La révolution des paroisses
|Introduction
Texte intégral
- 1 Dans le diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier et dans celui de Vannes, correspondant respectivement (...)
- 2 Pour reprendre une expression forgée par Yves Le Gallo pour le Finistère du xixe siècle (Le Gallo (...)
1Le premier janvier 2003, une importante restructuration du dispositif pastoral du diocèse de Rennes, Dol et Saint-Malo, diocèse correspondant au département d’Ille-et-Vilaine, aboutit au remplacement des 403 paroisses par 84 nouvelles circonscriptions formant le premier niveau du découpage territorial, baptisées « nouvelles paroisses ». Chaque paroisse comprend désormais plusieurs églises et il n’y a plus d’adéquation, dans le monde rural et périurbain, entre la paroisse et la commune1. Cette évolution, commandée par la forte baisse du nombre des prêtres, paraît annoncer la fin d’un monde dont la genèse remonte à l’Antiquité tardive et au Haut Moyen Âge, celui d’une religion vécue dans le cadre paroissial, élément qui a constitué une donnée fondamentale de l’histoire des hommes et des femmes de la Bretagne et plus largement de la Chrétienté occidentale. Certes, les acteurs de ces redécoupages comptent sur le dynamisme des laïcs pour pallier les problèmes induits par ces bouleversements qui ne sont pas que géographiques. Ceci dit, il est bien évident que la fin de la « civilisation paroissiale2 » est d’abord la manifestation d’une déperdition sans précédent de l’emprise de l’Église catholique sur la société, phénomène qui touche la Bretagne plus tardivement que les autres régions françaises, mais de façon non moins spectaculaire.
2S’il est vrai que l’historien, consciemment ou non, interroge le passé en fonction du présent, la succession, en quelques décennies, du concile de Vatican II qui a rendu caducs les décrets du concile de Trente, d’une chute brutale de la pratique religieuse, d’une forte poussée de l’agnosticisme et du rejet du discours tenu par l’institution ecclésiale, invite à s’interroger à nouveau sur ce que fut la mise en place d’un monde qui aujourd’hui, en Bretagne comme ailleurs en Occident, semble disparaître. De fait, la création du réseau paroissial est contemporaine de la première christianisation, celle qui a été effectuée à la charnière de l’Antiquité tardive et du Haut Moyen Âge. Mais c’est aussi dans le cadre paroissial que, pour le plus grand nombre, a été mené ce qui a alors été conçu comme une nouvelle christianisation, de non moins grande ampleur que la première, à savoir la Réforme catholique, un processus de longue durée dont les derniers prolongements ont été enterrés lors du concile de Vatican II.
- 3 Pour l’essentiel, car on trouve effectivement quelques rares usages antérieurs (le premier à utili (...)
- 4 Febvre L., « Le cas Briçonnet », Annuaire de l’École des Hautes Études, 1946 ; Jedin H., Katolisch (...)
- 5 Léonard E. G., Histoire générale du protestantisme, Paris, 1961, t. i : La Réformation.
- 6 Venard M., « Réforme, Réformation, préréforme, Contre-Réforme… Étude de vocabulaire chez les histo (...)
- 7 Bedouelle G., La Réforme du catholicisme (1480-1620), Paris, 2002.
3Il n’est pas inintéressant de noter que l’expression « Réforme catholique » a, pour l’essentiel, été forgée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale3, à un moment où, tout à la fois, l’histoire religieuse est fortement renouvelée par l’influence de l’École des Annales et celle de la sociologie lebrasienne, tandis que l’Église catholique commence à être, timidement, travaillée par des forces qui mèneront au concile de Vatican II. C’est dès 1946 que, chacun de leur côté, Lucien Febvre et Hubert Jedin invitent à abandonner les étiquettes, longtemps commodes pour des raisons idéologiques – l’affrontement était privilégié – mais historiquement trompeuses, de « Réforme » (protestante) et de « Contre-Réforme » (catholique)4. Puis les médiévistes rappellent que la reformatio in capite et in membris est un thème qui traverse l’Église à partir du xive siècle. En 1972, Marc Venard retrace la chronologie de la diffusion de l’expression « Réforme catholique », justifiant le choix de ce vocable, tout en proposant de continuer à appeler « Réformation » la Réforme protestante – ce qui était aussi le choix de l’historien du protestantisme Émile Léonard5 – et « Contre-Réforme » les aspects anti-protestants de la Réforme catholique6. En 2002, Guy Bedouelle choisit d’intituler La Réforme du catholicisme l’ouvrage qu’il consacre à la période 1480-16207.
- 8 Notons cependant que l’histoire scolaire présente sur ce sujet un étrange retard.
- 9 CHaunu P., Le temps des Réformes. Histoire religieuse et système de civilisation. La crise de la c (...)
4Aujourd’hui, de fait, l’affaire semble entendue8. La Réforme protestante (ou Réformation) et la Réforme catholique sont moins perçues comme des mouvements antagonistes que comme des processus qui, tout en s’inscrivant en partie dans une logique d’affrontement, présentent davantage de points communs que de différences et ont la même origine. Ce n’est pas l’un des moindres acquis de l’historiographie de ces dernières décennies que d’avoir permis un renversement complet de perspective, la Réforme protestante et la Réforme catholique apparaissant désormais non pas comme la conséquence d’ » abus » antérieurs, mais comme les aboutissements du renouveau de vitalité matérielle et spirituelle que connaît l’Église en Occident depuis la fin du xive siècle. Comme l’a montré Pierre Chaunu par exemple9, le mouvement de la devotio moderna qui se caractérise par l’individualisation et l’intériorisation du sentiment religieux et qui marque le monde rhéno-flamand au xv e siècle apparaît bien, sur le plan spirituel, comme l’une des sources principales de l’évangélisme d’Érasme et de Lefèvre d’Étaples, et plus largement du bouillonnement religieux que connaît l’Europe occidentale dans le premier tiers du xvie siècle. De même, les liens entre Gerson et le renouveau pastoral du xvie siècle ont été soulignés.
- 10 Tallon A., Le concile de trente, Paris, 2000, p. 10.
5Si le mouvement de réforme est antérieur à la Réformation mise en œuvre, entre autres, par Luther et Calvin, c’est cependant bien au xvie siècle qu’il se déploie. Radicalisé par les protestants qui entendent, avec des différences parfois non négligeables entre les courants, mener à terme une refondation perçue comme un retour à l’Église primitive, le courant de réforme est, avec quelque retard, théorisé et légitimé au sein de l’Église catholique lors du concile de Trente, qui s’ouvre en 1545 et se clôt en 1563. Même si ce concile a en partie l’aspect d’une Contre-Réforme, à savoir d’une riposte à la Réformation, c’est pourtant bien l’aspect réformateur qui l’emporte. Alain Tallon souligne « la modernité conciliaire » et non pas son conservatisme, c’est-à-dire que « l’assemblée tridentine participe pleinement de toutes les évolutions de la société de son temps, et notamment […] elle s’intègre dans le processus nouveau de contrôle social qui caractérise les temps modernes10 ». Dans le cadre de la confessionnalisation, les différentes Églises ont pour but de faire de chaque individu un chrétien conscient du contenu de sa foi, adhérant de façon effective au dogme défini par la hiérarchie et dont la conformité des pratiques est un critère objectif d’inscription dans un corps ecclésial. Vastes entreprises d’encadrement et de transformation des fidèles, les réformes religieuses constituent l’un des principaux éléments qui font passer l’Europe occidentale de l’époque médiévale aux temps modernes, apparaissant ainsi comme un processus de transformation non seulement religieuse mais aussi culturelle. D’un point de vue strictement religieux, elles cherchent à assurer le passage, comme l’ont souligné Marc Venard et John Bossy, d’une « religion sacrale », ritualiste, marquée par l’immanence et une certaine indistinction entre sacré et profane, à une « religion dévote », intériorisée, marquée par la transcendance et requérant l’instruction de chacun.
- 11 Ibidem, p. 77.
- 12 Bedouelle G., op. cit.
- 13 « Ainsi dans le domaine artistique, les appels du concile à la décence et à la clarté doctrinale d (...)
6Alain Tallon signale « l’aspect incomplet, partiel de la Réforme tridentine, que l’on ne doit surtout pas confondre avec la Réforme catholique dans son ensemble11 ». En effet, la Réforme catholique précède, englobe et se poursuit après le concile de Trente12. Celui-ci n’intervient pas dans la totalité des domaines qui caractérisent la Réforme catholique13, même si les décrets du concile deviennent de façon évidente le point d’ancrage de l’œuvre réformatrice. La mise en œuvre de la Réforme catholique reste très progressive, d’autant qu’en France les conflits politico-religieux en retardent l’application pendant toute la seconde moitié du xvie siècle. Aussi considère-t-on traditionnellement que l’application de la Réforme catholique dans les diocèses français commence effectivement au début du xviie siècle, le clergé français proclamant en 1615 la réception des décrets du concile, et commence par toucher le Sud-Est du royaume avant d’en atteindre plus tardivement le Nord-Ouest. Cependant, une étude de ce processus se doit aujourd’hui, au vu des acquis de l’historiographie, de porter à la fois sur les xvie et xviie siècles. Cela doit permettre de mettre en lumière la genèse des réalisations qui, de fait, sont souvent tangibles à partir du début du xviie siècle.
7La Réforme catholique étant un processus de transformation pensé, impulsé et coordonné par une hiérarchie, il est nécessairement apparu logique de mener des études régionales qui envisagent d abord l action des évêques, puis les transformations du clergé, enfin la vie religieuse des fidèles que l’on entreprend de transformer à l’aide des missions et des confréries de dévotion. Efficace et logique, cette démarche a déjà été appliquée à de nombreuses reprises avec un succès qui a fait de la France un pays de référence, à l’échelle internationale, dans le domaine de l’histoire religieuse, mais l’on pourrait à bon droit se demander si son application à un nouveau champ géographique n’illustrerait pas une loi des rendements décroissants dont les historiens s’inquiètent parfois.
- 14 Pour reprendre le titre donné par Jacques Revel à sa préface d’un ouvrage de Giovanni Levi (Revel (...)
8C’est pourquoi le projet consiste ici à inverser la perspective classique. Plutôt que de porter l’attention sur la transmission des ordres et les transformations en cascade qui se succèdent du haut (la hiérarchie ecclésiastique) vers le bas (les simples fidèles), il s’agit d’étudier la vie paroissiale afin de mieux mesurer la chronologie et l’importance des transformations, de mieux identifier les acteurs du changement, leurs intentions et leurs stratégies, et de mieux saisir l’importance des innovations, la pesanteur des héritages et la force des résistances. Il s’agit donc de pratiquer une histoire de la Réforme catholique « au ras du sol14 » ou en d’autres termes d’étudier les transformations du quotidien, en l’occurrence la vie religieuse, à la base pourrait-on dire, dans des paroisses qui ont peut-être été un peu négligées par les historiens de la Réforme catholique, parce que ces structures préexistaient à la mise en œuvre de l’entreprise réformatrice, à la différence des confréries de dévotion par exemple.
9Si l’ambition est évidemment de mieux rendre compte des mutations, non pas parce que cette méthode est en soi la plus pertinente, mais parce qu’elle a été la moins pratiquée et que pour cette raison elle est susceptible d’enrichir notre connaissance du processus réformateur, le choix du terrain d’enquête doit résulter d’une confrontation entre des réalités historiques, l’héritage d’une historiographie, l’existence de sources et, peut-être aussi, celle de questions qui naissent des mutations du temps présent.
- 15 Potier de La Germondaye, Introduction au gouvernement des paroisses, suivant la jurisprudence du P (...)
- 16 Pichot D., Le village éclaté. Habitat et société dans les campagnes de l’Ouest au Moyen Âge, Renne (...)
- 17 Provost G., La fête et le sacré. Pardons et pèlerinages en Bretagne aux xviie et xviiie siècles, P (...)
- 18 Croix A., La Bretagne aux xvie et xviie siècles. La vie, la mort, la foi, Paris, 1981 ; Croix A., (...)
10La Haute-Bretagne présente l’avantage de répondre à tous ces critères d’une façon on ne peut plus favorable. Les évolutions les plus récentes invitent, nous l’avons vu, à une interrogation du passé. Si la paroisse a constitué, partout en Occident, une structure d’encadrement à l’importance évidente, sa dimension vécue a sans doute été encore plus importante dans le Massif armoricain qu’ailleurs en France. En effet, la paroisse s’y confond avec la communauté d’habitants, au point que les juristes du xviiie siècle peinent à distinguer « fabrique » et « général », et y échouent d’ailleurs largement15. En outre, en ces pays d’habitat dispersé, seule la paroisse constitue le cadre communautaire que ne peuvent assurer ni la répartition de l’habitat, ni l’exploitation agricole, ni la seigneurie16. En Basse-Bretagne cependant, c’est-à-dire dans cette partie de la Bretagne où la langue bretonne est pratiquée, soit, pour faire simple, à l’ouest d’une ligne joignant Saint-Brieuc à la presqu’île de Rhuys, la structure paroissiale est affaiblie par les frairies, quartiers de paroisses desservis par des prêtres célébrant la messe dans des chapelles publiques17. Une exclusion de la Basse-Bretagne du champ d’étude se justifie d’autant mieux qu’elle a, depuis 1980 environ, retenu prioritairement l’attention des meilleurs spécialistes de l’histoire religieuse de la Bretagne à l’époque moderne18. La Haute-Bretagne a jusqu’ici surtout servi, en matière d’histoire religieuse de l’époque moderne, de terrain de comparaison avec la Basse-Bretagne pour laquelle étaient forgées questions et problématiques, les enquêtes menées sur le pays gallo (ou Haute-Bretagne) servant essentiellement à mieux mesurer l’originalité de la partie occidentale de la province. Il m’est de ce fait apparu probable qu’un travail mené exclusivement sur la Haute-Bretagne permettrait de faire émerger des phénomènes jusqu’ici méconnus. Pour ces raisons, les diocèses de la Bretagne centrale, ceux de Saint-Brieuc et de Vannes, qui se situent pour partie en Basse-Bretagne et pour partie en Haute-Bretagne, ont eux aussi été exclus.
11Quant aux sources, nombreuses, la plupart n’avaient pas jusqu’ici été exploitées, leur long sommeil permettant à l’historien de travailler sur des documents pour une large part inédits. Ce sont les comptes de fabrique, particulièrement nombreux à avoir été conservés, très riches d’information en Haute-Bretagne, et pour l’essentiel déposés dans les dépôts d’archives publiques dans les années 1990, qui constituent ici le principal type de source. Ceci dit, parce que c’est l’historien qui constitue son objet d’étude et, à partir de là, son corpus, et non pas le corpus, jamais préexistant, qui détermine le travail du chercheur, les comptes de fabrique ne constituent pas la seule source, loin de là. En fait, c’est l’ensemble des archives paroissiales qui est susceptible de fournir des informations. Ces archives comprennent des documents de nature diverse, fournissant des renseignements qui se complètent. Parmi ces documents, les archives des confréries nécessitent d’autant plus d’être dépouillées que, contrairement à une opinion trop longtemps répandue, les confréries de dévotion apparaissent bien moins comme des concurrents de la paroisse que comme des compléments à l’encadrement paroissial. Quant aux testaments et aux fondations conservés dans les fonds des paroisses, leur étude s’impose là aussi, car il s’agit bien de faire l’histoire des paroissiens et non celle de la paroisse – même si l’histoire de celle-ci est nécessaire à l’histoire de ceux-là – et ces documents fournissent des renseignements sur les dévotions, sur les messes et sur la mort notamment, qu’il n’est pas possible de trouver ailleurs.
- 19 Je reprends là une expression de Jean Delumeau (Delumeau J., Le catholicisme entre Luther et Volta (...)
12Même s’il s’agit de se pencher sur la vie religieuse à l’échelle de la paroisse, il n’est pas possible d’étudier l’application de la Réforme catholique sans prendre en compte la politique menée par la hiérarchie ecclésiastique. En l’absence presque complète de procès-verbaux de visites pastorales, l’examen des comptes de fabrique fournit de nombreux renseignements, jusqu’ici inconnus ou négligés. Par ailleurs, les statuts synodaux, les procès-verbaux de synodes, les procès-verbaux de visite d’églises offrent d’innombrables entrées pour l’étude de l’action de l’épiscopat et du clergé. Dans le cadre de la redécouverte actuelle de la liturgie, les ouvrages liturgiques constituent une source qu’il convient de ne pas négliger, de même qu’une production imprimée, limitée certes, qui concerne de façon plus ou moins directe les paroisses de Haute-Bretagne. Si l’étude des évêques et de leurs actions s’impose, a fortiori celle des membres du clergé dont la tâche est d’encadrer et de « remodeler les fidèles19 » le mérite. Il s’agit d’une part du clergé paroissial, d’autre part des missionnaires et des prédicateurs. Les rapports de mission, les enquêtes menées par la hiérarchie ecclésiastique sont riches d’enseignement, mais tout autant, là encore, les comptes de fabrique, qui permettent par exemple de pallier le naufrage des archives des franciscains et des dominicains. L’étude de ces intermédiaires culturels que sont les recteurs (nom des curés en Bretagne) passe aussi par le dépouillement des inventaires après décès et l’analyse des presbytères.
- 20 Ce qui ne signifie pas que des travaux déjà anciens n’aient pas exploré cette voie ; il suffit de (...)
13Et de fait, l’historien d’aujourd’hui ne travaille plus seulement sur des textes. Le rapprochement, récemment renforcé, entre histoire et histoire de l’art20 doit l’inciter à utiliser les documents iconographiques, les objets réalisés avec une préoccupation esthétique et les monuments comme des sources à part entière, au même titre que les sources manuscrites et les sources imprimées. Le souci d’un croisement des sources justifie le refus de consacrer une partie du travail aux seuls monuments ou à la seule statuaire. Si les monuments, les objets et les images sont des sources au même titre que les textes, alors il n’y a pas de raison pour que ces documents n’informent pas l’ensemble du discours, lorsqu’ils offrent des renseignements bien entendu.
14Enfin, les sources orales sont, par nature, les plus difficiles à appréhender. Les informations collectées par les folkloristes au xixe siècle peuvent s’avérer utiles à condition, évidemment, d’êtres soumises à la critique de l’historien. Notons par ailleurs qu’un détour par les archives judiciaires peut offrir un certain nombre de renseignements sur les gestes et les sensibilités.
- 21 Minois G., un échec de la Réforme catholique en Basse-Bretagne : le trégor du xvie au xviiie siècl (...)
- 22 Minois G., op. cit.
15La volonté d’étudier l’application progressive de la Réforme catholique, dans le quotidien d’une vie religieuse vécue à l’échelle paroissiale, incite au choix d’une longue durée à laquelle invite également l’historiographie. L’étude des xvie et xviie siècles s’impose donc, à la fois pour mesurer la vitalité des paroisses et de la vie religieuse avant l’entreprise réformatrice, l’ampleur des mutations et celle des permanences, et pour soumettre à une critique serrée cette date de 1620, définie par Georges Minois et Georges Provost comme marquant, approximativement, le début de la Réforme catholique en Basse-Bretagne21 et qui, par une généralisation peut-être abusive, a été étendue à la moitié orientale de la province. Encore est-elle perçue par Georges Minois comme un simple point de départ, celui d’une réforme du clergé, car selon lui les paroissiens du Trégor ne sont véritablement touchés par la Réforme catholique qu’à partir de 166022. Or, si vers 1640 le Haut-Breton Julien Maunoir entreprend d’évangéliser les Bas-Bretons à défaut des Hurons, la question d’un possible décalage chronologique entre les deux parties de la province mérite pour le moins d’être posée. De fait, l’étude qui suit commence au milieu du xve siècle, avec la mise par écrit des comptes de fabrique dans des registres.
16Le choix du terminus ad quem paraît plus difficile. La mise en place des séminaires et la fin de l’installation des retables proprement lavallois à l’extrême fin du xviie siècle, au moment où, par ailleurs, le déclin économique de la Bretagne est désormais nettement engagé, peut faire de 1700, date ronde, une coupure commode, mais il apparaît que certaines entreprises réformatrices se poursuivent jusque vers 1730. Aussi le terminus ad quem ne correspond-t-il pas à une date mais à une période, le début du xviiie siècle, que je ne m’interdis d’ailleurs pas de franchir si la nécessité s’en fait sentir.
17Dans la mesure où l’attention n’est pas prioritairement portée à l’action de la hiérarchie ecclésiastique, il est important de mener l’enquête sur plusieurs diocèses afin de mieux faire ressortir à la fois les originalités diocésaines et les mouvements de transformation qui transcendent les découpages diocésains, permettant ainsi de relativiser ou de mieux contextualiser les initiatives prises par tel ou tel prélat. La sélection d’un espace relativement homogène culturellement s’avère, dans cette optique, constituer un choix qui renforce la logique de l’étude, mais il est vrai aussi que l’existence d’un certain nombre de variantes résultant de l’action de plusieurs facteurs peut présenter un intérêt réel. Des quatre diocèses du tiers oriental de la Bretagne, ceux de Rennes, Dol, Saint-Malo et Nantes, le dernier a finalement été exclu de l’étude, pour des raisons tenant à la fois à son hétérogénéité culturelle et à sa superficie, suffisamment vaste pour hypothéquer la possibilité d’un travail sur plusieurs diocèses.
18L’étude des transformations de la vie religieuse dans le cadre paroissial conduit à privilégier le monde rural et celui des bourgs, là où la paroisse correspond à la communauté d’habitants. De plus, une prise en compte de Rennes, la capitale de la province, qui peut à elle seule faire l’objet d’une enquête d’ampleur, risque de déséquilibrer l’étude. Par ailleurs, les cités épiscopales de Dol et de Saint-Malo constituent des cas à part au vu de l’importance du rôle qu’y jouent les évêques et les chapitres cathédraux. Mais exclure les villes serait se priver d’éléments de comparaison fondamentaux, pour ne pas dire indispensables, risquant même d’hypothéquer la pertinence des conclusions qu’il serait possible de dégager. Ne considère-t-on pas en effet comme acquis le schéma selon lequel la Réforme catholique touche d’abord les villes avant de gagner les campagnes ? Une mise à l’épreuve de ce scénario et la nécessité de disposer de points de comparaison impose donc une prise en compte des villes petites et moyennes, les cités épiscopales demeurant seules exclues du champ d’enquête. Finalement, l’étude porte sur 436 paroisses et 33 trèves, subdivisions de paroisses aux larges attributions qui en font presque l’équivalent de paroisses.
- 23 De fait, la construction du plan correspond à l’articulation d’un raisonnement, et non pas au choi (...)
19Vu les logiques qui président à l’entreprise, la présentation de ces 469 paroisses et trèves et de leur gestion au xvie siècle s’impose dans un premier temps. Il convient ensuite d’envisager la vie religieuse, centrée sur l’église, et, dans un troisième temps seulement, l’encadrement clérical et les volontés de réforme de certains évêques. Les problèmes nés des troubles militaires à l’inspiration politico-religieuse marquent fortement la dernière décennie du xvie siècle et paraissent clore une époque. Le xviie siècle apparaît, tôt, comme le grand siècle de la Réforme catholique. La mise en œuvre, à grande échelle, de ce mouvement dépend des impulsions épiscopales et de la réforme du clergé paroissial, mais aussi de la gestion des fabriques. L’entreprise de christianisation accrue – du moins est-elle pensée ainsi – de la société présente des spécificités en milieu urbain avec l’action des élites dévotes, tandis que dans les campagnes elle passe par la prédication, les missions et l’essor des confréries de dévotion. Liturgie et pastorale se combinent dans les transformations de l’espace sacré et dans la magnificence accrue du culte. Il convient ensuite de saisir les réussites et les limites de la Réforme catholique sur le terrain des croyances comme sur celui des pratiques, les unes et les autres s’articulant23. La transformation des pratiques est une vaste entreprise qui se caractérise principalement par le souci de l’intériorisation, par celui du perfectionnement individuel et par une modification des rapports à l’image-objet, support matériel du culte. De ces réalités, il convient d’apprécier la mise en œuvre et la portée. De façon complémentaire, l’appréciation des réussites et des limites de l’œuvre réformatrice passe par l’étude des évolutions et des permanences qui marquent le domaine des dévotions. Enfin, les mutations et les résistances d’un monde ancien peuvent être analysées au travers de l’étude de quelques thèmes, les plus révélateurs, et si le xviie siècle en constitue le temps fort, seule la longue durée, du xvie au début du xviiie siècle, voire au xixe siècle, permet de mesurer l’ampleur, non pas exactement des inerties, mais des tactiques individuelles et collectives qui cherchent à déjouer l’efficacité de la stratégie réformatrice, elle-même menée par une diversité d’acteurs dont les intentions ne se recoupent pas toujours.
- 24 Dupuy R., La politique du peuple (xviiie–xixe siècle). Racines, permanences et ambiguïtés du popul (...)
20L’ambition de cette histoire religieuse, culturelle et sociale, est finalement de conserver cette attention au plus grand nombre qui caractérise l’histoire religieuse française depuis le développement de la sociologie historique dans les années 1960. Il s’agit aussi de poursuivre la remise en cause d’une vision statique de fidèles passifs, sorte de cire molle sur laquelle s’impriment les politiques menées par des élites éclairées et actives. Comme le souligne Roger Dupuy pour le champ du politique : « L’acculturation est forcément négociée24 ».
Notes
1 Dans le diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier et dans celui de Vannes, correspondant respectivement aux départements des Côtes-d’Armor et du Morbihan, le même type de remodelage a abouti dès 1997 à une très forte réduction, là aussi, du nombre des paroisses.
2 Pour reprendre une expression forgée par Yves Le Gallo pour le Finistère du xixe siècle (Le Gallo Y., Clergé, religion et société en Basse-Bretagne : de la fin de l’Ancien Régime à 1840, Paris, 1991).
3 Pour l’essentiel, car on trouve effectivement quelques rares usages antérieurs (le premier à utiliser cette expression étant l’historien protestant Wilhelm Maurenbecher dans les années 1880). Pour un rappel plu détaillé de ce débat historiographique, voir O’Malley J.W. trent and all that. Renaming catholicism in the Early Modern Era, Cambridge (Mass.), 2000.
4 Febvre L., « Le cas Briçonnet », Annuaire de l’École des Hautes Études, 1946 ; Jedin H., Katolische Reformation oder Gegenreformation ? Ein Versuch zur Klärung der Begriffe nebst einer Jubiläumsbetrachtung über das trienter Konzil, Lucerne, 1946.
5 Léonard E. G., Histoire générale du protestantisme, Paris, 1961, t. i : La Réformation.
6 Venard M., « Réforme, Réformation, préréforme, Contre-Réforme… Étude de vocabulaire chez les historiens récents de langue française », Joutard Ph. (éd.), Historiographie de la Réforme, actes du colloque d’Aix-en-Provence, Paris, 1977, p. 352-365.
7 Bedouelle G., La Réforme du catholicisme (1480-1620), Paris, 2002.
8 Notons cependant que l’histoire scolaire présente sur ce sujet un étrange retard.
9 CHaunu P., Le temps des Réformes. Histoire religieuse et système de civilisation. La crise de la chrétienté. L’éclatement (1250-1520), Paris, 1975. Voir aussi, entre autres, Taveneaux R., « Les prémices de la Réforme tridentine », RHEF, t. lxxv, 1989, n° 194, p. 205-213.
10 Tallon A., Le concile de trente, Paris, 2000, p. 10.
11 Ibidem, p. 77.
12 Bedouelle G., op. cit.
13 « Ainsi dans le domaine artistique, les appels du concile à la décence et à la clarté doctrinale des œuvres demeurent bien vagues. Il est impossible de fonder une esthétique sur les décrets conciliaires, comme le font trop souvent encore historiens et historiens d’art » (Tallon A., op. cit., p. 77). Alain Tallon souligne aussi que la Réforme catholique « mérite […] plus le qualificatif de romaine que de tridentine […] » (ibidem, p. 82).
14 Pour reprendre le titre donné par Jacques Revel à sa préface d’un ouvrage de Giovanni Levi (Revel J., « L’histoire au ras du sol », Levi G., Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du xviie siècle, trad. française, Paris, 1989, p. i-xxxiii). Cependant, à la différence de la microstoria, le choix d’une échelle locale ne correspond pas ici à la désignation d’un microcosme à décortiquer puisque ce sont quelques centaines de paroisses qui constituent le terrain de l’étude. Il ne s’agit pas non plus exactement de l’histoire du quotidien telle qu’elle est promue par l’Alltagsgeschichte. Cependant, des préoccupations communes existent avec ces courants historiographiques.
15 Potier de La Germondaye, Introduction au gouvernement des paroisses, suivant la jurisprudence du Parlement de Bretagne, Rennes/Saint-Malo, 1777.
16 Pichot D., Le village éclaté. Habitat et société dans les campagnes de l’Ouest au Moyen Âge, Rennes, 2002.
17 Provost G., La fête et le sacré. Pardons et pèlerinages en Bretagne aux xviie et xviiie siècles, Paris, 1998.
18 Croix A., La Bretagne aux xvie et xviie siècles. La vie, la mort, la foi, Paris, 1981 ; Croix A., Roudaut F., Les Bretons, la mort et Dieu de 1600 à nos jours, Paris, 1984 ; Provost G., op. cit.
19 Je reprends là une expression de Jean Delumeau (Delumeau J., Le catholicisme entre Luther et Voltaire, Paris, 1971, rééd. 1996, p. 365).
20 Ce qui ne signifie pas que des travaux déjà anciens n’aient pas exploré cette voie ; il suffit de penser par exemple à ceux de Pierre Francastel, Erwin Panofsky ou Johan Huizinga.
21 Minois G., un échec de la Réforme catholique en Basse-Bretagne : le trégor du xvie au xviiie siècle, thèse d’État, Université Rennes 2, 1984 ; Provost G., op. cit.
22 Minois G., op. cit.
23 De fait, la construction du plan correspond à l’articulation d’un raisonnement, et non pas au choix d’un plan chronologique. Si l’articulation des première et deuxième parties donne l’impression d’un plan chronologique, cela tient au fait que le passage des prémices de l’entreprise réformatrice à sa véritable mise en œuvre se donne à lire de façon chronologique. Mais l’on peut considérer in abstracto qu’il eût pu en être autrement, comme c’est, de fait, le cas de l’articulation des deuxième et troisième parties, qui ne correspond pas à l’abandon d’un plan chronologique, puisque ce type de plan n’a pas été choisi, ni pour la mise en œuvre des parties ni pour celle des sous-parties.
24 Dupuy R., La politique du peuple (xviiie–xixe siècle). Racines, permanences et ambiguïtés du populisme, Paris, 2002, p. 15.
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