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Les politiques au stade

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André Gounot
, 
Denis Jallat
, 
Benoît Caritey

Première partie. Prégnances des identités nationales

Les régates de la Coupe internationale du Cercle de la voile de Paris à la fin du xixe siècle : enjeux politiques, enjeux de classe

Denis Jallat

Texte intégral

  • 1 Parmi eux citons Defrance Jacques, dont les travaux sur les rapports entre le sport et la politiqu (...)
  • 2 Pour la France : Corbin A. et coll., Les usages politiques des fêtes au xixe et xxe siècle, Paris, (...)
  • 3 La question politique est très souvent abordée dans la littérature sociologique et historique angl (...)
  • 4 Citons Arnaud P., Les athlètes de la République ; Gymnastiques, sports et idéologies républicaines (...)
  • 5 Les éléments matériels ou les rituels (accrochage de drapeaux, langage et connotations des corps m (...)
  • 6 Tout ne se résume cependant pas à « des intentions politiques systématiques » ; dans de nombreux c (...)
  • 7 Entre autres sociale et économique ; domaines dont on ne peut contester qu'ils tissent des liens i (...)

1Des chercheurs en sciences du sport1 ont relevé le rapport des activités physiques à la politique ; ils ont étudié la mise en place des premières politiques sportives ou ont montré comment le sport pouvait être le cadre d'enjeux politiques. Par ailleurs, des travaux d'histoire culturelle2 ont souligné le rôle des rassemblements populaires pour donner à voir des identités communautaires et pour diffuser des valeurs3. Quelques études4 ont fait le lien entre ces éléments ; elles ont montré comment les fêtes sportives ont été utilisées, voire récupérées, à des fins politiques, pour diffuser des idéologies. Très souvent, ces recherches appuient leur démonstration sur les « objets visibles5 » de l'événement, ses rituels matérialisant les valeurs portées par les organisateurs. Ces travaux ont souvent adopté une définition particulière du terme politique qui consiste à référer les éléments découverts à un parti, un mouvement, une institution dont l'ancrage dans le monde de « la politique » est avéré6. Il convient cependant de ne pas oublier que « le politique » est pluriel et complexe. Il est, par exemple, présent dans les actions7 qu'entreprennent des groupes sociaux pour s'exprimer, renforcer leur identité et légitimer leurs choix, se constituer en classe sociale ou asseoir leur position dans la société. Les manifestations sportives peuvent s'inscrire également dans ces processus. Situés en aval de l'événement sportif, les rituels ont alors moins d'intérêt que les éléments symboliques, les « côtés » cachés, les sous-entendus, les intentions ou les enjeux.

  • 8 Des sujets comme par exemple « les bateaux à dérive », « les voiles et les gréements Houari »... s (...)
  • 9 Par exemple « le transport de commerce », « la flotte de guerre de la France » ; une causerie est (...)
  • 10 Il faudrait d'ailleurs questionner la réalité de ces deux points. En effet, la Coupe reste longtem (...)

2Dans ce cadre, l'exemple de la Coupe internationale du Cercle de la voile de Paris (CVP), créée en 1898 par une société nautique parisienne, est particulièrement intéressant. L'épreuve, conçue pour faire régater des bateaux de taille restreinte (1 tonneau), connaît très vite un succès dans les milieux nautiques. Elle est remportée et organisée tour à tour par la France et l'Angleterre ; ce qui autorise alors un regard comparatif sur la façon dont on utilise l'événement de part et d'autre de la Manche. De nombreux indicateurs permettent de faire la démonstration que cette compétition, et surtout son organisation, sont indissociables de la vision idéologique de ceux qui la préparent. Pourtant, ceux qui l'inventent n'affirment pas ouvertement son statut d'« objet politique ». La régate est pensée, avant tout, comme une épreuve sportive avec un caractère anodin. Néanmoins, en marge de la compétition se mettent en place des animations (conférences, réunions, dîners...) qui permettent de faire valoir des idées à propos du développement de la voile8, mais aussi à propos d'autres sujets9. Elles offrent des possibilités réelles et nombreuses d'exprimer des valeurs et des représentations. L'aura et la dimension internationale que la course acquiert dans les milieux nautiques10 au fur et à mesure des éditions renforcent ce point. Dès lors il convient de s'interroger sur le moment et les raisons où cette compétition, a priori neutre, est mise au service du politique. De même, la forme que prend la mise en scène politique de la Coupe du CVP doit être questionnée : quelles différences dans son organisation la régate présente-t-elle entre les éditions française et anglaise ? Les deux groupes de navigateurs ont-ils les mêmes intérêts, les mêmes « intentions politiques » ?

  • 11 Les instances nautiques françaises militent pour des régates sur plan d'eau intérieur qui prennent (...)
  • 12 D'autres régates, courues sur des règlements plus communs, sont fréquentées par les yachtmen étran (...)
  • 13 Inscrits par ailleurs dans les grandes régates citées.
  • 14 Si les régatiers français dominent la Coupe d'Italie, en revanche, ils ne participent pas à la Cou (...)

3En fait, « l'intention politique » de la régate se trouve surtout exprimée, de manière subtile, en amont de son organisation. Le choix des règles de course par les dirigeants français, le contrôle qu'ils imposent aux autres organisateurs potentiels de leur compétition s'inscrivent, entre autres, dans ce processus. Notre réflexion s'intéressera donc à ce moment de l'organisation. Dans une période où les dirigeants du nautisme français, dont font partie les responsables du Cercle de la voile de Paris cherchent à faire évoluer les systèmes de course en rivière11 français, les inventeurs de la Coupe internationale optent délibérément pour un autre règlement. Ils s'inspirent de celui en vigueur dans certaines grandes régates prestigieuses de mer organisées pour des voiliers plus importants : Coupe de France, Coupe d'Italie et surtout Coupe de l'America. Aucun élément ne permet de soutenir l'idée selon laquelle les responsables parisiens veulent créer un mouvement de sécession au sein du nautisme français ; rien ne permet non plus de penser qu'ils veuillent seulement attirer les navigateurs étrangers12 ou fortunés13 ou encore répondre à des injonctions internationales. Ils ne cherchent pas non plus à utiliser l'aura acquise par des Français dans ces grandes compétitions14. Il faut donc chercher ailleurs les raisons de ces choix qui poussent les élus du CVP à prendre le risque de mettre à mal les processus d'unification qu'ils tentent par ailleurs de légitimer au sein des clubs de rivière français. Des enjeux sous-jacents à cette régate de la Coupe internationale existent qu'il convient donc de mettre à jour. Dans une activité où les bonnes manières règnent, qui induisent la réserve et la sournoiserie, tout ceci est certainement dissimulé de manière très subtile. Le statut des règles de course et du système de contrôle des régates imposé par les Français, les codes sportifs qui régissent l'épreuve jouent, à n'en pas douter, un rôle dans le domaine du politique qu'il conviendra de comparer aux autres éléments de l'organisation.

  • 15 Girard R., Du mimétisme à l'hominisation ; la violence différente ; et aussi Girard R., Les origin (...)
  • 16 Denis D., De la volonté de transformer l'institution scolaire ; Hypothèses d'école sur l'immobilit (...)

4En copiant les règlements d'autres compétitions, l'épreuve française s'inscrit dans un jeu mimétique intentionnel. Le concept de « mimésisme », développé par R. Girard15, renvoyant à la fois à l'idée de désir et à celui de rivalité, offre une réelle richesse pour comprendre ce qui motive et justifie les actes des dirigeants du CVP De même, l'étude des échanges géo-symboliques, au sens de D. Denis16, entre la France, l'Angleterre et les États-Unis dont la Coupe internationale se fait l'écho, apportera des pistes intéressantes. On peut, en effet, faire l'hypothèse qu'en imitant la Coupe de l'America, au sein de laquelle l'Angleterre et les États-Unis s'affrontent à la très large faveur des seconds, la régate du CVP prend une dimension politique particulière surtout lorsqu'on la rapporte au contexte général en vigueur en France à la fin du xixe siècle. La compétition française vise, en effet, à diminuer l'influence, voire l'hégémonie, de la nation anglaise sur le plan sportif mais aussi dans les domaines économique et culturel. L'épreuve parisienne permet alors au groupe social auquel appartiennent les dirigeants du CVP de s'affirmer dans la société française et sur le plan international.

5Les médias jouent un rôle particulier. Parmi ceux qui écrivent, financent ou dirigent les revues spécialisées de l'époque (Le Yacht, Yachting Gazette), on trouve, entre autres, des membres du CVP Si, de manière générale, les journaux diffusent souvent des propos édulcorés et consensuels pour être acceptables par le lectorat, on peut également montrer que les opinions qui y sont émises sont déformées par les enjeux que poursuivent les journalistes, les rédacteurs, les propriétaires de maison de presse, voire par des personnalités politiques proches. La position singulière des responsables nautiques parisiens dans la presse spécialisée permet de penser que les intentions qui président à l'invention de la Coupe internationale, ainsi que les réactions à l'issue des compétitions, notamment lorsque la Coupe sera conquise par l'Angleterre (1901, 1902), sont exprimées de manière ouverte. Si la spécificité de nos sources peut nous conduire à voir du politique là où il n'y en a pas — ou plutôt, là où il n'y a que des affirmations écrites — il ne faut néanmoins pas rejeter cette hypothèse. Les propos, dont les journaux se font l'écho, traduisent bien des intentions et des représentations dont le ton politique ne doit pas être minimisé.

La Coupe, une invention stratégique

Historique

  • 17 Sur l'eau mais aussi au niveau des normes qui s'imposent à tous.
  • 18 C'est une des raisons qui expliquent que les membres du CVP ont pris le risque d'adopter un systèm (...)
  • 19 « Le trophée demeure la propriété du club parisien qui impose ses règles. » Un autre article du rè (...)
  • 20 Les Anglais qui lancent le premier défi à la France, par l'intermédiaire de M. FW. L. Poham membre (...)
  • 21 Le règlement prévoit effectivement que les régates soient organisées par le pays dont le club a ga (...)
  • 22 En 1903 à la suite de leur victoire sur les Anglais les navigateurs du club parisien vont imposer (...)

6La Coupe internationale de voile est inventée en 1898 par une des sociétés nautiques françaises les plus prestigieuses du moment, le Cercle de la voile de Paris. L'épreuve voit le jour grâce à des fonds privés. La revente d'un bateau de course, L'Esterel, à M. de Rothschild a fourni à ses propriétaires un apport financier important. Ceux qui appartiennent au Cercle de la voile de Paris ont fait don de cette somme pour que soit organisée une compétition. Le choix est effectué de faire régater des voiliers de différentes nations. La compétition consiste en un défi que des sociétés nautiques (au maximum une par pays) lancent au club détenteur du trophée, le vainqueur de l'édition précédente. Celui-ci accepte ou refuse le challenge sur des critères qui lui appartiennent et qui ne sont, d'ailleurs, pas nécessairement que sportifs. On peut ainsi soutenir l'idée que les choix qui président à la rencontre (lancer le défi ou l'accepter) ne sont pas neutres. En tout cas ils répondent à des logiques qui n'échappent pas à la problématique du politique. À la fin du xixe siècle, en l'absence d'une institutionnalisation achevée de la pratique, les inventeurs d'une épreuve, a fortiori s'ils la financent, jouissent d'une assez grande liberté pour en fixer les règles. Cette autonomie aurait pu inciter les dirigeants du nautisme parisien à créer une épreuve originale ou à ancrer une tradition française en matière de régate. Il n'en est rien ; d'autres enjeux plus forts sont en cause, notamment la volonté de diminuer la suprématie anglaise17 au sein des instances internationales de la voile mais aussi dans le cadre des régates organisées en France. Pour ce faire, les codes en vigueur dans la Coupe doivent être acceptables pour des régatiers étrangers et notamment les Britanniques18. L'aura que la Coupe acquiert très vite renforce, d'ailleurs, la nécessité pour les Anglais de courir cette compétition. Les dirigeants du CVP ne perdent pas pour autant l'autorité sur leur compétition19. Les règles de la Coupe s'imposent à tous les organisateurs potentiels de la manifestation sans que ceux-ci n'aient la possibilité de les modifier20, y compris si les courses se déroulent à l'étranger21. Seuls, les Français s'arrogent ce droit22. Elles contraignent, également, tous les régatiers à se soumettre aux normes imposées par les Parisiens.

  • 23 Le Yacht, n° 1222, 10 août 1901, p. 380.

7Certains yachtmen, dont les Britanniques, vivent mal l'autorité acquise par les dirigeants du CVP : « Je crois qu'il est préférable de vous abstenir de donner votre opinion sur la façon d'amener mon bateau [anglais] à la jauge du vôtre23[...]. »

  • 24 En 1899 contre M. FW. L. Poham membre du Island Sailing et en 1900 contre M. Lorne Currie « un yac (...)
  • 25 À terre, il n'en est pas de même, cf. infra.

8La première édition de cette course nautique est courue en 1899 à Meulan, sur la Seine, sur le plan d'eau géré par le CVP. L'année suivante la régate a lieu à nouveau à Meulan. Elle est organisée dans le cadre de l'Exposition universelle et des Jeux olympiques de Paris. Les Français remportent la course les deux premières années (1899 et 1900) contre les challengers anglais, seuls inscrits24. En 1901, la victoire revient au défi britannique. Ainsi, la Coupe internationale constitue le théâtre d'une opposition sur l'eau25 entre Français et Britanniques.

Entre économie et politique ; des enjeux de classe

  • 26 Nous renvoyons à la lecture de Beünard B., « La "plaisance" et les régates à Marseille au xixe siè (...)
  • 27 Des régates ont animé les foires industrielles par exemple, lors des expositions universelles de 1 (...)
  • 28 Le Yacht, n° 1156, p. 211.
  • 29 Ibid.

9Sur terre, la manifestation prend en France un autre ton. Le caractère international et des projets particuliers, notamment économiques, y sont clairement affichés. Dès sa première édition en France, la régate est l'occasion d'événements extra sportifs : elle donne lieu à une fête à laquelle assistent de nombreux spectateurs et des personnalités connues. Ce type d'événement, associé aux régates, était assez fréquent26 même si la sportivisation de la voile tend à éloigner de plus en plus les courses de ce qu'il y a autour du sport pour se centrer uniquement sur la compétition. En 1900, la compétition est organisée dans le cadre de l'Exposition universelle, ce n'est pas la première fois que des courses nautiques animent une foire commerciale27 ; en revanche, il est moins habituel que les navigateurs le fassent à leur initiative et surtout imposent aux organisateurs de la manifestation industrielle leurs revendications : « [.] Il n'a pas non plus été facile de canaliser les exigences souvent gênantes de l'administration dont le contrôle s'exerçait sur tout28[...] », mais au final « c'est la première fois que l'on se préoccupe de faire au Yachting dans une exposition française, la place qui lui est due et nous sommes gré aux organisateurs d'avoir si bien tenu compte des intérêts [de notre sport]29[...] ». Les membres du CVP refusent, par exemple, pour des raisons qui ne sont pas techniques, que les compétitions se déroulent sur le Lac de Daumesnil comme les autres épreuves nautiques :

  • 30 Le Yacht, n° 1159.

« Il suffit d'un exemple pour se rendre compte du chemin parcouru et des difficultés une à une solutionnées : au mois de juin 1899 un décret avait prévu que [...] le yachting aurait lieu à Vincennes ou sur le lac Daumesnil [...] on voit que l'administration bien inspirée a fini par réduire ses exigences30.

  • 31 La forme du défi choisie par les Parisiens est chère aux milieux économiques auxquels appartiennen (...)
  • 32 On peut citer par exemple outre More L., messieurs Breguet (horloger et industriel de la micro pré (...)

10Ils font modifier les règles que les organisateurs de l'Exposition universelle imposent dans le cadre des concours sportifs. Derrière ces éléments, il y a là, à n'en pas douter, des intentions particulières. La Coupe internationale s'inscrit ainsi, pleinement, dans le cadre d'enjeux économiques31 qui servent les intérêts des navigateurs français. Le fait que cette manifestation d'ampleur internationale soit organisée par la France donne aux responsables du CVP un avantage incontestable dans ce domaine. Pour la plupart, hommes d'affaires, négociants, investis à titre professionnel32 dans l'industrie, la finance ou le commerce, ils profitent, en effet, de l'événement parisien pour montrer à tous, et notamment aux autres puissances industrielles, leur savoir-faire dans des domaines qui dépassent le sport.

  • 33 Le Yacht, n° 1179.

« [...] Nous voyons dans ce pavillon [celui de la navigation] qui attire si justement l'attention, ce que peut faire notre pays du point de vue industriel [.] nous avons dans notre pays des établissements qui maintiennent le grand renom que se sont acquis dans le monde nos industries maritimes33. »

  • 34 Les journaux rendent compte des courses nautiques ; ils mentionnent également la présence d'invité (...)
  • 35 Dreyon A., Les Jeux olympiques oubliés : Paris 1900, Paris, éd. CNRS, 2000, 218 p.
  • 36 Yachting Gazette, n° 241, 8 janvier 1904, p. 686.

11La Coupe du CVP est mise au service d'enjeux économiques qui viennent servir les dirigeants du club. Pour renforcer les processus, les régates, ainsi que les discours mais aussi les banquets qui suivent ne sont accessibles qu'à certaines catégories de spectateurs34 : « Tous les officiels [sont présents], de Daniel Mérillon à l'amiral russe Nicolas de Zélenoy et autres ministres. La musique militaire du 1er régiment du génie est de la partie35[...] », des industriels et des ministres étrangers, des financiers sont également présents qui bénéficient des meilleures conditions pour assister aux courses nautiques. Ces épreuves sportives ne sont, en fait, que des prétextes à d'autres échanges. Elles sont le lieu d'un « commerce social » entre gens du même milieu, « un moyen pour les yachtsmen français et étrangers de nouer ou poursuivre des relations qui ne peuvent qu'être agréables et en même temps profitables au développement de la navigation de plaisance [...] et à leurs intérêts36 ». Elles favorisent le développement de mécanismes qui renforcent une conscience collective de classe mais constituent aussi le théâtre d'un mélange subtil fait de concurrences et d'alliances. La foule en revanche accède difficilement au site :

  • 37 Le Yacht, n° 1157 du 12 mai 1900, p. 220.

« Pour [...] assister aux concours internationaux de yachting à voile, une excursion spéciale a été organisée : cette excursion comporte le voyage [une partie en chemin de fer et une partie en bateau], le déjeuner à Meulan et le spectacle des courses que les excursionnistes suivront en bateau37. »

  • 38 Les transformations de la société française dans le contexte économique, politique et culturel par (...)
  • 39 Voir à ce sujet Charle C., Histoire sociale de la France au xixe siècle. Paris, 1991.
  • 40 Lire les travaux Pinçon M., Charlot M., Sociologie de la bourgeoisie, Paris, 2000, ou Pinçon M., C (...)
  • 41 Il s'agit alors d'imposer sa vision des choses. Les conséquences sont plurielles qui engendrent de (...)
  • 42 Le Yacht, n° 1156, 5 mai 1900, p. 211.
  • 43 La Coupe internationale est conçue dans ce sens : il s'agit d'un défi qu'une nation lance à une au (...)
  • 44 Les conséquences de la seconde révolution industrielle sont importantes.
  • 45 À la fin du xixe siècle, la position des élites dans la société passe par leur rayonnement interna (...)
  • 46 Avant l'invention de la Coupe internationale, les dirigeants du CVP ont déjà eu à négocier avec le (...)

12En inscrivant la Coupe internationale dans un cadre qui dépasse très largement le nautisme voire le domaine du sport, les dirigeants du CVP parviennent à renforcer leur position sociale à un moment qui est favorable38. Ce groupe qui se consolide en même temps que la République se renforce39 conforte son statut dans la société40, assoit sa légitimité41. Il se donne, à travers ses pratiques, une fonction dans la société française : « Il [le yachting] est si utile à la prospérité d'un pays comme le nôtre42. » Dans un contexte où l'économique est un lieu de concurrence entre les nations43, un élément qui participe très largement à la grandeur des pays et un domaine en profonde mutation44, la régate et son agencement jouent un rôle réel qui valorise ses organisateurs45. La compétition offre l'occasion de nouer des contacts avec les autorités du pays et surtout d'inverser le sens des échanges46. Le Yachting, par le prisme de l'intérêt que suscite la Coupe du CVP, devient un outil d'expression politique avéré pour dire des opinions à l'encontre du pouvoir en place. La presse spécialisée se fait l'écho des remarques émises à l'encontre du gouvernement et de la politique économique menée en France. La question de la grandeur du pays, de sa puissance, dans le cadre de relations économiques internationales, l'idée que la voile s'inscrit dans le cadre d'un patriotisme utile sont souvent évoqués :

  • 47 Le Yacht, n° 1184, p. 555.
  • 48 Le Yacht, n° 1211, 25 mai 1901, p. 245.
  • 49 Yachting Gazette, n° 193, 6 février 1903, p. 62.

« Le développement du Yachting est pour une nation un élément important [...] et nous devons nous estimer heureux de le voir ainsi consacré par les gouvernements de celles des nations qui ont atteint ou qui visent à atteindre le plus haut degré de puissance dans le monde47 » ; « en France également les pouvoirs publics doivent voir là une leçon instructive et de quoi justifier [...] des encouragements profitables en réalité, aux biens du pays48 » ; « des nations voisines [...] ont compris que le yachting n'était pas un passe temps puéril, [...] et qu'une idée plus haute s'attachait à lui. Ainsi les personnages les plus importants de ces États n'ont pas hésité à s'en occuper49. »

  • 50 Defrance J., « La politique de l'apolitisme. Sur l'autonomisation du champ sportif », Politix, vol (...)
  • 51 Ibid.
  • 52 La citation qui suit renforce la démonstration : « Lorsque sur nos plages je vois arriver des yach (...)

13La Coupe du CVP s'inscrit dans une histoire des rapports entre groupes sociaux et politique. Le fait que les dirigeants nautiques français donnent à leur régate une portée qui dépasse les seules fonctions sportives et techniques pourrait indiquer qu'il se produit une « poussée » d'hétéronomisation. En tout cas, il traduit le fait que le yachting a quitté « la revendication de l'apolitisme [...] valeur durable de la culture sportive50 ». Et pour suivre J. Defrance, ce constat met en lumière des mécanismes plus importants car « les formes de dénégation et d'affirmation du politique changent à mesure que le champ sportif connaît des poussées d'autonomisation ou des poussées en sens contraire (le processus est réversible)51 ». L'hypothèse de l'utilisation de la Coupe internationale pour servir, à sa mesure, les intérêts de la classe sociale à laquelle appartiennent les régatiers et pour diffuser leurs valeurs et leurs croyances mais surtout les légitimer, devient plausible52.

  • 53 Ils remporteront également l'édition de 1902 mais échoueront à nouveau en 1903, face aux Français.
  • 54 Voir infra.

14En 1901, la victoire revient au défi britannique. Conformément au règlement l'Angleterre devient ainsi la nation organisatrice de la 4e Coupe internationale53. La compétition se déroule à Cowes sur l'île de Wight54. Sa mise en forme prend une tournure différente. L'organisation de la régate sur l'eau demeure identique, les règles étant fixées par les Français, mais l'événement ne donne pas lieu à des manifestations à terre. La Coupe ne prend pas la dimension économique et politique qu'elle a eue en France.

  • 55 Il conviendrait de réaliser une histoire plus détaillée de ces élites (statut, formation, ambition (...)
  • 56 « [.] La façon d'entendre le sport en Angleterre n'a rien de commun avec celle de l'envisager en F (...)

15Les élites nautiques anglaises n'ont, a priori, pas les mêmes caractéristiques sociales, ni les mêmes besoins et pas exactement les mêmes possibilités d'interférer sur le fonctionnement de leur société55. Ils n'ont pas non plus les mêmes façons d'envisager le sport56. Ces éléments doivent cependant être vérifiés car en nous référant, par nos sources, aux seuls propos français, peut-être avons-nous minimisé l'importance que les Britanniques donnent à la Coupe courues dans leurs eaux et à l'utilisation qu'ils en font.

Des enjeux sportifs sur la scène internationale

  • 57 Il y a un lien de réciprocité entre les deux enjeux.
  • 58 Système de règles imposées pour la construction d'un bateau de régate.
  • 59 Il est vrai que les Anglais sont de plus en plus souvent battus par d'autres régatiers notamment d (...)
  • 60 Yachting Gazette, n° 51, 18 mai 1900, p. 171.
  • 61 Yachting Gazette, n° 41, 9 mars 1900.
  • 62 Les Français oscillent néanmoins entre se soumettre aux règles anglaises parce que la Grande Breta (...)
  • 63 Yachting Gazette, n° 216, 17 juillet 1903, p. 378.
  • 64 Yachting Gazette, n° 208, 22 mai 1903, p. 273.
  • 65 L'Illustration, n° 3037, 11 mai 1900.
  • 66 Yachting Gazette, n° 55, 15 juin 1900, p. 202.
  • 67 La presse y participe largement : lors des deux victoires françaises (1899, 1900) elle a pris soin (...)

16Si la Coupe internationale permet à ses inventeurs de légitimer leurs positions sur le plan social, elle leur permet aussi57, et peut-être avant tout, de se positionner au sein de l'espace du yachting international. Ce souhait répond lui aussi à la question du politique. À la fin du xixe siècle, l'hégémonie de l'Angleterre en matière de règlements est de plus en plus contestée notamment par les élus français dont font partie les dirigeants du CVP. La presse nautique française relate régulièrement les nombreux débats qui ont lieu à propos des jauges58 anglaises et des normes que les Britanniques imposent aux autres nations du fait de leur antériorité et de leur supériorité en navigation. Ces systèmes sont pourtant jugés obsolètes59 : « La méconnaissance des architectes britanniques est étonnante : personne n'ignorant que la longueur de flottaison est un élément important60 [...]. » Ils sont par ailleurs contraires au développement de la voile et à son institutionnalisation tels qu'on les envisage du côté français. « Le yachting anglais est en mal de jauge et il semble que l'opération soit laborieuse61. » Certains échanges entre Français et Anglais prennent un ton d'oppositions violentes entre les deux nations62 : « Tant qu'une "entente cordiale ne sera pas arrivée à l'unification de la jauge entre les deux pays, il demeurera impossible de faire concorder les séries du règlement français et celles du règlement anglais63". » Des menaces de disqualifications sont proférées à l'encontre des régatiers français « [...] qui prendraient part à des régates données par nos voisins de l'autre côté de la Manche dans nos propres ports français [...] parce qu'elles sont courues en France sous un autre règlement que celui du congrès de 1899 de l'Union des yachts de France64 ». Les Français ambitionnent alors de promouvoir d'autres règles et notamment un système basé sur les normes américaines déjà développé dans des régates en France. La modernité, l'efficacité de ces références, l'ambition des architectes d'outre-atlantique fascinent. « À plusieurs reprises, les yachtmen anglais ont fait construire, dans ce but, à grands frais des yachts de course perfectionnés ; les Américains leur en ont opposé, chaque fois, un plus rapide encore65 [...]. » Les navigateurs des États-Unis participent d'ailleurs très largement à la fronde anti-britannique : « Les essais sur la formule anglaise n'ont abouti qu'à son rejet par les yachts clubs américains66. » Toutes les occasions sont bonnes pour diminuer la suprématie anglaise67.

  • 68 Sur le plan sportif, la suprématie des yachtmen d'outre-manche a longtemps été incontestable ; par (...)
  • 69 Yachting Gazette, n° 210, 5 juin 1903, p. 297.
  • 70 Par exemple, les dirigeants de la société de Meulan n'autorisent que les membres des seuls clubs p (...)
  • 71 Le Yacht, n° 1159, 26 mai 1900, p. 256.

17Dans ce contexte, la Coupe internationale du CVP trouve sa raison d'être : se dégager de la tutelle anglaise68, voire imposer le joug français au sein des instances internationales de la voile. La présence de skippers professionnels sur les yachts de course anglais est, par exemple, montrée du doigt au point de servir d'alibi à la création de l'épreuve : « Le Cercle de la voile de Paris qui l'ayant bien compris a créé la Coupe internationale qui ne peut-être disputée que par des bateaux montés par des amateurs69. » Les positions des responsables du club parisien au sein du yachting mondial leur permettent également de conforter leur place au sein de la plaisance française70. Les dirigeants du CVP sont, en effet, très investis dans le développement du nautisme et, notamment, dans l'institutionnalisation de la voile en France. Ils ambitionnent que leur club joue un rôle premier dans ce processus. Ce souhait est parfois discuté mais le travail d'unification de la voile qu'ils mènent est largement reconnu et accepté. Les règles adoptées spécifiquement pour la Coupe ne changent en rien ce point de vue. Elles le renforcent même dans la mesure où les Parisiens montrent aux autres navigateurs leur dynamisme et surtout leur détermination à construire un nautisme français, un nautisme fort, référence mondiale. Les membres du CVP donnent ainsi à la plaisance du pays ses lettres de noblesse. « [...] Il y a lieu de penser que les régates de l'exposition [les courses de la Coupe internationale] auront une influence bienfaisante et décisive sur l'avenir du yachting en France71. »

Le modèle de la Coupe de l'America : un symbole de l'ordre du politique

Le choix des règles de régate et leurs justifications

  • 72 Y compris « dans le cas où plusieurs défis auraient été portés, il sera couru autant d'épreuves qu (...)
  • 73 La presse française participe d'ailleurs du même phénomène, parfois de manière subjective (sans ar (...)
  • 74 C'est ainsi que l'on nomme aussi la course de l'America.
  • 75 Les journaux français n'hésitent d'ailleurs pas à railler la suffisance anglaise, son « snobisme » (...)
  • 76 Les courants puissants, qui parcourent le Solent, constituent une difficulté supplémentaire.
  • 77 Yachting Gazette, n° 232, 6 novembre 2003, p. 581 ; dans cet article, le terme de yachtmen qualifi (...)
  • 78 À l'inverse de Meulan, aux portes de Paris, Wight est éloignée des grands centres industriels et d (...)
  • 79 L'illustration, n° 3037, 11 mai 1901.
  • 80 « La Coupe de l'America est l'événement patriotique qui les [les Anglais] passionne et les enfièvr (...)
  • 81 « Le propriétaire, Sir Thomas Lipton, y avait convié sa majesté britannique en personne [...] qui (...)
  • 82 Plusieurs caricatures parues dans Yachting gazette présentent Sir Th. Lipton qui, avant la régate, (...)

18Les exemples sont pluriels qui montrent que les règlements qui régissent la Coupe internationale sont inspirés, en très grande partie, de ceux de la Coupe de l'America. Ainsi, alors que les régates pour voiliers de taille restreinte sont de plus en plus souvent courues sous la forme d'un parcours à réaliser par tous les voiliers ensemble, la Coupe du CVP opte délibérément pour le défi « un contre un72 » comme pour les courses de mer et en particulier celles de l'America. Ce type de rencontre renforce la volonté d'en découdre directement avec l'adversaire ; il favorise, le cas échéant, un jeu métaphorique susceptible de minimiser la puissance anglaise73 en cas de défaite de cette nation. La volonté d'imiter le « pichet d'argent74 » est également présente dans le choix, imposé par les Français, du site de Cowes en cas de victoire des Anglais dans la Coupe internationale. L'article 6 stipule : « Les courses ne pourront avoir lieu qu'à Meulan, Cowes, Anvers, Amsterdam, Copenhague, Barcelone, Gênes, Genève, Pola, Kiev, Stockholm, St-Pétersbourg [...]. » Ces endroits se présentent tous comme des hauts lieux de la navigation internationale ; mais pas seulement. Ce sont, également, des villes où l'élite sociale et économique des pays vit, se côtoie ou aime à se retrouver. De nombreuses régates — des plus prestigieuses — sont organisées à Cowes75 qui offre des possibilités riches de navigation76. La station balnéaire jouit d'une réelle réputation, elle est très appréciée de la grande bourgeoisie et de l'aristocratie anglaises. La presse spécialisée se plaît, d'ailleurs, à mentionner que « le Solent est le meilleur champ entendu qu'il est du point de vue du yachting le point le plus central. En ce qui concerne le commerce et l'industrie, son choix est également avantageux en raison du grand nombre de yachtmen qui y sont réunis77 ». Des raisons qui ne sont pas que sportives ont donc orienté le choix des dirigeants français. Certaines sont néanmoins construites de toutes pièces78 qui obligent à compléter la recherche d'explications. L'île de Wight dénote, avant tout, d'une forte valeur symbolique : elle rappelle aux Anglais les humiliations répétées qu'ils ont subies sur ce plan d'eau dans le cadre des courses de l'America. En 1851, lors de la première édition de cette course lancée sur l'initiative d'un des clubs les plus prestigieux du yachting britannique, le seul engagé américain (la goélette America) a ravi le trophée face à 14 voiliers anglais. « Depuis les Anglais ont essayé en vain de reconquérir cet objet au New-York Yacht Club. [...] À plusieurs reprises, les yachtmen anglais ont fait construire, dans ce but, à grands frais des yachts de course perfectionnés ; les Américains leur en ont opposé, chaque fois, un plus rapide encore79[...]. » Ainsi malgré l'acharnement sportif développé, entre autres par Sir Thomas Lipton, et les sommes colossales dépensées, malgré l'énergie80 mise par l'Angleterre et ses représentants81 pour reconquérir leur défi, la précieuse Coupe reste propriété américaine. Les États-Unis dominent la régate, notamment parce qu'ils sont plus aptes à développer les technologies navales les plus à la pointe du progrès (études et approches scientifiques, expérimentations et modélisations préalables). La presse spécialisée s'empare largement de l'événement et relate l'affront des navigateurs d'outre-Atlantique à leurs homologues britanniques82. La défaite prend, en Grande-Bretagne un ton politique affirmé qui déborde jusque devant la chambre des Communes :

  • 83 Colonel Peel, 22 mars 1852 à la chambre des Communes, cité par Vibart E., « Saga de la plaisance, (...)

« Je m'étonne qu'il n'ait encore été question dans cette assemblée d'un événement qui s'est déroulé sous les yeux même de la Reine [et du prince Albert]. Nous avons grandi dans l'idée que "Britannia rules the waves..." Eh bien, je déclare que la victoire de l'America est une véritable humiliation nationale83 ! »

  • 84 Daryl P. [Paschal Grousset], cité par Vibart E., op. cit.

19Cette référence à « l'America » et aux États-Unis victorieux vient ainsi, de manière symbolique, remettre en cause l'hégémonie sportive mais surtout culturelle, économique et industrielle d'une Angleterre vieillissante longtemps considérée comme la première nation en voile mais surtout comme une puissance maritime. L'événement connaît un fort retentissement en France. « Pour des motivations plus politiques que sportives, les Français applaudissent [...] La victoire imprévue de la goélette America [.] galvanisa le yachting français [.] ce fut un coup de tonnerre dans le ciel gris et monotone du yachting primitif84. »

Les raisons du mimétisme

  • 85 Yachting Gazette, n° 48, 28 avril 1900, p. 144.
  • 86 Le Yacht, n° 1211, op. cit., p. 240.
  • 87 Ce sera d'ailleurs l'objet d'une polémique assez vive que reprend « Yachting Gazette » dans sa liv (...)
  • 88 Yachting Gazette, n° 236, 4 décembre 1903, p. 622.
  • 89 Le Yacht, n° 1207, 27 avril 2001, p. 202.
  • 90 Yachting Gazette, n° 40, 2 mars 1900, p. 76.
  • 91 Yachting Gazette, n° 46, 18 avril 1900, p 131.
  • 92 En témoigne la place qui est faite aux États-Unis à l'Exposition universelle de 1900.

20Ainsi, la Coupe internationale du Cercle de la voile de Paris entre en résonance avec l'événement « américain ». Une victoire française à Cowes permettrait aux navigateurs tricolores d'être associés à l'aura américaine, de renforcer leur prestige, surtout que le lieu leur est techniquement difficile : dans une autre régate organisée sur un site très proche, la presse précisait : « Le champion français se trouve assez sensiblement désavantagé [...] en état d'infériorité sur son adversaire anglais85[...]. » De plus, l'ambiguïté n'est pas permise : un succès français en Angleterre serait bien le résultat du savoir-faire tricolore dans le domaine nautique et la preuve tant espérée de la faiblesse des constructions britanniques. En effet, l'article 13 de la Coupe du CVP stipule qu'« un yacht ne peut-être admis à courir que s'il a été dessiné et construit dans le pays auquel appartient la société dont il bât le guidon86 ». Cette règle reprend à l'identique « l'obligation faite aux compétiteurs [de la Coupe de l'America] que leurs bateaux soient [.] de construction nationale87 [...] » qui a permis d'asseoir la domination américaine à la fois sur l'eau et dans le domaine technique. Les États-Unis représentent la référence à imiter et à laquelle les Français veulent être associés : « Or si le yachting anglais entrait dans la voie où se sont engagés le yachting français et américain88[...]. » La presse fait rapidement la démonstration des bénéfices qu'il y a imiter les Américains : « Il n'est d'ailleurs que juste de noter que c'est en Amérique [...] que la construction commerciale a bénéficié des notions acquises [...] dans le yachting [...] ainsi, nous autres Français, nous pouvons et nous devons concourir à la grandeur de notre pays89. » Le yachting d'outre-Atlantique est devenu un modèle concret et crédible de réussite. Non seulement les navigateurs américains ont détrôné la suprématie anglaise en navigation mais en plus ils l'ont fait en se détachant du joug anglais en matière de construction nautique. « Depuis quelques années, les yachts de construction anglaise que l'on voyait dans les eaux américaines étaient [...] de plus en plus démodés. [...] Le yachting américain ne demandait plus rien à la construction anglaise et au contraire90 [...]. » Une brèche s'ouvre alors pour remettre en cause le monopole des normes anglaises au sein des instances internationales. Les Français espèrent bien en tirer profit pour diffuser leurs propres visions de la pratique et de son organisation : « Il y a là matière à méditer pour ceux qui ne tiennent pas à voir le yachting français se former en unions régionales à l'instar du yachting anglais91. » Ce faisant, ce sont non seulement les valeurs nautiques et sportives mais également l'influence culturelle, économique et industrielle d'une Angleterre vieillissante qui sont battues en brèche au profit de celles des États-Unis. En choisissant de calquer leur régate sur la Coupe de l'America, les dirigeants du CVP accompagnent la montée en puissance des États-Unis dans une France qui est de plus en plus sensible à ce pays92.

Les enjeux politiques ; les relations franco-britanniques

  • 93 Cette affaire de Fachoda restera longtemps gravée dans les esprits français.
  • 94 « Encore une canaillerie des Anglais, comme ils nous boudent du fait de notre sympathie trop manif (...)

21Certes sportifs, les choix opérés par les responsables du club français pour établir les règles de la Coupe internationale du CVP, ont aussi des raisons politiques que le contexte de la fin du xixe siècle vient éclairer. Les États-Unis engendrent, en France, dans les milieux auxquels appartiennent les dirigeants du CVP, une fascination récente par leur dynamisme dans les domaines technologique, commercial et industriel. Bien réelle, cette attraction se développe parallèlement (voire par conséquent) avec l'idée selon laquelle le modèle économique, culturel et social anglais a perdu de son efficacité. Si, comme le précise très justement Maurice Agulhon, il existe « une tradition plusieurs fois séculaire d'antagonisme idéologique, sentimental et souvent matériel (guerrier) entre la France et l'Angleterre », ces positions doivent avant tout être lues à travers le prisme des différents que connaissent les deux voisins dans plusieurs domaines et notamment politique et diplomatique. La concurrence sur le plan colonial conduit à plusieurs contentieux (en 1896 au Siam, à Fachoda en 189893 et à propos de la guerre que mène l'Angleterre avec les Boers)94. La France, parmi d'autres, condamne l'attitude des Anglais dans le conflit du Transvaal. De nombreux articles de la presse spécialisée française, qui rapportent la baisse de vitalité du yachting anglais, l'attribuent aux difficultés en Afrique du Sud :

  • 95 Yachting Gazette, n° 35, 26 janvier 1900, p. 38.
  • 96 Yachting Gazette, n° 55, 15 juin 1900, p. 201.
  • 97 Yachting Gazette, n° 211, 12 juin 1903, p. 309.

22« Il est regrettable que la guerre sud-africaine venant avant la prochaine saison, arrête la construction anglaise95. » Et même si « fortement touché par les guerres sud-africaines96 », « pour des raisons que l'on ne peut continuer à imputer à la guerre du Transvaal et à ses conséquences, le racing anglais n'a pas encore retrouvé sa prospérité d'autrefois97 ».

  • 98 Yachting Gazette, n° 198, 13 mars 1903, p. 135.

23Par ailleurs, les positions du gouvernement français dans l'affaire Dreyfus ont failli conduire les Anglais à renoncer à leur présence à l'Exposition universelle de 1900 à Paris obligeant les Français à envisager, malgré eux, l'annulation de cette manifestation. Sur le plan diplomatique des alliances entre pays de l'occident se nouent et se dénouent. Les journaux nautiques n'hésitent pas à en faire mention notamment en 1903 à la suite des accords conclus entre le Venezuela et la France enfoncée dans le scandale de Panama : « Les États-Unis seraient obligés de se détourner de l'Angleterre [...] et de l'Allemagne [...] pour chercher ailleurs un allié sur qui compter98. » Le jeu complexe qui se construit alors donne une importance non négligeable à des confrontations métaphoriques telles que celles permises par les régates de la Coupe internationale.

  • 99 Yachting Gazette, n° 216, 17 juillet 1903, p. 377.
  • 100 Denis Jallat, op. cit.

24Dans ces conditions, les actions des responsables du CVP et l'invention de leur Coupe s'inscrivent, à n'en pas douter, dans le climat d'anglophobie qui règne en France à la fin du xixe siècle. De nombreux éléments relatés, parfois de manière anodine, par la presse spécialisée étayent cette thèse. Ils revêtent, même, un caractère politique non dissimulé : « Reconnaissons franchement que sur le champ de la politique et du yachting ce sont nos voisins, qui comme à Fontenoy, ont tiré les premiers ; seulement si dans la politique l'entente cordiale peut, dès à présent, fournir d'heureux résultas, il n'en va pas de même dans celui de la navigation de plaisance99. » Cette position étonne dans un milieu social taxé habituellement d'anglophile. Les fils de cette classe sociale sont, effectivement, envoyés étudier en Angleterre ; les mœurs anglaises constituent des références et le libéralisme économique, qui prend naissance outre Manche, est, par ailleurs, souvent considéré comme un modèle. Cependant la société française a changé à la fin du siècle ; d'autres normes émergentes remettent en cause les anciens codes en vigueur au milieu du xixe siècle et dans les milieux aristocrates qui ne sont pas exactement ceux auxquels appartiennent les navigateurs du CVP. Par ailleurs, D. Denis émet l'idée selon laquelle, en imitant le modèle d'un ennemi puissant, on imagine pouvoir capter ses qualités et son pouvoir voire les dépasser. Il explique ainsi pourquoi on se tourne vers l'étranger plutôt que d'innover et d'inventer ses propres formes de pratique. Si on peut légitimement penser que les dirigeants du CVP étaient capables de se référer, voire de créer une tradition française, d'inventer des formes de régates originales et spécifiques, il a semblé à l'époque plus intéressant du point de vue stratégique de prendre modèle en tout point sur la Coupe de l'America. La régate française entre complètement dans ce processus sans pour autant affaiblir l'aura des dirigeants du CVP En effet, ils ont fait preuve d'un engagement réel et intense pour parvenir à leurs fins. Le jeu mimétique intentionnel joué par les Parisiens permet aux navigateurs français de se positionner au sein des instances internationales mais aussi dans la société française comme un groupe en devenir. Désormais leurs idées comptent ; cette classe sociale existe. Ainsi « les rapports de force géopolitiques, n'en sont pas moins indissociablement liés aux phénomènes de puissance100 » ni à ceux du « politique ». Par ailleurs, pour la voile française, il s'agit d'un tournant ; l'activité se détache des modèles et des références anglaises pour affirmer son originalité et son attachement aux normes américaines. Cette étape va favoriser l'achèvement des processus d'institutionnalisation. Comme s'il avait fallu l'identification à un « corps étranger » dont la fascination et la puissance ne font plus de doute, dans le nautisme mais également dans d'autres domaines, pour structurer et mener à bien les volontés d'unifier la voile en France.

Conclusion

  • 101 C'est à dire conforter sa place d'élite dans la société française et donner de la cohérence à ce g (...)
  • 102 Bottomore T., op. cit.
  • 103 Weber M., Le savant et le politique, Paris, 1958.

25L'exemple de la Coupe internationale du Cercle de la voile de Paris a permis d'illustrer la manière dont une manifestation sportive pouvait être utilisée à des fins politiques. Cette régate s'inscrit dans un système à plusieurs niveaux qui offre aux dirigeants du yachting qui l'ont inventée la possibilité de donner une matérialité sociale101 au groupe auquel ils appartiennent. Son organisation, par exemple, oblige à des rencontres, des échanges, des négociations privées avec les personnalités du pouvoir en place. Elle permet également l'expression de positions idéologiques qui sont énoncées parfois sans retenue lors des discours, des conférences, des débats publics dont l'événement nautique est le théâtre volontaire. En ce sens, elle permet de transmettre des idées et des valeurs. Associée, du moins en France, à des foires marchandes, la Coupe internationale vient renforcer la position d'élite économique convoitée par les dirigeants du yachting français, y compris sur la scène internationale et confirme l'hypothèse d'un jeu politique de la part des membres du CVP. Bottomore met en évidence que « le développement de la bourgeoisie sur le plan économique va de pair avec son accession à des postes d'autorité et de prestige dans d'autres sphères, notamment la sphère politique102 » et inversement, la montée en puissance de la bourgeoisie française dans la sphère politique est concomitante avec son développement dans le domaine économique et sa maîtrise de l'espace commercial et industriel international. La place particulière que se forge la bourgeoisie en France dans la société n'est pas sans rapport avec son ascension politique et économique. Ainsi, cette « mise en scène politique » de la régate du Cercle de la voile de Paris correspond effectivement, comme l'exprime Weber, à des « efforts faits en vue de participer au pouvoir ou d'influencer la répartition du pouvoir [...] entre les groupes existants à l'intérieur d'un état103 » (la notion de groupe étant entendue, pour notre part, comme synonyme de classe sociale).

26Cependant, en inventant cette course à la voile, les responsables parisiens ont également d'autres ambitions « plus extérieures » : ils trouvent en effet une occasion de s'opposer à l'Angleterre, nation concurrente sur le plan nautique et surtout culturel et industriel. Ils font également preuve d'une américanophilie sans retenue. Pour dominer l'espace du yachting international, une dualité frontale se développe qui met aux prises les Anglais avec les autres nations, par exemple à propos des règles de construction que les premiers imposent à toutes les autres nations. Dans un contexte où la nouvelle bourgeoisie française, à laquelle les dirigeants du CVP appartiennent, pour être moderne, montre une admiration sans borne pour tout ce qui se développe outre-Atlantique, il est intéressant de remarquer que les règles de la Coupe du CVP ont imité en de nombreux points la régate de l'America dans laquelle les Anglais sont menés par les navigateurs américains depuis sa création. Ces éléments mis au grand jour offrent, en effet, un cadre interprétatif intéressant pour comprendre les choix effectués par les dirigeants du club français à propos de leur régate. Ainsi, ce « mimétisme » qui s'appuie sur des éléments d'ordre géosymbolique n'est pas neutre. Il démontre, de fait, l'« intention politique » mise en œuvre et révèle l'idéologie que vient masquer l'univers nautique.

Notes

1 Parmi eux citons Defrance Jacques, dont les travaux sur les rapports entre le sport et la politique sont nombreux : « Henri Pathé et l'engagement de l'État dans le champ de l'éducation physique et des sports », Cahiers d'histoire, nov. 2002, p. 55-79 ; « La politique du sport », Sciences sociales et sports. États et perspectives, actes du colloque de Strasbourg, 1987, p. 106-110 ; « La politique de l'apolitisme », Politix, 2002 mais également Martin J.-L., La politique de l'éducation physique sous la Ve République : enseignement secondaire ; l'élan gaullien 1958-196, Paris, 1992 ou encore les travaux des auteurs dans Loudcher J.-F., Vivier C., Dietschy P, Renaud J.-N., (textes réunis par), Sport et idéologie, Besançon, 2002.

2 Pour la France : Corbin A. et coll., Les usages politiques des fêtes au xixe et xxe siècle, Paris, 1995. Agulhon M., Marianne au combat : l'imagerie et la symbolique républicaine de 1789 à 1880, Paris, 1979.

3 La question politique est très souvent abordée dans la littérature sociologique et historique anglo-saxonne.

4 Citons Arnaud P., Les athlètes de la République ; Gymnastiques, sports et idéologies républicaines, Toulouse, 1987, voir également les travaux d'André Gounot sur les Spartakiades internationales.

5 Les éléments matériels ou les rituels (accrochage de drapeaux, langage et connotations des corps mis en scène, noms des sociétés, présence dans les tribunes de notabilités locales voire nationales, patronage de la manifestation par des groupements politiques, adhésion des dirigeants voire des sportifs aux institutions politiques, organisation et déroulement de la manifestation...).

6 Tout ne se résume cependant pas à « des intentions politiques systématiques » ; dans de nombreux cas, il convient de distinguer ce qui appartient à la culture sportive de ce qui est artificiellement injecté dans le sport pour diffuser des croyances.

7 Entre autres sociale et économique ; domaines dont on ne peut contester qu'ils tissent des liens intimes et organiques avec le politique. Nous renvoyons à la lecture de Bottomore T., Élite et société, Paris, 1967.

8 Des sujets comme par exemple « les bateaux à dérive », « les voiles et les gréements Houari »... sont abordés ; on discute de la transformation des formes des yachts de course, de la nécessité de tester des règles de régate pour les faire évoluer.

9 Par exemple « le transport de commerce », « la flotte de guerre de la France » ; une causerie est organisée pour expliquer comment la flotte de plaisance américaine a joué un rôle important pour compléter la marine de guerre du pays qui ne possède ni torpilleur, ni destroyer (Yachting Gazette, 7 janvier 1899). On aborde des thèmes en rapport avec les politiques maritimes menées en France et en Angleterre ou liés à la réglementation en matière d'échanges économiques par mer. Les questions de diplomatie entre les grandes puissances maritimes ne sont pas absentes des débats. Des sujets, plus éloignés de l'univers nautique (peinture, poésie et littérature, conférences sur les bienfaits de telle ou telle invention technologique.) sont également au programme.

10 Il faudrait d'ailleurs questionner la réalité de ces deux points. En effet, la Coupe reste longtemps une opposition exclusive entre la France et l'Angleterre que l'intention de l'Italie d'y participer en 1902 ou le désir « d'assister à une lutte entre les champions de ces trois pays [...] le yachting allemand ayant fait de grand progrès depuis quelques années » (Yachting Gazette, n° 52, 25 mai 1900, p. 177) vient à peine nuancer.

11 Les instances nautiques françaises militent pour des régates sur plan d'eau intérieur qui prennent le contre-pied des grandes régates de mer ; ils proposent des courses organisées sous la forme d'un parcours à réaliser où tous les concurrents s'élancent en même temps (contrairement au défi qui s'organise sous la forme du 1 contre 1) et dans lesquelles tous peuvent participer (contrairement au défi où les concurrents sont acceptés ou rejetés par le club détenteur du trophée).

12 D'autres régates, courues sur des règlements plus communs, sont fréquentées par les yachtmen étrangers.

13 Inscrits par ailleurs dans les grandes régates citées.

14 Si les régatiers français dominent la Coupe d'Italie, en revanche, ils ne participent pas à la Coupe de l'America.

15 Girard R., Du mimétisme à l'hominisation ; la violence différente ; et aussi Girard R., Les origines de la culture, Paris, Desclée de Brouwer, 2004.

16 Denis D., De la volonté de transformer l'institution scolaire ; Hypothèses d'école sur l'immobilité et le mouvement (1878-1911), vol. 1, Diplôme d'HDR soutenu à l'université Paris V, 2002.

17 Sur l'eau mais aussi au niveau des normes qui s'imposent à tous.

18 C'est une des raisons qui expliquent que les membres du CVP ont pris le risque d'adopter un système qui va à l'encontre de ce qu'ils tentent de développer en France, prenant modèle sur les grandes régates de mer et adoptant un système proche des normes anglaises.

19 « Le trophée demeure la propriété du club parisien qui impose ses règles. » Un autre article du règlement précise d'ailleurs que les règles ne peuvent être modifiées que si les Français sont organisateurs de l'épreuve.

20 Les Anglais qui lancent le premier défi à la France, par l'intermédiaire de M. FW. L. Poham membre du Island Sailing Club de Cowes, chercheront à modifier les modalités de course ; ils n'obtiendront gain de cause que sur des questions mineures : de manière exceptionnelle, le nombre de manches courues pour la première édition est augmenté eu égard au faible vent qui souffle sur le bassin de Meulan.

21 Le règlement prévoit effectivement que les régates soient organisées par le pays dont le club a gagné l'édition précédente (voir infra).

22 En 1903 à la suite de leur victoire sur les Anglais les navigateurs du club parisien vont imposer un changement dans le type de bateau autorisé à courir. Des raisons économiques peuvent être avancées, mais il s'agit surtout de remettre en cause la suprématie sportive des Anglais dans l'ancienne jauge, et surtout de critiquer les règles de construction d'origine anglaise qui s'imposent au yachting international.

23 Le Yacht, n° 1222, 10 août 1901, p. 380.

24 En 1899 contre M. FW. L. Poham membre du Island Sailing et en 1900 contre M. Lorne Currie « un yachtman anglais qui habite au Havre » du Royal temple Yacht Club.

25 À terre, il n'en est pas de même, cf. infra.

26 Nous renvoyons à la lecture de Beünard B., « La "plaisance" et les régates à Marseille au xixe siècle », Terret T. (sous la dir. de), Histoire des sports, Paris, 1996, p. 219-235.

27 Des régates ont animé les foires industrielles par exemple, lors des expositions universelles de 1867, 1878 et 1889.

28 Le Yacht, n° 1156, p. 211.

29 Ibid.

30 Le Yacht, n° 1159.

31 La forme du défi choisie par les Parisiens est chère aux milieux économiques auxquels appartiennent les membres du CVP ; elle favorise le libéralisme, l'initiative privée. En adoptant ce type de course, les inventeurs de la Coupe internationale présentent leurs ambitions et notamment les idéologies (économiques) qui les animent.

32 On peut citer par exemple outre More L., messieurs Breguet (horloger et industriel de la micro précision), de Rothschild, Legru, Rousselet (banquiers), Tellier (propriétaire d'un grand chantier naval), Valton, Vuillaume « dans les affaires » ou encore Henri et Gaston Menier « qui dirige une des premières maisons industrielles et siège au palais Bourbon », Yachting Gazette, n° 196, 27 février 1903, p. 116.

33 Le Yacht, n° 1179.

34 Les journaux rendent compte des courses nautiques ; ils mentionnent également la présence d'invités allemands, russes, américains.

35 Dreyon A., Les Jeux olympiques oubliés : Paris 1900, Paris, éd. CNRS, 2000, 218 p.

36 Yachting Gazette, n° 241, 8 janvier 1904, p. 686.

37 Le Yacht, n° 1157 du 12 mai 1900, p. 220.

38 Les transformations de la société française dans le contexte économique, politique et culturel particulier de la fin du xixe siècle ont, sans conteste des répercussions sur la composition des groupes sociaux et leur position dans la société (et vice-versa). Dans le sport, ces changements ont favorisé l'émergence de nouveaux modèles identificatoires qui, par le biais de logiques différentes de celles qui prévalaient jusqu'alors, participent à la mise en place de nouvelles formes sportives.

39 Voir à ce sujet Charle C., Histoire sociale de la France au xixe siècle. Paris, 1991.

40 Lire les travaux Pinçon M., Charlot M., Sociologie de la bourgeoisie, Paris, 2000, ou Pinçon M., Charlot M., Grandes fortunes, dynasties familiales et forme de richesse en France, Paris, 1996.

41 Il s'agit alors d'imposer sa vision des choses. Les conséquences sont plurielles qui engendrent des modifications importantes de la société en même temps que ces dernières lui permettent d'asseoir sa position et de renforcer sa domination.

42 Le Yacht, n° 1156, 5 mai 1900, p. 211.

43 La Coupe internationale est conçue dans ce sens : il s'agit d'un défi qu'une nation lance à une autre par l'intermédiaire d'une société nautique. Les enjeux sont à la fois sportifs mais aussi technologiques.

44 Les conséquences de la seconde révolution industrielle sont importantes.

45 À la fin du xixe siècle, la position des élites dans la société passe par leur rayonnement international, notamment en ce qui concerne le domaine économique, culturel et surtout social.

46 Avant l'invention de la Coupe internationale, les dirigeants du CVP ont déjà eu à négocier avec le pouvoir en place ; mais souvent, ils sont en position de demandeur. Par exemple en 1896, ils ont pris la défense des plaisanciers pour faire supprimer un impôt visant à taxer les objets de luxe comme les yachts. De même que pour répondre aux exigences imposées aux sociétés et cercles sportifs, ils nouent des contacts avec des personnalités politiques (Félix Faure est, par exemple, président d'honneur d'une société nautique).

47 Le Yacht, n° 1184, p. 555.

48 Le Yacht, n° 1211, 25 mai 1901, p. 245.

49 Yachting Gazette, n° 193, 6 février 1903, p. 62.

50 Defrance J., « La politique de l'apolitisme. Sur l'autonomisation du champ sportif », Politix, vol. 13, n° 50, p. 13-27.

51 Ibid.

52 La citation qui suit renforce la démonstration : « Lorsque sur nos plages je vois arriver des yachts anglais ou américains qui écrasent par leur taille et leur magnificence ceux plus modestes pour la plupart de nos nationaux, je ne mesure pas la puissance maritime des États à la valeur de leurs bateaux [...] mais je comprends tout de suite la puissance du capital engagé dans les affaires maritimes », Yachting Gazette, n° 246, 12 février 1904, p. 301.

53 Ils remporteront également l'édition de 1902 mais échoueront à nouveau en 1903, face aux Français.

54 Voir infra.

55 Il conviendrait de réaliser une histoire plus détaillée de ces élites (statut, formation, ambitions, besoins et nécessités sur le plan social mais aussi économique et politique). Nous renvoyons, entre autres, à la lecture de Guttsman et Scott, 1963, cité par Bottomore T., op. cit.

56 « [.] La façon d'entendre le sport en Angleterre n'a rien de commun avec celle de l'envisager en France » ; les ambitions des yachtmen anglais sont exclusivement sportives : « En Angleterre, un propriétaire prend part à toutes les régates [.] et lorsque le programme d'une région est épuisé, le yacht est envoyé ailleurs où il continue sa saison de course », Yachting Gazette, n° 46, 18 avril 1900, p. 125.

57 Il y a un lien de réciprocité entre les deux enjeux.

58 Système de règles imposées pour la construction d'un bateau de régate.

59 Il est vrai que les Anglais sont de plus en plus souvent battus par d'autres régatiers notamment dans les compétitions qui ne sont pas courues suivant leur règlement.

60 Yachting Gazette, n° 51, 18 mai 1900, p. 171.

61 Yachting Gazette, n° 41, 9 mars 1900.

62 Les Français oscillent néanmoins entre se soumettre aux règles anglaises parce que la Grande Bretagne jouit d'une aura dans le milieu nautique et d'une autorité en la matière ou mettre à bas le joug anglais. Lors des régates de la Coupe internationale, ils sont tour à tour fascinés par la classe des navigateurs anglais : « Ne voulant pas vaincre sans gloire, [il/un bateau anglais] refusa de faire le parcours », Yachting Gazette, n° 51, 18 mai 1900, p. 170, respectueux de l'héritage anglais : « Comme notre sport à toujours été lié en relation étroite avec le yachting anglais dont, au début, il a été une émanation [...] », Le Yacht, n° 1267, 21 juin 1902, p. 296, mais aussi capables de dénigrer les yachtmen anglais : « D'une façon générale, nous ne faisons pas aussi élégants que les Anglais en matière de bateaux de course [...] mais plus efficace », Yachting Gazette, n° 59, 13 juillet 1900, p. 250.

63 Yachting Gazette, n° 216, 17 juillet 1903, p. 378.

64 Yachting Gazette, n° 208, 22 mai 1903, p. 273.

65 L'Illustration, n° 3037, 11 mai 1900.

66 Yachting Gazette, n° 55, 15 juin 1900, p. 202.

67 La presse y participe largement : lors des deux victoires françaises (1899, 1900) elle a pris soin de mentionner la bravoure des régatiers français, l'énergie qu'ils ont mise pour acquérir la victoire malgré un bateau moins performant, l'équité de la compétition ; en revanche, à l'occasion de la défaite du clan parisien, elle souligne la malchance du bateau tricolore, son fair-play, la différence des moyens mis en œuvre.

68 Sur le plan sportif, la suprématie des yachtmen d'outre-manche a longtemps été incontestable ; par ailleurs, les règles de course, les jauges, les formes de régate sont souvent pensées par les Anglais et imposées à tous. Dès lors, à la fin du xixe siècle de nombreuses initiatives sont tentées en France pour détrôner la présence hégémonique des Anglais : des bateaux faisant référence aux normes américaines ont été construits ; ils battent régulièrement les « cutter » anglais. Néanmoins les navigateurs britanniques restent des références à battre.

69 Yachting Gazette, n° 210, 5 juin 1903, p. 297.

70 Par exemple, les dirigeants de la société de Meulan n'autorisent que les membres des seuls clubs placés « sous sa protection » à prendre part aux régates sélectives pour défendre le trophée contre les Anglais (Yachting Gazette, 7 janvier 1899, p. 9). Par ailleurs, la compétition favorise la mise en chantier d'une douzaine de bateaux construits pour l'occasion (Yachting Gazette, 13 mars 1899, p. 61) ; le club prend ainsi une importance particulière dans le secteur de l'économie nautique.

71 Le Yacht, n° 1159, 26 mai 1900, p. 256.

72 Y compris « dans le cas où plusieurs défis auraient été portés, il sera couru autant d'épreuves que de yachts engagés », art. 15 du règlement de la Coupe internationale du CVP.

73 La presse française participe d'ailleurs du même phénomène, parfois de manière subjective (sans argument ni preuve) : elle grossit certains traits de la régate, prend parti pour les yachts français, minimise les victoires anglaises, ridiculise les Britanniques. Elle renforce également le mérite des Français voire souligne les qualités des Anglais, leurs efforts vains pour donner plus de grandeur au concurrent français.

74 C'est ainsi que l'on nomme aussi la course de l'America.

75 Les journaux français n'hésitent d'ailleurs pas à railler la suffisance anglaise, son « snobisme » à l'égard du plan d'eau et des sociétés nautiques qui sont installées sur l'île de Wight.

76 Les courants puissants, qui parcourent le Solent, constituent une difficulté supplémentaire.

77 Yachting Gazette, n° 232, 6 novembre 2003, p. 581 ; dans cet article, le terme de yachtmen qualifie principalement des propriétaires de canot automobile ; la voile semble moins la préoccupation des industriels anglais.

78 À l'inverse de Meulan, aux portes de Paris, Wight est éloignée des grands centres industriels et difficile d'accès ; les possibilités d'y organiser des événements commerciaux ou des échanges officiels sur ces questions apparaissent surfaites ; de plus l'évocation publique de questions qui ont à voir avec l'économie et la politique est difficile dans un lieu de villégiature ; il n'en demeure pas moins que l'on peut supposer que des liens informels se sont sans doute tissés entre ceux qui fréquentaient l'endroit.

79 L'illustration, n° 3037, 11 mai 1901.

80 « La Coupe de l'America est l'événement patriotique qui les [les Anglais] passionne et les enfièvre [...] », Yachting Gazette, n° 203, 17 avril 2003, p. 212. Sir Th. Lipton propose de remplacer l'America par une traversée de la Manche « qui serait le plus sûr moyen de mettre en évidence les qualités de construction que peuvent revendiquer nombre de constructeurs [anglais] et d'aplanir les difficultés qui désavantagent les yachts anglais », Yachting Gazette, n° 229, 16 octobre 2003, p. 537.

81 « Le propriétaire, Sir Thomas Lipton, y avait convié sa majesté britannique en personne [...] qui s'était empressé d'accepter l'invitation [...] », L'illustration, n° 3040, 1er juin 1901, p. 361. « Ce n'est pas ici un prince [...] pouvant satisfaire ses goûts à sa guise, mais le roi qui porte tout le poids des grandes affaires de son empire », Le Yacht, n° 1211, 26 mai 1901, p. 245.

82 Plusieurs caricatures parues dans Yachting gazette présentent Sir Th. Lipton qui, avant la régate, se moque des méthodes de construction navale : « Dans les bars, les constructeurs américains tout en causant de choses et d'autres taillent avec leur couteaux de grands morceaux de bois de sapin ; les morceaux de bois de sapin n'étaient autre chose que des modèles de leur navire », L'illustration, n° 3042, 7 juillet 1900, p. 12-13. Quittant après sa défaite l'Amérique : « Try again, Mr Lipton ! », Yachting Gazette, n° 118, 30 août 2001.

83 Colonel Peel, 22 mars 1852 à la chambre des Communes, cité par Vibart E., « Saga de la plaisance, 150 ans de techniques et de passions », Voiles et Voiliers, hors série n° 12.

84 Daryl P. [Paschal Grousset], cité par Vibart E., op. cit.

85 Yachting Gazette, n° 48, 28 avril 1900, p. 144.

86 Le Yacht, n° 1211, op. cit., p. 240.

87 Ce sera d'ailleurs l'objet d'une polémique assez vive que reprend « Yachting Gazette » dans sa livraison n° 209 du 29 mai 1903, p. 291, « [...] la voilure de Reliance [bateau américain] qui a été confectionnée par les ateliers Ratsey (GB) [pourtant] établis depuis l'an dernier aux États-Unis. De ce côté de l'Atlantique on rétorque que Shamrock [bateau anglais] a des poulies américaines ».

88 Yachting Gazette, n° 236, 4 décembre 1903, p. 622.

89 Le Yacht, n° 1207, 27 avril 2001, p. 202.

90 Yachting Gazette, n° 40, 2 mars 1900, p. 76.

91 Yachting Gazette, n° 46, 18 avril 1900, p 131.

92 En témoigne la place qui est faite aux États-Unis à l'Exposition universelle de 1900.

93 Cette affaire de Fachoda restera longtemps gravée dans les esprits français.

94 « Encore une canaillerie des Anglais, comme ils nous boudent du fait de notre sympathie trop manifeste pour le peuple Boers [...] », L'Illustration, n° 3006, 6 octobre 1900, p. 215.

95 Yachting Gazette, n° 35, 26 janvier 1900, p. 38.

96 Yachting Gazette, n° 55, 15 juin 1900, p. 201.

97 Yachting Gazette, n° 211, 12 juin 1903, p. 309.

98 Yachting Gazette, n° 198, 13 mars 1903, p. 135.

99 Yachting Gazette, n° 216, 17 juillet 1903, p. 377.

100 Denis Jallat, op. cit.

101 C'est à dire conforter sa place d'élite dans la société française et donner de la cohérence à ce groupe social, le faire exister.

102 Bottomore T., op. cit.

103 Weber M., Le savant et le politique, Paris, 1958.

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