Les écoles de dessin au xviiie siècle
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- 1 Jean-Baptiste Siméon Chardin, cité par Denis Diderot, Salon de 1765.
1« On nous met à l’âge de sept ou huit ans, le porte-crayon à la main. Nous commençons à dessiner, d’après l’exemple, des yeux, des bouches, des nez, des oreilles, ensuite des pieds, des mains. […] Après avoir séché des journées et passé des nuits, à la lampe, devant la nature immobile et inanimée, on nous présente la nature vivante ; et tout à coup le travail de toutes les années précédentes semble se réduire à rien […]. Le talent ne se décide pas en un moment1. » Ces propos du peintre Chardin, rapportés par Diderot en 1765, présentent le long apprentissage par lequel passent les artistes du xviiie siècle, formés à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Créée en 1648 par quelques artistes du Roi menés par Charles Le Brun, l’Académie revendique en effet le monopole de l’enseignement du dessin, en particulier d’après le modèle vivant, le terme « académie » désignant, selon le Dictionnaire de l’Académie de 1762, « une figure entière dessinée d’après le modèle qui est un homme nu et qui n’est pas destinée à entrer dans la composition d’un tableau ». L’aptitude à dessiner une académie distingue alors l’artiste des arts libéraux – peinture, sculpture, gravure – de l’artisan qui appartient aux arts mécaniques.
- 2 « Statuts et Règlements du corps et communauté des maîtres marchands tapissiers, hautelissiers, sa (...)
- 3 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de ge (...)
- 4 Expression empruntée à William Sewell, Gens de métiers et révolutions. Le langage du travail de l’ (...)
2L’artisan d’art, cependant, ne peut exclure de sa formation professionnelle l’apprentissage du dessin. Ainsi, un tapissier haute lissier doit-il « posséder toutes les règles de proportion, principalement celles d’architecture et de la perspective, quelques principes d’anatomie, le goût et la correction du dessein, des coloris et de la nuance, l’élégance et l’ordonnance et la noblesse de l’expression en tous genres et en toutes espèces : figures humaines, animaux, paysages, palais, bâtiments rustiques, statues, vases, bois, plantes et fleurs de toutes espèces2 ». Généralement formé auprès d’un maître de métier, l’artisan peut aussi apprendre son art dans une école de manufacture (l’école des Gobelins ouvre en 1662 et celle de Sèvres en 1754), ou dans le cadre des métiers libres, indépendants des corporations, ou le compagnonnage. Menuisiers-ébénistes, vitriers, mais aussi charpentiers, tapissiers, horlogers ou orfèvres, nombre d’artisans des métiers doivent maîtriser le dessin, pour exercer au mieux leur profession et faire « de la belle ouvrage ». Leur sont ainsi reconnus un statut social, mais aussi un sens de l’esthétique développé et une aptitude à la création, qui « excelle dans ceux d’entre les arts méchaniques qui supposent l’intelligence3 ». La « dichotomie art/travail ou esprit/main4 » n’est pas nouvelle à l’époque moderne, mais elle s’amplifie dans la seconde moitié du xviiie siècle, lorsqu’il s’agit de définir les métiers dont la connaissance et donc l’apprentissage du dessin sont nécessaires. Sont-ils métiers artistiques ; ou métiers « de l’art » ?
Artiste ? ou artisan ?
3Depuis le xiiie siècle, les peintres, imagiers, enlumineurs, sculpteurs, graveurs font partie de la même communauté parisienne, relevée dans le livre des métiers d’Étienne Boileau. Les statuts de 1391, complétés par ceux de 1619, ne distinguent aucunement les artisans décorateurs des artistes qui participent à l’embellissement des églises et palais, en particulier les ouvriers artistiques de la galerie du Louvre ou ceux « qui suivent le roi ». La question d’une différenciation entre artistes et artisans de l’art s’amorce au début du xviie siècle, en particulier lorsque les enlumineurs souhaitent créer une communauté indépendante. Le temps qu’il faut pour enregistrer les statuts de 1619, seulement officialisés en… 1637, montre les fortes oppositions qui se dressent face aux prétentions des gens de la maîtrise. En particulier, les artistes protégés par le roi souhaitent se démarquer de la nouvelle communauté et créent l’Académie royale de peinture et de sculpture qui, selon le modèle de celles de Florence, Rome ou Bologne, devient un lieu de formation artistique. Dispensés de l’apprentissage artisanal et du droit d’inscription à une quelconque communauté, les académiciens enseignent à tour de rôle le dessin mais aussi l’architecture, la géométrie, l’arithmétique, la perspective, l’anatomie, l’histoire. Cette création est progressivement renforcée par l’octroi d’une pension aux académiciens, l’institution des concours dont les lauréats des grands prix séjournent ensuite à Rome, l’organisation de salons annuels d’exposition et le monopole de l’enseignement du dessin d’après le modèle, ce qui provoque une réaction, souvent violente, de la corporation des peintres, sculpteurs, graveurs.
- 5 « Statuts, Ordonnances et Règlemens de la Communauté des maistres de l’art de peinture et sculptur (...)
4Pendant plus de cent ans, la toute parisienne querelle entre corporation et Académie royale tourne, sous forme de mémoires, procès et compromis, autour des prérogatives éducatives et de l’apprentissage aux métiers de l’art, et donc de la compétence des professeurs. En réplique à la création de l’Académie royale, la « Communauté des maistres de l’art de peinture et sculpture, graveure et enlumineure de cette ville et faux-bourgs de Paris » crée à son tour une académie, placée sous la protection de l’évangéliste Luc qui, selon la tradition, est, le premier, à faire le portrait de la Vierge. L’Académie de Saint-Luc n’a de cesse de revendiquer le droit d’enseigner le dessin, ce qui lui est finalement octroyé en 1705. Permission est en effet accordée aux maîtres de Saint-Luc de tenir une école et « d’avoir un modèle naturel pour (que) leurs enfans, aprentys et compagnons seulement (puissent) estudier, dessigner, modeler et peindre d’après nature, pourveu que ce soit à huis clos et avec toute la décence convenable5 ». Des leçons de dessin, architecture, sculpture, perspective et anatomie y sont également données gratuitement.
5L’Académie de Saint-Luc est donc bien, comme le rappelle le règlement de 1766, exclusivement composée de maîtres de la communauté des peintres et sculpteurs à laquelle elle est unie. Comme l’Académie royale, elle adopte une organisation hiérarchisée avec secrétaire et trésorier, recteurs et adjoints, amateurs et associés libres, professeurs (douze de peinture et de sculpture, un de géométrie, un autre de perspective et un d’ornement) et adjoints. Le xviiie siècle est jalonné de protestations émanant de l’une contre l’autre institution et de campagnes de dénigrement, fondées sur le double enjeu de la reconnaissance d’un statut d’artiste, indépendant de celui d’artisan, et de l’autorisation à former au dessin. Les maîtres de Saint-Luc, comme les peintres du Roi, peuvent en particulier enseigner « d’après nature » et donc « poser le modèle », droit restrictif à Saint-Luc (enfants, apprentis et compagnons) et monopole à l’Académie royale. Et comme maîtres d’une jurande, ceux de Saint-Luc peuvent également former des apprentis et compagnons dans les arts de peinture, sculpture, gravure, dorure et marbrerie dans toutes les villes et provinces du royaume (article 62 des statuts de 1738).
- 6 A. Furetière, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots français tant vieux que (...)
- 7 Étienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, sous la direction d’Anne Souriau, Paris, PUF, 1990, art (...)
- 8 Ibid.
6Au cours du xviiie siècle, le dessin d’après le modèle vivant devient ainsi le cœur de l’enseignement académique. Si en effet, avant le xviie siècle, un artisan représente « toute personne se livrant à un art » (aussi bien au sens technique que des beaux-arts), il désigne ensuite « un ouvrier qui gagne sa vie en travaillant aux arts mécaniques […] qui fournissent les nécessités de la vie6 », un travailleur manuel dont « le métier n’est que pure exécution matérielle, […] qui fabrique les objets qu’il produit et travaille à la main ou avec un outillage mécanique réduit7 ». Le terme « artiste », affecté à un statut social, n’apparaît dans le Dictionnaire de l’Académie qu’en 1762. Avant cette date, il désigne aussi bien un artisan qu’un amateur d’art. Furetière distingue ainsi le peintre qui « emploie les couleurs avec art pour représenter toutes choses d’objets » du « barbouilleur (qui) peint grossièrement avec la brosse, enduit d’une couleur une muraille, un plancher ». Au xviiie siècle, l’artiste se définit comme celui qui « peintre, chimiste ou horloger, a un métier manuel demandant des aptitudes ou des connaissances intellectuelles ou esthétiques8 ». Si, dans la conception chrétienne du travail, l’artisan gagne sa vie à la sueur de son front, l’artiste lui est ennobli par l’art qu’il exerce, grâce en particulier à l’enseignement supérieur donné par l’Académie royale. Il s’élève de son statut originel de travailleur manuel à celui d’intellectuel et d’esthète. La distinction entre artiste et artisan d’art n’est cependant pas aussi affirmée au xviiie siècle. Nombre d’académiciens royaux ont été formés à l’Académie de Saint-Luc ; et de grands artisans comme l’ébéniste Jean Schlichtig ou l’orfèvre Jacques Roettiers exercent leur art dans le cadre des métiers libres du faubourg Saint-Antoine.
7La création et le développement des écoles gratuites de dessin au xviiie siècle ne peuvent se comprendre sans référence à l’émergence de deux statuts sociaux dissociés, formés dans le cadre multi-séculaire des métiers et/ou, plus récent, de l’Académie royale. S’agissant des métiers de l’art se pose plus précisément la question du passage d’un apprentissage privé avec pratiques autodidaxiques – dans la famille et auprès d’un maître –, à une formation scolaire institutionnalisée. Cette double référence – artiste, artisan – explique que les écoles sont autant réclamées par l’historiographie de l’art que par celle de l’enseignement technique et professionnel, entre arts libéraux et arts mécaniques.
Les écoles de dessin dans le débat artiste/artisan
8Alors que les écoles gratuites de dessin paraissent bien connues, la lecture de diverses publications aboutit au constat d’une confusion du domaine concerné. S’agit-il d’une question relative à l’histoire de l’art ? Ou bien les écoles concernent-elles d’abord l’histoire des métiers et de la formation professionnelle ? L’ambiguïté même de la réponse qui prévaut au xviiie siècle marque bien qu’en ce domaine, le siècle des Lumières est une période de mutation. Comme tel, dans la nouveauté que représentent les écoles de dessin, il implique à la fois héritage du Grand siècle et prémices de ce que le xixe siècle mettra en œuvre et qui aboutira, sous la IIIe République, au développement du dessin industriel. Placées « entre arts libéraux et arts mécaniques », les écoles gratuites de dessin relèvent à la fois de l’Académie royale de peinture et de sculpture fondée en 1648, et de l’organisation des métiers issue de la tradition médiévale et renforcée sous Colbert. Mais elles doivent également orienter les artisans et ouvriers vers des techniques et des savoirs nouveaux qui leur permettent de s’adapter aux nouvelles exigences du siècle. Toute la question est alors de savoir en quoi les écoles gratuites de dessin, innovantes mais en symbiose avec les transformations du siècle, constituent une nouvelle approche de la formation aux métiers. En somme, démêler la part des arts libéraux et celle des arts mécaniques dans leur institution.
9La nécessité d’établir le cadre temporel de la recherche s’impose, que deux textes officiels délimitent. Le premier, le « Règlement pour l’Établissement des Écoles académiques de Peinture et de Sculpture dans toutes les villes du royaume où elles seront jugées nécessaires », date d’octobre 1676. Il faut cependant attendre 1726 pour que soit créée la première école de dessin (Toulouse), à destination des artisans et ouvriers. Mais c’est après 1750 que se multiplient les créations, avec une moyenne d’une école par an. Ce succès explique qu’à partir de 1776-1777, le pouvoir royal, par le biais du Surintendant des bâtiments (le comte d’Angivillier) et du Premier peintre du roi (Jean-Baptiste Pierre), renforce son contrôle sur des institutions qui ont réussi à s’imposer. Le second texte date d’août 1793. Il s’agit du décret voté par la Convention qui supprime « les Académies et Sociétés littéraires patentées ou dotées par la Nation » et qui touche aussi, indirectement, les écoles de dessin.
Sources
- 9 Ainsi des catalogues d’exposition de musées régionaux comme celui consacré à L’Académie de Peintur (...)
- 10 Voir par exemple André Lesort, Les États de Bretagne et l’enseignement du dessin au xviiie siècle (...)
- 11 Renaud d’Enfert, L’enseignement du dessin en France. Figure humaine et dessin géométrique (1750-18 (...)
- 12 Daniel Roche, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux (1680-1789 (...)
10Les écoles gratuites de dessin n’ont, à ce jour, pas fait l’objet d’une étude globale. Rapidement évoquées dans certains ouvrages d’histoire générale, elles sont davantage présentées dans les travaux sur l’enseignement technique ou l’histoire de l’art, ou font l’objet de publications limitées géographiquement à une ville9, voire à une région10, ou pédagogiquement à une matière enseignée11. Leur création est pourtant « une des grandes initiatives les plus originales des milieux urbains dirigeants car elles tendent à instaurer un enseignement de perfectionnement professionnel12 ». Elles sont en effet d’abord conçues pour les artisans et ouvriers dont le métier nécessite une bonne maîtrise du dessin. Le frontispice de l’École royale gratuite de dessin de Paris le rappelle : « Ici n’est pas l’école du peintre et du sculpteur ; nos ateliers ne s’ouvrent qu’à l’ouvrier seulement. »
- 13 A.-J. Roubo, Le menuisier en bâtiment, 1769 – Le menuisier carrossier, 1771 – L’art du menuisier e (...)
- 14 C.-N. Jombert, Méthode pour apprendre à dessiner sans maître, Paris, Jombert, 1744 – A.-N. Joubert (...)
11Du côté des sources, la nouveauté reste limitée, que l’orientation du questionnement permet cependant de renouveler. La mise en évidence des connivences mais aussi des conflits entre arts libéraux et arts mécaniques est établie dans les outils de référence. Les dictionnaires de Furetière et de Savary des Bruslons, ou celui de l’Académie française, comme les articles et les planches de l’Encyclopédie, situent la division lexicale du vocabulaire professionnel. Elles soulignent également la nécessité du dessin pour les artisans de l’art comme pour les peintres et les sculpteurs. Des traités relatifs à l’enseignement du dessin13 ou les écrits de maîtres de métier, en particulier ceux du maître menuisier Roubo14, indiquent les démarches pédagogiques ou les outils nécessaires pour suivre les leçons.
12Aux archives nationales, les documents relatifs à l’Académie royale de peinture et de sculpture (ANF 0/1/1927) et aux académies et écoles de province (ANF 0/1/1933) précisent la place et le rôle du pouvoir royal et de l’académie dans la création et le développement des écoles. Aux archives nationales sont également déposés tous les dossiers de l’École royale gratuite de dessin de Paris (ANF AJ/53). À eux seuls, ils constituent une source essentielle sur la mise en place et le fonctionnement d’une école établie en faveur des ouvriers et apprentis, ainsi que sur son financement, en particulier par le système de fondations. Dans ce travail, elles ont été utilisées au même titre que les sources provinciales, afin d’étudier le phénomène des écoles gratuites de dessin dans l’ensemble du royaume et donc dans leur diversité, et non pour reconduire ce que les études qui leur ont été jusqu’à ce jour consacrées présentent, à savoir la généralisation de conclusions à partir du seul exemple parisien. En outre, la confrontation avec des sources d’autres écoles a permis de déceler celles qui ont pris pour modèle l’institution parisienne (Saint-Quentin ou Macon, par exemple).
- 15 Marianne Clerc, Jacques-André Treillard, (1712-1794), Peintre dauphinois, thèse en histoire de l’a (...)
13Au niveau régional ont été consultées, aux archives de nombreux départements, les séries C (papiers de l’intendance ou des États) et L (liasses relatives à l’état des écoles au début de la Révolution et inventaires établis), et, aux archives municipales, celles relatives à l’administration communale (série BB), les comptes de la ville (série CC) ou plus spécifiquement les académies et écoles de dessin (série GG), ou des « cartons » qui regroupent – sans classement – les divers papiers relatifs aux écoles (Lille, Strasbourg). Des fonds anciens existent également dans certains musées de province, avec quelques pièces relatives aux écoles de dessin (comme à Dijon, Orléans, Tours ou Valenciennes). Leur étude apporte, avec un bonheur inégal, des précisions sur la mise en place des écoles et leur organisation pédagogique. Il est toutefois rare de trouver des sources sur le « quotidien » de l’école : plans de cours, registres et travaux d’élèves, en dehors de ceux qui ont été primés. Les sources de l’école de Paris sont ici plus riches, en particulier les dossiers d’élèves, exceptionnels en province sauf à Grenoble, Dijon et Rouen, qui ont fait l’objet de thèses publiées ou à paraître15. L’ensemble de ces sources a été complété par la lecture de journaux, tels que le Mercure de France ou Les Affiches du Poitou dont le directeur est également administrateur de l’école académique de Poitiers.
Ce que sont les écoles de dessin
14Par « écoles de dessin au xviiie siècle », il faut donc entendre des institutions d’enseignement :
- nouvelles, destinées aux métiers de l’art et à finalité professionnelle.
- publiques et laïques. Uniquement urbaines, elles sont créées, organisées et partiellement ou totalement financées par le Roi, les États ou la ville.
- gratuites, pour tous les élèves ou, pour quelques-uns, désignés par la municipalité ou « fondés », et ce contrairement à l’Académie royale où chaque leçon coûte dix sols. Cette dépense est, au cours du xviiie siècle, remplacée par un droit d’inscription d’un écu d’or qui ne concerne cependant pas les fils des académiciens. La gratuité ne concerne également pas les maîtrises qui demandent un droit d’entrée.
- prioritairement destinées à compléter la formation aux métiers pour lesquels le dessin est nécessaire. L’enseignement y est donc donné à temps partiel, en complément de l’apprentissage chez un maître. Certaines écoles proposent en plus un enseignement artistique : il s’agit alors d'« écoles académiques » ou « académies de dessin », installées en province et parfois placées sous l’autorité de l’Académie royale. Elles conservent cependant « l’école de dessin » pour les ouvriers et artisans et ajoutent des classes « supérieures », en particulier une « classe du modèle » pour les artistes et amateurs d’art de peinture et sculpture.
- les écoles de dessin accueillent des garçons, majoritairement adolescents. Les garçons plus âgés et, très rarement, les filles peuvent être également reçus, mais – pour ces dernières – surtout dans les classes artistiques.
- 16 Étienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique…, op. cit., article « Art », p. 167.
- 17 AM Toulouse, BB 48, fol. 154.
15L’étude porte sur les écoles de dessin ainsi définies, considérées comme les premières institutions d’enseignement professionnel élémentaire destinées à des ouvriers et artisans qui exercent un art caractérisé par trois éléments : « L’emploi de procédés réglés (et non par inspiration sans méthodes bien nettes) ; la nécessité de certaines connaissances (contrairement au travail d’exécution de simple manœuvre) ; et la réalisation d’œuvres concrètes et le plus souvent matérielles16. » Elle s’étend sur près de soixante-dix ans, du second quart du xviiie siècle à 1793. En effet, si les écoles se développent surtout dans la seconde moitié du siècle, certaines fonctionnent avant et, contrairement à ce que proposent nombre d’auteurs, l’école de Rouen n’est pas la première création : dès 1726, la ville de Toulouse accorde quatre cents livres annuelles au peintre Antoine Rivals pour ériger en son atelier une école où « toute sorte de personnes de divers arts comme graveurs, orphevres, brodeurs, peintres, sculpteurs, architectes, menuisiers et autres pourront s’instruire des règles du dessein17 ».
16Entre métiers et académies, formation technique et enseignement artistique, les écoles de dessin représentent donc une institution originale, à la croisée de deux statuts sociaux – artisans et artistes –, de deux orientations – arts libéraux et arts mécaniques – qui, avant la Révolution, se confondent, se cherchent, s’opposent et finissent par se démarquer l’un de l’autre. Parce qu’elles sont innovantes, leur création et leur multiplication ne peuvent se comprendre que par rapport aux discours et changements sociaux, économiques et politiques du siècle, dans lesquels s’inscrivent leurs finalités. Il s’est trouvé, au siècle des Lumières, des courants de pensée, des changements économiques et sociaux, mais aussi des individus, qui ont permis la mise en place et le développement des écoles de dessin. Un chapitre liminaire permet de resituer ce contexte, entre histoire de l’éducation, histoire économique et sociale, histoire politique. Les trois chapitres qui suivent sont consacrés aux modalités de création des écoles et à leur fonctionnement interne, statut et mode de financement, dans leurs relations avec les institutions existantes, l’Académie royale certes mais aussi les villes ou les États, administrativement et financièrement responsables des écoles. L’aspect pédagogique touchant la nature et la durée des études, les leçons dispensées et le public concerné (origine géographique et sociale des élèves) font l’objet des trois derniers chapitres, envisagés dans la perspective des apprentissages corporatifs et académiques, que l’analyse des prospectus, plans d’étude et règlements, permet de cerner.
Notes
1 Jean-Baptiste Siméon Chardin, cité par Denis Diderot, Salon de 1765.
2 « Statuts et Règlements du corps et communauté des maîtres marchands tapissiers, hautelissiers, sarrazinois, rentrayeurs, courtepointiers, couverturiers, coûtiers, sergiers de la ville, fauxbourgs et banlieue de Paris » de 1756, dans J. Deville, Recueil de documents et de statuts relatifs à la corporation des tapissiers, de 1258 à 1875, Paris, impr. Centrale des Chemins de Fer A. Chaix et Cie, 1875.
3 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, Paris, Briasson, David, Lebreton, Durand, 1751-1771, article « Artiste ».
4 Expression empruntée à William Sewell, Gens de métiers et révolutions. Le langage du travail de l’Ancien Régime à 1848, Paris, Aubier, 1980, p. 45.
5 « Statuts, Ordonnances et Règlemens de la Communauté des maistres de l’art de peinture et sculpture, graveure et enlumineure de cette ville et faux-bourgs de Paris », article 3, Paris, Pierre Bouillerot, 1672, dans Jules Guiffrey, Histoire de l’Académie de Saint-Luc dédiée à ses confrères de l’Académie des Beaux-Arts, Archives de l’Art français, tome IX, Paris, Édouard Champion, 1915, p. 13.
6 A. Furetière, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots français tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et les arts, La Haye, Rotterdam, Arnout et Reiner Leers, 1690, article « Artisan ».
7 Étienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, sous la direction d’Anne Souriau, Paris, PUF, 1990, article « Artisan ».
8 Ibid.
9 Ainsi des catalogues d’exposition de musées régionaux comme celui consacré à L’Académie de Peinture et de Sculpture à Valenciennes au xviiie siècle, Valenciennes, édition de la Société des Amis du Musée de Valenciennes, 1986. Celui de l’exposition des dessins xve-xxe siècle du musée de Tours réserve un chapitre à l’école du xviiie siècle (Annie Gilet, « De l’école de dessin au musée : histoire d’une collection » dans Dessins xve-xxe siècle. La collection du musée de Tours, Tours, Musée des Beaux-Arts, 2001).
10 Voir par exemple André Lesort, Les États de Bretagne et l’enseignement du dessin au xviiie siècle (écoles de dessin de Rennes, Nantes, Saint-Malo et Lorient), Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1911.
11 Renaud d’Enfert, L’enseignement du dessin en France. Figure humaine et dessin géométrique (1750-1850), Paris, Belin, 2003.
12 Daniel Roche, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux (1680-1789), Paris, La Haye, Mouton, de Gruyter, 1978.
13 A.-J. Roubo, Le menuisier en bâtiment, 1769 – Le menuisier carrossier, 1771 – L’art du menuisier en meubles, 1772 – Le menuisier ébéniste, 1774. Réédition, Bibliothèque de l’Image, 2002.
14 C.-N. Jombert, Méthode pour apprendre à dessiner sans maître, Paris, Jombert, 1744 – A.-N. Joubert de L’Hiberderie, Le dessinateur pour les fabriques d’étoffes d’or, d’argent et de soie, Paris,S. Jorry, Bauche, Brocas, 1765.
15 Marianne Clerc, Jacques-André Treillard, (1712-1794), Peintre dauphinois, thèse en histoire de l’art, sous la direction de Marie-Félicie Pérez, Université de Lyon II, 1992 – Jean-Pierre Guillaumont, L’Académie de Peinture et de Sculpture de Dijon, thèse en histoire de l’art, sous la direction d’Albert Chatelet, Université de Strasbourg, 1994 – Aude Gobet-Henri, Artistes et académiciens de Rouen au xviiie siècle. La formation d’une identité provinciale, sous la direction de D. Rabreau, Université Paris I.
16 Étienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique…, op. cit., article « Art », p. 167.
17 AM Toulouse, BB 48, fol. 154.
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