Introduction

1Observer les socialisations professionnelles des jeunes professeurs au début de leur carrière, c’est observer comment se construit une expérience professionnelle. Construction jamais linéaire dans laquelle se combinent les caractéristiques sociales et biographiques des individus avec les situations institutionnelles, relationnelles et professionnelles dans lesquelles ils se trouvent insérés (Guibert, Lazuech et Rimbert, 2008). Ces expériences sont construites à partir de l’interprétation subjective des situations vécues. Cette interprétation ne peut être réduite à la lecture immédiate des situations rencontrées puisque les individus « sont porteurs d’une historicité, c’est-à-dire qu’ils sont porteurs, à travers le temps et leur engagement dans le métier d’enseignant, d’une recherche continuelle de structuration du présent à partir des actions et des événements du passé » (Mukamurera, 1999). Cette négociation met en relation l’histoire singulière des individus et les contextes et façonne l’entrée dans le métier et les étapes de la socialisation professionnelle. Elle représente une phase cruciale du développement professionnel de l’enseignant (Portelance, Mukamurera, Martineau et Gervais, 2008).

2Après avoir rappelé brièvement le contexte dans lequel l’enquête a été conduite, la première partie de notre intervention portera sur les raisons d’accès au métier et leur importance dans la construction de l’expérience des premières classes. Puis nous analyserons plus en détail les conditions dans laquelle elle se réalise : une forte précarité (même avec un statut de titulaire), des classes et des établissements souvent réputés difficiles. Pour finir, nous focaliserons notre analyse sur les difficultés ressenties dans la classe et l’analyse sociologique qu’il est possible d’en faire car on ne peut dissocier les modes d’accès et les parcours d’insertion des « manières d’être au métier » (Guibert et Lazuech, 2010).

Mise en contexte et cadre conceptuel

3Les logiques d’acteurs et l’expérience professionnelle ne peuvent être comprises sans connaître les cadres symboliques dans lesquels la formation et les pratiques enseignantes prennent place. Notre analyse, menée à partir d’un corpus constitué avant la réforme dite de la mastérisation, s’appuiera sur le cas français, mais peut être facilement transposée à d’autres contextes nationaux. En effet, même si des différences demeurent d’un pays à l’autre, on constate au niveau international une évolution générale, répondant à l’évolution des besoins de la société, et de la démocratisation des systèmes scolaires qui progressivement construisent le métier d’enseignant comme un travail spécialisé et complexe réclamant davantage de professionnalisme chez ceux qui l’exercent (Tardif et Lessard, 2004). Dès la fin des années 1970, en France, le système de formation des enseignants du secondaire entre progressivement dans une phase de remise en cause du modèle hérité de l’après-guerre. Au cours de ces années, les débats sur la formation sont relancés par de nombreux rapports qui visent à transformer la figure de l’enseignant. Le rapport Bancel préconise l’analyse des pratiques et constitue l’acte de naissance des IUFM (qui ouvriront leurs portes dès 1991). D’un point de vue institutionnel, la formation doit répondre principalement à une exigence : transmettre le modèle de la nouvelle professionnalité enseignante. Cette ambition s’inscrit dans un dispositif de formation répondant à un cahier des charges (qui sera suivi par la suite de nombreux autres) définissant un cadre général sous la forme de compétences à acquérir pour devenir enseignant (Altet, Guibert et Perrenoud, 2010). Ces transformations de la formation renvoient également à une politique volontariste visant à redéfinir le métier d’enseignant, en élargissant les missions qui lui sont dévolues. En effet, la création des IUFM avait pour objectif d’assurer une socialisation professionnelle inscrite dans ce processus d’élargissement et de normalisation des compétences professionnelles. Normalisation et élargissement, qui dépassent le cadre de la formation et qui ont suscité de vives critiques de la part de certaines organisations professionnelles. Pour caractériser les effets de l’évolution du système scolaire sur les enseignants, François Dubet (2002) insiste sur « la violence d’un choc qui a complètement déstabilisé un modèle d’enseignement sans que la plupart des acteurs aient pour autant renoncé à ses principes, à ses valeurs et à son imaginaire ». D’ailleurs, la création des IUFM donnera lieu à une véritable coalition d’opposants. On reproche aux IUFM de privilégier le discours psychopédagogique et d’être soumis aux « diktats » des sciences de l’éducation. Ainsi, on note bien la tension existant entre les attentes de la profession, celles des responsables politiques et administratifs, et enfin celles des chercheurs impliqués dans la réflexion et dans la formation des enseignants.

4Par ailleurs, la notion de professionnalisation telle qu’elle est pensée actuellement est inséparable de la notion de compétence. Si cette dernière semble être mieux acceptée par les enseignants de nombreuses critiques ont été formulées et les débats restent vifs (Rey, 2009).

5Tout d’abord, en France, ce n’est pas un acquis de la profession, et pour de nombreux enseignants, elle s’oppose à la qualification et à une conception du métier construite sur la permanence d’un état donné par l’obtention d’un diplôme (et d’un concours) central dans la construction identitaire des enseignants (surtout du secondaire). Par ailleurs, les critiques les plus fréquentes concernent la définition même des compétences et la manière de les acquérir. Même si les référentiels de compétences viennent définir ce que doit être le métier d’enseignant et contribuer ainsi à en faire une « profession », ils sont souvent perçus par les professionnels, comme des injonctions normatives émanant de l’employeur plutôt que comme des qualités nécessaires pour enseigner.

6C’est dans ce contexte que les jeunes enseignants doivent construire leurs premières expériences, souvent tiraillés entre plusieurs conceptions du métier : celles issues des IUFM et celles provenant du milieu professionnel. Cette tension parfois déstabilisante est aussi renforcée par des conditions d’exercices difficiles en début de carrière : éloignement géographique, affectation en établissement difficile…

7La prise en compte du contexte de formation et des référents professionnels est primordiale car le travail enseignant est une expérience sociale conçue comme la capacité pratique de combiner des logiques différentes, cette capacité-là étant au cœur de l’identité enseignante (Lessard et Tardif, 1999). Le métier d’enseignant est un métier du sens pratique qui mobilise des compétences – des savoir-faire – difficilement transmissibles hors de l’exercice réel du métier (Perrenoud, 1996). Par l’expérience, le jeune enseignant apprend à découvrir ces différentes logiques. Il ne s’agit pas simplement de maîtriser une discipline et de transmettre un savoir que les élèves auraient soif de connaître. Il ne s’agit pas non plus d’appliquer des techniques pédagogiques qui favorisent, à coup sûr, la réussite de la pratique enseignante. Le jeune enseignant découvre qu’il est en réalité confronté à des tâches qui, à chaque nouvelle séquence de cours, sont à redéfinir car il travaille sur de l’humain, soit sur des affects et des relations qu’il ne maîtrise qu’imparfaitement (Barrère, 2002 ; 2003). Aujourd’hui, les expériences et les épreuves rencontrées en début de carrière sont rarement réductibles à un destin individuel qui serait fortement lié lui-même à une culture de métier (Dubar, 2000). Les dynamiques sociales comme les structures ne pouvant imposer un ordre suffisant pour que la traduction des statuts en rôle se fasse sans un travail des acteurs (enseignants, élèves ou parents) ces derniers doivent élaborer du sens, rechercher de la cohérence à leur engagement et à leurs actions (Tardif et Lessard, 1999 ; Gélin, Rayou et Ria, 2007 ; Périer, 2009). Néanmoins, chaque individu est plus ou moins le dépositaire de dispositions sociales, et la construction de l’expérience des premières années d’enseignement ce fait autour de configurations i. e. d’adéquation plus ou moins réussies entre des dispositions, des stratégies d’acteurs, et la situation scolaire rencontrées en établissement. Ces différentes combinaisons construisent ce que l’on pourrait appeler des configurations professionnelles plus ou moins favorables à une insertion professionnelle réussie et en définitive à la réalisation de soi dans le métier (Guibert et Lazuech, 2010).

Méthodologie de recueil de données

8Le travail d’enquête a été effectué avant la mise en place de la mastérisation de la formation aux métiers de l’enseignement, et le dispositif méthodologique qui a été retenu a consisté à réaliser un suivi d’une cohorte de professeurs de collège et lycée, entre leur deuxième année de formation en IUFM (année de titularisation) et leur 5^e année d’enseignant titulaire, soit une enquête portant sur les six premières années d’exercice du métier d’enseignant. Les résultats qui suivent ont été obtenus d’une part, grâce à une enquête par questionnaires. Celle-ci a été réalisée en plusieurs phases : une première campagne d’enquête en 1998 (n = 550), correspondant à la fin de l’année de formation à l’IUFM, une seconde en 1999 (n = 323) correspondant à la fin de la première année comme professeur titulaire, une troisième en 2001 (n = 195) pour la fin de la troisième année et, enfin, une quatrième en 2003 (n = 150) clôturant ainsi la cinquième année en poste (T5). Et d’autre part, à l’aide d’une série d’entretiens (N = 30) réalisée tout au long du suivi de cohorte.

9Le questionnaire devait répondre à quelques exigences minimales mais essentielles : il devait être suffisamment exhaustif pour embrasser la complexité du processus de professionnalisation et devait correspondre, dans le choix des questions posées et dans la façon de le faire, à des situations effectivement rencontrées par les enseignants au cours de leurs premières années. Enfin, il devait comprendre suffisamment de questions récurrentes, pour que le travail longitudinal de comparaison puisse s’effectuer à partir de données portant sur des indicateurs stables. Le questionnaire d’enquête a été construit autour de thèmes comme ceux qui touchent au « vécu » dans les classes et aux relations avec les élèves, aux conditions effectives de travail et à l’intégration dans l’établissement d’exercice, ou encore aux opinions touchant la maîtrise du métier et aux besoins qui sont ressentis en formation complémentaire. En outre, ont été posées des questions plus générales, touchant à l’identité professionnelle et aux différentes représentations que se font ces jeunes enseignants de leur fonction dans la société. Certaines de ces questions, qui débordent le cadre strictement pédagogique, visent à cerner les conceptions de l’école qu’ont les jeunes enseignants, de la mission de l’institution scolaire et du rôle de l’enseignant, d’autres touchent à des formes d’engagement des enseignants dans leur profession (adhésion à un syndicat, participation à des réunions professionnelles, etc.).

10L’articulation entre les données quantitatives et les données qualitatives conduit à réfléchir sur les variations individuelles d’un processus collectif. Les données issues des entretiens permettent, par exemple, de mieux comprendre ce qui change chez une personne, en quoi elle infléchit sa pratique professionnelle au fur et à mesure des expériences accumulées. En quoi se construit pour chacun une professionnalité qui, d’une certaine façon, est irréductible à toutes les autres.

Des expériences diversifiées

Vocation ou nécessité ?

11Loin de former un ensemble homogène, la population des nouveaux titulaires est traversée de multiples lignes de fracture que révèlent les avis qu’ils portent sur leur situation professionnelle et la façon dont ils la vivent. Certes, le sentiment d’être déçu ou non par l’apprentissage du métier dépend pour une part des conditions objectives de la formation. Il dépend aussi fortement des caractéristiques sociales et scolaires des étudiants : milieu social d’origine, sexe, âge, passé scolaire et professionnel. L’ensemble des influences que l’école (au sens le plus large) a exercé sur eux lorsqu’ils étaient élèves, les modèles de réussite – scolaire et autres – qu’ils ont intériorisés parfois depuis leur plus jeune âge, modifie aussi les attentes et la perception de la formation reçue.

12L’enquête relève aussi une grande diversité de motivations d’accès au professorat et, surtout, des combinaisons variées entre « l’amour de la discipline », « le désire d’enseigner », « l’envie de travailler avec des adolescents », « les avantages du métier », etc. On peut toutefois distinguer deux groupes de professeurs. Le premier, les « héritiers », rassemble comme le suggère la terminologie retenue, ceux qui sont dans une logique de reproduction du corps sur la base des valeurs traditionnelles de l’institution. Ils sont venus à l’enseignement par tradition familiale et/ou par l’influence déterminante d’un professeur « hors du commun ». Bons élèves depuis toujours, ils sont dotés d’un capital culturel élevé, aiment la discipline qu’ils enseignent et expriment l’envie de la transmettre aux élèves. L’accès au métier se fait sur le registre de la vocation (par amour de la discipline) et l’enseignement est pour eux une profession, mais également un « art » de vivre (fortement lié à une certaine conception de la culture). S’ils acceptent, dans leur ensemble, les différentes missions qui découlent de la redéfinition du rôle professionnel du professeur, la confrontation directe avec le public scolaire les désoriente. Si peu abandonnent le métier, ils sont à la recherche des « bons élèves », c’est-à-dire ceux qui partageront avec eux le goût de la « culture » et, plus généralement de l’ascèse scolaire : ils vivent leur métier dans la recherche, plus ou moins consciente, d’une « communion » spirituelle entre le maître et ses élèves. C’est dans des disciplines comme la philosophie, les lettres pour certains, voire l’allemand ou l’histoire, que l’on trouve le plus fréquemment des enseignants qui relèvent de ce cas de figure. Ils croient au modèle de l’excellence scolaire, modèle qui les a façonnés personnellement et conduits là où ils sont professionnellement. Ils expriment souvent une déception en formation car ils prennent conscience pendant l’année de formation du décalage entre leurs croyances et la réalité de l’exercice du métier. Pour eux, la transmission des savoirs l’emporte sur les considérations éducatives pensées comme étant secondaires dans l’acte professoral : la titularisation est l’aboutissement d’un processus commencé depuis des années dans le système scolaire puis universitaire : bons élèves, bons étudiants, ils pensent que leurs savoirs disciplinaires suffiront pour qu’ils deviennent de bons professeurs. Aussi il n’est pas surprenant que ce soient ces étudiants qui expriment le plus fortement une opinion négative sur la formation et en particulier les formations professionnalisantes.

13À l’opposé les « oblats » doivent à l’école leur promotion sociale et ils sont disposés à donner à l’institution ce qu’elle leur demande de sacrifice et de travail sur soi. Moins diplômés que les « héritiers », d’origine sociale plus modeste, ils sont animés d’un esprit de « mission », qui contraste avec l’esprit de « vocation » des professeurs « héritiers ». Les « oblats » ont particulièrement bien incorporé les nouvelles dispositions et compétences professionnelles qui sont officiellement recherchées chez les enseignants : la pédagogie les intéresse plus que leur discipline, ils se considèrent professeurs mais également éducateurs, ils adhèrent spontanément aux conceptions les plus « modernistes » de l’école. Ce sont les « nouveaux professeurs », ceux dont l’institution a besoin pour répondre à un enseignement de masse. Pour ces enseignants, la professionnalisation consiste aussi à acquérir des compétences leur permettant d’assumer leur rôle d’éducateur. Ces professeurs, nouvellement venus, adhèrent plus facilement aux objectifs de la nouvelle professionnalité enseignante. L’esprit de mission qui les caractérise s’actualise de façon assez heureuse dans un rapport aux élèves dans lequel la dimension relationnelle est aussi importante dans la relation pédagogique que la dimension strictement disciplinaire. Si l’insertion professionnelle semble plus facile pour ce type d’enseignants, c’est parce que les dispositions acquises par anticipation sont assez bien ajustées à l’espace professionnel qu’ils rencontrent. Conscients des limites des modèles professionnels dominant dans l’institution scolaire, ils attendent de la formation qu’elle leur apporte des moyens de répondre aux difficultés rencontrées et aux nouvelles missions qui leur sont assignées. Les critiques adressées à la formation peuvent alors être à la mesure de leurs attentes déçues.

14À l’issue des deux premières années d’expérience professionnelle (année de stage et première année de titularisation), ce sont les professeurs du premier groupe qui semblent les moins satisfaits par le métier, alors que les seconds, même s’ils pensent que l’enseignement est un métier difficile, sont plus satisfaits de leur choix.

Le premier poste entre bonnes et mauvaises surprises

15Ce qui caractérise l’entrée dans la carrière des nouveaux enseignants de collèges et lycées, c’est une assez grande précarité. Seul un quart des répondants ont été nommés sur un poste en qualité de titulaire, alors que 50 % sont titulaires académiques (ils peuvent donc changer d’établissement tous les ans) et 25 % sont titulaires en zone de remplacement. Ce premier constat est important dans la mesure où l’intégration dans un établissement demande du temps, en particulier lorsqu’il s’agit de travailler en équipe. Ainsi, beaucoup de nouveaux professeurs se retrouvent seuls dans l’exercice du métier (pour la programmation des objectifs pédagogiques, pour la préparation des cours, pour les indications de corrections). La précarité dont ils font l’objet est souvent un obstacle à leur pleine intégration dans des équipes éducatives déjà constituées.

16La seconde caractéristique de l’entrée dans la carrière est le lieu d’affectation : 70 % des professeurs sont nommés à plus de 300 kilomètres de la ville où ils auraient aimé s’installer. Si la plupart joue le jeu d’une mobilité résidentielle forcée, il n’empêche qu’à l’issue d’une année d’exercice, les deux tiers des répondants désirent changer rapidement d’établissement, et pour la plupart ils souhaitent revenir vers leur région d’origine.

17Par ailleurs, la probabilité d’être nommé dans un établissement « difficile » n’est pas la même pour l’ensemble des jeunes titulaires. Ce sont dans les LP et dans les collèges que les conditions d’exercice du métier semblent a priori plus difficiles du moins à partir de ce qu’en disent les jeunes titulaires. Une affectation dans un collège, ou un LP, de la région parisienne (ou en périphérie d’une grande ville), présente des difficultés singulières que ne rencontrera pas, ou plus rarement, un professeur de lycée d’enseignement général ou de l’enseignement technique, voire un professeur de collège dans une petite ville ou en zone rurale. Cette remarque (comme on le verra plus loin) doit être nuancée car dans certains établissements difficiles relevant de l’enseignement prioritaire il existe une solidarité entre enseignants qui débouche parfois sur un épaulement permettant d’acquérir des savoirs et de savoir-faire adaptés à ces contextes d’exercice et permettant de faciliter la socialisation professionnelle en début de carrière.

Les difficultés de maîtrise du métier

18Pour étudier la maîtrise du métier nous avons retenu quinze items, recouvrant les différentes fonctions de l’enseignant présentés par Anne Barrère (2002) de la manière suivante : « [L’enseignant] doit tout à la fois instruire les jeunes qui lui sont confiés, contribuer à leur éducation, et les former en vue de leur insertion sociale et professionnelle. »

19On observe que les principales difficultés rencontrées ont trait à la capacité à faire travailler les élèves en classe, en particulier ceux qui sont peu motivés, mais également à les faire travailler régulièrement (notamment pour les devoirs et les exercices qui sont faits en dehors de la classe). Ayant souvent des classes de « faible » niveau et/ou pour lesquelles la matière enseignée par le professeur débutant est considérée par les élèves comme « secondaire », cette difficulté à faire travailler et à faire apprendre est particulièrement ressentie. De ce point de vue, il ne semble pas que les nouveaux enseignants soient particulièrement bien armés pour répondre à l’hétérogénéisation des classes liée, en partie, au mouvement de massification scolaire. Les nouveaux enseignants, pourtant formés dans les IUFM à la pédagogie différenciée et aux techniques de la remédiation, éprouvent, dès leur première année, des difficultés à mettre en œuvre ces différentes « techniques » : 71 % d’entre eux déclarent avoir beaucoup de mal à faire travailler les élèves en petits groupes dans la classe.

20Par contre, il semble que les enseignants débutants éprouvent, dans leur majorité, moins de difficultés à établir dans leurs classes un climat détendu et à avoir plutôt de bonnes relations avec les élèves. De ces premiers résultats, se dégage l’image d’un « jeune prof » plutôt sympathique mais en but à de nombreuses difficultés dans l’une des missions essentielles du métier : transmettre un savoir. Il y a, comme l’ont révélé d’autres enquêtes, une forte indétermination dans la façon dont de nombreux enseignants exécutent au quotidien leur métier.

21Le nouvel enseignant, même armé de quelques techniques pédagogiques expérimentées à l’occasion de son année de stage, n’a pas encore à disposition ce « réservoir de pratiques » ou ces « routines pédagogiques » qu’un enseignant chevronné possède par l’expérience accumulée et qui sont indispensables pour faire face aux diverses situations rencontrées. Léon, professeur de SES, illustre de façon anecdotique ce que peut produire un défaut de « routine » :

« J’étais avec des élèves de seconde, je leur parlais des facteurs de production. Je leur dis, il y a trois facteurs de production : le travail, le capital et la terre. A ce moment un élève lève le doigt : “Et la mer monsieur, c’est pas un facteur de production ?” La question m’a surpris, je n’ai pas su quoi répondre et ça a provoqué plutôt un rire général dans la classe que j’ai mal vécu à l’époque. »

22La non-maîtrise de certaines « routines pédagogiques », qui doivent également être pensées comme une sorte d’aptitude professorale à déceler ce qui peut mobiliser des élèves ou au contraire conduire à une impasse, explique parfois l’échec de certaines pratiques pédagogiques fortement recommandées pendant l’année de stage (en particulier à l’occasion des réunions en groupe de référence). C’est le cas, par exemple, du « cours dialogué », de la « pédagogie active » ou de la « pédagogie inductive » qui visent une participation active des élèves et une construction des savoirs à partir de l’expérience de chacun d’entre eux. Pour avoir observé longuement des enseignants s’essayer à ce type de pédagogie (censé être plus attractif pour les élèves que le cours traditionnel), on constate que la mise en œuvre du « cours dialogué » suppose un savoir-faire professionnel dont peu de jeunes enseignants disposent. Pour beaucoup, les recommandations, voire les injonctions, faites à l’IUFM, sont difficilement applicables sur le terrain, du moins dans les premières années. Il en résulte parfois un sentiment de malaise de ne pas faire ce qu’il faut, d’être, en quelque sorte hors-jeu :

« Comme la première année j’ai eu beaucoup de difficultés à animer mon cours comme on m’avait appris à le faire, surtout en seconde où je me suis retrouvé en échec. L’année d’après, j’ai totalement changé de méthode. Pour chaque thème du programme, je sélectionnais des textes avec des questions précises que je posais aux élèves par petits groupes. Après un temps de préparation, chaque groupe devait répondre à la question posée et, ensuite, je faisais une synthèse que je dictais à l’ensemble de la classe. Mon idée, c’était pas de faire un cours magistral, mais c’était de faire travailler les élèves et, surtout, de cadrer la prise de parole. » (Léon, professeur de SES.)

23Des résultats d’enquête, portant sur l’appréciation qu’ont les enseignants de leur niveau de maîtrise du métier, trois enseignements principaux ressortent. Dans leur ensemble les professeurs estiment avoir, dans leur(s) discipline(s) d’enseignement un niveau satisfaisant pour assurer des cours de qualité et répondre sans trop de difficultés aux éventuelles questions des élèves. Ils estiment également, dans leur majorité, ne pas rencontrer de difficultés particulières pour préparer leurs cours. Ils semblent moins à l’aise par contre dans les savoir-faire pédagogiques et didactiques, en particulier en ce qui concerne les objectifs à atteindre, la gestion du temps dans la classe (et donc aussi celle du programme), et la gestion d’une dynamique de travail dans la classe en particulier pour le travail en groupe.

24Les savoir-faire relationnels avec les adolescents paraissent également faire défaut. Peu de nouveaux enseignants sont capables d’être véritablement une personne-ressource auprès des élèves qui leur ont été confiés. Peu sont également capables de les aider dans leur projet scolaire et/ou professionnel. Pour plus d’un enseignant sur deux, les adolescents, dans leur comportement, dans leur façon de vivre et de faire, restent assez mystérieux, ce qui ne facilite pas toujours les échanges et la construction de relations de confiance entre l’enseignant et ses élèves.

Des difficultés inégalement ressenties

25Le jugement professoral n’est pas une donnée en soi, il ne répond pas davantage à un ensemble unique de critères objectifs, mais dépend étroitement du professeur, de ses dispositions, et de la configuration scolaire et sociale dans lesquelles il exerce son métier, c’est pourquoi nous nous attacherons à mettre en avant quelques principes de différenciation interne.

26Nos données conduisent à remarquer que les conditions d’exercice du métier en LP, pour un professeur débutant, sont plus dures que dans les autres types d’établissements. Les élèves sont plus difficiles à gérer dans leur comportement en classe. Il semble plus difficile de les faire travailler régulièrement et de les motiver. Au collège, les professeurs rencontrent également des problèmes de discipline et de motivation au travail scolaire, mais à une intensité plus faible que dans les LP. Les professeurs de lycées semblent plutôt favorisés, même si les « nouveaux lycéens » sont moins à leur aise (qu’ils ne l’ont été eux-mêmes probablement) lors des démonstrations de « rhétorique » professorale, encore possible dans certaines classes de première et de terminale.

27À chaque grande catégorie d’établissement correspondent certaines difficultés singulières. Les professeurs de LP disent rencontrer de réelles difficultés à gérer leurs classes, que ce soit du point de vue de la transmission des connaissances, que celui des méthodes de travail à appliquer. Cette difficulté est particulièrement forte pour les professeurs d’enseignement général en LP, qui ont souvent une faible légitimité auprès des élèves. Dans les LG, la difficulté principale des jeunes professeurs réside dans l’évaluation des capacités de compréhension de leurs élèves. Cette difficulté s’exprime par un besoin de formation continue en didactique. Enfin, dans les collèges, les professeurs se reconnaissent une insuffisante compétence pour tout ce qui touche à la psychologie des adolescents. Pour ceux-ci, les 12-15 ans sont une tranche d’âges peu familière. Ils découvrent que pour ces jeunes toute relation sociale comporte une forte dimension affective à laquelle n’échappe pas la relation pédagogique. La difficulté est, pour les professeurs de collège, peut être plus manifeste encore, puisque certains qui sont de jeunes adultes, peuvent apparaître aux yeux des préadolescents, sinon comme des « copains » du moins comme le « grand frère » ou la « grande sœur ».

28Le fait d’être originaire de tel ou tel milieu social entraîne des perceptions différenciées du métier, en particulier lorsque l’on se trouve face à des élèves ? Ce sont les enseignants d’origine sociale élevée qui estiment avoir rencontré le plus de difficultés dans l’exercice du métier, alors qu’objectivement ils sont plutôt dans les « bons » établissements. A contrario, les professeurs d’origine sociale populaire, s’ils rencontrent également des problèmes dans leurs classes, les expriment avec moins d’intensité, même lorsqu’ils se trouvent face à des situations pédagogiques et relationnelles considérées comme difficiles. On observe également que les professeurs d’origine populaire semblent établir de meilleures relations avec leurs élèves que les professeurs d’origine sociale élevée, surtout quand ceux-ci se trouvent dans des établissements « ordinaires » et face à des élèves issus des fractions basses de la classe moyenne et/ou des classes populaires.

29L’exercice de la nouvelle professionnalité qui exige de l’enseignant une proximité plus grande avec les élèves et une attitude plus compréhensive semble finalement plus accessible à certains professeurs. Parce que les différences sociales se lisent à tous les moments de l’existence, qu’elles sont fortement incorporées et qu’elles se révèlent dans une foule de détails insignifiants, comme la façon de se vêtir, de se coiffer, de se maquiller pour les filles, de se tenir, de parler, etc., il y a, pour les professeurs issus de milieux à fort capital culturel, un choc à rebours. Ce ne sont plus les élèves qui sont inadaptés à l’école, c’est, pourrait-on dire, l’enseignant qui n’est pas adapté à ses élèves. Dès lors, le processus de socialisation professionnelle peut s’analyser comme une démarche de conversion de l’enseignant vers ses élèves et non, comme ces professeurs l’ont vécue lorsqu’ils étaient élèves, d’élévation (voire de fusion) de l’élève vers le professeur.

30Les professeurs les plus jeunes, lorsqu’ils sont dans l’enseignement général, se voient confier plutôt des élèves de cinquième et de quatrième au collège et au lycée des élèves de seconde et de première alors que professeurs plus âgés, souvent dans des disciplines de l’enseignement technique ou professionnel, ne semblent pas subir la même discrimination, puisque la part des plus de 28 ans ayant une première et/ou une terminale technologique est importante. Ces formes, plus ou moins révélées, de discrimination par âges ont certaines conséquences sur les enseignants, en particulier sur les plus jeunes. Ainsi, nombre d’entre eux pensent, à l’issue de leur première année en tant que titulaire, qu’on leur a confié des classes moins intéressantes que celles de leurs collègues plus âgés, des classes de faible niveau et des élèves moins motivés par leur matière.

31Les enseignants les plus jeunes (de 25 ans ou moins lors de leur entrée en fonction) sont ceux qui ont trouvé leur première année plus difficile que leur expérience du stage en responsabilité et plus difficile que pour les autres collègues plus âgés, pourtant également débutants. L’obstacle principal que rencontrent les très jeunes professeurs est de construire dans leur classe un « ordre » scolaire sur lequel peut se construire une relation pédagogique de qualité. Ces jeunes enseignants se trouvent particulièrement déstabilisés lorsqu’il s’agit de gérer un conflit, soit avec un élève pris isolément, soit avec l’ensemble d’une classe, et ils sont les seuls à penser qu’établir de bonnes relations avec les élèves est très difficile. Enfin, l’âge joue également sur la représentation que l’on se fait de soi dans les relations aux autres. Les enseignants les plus jeunes sont ceux qui pensent le plus fréquemment qu’être un jeune professeur est un handicap, vis-à-vis des élèves, mais aussi vis-à-vis des autres collègues, du (des) CPE, de l’administration de l’établissement et des parents. Comme l’enseignement est un métier où se joue une forte représentation de soi et où la compétence est toujours contextualisée (face à face avec la classe, lors d’un conseil de classe, lors d’une réunion parents-professeurs), le jeune enseignant peut souffrir de son âge comme d’un stigmate social.

Une expérience fortement construite par la relation aux autres

32En France, au début des années 2000, il n’existe pas de dispositif d’insertion et lorsque la période d’apprentissage en IUFM est terminée, l’exercice du métier est souvent solitaire. La figure de l’enseignant, seul maître dans ses classes, de sa programmation, des modes d’évaluation des élèves est toujours d’actualité (Barrère, 2002). Cette résistance des enseignants au travail collaboratif s’explique d’une part, par le fait que l’autonomie et l’indépendance restent l’une des rares dimensions de leur profession qu’ils jugent positives et, d’autre part, parce qu’elle repose entièrement sur la bonne volonté des équipes en place.

33Ce premier constat est cependant à nuancer car les établissements, comme espace de travail et de socialisation professionnelle, offrent des ressources d’échange et de collaboration inégales. D’autres éléments, liés au contexte d’exercice et aux parcours d’insertion, viennent renforcer ou diminuer ces échanges comme, par exemple, le fait d’être le seul professeur dans sa discipline, ou d’être nommé sur plusieurs établissements, ou encore d’être titulaire remplaçant (Guibert et Lazuech, 2010). Les 3/4 des enseignants ayant un collègue de la même discipline dans leur établissement se feront aider dans leur pratique professionnelle. Ce chiffre est seulement de 50 % pour ceux qui sont les seuls à enseigner leur discipline dans l’établissement. Un ensemble de déterminations objectives construites par les « hasards » de la nomination va constituer autant de freins ou, au contraire, va favoriser les échanges et les collaborations professionnelles. De fait, le travail collectif qui semble être bénéfique pour les jeunes enseignants n’est pas accessible de la même manière pour tous (Périer, 1996). Il est inégalement distribué selon les organisations collectives (« culture » d’établissement) et les dispositions individuelles au travail collectif. Dispositions qui, rappelons-le, n’ont pas fait l’objet d’une évaluation lors du recrutement des enseignants et qui, en réalité, n’ont été que peu développées lors de l’année de stage. Ainsi, 65 % des enseignants en formation ont déclaré avoir reçu au moins une fois dans le cours de l’année scolaire de l’aide et/ou des conseils d’autres collègues de leur établissement (35 % ont répondu n’avoir jamais eu d’aide). Mais l’aide ou le suivi régulier et constant restent exceptionnels (15 % sont concernés).

34Par la suite, lors de la première année d’exercice, ce sont dans les établissements relevant de l’éducation prioritaire, que l’on trouve le plus d’échange et de collaboration entre collègues. On retrouve une ligne de partage, déjà dégagée (Périer, 2003), séparant d’un côté les établissements classés en éducation prioritaire (ZEP/REP/RAR) et les lycées professionnels et de l’autre les collèges et lycées généraux non classés. Même si ces caractéristiques sont importantes, les résultats sont à modérer : parmi ceux qui ont été affectés dans un établissement relevant de l’éducation prioritaire, seulement 20 % ont reçu une aide régulière d’un collègue, 80 % une aide ponctuelle. Cet indicateur est donc facilitant mais n’est pas en lui-même suffisant pour instaurer un travail collaboratif.

35Les lycées professionnels sont, pour leur part, plus souvent que les collèges et les lycées d’enseignement général, concernés par des formes de travail en commun et par l’intégration des jeunes enseignants dans des équipes pédagogiques. Toutefois, le degré d’intégration des enseignants n’est pas le même selon qu’il s’agit des matières d’enseignement général, où il reste assez faible, ou des matières techniques et professionnelles, pour lesquels le travail en équipe fait partie d’une culture pédagogique spécifique à ces enseignements. On retrouve de manière moins affirmée des résultats similaires pour les enseignements des matières technologiques de l’enseignement général.

36Par ailleurs, dans les petits collèges ruraux, établissements généralement plutôt tranquilles du point de vue de la discipline, le travail à plusieurs est assez peu répandu. Dans ces établissements, la partie stable du corps enseignant qui s’est installée durablement à proximité de leur lieu d’exercice s’investit peu dans des relations avec les nouveaux venus.

37Le rôle que joue pour un enseignant débutant l’intégration dans une équipe de travail est très important. Les nouveaux professeurs, après la formation initiale, continuent à avoir besoin d’un groupe de référence (Guibert, Lazuech et Rimbert, 2008) à partir duquel ils peuvent construire des repères et développer une praxis. Mais puisque rien n’est imposé, les échanges et sociabilités professionnelles reposent quasi uniquement sur des affinités sélectives et/ou des intérêts disciplinaires. Il en résulte, pour reprendre les termes d’Anne Barrère (2002), « que l’établissement est le lieu d’une utopie forte de remobilisation par le local, bien davantage portée par la technocratie modernisatrice de l’Éducation nationale que par les enseignants ».

38Ainsi, les premières années sont souvent vécues sous le mode de l’isolement et de l’opposition générationnelle (Guibert et Lazuech, 2011) : les enseignants déjà installés étant pris dans des routines et ayant tissé affinités de longue date avec d’autres collègues, ils offrent un cadre peu propice à l’ouverture sur un enseignant novice qui est souvent « de passage » ou perçu comme tel. Face à ce déficit relationnel, les jeunes enseignants réagissent de façon très différente. Beaucoup essaient de trouver un collègue du même âge avec lequel se feront la plupart des échanges professionnels et amicaux. D’autres, anticipant ces difficultés d’intégration, font des demandes d’affectation groupée dans le même établissement et essaient ainsi de prolonger « l’esprit promo » de la seconde année de formation. Ce groupe de collègues, qui fonctionne aussi comme groupe amical, permet de bénéficier du soutien nécessaire pour surmonter les épreuves professionnelles pendant les premières années d’exercice (Périer, 2010).

39Les relations professionnelles qui reposent sur des affinités générationnelles sont souvent moins professionnelles et toujours plus affectives (Rayou, van Zanten, 2004). Les stigmates du jeune enseignant s’effacent ici. Se sentant moins jugés qu’avec des collègues plus expérimentés, les jeunes professeurs peuvent « tomber les masques ». Même si ce ne sont pas toujours des savoirs et des savoir-faire professionnels qui sont échangés, le groupe de pairs joue néanmoins une fonction de réassurance collective.

40L’analyse des données d’enquête met en évidence une relation entre le degré d’intégration des jeunes enseignants dans une équipe pédagogique (formelle ou informelle) et les sentiments de satisfaction qu’ils ont exprimés à l’issue de la première année en poste. Selon les données recueillies lors de l’année de titularisation, les jeunes enseignants qui ont peu bénéficié de formes d’accompagnement lors de leur stage, considèrent davantage leur première année comme difficile. Tout se passe comme si moins ces enseignants avaient pu s’appuyer sur d’autres collègues, plus ils estimaient que leur maîtrise du métier était insuffisante. L’insertion dans une équipe de travail, quelle que soit sa nature (professionnelle ou affinitaire) est l’une des conditions facilitant le processus de professionnalisation. Les échanges avec d’autres collègues assurent une assise relationnelle et psychologique pour l’enseignant débutant. La mise en commun du travail donne confiance et assurance, elle joue le rôle d’un groupe de référence sur lequel le jeune enseignant peut appuyer et conforter ses pratiques professionnelles. Cette fonction de réassurance est plus vivement ressentie à certains moments de la pratique professionnelle, en particulier en cas de conflit avec une classe ou un élève ou plus ordinairement lorsqu’il s’agit d’évaluer les élèves et, parfois, à l’occasion des prises de position lors des conseils de classes.

Conclusion

41L’évolution des publics des collèges et des lycées, et surtout leur diversification, a profondément modifié les rapports entre les professeurs et les élèves. « Faire le cours » n’est pas la suite logique de sa préparation, il faut aussi que l’enseignant puisse s’adapter à une multitude d’événements qui impliquent des prises de décisions non prévues lors de la préparation du cours. Enseigner doit s’accompagner d’un savoir-être et de savoir-faire qui ne sont plus, spontanément la conséquence de la maîtrise d’un savoir à enseigner et de sa reconnaissance par les publics auquel il est destiné. Alors que dans une conception passée du métier les compétences « relationnelles » n’étaient pas envisagées comme indispensables pour la transmission des savoirs professoraux elles le sont, de fait, dans sa définition actuelle. Face à ces transformations, tous les enseignants ne sont pas égaux. Paradoxalement, être un « héritier », peut même s’avérer aujourd’hui être un obstacle à l’apprentissage du métier d’enseignant du secondaire et par la suite, à la construction d’une carrière professionnelle (Guibert et Lazuech, 2010). Ainsi, l’insertion professionnelle dépend de facteurs qui, pour certains, échappent à l’institution (comme l’origine sociale, le sexe, l’âge) et d’autres qu’elle peut maîtriser. La perception subjective des épreuves rencontrées en début de carrière résulte, pour partie, de l’ajustement plus ou moins réussi entre un parcours antérieur à la formation, un parcours de formation et des conditions objectives de travail rencontrées dans les établissements lors des premières années d’affectation.

42Ces conditions objectives placent souvent les débutants dans des situations plus difficiles (notamment ceux qui débutent en LP et en collèges) que ceux qui bénéficient de plus d’ancienneté. Pour la quasi-totalité de ces enseignants débutants, les difficultés sont plus relationnelles qu’issues de la non-maîtrise de la discipline à enseigner. C’est la difficulté à construire un ordre scolaire négocié qui constitue la difficulté majeure (surtout chez les plus jeunes). Dans cette phase de la carrière, (Huberman, 1989) l’intégration dans une équipe de travail est importante sans pour autant être toujours suffisante. Les nouveaux professeurs ont besoin d’un groupe de référence à partir duquel ils peuvent obtenir une certaine assurance. Mais tous les établissements n’offrent pas les mêmes possibilités d’accompagnement. Puisque rien n’est imposé, les sociabilités reposent sur des affinités sélectives ou/et des intérêts disciplinaires qui conduisent à une aide ponctuelle.

43Ces analyses produites à partir d’un corpus de débutants ayant effectué leur formation avant la mastérisation de la formation des métiers de l’enseignement permettent néanmoins d’expliquer en partie les difficultés induites par cette réforme. Dans le contexte actuel où la période de construction des expériences professionnelles en situation est très faible, on peut s’interroger sur la pertinence d’un tel choix (Guibert et Troger, 2012). En effet, le renforcement de la formation disciplinaire ne risque-t-il pas de contribuer à produire des « héritiers » dont on sait que leur adaptation à l’école d’aujourd’hui est plus difficile ? Par ailleurs, la nature des échanges entre les débutants et enseignants expérimentés, dans la majorité des établissements ne semble pas suffisante pour permettre la normalisation des épreuves rencontrées. Or, lorsque l’expérience des premières années ne permet pas une réalisation de soi suffisante des stratégies de fuite sont alors envisagées (Woods, 1997 ; van Zanten, Grospiron, 2001). À terme, ces différents éléments (métier difficile, mauvaise formation, isolement…) ne risquent-ils pas de se conjuguer pour développer une image du métier renforçant sa faible attractivité ?