la croix, ainsi qu’« a portez Corpus Domini en lad. yglise et par la paroesse », comme il est formulé explicitement dans le registre de comptes de 1506-1509 de Saint-Sulpice de Fougères65. Les pilets sont souvent utilisés lors des messes d’enterrements et des services fondés par les testateurs, notamment les trentains et annuels, mais ils peuvent l’être aussi pour certaines messes paroissiales. Les bougies sont d’usage varié. Elles servent à « alumez les cierges ». Mais c’est sans doute aussi sous forme de bougies que, chaque année et dans chaque paroisse, est distribuée aux paroissiens la « chandelle de cire » à l’occasion de la Chandeleur ou fête de la Présentation de la Vierge66. De ce fait, le luminaire acheté par la fabrique pénètre dans chaque foyer, signe à la fois d’une communion fraternelle à l’échelle de la paroisse et d’une présence de Dieu au sein de chaque famille, ces bougies ayant en même temps une fonction prophylacticque67.

51Ce sont les cierges qui constituent l’essentiel du luminaire consommé à l’intérieur de l’église. À Louvigné-de-Bais, au début du xvie siècle, les cierges placés à l’intérieur de l’église le sont en trois endroits. Ils signalent ceux-ci comme étant les plus importants, et désignent par là même ce que sont ou ce que doivent être les dévotions principales. Grâce au compte de l’année 1503/1504, nous apprenons en effet que deux chandeliers sont placés sur le maître-autel, auxquels s’ajoutent deux cierges placés de chaque côté de l’autel, et sept cierges, placés sur des plats d’étain, suspendus au-dessus du même autel. Quatre autres cierges placés sur des plats d’étain, un grand et trois petits, sont suspendus devant le crucifix de la poutre de gloire. Enfin, quatre cierges sont placés devant une statue de la Vierge. Ce schéma se retrouve partout ailleurs, avec quelques variations, notamment en ce qui concerne le nombre des cierges. La présence de cierges devant une statue de la Vierge est attestée dans l’immense majorité des cas, tandis qu’une ou deux autres statues peuvent également en bénéficier, ainsi celles de sainte Émerence et de saint Mathurin à Landavran.

  • 68 Voir à ce sujet Dendy D. R., the use of Ligths in Christian Worship, Londres, 1959, p. 128-150.

52Notons enfin, en ce qui concerne le calendrier liturgique, que le luminaire employé à Pâques est plus abondant que pendant le reste de l’année68, Chandeleur exceptée, comme l’attestent aussi bien les dates d’achat de la cire que l’existence de chandeliers utilisés exclusivement lors de cette fête, sans parler de la présence du cierge pascal. Noël vient ensuite. Dans ces deux cas, le luminaire est le signe de la présence du Christ parmi les hommes, par l’Incarnation puis par la Résurrection.

  • 69 Dans ces cas, non seulement les trésoriers n’en achètent pas, mais la paroisse ne possède même pas (...)
  • 70 Vincent C., op. cit., p. 74-75. En Haute-Bretagne, c’est en 1619 que l’évêque de Saint-Malo Guilla (...)
  • 71 Pour Saint-Sulpice de Fougères, l’existence d’une veilleuse du Saint-Sacrement est attestée à part (...)

53Dans cette optique, à la fin du xve siècle, l’évêque de Saint-Malo Guillaume Briçonnet ordonne, « sur peine de cent sols d’amende, que en chacune eglise parrochiale, il seroit mis une lampe ardente jour et nuyt devant le sacraire », comme le formulent en 1515, en français et non plus en latin, les statuts synodaux de son fils et successeur. Il est précisé que « cette lampe sera entretenue aux despens de la fabrique si les facultez le pevent porter », sans qu’il soit envisagé d’autres sources de financement au cas où la fabrique ne présenterait pas ces possibilités financières. Et, dans les faits, qu’il s’agisse du diocèse de Saint-Malo ou de ceux de Rennes et de Dol, la situation est très variable suivant les paroisses. Dans de nombreuses paroisses rurales de ces diocèses, il n’y a pas – ou quasiment pas – de consommation d’huile avant les années 161069. Il faut dire qu’il n’est guère aisé de trouver de l’huile d’olive en Bretagne, si ce n’est dans le port de Saint-Malo et dans les grandes villes marchandes. Le pays de Vitré présente en la matière une particularité, car l’on y constate le caractère quasi-général de la consommation d’huile de noix, souvent dès le début du xvie siècle, ce qui s’explique probablement par sa proximité avec l’Anjou, où l’huile de noix est utilisée déjà depuis un certain temps70. Il s’agit souvent, dans ces paroisses du pays de Vitré, d’acheter deux pots par an, généralement à Pâques et à Noël, tandis que les trésoriers de Saint-Sulpice de Fougères achètent une trentaine de pots dès les premières années du xvie siècle. En tout cas, il n’y a pas, sauf dans certaines paroisses urbaines comme Saint-Sulpice de Fougères, de veilleuse permanente71. Qui plus est, les lampes ne sont pas associées de façon exclusive à la Présence réelle. Elles ont plutôt, dans les faits, la même fonction que les cierges. Ainsi, à Saint-Sulpice de Fougères, une lampe est placée devant le maître-autel, une autre devant la poutre de gloire, une autre enfin devant la statue de la Vierge. À Domalain, à la fin du siècle encore, la seule lampe de l’église est placée devant la statue de la Vierge !

Ouvrages liturgiques et autres livres religieux

54À Louvigné-de-Bais, en 1504, il y a cinq missels, deux graduels, deux antiphonaires, deux bréviaires, trois manuels et deux ordinaires, soit 16 livres liturgiques. Toujours dans le diocèse de Rennes, il y a 8 ouvrages à Taillis en 1537, à savoir quatre missels, deux manuels, un graduel et, enfin, un psautier et un antiphonaire qui sont visiblement rassemblés dans un même ouvrage. Dans le diocèse de Rennes également, mais cette fois dans une paroisse urbaine, celle de Saint-Sulpice de Fougères, il y a, en 1503, cinq missels, un « meseil manual », un manuel, deux graduels, un bréviaire, un ordinaire et deux processionnaux, soit 13 livres. Dans les années 1560, dans le diocèse de Saint-Malo, il y a dans la paroisse rurale de Saint-Gondran quatre missels, un antiphonaire et un livre de chant, sans plus de précisions, soit 6 livres. À la même époque, il y a dans la paroisse urbaine Saint-Malo de Dinan six missels, « quatre livres de chant », un processionnal, un évangéliaire, un épistolier et un prosaire, soit 14 ouvrages.

  • 72 Lepareur F., op. cit., p. 377-378.
  • 73 Gasnault P., « Les livres liturgiques conservés par les églises du diocèse de Sens à la fin du Moy (...)
  • 74 Lemaitre N., Le Rouergue flamboyant. Le clergé et les fidèles du diocèse de Rodez (1417-1563), Par (...)
  • 75 Nous ne disposons d’aucun renseignement sur les paroisses du diocèse de Dol.

55Ces listes, qui figurent sur les inventaires d’ornements, peuvent être comparées à celles qu’il a été possible de dresser, soit à partir de la même source pour d’autres régions de l’Ouest, soit à partir de visites pastorales pour des régions éloignées de la Haute-Bretagne, Rouergue et diocèse de Sens. Dans son étude du Haut-Maine au xve et au début du xvie siècle, Florence Lepareur n’a pu disposer que de deux inventaires d’ornements : l’un signale 15 ouvrages et l’autre 9, les ouvrages les plus représentés étant dans les deux cas des missels72. Pour la même époque, Pierre Gasnault estime, en s’appuyant sur des procès-verbaux de visites pastorales, que les paroisses du diocèse de Sens possédaient en moyenne 5 à 6 livres liturgiques73. Quant au diocèse de Rodez, dont les nombreux procès-verbaux de visites pastorales du xve et du début du xvie siècle ont été étudiés par Nicole Lemaitre et Jean-Loup Lemaitre74, il apparaît que le nombre de livres par paroisse est, en moyenne, de plus de 5 au milieu du xve siècle, et de près de 6 dans les années 1524-1525, ce nombre variant assez fortement selon les districts. Les ouvrages les plus représentés dans les paroisses du Rouergue sont le missel, le graduel, le bréviaire et l’ordinaire. Les paroisses des diocèses de Rennes et de Saint-Malo apparaissent donc plutôt bien pourvues75. Dans ces deux diocèses, les paroisses urbaines, celles des gros bourgs et les paroisses rurales les plus riches disposent d’une douzaine ou d’une quinzaine de livres liturgiques, les autres paroisses rurales de 5 à 8 ouvrages. Cette situation semble commune à une partie de l’Ouest, et meilleure que celle du bassin parisien et du Sud-Ouest.

  • 76 Cité par La borderie A. de, « Note sur les livres et les bibliothèques au Moyen Âge en Bretagne », (...)

56Les inventaires font apparaître un certain nombre d’ouvrages manuscrits, ce qui n’est guère étonnant pour le début du xvie siècle, d’autant que ces ouvrages doivent avoir une durée de vie assez longue. Presque tous les manuscrits sont en parchemin, et parfois même en vélin, peau de jeune veau, d’excellente qualité, mais d’un coût évidemment très élevé. Ainsi, lorsqu’en 1420 les trésoriers de Saint-Martin de Vitré passent contrat pour la réalisation d’un missel et d’un psautier, « en bon velin et de bon volume », cela leur coûte plus de 95 livres76 ! À l’inverse, lorsque les paroissiens d’Izé, dans le pays de Vitré, achètent en 1493 « ung missel de impression », cela leur coûte un peu plus de 7 livres, soit un prix plus de treize fois inférieur à celui de l’ouvrage acquis à Vitré soixante-dix ans auparavant. Cette différence de prix, très importante, explique la diffusion des ouvrages imprimés, presque tous en papier, beaucoup moins cher que le parchemin.

  • 77 Duine F., « Bréviaires et missels des églises et abbayes bretonnes de France antérieures au xviie (...)
  • 78 Ibidem, p. 72-74. Ce missel est répertorié par Robert Amiet sous le n° 566 (Amiet R., Missels et b (...)
  • 79 Bohatta H., Bibliographie der Breviere. 1501-1850, Leipzig, 1937, rééd. Stuttgart/Nieuwkoop, 1963  (...)
  • 80 Gasnault P., art. cit., p. 366.
  • 81 Je reprends ici la définition donnée par Aimé-Georges Martimort (Martimort A.-G., Les « ordines », (...)
  • 82 Aussedat-Minvielle A., Molin J.-B., Répertoire des rituels et processionnaux imprimés conservés en (...)

57Si le missel est l’ouvrage le plus présent, cela n’est guère étonnant, car il s’agit du livre qui contient les prières et les lectures nécessaires à la célébration de la messe pour l’année entière. Un des autres ouvrages les plus présents dans le diocèse de Rennes est le graduel, qui contient les pièces chantées à la messe. Mais aucun graduel n’apparaît dans les inventaires d’ornements et dans les comptes de fabrique des paroisses du diocèse de Saint-Malo, alors même que dans les statuts synodaux promulgués en 1515, l’évêque Denis Briçonnet exige « qu’il y ait ung missal, breviere et gradual, tous notez, et ung manuel a l’usage de nostre eglise » dans chaque paroisse. Il faut dire que les missels incluent souvent le contenu des autres livres de la messe, et notamment le graduel, ce qui est précisément le cas des deux missels manuscrits du xve siècle recensés par François Duine pour le diocèse de Saint-Malo77, ainsi que de celui, imprimé, de 150378. Notons qu’il est possible que des graduels, dans le diocèse de Saint-Malo, soient simplement désignés sous le nom de « livre de chant » ou sous celui d’« antiphonier », le graduel étant l’antiphonaire de la messe. Néanmoins, lorsqu’il est question d’« antiphonier », livre de chants contenant les antiennes, cela désigne normalement l’antiphonaire de l’office. Il faut en rapprocher les autres livres de chant, dont le psautier. Le livre de l’office le plus représenté est le bréviaire, qui est un recueil des textes liturgiques de l’office, choral ou privé. Il est tout à fait étonnant de ne pas en trouver dans certaines paroisses, Saint-Gondran ou Saint-Malo de Dinan, et pourtant cela est logique, car le premier bréviaire imprimé recensé pour le diocèse de Saint-Malo date de 160379. Denis Briçonnet, qui arrive dans son diocèse en 1515, apparaît donc en décalage sur ce sujet, mais il faut noter que dans le diocèse de Sens plusieurs paroisses semblent ne pas, non plus, posséder de bréviaire80. Notons enfin la présence d’ordinaires, ouvrages décrivant le cours de l’année liturgique avec ses célébrations81, dans certaines paroisses du diocèse de Rennes, et, surtout, des manuels. Il s’agit des livres utilisés pour l’administration des sacrements, c’est-à-dire de rituels, auxquels sont joints des conseils pastoraux, ce qui explique leur présence dans toutes les paroisses du diocèse de Rennes. Une fois de plus, celles du diocèse de Saint-Malo sont moins bien loties, car le premier manuel imprimé pour cet évêché date de 155782. Quant aux processionnaux, ils ne sont présents, sauf exceptions, que dans les paroisses urbaines.

  • 83 500 ans d’imprimerie en Bretagne. 1484-1985, catalogue d’exposition, Rennes, 1985, p. 22. Cet ouvr (...)
  • 84 Il s’agit du missel répertorié par Robert Amiet sous le n° 817 (Amiet R., op. cit.).
  • 85 500 ans d’imprimerie en Bretagne, op. cit., p. 22.
  • 86 Ces ouvrages sont répertoriés par Robert Amiet sous les numéros 818 à 823 (Amiet R., op. cit.).
  • 87 Ces bréviaires sont répertoriés par Hans Bohatta sous les numéros 2606 à 2608 (Bohatta H., op. cit (...)
  • 88 Répertoire des rituels et processionnaux…, op. cit., p. 242.
  • 89 Il s’agit du missel répertorié par Robert Amiet sous le numéro 358 (Amiet R., op. cit.) et des bré (...)
  • 90 Il s’agit des missels répertoriés par Robert Amiet sous les numéros 566 et 566 B (Amiet R., op. ci (...)
  • 91 Répertoire des rituels et processionnaux…, op. cit., p. 260.
  • 92 Ce qui est certain pour le diocèse de Saint-Malo, et correspond à une hypothèse pour le diocèse de (...)
  • 93 Lemaitre N., Saint Pie V, Paris, 1994, p. 179-198.

58Dès la fin du xve siècle, les évêques de Rennes profitent de la diffusion de l’imprimerie pour faire réaliser des ouvrages. Le premier ouvrage imprimé dans la capitale bretonne l’est en 1485, par Pierre Bellesculée qui, peu de temps après, quitte cette ville pour Poitiers83. Là, il y imprime, entre 1486 et 1491, un missel à l’usage du diocèse de Rennes84. Il faut attendre 1557 pour qu’un atelier d’imprimerie s’installe de façon définitive à Rennes85, mais des ouvrages sont édités dans d’autres villes. Ainsi, des missels sont imprimés à Paris en 1492, à Rouen en 1500, à Paris en 1523, à Paris de nouveau en 1531, à Auxerre en 1533 puis, enfin, à Rennes en 155786. En profitant du passage occasionnel d’éditeurs dans la capitale bretonne, des bréviaires sont imprimés à Rennes en 1512, à Paris en 1514 et à Rennes de nouveau en 153387. Des manuels sont imprimés à Rouen vers 1510, à Caen en 1533 et à Rennes en 155788. Les comptes de fabrique permettent de saisir la diffusion de ces ouvrages dans les paroisses. Il s’écoule souvent quelques années entre l’édition d’un ouvrage et son acquisition. Ainsi, les trésoriers de Saint-Aubin-des-Landes achètent un manuel en 1538/1539, ceux de Sens achètent un missel en 1508/1509 et ceux de Chavagne acquièrent un missel en 1547/1548. Ceci dit, la diffusion des ouvrages ne fait aucun doute. Les trésoriers de Gévezé achètent deux missels en 1564, deux autres en 1576 et deux autres encore en 1581. Par contre, les impressions d’ouvrages sont nettement moins importantes en ce qui concerne les diocèses de Dol et de Saint-Malo. Pour ce qui est du diocèse de Dol, des missels sont imprimés en 1502, des bréviaires en 1519 et vers 152089, puis il n’y a plus d’édition d’ouvrages pour le reste du xvie siècle. En ce qui concerne le diocèse de Saint-Malo, des missels sont imprimés en 1503 puis vers 153090, un manuel en 155791, tandis qu’aucun bréviaire n’est édité avant le xviie siècle. Au fur et à mesure que se déroule le siècle, les paroisses des diocèses de Rennes sont donc de mieux en mieux pourvues, à l’inverse des paroisses des deux autres diocèses92. En 1588, l’évêque de Rennes Aymar Hennequin fait éditer un nouveau missel, destiné à introduire la réforme liturgique réalisée par Pie V en 1570 à la suite du concile de Trente93. Quelques mois plus tard, les trésoriers de Gévezé achètent un exemplaire de ce missel, « yceluy de la reformation nouvelle ». Mais, bien souvent, et comme pour les ouvrages précédemment édités, l’acquisition se fait avec quelques années de retard, en 1593 à Landavran, en 1601 à Saint-Brice-en-Coglès.

59En dehors des ouvrages liturgiques, quelques autres livres sont mentionnés dans les inventaires d’ornements de la fin du xve et du début du xvie siècle. Il s’agit d’une part des statuts synodaux et des recueils de décisions conciliaires de la province de Tours, généralement signalés comme étant « en la garde » des prêtres, d’autre part des légendaires, comme la Légende dorée signalée à Saint-Aubin-du-Cormier à la fin du xve siècle, qui servent peut-être à une lecture publique dans le cadre de sermons. Les uns comme les autres disparaissent des inventaires dès avant le milieu du xvie siècle. Il est possible d’imaginer qu’ils constituent désormais la propriété de prêtres, essentiellement du recteur, mais il est également probable que l’emploi des légendaires se raréfie, d’autant qu’aucun ouvrage de ce type n’est acheté par les fabriques au xvie siècle.

L’église paroissiale au centre de la vie religieuse

La messe et l’Eucharistie

  • 94 Notons que s’il est évidemment impossible, faute de sources, de procéder à une évaluation chiffrée (...)

60Dans les statuts synodaux qu’il promulgue en 1465, l’évêque de Rennes Jacques d’Espinay déclare que « tout vray bon crestien, soit homme ou femme, estant en sacrement de mariaige, est tenu et obligé a ouyr la grant messe de son eglise parrochial de deux dimanches ung ou au plus de troys se il n’y a excusation vallable ». Un siècle plus tard, en 1575 exactement, son successeur Aymar Hennequin demande cette fois aux ecclésiastiques « d’advertir leurs parroissiens de se trouver a […] [la] grand messe les jours de dimenche et festes », sans exception. Une des causes d’absentéisme tient à la nécessité de garder les habitations. En principe, et c’est ce que les statuts synodaux cherchent à faire appliquer avec une exigence accrue du milieu du xve à la fin du xvie siècle, les valets de ferme et les enfants assistent à la messe du matin, tandis que les chefs de famille se rendent avec leurs épouses à la grand-messe. Le dimanche constituant, en ce pays d’habitat dispersé, le seul jour de la semaine (en sus des jours chômés) où se retrouvent les membres de la communauté paroissiale, certains, une fois rendus dans le bourg, peuvent avoir la tentation de préférer le cabaret à l’église. Aymar Hennequin demande aux ecclésiastiques d’« advertir le peuple » que les dimanches et fêtes « sont ordonnez » pour l’assistance à la messe, « et non pour boire et banqueter, abus que nous desirons oster ». À la fin du xvie siècle, les autorités laïques s’en mêlent, le Parlement de Bretagne ordonnant, par des arrêts des 30 mai 1597 et 30 avril 1599, la fermeture des tavernes pendant les messes dominicales94.

  • 95 Pour ce qui est des justices laïques, je me fie sur ce point aux informations aimablement communiq (...)

61Un autre problème, du point de vue des ecclésiastiques, tient au fait que des laïcs quittent l’église avant la fin de la célébration. Dans les statuts synodaux qu’ils promulguent respectivement en 1515 et en 1575, l’évêque de Saint-Malo Denis Briçonnet et l’évêque de Rennes Aymar Hennequin exigent des membres du clergé paroissial une vigilance particulière sur ce point. Les comptes de fabrique ne fournissant évidemment aucun renseignement sur cette question, et en l’absence d’informations sur ce sujet dans les archives judiciaires95, il est extrêmement difficile de passer d’une étude du prescrit à une étude du vécu. Seul un document tardif, datant de 1696 et émanant de la juridiction de la seigneurie de la fabrique de Saint-Servan – il s’agit d’un cas particulier sur le plan juridique –, peut nous éclairer un peu plus que les statuts synodaux sur la logique qui préside au comportement de certains fidèles. Dans le cadre d’une enquête sur un joueur de violon accusé d’avoir joué durant les vêpres, un paroissien de Saint-Servan, interrogé comme témoin, explique, de la façon apparemment la plus naturelle, « qu’apres l’eslevation du Saint Sacrement de la grande messe dud. Saint Servan, il sortit de laditte eglize », considérant que le moment le plus important de la célébration ayant eu lieu, il n’était alors plus nécessaire de demeurer dans l’église. Il peut sembler délicat d’étendre au xvie siècle et à un nombre important de paroissiens un élément constaté pour un fidèle de la fin du xviie siècle, mais l’explication peut au moins valoir à titre d’hypothèse.

  • 96 Dumoutet E., Le désir de voir l’hostie et les origines de la dévotion au Saint-Sacrement, Paris, 1 (...)
  • 97 Rubin M., Corpus Christi. The Eucharist in Late Medieval Culture, Cambridge, 1991.

62Et ce d’autant que cette hypothèse rejoint les travaux de médiévistes sur le « désir de voir l’hostie96 ». Miri Rubin, établissant des liens entre les élaborations théologiques et les pratiques des clercs et des laïcs pendant la période médiévale, a rappelé que c’est au début du xiiie siècle qu’est précisé le moment où l’hostie devient totalement Corps du Christ lors de la consécration, un moment désormais marqué par l’élévation97. L’élévation constitue ainsi le moment où la dévotion des fidèles, qui sont séparés du chœur par cette cloison ajourée qu’est le chancel, est véritablement sollicitée, le célébrant leur montrant le Corps de Dieu. Le luminaire contribue à solenniser l’élévation. En 1517, Jean Deguilles, recteur de Landéan, Louvigné-du-Désert et Combourg, fonde trois messes à Livré-sur-Changeon en 1517 et précise qu’« a l’endroit de l’elevation du corps de Nostre Seigneur qui sera consacré a chacune desdites messes, sera allumé un flambeau de cire qui sera ardent et tenu allumé durant icelle levation ».

  • 98 La messe se termine par quelques éléments finaux, dont la bénédiction du prêtre. Quelques variatio (...)
  • 99 Bossy J., « Essai de sociographie de la messe, 1200-1700 », AESC, t. 36, 1981, n° 1, p. 44-70.
  • 100 Ibidem ; Bossy J., Christianity in the West (1400-1700), Oxford, 1985.
  • 101 Cf. infra, chapitre 6. La profession du testateur n’est que rarement indiquée ; quand c’est le cas (...)

63Sur le plan liturgique, la consécration constitue le moment essentiel du Canon, partie principale de la messe, après un premier moment comprenant notamment une introduction rappelant le sort de l’homme, le Gloria, la lecture de l’Épître et de l’Évangile et le Credo de Nicée, et après l’offertoire, au cours duquel le prêtre prépare les offrandes du pain et du vin98. L’aspect sacrificiel est le plus important, ce qu’attestent, entre autres, les représentations de la Passion qui, sauf rarissimes exceptions, figurent toujours sur les maîtresses-vitres, ainsi que celles du Christ en croix sur les poutres de gloire. Par ce sacrifice renouvelé, le Christ rachète les péchés des hommes, ce qui permet, écrit John Bossy, « le paiement de la dette envers Dieu, l’apaisement de sa colère, le rétablissement des relations sociales et diplomatiques entre Dieu et les hommes99 ». Comme le souligne le même auteur, ce rite a aussi une fonction éminemment sociale, de rassemblement, d’union de la communauté, qui comprend à la fois les vivants et les morts, tous participant aux mérites du Christ100. Cette possibilité d’une participation aux mérites du Christ explique la pratique des fondations de messes, et le développement du culte eucharistique à la fin du Moyen Âge se poursuit au xvie siècle, au point de conduire à une inflation du nombre des messes fondées, comme l’atteste le contenu des 87 actes de fondation de messe (fondations testamentaires ou non) du xvie siècle conservés dans les fonds des paroisses101. Face à cette inflation, Aymar Hennequin signale en 1575 que les messes privées ne peuvent être célébrées pendant la grand-messe.

  • 102 Célébrée le deuxième dimanche après la Pentecôte.

64Le développement du culte eucharistique se traduit aussi dans la Fête-Dieu102, appelée « Sacre » dans l’Ouest de la France, instituée en 1264 et dont la solennité semble s’accroître en Haute-Bretagne dans le cours du xvie siècle. À Coulon en Montfort, en 1586, les trésoriers achètent des « espilles [épingles] le jour du Sacre pour attacher le linge et courtines [rideaux placés sur les côtés de l’autel] » utilisés pour l’occasion. Le jour de la fête, le Corpus Christi est porté en procession, dans un ciboire spécifique et, en ville en tout cas, sous un dais. Tous les honneurs sont ainsi rendus au Corps du Christ, auquel les fidèles ne communient que rarement, à la différence du célébrant qui communie sous les deux espèces lors de la messe.

65Les comptes de fabrique nous permettent de connaître les dates auxquelles les fidèles communient, par le biais des dépenses en pain de communion et en vin d’ablution, celui-ci étant du vin non consacré donné juste après la communion pour « laver » (sens du mot latin ablutio) la bouche afin qu’aucune miette d’hostie n’y reste. Partout, la communion à Pâques semble générale, conformément aux prescriptions du concile de Latran IV de 1215. Notons cependant que tous ne communient pas le jour même de Pâques. À Domalain, en 1593, certaines personnes communient le Jeudi Saint, et les « hommes », rémunérés, « qui auroyent aydé a administrer au peuple le pain et le vin » l’ont fait « le dimanche de la feste de Pasques et autres jours d’environ lad. feste ». Cette intervention de laïcs paraît pour le moins surprenante, mais « le pain et le vin » désignent en fait ici non pas les Saintes Espèces, mais le pain bénit, distribué à tous en signe de fraternité (il ne s’agit pas du pain eucharistique), et le vin d’ablution. Cet emploi de laïcs nous indique que l’immense majorité des paroissiens communient tous ensemble, et non pas individuellement, après chaque confession. La présence dans les inventaires d’ornements de grandes nappes de communion, qui visent à recueillir les parcelles d’hosties qui pourraient éventuellement tomber lors de l’administration de la communion, constitue un indice supplémentaire. Il faut donc imaginer que les confessions, indispensables à la communion selon le concile de Latran IV, se succèdent pendant le Carême, mais nous ne savons pas si l’absolution est donnée individuellement après chaque confession ou collectivement juste avant la communion. Certaines réticences devant la confession expliquent sans doute quelques – rares – retards. À l’inverse, dans les paroisses côtières et dans celles qui bordent la Rance, les terre-neuvas, dont la saison de pêche commence avant la période pascale, communient avant leur embarquement, comme l’attestent par exemple les comptes de fabrique de Paramé.

66Le vin utilisé est normalement du vin blanc d’Anjou, acheté dans les villes. En l’absence de vin d’Anjou, le vin utilisé est du « vin breton » produit dans la région. Et s’il n’est pas non plus possible d’utiliser ce produit, alors les paroissiens ont recours au cidre, comme à Domalain en 1598 où, faute de vin, ce sont 100 pots de cidre qui sont distribués pendant la période pascale. Notons enfin qu’il existe peut-être chez les fidèles une confusion entre le vin consacré et le vin d’ablution, ce dernier étant toujours appelé « vin pour accomunier », formule assez ambiguë.

  • 103 Baccrabère G., « La pratique religieuse dans le diocèse de Toulouse aux xvie et xviie siècles », A (...)

67À Louvigné-de-Bais, en 1503/1504, si 60 sous sont dépensés pour le vin d’ablution utilisé le jour de Pâques, plus de 2 sous le sont « pour vin qui a esté prins oud. an », essentiellement « pour acommuniez partie desd. paroissiens » à Noël, à la Fête-Dieu, « et aultres festes de l’an », probablement la Pentecôte et la fête patronale. Le dépouillement des comptes de fabrique des autres paroisses fournit les mêmes informations sur l’existence d’un petit groupe de paroissiens qui ne se contente pas de la communion pascale. Mais il révèle aussi que le calendrier des communions est fluctuant. À Domalain, pour les 16 années de la période 1593/1594-1608/1609, nous relevons, à partir des dépenses en vin d’ablution, une communion à Noël pour 6 années, à la Toussaint pour 2 années, à la Pentecôte pour 1 année, et le jour de la Circoncision pour 1 année également. Dans d’autres paroisses, la communion a parfois lieu le dimanche des Rameaux, appelé « petit Pasques ». Il y a donc une certaine irrégularité, et, comme dans le Midi toulousain étudié par Georges Baccrabère, seule une minorité de paroissiens est concernée103.

68Des octrois d’indulgences encouragent la pratique de la communion en dehors de la période pascale, avec succès. C’est par exemple le cas à Saint-Gondran en 1576. À l’occasion de la transposition diocésaine du jubilé de 1575, ce sont deux pots de vin blanc qui sont utilisés (contre cinq à Pâques) alors que les autres années il n’est jamais nécessaire d’utiliser plus d’un pot pour la communion en dehors de la période pascale.

Des pratiques religieuses communautaires

  • 104 Van Gennep A., op. cit.

69Peu après sa naissance, chaque individu entre, par le sacrement de baptême, dans la grande communauté des chrétiens, mais aussi dans celle, plus restreinte, de la paroisse, par le biais de son inscription dans le registre prévu à cet effet. C’est le premier « rite de passage », pour reprendre l’expression d’Arnold Van Gennep104. Il en va de même du mariage, sacrement comme le baptême, qui fait également l’objet d’une inscription dans les registres paroissiaux. Les funérailles, dernier rite de passage, sont précédées par le dernier des sacrements, l’extrême-onction, et suivies par la sépulture, qui fait elle aussi l’objet d’une mention dans les registres de la paroisse. Ces moments principaux de la vie sont l’occasion de célébrations où le sacré et le profane se mêlent, intégrant ces épisodes dans la vie de la communauté, tandis que les statuts synodaux insistent sur la publicité des baptêmes, des sépultures et surtout des mariages. Cette publicité est assurée par des annonces lors du prône, en français, qui intervient entre la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique. Le sacrement de confirmation ne constitue pas un rite de passage aussi important, mais lorsqu’il est administré, ce qui n’est fait qu’occasionnellement, il l’est par l’évêque à un ensemble de fidèles, ceux de la paroisse (et peut-être aussi ceux des paroisses voisines) alors visitée par le titulaire du siège épiscopal. La réception du sacrement de l’eucharistie se fait elle aussi dans un cadre collectif, nous l’avons vu. Reste un sixième sacrement, celui de la pénitence, le sacrement de l’ordre ne concernant pas les laïcs.

  • 105 Sur ce sujet, voir Lemaitre N., « Confession privée et confession publique dans les paroisses du x (...)

70Le Manuale Redonense imprimé vers 1510 atteste l’existence de la confessio generalis dans le diocèse de Rennes105. Elle est réalisée « le jour de Pasques affin d’esmouvoir les cueurs des creatures a plus grande devotion pour aucune remission des pechez venielz ». Ceci dit, « nul ne se doit fier quelle luy baille pour absolution d’aucun peché mortel dont il ait memore [sic] s’il n’en est confessé secretement ou particulierement de sa bouche ». Le recteur lit le Confiteor et la liste des péchés et l’assistance répète phrase après phrase, ce qui, au niveau de la structure, rend la confessio generalis peu différente de la confession auriculaire. Le texte porte successivement sur les sept péchés capitaux, les dix commandements, les sept sacrements, les sept œuvres de miséricorde et les cinq sens, puis le recteur donne l’absolution à l’ensemble de l’assistance.

71Si le mode d’administration des sacrements sanctionne le caractère collectif et même communautaire de la vie religieuse, il en est de même d’autres célébrations, lors des principales fêtes de l’année. C’est bien sûr le cas de la fête patronale, mais aussi de la fête de la Présentation de la Vierge avec la distribution des chandelles, et du dimanche des Rameaux avec celle des branches de buis, bénites comme les chandelles. Lors de chaque grand-messe, c’est du pain bénit qui est distribué à tous, en signe d’unité spirituelle et de communion fraternelle. Comme l’attestent les testaments, actes de fondations et comptes de fabrique, ce pain est acheté par les chefs de famille, chacun son tour, la fabrique intervenant, elle, lors de certaines fêtes.

  • 106 Lemaitre N., « Société et vie religieuse du début du xvie au milieu du xviie siècle. Les formes él (...)
  • 107 Cette cloche de 1463, fêlée en 1939, a été fondue en 1949.

72Les rituels des bénédictions sont consignés dans les ouvrages du même nom, plus couramment appelés manuels. Rites efficaces ex opera operantis Ecclesiae, par l’intercession de l’Église, ils ne doivent pas, rappelle Nicole Lemaitre, être dissociés des exorcismes106. Plusieurs cas de figure sont envisagés dans les ouvrages liturgiques, et notamment la bénédiction des cloches. Une fois bénites, les cloches jouent elles-mêmes un rôle qui peut être proche de la bénédiction ou de l’exorcisme, leurs sons purifiant l’air, et pouvant par la même occasion chasser les orages. La cloche de La Baussaine porte une inscription qui résume les multiples fonctions de ces instruments : « LAUDA DEUM VERUM / PLEBEM VOCA / CONJUGA CLERUM / DEFUNCTOS PLORA / PESTEM FUGA / FESTA DECORA / MCCCCLXIII » (« Loue le vrai Dieu, appelle le peuple, rassemble les clercs, pleure les morts, chasse la peste, embellis les fêtes107 »). L’achat ou la refonte d’une cloche représente un coût important pour une paroisse, 250 livres environ à la fin du xvie siècle. Assez souvent, des contributions sont versées par des nobles, voire des ecclésiastiques, et la cloche porte les noms et blasons des donateurs. Une fois réalisée, la cloche est bénite, mais le rituel s’apparente à un baptême, la cloche recevant un nom ainsi que des parrains et marraines. Si à La Bosse, trève de Saulnières, il n’y a encore qu’une cloche en 1601, ce cas de figure semble minoritaire. Le clocher refait à Visseiche au milieu du xvie siècle est prévu pour accueillir trois cloches, sans doute une grande et deux petites, comme à Domalain à la fin du siècle.

73Chaque cloche possède une sonorité qui lui est propre. Chacune possède aussi sa fonction, et il y a par exemple, à Saint-Sulpice de Fougères, « la petite cloche nommee Margot, quelle sert a sonner les messes sur la sepmaine que l’on dict en basse voix ». La façon de les sonner importe également (le tocsin est sonné à la volée), ainsi que le nombre de coups. Les cloches rythment la journée de travail – et, normalement, de prière – de la communauté paroissiale, en sonnant le midi et le soir. Il s’agit de l’angélus, du nom de la prière qui doit l’accompagner, qui reprend l’annonce faite par l’archange Gabriel à la Vierge, et qui pour cette raison est généralement désigné sous les noms de « salve » ou « salutation ». La sonnerie du soir est également appelée « couvrefeu » car elle se confond avec celle de la retraite, qui annonce la fin de la journée de travail. Les cloches signalent également les fêtes (elles ne sonnent pas pendant la période pascale), les décès, les dangers (par l’usage du tocsin), et constituent de ce fait un véritable moyen de communication.

  • 108 Une étude des types de procession est menée infra, chapitre 9.
  • 109 Lemaitre N., « Société et vie religieuse (…) », art. cit.. Voir aussi Martin Ph., Les chemins du s (...)
  • 110 Vauchez A. (dir.), La religion civique à l’époque médiévale et moderne (Chrétienté et Islam), Rome (...)

74La procession est elle aussi, par définition, une pratique communautaire108. Elle constitue une « cérémonie identitaire109 », au point d’être en ville une manifestation de religion civique110. Processions, cloches et bénédictions constituent ou renvoient donc à des pratiques qui sont avant tout communautaires.

75Dans un autre registre, la charité étant une vertu théologale, c’est-à-dire rapprochant de Dieu, la fabrique est chargée d’actions charitables, qui vont toutes dans le sens d’une certaine cohésion de la communauté. Il s’agit tout d’abord, une fois par an, généralement à l’Ascension, à la Pentecôte ou à la Fête-Dieu, de procéder à une distribution de pain aux pauvres. La fabrique achète du seigle ou du sarrasin, rétribue un boulanger, ainsi que les paroissiens qui participent à la distribution. À Gévezé, lorsque le pain manque, les paroissiens donnent un peu d’argent. La fabrique pourvoit également aux besoins des nouveaux-nés abandonnés, généralement exposés à la porte des églises, qui sont alors confiés à des nourrices. Enfin, et c’est peut-être le plus révélateur, certains paroissiens peuvent bénéficier d’une aide ponctuelle. À Coulon en Monfort, 10 sous sont, en 1584, « baillez, du consans [avec l’accord] des parouassiens, a ung viel homme (…), lequel estoict ou lict malade et n’avoict le pouvoir de chercher sa vye ». Toujours dans la même paroisse, en 1599, ce sont 3 livres que les trésoriers versent à Louis Daunay, « par l’advis des parrouassiens », pour l’aider à payer le chirurgien qui lui a amputé la jambe, et c’est la même somme qui, en 1605, est versée, « en façon d’aulmosne », à un autre paroissien dont la maison a été ravagée par un incendie.

Les dévotions à l’intérieur de l’église paroissiale, et leurs supports iconographiques

76Environ 150 statues et groupes sculptés de l’extrême fin du xve siècle et du xvie siècle ont été conservés, en comptant les Christ des poutres de gloire. Il faut y ajouter quelques bas-reliefs et panneaux sculptés, une tapisserie, un triptyque et un tableau.

  • 111 Thoby P., Le crucifix des origines au concile de trente, Nantes, 1959.

77Il subsiste près d’une vingtaine de représentations du Christ en croix, provenant d’anciennes poutres de gloire. Le Christ est toujours représenté souffrant, mais sans l’aspect morbide souligné par Paul Thoby à propos d’une partie importante de l’iconographie du xve siècle et du premier tiers du siècle suivant111. Ces représentations soulignent le dogme central du christianisme, à savoir le rachat par le Christ, et d’ailleurs les autres représentations du Christ qui nous sont parvenues sont elles aussi centrées sur la Passion. L’église de Piré conserve deux représentations d’Ecce Homo, une statue et un tableau, le seul conservé pour cette époque, et un groupe sculpté représentant la Mise au Tombeau est conservé à Saint-André-des-Eaux.

  • 112 Cf. Photographie 14.
  • 113 Le nom de l’artiste n’est pas connu.

78Si les retables sont rares au xvie siècle, il en existe néanmoins quelques-uns. À Saint-Sulpice de Fougères, le retable, en granit, du calvaire, dit aussi des tanneurs, présente, en son sommet, les images de la Passion112. Le seul retable en bois conservé, réalisé vers 1540 pour l’église de Champeaux, représente la Flagellation, le Portement de croix, la Crucifixion, la Déposition et l’Annonce aux saintes femmes. Le panneau central du retable d’albâtre de Nouvoitou comporte lui aussi une Crucifixion. La Passion est donc, toujours, centrale, ce qu’illustre également une des œuvres dont le programme iconographique est le plus riche, le triptyque offert en 1544 par Jean Bricier, prêtre de Notre-Dame de Vitré, à son église. Ouvert, le retable présente les trente-deux émaux que Jean Bricier est allé commander à Limoges113. Dix-huit scènes sont consacrées au cycle de la Passion, suivi par le Jugement dernier. Elles sont toutes inspirées de gravures de Schongauer, Raimondi, Altdorfer, Dürer et son élève Schäufelein, soit le meilleur de la gravure européenne des années 1500.

79Placées en hauteur ou dans le chœur, la plupart de ces représentations, à savoir, pour l’essentiel, la poutre de gloire et la maîtresse-vitre, ne peuvent être touchées par les fidèles. De ce fait, elles ne peuvent faire l’objet d’investissements para-liturgiques, et Dieu apparaît à la fois présent, incarné dans l’hostie mais aussi dans ces représentations, et lointain, inaccessible sans médiation. La dévotion à Dieu est également promue par la pratique de l’élévation et par la récitation, par les fidèles, du Pater noster qui, d’après le Manuale Redonense imprimé vers 1510, doit clore le prône et la confessio generalis, et être dans ces deux cas accompagné de l’Ave Maria.

  • 114 Près d’un tiers des statues conservées sont des représentations de la Vierge.

80La dévotion mariale, ainsi encouragée par le magistère (Denis Briçonnet exige en 1515 que chaque église paroissiale possède un autel consacré à la Vierge), se trouve associée au thème christique de la Passion. Cette association s’effectue par la présence de Marie sur la poutre de gloire et sur les vitraux consacrés à la Crucifixion, et au travers de la Pietà, dont il existe des représentations dans la statuaire114 et sur les croix monumentales. En effet, la plupart des statues de la Vierge figurent la Vierge à l’Enfant (présente également sur un nombre important de croix monumentales), dont les représentations continuent à être réalisées en fonction des modèles importés de Normandie aux xive et xve siècles. L’image de la Vierge à l’Enfant incarne la possibilité d’une intercession, et à ce titre joue un rôle de médiation.

81Les épisodes de la Vie de la Vierge sont illustrés sur plusieurs vitraux, mais aussi sur quelques retables. Il en est ainsi du tryptique offert par Jean Bricier, la narration présentée sur les panneaux ouverts commençant par l’annonce à Joachim, et se poursuivant par la rencontre à la Porte dorée, la naissance de Marie, la présentation de la Vierge au Temple, son mariage, l’Annonciation, la Visitation et la Nativité. La Vierge est très présente également sur les panneaux d’albâtre, réalisés en Angleterre à la fin du xve siècle, qui constituaient un retable dans l’église de Nouvoitou. En effet, si la scène centrale présente à la fois la Trinité et la Crucifixion, les quatre principaux panneaux latéraux sont des représentations de l’Annonciation, de l’Adoration des Mages, de l’Assomption et du Couronnement de la Vierge. L’église d’Épiniac possède quant à elle un devant d’autel représentant la Dormition de la Vierge, don du recteur décédé en 1537.

82Une partie non négligeable des statues conservées sont des représentations des saints patrons : saint Marcan à Saint-Marcan, saint Martin au Loroux, etc. C’est dans ce cadre qu’il faut placer une série de cinq tapisseries sur la vie de Marie-Madeleine réalisée pour la collégiale de la Madeleine de Champeaux. Les autres saints représentés sont, pour l’essentiel, saint Roch, saint Sébastien, saint Fiacre, saint Denis, saint Nicolas, saint Pierre, saint Armel, saint Julien, saint Laurent, saint Antoine, sainte Barbe, sainte Apolline, sainte Marguerite. Leur prédominance est confirmée, globalement, par le dépouillement des comptes de fabrique. Si saint Pierre renvoie peut-être d’abord à l’institution ecclésiale, et saint Denis au pouvoir politique, les autres sont d’abord vénérés en tant que protecteurs et guérisseurs, plus sans doute qu’en tant qu’intercesseurs stricto sensu. C’est le cas de saint Roch et de saint Sébastien qui protègent des épidémies et notamment de la peste, de saint Laurent et de sainte Barbe qui protègent des incendies, etc.

  • 115 Nous savons au moins qu’elle est réelle à l’égard de saint Méen, un pèlerinage d’ampleur ayant lie (...)

83Par contre, il ne subsiste aucune des statues qui, n’étant pas liée à un autel, occupaient dans l’église une situation secondaire. Aucune messe n’était célébrée devant ces représentations, qui ne sont pas non plus signalées dans les documents par l’emploi du luminaire, ni par celui de la paramentique, ni par des offrandes, et il est d’ailleurs difficile de savoir si elles existaient dans toutes les églises. Il s’agit, à Gévezé, au nord-ouest de Rennes, des « ymaiges de saint Men, saint Ugnac, […], sainct Cymphorien et saint Gobryain ». Il s’agit de saints vénérés à l’échelle locale, souvent dans un petit groupe de paroisses qui ne correspond pas aux limites ecclésiastiques, pas même diocésaines. Le culte de ces saints paraît souvent ancien, car il s’agit dans un certain nombre de cas de martyrs, comme saint Symphorien à Gévezé ou saint Gorgon à Domalain, et il date peut-être de l’époque de la christianisation. Reste à savoir quelle était la dévotion des fidèles à leur égard, ce que nous ignorons largement115.

84Le discours de combat des évêques du xviie siècle sur les figurations « difformes » doit être considéré avec un certain esprit critique, car les trésoriers des fabriques recourent de façon régulière, au xvie siècle, à des « paintres » qui « rafraichissent » les « ymages », qui sont donc entretenues. Ces peintres réalisent aussi des fresques murales et des peintures sur le bois des chancels, dont il ne subsiste rien aujourd’hui. Ainsi, à la fin du xve siècle, « quatre ystoaires de la Passion » sont peintes « au derriere du letrin », c’est-à-dire du chancel, dans le chœur donc, à Domagné.

Et les confréries ?

85L’affirmation de l’importance de la structure paroissiale, et de l’église paroissiale en tant que centre de la vie religieuse, pose inévitablement la question de l’existence, de la puissance et du rôle des confréries. Assez peu de documents ont été conservés sur ces associations pieuses. En fait, la situation semble bien différente entre, d’une part, le milieu rural, et, d’autre part, les paroisses urbaines.

  • 116 14 ont pour siège un couvent de Mendiants, et 1 une chapelle (Leguay J.-P., Martin H., op. cit., p (...)
  • 117 Sur cette question, voir Chevalier B., Les bonnes villes de France du xive au xvie siècle, Paris, (...)

86Les confréries sont assez nombreuses en ville à partir du xve siècle, où elles constituent avant tout des associations professionnelles. Les aléas de la conservation des documents rendent les inventaires assez difficiles, mais il apparaît que fin xve–début xvie siècle Rennes abrite 29 associations de ce type, dont 14 dans les paroisses116, et Fougères au moins 10. Quelle que soit la ville, nous ignorons presque tout de la plupart des confréries. Il apparaît cependant que la caractéristique principale des confréries urbaines réside dans un encadrement clérical du courant associatif professionnel, en plein essor au xve et au début du xvie siècle117. Dans cette optique, les associations marchandes les plus dynamiques n’y échappent évidemment pas, comme l’atteste la puissante confrérie des marchands d’Outre-Mer, fondée à Vitré en 1473.

  • 118 Mandrou R., Introduction à la France moderne (1500-1640). Essai de psychologie historique, Paris, (...)
  • 119 Certes, à Rennes comme dans les autres grandes villes du royaume, un certain nombre de confréries (...)

87Ces confréries de type professionnel sont toutes rattachées à une église paroissiale, et c’est pourquoi l’expression de « paroisses professionnelles », utilisée par Robert Mandrou pour qualifier ce type de confrérie118, ne me semble pas convenir tout à fait à la réalité haut-bretonne. Il s’agit plus en effet d’encadrer le mouvement associatif pour, sans doute, mieux le rattacher à la paroisse, qui semble bien rester la principale structure d’encadrement en ville119. Et les liens de celle-ci avec le mouvement confraternel ne s’arrêtent pas là. À Fougères, les deux paroisses, Saint-Sulpice et Saint-Léonard, possèdent une organisation particulière puisqu’à côté du recteur siège, dans les deux cas, un collège de sept chapelains « originaires », c’est-à-dire nés dans la paroisse. Ceux de Saint-Léonard desservent la confrérie du Saint-Esprit et du Saint-Sacrement, qui reçoit des fondations pieuses et d’autres rentes, et il en est de même pour la confrérie Notre-Dame de la Mi-Août à Saint-Sulpice. En 1511, 87 paroissiens sont membres de cette dernière. Les obligations consistent à verser, outre une taxe d’entrée, une cotisation annuelle, ainsi qu’à assister à la messe de Requiem célébrée le lendemain de la Mi-Août et aux messes d’enterrement des confrères. Un banquet, manifestation de sociabilité fraternelle, réunit tous les ans les confrères. Il s’agit bien ici, pour les plus inquiets qui ne veulent pas se contenter des prières du prône, de prendre une « assurance pour l’au-delà ».

  • 120 Notons qu’une même personne peut appartenir à plusieurs confréries à la fois, rarement plus de deu (...)

88Il existe enfin quelques confréries dont le recours à une intercession se fait sans lien avec un métier. Elles sont peu nombreuses, mais il en existe au moins deux dans la très dynamique ville de Vitré. C’est en 1347, et donc de façon précoce pour la région, que sont rédigés les statuts de la confrérie du Saint-Sacrement, érigée dans l’église Notre-Dame. Son activité principale consiste d’une part à faire célébrer des messes le jour de la Fête-Dieu et à y fournir un luminaire si possible abondant, d’autre part à organiser l’enterrement des confrères décédés et à faire célébrer des messes à leur intention. La paroisse Saint-Martin est quant à elle, depuis le début du xve siècle au moins, le siège de la confrérie de la Conception Notre-Dame. Le plus ancien compte conservé, grâce à une copie réalisée au xixe siècle, est un compte courant de 1411 à 1414. En 1545, le nombre de membres s’élève à 992, à savoir 279 couples, auxquels s’ajoutent 151 hommes et 283 femmes. La cotisation annuelle est alors de 15 deniers, et la confrérie gagne 60 nouveaux membres en 1546, dont seulement 6 couples. Le recrutement s’avère donc large et, si l’on considère également les confréries professionnelles, celles qui ont leur siège dans un couvent, et les confréries assez originales de Fougères, c’est au total une partie importante de la population urbaine qui, dans les villes grandes et moyennes, se trouve encadrée par les confréries120.

  • 121 Herpin E., « Les “nobles bourgeois” de Saint-Malo (du xiie au xviie siècle) », ASHAASM, 1925-1926, (...)

89Aussi importe-t-il de se demander ce qu’il en est dans les petites villes et dans les gros bourgs. Or, il apparaît d’emblée que les confréries sont bien peu nombreuses, car les métiers ne sont pas suffisamment puissants pour donner naissance à un véritable mouvement associatif (ou, si l’on veut, pour que l’Église prenne la peine de le créer ou de l’encadrer). Aussi semble-t-il, mais la quasi-absence de sources ne permet que d’émettre des hypothèses, que les rares confréries fonctionnent à l’échelle de la ville (y compris quand il y a plusieurs paroisses), et sont dirigées par des clercs, un peu sur le modèle de la confrérie des prêtres et chapelains de Dinan qui, dans les faits, accueille des laïcs dès le début du xvie siècle. C’est probablement le cas de la confrérie blanche de Montfort, dont quelques archives subsistent à l’état d’épaves. Il ne semble pas, en tout cas, que son nom renvoie à la pénitence. Les confréries blanches, un peu mieux connues, de Saint-Malo et de Guingamp121, accréditent l’idée d’une association de clercs et de laïcs, dominée par les premiers, les laïcs étant avant tout issus de la bourgeoisie locale. De même que pour les confréries vues plus haut, l’objectif de l’association est l’assistance aux enterrements des confrères décédés et la célébration de messes en leur faveur, tandis qu’un banquet annuel réunit les vivants.

  • 122 Vincent C., Des charités bien ordonnées. Les confréries normandes de la fin du xiiie siècle au déb (...)

90Du fait des caractéristiques des confréries urbaines, il est aisé de deviner à quel point les confréries sont peu nombreuses en milieu rural, dessinant pour la Haute-Bretagne un schéma différent de celui qu’il est possible de dégager pour la Haute-Normandie et même pour l’Anjou122. À l’absence de sources fait écho le silence des statuts synodaux sur le sujet. Pourtant, il en existe quelques-unes, au moins dans les principales paroisses rurales du pays rennais, ce que révèle le dépouillement des testaments conservés. En effet, des prêtres lèguent à des frairies blanches, à Janzé, Melesse, La Mézière, Pacé et Gévezé. Mais il s’agit là sans doute de confréries de prêtres, et nous ne savons pas si elles ont, comme dans les villes, agrégé des laïcs. À la fin du xvie siècle, dans certaines paroisses, apparaissent des confréries d’un autre type, pré-tridentines cependant, mais dont nous ignorons souvent presque tout. Il en est ainsi par exemple de la confrérie Notre-Dame de Retiers.

91Nous connaissons cependant assez bien deux confréries érigées au xvie siècle en milieu rural, toutes deux dans le bassin rennais, à Saint-Grégoire et à Romillé. Et si Saint-Grégoire se situe à quelques kilomètres au nord de Rennes, Romillé se situe en revanche nettement en milieu rural, qui plus est dans le diocèse de Saint-Malo. Le registre de la confrérie de la Nativité Notre-Dame ou frairie blanche de Romillé commence en 1587, tandis que celui de la confrérie de Saint-Grégoire, qui a choisi pour nom celui du patron de la paroisse, débute en 1543. Dans les deux cas, la confrérie s’adresse à la fois aux ecclésiastiques et aux laïcs, mais ce sont les premiers qui gèrent l’association, par le biais d’un chapitre dans le cas de la confrérie de Romillé, qui est ainsi à rapprocher de la frairie blanche de Montfort. Le registre de la confrérie de Saint-Grégoire s’ouvre en 1543 sur les statuts aujourd’hui malheureusement disparus, puis les comptes annuels y sont enregistrés jusqu’en 1557. Les recettes s’élèvent à une quinzaine de livres hors reliquat, provenant pour partie du droit d’entrée versé par les nouveaux membres, qui s’élève à 3 sous 4 deniers par personne. Les dépenses sont consacrées à faire célébrer des messes, pour les confrères décédés ainsi que le jour de la Saint-Grégoire. S’il n’y a pas, au xvie siècle, de liste des confrères, il semble cependant que ceux-ci ne soient pas très nombreux. Chaque année, le nombre des nouveaux membres et celui des décédés dans l’année s’équilibrent, généralement autour d’une quinzaine de personnes. La liste des membres dressée en 1602 livre les noms de 51 personnes, ce qui est peu, d’autant qu’il y a 21 ecclésiastiques et, parmi les laïcs, 12 couples.

Conclusion

  • 123 Croix A., L’Âge d’or de la Bretagne. 1532-1675, Rennes, 1993.

92Ainsi, si l’on considère la période allant de la fin du xve à la fin du xvie siècle, la vie religieuse dans les paroisses de Haute-Bretagne apparaît dynamique. Une certaine permanence des modèles gothiques ne doit pas créer l’illusion d’une inertie, car il faut souligner au contraire les nombreuses reconstructions d’églises qui interviennent à la fin du xve et dans la première moitié du xvie siècle, leur agrandissement dans le cours du xvie par l’adjonction de transepts, de bas-côtés et de tours, le profond renouvellement de l’art du vitrail et la poursuite de la construction des murs d’enclos. Financées en partie par l’aristocratie mais pour l’essentiel par les fabriques, ces entreprises attestent d’une vitalité matérielle, nourrie par l’essor économique de l’« âge d’or123 », qui s’inscrit dans la durée. Ainsi, par exemple, nombreuses sont, tout au long du siècle, dans les comptes de fabrique, les dépenses d’entretien de la toiture ou du mur d’enclos, pour ne signaler que les éléments les plus soumis aux intempéries.

93L’espace intérieur du bâtiment cultuel est unifié par la verrière axiale, qui souligne le Sacrifice eucharistique célébré sur le maître-autel par le prêtre, qui prend la tête de l’assemblée des fidèles symboliquement en marche vers la Jérusalem céleste. De façon apparemment paradoxale, cette unification de l’espace s’accompagne au xvie siècle d’une multiplication des clôtures. Au chancel ou jubé s’ajoutent le porche, l’ossuaire, le mur d’enclos dont la fermeture constitue désormais une préoccupation, même si ces réalisations ne concernent pas toutes les paroisses. Ce processus s’inscrit dans le cadre de la diffusion d’une nouvelle conception des rapports entre sacré et profane. La multiplication des clôtures correspond en effet à un type de rationalisation des usages de l’espace : à chaque espace strictement délimité correspond une fonction, au caractère sacré plus ou moins affirmé, et il s’agit d’en contrôler les usages. Évidemment, la diffusion de cette nouvelle conception ne se fait pas sans susciter des résistances.

94L’étude des objets du culte, nombreux et bien entretenus, révèle également la vitalité matérielle qui caractérise les paroisses et le dynamisme de la vie religieuse qui y est lié. Associé à l’organisation spatiale de l’église et au calendrier liturgique, le luminaire signale les principales dévotions, et il paraît difficile de ne pas prêter attention à l’accroissement de sa consommation à la fin du xvie siècle, au moment où paradoxalement les difficultés financières apparaissent. Les paroisses sont bien pourvues également en ouvrages liturgiques, et dans la dernière décennie du siècle ils sont l’instrument d’une diffusion progressive de la liturgie romaine dans les paroisses du diocèse de Rennes.

95Élément principal de la messe, le Sacrifice eucharistique est souligné par l’iconographie des vitraux et des poutres de gloire, par l’emploi des courtines et du luminaire, par l’élévation qui donne sens au caractère ajouré des chancels ou jubés. Tout est fait, ainsi, pour promouvoir le culte eucharistique. Cependant, en dehors de la période pascale, les dates où les fidèles communient au Corps du Christ varient d’une année à l’autre, essentiellement en fonction des octrois d’indulgences. Leur assistance à la messe ne semble pas non plus, au moins pour certains, marquée par une parfaite régularité, mais en ce domaine le manque de sources interdit à l’historien toute généralisation.

96Presque toujours associée au Christ par le thème de la Passion ou celui de la Vierge à l’Enfant, sans parler de l’association des prières lors du prône, la Vierge fait l’objet d’une dévotion illustrée non seulement par sa présence sur les vitraux, les bannières et les poutres de gloire, mais plus encore par la statuaire, l’usage des linges et garnitures liturgiques et l’emploi du luminaire. De nombreux autres saints font eux aussi l’objet de représentations figurées, par la statuaire essentiellement. Le faible nombre d’œuvres conservées n’en permet qu’une approche de type impressionniste, mais les dépenses qui figurent dans les comptes de fabrique invitent l’historien à ne pas juger trop rapidement ces œuvres à l’aune de critères forgés par la suite.

  • 124 De ce fait, il n’y a pas, comme en Normandie, et pour autant qu’on puisse en juger d’après les sou (...)

97Le mode d’administration des sacrements, l’usage du pain bénit, les rituels de bénédiction, les processions, les usages des cloches et la pratique de la charité contribuent, avec la messe, à donner un cadre communautaire à la vie religieuse, cadre qui est celui de la paroisse. En milieu rural en effet, il y a une quasi-absence d’associations confraternelles. Quant aux confréries urbaines, qui ont pris leur plein essor au xve siècle, elles constituent d’abord une structure d’encadrement du mouvement associatif développé sur une base professionnelle, et elles ont presque toutes leur siège dans une église paroissiale. Aussi ne doivent-elles pas être considérées comme des concurrentes de la paroisse mais bien plutôt comme un moyen de rattacher le mouvement associatif professionnel à la paroisse, et cette entreprise semble être une réussite124.

Notes

1 Matz J.-M., « La reconstruction des églises paroissiales après la guerre de Cent Ans : le témoignage des comptes de fabrique du diocèse d’Angers », Tonnerre N.-Y., Prigent D. (éd.), La construction en Anjou au Moyen Âge, Angers, 1998, p. 125-140 ; Venard M., « La construction des églises paroissiales du xve au xviiie siècle », RHEF, t. lxxiii, 1987, n° 190, p. 7-24.

2 Lagrée M., Tanguy B. (dir.), Atlas d’histoire de Bretagne, Morlaix, 2002, p. 85.

3 Mauger M. (dir.), En passant par la Vilaine. De Redon à Rennes en 1543, Rennes, 1997.

4 Je ne partage donc pas une partie de l’interprétation des planches qui est faite p. 84 de En passant par la Vilaine…, op. cit.

5 Cela vaut bien sûr pour les « églises-routes », sans transept, mais pas seulement. Ainsi, lorsqu’il y a un transept, celui-ci peut, ou non, être intégré dans le chanceau.

6 Pour la plupart des paroisses, il est difficile de dire si la clôture du chœur est matérialisée par un chancel ou par un jubé, car tous deux sont désignés dans les documents par le même terme, « retrin ». Sur le rôle des jubés, voir notamment Chedozeau B., Chœur clos, chœur ouvert. De l’église médiévale à l’église tridentine (France, xviiexviiie siècle), Paris, 1998, mais aussi Bouyer L., Architecture et liturgie, Paris, 1991, p. 65.

7 De façon significative, la poutre de gloire est toujours appelée « arbre de la Croix » en Haute-Bretagne.

8 Cf. Photographie 2.

9 Cf. Photographie 3.

10 Cf. Photographie 4.

11 Cf. Photographie 5.

12 Sur les réalisations artistiques de la famille d’Espinay à Champeaux, voir Joubert S., « Audace et renommée : un réseau de la noblesse bretonne, vecteur d’échanges culturels et artistiques pendant la Renaissance », MSHAB, t. lxxxi, 2003, p. 205-241.

13 Cf. Photographie 6.

14 Callias Bey M., Chaussé V., Gatouillat F., Hérold M., Les vitraux de Haute-normandie. Corpus Vitrearum, Paris, 2001.

15 Je ne partage donc pas l’avis de Gatouillat F., Hérold M., Les Vitraux de Bretagne, Rennes, 2005, p. 40.

16 Les Petite et Grande Passion de Dürer et une Descente aux Limbes de Léon Davent (réalisée en 1547, peut-être d’après Luca Penni). Le Christ fait sortir des Limbes, qui, contrairement aux définitions théologiques, sont présentées comme des Enfers, les Justes de l’Ancien Testament et les fait passer sur sa droite, semant la panique chez les démons. Cf. Photographie 8.

17 De ce vitrail, seule subsiste aujourd’hui la partie supérieure, la partie centrale ayant été refaite au xxe siècle.

18 Ce qui subsiste des scènes de la Dormition de la Vierge et de l’Assomption a été réutilisé au xx siècle dans une représentation de la Pentecôte.

19 À nouveau, je ne partage pas l’opinion de Gatouillat F., Hérold M., op. cit., p. 279.

20 Aujourd’hui disparue.

21 Dufief-Moirez D., « Le vitrail de la Transfiguration à Louvigné-de-Bais », Arts de l’Ouest, 1977, n° 1, p. 51-66. Cf. Photographie 10.

22 La date portée « 1569 » paraît en effet correspondre à une réparation mais la question reste débattue. Cf. Photographies 7 et 9.

23 En tout cas, tous les comptes de fabrique conservés pour le xvie siècle font référence à des dépenses engagées pour l’entretien du mur de l’enclos.

24 Dans le Haut-Maine, selon Florence Lepareur, la plupart des clôtures de cimetières seraient réalisées en pierre à la fin du xve siècle (Lepareur F., La vie paroissiale dans le Haut-Maine à la fin du Moyen Âge (1367-1530) d’après les archives fabriciales, thèse de doctorat, Université du Maine, 1999, p. 511-517). Le calendrier n’apparaît pas plus tardif en Haute-Bretagne, et il pourrait même présenter une certaine antériorité par rapport au Haut-Maine. Cf. Photographie 11.

25 Presque partout et non pas partout, car trois portes monumentales conservées datent des xive ou xve siècles. Elles sont situées dans les régions granitiques : à Villamée au nord de Fougères, à Bonnemain dans le diocèse de Dol et à Saint-Suliac sur les bords de Rance, chacune de ces paroisses appartenant à un diocèse différent.

26 Aucune porte monumentale du xvie siècle n’a été conservée, et il en est de même pour le xviie d’ailleurs, mais il semble qu’au xviiie siècle un certain nombre aient été détruites (information aimablement communiquée par Georges Provost, à la suite d’un dépouillement des procès-verbaux de visites pastorales du xviiie siècle).

27 De fait, l’ossuaire n’est en rien une spécificité bas-bretonne et ne présente aucun caractère « celtique ». Jean-Michel Lang a ainsi montré à quel point les ossuaires sont présents dans la partie occidentale du monde germanique (Lang J.-M., Ossuaires de Lorraine. un aspect oublié du culte des morts, Metz, 1998). Et sur le caractère répandu des ossuaires dans la France du Nord, voir Van Gennep A., Le folklore français, Paris, 1943, rééd. 1998, vol. 1, p. 658.

28 Cf. Photographie 12.

29 Déceneux M., « Le grand calvaire breton. Une formule née dans le haut pays », Ar Men, n° 132, 2003, p. 34-41.

30 Ibidem, p. 41.

31 Il semble cependant, d’après quelques restes archéologiques, que d’autres calvaires de ce type aient existé au xvie siècle.

32 Blot R., « Le calvaire de La Nouaye », La vie diocésaine, 1992, n° 7, p. 191, et « Croix et calvaires d’Ille-et-Vilaine », La vie diocésaine, 1993, n° 17, p. 486-487.

33 La croix d’enclos de Landavran est en tout cas en bois au milieu du xvie siècle.

34 Blécon J., « Les croix rurales du canton de Guer », MSHAB, t. lvii, 1980, p. 128-161. À l’issue de cette étude, fondée sur l’examen des plans cadastraux et des actes notariés, l’auteur conclut que la plupart des croix sont récentes. L’actuel canton de Guer correspond à la partie sud-est du doyenné de Beignon, dans le diocèse de Saint-Malo.

35 C’est la conclusion de Jean Blécon (ibidem).

36 Ropartz S., notice sur la ville de Ploërmel, 1864, rééd. Paris, 1999, p. 74. Cf. Photographie 13.

37 Martin H., « La fonction polyvalente des croix à la fin du Moyen Âge », Espace et le sacré (L’), n° spécial des ABPO, t. 90, 1983, n° 2 ; Martin H., Martin L., « Croix rurales et sacralisation de l’espace. Le cas de la Bretagne au Moyen Âge », Archives de sciences sociales des religions, t. 43, 1977, n° 1, p. 23-38.

38 Nassiet M., « Signes de parenté, signes de seigneurie : un système idéologique (xvexvie siècle) », MSHAB, t. lxviii, 1991, p. 175-232.

39 « Claude Lévi-Strauss appelant “maison” une personne morale, détentrice de biens matériels et immatériels, un nom et des signes, qui se perpétue non pas exclusivement par filiation unilatérale : la transmission y est “tenue pour légitime à la seule condition que cette continuité puisse s’exprimer dans le langage de la parenté ou de l’alliance, et le plus souvent, les deux ensemble” » (Levi-Strauss C., « Histoire et ethnologie », AESC, t. 38, 1983, n° 6, p. 1217-1231, cité par Nassiet M., art. cit., p. 205).

40 Nassiet M., art. cit., p. 214.

41 Ibidem, p. 211.

42 Leguay J.-P., Martin H., Fastes et malheurs de la Bretagne ducale. 1213-1532, Rennes, 1982, p. 347.

43 Nassiet M., art. cit., p. 184.

44 Ibidem, p. 216.

45 Du Fail N., Sauvageau M., Chapel, Les plus solennels arrests et reglemens donnez au Parlement de Bretagne, Nantes, 1715, p. 17.

46 Chasuble : vêtement porté par-dessus tous les autres par le prêtre qui célèbre la messe.

47 Dalmatique : vêtement porté par-dessus tous les autres par le diacre et le sous-diacre lors de la messe.

48 Étole : longue bande d’étoffe portée autour du cou par le célébrant et les desservants à la messe et pour administrer les sacrements.

49 Manipule : bande d’étoffe portée sur le bras gauche par le célébrant et les desservants lors de la messe.

50 Surplis : vêtement de dessus, constitué de toile fine, porté par les membres du clergé en dehors des cérémonies liturgiques (si ce n’est lors de certaines processions), ainsi que par les clercs sans habits spécifiques, les chantres et les enfants de chœur.

51 Aube : vêtement de dessous, en toile de lin ou de chanvre, que portent les clercs pour célébrer la messe et procéder aux fonctions qui la précèdent et la suivent immédiatement.

52 Amict : Pièce de tissu blanc portée sous une aube, servant à en protéger le col aussi bien qu’à préserver le cou du froid.

53 Voir Lagadec Y., Restif B., « Pouvoir et religion dans une paroisse rurale de Haute-Bretagne au xvie siècle : le compte de fabrique de Louvigné-de-Bais (1503-1504) », ABPO, t. 109, 2002, n° 1, p. 31-60, ainsi que Restif B., « Textile et sacré. Bannières, vêtements et linges liturgiques en Haute-Bretagne aux xvie et xviie siècles », MSHAB, t. lxxxi, 2003, p. 243-252.

54 Courtine : rideau placé sur le côté d’un autel (deux courtines encadrent alors l’autel) ou, éventuellement, derrière l’autel.

55 Costumes de statues : vêtements placés sur les statues les plus vénérées. Ce sont souvent des robes, notamment lorsqu’il s’agit de statues de la Vierge.

56 Ainsi, il y a à Saint-Sulpice de Fougères, en 1503, 12 courtines et rideaux, sans compter les tapisseries, les parements d’autels et 160 nappes. Notons également la présence de 5 robes pour la statue de la Vierge.

57 Aribaud Ch., Soieries en sacristie : fastes liturgiques, xviie-xviiie siècles, Paris/Toulouse, 1998, p. 24 et 64.

58 C’est le cas, par exemple, des statuts synodaux de l’évêque de Saint-Malo Denis Briçonnet, en 1515.

59 Damas : étoffe tissée dont les mêmes dessins apparaissent à l’endroit en satin sur fond de taffetas et à l’envers en taffetas sur fond de satin.

60 Le bleu sert à remplacer le violet ou le blanc.

61 Antependium : devant d’autel en tissu (le mot désigne en fait n’importe quel devant d’autel en matériau souple).

62 Vincent C., Fiat Lux. Lumière et luminaires dans la vie religieuse du xiiie au xvie siècle, Paris, 2004, p. 66 sq.

63 Dans de nombreuses paroisses, le miel fait partie des denrées offertes par les paroissiens à la fabrique.

64 Vincent C., op. cit., p. 94-95.

65 De ce fait, les torches sont souvent imposantes. Pour ce qui est du Corpus Domini, l’évêque de Saint-Malo Denis Briçonnet ordonne, dans les statuts synodaux qu’il promulgue en 1515, que les prêtres « ne portent point le precieux sacrement aux malades sans lumiere », prescription certes formulée à l’époque carolingienne (Lemaitre N. (dir.), Histoire des curés, Paris, 2002, p. 81) mais qu’il était visiblement nécessaire de rappeler.

66 Qui a lieu le 2 février. À cette occasion, tous les assistants participent à une procession en tenant une bougie à la main, bougie auparavant bénite par le clergé et conservée ensuite par chacun.

67 Vincent C., Fiat Lux…, op. cit., p. 460-468.

68 Voir à ce sujet Dendy D. R., the use of Ligths in Christian Worship, Londres, 1959, p. 128-150.

69 Dans ces cas, non seulement les trésoriers n’en achètent pas, mais la paroisse ne possède même pas de lampe pour accueillir l’huile, ce qui signifie aussi qu’il n’existe pas d’autres sources de financement. Dans d’autres cas, les achats d’huile sont très irréguliers. Ainsi, à Saint-Gondran, paroisse du diocèse de Saint-Malo, il n’y a pas de dépenses en huile de 1582 à 1593, ni de 1605 à 1612.

70 Vincent C., op. cit., p. 74-75. En Haute-Bretagne, c’est en 1619 que l’évêque de Saint-Malo Guillaume Le Gouverneur autorise l’utilisation de l’huile de noix : il semble que cette décision vise à répandre l’usage de l’huile (le pays de Vitré se trouve quant à lui dans le diocèse de Rennes, pour lequel nous ne disposons d’aucun texte autorisant la consommation d’huile de noix).

71 Pour Saint-Sulpice de Fougères, l’existence d’une veilleuse du Saint-Sacrement est attestée à partir de 1545, mais il y a en même temps une veilleuse permanente devant la statue de la Vierge.

72 Lepareur F., op. cit., p. 377-378.

73 Gasnault P., « Les livres liturgiques conservés par les églises du diocèse de Sens à la fin du Moyen Âge », L’Encadrement religieux des fidèles au Moyen Âge et jusqu’au concile de trente. La paroisse – Le clergé – La pastorale – La dévotion, Paris, C.T.H.S., 1985, p. 365-378.

74 Lemaitre N., Le Rouergue flamboyant. Le clergé et les fidèles du diocèse de Rodez (1417-1563), Paris, 1988 ; Lemaitre J.-L., « Les livres liturgiques des paroisses du Rouergue au milieu du xve siècle », L’encadrement religieux des fidèles…, op. cit., p. 379-389.

75 Nous ne disposons d’aucun renseignement sur les paroisses du diocèse de Dol.

76 Cité par La borderie A. de, « Note sur les livres et les bibliothèques au Moyen Âge en Bretagne », Bibliothèque de l’École des Chartes, t. 3, 1862, p. 39-53.

77 Duine F., « Bréviaires et missels des églises et abbayes bretonnes de France antérieures au xviie siècle », BMSAIV, t. xxxv, 1906, p. 1-219.

78 Ibidem, p. 72-74. Ce missel est répertorié par Robert Amiet sous le n° 566 (Amiet R., Missels et bréviaires imprimés (supplément aux catalogues de Weale et Bohatta). Propres des saints (édition princeps), Paris, 1990).

79 Bohatta H., Bibliographie der Breviere. 1501-1850, Leipzig, 1937, rééd. Stuttgart/Nieuwkoop, 1963 ; AMiet R., op. cit.

80 Gasnault P., art. cit., p. 366.

81 Je reprends ici la définition donnée par Aimé-Georges Martimort (Martimort A.-G., Les « ordines », les ordinaires et les cérémoniaux, Typologie des sources du Moyen Âge occidental, fasc. 56, Turnhout, 1991) ; voir aussi Palazzo E., « Les ordinaires liturgiques comme sources pour l’historien du Moyen Âge. À propos d’ouvrages récents », Revue Mabillon, t. lxiv, 1992, p. 233-240.

82 Aussedat-Minvielle A., Molin J.-B., Répertoire des rituels et processionnaux imprimés conservés en France, Paris, 1984, p. 260.

83 500 ans d’imprimerie en Bretagne. 1484-1985, catalogue d’exposition, Rennes, 1985, p. 22. Cet ouvrage imprimé en 1485 est une Coutume de Bretagne.

84 Il s’agit du missel répertorié par Robert Amiet sous le n° 817 (Amiet R., op. cit.).

85 500 ans d’imprimerie en Bretagne, op. cit., p. 22.

86 Ces ouvrages sont répertoriés par Robert Amiet sous les numéros 818 à 823 (Amiet R., op. cit.).

87 Ces bréviaires sont répertoriés par Hans Bohatta sous les numéros 2606 à 2608 (Bohatta H., op. cit.).

88 Répertoire des rituels et processionnaux…, op. cit., p. 242.

89 Il s’agit du missel répertorié par Robert Amiet sous le numéro 358 (Amiet R., op. cit.) et des bréviaires répertoriés par Hans Bohatta sous les numéros 2197 et 2198 (Bohatta H., op. cit.).

90 Il s’agit des missels répertoriés par Robert Amiet sous les numéros 566 et 566 B (Amiet R., op. cit.).

91 Répertoire des rituels et processionnaux…, op. cit., p. 260.

92 Ce qui est certain pour le diocèse de Saint-Malo, et correspond à une hypothèse pour le diocèse de Dol.

93 Lemaitre N., Saint Pie V, Paris, 1994, p. 179-198.

94 Notons que s’il est évidemment impossible, faute de sources, de procéder à une évaluation chiffrée de l’assistance à la messe, il ne s’ensuit pas que le cas de la paroisse de Vertou, située au sud de Nantes, où, selon le curé, de nombreux habitants n’assistent qu’exceptionnellement à la messe (Croix A., Quéniart J., De la Renaissance à l’aube des Lumières, Paris, 1997, p. 68), doive être, sans critique, généralisé à l’ensemble des paroisses de l’Ouest de la France.

95 Pour ce qui est des justices laïques, je me fie sur ce point aux informations aimablement communiquées par Christiane Audran, qui a dépouillé l’ensemble des archives judiciaires conservées pour la région correspondant aux diocèses de Rennes, Dol et Saint-Malo au xvie siècle.

96 Dumoutet E., Le désir de voir l’hostie et les origines de la dévotion au Saint-Sacrement, Paris, 1926.

97 Rubin M., Corpus Christi. The Eucharist in Late Medieval Culture, Cambridge, 1991.

98 La messe se termine par quelques éléments finaux, dont la bénédiction du prêtre. Quelques variations dans le rite interviennent en fonction des usages diocésains, mais le schéma d’ensemble est partout le même, et le reste dans le Missel publié par Pie V en 1570 (Viguerie J. de (éd.), Histoire de la messe, xviiexixe siècles, Angers, 1980).

99 Bossy J., « Essai de sociographie de la messe, 1200-1700 », AESC, t. 36, 1981, n° 1, p. 44-70.

100 Ibidem ; Bossy J., Christianity in the West (1400-1700), Oxford, 1985.

101 Cf. infra, chapitre 6. La profession du testateur n’est que rarement indiquée ; quand c’est le cas, il s’agit presque toujours d’ecclésiastiques.

102 Célébrée le deuxième dimanche après la Pentecôte.

103 Baccrabère G., « La pratique religieuse dans le diocèse de Toulouse aux xvie et xviie siècles », Annales du Midi, t. 74, 1962, p. 287-314.

104 Van Gennep A., op. cit.

105 Sur ce sujet, voir Lemaitre N., « Confession privée et confession publique dans les paroisses du xvie siècle », RHEF, t. lxix, 1983, n° 183, p. 189-208.

106 Lemaitre N., « Société et vie religieuse du début du xvie au milieu du xviie siècle. Les formes élémentaires de la pratique religieuse », Bulletin de la Société d’Histoire Moderne et Contemporaine, t. 42, 1995, n° 1-2, p. 39-54.

107 Cette cloche de 1463, fêlée en 1939, a été fondue en 1949.

108 Une étude des types de procession est menée infra, chapitre 9.

109 Lemaitre N., « Société et vie religieuse (…) », art. cit.. Voir aussi Martin Ph., Les chemins du sacré. Paroisses, processions, pèlerinages en Lorraine du xvie au xxe siècle, Metz, 1995.

110 Vauchez A. (dir.), La religion civique à l’époque médiévale et moderne (Chrétienté et Islam), Rome, 1995.

111 Thoby P., Le crucifix des origines au concile de trente, Nantes, 1959.

112 Cf. Photographie 14.

113 Le nom de l’artiste n’est pas connu.

114 Près d’un tiers des statues conservées sont des représentations de la Vierge.

115 Nous savons au moins qu’elle est réelle à l’égard de saint Méen, un pèlerinage d’ampleur ayant lieu, pour obtenir des guérisons grâce à l’action du saint, dans la paroisse portant son nom, dans le diocèse de Saint-Malo.

116 14 ont pour siège un couvent de Mendiants, et 1 une chapelle (Leguay J.-P., Martin H., op. cit., p. 367).

117 Sur cette question, voir Chevalier B., Les bonnes villes de France du xive au xvie siècle, Paris, 1982, p. 250-254, et Chevalier B., « Corporations, conflits politiques et paix sociale en France aux xive et xve siècles », Revue historique, t. cclxviii, n° 543, 1982, p. 17-44.

118 Mandrou R., Introduction à la France moderne (1500-1640). Essai de psychologie historique, Paris, 1961, rééd. 1974, p. 135.

119 Certes, à Rennes comme dans les autres grandes villes du royaume, un certain nombre de confréries ont leur siège dans un couvent des frères mendiants. Mais, comme le fait remarquer Bernard Chevalier, « il est probable que leur rôle s’est arrêté là ». Aucune confrérie ne prend pour saint patron François ou Dominique, et nulle d’entre elles ne saurait être considérée comme « un succédané du tiers-ordre » (Chevalier B., op. cit., p. 255).

120 Notons qu’une même personne peut appartenir à plusieurs confréries à la fois, rarement plus de deux probablement. Les villes d’importance grande ou moyenne étant peu nombreuses, et la liste des confréries étant incomplète, il ne serait pas significatif de calculer des statistiques à partir des noms des différentes associations. À une autre échelle, Hervé Martin l’a pratiqué pour la Bretagne, et le résultat met en évidence à la fois la grande variété des patronages et la prédominance de la Vierge (Leguay J.-P., Martin H., op. cit., p. 368-369).

121 Herpin E., « Les “nobles bourgeois” de Saint-Malo (du xiie au xviie siècle) », ASHAASM, 1925-1926, p. 83-96 ; Ropartz S., « Anciens statuts de la frérie blanche de Guingamp », Revue de Bretagne et de Vendée, t. x, 1861, p. 40-47. La confrérie blanche de Guingamp est érigée en 1456, celle de Saint-Malo est fondée en 1240.

122 Vincent C., Des charités bien ordonnées. Les confréries normandes de la fin du xiiie siècle au début du xvie siècle, Paris, 1988. Jean-Michel Matz signale à la fois, pour l’Anjou, l’antériorité des confréries urbaines et, lié sans doute à un mouvement de diffusion assez précoce, le nombre probablement important de confréries en milieu rural dès la fin du xve siècle (Matz J.-M., « Les confréries dans le diocèse d’Angers (v. 1350 – v. 1560) », ABPO, t. lxxxxviii, 1991, n° 1, p. 347-372).

123 Croix A., L’Âge d’or de la Bretagne. 1532-1675, Rennes, 1993.

124 De ce fait, il n’y a pas, comme en Normandie, et pour autant qu’on puisse en juger d’après les sources conservées, de membres de paroisses rurales adhérant à des confréries urbaines (Vincent C., Des charités bien ordonnées…, op. cit., p. 260-265). Jean-Michel Matz constate lui aussi, pour l’Anjou, le lien très fort qui existe entre la structure confraternelle et la structure paroissiale (Matz J.-M., art. cit.).

Table des illustrations

Titre Document 15. – Plan de l’église de La Baussaine (Blot R., « La Baussaine. Église Saint-Léon », La vie diocésaine, 2000, n° 12, p. 300).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/7068/img-1.png
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