Chapitre II. Les réalités économiques
p. 45-85
Texte intégral
Introduction à l’économie en Grèce à l’époque classique
1Dans l’Antiquité, les Grecs ne considéraient pas l’économie comme une entité autonome. Il ne faut pas croire pour autant qu’ils ignoraient les réalités économiques ou bien qu’ils pensaient que l’économie n’avait rien à voir avec la politique en tant que telle ni avec les politiques menées en Grèce. Au ve siècle, le pouvoir financier et la maîtrise des finances devinrent des préoccupations essentielles pour Athènes, à une époque où celle-ci devenait une puissance impériale. Par voie de conséquence, les activités économiques y étaient soit directement soit indirectement liées aux questions qui intéressaient les hommes politiques, qu’il s’agisse des revenus (prosodoi), de la guerre et de la paix, de la protection du territoire, des importations et des exportations, ou encore de la législation (Aristote, Rhétorique, 1.4, 1359b-60a ; Bresson, 2000, p. 119-129). Les questions économiques étaient ainsi profondément enracinées dans de nombreux domaines de la vie des Grecs, que ne l’étaient les questions religieuses.
2Il existe cependant des différences. Les poleis grecques ne pratiquaient pas de politique fiscale, comme celle que nous connaissons aujourd’hui dans les Etats modernes : la dette nationale, la balance commerciale, le déficit (au sens moderne, en tout cas), seraient des notions anachroniques si on les appliquait à la Grèce ancienne. Il y eut une époque où les historiens mesuraient les caractéristiques « modernes » ou « primitives » de l’économie antique. Moses Finley modifia le débat en 1973, en s’intéressant aux travaux d’anthropologie culturelle et économique de Hasebroek et Polanyi, afin de dégager « différents concepts et différents modèles appropriés à l’économie ancienne et non (ou non nécessairement) à la nôtre » (Finley, 19992, p. 27). Il replaça l’économie antique dans le contexte culturel des sociétés anciennes, contexte en-dehors duquel il était, selon lui, impossible de chercher à la comprendre. Cette démarche a pu être qualifiée par la suite de « substantiviste » (ou « néo-primitiviste », Bresson, 2000, p. 244). Dans une certaine mesure, elle était le prolongement de la position de Finley concernant le manque de sources : celui-ci ne permettait pas de donner des descriptions précises, ni même de produire des analyses quantitatives des mécanismes économiques (Finley, 19992, p. 22-34). Ce point de vue reposait sur l’idée que l’économie doit être définie comme « un énorme conglomérat de marchés interdépendants » (Finley, 19992, p. 22), une idée qui reste fondamentale dans la seconde édition de The Ancient Economy (Finley, 19992, p. 177-178).
3Les conclusions de Finley montrent que les Grecs n’étaient pas très développés sur le plan économique, dans la mesure où, d’une part, l’État ne s’intéressait pas à l’économie per se et où, d’autre part, les individus accordaient davantage d’importance au statut qu’à toute forme de profit économique dans leurs décisions.
4Le corollaire de la position de Finley est l’approche « formaliste » de la question. Celle-ci met l’accent sur l’indépendance de l’activité économique par rapport à d’autres domaines de la vie en Grèce ancienne. Bien qu’il soit dangereux d’établir de trop nombreux parallèles entre l’économie ancienne et l’économie moderne, il n’en est pas moins important de savoir quel type de comportements économiques existait en Grèce ancienne. L’un de ces comportements semble caractérisé par une certaine rationalité et une certaine logique (Christesen, 2003), et même si l’économie à cette époque n’apparaît pas aussi développée ou élaborée qu’elle ne le sera plus tardivement, certains traits de l’économie ancienne font penser à celle de sociétés et de cultures plus récentes.
5La polarité des positions « substantivistes » et « formalistes » peut être illustrée à la fois par les différentes approches des témoignages existants et par les conclusions que l’on peut en tirer. Les orateurs de l’Athènes du ive siècle fournissent une grande partie des informations qui ont servi de base de travail à deux chercheurs ayant publié des études sur le prêt et l’emprunt : Millett (1990 ; 1991) et Cohen (1992). Millett affirme que le prêt et l’emprunt n’étaient pas des opérations très courantes à Athènes et que, malgré les traces qui existent, de telles activités étaient marginales et de peu d’intérêt au regard de l’économie prise dans sa globalité. Cohen, pour sa part, considère comme significatif le fait qu’il y ait aussi peu de traces de prêts accordés par des Athéniens que par des non-Athéniens : l’usure était une source d’enrichissement considérable pour les premiers banquiers ou financiers – ainsi que Cohen les désigne – dont certains ont même été honorés par l’État athénien.
6Millett met au premier plan les relations sociales entre les prêteurs et les emprunteurs, attestés dans nos sources, relations qui montrent que la recherche du profit dans ce genre d’affaires était mal perçue. Cohen préfère voir dans le prêt d’argent une activité économique (plutôt que socioculturelle) essentielle, dans la mesure où le prêt avait pour but de financer des opérations commerciales de réelle importance pour l’économie politique des cités. Les sources se limitent principalement au ive siècle et à Athènes où, si l’on en croît Cohen, apparurent les premières « banques privées » (Cohen, 1992, p. 22). Quant aux « banques publiques », on n’en trouve pas avant la période hellénistique (Cohen, 1992, p. 42, n. 2), bien qu’il existât à Athènes une institution qui avait vocation d’effectuer des versements à partir de fonds publics (Stroud, 1998, p. 18 et n. 10). La différence que l’on peut observer entre les deux historiens dans leur approche de la question est typique de la séparation qui existe chez les chercheurs entre ce que nous pourrions appeler la perspective « culturelle » et la perspective « réaliste ».
7L’accent mis par Millett sur les relations socioculturelles entre les prêteurs et leurs débiteurs n’est pas une erreur, mais il ne faut pas sous-estimer l’importance économique des prêteurs (quand bien même ils étaient peu nombreux) à la même époque. Rappelons ici qu’une petite élite organisée sous forme de partenariats privés domina la banque dans l’Europe du xixe siècle (Ferguson, 2001, p. 121).
8Bien que la recherche universitaire sur l’économie en Grèce ancienne ait progressé depuis l’analyse anthropologique de Finley, aucune monographie récente ne l’a remplacée dans la manière d’aborder la question. Des présentations nouvelles de la complexité de l’économie ancienne ont vu le jour (cf. Davies, 1998 ; Cartledge, 1998). On appréhende désormais les opérations commerciales et la recherche de profit comme des activités économiques à part entière et non plus comme des actions relevant seulement de la conduite sociale des individus. L’économie apparaît plus complexe, plus diversifiée et plus dynamique, à tel point qu’on parle désormais d’économies, et non plus d’une économie (Cartledge, 1998 ; Archibald et al., 2001).
9Pour embrasser les phénomènes économiques dans leur complexité, les deux différentes approches – que j’appellerai l’une « culturelle », et l’autre « réaliste » – se fondent sur les travaux de Finley et s’en écartent à la fois. L’approche « culturelle » dépasse Finley en ce qu’elle s’inspire largement des méthodologies anthropologiques et voit l’économie comme une activité avant tout culturelle (par exemple Von Reden, 1995, 2002). Sous cet angle, les « réalités » sont, sinon illusoires, tout au moins difficiles à discerner dans le « texte », le témoignage à partir duquel on s’efforce de tirer des conclusions sur le système économique. L’autre approche, qui s’enracine davantage dans ce qu’on pourrait appeler les « réalités », tente de mettre en lumière la dynamique des interactions économiques ou le faisceau d’activités qui résultent de transactions financières et commerciales à la fois simples et complexes (Davies, 1988). L’approche culturelle est post-moderne en ce qu’elle tient bien davantage compte de l’idéologie et de l’interprétation du « texte ». Le seconde, présente un aspect indéniablement heuristique, dans la mesure où elle prend en plus grande considération les dynamiques et les réalités économiques qui se cachent derrière les phénomènes que les textes ont conservé tels quels ou ceux qu’ils impliquent. Les « économistes culturels » pensent que les témoignages sont sous-tendus par une « construction » dans l’analyse économique, dans la mesure où le texte est le reflet de mentalités bien plus que de réalités. Cette perspective permet d’ouvrir des pistes à partir desquelles on peut percevoir les valeurs culturelles de la société grecque, même si elle tend à supprimer tout raisonnement résolument et purement économique. La démarche « réaliste », elle, tient compte, sans pour autant le privilégier, du contexte culturel dans lequel s’inscrit le comportement économique des individus ; elle consiste à prendre en considération les motivations financières et les structures institutionnelles, davantage que les modalités culturelles des activités économiques. C’est cette seconde manière d’appréhender l’économie qui fournira le cadre de réflexion de cette étude des « réalités économiques ». Par conséquent, cet article présente l’économie en Grèce classique sous l’angle de ses « économies plurielles, avec leurs règles, leurs processus de régulation, et même, dans une certaine mesure, [de] leur prévisibilité » (Finley, 19992, p. 23).
10Les avancées qui ont été faites après Finley reposent largement sur un retour aux sources et une analyse nouvelle des données littéraires, épigraphiques et archéologiques. Cependant, la diversité des indices et les différentes façons de les traiter tendent à dissuader de produire des modèles capables d’embrasser dans sa globalité le fonctionnement des économies en Grèce ancienne (sur ce problème, voir Bresson, 2000, p. 261). Une possibilité de mise en lumière de structures économiques globales consiste à discerner derrière celles-ci une matrice complexe d’opérations (Davies, 1988, p. 249). Dans cette perspective, Athènes offre un modèle, peut-être unique (Descat, 1989), des dynamiques d’interaction complexes impliquant des individus ou des institutions dans un régime politique ; un modèle qui voit les interactions s’étendre au-delà de la délimitation du régime, à la fois aux individus, aux communautés et aux politiques menées à l’intérieur de ces mêmes communautés. Ces interactions ont donné lieu à différentes activités économiques : la fabrication, le transport et la vente de biens et de marchandises, les infrastructures requises par le travail et autres activités sous-jacentes. La prise en compte du contexte culturel – les valeurs et les relations culturelles à la lumière desquelles ces opérations doivent être perçues – n’est nullement exclue d’une telle analyse, même si celle-ci accorde un intérêt plus grand aux données purement économiques : prix, profit et pouvoir financier, etc.
11Athènes offre de nombreux témoignages, en particulier épigraphiques, des diverses formes d’économie que l’on trouve à l’intérieur d’une polis grecque. Il faut avoir à l’esprit toutefois que, si cet article se concentre sur Athènes, tous les régimes politiques du monde grec ne présentent pas le même niveau de complexité et de sophistication. L’agriculture se trouve à la base de tous les systèmes économiques de la Grèce. Elle est la clef qui permet de comprendre presque tous les aspects du fonctionnement de l’économie. Il ne faut pas négliger les différences de taille et de complexité des autres communautés ou poleis grecques. À Athènes, par exemple, l’importation et la vente de grain et de produits dérivés du grain impliqueront de nombreux magistrats : les agoranomes (responsables du marché), les sitophylaques (qui supervisaient le marché du grain), les metronomoi (officiers des poids et mesures) et les epimélètai tou emporiou (préposés à l’emporion), ainsi que plusieurs autres magistrats. Dans une cité moins importante, ces différentes fonctions incombaient à un nombre de magistrats plus limité, souvent l’agoranome (voir plus loin, dans la section « Économie et institutions de la polis »).
Perspectives sur les sources
12Ce survol de la méthodologie et des modèles d’étude de l’histoire économique de la Grèce ancienne s’avérait nécessaire à cause des problèmes que posent les sources, ou plutôt le défaut de sources : aucun auteur, en effet, ne s’est sérieusement consacré à l’histoire économique, de même qu’il n’existe aucune étude ancienne complète sur la religion.
13Le texte le plus intéressant dont nous disposons aujourd’hui sur l’histoire économique est le bref traité attribué par erreur à Aristote, L’Économique, qui fut rédigé aux environs de 320-310 av. J.-C. Datant du milieu du ive siècle, les Poroi et L’Économique de Xénophon nous offrent, respectivement, une étude de cas pour améliorer les revenus de l’État et un manuel adressé à un riche Athénien pour qu’il atteigne à l’organisation idéale d’une maisonnée fondée sur un domaine foncier. L’économie se mêle pourtant très souvent à ce que les auteurs anciens entendent par politique et histoire contemporaine. Thucydide reconnaît ainsi l’importance du pouvoir économique ou financier dans le cadre de son histoire de l’Empire athénien, mais pas suffisamment toutefois pour nous en donner une analyse détaillée (Kallet-Marx, 1993 ; Kallet, 2001).
14Le problème demeure le même : comment interpréter les textes que le temps à conservés ; les nombreuses sources épigraphiques qui proviennent de l’Athènes de la seconde moitié du ve et du ive siècle, par exemple, et qui sont riches d’informations sur les activités économiques de l’époque – contrats de bail foncier, ventes de propriétés, inscriptions détaillant la valeur financière de biens (les horoi), listes inventoriant les trésors de temples. Mais les sources épigraphiques ne nous parviennent qu’au travers de filtres variés. Il faut d’abord que les pierres résistent au temps et soient découvertes. Il faut se demander ensuite ce qui a motivé l’exécution de l’inscription. Enfin, il faut tenir compte de l’autorité qui en est à la source. Cependant, les inscriptions nous fournissent des informations qui sont souvent absentes des études générales sur l’économie grecque.
15S’ajoutant à l’épigraphie, l’archéologie nous éclaire également beaucoup sur la question. Les fouilles archéologiques ont permis non seulement de retrouver des bâtiments, de comprendre leurs plans, leur construction et leur histoire, mais aussi de découvrir des artefacts fabriqués à l’époque : céramiques fines et céramique commune, en particulier les amphores, peuvent nous fournir des données économiques que ne contiennent pas les sources écrites (Lawall, 1998). Depuis les années 1970, les études archéologiques ont également révélé beaucoup de choses sur l’histoire rurale des campagnes de l’Antiquité, que ce soit en Grèce continentale, en Sicile, sur les îles grecques, au nord de la Mer Noire ou dans certaines régions de l’Asie Mineure (Alcock et al., 1994 ; Alcock et Cherry, 2004). Elles ont permis à l’historien d’observer sur de longues périodes la nature changeante des activités rurales, grâce à la découverte de « sites de toutes tailles, de tous types et de toutes époques » (Jameson et al., 1994, p. 220). Il est arrivé souvent que le manque de fouilles mieux ciblées empêche l’historien de reconstituer la chronologie précise de ces changements, mais l’accumulation des trouvailles céramiques l’autorise néanmoins à brosser un tableau général de l’activité rurale.
16Ce qui suit doit beaucoup aux données épigraphiques et archéologiques, car cette matière est souvent prise à la légère par les économistes dits « culturels », ainsi que Finley le résume dans son Ancient Economy. Le reste de cet article est divisé en cinq sections liées entre elles. Les trois premières, qui s’attachent à la base très large sur laquelle reposait la société ancienne, traitent des fondements agricoles de l’économie grecque : terre et territoire, travail, richesse, fermes (section 3) ; aux ouvriers et à la main d’œuvre non agricole (section 4) ; au commerce et aux négociants (section 5). Puis viennent deux sections qui montrent comment ces aspects de la société grecque s’inscrivent dans les cadres politiques et institutionnels des régimes en place à cette époque, à travers les systèmes économiques et les institutions de la polis (section 6) puis les réalités du pouvoir économique (section 7).
Terre, travail agricole et fermiers
Terre et territoire
17Même dans la plus complexe et le plus sophistiquée des poleis de la Grèce ancienne, comme Athènes, une grande partie de la population vivait en dehors du centre urbain (asty). La polis était presque toujours reliée intrinsèquement à un territoire constitué de campagnes (la chora), et dépendante de lui et de la production agricole qu’il générait (Osborne, 1987 ; Sallares, 1991). Thucydide raconte, lorsqu’éclata la guerre du Péloponnèse, que « depuis les premiers temps jusqu’à la guerre actuelle, la plupart des Athéniens vivaient encore à la campagne avec leurs familles et leurs biens » (Thuc. 2.16). L’Attique était une région atypique en ce sens que son territoire, qui couvrait près de 2 400 km2, ne comprenait que deux centres urbains : Athènes et le Pirée. Cependant, ses dèmes étaient de même envergure que les petites ou moyennes poleis que l’on trouvait dans d’autres parties de la Grèce. A cet égard, on peut penser que la plupart des régions de Grèce équivalentes en superficie devaient être beaucoup plus « urbanisées ». Afin d’illustrer cette idée, considérons la Béotie, un territoire qui occupait grosso modo la même surface que l’Attique (2 500 km2 : Fossey, 1988, p. 4) mais rassemblait de nombreuses poleis. La région comptait en effet quatorze cités principales, auxquelles s’ajoutaient de plus modestes poleis qui étaient souvent associées ou rattachées aux premières. Hansen (1996, p. 74 ; Hansen et Nielsen, 2004, p. 436-459) a ainsi pu identifier vingt-cinq poleis de taille variable en Béotie. Par définition, la structure politique d’une région comme celle-ci est beaucoup plus typique de la Grèce, dans la mesure où une région y était le plus souvent constituée de plusieurs poleis ou centres urbains dont dépendaient leurs territoires ruraux. Il est possible que, dans certaines régions plus « noyautées », un fort regroupement ait pu caractériser le mode de vie de larges franges de la population, davantage encore qu’à Athènes avant la guerre du Péloponnèse. Les auteurs d’une étude réalisée dans le sud de l’Argolide suggèrent que moins de la moitié de la population résidait dans les campagnes, peut-être 16 % (Jameson et al., 1994, p. 553). Il n’en reste pas moins qu’au cours de sa longue histoire, c’est durant la période classique que la campagne grecque fut le plus largement exploitée, et plus particulièrement encore au ive siècle. Les enquêtes archéologiques n’ont cessé de montrer que la plus grande activité y avait pris place pendant la période classique et au début de la période hellénistique (Alcock et al., p. 1994, p. 142).
Terre et propriété
18La possession de terres et de propriétés foncières se limitait généralement aux citoyens et à une minorité d’individus non citoyens à qui l’on avait accordé le droit de posséder des terres (enktèsis). L’oikos (la maisonnée) idéal était celui qui était doté de suffisamment de terrain pour subvenir à ses propres besoins et produire un surplus (Platon, Lois, 744B, pour éviter la stasis), mais cet idéal était probablement très éloigné de la réalité (voir par exemple Garnsey, 1988, p. 43-46). Dans L’Economique de Xénophon, on peut lire une conversation fictive entre Socrate et Ischomaque, au cours de laquelle, discutant de la ferme, Socrate dit : « Tous les hommes ne réussissent pas de la même façon, et certains vivent dans l’abondance et produisent des surplus, tandis que d’autres ne peuvent pas se procurer le nécessaire et contractent des dettes » (Xénophon, Économique, 20.3). L’intention de Socrate est ici d’encourager Ischomaque à organiser et diriger son domaine, fondé sur l’agriculture, de façon plus efficace (Xénophon, Économique, 6.4-8) – une idée qui constitue l’essence du traité de Xénophon et un lieu commun de la pensée grecque conservatrice ([Aristote], Économique, 1343b). Socrate puis Ischomaque évoquent aussi différents types de possession foncière et différentes façons de diriger un domaine (Xénophon, Économique, 20.4-5 ; 11.14-18), qui renvoient probablement à une certaine réalité (Foxhall, 2002, p. 210-212).
19Tous les citoyens ne géraient pas des domaines de même taille ([Aristote]L’Économique, 1345a17). Dans certaines parties du monde grec, la base communautaire était un contrôle plus égalitaire de la terre, qui devait subvenir aux besoins de l’oikos, comme à Métaponte (Metapontion), où la taille moyenne des parcelles de terrain était de 9 ha (Isager et Skydsgaard, 1992, p. 76). On admet généralement que 5 ha de terre suffisaient à nourrir toute la maisonnée typique de la Grèce ancienne. Dans le cadastre de Larissa datant de la période hellénistique, il est écrit que chaque colon se voyait alloué 5 ha de terre (Habicht, 1976 ; SEG 26 672-676), et ces 5 ha sont le plus souvent compris comme étant la taille d’une ferme standard dans la Grèce classique (Burford Cooper, 1977-1978 ; Gallant, 1991, p. 86-87). Dans certaines régions, non seulement les propriétés individuelles étaient suffisamment importantes pour générer un surplus de produits agricoles pouvant être commercialisé, mais les plus riches en possédaient probablement plusieurs. Dans l’arrière-pays de la Chersonnèse Taurique (dans le sud-ouest de la Crimée, sur la côte nord de la Mer Noire), de grands domaines atteignant en moyenne une superficie de 26 ha donnaient lieu à la production de divers surplus céréaliers (Saprykin, 1994, p. 83-94). En Attique, au ive siècle, une petite minorité d’Athéniens, sans doute pas plus de 9 %, détenaient une part importante de la terre cultivable (40 %), si l’on en croit certains auteurs (Foxhall, 1992, p. 156).
20À Sparte, Hodkinson (2000, p. 123, 382-385) a démontré que les domaines des Spartiates ordinaires étaient relativement étendus, soit autour de 18 ha. L’élite spartiate possédait des domaines remarquablement vastes, qui atteignaient en moyenne 44 ha ; de telles propriétés dépassaient largement par la taille celles de la plupart des riches Athéniens (Hodkinson, 2000, p. 384-385 et [Platon], Alcibiade I 122D). À l’instar d’autres sociétés grecques de cette époque, les Spartiates jouissaient d’un éventail de propriétés fragmentées et certainement disséminées sur le territoire. En d’autres termes, la surface moyenne de 44 ha devait résulter de l’addition de plusieurs propriétés (Hodkinson, 2000, p. 121-122).
21La réalité économique de la gestion d’un domaine, les pressions éventuelles dues à la croissance (ou la décroissance) de la population, la restriction de la propriété foncière aux citoyens et la limitation possible du nombre de propriétés disponibles forment non seulement le contexte dans lequel s’inscrivent l’existence des fermes et des fermiers, mais aussi l’arrière-plan du tableau que nous voulons brosser de l’économie de la terre. Dans le cas d’Athènes, il est hautement probable que tous les travailleurs agricoles n’étaient pas eux-mêmes propriétaires des terres qu’ils cultivaient. De même, l’économie spartiate fut construite sur le fait que les citoyens de Sparte se reposaient sur d’autres individus qui travaillaient la terre pour leur compte, notamment les hilotes (Hodkinson, 2000, p. 113-143).
22La question de la main d’œuvre, en particulier pour l’agriculture athénienne, est restée l’objet de nombreuses discussions (Finley, 1981, p. 99-100). Certains éléments dont nous disposons donnent à penser que l’esclavage existait sur les grands domaines, plus précisément sur les domaines de plus de 5 ha, la taille moyenne des fermes de subsistance. Une bonne part du travail agricole consistait en une agriculture intensive, avec des pics de production coïncidant avec les périodes de forte activité, comme celle des moissons, où la maîtrise des délais était capitale (Halstead et Jones, 1989, p. 49). Pour ce qui est des fermes de subsistance, le modèle courant est celui d’une forte implication des membres de la famille, des proches et même des voisins, plutôt que le recours à l’achat d’esclaves ; si la maisonnée recourait à une main d’œuvre servile, alors il fallait sans doute la garder pour la revendre au gré des circonstances économiques (Gallant, 1991). Il est important de savoir si ce type de fermiers, qui travaillaient la terre pour se nourrir, possédait ou non des esclaves, car de cela dépend l’étendue du recours à la main d’œuvre servile. Mais il faut aussi réfléchir en termes d’attentes et de valeurs sociales : il est probable que la plupart des ménages aspiraient à posséder un ou plusieurs esclaves (Osborne, 1995 ; Jameson, 2002, p. 170-172). Tant Xénophon (Economique, 3.4) que Lysias (5.3-5) suggèrent que posséder des esclaves était bien vu en Grèce ancienne. C’était une réalité dans les classes supérieures de la société, sans aucun doute pour les hoplites dont la fortune et le statut étaient en pleine ascension (sur les hoplites possédant des esclaves : Thuc. 3.17.3-4 ; 7.75.5) ; les classes les plus pauvres devaient y renoncer (Lysias 24.6 ; Aristote, Politique, 1323a5). Il ne fait aucun doute que les riches possédaient des esclaves, principalement des esclaves agricoles (Lysias 7.34 ; Xénophon, Economique, 12.3 ; 14.1-2 ; 15.9-10 ; [Aristote] Economique, 1.6.5) ; or, comme il est probable que ce groupe a possédé la plupart des terres cultivables, il y a de fortes raisons de croire que la majorité des esclaves étaient employés soit dans l’agriculture soit dans les mines d’argent (Hypéride F 29 Jensen). Quant au reste de la population, numériquement important, qui possédait des esclaves, elle employait très certainement ces derniers à diverses tâches, notamment agricoles.
23Située à la base de la société grecque, l’agriculture atteste le rôle économique fondamental des esclaves. Représentant l’activité la plus répandue dans le monde grec, c’était aussi l’agriculture qui nécessitait la main d’œuvre, libre ou servile, la plus importante. Chios jouissait d’une économie fortement développée. Les amphores de la cité qui ont été retrouvées font apparaître un pic des exportations vers Athènes au milieu du ve siècle, et semblent indiquer que l’économie chiote fleurit durant des décennies, jusqu’au moment de la révolte contre les Athéniens en 412 (Thuc. 8.24 ; Lawall,1998, p. 88-90). À Chios, le système économique était l’un des plus nettement esclavagistes du monde grec (Jameson, 1992, p. 142). Lorsque les Athéniens arrivèrent pour mettre fin à la révolte oligarchique de 412, les très nombreux esclaves de Chios se révoltèrent contre leurs propriétaires et portèrent un coup très dur à l’économie rurale, la base de la richesse de cette société (Thuc. 8.40). Sur l’île, l’économie spécialisée permettait de produire d’importantes quantités d’une denrée exportable, le vin, qui se vendait à l’étranger. La production de surplus commercialisables indique que l’économie agricole reposait certainement sur le travail servile.
24D’une manière différente, l’économie spartiate dépendait elle aussi de l’agriculture et du travail servile. À Sparte, en effet, c’était les hilotes qui travaillaient la terre sur tout le territoire de la cité, qui incluait la Laconie et, jusqu’en 370/369, la Messénie. Les hilotes appartenaient probablement à des particuliers dont ils travaillaient la terre. La plupart d’entre eux avaient une situation relativement stable et faisaient partie du domaine sur lequel ils travaillaient et auquel on les identifiait (Hodkinson, 2000, p. 119-121). Dans certains cas, ce domaine pouvait être constitué de plusieurs portions de terrain appartenant à différents propriétaires. Il est clair que les hilotes pouvaient travailler sur les terres appartenant à un spartiate détenteur d’un kléros (Xénophon, Helléniques, 3.3.5).
Fermiers et richesse
25Dans toutes les sociétés de la Grèce, l’agriculture se trouvait à la base de la fortune de l’élite. Au ve siècle, les Athéniens tiraient de nombreux avantages de leur empire, et en particulier des propriétés foncières qu’ils possédaient à l’étranger. Quand plusieurs d’entre eux, notamment Alcibiade, se trouvèrent mis en cause et condamnés pour la mutilation des hermès d’Athènes, leurs propriétés furent confisquées et vendues. Nous possédons des fragments d’inscriptions de l’Éleusinion relatifs aux ventes. Huit esclaves appartenant à un dénommé Adeimantos, sans doute l’un des plus riches Athéniens de sa génération, furent alors vendus, et celui-ci perdit le confortable revenu qu’il tirait d’une propriété en location (M & L 79.53-61 = Fornara 147D ; M & L p. 247). On lui retira également deux vignobles très rentables situés à Thasos : l’un comprenait un esclave, une ferme, une maison, des jarres pour entreposer le vin et la production locale alors en magasin (peut-être 230 hectolitres) ; l’autre comprenait 93 jarres de stockage, une table de pression et une cuve à vin (Salviat, 1986, p. 150-152). Le premier domaine couvrait de 8 à 10 hectares, et sa production, l’une des plus importantes de vin thasien, devait représenter une source de richesse considérable pour Adeimantos.
26Sur le territoire lacédémonien, la terre appartenait aux citoyens, à des gens de statut inférieur (d’anciens citoyens, les hypomeiones) et aux périèques (des individus libres mais non citoyens résidant sur le territoire lacédémonien). À Sparte, le citoyen propriétaire possédait suffisamment de terres pour remplir ses devoirs en versant son écot aux repas en commun (syssition) et pour subvenir aux besoins des hilotes qui travaillaient pour lui. L’inférieur pouvait lui aussi posséder des terres mais, par définition, il n’avait pas le statut de citoyen à part entière (Hodkinson, 2000, p. 146, n. 15). Sur le territoire lacédémonien, l’eisphora était collectée non seulement auprès des Spartiates mais aussi par des périèques (Hodkinson, 2000, p. 190), ce qui laisse à penser que, dans certains cas, cette catégorie d’individus possédait des domaines assez importants (sur les dédicaces votives des périèques et la production de bronzes sur leur territoire, cf. Hodkinson, 2000, p. 296).
27La répartition des biens fonciers entre les Spartiates connut un déséquilibre croissant durant la période classique. Le déclin du nombre de citoyens de Sparte, que font apparaître les chiffres relatifs aux hommes servant dans l’armée, semble indiquer une diminution du nombre de Spartiates capables d’assumer les charges (repas en commun) qui incombaient aux citoyens de la cité (Aristote, Politique, 1271a26-36 ; Hodkinson, 2000, p. 399-400). Le nombre décroissant de citoyens signifie que les riches s’enrichissaient davantage encore, grâce à un nombre de propriétés de plus en plus élevé (Hodkinson, 2000, p. 416). Sparte souffrait déjà d’un manque de citoyens (oliganthropia) au ve siècle, mais, au ive siècle, le régime spartiate tourna de facto à la ploutocratie. La perte de la Messénie en 370/369 amputa la cité de 60 % peut-être de son territoire ; il en résulta des pertes financières significatives, en particulier pour les petits propriétaires terriens. De 370 au milieu du iiie siècle, le nombre de Spartiates passa de 1 000 à 700 (Aristote, Politique 1270a29-31 ; Plutarque, Agis, 5.4 ; Hodkinson, 2000, p. 436-437), ce qui ne fit qu’intensifier la concentration des biens fonciers entre les mains d’une élite de plus en plus réduite.
Cultiver le profit
28Il devrait être clair désormais qu’au ve et au ive siècle, il n’est plus pertinent d’appréhender l’économie agricole de la Grèce sous le seul angle des fermes de subsistance. Les notions de profit personnel et d’enrichissement des communautés entières se dégagent des nombreux exemples de la productivité agricole dont nous disposons. En même temps, certaines de ces communautés présentaient des faiblesses qui les rendaient vulnérables sur le plan économique, notamment à Athènes, où il fallait importer du grain de régions situées en dehors de l’Attique pour parvenir à nourrir la population. À cet égard, Athènes n’était sans doute pas un cas isolé, comme le montre l’exemple de Téos. A cette époque (vers 470), il était interdit d’entraver l’importation de grain dans la cité par voie terrestre ou maritime, de même que de réexporter le grain. Dans ces deux cas, la peine encourue était la mort pour celui qui avait transgressé la loi et pour sa famille (M & L 30. A = Fornara 63.A, l. 6-12).
Prendre des risques avec la ferme
29Il existait une grande variété de pratiques agricoles et productives dans le monde grec, et, dans de nombreuses régions, elles consistaient à prendre des risques dans l’exploitation des domaines (Gallant, 1991, chap. 3). Ainsi, sur une ferme typique, on faisait pousser au moins une et jusqu’à quatre denrées différentes, la combinaison méditerranéenne classique étant : céréales (en général du blé et de l’orge), olives, légumes secs et vin. Dans toute la Grèce, nombreux étaient les agriculteurs qui pratiquaient la polyculture : légumes, figues, miel et autres arbres fruitiers faisaient partie du tableau. La plupart des fermiers ou des propriétaires terriens, même en contexte urbain, possédaient aussi des animaux, souvent des porcs, et l’élevage revêtait une importance considérable, en particulier sur les terres qui n’étaient pas adaptées à l’agriculture et qui convenaient, souvent parfaitement, à l’élevage (Hodkinson, 1988 ; 2000, p. 133, 151-152). Le simple désir de suivre un régime alimentaire varié figure aussi parmi les motivations de la polyculture (sur ce point, voir Platon, République, 369D, 371C, 372C-D). Dans le cadre des repas en commun (syssitie), les citoyens de Sparte devaient proposer une alimentation simple à base d’orge, de vin, de fromage et de figues, qui requérait un régime agricole relativement varié : céréales, vignes, figuiers, et troupeaux (de moutons et de chèvres) pour le fromage. Le type d’économie rurale que pratiquaient les Spartiates leur permettait ainsi de produire des surplus suffisants pour alimenter les repas communs, nourrir les hilotes et rapporter des bénéfices aux propriétaires (Hodkinson, 2000, p. 133-135). Mais la polyculture était aussi une conséquence naturelle du calendrier agricole, qui permettait de semer et de récolter toutes ces denrées à différents moments de l’année (voir Isager et Skydsgaard, 1992, p. 160-163, fig. 11.1).
30Il arrivait pourtant parfois que la nécessité limitât la diversité. Les régions de Grèce n’étaient pas toujours adaptées à la culture de tel ou tel produit de la terre, voire de plusieurs à la fois (sur les olives, voir Brun, 2003, p. 126) ; certaines convenaient en revanche parfaitement à la culture d’une denrée spécifique, qui donnait lieu à une culture intensive. À Amorgos, par exemple, comme sur plusieurs autres îles des Cyclades comme Délos, les vents froids venus du nord rendaient impossible la culture des olives. Le contrat de bail foncier relatif à la terre du culte de Zeus Teménitès à Arkésinè n’en fait d’ailleurs pas mention (IG 12.7 62 = Pouilloux, 2003, n° 35 ; Brunet et al., 1998, p. 222-231), alors qu’en Asie Mineure, la population de Clazomènes, par exemple, bénéficiait d’une récolte abondante d’olives et en entreposait des quantités considérables dans des amphores prévues à cet effet. On a supposé un moment que l’argent dégagé par ces surplus était pour elle un moyen de gagner l’argent nécessaire à l’achat de céréales en cas de diminution des précipitations ([Aristote] L’Economique, 2.2.16 ; pour les amphores, Döger, 1986).
31La propriété foncière représentait donc la principale (et la plus sûre) source de revenus dans le monde grec, un fait qui s’explique largement par l’importance de l’agriculture. Cependant, le développement de centres urbains dépendants de leur territoire environnant générait des systèmes économiques non agricoles complexes. Tout le monde n’était pas fermier ou propriétaire terrien, et il existait de nombreuses formes d’artisanat et de production non- agricole.
La production non-agricole : fabricants et matériaux
32Dans de nombreuses communautés, la réalité de la répartition foncière parmi les citoyens faisait que certains possédaient peu, voire pas de terres du tout. C’était le cas d’un nombre significatif d’Athéniens (Foxhall, 1992).
33Quel type d’activités économiques pratiquaient ceux qui ne possédaient aucune terre ou n’en possédaient pas assez pour subvenir à leurs besoins ? Le fait même d’être propriétaire terrien excluait-il la possibilité que l’on puisse se livrer à d’autres formes d’activités ? Dans une étude des « professions » qui fournissaient des biens et des services échangés sur le marché d’Athènes, Harris (2002) liste 170 occupations différentes. Seule une petite partie de la population était impliquée dans l’agriculture ou l’élevage, tandis que la majorité se rapportait aux autres types de production, non-agricoles (Harris, 2002, p. 69), auxquelles nous nous consacrerons dans cette section. Dans un important centre urbain comme Athènes, l’un des plus étendus du monde grec et certainement celui sur lequel nous avons le plus de données historiques, une telle concentration de professions en dit long sur la diversité des activités économiques de la cité et la spécialisation des individus qui participaient à la vie de la polis, par contraste avec les poleis de moindre envergure (Xénophon, Cyropédie, 8.2.5).
34L’étude d’Harris recense un large éventail de professions pouvant être exercées, par les citoyens comme les non-citoyens. Toutes les franges de la société fréquentaient le marché, qui n’était pas seulement le lieu où l’élite achetait ses produits de luxe (Harris, 2002, p. 78).
La spécialisation des métiers
35Ce qui est frappant dans la nature des professions identifiées par Harris dans les sources littéraires et épigraphiques, c’est leur spécificité. Harris souligne le fait que, dans l’économie athénienne et, au-delà, certainement dans l’économie grecque tout entière, il n’existe aucune spécialisation de type vertical. En revanche, Athènes et la Grèce répondent à un haut degré de spécialisation horizontale. La forte demande en biens et en services émanant de la société donnait lieu à une grande variété d’activités. En général, la spécialisation verticale est requise lorsque l’on veut créer un produit dont la réalisation nécessite différents niveaux d’opération et de qualification. En Grèce ancienne, seul un nombre limité de « produits » demandait ce type de spécialisation. C’est la construction des temples qui devait demander le plus haut niveau de maîtrise technique et de qualification (Harris, 2002, p. 81), mais d’autres sortes d’activité se révélaient complexes, comme la construction et l’entretien d’un navire ou les opérations minières.
36Battre une monnaie peut sembler, extérieurement, une opération simple. À Olynthe, on a retrouvé deux maisons dans lesquelles des individus se sont peut-être livrés à la fabrication de pièces contrefaites (Cahill, 2002, p. 259-261). Mais le monnayage requiert la disposition de métal (du bronze, de l’argent ou, exceptionnellement, de l’or) ainsi que des artisans capables de dessiner et de réaliser les pièces. À la différence de nombreuses communautés du monde grec, Athènes disposait de ses propres réserves d’argent, qu’elle tirait des collines du Laurion, ce qui lui permettait de frapper les « chouettes », le nom donné aux pièces de la cité en raison de la figure de la chouette qui apparaissait sur le droit. Les différents niveaux d’opération qui menaient en définitive à la production de ces pièces s’inscrivent donc mieux dans une étude du travail non-agricole et sont un bon exemple de spécialisation verticale.
Du pic à l’enclume : les pièces de monnaie
37Le processus par lequel l’argent extrait d’un sol était transformé en pièces de monnaie était constitué de différents stades donnant lieu à des activités de travail intensif (Rihll, 2001 ; sur les installations, voir Jones, 1982) : il fallait extraire 15 à 16 kg de minerai pour fabriquer une pièce d’argent pesant 4 g (Rihll, 2001, p. 129, tableau 6.1). Aux premiers stades, le travail était dangereux ; il fallait extraire des collines du sud-est de l’Attique les morceaux de rocs qui contenaient le précieux minerai de fer. Une importante main d’œuvre servile était chargée de forer les conduits verticaux et les galeries horizontales qui permettaient ensuite d’atteindre les minerais métallifères, de les extraire du roc à coups de pic et de les remonter à la surface. Cassé en petits morceaux, le minerai était ensuite déposé sur des « tables de nettoyage » conçues spécialement et nécessitant d’importantes quantités d’eau, laquelle provenait d’immenses citernes creusées dans le sol qui capturaient l’eau de pluie. Les esclaves effectuaient le broyage, le nettoyage du minerai, ainsi que le transport de l’eau. Des fourneaux servaient à séparer l’argent du minerai de base, par cupellation, la combustion atteignant des températures situées entre 810° et 950°. Cette dernière étape requérait une quantité monumentale de matériaux combustibles et il est probable que les réserves de bois du Laurion furent rapidement épuisées. On a retrouvé des fournaises sur la côte, qu’on avait certainement construites là non seulement pour maintenir au loin les fumées toxiques produites par la cupellation, mais aussi pour faciliter l’accès des provisions de combustible. Ces différents stades de production requièrent tous un travail effectué, supervisé et financé par des spéculateurs prêts à investir dans des opérations minières. Finalement, l’argent trouvait son chemin jusqu’à l’atelier monétaire de l’agora où les esclaves publics fabriquaient les pièces de monnaie.
38Dans l’Attique, la production de pièces en argent à partir du minerai local entraînait de fortes demandes pour l’économie de la région. Il fallait en effet nourrir et entretenir les esclaves, qui consommaient environ 4 kg de nourriture par jour (Rihll, 2001, p. 115). L’extraction du minerai d’argent exigeait des installations spécialement conçues dans ce but (les tables de nettoyage) ; les fournaises consommaient des ressources naturelles (le bois et le charbon). L’industrie de l’argent dépendait d’individus capables de financer des opérations aussi coûteuses. Au ve et au ive siècle, cette filière complexe fournissait à Athènes de grandes quantités d’argent, ainsi que d’autres produits dérivés de l’argent fondu (Rihll, 2001, p. 130-132, 136). La qualité de l’argent du Laurion faisait de la chouette athénienne une pièce d’une exceptionnelle pureté. La circulation très large de cette monnaie à l’époque classique explique par ailleurs l’adoption de l’étalon attique à l’époque hellénistique.
Ateliers et esclaves
39Des opérations à grande échelle comme l’exploitation des mines de l’Attique étaient relativement peu courantes. Un petit nombre d’individus tiraient un profit considérable de la location d’esclaves. Nicias, politicien athénien et général du ve siècle, loua par exemple jusqu’à 1000 esclaves, le locataire étant redevable du même nombre d’esclaves après leur utilisation, quand bien même certains seraient morts entre temps (Xénophon, Poroi, 4.14). Au milieu du ive siècle, Xénophon recommandait que l’Etat suivît l’exemple de ces individus en louant des esclaves publics afin de rapporter un revenu à la polis (Xénophon, Poroi, 4.1-18 = Austin & Vidal-Naquet, 1977, p. 94). L’esclavage se révélait profitable non seulement à l’économie agraire mais aussi aux ménages et aux ateliers (ergasteria). L’un des plus grands ergasteria appartenait à Képhalos, un métèque dont la manufacture de boucliers employait 120 esclaves (Lysias 12.19 [Contre Eratosthène]).
40Tout Athénien pouvait avoir une propriété ; cependant, les citoyens et les métèques pouvaient aussi louer des terres (sur les contrats de bail foncier, voir Osborne, 1988). Les ateliers avaient pour vocation de produire des biens vendables. Les citoyens, les métèques et même les esclaves recouraient de manière habituelle à une main d’œuvre servile. Bien que les Athéniens ne distinguassent pas les activités et les capitaux financiers de leurs ateliers de ceux de leur ménage, les esclaves étaient employés à des tâches spécifiques. Le domaine du père de Démosthène comprenait deux ateliers. Le premier, qu’il avait reçu en garantie pour couvrir un prêt d’argent qu’il avait consenti, produisait des meubles et utilisait pour cela une vingtaine d’esclaves. Le second était une fabrique de couteaux où travaillaient 30 ou 32 esclaves entre lesquels il existait des distinctions très nettes, probablement dans la qualification, dans la mesure où la valeur des esclaves allait de 180 à 300 drachmes (Démosthène 27.9). Le prix moyen d’un esclave oscillait entre 150 et 250 drachmes (cf. le prix des esclaves du métèque Képhisodoros, confisqués en 414, Austin et Vidal-Naquet, 1977, p. 74-75).
Producteurs et marchés
41La production de biens et le mouvement (et la vente) des surplus agricoles requéraient l’existence de marchés, à la fois au sens physique et au sens conceptuel du terme. Les communautés politiques ne produisaient pas nécessairement tout ce dont elles avaient besoin ou tout ce qu’elles désiraient, mais ils étaient capables de satisfaire ces besoins et ces désirs en important les produits qui manquaient. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la notion d’autarkeia (littéralement : « autarcie »), un terme qui a été très débattu à cause de l’importance que lui accordaient plusieurs auteurs anciens (Bresson, 2000, p. 116). Parmi ces derniers, le plus remarquable est Aristote, qui considérait que l’autarkeia était « l’objectif à atteindre et la meilleure des choses » (Aristote, Politique, 1253a1-2) ; en d’autres mots, un but et un idéal, que permettraient d’atteindre l’exportation de surplus et l’importation de ce qu’on ne trouvait pas à l’intérieur de la cité (Aristote, Politique, 1328b5-3, commenté par Bresson, 2000, p. 111-119). Si l’on en croit Thucydide (1.37.3), Corcyre remplissait ces conditions. S’adressant à l’Assemblée d’Athènes, les ambassadeurs corinthiens décrivent Corcyre comme « une polis… qui jouit de l’autarkeia par sa situation ». Ils suggéraient que les Corcyréens se déplaçaient rarement mais forçaient les autres à venir à eux. Thucydide (3.70) nous apprend que l’île produisait du vin. L’archéologie a permis de connaître les amphores qui servaient à son transport (Bresson, 2000, p. 122-124). Les îles sont le type même d’endroits dont les habitants exportaient leurs surplus et importaient ce qu’il leur fallait, un idéal également atteint par Byzance (selon Polybe 4.38.8-9). La relation entre les produits et leur commerce est fondamentale, et requiert d’étudier plus en profondeur les données de l’échange.
Commerçants et marchés
42La diversité de la production artisanale et des cultures mises en œuvre dans différentes régions du monde classique laissent penser que la vente de ces produits et le « marché » même étaient complexes. La production de denrées et la fabrication d’objets en atelier dans un but de vente et de consommation impliquent l’existence de marchés et d’un système favorisant la circulation des biens. Le transport des biens et les espaces de vente sont en effet les conditions préalables de tout marché.
Les produits locaux et le marché domestique
43Les marchés locaux offraient de nombreuses opportunités pour vendre des produits. Le coût du transport par voie terrestre n’était pas prohibitif. Un propriétaire terrien athénien du nom de Phainippos payait 12 drachmes par jour pour acheminer du bois à Athènes en utilisant six mules, ce qui prouve que le transport des produits via des routes ou de simples pistes était un trait fondamental de l’économie locale ([Démosthène], 42.7). Il ne faut donc pas s’étonner de trouver un conducteur d’ânes et deux muletiers sur les listes d’affranchissement athéniennes du ive siècle (Harris, 2002, p. 94).
Les marchés ambulants
44Les mouvements de biens par voie terrestre étaient une caractéristique essentielle de la plupart des cités grecques, et particulièrement de celles qui dépendaient d’un port. Ainsi la route qui menait du Pirée au centre d’Athènes était une condition sine qua non de la survie de la cité. Une loi de 374 réglementant la vente du grain stipule explicitement que les collecteurs de taxes devaient assurer le transport du grain (taxé en nature) depuis le port jusqu’au dépôt de grain de la cité d’Athènes à leurs propres frais (Stroud, 1998, p. 4, lignes 12-15, 50-51). Une inscription bulgare publiée récemment reflète les relations commerciales à Pistiros, en Thrace, un emporion où les marchands thasiens comptaient parmi les favoris. Un décret datant d’environ 359 octroie des exemptions de taxes sur différentes routes, comme celle qui menait de Pistiros à Maronée et d’autres emporia et celle qui menait dans l’autre direction (Velkov et Domaradzka, 1994). Le transport des biens apparaît donc fondamental pour l’économie grecque, tant à l’échelle locale que régionale. De tels mouvements offraient aussi des possibilités aux communautés de tirer un revenu à la fois des taxes d’entrée et de sortie des aires commerciales, comme cela se pratiquait à Pistiros, et des taxes sur la vente des produits.
45Dans toute la Grèce, des réseaux routiers développés existaient et facilitaient le transport des marchandises d’une région à l’autre, comme à l’intérieur de celles-ci. L’Arcadie, une région montagneuse constituée de plusieurs communautés politiques autonomes (poleis), disposait d’un vaste réseau routier (Pikkoulas, 1999, p. 253-254 ; p. 305-309). Bien qu’il n’y ait plus beaucoup de traces des échanges commerciaux entre les communautés d’Arcadie, il semble évident, d’après l’importance du transport de marchandises variées, à la fois vers l’extérieur et à l’intérieur de la région tout entière, qu’il existait une forte activité commerciale locale et intra-régionale, facilitée par le réseau routier (Roy, 1999, p. 338-340).
La circulation intra- et interrégionale des marchandises
46S’ils n’apparaissent pas toujours dans les sources historiques, les réseaux de communication et de transport, à l’intérieur même des régions, étaient vraisemblablement très développés. Les activités de transport de bois vers Athènes de Phainippos sont un exemple parmi d’autres de ces échanges locaux. Nous avons davantage de preuves de la circulation des marchandises d’une région à l’autre, en particulier sur de longues distances. Dans Les Acharniens d’Aristophane (719-722), Dikaiopolis cherche à établir son propre marché, afin que tous les Péloponnésiens, Mégariens et Béotiens puissent avoir le droit de commercer avec lui. La guerre du Péloponnèse interrompit certainement de tels échanges commerciaux interrégionaux. La pénurie d’anguilles béotiennes du lac Kopaïs était sans doute un trait d’humour, mais il suggère peut-être également que les denrées prisées par la population étaient plus difficiles à se procurer en 425 (Aristophane, Acharniens, 881-890).
47Même si le commerce intra-régional était le type d’interaction économique le plus répandu qui soit à l’intérieur des communautés grecques, ce sont les échanges commerciaux entre régions, plus particulièrement par voie maritime pour les longs trajets, qui ont retenu l’attention de la plupart des chercheurs. Les denrées de base comme le grain pouvaient parfois circuler sur de très longues distances afin d’assurer les réserves de nourriture d’une communauté, comme ce fut le cas pour les 51 bénéficiaires de la distribution de céréales à Cyrène d’environ 330 à 326 (R & O 96). C’est ce réseau commercial très étendu qui permettait d’acheminer des produits de luxe ou peu courants dans de nombreuses régions du monde méditerranéen et au-delà.
L’infrastructure du commerce maritime
48Les échanges commerciaux en Méditerranée nécessitaient que les marchandises circulent facilement par la voie maritime, et par conséquent l’existence d’une infrastructure à plusieurs niveaux ainsi que de différents intermédiaires pour la mettre en œuvre. Il fallait des marchés pour que les navires au long cours puissent écouler leur cargaison, des ports, des espaces adaptés au déchargement des marchandises, des lieux d’entrepôt et de vente.
49Les commerçants de la période classique avaient cependant le choix entre plusieurs marchés potentiels ; aussi la création de « marchés » attractifs et bien organisés était-elle un moyen de les faire venir en grand nombre. Les communautés développaient toutes sortes d’incitations, non seulement pour attirer les marchands et les marchandises, mais aussi pour se procurer des biens particuliers. Parmi les principaux facteurs d’attraction des marchands, il y avait la possibilité de trouver un bon marché offrant la possibilité de renouveler sur place la cargaison, pour le trajet du retour. Durant la période classique, Athènes offrait ces opportunités, ainsi que d’importants emporia comme Byzance, Rhodes et Corinthe. Ces emporia bénéficiaient souvent d’une bonne situation sur la côte (Casevitz, 1993, p. 20), mais ce n’était pas toujours le cas (Pistiros, Thrace).
50Dans un discours de Démosthène, on trouve mention d’un prêt, de la part d’un Athénien et d’un Eubéen, à deux hommes de Phasélis en vue d’un voyage commercial par la voie maritime ([Démosthène] 35.10-13). L’un des itinéraires possibles de l’expédition était le suivant : les poleis thraces de Mendè ou de Skionè (sur Pallène, doigt occidental de la Chalcidique), puis le Bosphore, sur la côte nord de la Mer Noire, avant le retour à Athènes. À Mendè ou à Skionè, les marchands achèteraient probablement du vin. Dans le Bosphore, on peut supposer qu’ils se procuraient du grain avant d’effectuer le voyage du retour à Athènes, car les Athéniens et les métèques n’étaient autorisés à consentir des prêts que pour l’acheminement, en retour, de produits spécifiques tels que le grain ([Démosthène] 35.51 = Austin et Vidal-Naquet, 1977, p. 82).
Financer le commerce maritime
51De telles expéditions n’étaient possibles que parce qu’il existait des infrastructures mais aussi parce que des individus étaient prêts à prendre le risque de les financer en vue d’en tirer profit (Cohen, 1992). Les expéditions maritimes étaient en effet risquées mais potentiellement lucratives (Lysias 22 (Contre les marchands de grain) = Austin et Vidal-Naquet, 1977, p. 84). Athènes était un pôle commercial attractif où les négociants pouvaient trouver non seulement de quoi constituer la cargaison des navires en partance (Isocrate 4.42), mais aussi un secteur financier et un système légal (Démosthène 33.1-2) qui permettaient de garantir leurs investissements. On trouve les mêmes caractéristiques à Thasos où, au ive siècle, des tribunaux assuraient tous les mois des formes de protection commerciale aux marchands (Salviat, 1958). Les contacts, la fiabilité et l’expérience personnelle comptaient aussi énormément dans ce type d’opérations (Isocrate 17.6), et les négociants n’hésitaient pas à y recourir pour les financer (Démosthène 33.45). Au ive siècle, les témoignages sur le commerce maritime montrent effectivement un haut degré de sophistication dans le financement des opérations, avec des emprunts contractés auprès de banquiers individuels et une concurrence réelle entre les différents marchés potentiels.
Les risques en mer
52Cette sophistication commerciale marque un processus qui devait perdurer. Le commerce maritime se développa à partir du début de la période archaïque et devint un trait courant de tous les systèmes économiques de la Grèce à l’époque classique (cf. Thuc. 1.5-19, qui exploite le thème maritime dans son abrégé d’histoire grecque). Le transport maritime présentait toujours des dangers importants, étant donné la vulnérabilité des embarcations face aux éléments naturels. Il fallait aussi compter avec la menace des pirates, même s’il ne faut pas s’imaginer nécessairement des francs-tireurs en maraude et à l’œil bandé (De Souza, 1999), car la piraterie était souvent un mode d’activité économique bien organisé, et même institutionnalisé, comme il le fut à des époques plus tardives (Ferguson, 2003, p. 1-12, sur l’Angleterre du xvie et du xviie siècle). Des Etats pratiquaient régulièrement le détournement de convois par la force, afin que les navires viennent décharger leurs marchandises sur leurs marchés. À la fin des années 360, les populations de Byzance, de Chalcédoine et de Cyzique « redirigeaient » ainsi les navires transportant du grain lorsque leurs réserves locales de nourriture ne leur suffisaient plus (Démosthène 50.6.17). Dans certains cas, les communautés officialisaient même de tels arrangements ; la piraterie (et le pillage sur terre) furent institutionnalisés, comme le révèle l’accord conclu entre Cnossos et Tylissos au ve siècle (M & L 44.B 2-14), et comme l’explique plus tard Démosthène au ive siècle (Démosthène 8.2428 ; Garnsey, 1988, p. 142-144).
Marchés et fournisseurs
53Les échanges commerciaux entre la Grèce et, par exemple, la périphérie du monde grec, sont déjà bien documentés pour la période archaïque : Egine et le Péloponnèse recevaient du grain en provenance de la Mer Noire au début du ve siècle (Hdt. 7.147 = Austin et Vidal-Naquet, 1977, p. 80). Mais il y eut ensuite de nets changements dans ces schémas. Démosthène, un intermédiaire majeur entre les consommateurs athéniens et les rois du Bosphore, affirme au milieu du ive siècle qu’Athènes importe plus de grain du Bosphore que de toutes ses autres sources d’approvisionnement céréalier (Démosthène 20.31-33 = Austin et Vidal-Naquet, 1977, p. 81). Au regard du commerce interrégional, certaines cités ou régions étaient réputées pour leurs spécialités locales. Le grain était l’un des produits de Mer Noire importé le plus massivement, en particulier celui du Bosphore ; le bois de construction provenait de Macédoine et de Thrace (Xénophon, Helléniques 6.1.11 ; Théophraste, Histoire des Plantes 4.5.5) ; et le vin de nombreux points du bassin égéen – par exemple Mendè, Skionè, Thasos, Cos, Chios.
Répondre à une demande
54La circulation des marchandises n’avait pas pour seul effet de répondre à une demande : elle la stimulait. Le banquet (symposion) donne la mesure de la diffusion des produits du monde grec. Lors d’un banquet typique, parmi les produits importés figuraient les parfums, les fromages, le miel et les anguilles, ainsi que le vin comme celui de Mendè ou de Thasos (Ménandre F 224 ; Kassel et Austin). Par ailleurs, dans bon nombre de communautés, la diffusion du banquet n’impliquait pas seulement la consommation de bons vins mais aussi l’usage de céramiques, de bols, de coupes et autres articles de table, objets indispensables à tout symposion grec idéal. Nous pouvons voir ici certaines des associations culturelles qui sont attachées au commerce. Cette réflexion mérite d’être poursuivie, et l’on peut, pour ce faire, suivre la piste des articles de table. Les objets en céramique se popularisèrent pour une multitude de raisons : qualité, attraction, mode, goût local, facilité d’acheminement, coût peu élevé : en bref, tout ce qui en fait des objets marché. Il est dangereux de privilégier un choix culturel plutôt qu’un autre, mais ceux-ci revêtaient une importance considérable. Il est utile de regarder les céramiques comme un indice de ces choix au milieu des réalités du commerce dans le monde grec. L’importance commerciale d’Athènes, qui aimantait le commerce maritime, et la qualité de ses céramiques, qui tenaient lieu de cargaison potentielle pour les exportations, semblent indiquer que la poterie athénienne était commercialisée dans tout le monde méditerranéen. La diffusion de la culture grecque renforça très certainement ce phénomène. Les données archéologiques confirment la vente à grande échelle de poteries athéniennes et suggèrent qu’il existait des différences non seulement entre les « marchés », mais aussi entre les producteurs et les fournisseurs.
Les producteurs
55On a pu reconnaître les ateliers de céramique grâce à la découverte de fours, d’objets mêmes en céramique, pièces inachevées ou mal façonnées, ou de matériel servant à leur fabrication, comme des supports servant à la cuisson ou des moules pour les terres cuites. On suppose, d’après les traces retrouvées, que les ateliers de l’Attique rurale fournissaient la poterie d’usage domestique, alors que les ateliers du centre urbain d’Athènes et de ses zones contiguës produisaient un autre type de céramiques, à la qualité supérieure, destinées aux marchés locaux (par exemple Thorikos) et à d’autres situés au-delà des limites de l’Attique – Jubier-Galinier et al., 2003, p. 39-40 ; Monaco, 2000 ; cf. Blondé, 2000, p. 273, n. 9).
56Les articles communs et les ustensiles de cuisine s’achetaient localement, dans les ateliers voisins, ainsi que cela est attesté en Attique (Jubier-Galinier et al., 2003, p. 38) et à Thasos (Blondé et Picon, 2000). La fabrication de poteries fait appel à des techniques relativement simples et demande peu de spécialisation verticale en termes de main d’œuvre. La diffusion très large de la céramique illustre bien à la fois la nature intra- et interrégionale du commerce et de la production qui s’y rattachent. Il s’avère toutefois plus difficile de savoir si la valeur (le prix) des objets en céramique fluctuait de manière significative ou non en fonction de leur destination finale.
57Financer de longues expéditions maritimes obligeait les négociants à charger leurs navires de produits très variés. Les céramiques à vernis noir d’Athènes étaient utiles à cet égard et présentaient en outre l’avantage d’être bon marché. Telles qu’on en a trouvé dans des épaves de navires, il est évident qu’elles ne constituaient qu’une portion d’une cargaison beaucoup plus importante (Gill, 1991). La présence de céramiques et d’amphores nous livre aussi des enseignements sur les itinéraires des marchands. Un navire transportant des poteries et autres marchandises vers telle ou telle destination en rapportait certainement d’autres lors de son retour ou de l’étape suivante du voyage. Au ive siècle, les nombreux déplacements vers Athènes des navires de commerce transportant du grain signifient donc aussi qu’on y trouvait autant de marchandises à exporter ensuite hors de l’Attique. À cette époque, les ateliers de céramique prospéraient certainement dans la cité, fournissant des cargaisons potentielles pour les navires qui arrivaient au Pirée dans le cadre d’expéditions commerciales. L’environnement y était excellent, puisque Athènes recevait du grain des quatre coins du monde grec, faisant du Pirée une plaque tournante internationale dans ce domaine. Ainsi la diffusion très large de la céramique athénienne reflète certainement un mouvement commercial international de grande échelle vers Athènes et le Pirée.
Les marchés lointains…
58L’accélération de la diffusion de la poterie athénienne dans les régions occidentales du bassin méditerranéen représente un phénomène particulier. Les marchands phéniciens vendaient les poteries de l’Attique jusque sur la côte atlantique de l’Afrique ([Skylax] 112, un texte qui date du milieu du ive siècle). On trouve certaines formes de poteries dans des proportions plus importantes que d’autres. Par exemple, en Espagne et dans le sud de la France, les articles de table à vernis noir étaient très répandus (Espagne : Principal-Ponce, 2000, p. 220-223 ; fig. 4 ; France : Py et Sabattini, 2000, p. 183, fig. 14). Dans les deux régions, la circulation de ce type de poterie semble avoir progressé entre le ve et le ive siècle (Sanmarti Grego, 2000, p. 238-239 ; Ugolini, 2000, p. 202, fig. 2).
59L’aspect de la céramique à vernis noir de Carthage, en Afrique du Nord – une sorte de kernos comportant sept dépressions circulaires –, qu’on n’a retrouvée que dans cette région et dans l’épave d’El Sec, laisse penser que les ateliers athéniens produisaient des poteries destinées au marché punique (Morel, 2000, p. 263). Il est même plausible que Carthage ait constitué un point à partir duquel la poterie attique était réexportée vers des régions situées plus à l’ouest. Carthage était perçue comme une cité opulente (Thuc. 6.34.2) au temps de la guerre du Péloponnèse, et, sur le plan politique, Athènes entretenait certainement des contacts sporadiques avec les Carthaginois au ve et au ive siècle (M & L 94 = Fornara, p. 165). L’épave d’El Sec, au large de la côte sud-ouest de Majorque illustre certains aspects du commerce en Méditerranée occidentale vers le milieu du ive siècle (date : Koehler, dans Rouillard et Villanueva-Puig, 1989, p. 132). La fouille de l’épave a permis de découvrir une forte concentration de céramiques attiques : 358 récipients à vernis noir, 100 fragments de céramiques à figure rouge (kraters, kylikes, skyphoi), parmi la cargaison hétérogène qui consistait pour l’essentiel en 474 amphores. Environ 30 % de celles-ci provenaient de Samos (Rouillard et Villanueva-Puig, 1989, p. 21-116).
… comme celui de l’Ouest
60Au ive siècle, la (re-)distribution de la poterie athénienne dans l’ouest de la Méditerranée montre la complexité de l’économie de la Grèce classique. On commerçait bien au-delà des limites du « monde grec », et on réexportait certainement les marchandises. L’épave d’El Sec contenait une quantité significative de pièces puniques assez grossières et de bronzes d’origine italo-étrusque, ainsi que de nombreuses céramiques attiques et amphores de diverses provenances (notamment de Samos), qui servaient probablement au transport du vin. L’épave était certainement celle d’un vaisseau punique, ce que l’on peut déduire de la nature des marchandises et des graffiti mélangeant le style grec et le style punique sur certains vases (Rouillard et Villanueva-Puig, 1989, p. 117-130).
61L’économie risquée du commerce maritime créait une spirale ascendante. Les mouvements de biens en stimulaient d’autres, qui faisaient circuler de plus en plus de marchandises. La diversité de la cargaison faisait le succès de l’expédition et permettait aux marchands de rentabiliser au mieux l’espace du navire (Gill, 1991, p. 46, tableau C, pour le ratio entre volume et valeur des diverses marchandises). Il est probable que les céramiques avaient acquis de la valeur au moment de la vente finale, même si cela reste difficile à prouver et s’il est difficile de savoir dans quelle mesure le prix de vente pouvait ainsi augmenter.
La vente du vin
62Le succès de la céramique fait écho à celui d’autres produits. Ainsi les amphores, qui ont survécu en quantités significatives, servaient principalement à transporter du vin (par exemple, l’épave d’El Sec). Elles pouvaient bien sûr être réutilisées ensuite, typiquement comme récipient pour l’eau, et, au moins en une occasion, furent même employées dans un but militaire, lorsque les Phocéens dissimulèrent des amphores dans des fosses afin de piéger la cavalerie ennemie (Hdt. 8.28).
63Les morceaux d’amphores découverts à Chios indiquent une probable circulation ou vente de vin dans l’île. Il n’est pas aisé de retracer les changements qui se sont opérés dans le mode de transport de ce produit, mais les facteurs économiques (comme la compétition ou la forte demande émanant des autres marchés) et politiques ont certainement affecté le marché du vin. Les amphores de Chios ne circulèrent plus à l’ouest de la Méditerranée après 525 environ. À l’est, par exemple à Gordion, en Phrygie, elles représentaient 30 % environ des amphores importées jusqu’en 475 et 50 % des amphores importées entre 475 et approximativement 425, avant que leur part ne tombe à 5 % entre 420 et 400. Au ve siècle, à Gordion, le nombre de céramiques importées déclina considérablement, reflétant l’évolution du marché, mais les importations en provenance de Chios persistèrent. À la même époque, Chios bénéficiait de l’essor du marché athénien (Lawall, 1998, p. 88-89, fig. 5.2), car à Athènes le vin de Chios semble avoir été très prisé puisque importé en grande quantité.
Céramique, céréales et raisins de Thasos
64La circulation de la céramique affecta sans doute les schémas productifs au niveau local. Les céramiques à vernis noir du ive siècle, par exemple, étaient extrêmement populaires à Thasos. La fouille d’un puits public du second ou troisième quart du ive siècle a révélé que la majorité de la céramique fine locale consistait en des vases à vernis noir athéniens (Blondé, 2000, p. 274-275). Les ateliers thasiens produisaient eux aussi de la céramique à vernis noir, mais des recherches archéologiques ont montré que le marché domestique avait une préférence pour les céramiques athéniennes. La grande qualité et/ou le bon rapport des céramiques de l’Attique expliquent certainement leur popularité à Thasos. Il ne faut néanmoins pas exclure la possibilité que les navires de commerce entrants aient exporté ensuite le vin local vers un centre de consommation majeur comme Athènes et que, lors de leur retour dans l’île, ils aient apporté à la population une grande variété de produits, parmi lesquels d’innombrables vases à vernis noir venus de l’Attique.
65Thasos était un important centre de commerce. Son vin, loué par les auteurs (Xénophon, Banquet, 4.40) connut un succès considérable dans l’ensemble du monde grec, et plus particulièrement dans la région de la Mer Noire à partir de la seconde moitié du ve siècle (Bouzek, 1989, p. 257 ; Salviat, 1986, p. 189-190, fig. 2 ; Lazarov, 1986, p. 404 ; [Démosthène] 35.35). Sur une île riche surtout pour son vin et ses mines, et pratiquant une économie spécialisée, il ne serait pas étonnant que des denrées comme les céréales aient été importées pour suppléer à la production locale ou régionale, et la Mer Noire constituait certainement l’une des sources d’approvisionnement.
66L’économie locale de nombreuses cités grecques était souvent entretenue par des importations de denrées, comme le grain, en provenance d’autres régions. L’agriculture connaissait, comme cela va de soi, des déficits ponctuels dans la production, en particulier pour un produit comme le blé. Certaines communautés se spécialisaient dans un produit spécifique, comme le faisait celle de Thasos avec le vin et celle de Clazomènes avec les olives, ce qui les rendait d’autant plus dépendantes des importations de céréales. Le succès de leurs spécialités pouvait cependant leur permettre d’exploiter de nombreux marchés et d’avoir ainsi la capacité d’acheter les denrées qui leur étaient nécessaires.
67Les événements climatiques occasionnaient parfois des chutes de la production agricole. Des températures trop basses ou un déficit de précipitations – ou l’inverse – au mauvais moment de l’année pouvait ruiner une récolte, de la même manière qu’aujourd’hui. Les guerres aussi pouvaient perturber la production quand elles surgissaient pendant la saison des semailles ou des moissons (Hanson, 1998). Des tâches aussi fondamentales effectuées trop tardivement réduisaient également la production. À cet égard, la période classique n’est pas différente des autres. Le manque de nourriture pouvait s’avérer problématique pour les communautés ; aussi ne faut-il pas s’étonner, étant donné les possibilités du marché, de voir se développer des systèmes économiques tournés vers la production de denrées aussi essentielles que les céréales. Certaines cités faisaient reposer leur approvisonnement davantage que les autres sur les importations de céréales. Athènes en faisait partie (Démosthène 20.31 ; Whitby, 1998, p. 118-119) ; elle importait (et réexportait) plus de grain que toute autre cité, alors que d’autres, comme Syracuse, étaient capables de subvenir par elles-mêmes à leurs besoins alimentaires (Thuc. 6.20.4).
68Si l’on considère la grande variété des marchés, on ne peut s’étonner du fait des marchands ou des revendeurs soient allés chercher de nouveaux marchés et qu’ils aient adopté des stratégies qui leur permettaient de vendre leurs céréales à un meilleur prix (Démosthène 56.8-10 ; Lysias 22). Même localement, les prix du grain pouvaient varier (cf. Aristophane, Acharn., 758-759). En outre, étant donné la complexité de telles opérations commerciales, les cités adoptaient des politiques et des législations ayant pour dessein de contrebalancer les forces qui agissaient pour faire régner la loi du profit maximum. La production agricole, manufacturière et les marchés s’inscrivaient tous dans des contextes qui mettaient en jeu diverses institutions liées à l’économie de la polis.
L’économie et les institutions de la polis
69Tout au long de ce qui précède, les réalités économiques ont impliqué non seulement les agents économiques – individus, fermiers, manufacturiers et marchands – mais aussi les structures civiques (poleis ou royaumes) à l’intérieur desquelles opéraient la plupart de ces individus. Les régimes politiques du monde grec et les institutions civiques nous permettent d’accéder à un autre niveau de compréhension et d’appréhender les dynamiques complexes de l’économie grecque. Dans la plupart des régimes politiques grecs, les préoccupations fondamentales des institutions ont une portée économique, qu’elle soit directe ou indirecte. Après avoir considéré certaines de ces institutions, nos observations se porteront sur la monnaie, le degré de monétarisation, les poids et les mesures.
Les institutions
70L’homme politique idéal devait se sentir concerné par les questions économiques. La défense du territoire avait surtout pour but d’empêcher la fuite ou la perte de denrées (et d’individus). Il était tout aussi important de savoir pendant combien de temps les moissons suffiraient à nourrir la population (Xénophon, Memorabilia 3.5-6 ; cf. Aristote, Rhétorique, 1359b60a). Maîtriser ces problèmes économiques fondamentaux se révélait de la même importance pour les politiciens athéniens et la plupart des dirigeants politiques du monde grec, et au-delà. La défense du territoire était en lien avec l’économie de la polis, et en particulier sa viabilité, ses capacités d’approvisionnement : peu de cités auraient été capables de survivre sans les ressources de leur territoire.
71L’arrière-pays rural, la campagne, constitue pratiquement l’un des traits distinctifs de la polis (Hansen, 1998, p. 53-56), et sa défense est presque la condition préalable de toute politique. C’est l’une des raisons pour lesquelles la décision de Périclès d’abandonner en apparence l’Attique dans les premières années de la guerre du Péloponnèse emporta si peu d’adhésions (sur cette stratégie, voir Spence, 1990). Lorsque le territoire ne produisait pas suffisamment de nourriture pour la population locale – citoyens, étrangers et esclaves –, il y avait plusieurs types d’intervention possibles.
72Les communautés développaient des stratégies complexes et à multiples facettes dans le but de pallier cette constante vulnérabilité. À Athènes, la protection du territoire et l’approvisionnement en nourriture étaient des questions qui figuraient en permanence sur l’agenda de la principale réunion mensuelle de l’Assemblée ([Aristote] Ath. Pol. 43.4). La plupart des autres problèmes abordés – savoir si les magistrats sortants avaient bien rempli leurs fonctions, recenser les propriétés confisquées, valider les héritages et traiter les cas de succession impliquant des héritières sans enfant (sur les épiclères d’Athènes, Karabélias, 2002) – avaient des répercussions sur l’économie, à l’exception des cas de haute trahison. L’agenda de l’Assemblée nous confirme donc le fait que le politicien idéal, tel qu’il nous est présenté par Xénophon et Aristote, était un homme avant tout préoccupé par les besoins réels de la communauté.
73D’autres types d’intervention dans les affaires économiques, comme les besoins alimentaires de la population, mais pas seulement, méritent d’être soulignés ici. Concernant l’approvisionnement en grain d’une cité, ni les producteurs extérieurs ni les transporteurs et les vendeurs de denrées ne se trouvaient nécessairement sous le contrôle de la polis, contrairement aux marchés de la cité, aux ports et, dans une certaine mesure, aux citoyens et aux transactions financières réalisées à l’intérieur de l’espace contrôlé. Non seulement des restrictions existaient concernant la destination ou la vente de grain importé, mais les emprunts contractés pour financer les expéditions commerciales maritimes devaient servir à importer des produits bien précis. C’est probablement au ive siècle que les Athéniens institutionnalisèrent l’« acheteur de grain » (sitonès), dont le rôle semble avoir consisté à sécuriser les achats de grain faits à des fournisseurs étrangers. On sait que Démosthène assura des fonctions de sitonès en 338, et il ne fait aucun doute qu’il exploita dans ce cadre ses relations privilégiées avec les rois Spartokides (Develin, 1989, p. 344).
Les magistratures
74À bien des égards, les institutions de la polis contrôlaient et régulaient les affaires revêtant une importance économique majeure. Certaines furent même créées dans ce but. Il n’est pas inutile de rappeler qu’à Athènes, comme dans beaucoup d’autres cités, les magistrats avaient souvent des responsabilités d’ordre économique. Nombre d’entre eux étaient directement impliqués dans l’administration des marchés. Les responsables du marché (agoranomoi) s’assuraient de la qualité de tous les produits et biens vendus ; les sitophylakes (contrôleurs du grain) vérifiaient que le grain non moulu était vendu à son juste prix et que l’orge moulu était vendu à un poids qu’eux-mêmes avaient déterminé et à un prix indexé sur celui du blé ; ils punissaient en outre les délits survenus sur le marché du grain ; enfin, les inspecteurs de l’emporion (épimélètai tou emporiou) supervisaient les emporia du Pirée et s’assuraient que les deux tiers du grain importé par la mer était ensuite bien transporté sur les marchés céréaliers ([Aristote] Ath. Pol. 51.4 = Austin et Vidal-Naquet, 1977, p. 89 ; Harding, p. 45). Plusieurs autres magistrats remplissaient des fonctions qui avaient des implications économiques. Les astynomoi d’Athènes surveillaient les ramasseurs de fumier (koprologoi), chargés de veiller à la propreté des rues en ramassant et en transportant les excréments humains et animaux à une distance d’au moins 1,8 km des murs de la cité – on peut supposer qu’ils étaient ensuite utilisés à des fins de fertilisation dans les champs environnants ([Aristote] Ath. Pol. 50.2 ; Owens, 1983). Au ive siècle, les astynomoi avaient aussi la charge de punir les mouvements illégaux du vermillon, un produit aux propriétés imperméabilisantes qu’on utilisait en particulier dans le bâtiment et la construction navale, et qui était exporté depuis l’île de Kéos (R & B 40 = Austin et Vidal-Naquet, 1977, p. 86). Dans beaucoup d’autres cités, surtout à la fin de la période hellénistique, ils avaient des compétences bien plus étendues, souvent liées aux activités commerciales.
Taxes et revenus
75En Grèce, les responsables politiques n’étaient pas seulement préoccupés par l’administration des marchés et la maîtrise des activités commerciales au bénéfice des marchands et des acheteurs ; ils exploitaient également les ressources de l’économie à des fins de financement du système politique, et cela généralement sous la forme de taxes. Les finances des politiques grecques sont quelquefois difficiles à détailler mais on peut comprendre la méthode de fonctionnement. La taxation indirecte (par exemple taxes sur les ventes), les taxes récurrentes (par exemple taxation des métèques) et les revenus ad hoc (par exemple, dans certaines circonstances, l’eisphora) permettaient de générer de l’argent qui servait à financer la vie politique.
76L’eisphora était une taxe sur la propriété ; elle équivalait probablement au premier niveau de revenu indiqué dans le traité du ive siècle sur l’économie de l’Orient méditerranéen. Dans son analyse des quatre formes d’économie ancienne, en effet, l’auteur de l’Economique ([Aristote] 1346b 5-8) distingue quatre principaux types de revenu pour la polis. Ils proviennent de la propriété privée sur le territoire de la polis, des centres de commerce (emporia), des taxes de transit (péage), et enfin des taxes récurrentes (évaluées et collectées en général sur une base annuelle).
77Thucydide fut le premier à mentionner l’existence de l’eisphora à Athènes, en 428 (Thuc. 3.19) pour financer les activités militaires. Elle touchait tous ceux qui possédaient ou louaient des propriétés jugées imposables et organisées en dèmes ([Démosthène] 50.8). Elle existait dans d’autres communautés, comme la Confédération Béotienne, sous forme de taxe régulière (Hellenika Oxyrhynchia 19.4). Selon différentes sources, l’assiette globale de la propriété à Athènes et en Attique au ive siècle était évaluée à 5 750 ou 6 000 talents (Polybe 2.62.7 ; Démosthène 14.19).
78L’eisphora était levée sur cette assiette et, à l’origine, fut introduite de manière restrictive (M & L 58.B lignes 12-19 = Fornara 119). Les citoyens et les métèques étaient concernés par le paiement de l’eisphora, qui finit par devenir un nouveau service civique (leitourgia ou « liturgies ») que tout individu pouvait dès lors compter parmi ses obligations (Lysias 12.20).
79Les liturgies étaient une manière pour les régimes politiques de taxer les membres les plus fortunés de la communauté. Les plus riches des Athéniens (et les métèques) devaient non seulement payer l’eisphora mais aussi prendre en charge d’autres services, parmi lesquels figuraient le financement et l’entretien des choeurs en prévision des concours lors des fêtes religieuses comme les Dionysies (Wilson, 2000). La victoire aux concours de chant (les dithyrambes des hommes et des garçons), convoitée par toutes les tribus athéniennes, requérait l’érection d’un monument supportant le trépied qui récompensait le chorège pour sa victoire (le monument de Lysicrate érigé en 335-334 à Athènes en est un exemple). L’équipement d’un navire de guerre (la trière) était une autre des obligations civiques – la triérarchie. Le triérarque devait engager un équipage, lequel pouvait s’avérer très coûteux (Gabrielsen, 1994). Les membres des plus riches familles d’Athènes assumaient ces liturgies, et l’on peut les identifier souvent avec des politiciens, des magistrats ou des généraux bien connus (Davies, 1971 ; 1981). Dans la plupart des communautés grecques, les plus riches prenaient en charge de nombreux services essentiels pour l’Etat ; dans un système oligarchique, le principe des structures politiques était que les plus riches devaient être aussi les plus puissants.
La taxation
80Revenons à présent aux autres sources de revenus. Les taxes sur toutes sortes de produits sur les marchés, sur toute acquisition lors des ventes aux enchères, les droits prélevés sur les ventes publiques, tout cela rapportait de l’argent à la cité. Les droits de douane y ajoutaient un revenu tiré des déplacements des marchands de port en port. Par exemple, à Chalcédoine (contrairement à Byzance), en 410/9, les Athéniens établirent un péage qui leur permettait de prélever 10 % de droits de passage sur tous les déplacements pour sortir de la Mer Noire (Xénophon, Helléniques 1.1.20).
81Il était d’usage que la collecte des taxes soient confiées au plus offrant ([Aristote] Ath. Pol. 47.2), ce qui signifie que les individus faisaient des offres concurrentes à l’Etat pour obtenir le droit de collecter les taxes et que, en cas de succès, ils versaient à l’Etat un acompte sur la somme annoncée et devaient offrir des garanties sur le paiement du total. Le meilleur enchérisseur collectait donc la taxe et la reversait à la polis à des intervalles programmées : à Athènes, une fois collecté, l’impôt de 2 % était déposé tous les mois ([Démosthène] 50.27), mais on a également retrouvé la trace de paiements à chaque prytanie, trois fois par an et même celle d’un seul versement annuel ([Aristote] Ath. Pol. 47.3). C’était évidemment dans l’intérêt des collecteurs de récupérer davantage qu’ils n’avaient payé au départ. Ainsi, en 402-401, à Athènes, un dénommé Agyrrhios fit l’offre la plus élevée (30 talents) pour obtenir le droit de collecter l’impôt de 2 % et réalisa par la suite un profit se montant à 3 talents (Andocide 1.133-4).
82Il existait aussi des impôts en nature. À Athènes, un impôt sur les céréales était levé sous la forme d’une taxe d’un 81/3 sur les îles de Lemnos, Imbros et Skyros, ainsi qu’un impôt distinct de 2 % en grain. La loi qui instaurait la taxe fut proposée en 374/373 par le riche et rusé Agyrrhios (Stroud, 1998, p. 27-39 sur le mode de taxation athénien). Il ne fait aucun doute que cette loi était destinée à assurer aux Athéniens une réserve de grain à bon marché grâce à trois sources d’approvisionnement en céréales (Garnsey, 1988, p. 98, 101-102). Elle apportait aussi une certaine sécurité à la fin du calendrier agricole, après la saison navigable en février-mars, quand les prix du grain pouvaient commencer à grimper (Stroud, 1998, p. 73). La loi offrait probablement aussi aux collecteurs, en admettant que la récolte avait été bonne, l’opportunité de prélever des surplus de grain qu’ils pouvaient revendre.
Revenu et espace civique sous contrôle
83Les institutions qui organisaient et régulaient les activités économiques à l’intérieur de la polis opéraient aussi dans un contexte spatial. L’espace physique où les échanges se faisaient, l’Agora, et par extension le marché au sens figuré du terme, se trouvait sous le contrôle de la communauté et de ses institutions. L’existence et le succès de l’Agora ou des emporia, et par conséquent du « marché », toujours au sens figuré, étaient par essence le reflet et l’extension des institutions propres à la cité ; cette extension du contrôle de la polis sur les aires commerciales, c’est ce que reflète aussi l’obligation d’user des poids et mesures et des pièces de monnaie de la cité.
La monnaie
84Le développement du monnayage dans le monde grec durant la période archaïque témoigne de l’adoption précoce de pièces de monnaie de faible valeur pour les transactions modestes (Kim, 2002). En 426, dans Les Guêpes, Aristophane plaisante au sujet de la confusion de petites oboles d’argent avec des écailles de poisson, laissant entendre que les pièces de monnaie étaient minuscules et très répandues. Il apparaît clairement que les gens utilisèrent de la monnaie pour tous les types de transaction tout au long de lapériode classique. À Olynthe, on a retrouvé des pièces en bronze de faible valeur en quantité parmi les ruines de la cité (Cahill, 2002, p. 266-269).
85Durant la période classique, si le monnayage constituait une caractéristique des économies de nombreuses cités, les communautés adoptèrent pourtant différents systèmes de poids. Par exemple, à Athènes, un tétra-drachme (4 drachmes) pesait 17,2 g, alors qu’à Egine le statère (un didrachme, soit 2 drachmes) pesait 12,2 g. La drachme éginétique pesait donc plus lourd et contenait donc plus d’argent que la drachme athénienne. Les sources suggèrent aussi des différences dans les taux de change (Démosthène 50.30). Ainsi, dans le Bosphore, sur la côte septentrionale de la Mer Noire, un statère s’échangeait contre 28 drachmes, alors qu’à Athènes il suffisait de 21 drachmes pour en acheter un (Cohen, 1992, p. 150, n. 166). Un individu de cette époque pouvait détenir différentes formes de monnaie : Lysias avait chez lui, dans un coffre, 30 talents (probablement athéniens) en argent, 400 statères de Cyzique et 100 dariques (dareikoi) perses (Lysias 12.11 ; Cohen, 1992, p. 150). S’il existait des différences dans les systèmes de poids, la pureté du métal précieux contenu dans la pièce de monnaie variait tout autant. Certains monnayages furent acceptés avec une remarquable facilité, probablement à cause de leur volume de production et de leur qualité intrinsèque. Ces facteurs expliquent le succès de la monnaie d’argent athénienne de la période classique et le fait que Philippe II ait adopté un tel type pour son propre monnayage.
86La monnaie était un trait essentiel du commerce et de la vie civique. Elle servait à payer les mercenaires (les monnaies qui circulaient à Athènes durant la guerre du Péloponnèse, M & L 72 = Fornara 134) et à financer la plupart des projets civiques, comme les travaux de construction (par exemple, l’Érechthéion d’Athènes, Austin et Vidal-Naquet, 1977, p. 71 ; Salmon, 2001). Dans certaines cités, la monnaie domestique ne circulait qu’au niveau local. C’était probablement le cas de la monnaie thasienne du ive siècle (Picard, 1994). La multiplicité des systèmes et des puissances émettrices de monnaie ne nuisait nullement au commerce. Il n’y eut en effet aucun véritable monnayage grec commun, jusqu’à ce que le tétradrachme en argent d’Alexandre le Grand commençât à dominer et à être largement accepté. Il faut noter que celui-ci adopta le même étalon que celui qui était utilisé à Athènes un peu plus tôt pour ses émissions.
87Le rôle que jouait l’argent dans l’économie grecque est illustré par une anecdote : en 364, le général athénien Timothée, qui participait à la campagne d’Olynthe, se trouva à court d’argent. Ses troupes avaient besoin d’acheter des vivres et des provisions aux marchands qui attendaient de leur vendre leurs produits. Timothée prit une mesure temporaire : il émit un monnayage d’urgence de petites pièces en bronze de faible valeur, dont on a retrouvé des exemplaires près d’Olynthe (Robinson et Price, 1967). Avec cette monnaie, les hommes de Timothée purent acheter ce qu’il leur fallait, et les marchands leur vendre les produits locaux, et il était prévu que toutes les pièces en bronze puissent ensuite être échangées auprès de Timothée contre des pièces d’argent, qu’il espérait avoir plus tard ([Aristote] Economie 2.2.23 = Austin et Vidal-Naquet, 1977, p. 89.B ; cf. Polyainos, Stratagemata 3.10.1). Les pièces étaient devenues un élément incontournable de l’économie, mais leur valeur restait dépendante du contenu de métal réel de la monnaie.
88Le contrôle des marchés et leur régulation par les institutions et les lois étaient étroitement liés au monnayage, comme le montre le décret sur l’importation de pièces étrangères à Olbia au ive siècle (Austin et Vidal-Naquet, 1977, p. 99). Le même désir de contrôle et de préserver un environnement économique attractif pour les marchands se trouve probablement au cœur d’un semblable contrôle des poids et des mesures.
Poids et mesures
89À Athènes, les métronomoi contrôlaient les poids et les mesures et veillaient à ce que tous ceux qui vendaient des biens sur les marchés utilisent les poids et mesures officiels ([Aristote] Ath. Pol. 52 = Austin et Vidal-Naquet, 1977, p. 89). La loi sur la taxe du grain votée en 374/373 à Athènes illustre bien la standardisation des mesures et la mise en place de ces procédures minutieuses. Le grain apporté sur l’agora par les percepteurs de la taxe depuis Lemnos, Imbros et Skyros devait être mesuré suivant les mêmes normes que celles qui s’appliquaient aux autres marchands (Stroud, 1998, p. 56-61). Il est probable que Thasos avait un système de mesure qui lui permettait de réguler son « industrie » du vin ; un amphoreus devait consister en un récipient d’une capacité d’environ 20 litres. La loi réglementant la vente de vin à la fin du ve siècle semble interdire l’utilisation de récipients plus larges (Salviat, 1986, p. 176-177 = IG 12 supppl. 347). Des mesures officielles, que l’on peut identifier au mot démosion (ou son abréviation de), et des poids ont été découverts sur l’Agora (Lang et Crosby, 1964). On a également retrouvé des mesures officielles dans d’autres zones commerciales de l’Attique, comme à Vouliagmeni (poids en bronze et en plomb : Stavropoullou, 1938).
90Les décrets sur les « standards » athéniens est l’un des documents datant du ve siècle les plus débattus. Il s’agit d’une inscription constituée de fragments de copies retrouvés dans six cités-membres différentes de l’Empire (M & L 45 = Fornara 97). Le décret réalise l’association déjà bien établie des poids, des mesures et de la monnaie, présentés comme trois éléments de même importance pour les transactions commerciales ([Aristote] Ath. Pol. 10). Selon une théorie récente, les Athéniens auraient cherché à faciliter la collecte de revenus commerciaux en harmonisant les poids, les mesures et la monnaie utilisés à l’intérieur de l’Empire, après avoir imposé, en 413, une taxe de 5 % sur les biens transportés par la mer qui remplaçait la collecte du tribut (Thuc. 7.28.3-4 ; Kallet, 2001, p. 205-226). Le contrôle de l’Empire apportait d’immenses revenus à la polis athénienne, dont la puissance économique permit de financer un grand nombre des monuments que l’on voit encore de nos jours sur l’Acropole, preuve s’il en est des liens qui existent entre richesse et pouvoir et entre économie et politique.
Les réalités du pouvoir économique dans la Grèce Classique
91Dans l’histoire de la Grèce classique, deux entités politiques présentent sans doute les systèmes économiques les plus développés et les plus fascinants : d’une part, l’Athènes des ve et ive siècles, d’autre part la Macédoine du ive siècle. Bien que les témoignages concernant la Macédoine soient encore très épars, la découverte d’inscriptions peut nous fournir de nouvelles informations (Athènes, Stroud, 1998 ; Macédoine, Missitzis, 1985 ; SEG 34 664), et l’archéologie nous apporte elle aussi une connaissance de l’économie rurale de ces deux régions (Attique, Steinhauer, 2001 ; Macédoine, Adam-Veleni et al., 2003). Notons que l’un des plus grands faits politiques du ive siècle est l’avènement de la Macédoine, car ce pouvoir nouveau influencera non seulement l’histoire du monde grec mais aussi celle de l’Empire Perse et même au-delà, annonçant cette période que l’on nomme depuis le xixe siècle la période hellénistique.
92Le pouvoir économique était d’une importance considérable, autant pour Athènes que pour la Macédoine, constituées en puissances impériales. Pendant la période classique, les revenus des Athéniens s’effondrèrent, avec la perte de l’Empire. Alors que ses revenus atteignaient au ve siècle un niveau de 1 000 talents (Xénophon, Anabase, 7.1.27), – dont 600 provenaient probablement du tribut prélevé sur les cités alliées (Thuc. 2.13) –, Athènes devait survivre avec 130 talents par an au milieu du ive siècle ; ses revenus annuels remontèrent toutefois à 400 talents aux environs de 340 (Démosthène 8.37-8, Quatrième Philippique). Les chiffres ne sont peut-être pas exacts, mais ces changements semblent appropriés à la capacité financière de la ville. De son côté, la Macédoine jouissait de ressources bien plus élevées (Billows, 1995, p. 1-20 ; Le Rider, 2003). Au milieu du ive siècle, Philippe II utilisa les revenus des mines situées autour de Philippes pour financer ses opérations (Diodore 16.8.6-7). Les fortunes différentes d’Athènes et de la Macédoine à cette époque ne reflètent pas seulement l’étendue respective de leurs ressources ; elles mettent aussi en valeur le rôle central de l’économie dans l’histoire moderne et dans la construction des empires (Ferguson, 2001 ; 2003).
93Lorsqu’on étudie le déroulement de l’histoire du ve et ive siècle, il faut prendre en compte le pouvoir économique des principales puissances politiques. Ce sont les ressources exploitées par les communautés qui déterminent cette puissance : la terre, les matières premières telles que le bois de construction, les céréales, les vignes et les ressources naturelles comme l’argent. Des institutions politiques se développèrent afin d’administrer et de prendre en charge de nombreux aspects de l’économie. Cependant, derrière ces institutions, il y avait des personnes qui alimentaient le système économique : fermiers, travailleurs, citoyens, esclaves et étrangers. Les propriétaires terriens et ceux qui travaillaient pour eux ; les artisans qui produisaient des biens destinés à la vente ; les marchands qui transportaient ces biens vers des marchés locaux et plus lointains, par la voie terrestre ou par la voie maritime ; toutes ces activités tombèrent, d’une façon ou d’une autre, sous le contrôle des Etats qui, eux-mêmes, tiraient des revenus de la production de denrées et de biens, et de la circulation et de la vente des marchandises, pour les réinjecter ensuite dans les systèmes économiques. Telle était l’économie dans la Grèce classique. De telles économies étaient sophistiquées et s’inscrivaient au cœur des institutions des communautés grecques et de leur histoire sociale et politique.
Pour approfondir
94Les étudiants peuvent commencer par l’édition revue de L’Économie antique (Finley, 19992) et l’excellente introduction de Morris au débat soulevé par l’ouvrage de Finley. Cartledge (1998) et Andreau (2002), quant à eux, montrent l’évolution de la pensée sur l’économie ancienne depuis le travail de Finley et donneront d’importantes indications sur les directions à suivre dans le futur. Les exemples plus concrets de l’ouvrage de Davies (1998) illustrent la force de certaines approches dominantes, et font contraste avec des études plus culturelles de l’économie grecque (cf. von Reden 1995 ; 2002 ; Kurke 1999 ; 2002).
95Descat (2002 ; 2004) offre les meilleures analyses globales de l’économie classique des ve et ive siècles. D’autres résumés sont utiles à consulter, notamment le travail de Davies sur le ve siècle (1992), et celui d’Austin sur le ive siècle. Austin et Vidal-Naquet (1977) constituent la meilleure collection de sources ; on trouvera dans Meijer et van Nijf (1992) des informations utiles sur le commerce, même au-delà de la Grèce classique.
96De nombreux ouvrages survolent les divers thèmes de l’économie ancienne, sans étudier exclusivement l’ère classique. Osborne (1987 ; 1991) fournit d’excellentes études des interactions économiques entre ville et campagnes. Pour des recherches plus approfondies sur le rôle de la richesse et de l’économie, intégrées à une société complexe, voir le travail d’Hodkinson sur Sparte (2000). On trouvera chez Cartledge, Cohen et Foxhall (2002) des essais très pertinents ; de même chez Mattingly et Salmon (2001) ; et Meadows et Shipton (2001). Scheidel et von Reden (2002) offrent une sélection d’articles utiles, publiés dans plusieurs livres et journaux académiques. Enfin, une équipe de chercheurs internationale élabore actuellement de nouvelles thèses sur l’économie ancienne. Il s’agit de The Cambridge ancient economic history, dirigée par Ian Morris.
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