1En marge des interprétations littéraires, des lectures épigraphiques – dans lesquelles les historiens de l’Antiquité classique peuvent trouver matière à réflexion – la problématique du peuplement protohistorique repose sur des études de terroir facilitées aujourd’hui par des méthodes informatisées de cartographie. L’examen des répartitions d’objets, des diffusions de matériaux, les analyses de rites funéraires, l’observation de manifestations cultuelles, la prise en compte des modèles de constructions domestiques, tendent à délimiter le plus souvent des territoires, des espaces spécifiques. Leur interprétation peut se placer à plusieurs niveaux : aires ethniques, culturelles, organisation du territoire1. Les définitions de mouvements de population parfois évoqués par les textes anciens émanent aussi de ces recherches, de ces interrogations. Si de nombreux travaux ont déjà été consacrés2 à ces questions, la plupart reposent sur des textes ou, pour d’autres régions, sur l’étude de riches matériaux de comparaison. Pour la Gaule Belgique, la Champagne a fait ainsi l’objet de recherches approfondies3, tandis que les études fondées sur les sources littéraires confrontées aux résultats archéologiques concernent surtout l’arrivée des Belges4.

2Dans le cadre de ce colloque, il nous semble intéressant d’évoquer quelques exemples émanant de régions qui peuvent fournir matière à discussions, pour lesquelles nous ne disposons d’aucune allusion écrite à l’époque considérée. Nous voudrions en effet évoquer trois séries de découvertes archéologiques qui posent le problème d’éventuels mouvements de population entre le v^e et le iii^e av. J.-C. dans trois secteurs différents : la région dite des grandes rivières (basses vallées de la Meuse et du Rhin), l’Ardenne belge et une section de la vallée de la Seine, en amont de Rouen (fig. 1).

La basse vallée de la Meuse et du Rhin

3La partie méridionale de la Hollande est terre de prédilection pour les archéologues. Les découvertes, parfois fastueuses, se sont multipliées dans cette région où l’eau est voie de communication mais aussi source d’inspiration spirituelle5. Pendant le premier millénaire et en particulier aux v^e-iv^e siècles (soit au début de la période que les archéologues hollandais qualifient de midden IJzertijd), le mode de sépulture le plus souvent observé est l’incinération. Les nécropoles situées dans les terres sableuses, souvent boisées, du Nord-Brabant hollandais, du Limbourg belge, se caractérisent par le dépôt d’ossements calcinés, sur le sol ou dans une urne, en tombes plates ou recouvertes d’un tertre : on peut citer comme exemples les plus connus de ces nécropoles sur le territoire belge, Lommel Kattenbosch6, ou pour la partie hollandaise, Haps7 ou Oss-Ussen8 (fig. 1). L’urne, quand elle existe, est, dans les sites précédemment nommés, en céramique. Mais une autre coutume, qu’on peut attribuer à l’aristocratie, consiste dans l’utilisation comme contenant cinéraire d’un vase métallique : l’exemple le plus fastueux est offert par la tombe d’Eigenbilzen, dont l’ancienneté de la découverte nous prive de toute possibilité d’interprétation précise9. Les fouilles récentes de Wijshagen nous assurent au contraire d’un contexte clair : outre des tombes plus pauvres, plates, constituées au plus de dépôts céramiques, six tombelles recouvraient des fosses contenant des incinérations ; parmi celles-ci, trois avaient pour contenant des situles, ou une ciste à cordons10. La nécropole de Sittard présente les mêmes caractéristiques, à savoir une tombelle remarquable par l’utilisation d’une ciste à cordons comme urne, à proximité d’autres tertres et d’un certain nombre de tombes plates avec ou sans récipient cinéraire11.

4Dans ce contexte général de populations pratiquant l’incinération, on distingue pourtant depuis 1992 quelques sites notoires. À Geldermalsen, en particulier, en périphérie du cimetière, sept inhumations et une incinération sont à remarquer : en effet, trois inhumations et une crémation situées dans une partie basse du site, contenaient des mobiliers de chronologie incontestable (fig. 2). Aucune trace de tertre n’a pu être mise en évidence, seul un fragment d’enclos carré pourrait être associé à une incinération. Une première tombe contenait le squelette d’une femme de 34 à 40 ans, parée d’un torque en bronze à petits tampons et de deux bracelets (l’un ouvert, l’autre fermé). Trois céramiques dont une situle et un vase caréné, un couteau et un quartier de porc étaient déposés au niveau de la tête. Une deuxième inhumation en partie détruite était pourvue d’une poterie. Dans une troisième fosse, un enfant de douze à treize ans portait un torque en fer, un anneau de bronze avec une perle d’ambre ; entre les jambes, était placée une poterie. Les quatre autres inhumations (un enfant et trois adultes) ne conservaient aucun mobilier. Dans la tombe à incinération, fut découvert un tesson de céramique fine (bord à profil évasé, souligné de sillons12).

Figure 1. Localisation des lieux de sépulture mentionnés dans le texte (dessin M. Bocquet)

5Deux autres cimetières furent fouillés à Lent, près de Nimègue. Sur le site de la Laauwikstraat, quatre inhumations avoisinaient cinq incinérations : celles-ci se trouvaient dans de petites fosses rassemblant également quelques objets issus du bûcher : un fragment de torque torsadé en bronze et un couteau en fer. Parmi les inhumations, dans une tombe double, un premier corps avait été inhumé sur le ventre, le bras sur la nuque, dans une attitude laissant supposer qu’il avait été inhumé vivant ; il était de plus disposé au-dessus d’une autre dépouille enterrée avec quelques parures en bronze : deux anneaux de tresses et une boucle d’oreille. Les autres tombes ont été datées du début du midden IJzertijd par analyse au radiocarbone. À 250 m de là, au lieu-dit Steltsestraat, fut fouillée une seconde nécropole plus vaste : on y retrouve une double inhumation et d’autres déposées face contre terre. Deux squelettes, dont l’un dans la tombe double, portaient également un anneau de chevelure. Celui-ci, d’après les exemples trouvés dans la région du Rhin moyen, est datable du vi^e siècle13.

6Un troisième site mérite encore une mention : à Someren, une tombe à inhumation est datée par le dépôt d’une céramique dite marnienne14.

7À ce stade de notre enquête, il faut en effet mentionner une autre caractéristique de cette période qui émane cette fois des sites domestiques, à savoir la ressemblance entre les types céramiques au profil dit caréné (vase biconique, imitation de situle) utilisés dans le nord de la Gaule Belgique et le matériel caractéristique de la Champagne et de la vallée de l’Aisne en Picardie. Dans la littérature archéologique des Pays-Bas, ce mobilier est typique du début de la phase moyenne de l’Âge du Fer et est qualifié de « marnien » surtout depuis les travaux de G. J. Verwers à Haps15. Il faut toutefois remarquer que le corpus céramique utilisé dans les contrées septentrionales est de loin plus réduit que celui du mobilier trouvé dans la Marne. Cette uniformité n’est à vrai dire pas limitée au nord de la Belgique et au sud de la Hollande, mais on l’observe dans presque toute la Gaule Belgique avec des modalités diverses : nous y reviendrons plus loin.

Figure 2. Geldermalsen

8En résumé, dans un contexte matériel commun avec les régions méridionales, on rencontre également l’observation de rites propres à ces mêmes régions. La question doit être toutefois nuancée. Comme le fait bien remarquer P. Van den Broeke16, c’est le site de Geldermalsen qui illustre le plus clairement le lien avec le milieu champenois puisque non seulement le rite d’inhumation en decubitus dorsal est respecté, en tombe plate, mais aussi les parures portées par la défunte sont significatives, révélatrices d’une origine méridionale. En revanche, les nécropoles de Lent traduisent davantage des contacts avec le milieu du Rhin moyen : anneaux de chevelure et rite d’inhumation17. Peut-on déduire de ces découvertes récentes des preuves de déplacements de petits groupes humains entre le vi^e et le iv^e siècle dans le sud de la Hollande ? Après avoir exprimé un avis positif dans une première publication, P. Van den Broeke fait souligner avec prudence combien la question est complexe car des découvertes récentes laissent aussi supposer l’existence de tombes à inhumation dès le bronze final dans une petite région autour de Lent. Ne pourrait-il y avoir une tradition locale d’inhumations ? Si la question reste plus délicate pour les cimetières de Lent, la tombe féminine de Geldermalsen me semble pourtant particulièrement révélatrice : l’association d’un type de parure au rituel d’inhumation pose le problème de l’arrivée d’un petit groupe de population allogène, peut-être originaire du milieu champenois. Dans un contexte de rapports ouverts avec les centres marniens, le cheminement de petites communautés qui auraient pu suivre une des nombreuses voies d’eau ne semble pas impossible.

L’exemple de l’Ardenne belge

9Depuis le début du xx^e siècle, et en particulier pendant son dernier quart, les hauts plateaux ardennais font l’objet d’un programme de recherches appliqué aux tombelles de l’Âge du Fer18. Sur une bande de terrain de 75 km de long sur 25 km de large, avec une interruption d’environ 12 km séparant deux groupes de nécropoles (l’un méridional, l’autre septentrional), près de 150 sites furent repérés et un grand nombre fouillés. D’aspect analogue, les deux groupes de tombelles se différencient surtout par le type d’offrandes mais ont en commun l’usage habituel (mais non exclusif) de l’inhumation.

10Dans le groupe méridional, les nécropoles qui comprennent le plus souvent quelques tertres renferment des tombes dans lesquelles les défunts sont déposés en decubitus dorsal, parés et pourvus d’armes et de vases offrandes. Dans certaines nécropoles, une grande tombelle recouvre une tombe à char. Le type de parure féminine, la forme des vases d’offrande, le dépôt du char, sont autant de points comparables avec les nécropoles champenoises. Dans le groupe septentrional, c’est à des influences du Rhin moyen qu’on attribue certaines formes de vases, la présence d’anneaux de cheveux.

11La pratique de l’inhumation détonne là aussi dans le milieu environnant : ainsi les nécropoles avoisinantes de Saint-Vincent dont la dernière phase se place au début du v^e siècle19, de Louette-Saint-Pierre et de Gedinne20 placées aujourd’hui au Hallstatt D, ne contiennent que des incinérations. Or, les comparaisons qu’il est possible d’établir entre les objets issus des tombelles et le mobilier champenois sont particulièrement prégnantes : on citera en particulier les parures métalliques : l’usage des bracelets identiques, des torques (à petits tampons, torsadés), des fibules si proches du milieu aujourd’hui français. Certes, les correspondances ne sont pas totales et il faut mentionner quelques divergences. Les offrandes céramiques déposées dans les tombes ardennaises se limitent le plus souvent à la situle alors que les formes champenoises sont multiples ; le décor peint ou gravé de type géométrique est toutefois un élément important de rapprochement. En Champagne-Ardennes, les armes des tombes masculines reflètent bien la panoplie complète du guerrier (épée, casque, lance, poignard) alors que dans les tombelles ardennaises, à une exception près, l’absence de l’épée est particulièrement remarquable, les armes d’hast étant pratiquement les seules déposées. Autre point de dissonance, la présence des tertres alors que les tombes du nord de la France sont, semble-t-il, plates. Cette divergence n’est peut-être que factice car elle reflète sans nul doute la conséquence d’un terrain cultivé d’une part, conservé en sous-bois d’autre part.

12On conçoit ainsi que les similitudes entre les deux noyaux de peuplement sont grandes même si quelques différences sont à souligner. L’interprétation généralement acceptée pour ce peuplement est l’installation de groupes venant de Champagne, qui ont conservé leurs coutumes majeures. Cette migration pourrait avoir eu lieu à la fin du premier quart du v^e siècle car les tombes les plus anciennes apparaissent vers 470 av. J.-C.

13Dans le groupe septentrional, on peut plus vraisemblablement y souligner les influences orientales mais il faut reconnaître que le nombre de nécropoles fouillées y est plus limité. La chronologie est moins précise et la plupart des tombes fouillées ont été datées par le radiocarbone de l’extrême fin du v^e siècle ou des premières années du siècle suivant.

La vallée de la Seine

14Notre dernier exemple a pour cadre la vallée de la Seine, en amont de Rouen (fig. 1). Au xix^e siècle, déjà, furent exhumés certains objets, conservés aujourd’hui dans les musées d’Evreux et de Rouen, ou en collection privée, qui laissent croire à l’existence de sépultures particulières dans les basses terres du confluent de l’Eure et de la Seine, et à proximité du cours de l’Andelle. On mentionnera en particulier les torques de grand diamètre, à bouton – ou à renflement – attribuables au début du v^e siècle21 (fig. 3). Ils proviennent d’Alizay (musée de Rouen22), du Manoir (collection de La Potterie), des Damps (collection privée maintenant inaccessible23). Sur ce dernier site, en outre, une fibule et un bracelet (conservés respectivement dans la collection de La Potterie et au musée de Rouen), dont on n’oserait certifier une origine identique, appartiennent au début du iv^e siècle24. Il est vraisemblable que ces objets ont été ramassés dans des inhumations. Nonobstant, ces découvertes anciennes sont confortées par la fouille récente de Val-de-Reuil, Pharma-Parc, où, à l’intérieur d’un vaste enclos de 34 sur 25 m, cinquante-neuf tombes ont été découvertes ; la tombe féminine 147 était pourvue précisément d’un torque à bouton et deux bracelets à petites perles (et d’un brassard ?)25. Le plan de cette nécropole (dont l’utilisation pourrait se poursuivre jusqu’au i^er siècle av. J.-C.) annonce sans conteste celui de Tournedos-sur-Seine dans lequel l’enclos de plan et de dimension analogues enferme aussi une série d’inhumations qui se succèdent à partir de la fin du iv^e ou du début du iii^e siècle26. La découverte la plus fastueuse de cette région reste le casque trouvé à Amfreville-sous-les-Monts27, œuvre majeure de l’art celtique, qui a fait l’objet d’une vaste littérature. Sa place dans les meilleurs traités d’art celtique dénote tout l’intérêt de cet objet découvert dans les limons d’un ancien bras de la Seine en 1841. La calotte de bronze comporte un riche décor qui allie l’utilisation de la feuille d’or et d’une résille permettant l’insertion d’émail. L’analyse stylistique de V. Kruta a mis en évidence l’origine italique de ce casque dont le plus proche parallèle fut trouvé à Canosa, en Apulie. Sur ces deux objets d’apparat, se retrouvent non seulement la même technique décorative mais encore le même schéma de disposition du décor. Les analogies stylistiques sont également évidentes avec le milieu marnien et notamment avec certains vases peints. Ces différents rapprochements amènent à placer la fabrication du casque dans la seconde moitié du iv^e siècle28. À l’exception du torque de Saint-Vaast-d’Equiqueville29, dans la vallée de la Béthune, aucune autre parure métallique n’a été trouvée pour les v^e et iv^e siècles en Seine-Maritime en dehors de cette partie de vallée de Seine, alors que les découvertes de cimetières à incinération (datés au plus tôt du iii^e siècle) se sont multipliées ces derniers temps dans le pays de Caux. Les analogies avec le mobilier marnien posent une nouvelle fois question. Pour le iii^e siècle, en outre, les anneaux de cheville de Martot suggèrent une intrusion de populations qui cette fois pourraient tirer leur origine de contrées plus lointaines que la Marne, puisqu’il s’agit d’objets emblématiques de nécropoles au moins de l’Est de la France (Lorraine) sinon du centre de l’Europe (Bohême)30. Le petit nombre d’exemplaires trouvés impose une interprétation prudente mais il faut, dans l’état actuel de la recherche, observer le phénomène et s’enquérir du rôle de ces pièces emblématiques qu’on ne peut pas attribuer à un phénomène commercial. En prenant en compte le site de Bordeaux-Saint-Clair31 qui se situe en bordure de Manche, on peut s’interroger sur un éventuel chemin vers la Grande-Bretagne. Enfin, il faut noter la présence de torques dits picéniens à extrémités recourbées en col de cygne, rares parures dont on ne connaît que cinq exemplaires en France du Nord, dont deux proviennent de cette petite région de Normandie (Le Manoir et Notre-Dame-du-Vaudreuil, aujourd’hui commune de Val-de-Reuil) et qu’on interprète comme le signe distinctif du mercenaire de retour de campagne32.

Figure 3. Parures découvertes anciennement en vallée de Seine

Conclusion

15Les deux premiers exemples pris en considération traduisent des rapports évidents avec le mobilier marnien d’une part ou rhénan d’autre part. Cette observation appelle plusieurs remarques. La chronologie de ces faits n’est pas anodine : ils se placent pour la plupart dans le v^e siècle. En ce qui concerne le matériel marnien, les conjonctions sont particulièrement fortes pour le v^e siècle : il s’agit en Champagne-Ardennes d’une période de forte densité démographique si on en juge par le nombre élevé de nécropoles, qui conduit vraisemblablement à des phénomènes de surpeuplement et donc d’émigrations. L’impression donnée par ces petits groupes de peuplement fait bien écho aux textes anciens, même si ces derniers ne concernent que les invasions de l’Italie33. La notion de surpeuplement souvent évoquée peut correspondre à la situation en Champagne. Mais chaque région mérite sans doute une réflexion particulière.

16Dans le sud de la Hollande, la possibilité d’une immigration n’est attestée que par des tombes relativement isolées mais au mobilier typique, associé à l’observance d’un rite particulier. Les ressemblances avec le matériel marnien laissent croire, pour Geldermalsen en particulier, à l’installation d’un petit groupe de populations méridionales. On imagine ici une petite communauté installée dans le sillage d’un voyageur en quête de régions plus fertiles, à l’instar de l’Helvète Hélicon, le forgeron qui ramena de son séjour à Rome, figues, raisin, vin et autres biens mythiques dont la possession entraîne des déplacements même difficiles et lointains34.

17Les liaisons avec la région rhénane sont également notables, non seulement dans ces tombes modestes où la seule parure féminine tient dans un anneau de cheveux mais aussi dans les tombes aristocratiques où, rappelons-le, l’utilisation en guise d’urne funéraire de récipients métalliques trahit des rapports avec la Méditerranée.

18Si ces éléments sont encore isolés, d’autres groupes expatriés s’avèrent dès maintenant importants. L’exemple ardennais pourrait refléter l’émigration d’un groupe plus considérable en raison de la multitude des sites. On y retrouve aussi la double influence des deux principaux foyers culturels démographiques du moment : les milieux marnien et rhénan. Toutefois, la distance qui sépare les tombelles ardennaises et les sites qui pourraient être leur région d’origine est un sujet de discussion. La véritable question réside en réalité dans la définition géographique du domaine dit marnien. Il est communément admis que la vallée de l’Aisne constitue la frontière septentrionale du marnien, ou encore de la culture Aisne-Marne, si on prend en compte le modèle de tombe plate au mobilier caractéristique. Pour A. Villes toutefois, le critère de définition du domaine marnien est constitué par la céramique carénée découverte en habitat35 : l’uniformité constatée dans le matériel domestique, que nous mentionnions plus haut à propos du sud de la Hollande, est utilisée pour identifier une communauté culturelle entre la Champagne, l’Aisne, la Picardie, mais aussi le Hainaut, la Flandre et la Hesbaye… Cette réduction à des comparaisons de céramique domestique laisse bien loin les critères de caractérisation culturelle que sont les rites funéraires, le port d’armes, de parures au décor dévoilant une certaine spiritualité… Il faut mentionner ici une autre étude signée de C. et J.-G. Rozoy fondée sur des découvertes faites notamment dans la région de Charleville36. Sans citer le travail d’A. Villes, ces auteurs suggèrent une réduction des espaces « vides » proposant dès lors une seule et même culture entre le monde marnien et les tombelles ardennaises.

19Les dernières découvertes laissent davantage croire, pour l’ensemble du territoire constitué ensuite par la Gaule Belgique, à un particularisme régional qui revêt plusieurs formes. La différence de rites funéraires, l’absence d’objets métalliques décorés caractérisent justement le nord et l’ouest de la région37. Les seules contrées qui ont fourni à la fois des exemples d’inhumations parées et fournies à la mode marnienne sont l’Ardenne belge et, dans une moindre mesure, certaines localités du sud de la Hollande. Elles posent effectivement le problème d’implantations plus ou moins groupées, moins isolées qui auraient eu pour point de départ la région Aisne-Marne.

20Le modèle normand reflète sans doute une réalité différente. En premier lieu, les découvertes en milieu domestique ne produisent pas de céramique carénée typique du milieu marnien : les fouilles récentes en pays de Caux ont fourni une céramique peu caractérisée, peut-être issue du développement de formes antérieures sans contact marqué avec les régions occidentales38. Par ailleurs, les découvertes en milieu funéraire se placent davantage au iv^e siècle, période qui pose des difficultés d’interprétation en milieu marnien. Enfin, le chemin parcouru pendant les v^e et iv^e siècle semble suivi encore au iii^e siècle si on juge par les anneaux de cheville trouvés à Martot. L’interprétation précise de ces groupes de population, concentrés dans un couloir de dix km de long sur trois de large, de part et d’autre du fleuve, nécessite encore des recherches complémentaires, mais là aussi, l’arrivée de populations au rite particulier semble bien attestée en raison d’une franche différenciation avec les régions avoisinantes. La question du retour de mercenaires dont on connaît l’importance dans le monde méditerranéen est aussi à prendre en considération dans cette région.

21Si la raison de ces expatriations fut souvent l’excès de population, le choix des implantations n’est sans doute pas facile à comprendre. Les hauts plateaux ardennais sont des contrées arides, au climat dur, à l’agriculture difficile ; en revanche, la région offre des réserves de minerais de fer et d’or39. Les sites hollandais ou normand ont en commun la profusion des cours d’eau : sites de confluent, où bouillonnent toutes formes de relations avec l’eau, moyen de communication et endroit sacré.

22Après le iii^e siècle, il sera plus difficile de distinguer des formes particulières de translations de populations ; elles se poursuivent assurément : l’exemple des Helvètes n’est-il pas particulièrement probant mais, en l’absence de textes, l’uniformisation du matériel à la fin de l’époque de La Tène ne permet plus de différencier matériellement les divers peuples dont nous connaissons désormais les noms.