37 études critiques : littérature générale, littérature française et francophone, littérature étrangère
|Littérature générale
La bipartition fondamentale des récits merveilleux
Texte intégral
I - LE CLIVAGE
1'Le monde merveilleux n’est pas notre monde. " Tel est le postulat primordial de tout récit merveilleux : il y a notre monde ; mais il y a aussi un autre monde.
2Il est sans doute des romans réalistes qui se bornent à décrire avec minutie l’univers sensible qui nous entoure, - le seul supposent-ils… Mais, en face d’eux, il est d’autres récits qui prétendent acheminer leur héros vers un "ailleurs".
3Car, nous disent les contes, ce monde qui frappe nos yeux n’est pas le seul, ni n’est la seule vie cette vie terrestre, terre-à-terre, quotidienne. Quelque part, ailleurs, par delà des régions ignorées et infranchissables, loin peut-être dans l’espace ou dans la durée, au bout du monde qui sait ?, ou tout près peut-être, invisible, règne un autre univers habité par des puissances supérieures, bienveillantes ou terribles. Bref, un monde merveilleux ou fantastique, meilleur ou surnaturel, un monde extraordinaire ou irrationnel, plus redoutable aussi parfois, en tout cas différent du nôtre.
4Cet au-delà, sans doute espérons-nous y accéder après la mort. Mais, disent les contes, il est arrivé que, dès cette vie, quelque pèlerin égaré ou chanceux a découvert le point de tangence ou la brèche par où s'infiltrer dans cet espace féerique, en a forcé le seuil redoutable, s'y est fait admettre avec son corps de chair et y a survécu dans un séjour durable.
5Toutes les littératures comptent nombre de ces récits qui décrivent des voyages fabuleux, des légendes, des mythes, où les héros se lancent à la quête de merveilles d'un autre monde ou de l'Autre Monde.
6Bref, face aux romans réalistes voués à épuiser le détail de notre monde familier, les récits merveilleux et fantastiques nous proposent, par leur nature même, un autre monde extraordinaire, enchanté ou hanté, un univers second qui régnerait au-delà.
7Ainsi, dès le principe, tout récit merveilleux, est basé sur le clivage, sur une bipartition du monde entre deux univers antithétiques qui en forment les deux pôles essentiels : l'en-deçà d'une part, le monde banal, ordinaire, familier ; et l'au-delà d'autre part, le monde extraordinaire, enchanté, féerique.
8D'entre ces mondes, l'un est généralement considéré comme néfaste, triste, ou à tout le moins neutre, incolore : l'en-deçà se présente le plus souvent comme un monde de détresse, tandis que l'au-delà apparaît comme faste, coloré de tous les prestiges et prodiges de la merveille.
9A moins qu'à ce monde terne, incolore, à quelque en-deçà trop tranquille, ne réponde la fascination et l'effroi émerveillé, l'angoisse délicieuse devant l'univers troublant du fantastique : sites d'horreur sacrée où rôdent, on le pressent, d'inquiétantes puissances. L'ambivalence est d'ailleurs fréquente : comme Janus, le féerique a souvent deux faces, l'une enchantée par la merveille, l'autre hantée par le monstre…
10Cette bipartition entre deux univers antithétiques va entraîner aussi tous les autres thèmes fondamentaux du merveilleux - et du fantastique. De ce Clivage entre un En-deçà banal et un Au-delà fabuleux naîtra nécessairement la Frontière qui les sépare ; ainsi que l’Itinéraire qui, de l'un, peut mener à l'autre ; et de là naîtront tous les motifs consacrés qui jalonnent cet itinéraire.
II - LES FORMES DE CLIVAGES
11L'homme aime ces dichotomies. Son esprit s'est toujours plu à partager le monde : le Bien et le Mal, la Lumière et la Nuit, la Matière et l'Esprit, le Corps et l'Âme, la Raison et la Foi, la Vie et le Rêve, le banal et le merveilleux, l'avilissement et l'extase…
12Ce ne sont pas les seules antithèses. Les exigences fabulatrices de telle ou telle intrigue entraîneront bien d'autres formes encore pour concrétiser, ou symboliser, ce clivage essentiel du merveilleux. Ces diverses formes peuvent se grouper en plusieurs catégories.
A. La Matière et l'Esprit
13S'opposent d'abord l'ordre matériel des choses et l'élan spirituel, les créatures concrètes de chair et les entités ou les sites surnaturels qui les dépassent. Ainsi, c'est le monde visible de la terre et le monde invisible des Esprits selon l'Aurélia de Gérard de Nerval ; c'est la vallée de misère et le Paradis céleste dans la Divina Commedia de Dante ; – ou un paradis terrestre en rupture avec la campagne commune dans l'Âne Culotte de Henri Bosco. C'est encore le continent banal et les îles merveilleuses des Fées dans les épopées celtiques ; – la Terre profane et la Terre Sainte ; – un lieu d'exil, d'esclavage et la Terre promise dans la Bible ; - le monde ordinaire et ce que Théophile Gautier appelle "l'extramonde" ; - les vaines agitations de la vie du siècle opposées au silence de la vie contemplative, comme on le trouve dans l'Antiquaire de Bosco, voire dans la Duchesse de Langeais de Balzac ; - la voie grossière du monde rationnel contrastant avec la voie subtile de l'univers magique, comme l'ont cm Charles Nodier, Théophile Gautier et même un Oppenheimer, un Guy Breton.
B. Le Monde inversé
14Parfois le conteur se plaît à décrire ou à imaginer quelque univers inversé par rapport au nôtre. C'était déjà le cas dans la chante-fable d'Aucassin et Nicolette au moyen âge, qui, en antithèse au monde normal, imaginait un royaume de Torelore où tout s'inversait, où c'était les femmes qui faisaient la guerre, les hommes qui accouchaient, etc. On le retrouve, mais autrement, dans Alice de l'autre côté du miroir de Lewis Carroll, où la chambre au-delà du miroir est l'inverse de celle qui se trouve en-deçà ; il en est de même dans les Orphée de Jean Cocteau. Maintes fois l’on opposera notre froide Europe aux saisons inversées des antipodes comme dans le Jardin de Paradis d'Andersen ou dans le Mariage de Loti de Pierre Loti.
15Pareils clivages se retrouveront dans la fiction scientifique. C'est le cas dans l'Antimonde de Maurice Limat, monde formé d'antimatière et qui s'anéantit s'il rencontre le nôtre. C'est le cas de Colomb de la Lune de René Barjavel où, dès que l'on dépasse la barrière du zéro degré absolu, l'état des corps s'inverse du tout au tout : l'homme devient femme, le Blanc devient Noir, le dessus le dessous, le nord le sud, etc. Et l'on a plusieurs fois imaginé, en renversement de notre système solaire, quelque "soleil noir d'où rayonne la nuit".
C. La Terre partagée
16Mais le récit merveilleux ne requiert pas toujours de pareils extrêmes. Ce clivage concrétise parfois plus simplement en certains sites terrestres qui, si réalistes qu'ils paraissent, cachent cependant sous ce voile leur symbolisme mythique.
17Ce sera le petit village assez terne qui se démarque du domaine enchanté, du château où se déroule la Fête étrange, tels que les découvrira le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier. C'est la campagne cultivée affrontée à la forêt sauvage, comme dans la Forêt perdue de Maurice Genevoix ou dans Il Segreto del Bosco Vecchio de Dino Buzzati, ou à la clairière merveilleuse où se perdent les Disparus d'André Dhôtel. C'est la vallée habitée, amène, des villages de la plaine, confrontée à la montagne, plus âpre, plus solitaire, comme on le voit dans l'Habitant de Sivergues de Henri Bosco. C’est la fourmilière des métropoles en regard de la solitude du désert. Ou la routine des cités, antinomique des sites naturels préservés, tel l'Honorable Monsieur Jacques d'A. Dhôtel. C'est aussi, opposée à la surface engourdie de la terre, la grotte enfouie où Alice descend au Pays des Merveilles, ou le royaume souterrain qui se révèle au Riquet à la Houppe de Perrault comme aux héros du Gouffre de la Lune d'Abraham Merritt. Terres émergées encore face aux Cités englouties comme la légende bretonne de la ville d'Ys, ou l'Olympe grec devenu pays sous-marin dans le Récif d'Henri Bosco.
18Dans un autre registre, ce sera encore le climat de grisailles du nord contrastant avec les ciels colorés du sud, tels qu'on les rencontre dans Comme le temps passe… de Robert Brasillach. Ce sera la Sagesse spirituelle de l'Orient confrontée aux techniques scientifiques de l'Occident, comme on le trouve dans Avatar de Théophile Gautier. Et, dans les « opéras spaciaux » de la science-fiction, ce sera notre Terre se différenciant à maints égards des autres planètes, voire des autres Galaxies…
D. Les Clivages du Temps
19À tous ces clivages de l'espace répondent également des clivages du Temps. Ainsi, des jours de cendres peuvent contraster paradoxalement avec des nuits de lumière, tels qu'on les trouve non seulement dans la Cendrillon de Perrault, mais aussi dans la Morte Amoureuse de Théophile Gautier, et dans le Voyage aux Enfers du siècle de Dino Buzzati.
20Ce peut être le présent confronté au passé : à savoir toutes les Machines à remonter le Temps depuis celle de H.G. Wells ; mais aussi un récit comme Iñes de las Sierras de Charles Nodier. Ou, inversément, toutes les anticipations de la fiction scientifique où le futur s'affronte au présent, comme dans 2001 l'Odyssée de l'Espace d'Arthur C. Clarke. Tous les sites, terrestres ou sidéraux, où le Temps se met à couler selon un autre rythme, se ralentit ou s'accélère, depuis la Navigation de Bran, avec la Terre des Fées où le temps n'existe plus jusqu'à la She de Rider Haggard, ou la lointaine planète de jouvence où le temps coule au ralenti comme dans Le Grand Marginal de B.-R. Bruss. Voire les récits où s'opposent le Temps et l'Eternité.
E. Le Conflit des logiques
21À ces clivages de l'espace, à ces contrastes du temps, répond aussi parfois l'antinomie des logiques. C'est le propre des récits fantastiques : le heurt de deux versions des mêmes faits, versions toutes deux attestées, toutes deux authentiques, et cependant rigoureusement, irréductiblement incompatibles entre elles.
22C’est le cas, dans le Perceval de Chrétien de Troyes, du manoir du Graal, à la fois tout proche et lointain. C'est le cas dans le Diable amoureux de Jacques Cazotte où, morte de chagrin, la mère du héros l'accueille cependant, où la soeur de sa nourrice fut à la fois bien portante sur la route et malade chez elle, où il assista à des noces dans la ferme d'un duc qui n'y eut jamais de ferme. Ce sont toutes les aventures inconciliables qui jalonnent le Manuscrit trouvé à Saragosse de Ian Potoki. C'est, chez Charles Nodier, le domaine de Trésor des Fèves et Fleur des Pois, qui s'agrandit, mais sans en diminuer en rien, au contraire, les parcelles voisines ; ou la maisonnette de la Fée aux Miettes, minuscule à l'extérieur, mais, à l'intérieur, vaste comme un palais avec pièces immenses et jardins où se perdre.
23On pourrait citer aussi ces deux romans de Henri Bosco : Hyacinthe et le Jardin d'Hyacinthe, où de mêmes personnages, aux mêmes dates vivent deux aventures rigoureusement incompatibles entre elles.
24C'est, en science-fiction, le Monde des À de A. E. Van Vogt, monde opposé à la logique aristotélicienne, où le héros porte un nom que, dans son village, personne ne porte, où il est à la fois célibataire et marié, où son épouse, morte un mois plus tôt, fut encore vue la veille, où leur très simple maison est un palais mondialement célèbre, comme est inexistante sa famille mondialement célèbre…
25C'est une brèche non plus dans l'espace ou le temps, mais dans la rationalité du monde, dans le principe de non-contradiction, quand des contraires, voire des contradictoires, peuvent être vraies en même temps et sous le même rapport. "Il existe un point où…" C'est "le prodige.. qui s'attaque à la stabilité du monde", comme le dit très bien Roger Caillois.
L'Escamotage
26L'un des motifs les plus remarquables de ce fantastique est le thème de l'escamotage. Il s'agit de personnes ou de choses qui, tout ensemble, existent et n'existent plus, n'ont jamais existé.
27Un bon exemple s’en rencontre dans "les Vieux clandestins", un récit recueilli dans le Rêve de l'Escalier de l'écrivain italien Dino Buzzati. Dans la boutique d'un opticien, un Japonais se fait prêter des lunettes capables de voir la mort proche sur le visage des gens. Il revient aussitôt ; et non seulement il ne retrouve plus la boutique de cet opticien, mais celle-ci n'a jamais existé dans cette me. Autrement dit, il y a deux mondes : celui où la boutique existe ; celui où elle n'existe pas.
28Un exemple différent illustre la Otra Muerte, un des récits joints à l'Aleph de l'Argentin Jorge Luis Borges. Le personnage principal réussit par miracle à remonter le temps pour pouvoir substituer, au cours d'une bataille passée, un acte héroïque à sa lâcheté d'alors. Et même les souvenirs des témoins seront corrigés en ce nouveau sens. Ce sera le thème fréquent des deux mondes parallèles, qui permettrait d'écrire deux histoires universelles différentes. Concernant non plus la durée mais l’espace, le même Borges évoque dans Ficciones un pays absent de toutes les cartographies et que décrirait seul l’exemplaire unique d'une encyclopédie : le Tlön Uqbar Orbis Tertius.
29Dans l'Ombre venue de l'Espace aussi, de Howard Philips Lovecraft, des personnages, des souvenirs, se trouvent pareillement effacés, escamotés, inexistants.
30Mais les exemples les plus significatifs sont fournis par deux textes de science-fiction : Domaine interdit de Philip McDonald et Escamotage de Richard Matheson, où un personnage perd son identité, est anéanti a posteriori, annulé dans tout son passé, son image même extraite de la photographie de groupe prise de sa classe à l'école, et où même le site de la maison où il a vécu toute enfance a toujours été occupé par un parc. Il existe ; il a existé ; et il n'a jamais existé.
31Et dans le Manuscrit français de Jean Ray, le narrateur a découvert une impasse inconnue s'ouvrant entre deux maisons. Mais, dans la topographie "réelle", ces deux maisons se trouvent collées l'un à l'autre. Il pénétrera dans cette impasse ; il y découvrira un monde inconnu. C'est bien là une brèche dans la vision normale du monde, l'existence de deux géographies, toutes deux réelles, mais inconciliables : le monde tel que nous le voyons tous et, derrière celui-ci, un autre monde que seul entrevoit, par une faille, quelque privilégié. D'où le sentiment de désarroi qui saisit l'esprit absolument déconcerté devant ces insolubles contradictions..
G. Les Formes multiples
32Que de formes d'opposition donc ! On ne saurait les énumérer toutes. Il n'en est guère qui n'ait trouvé son chantre ; et l'imagination des conteurs ne sera jamais en peine d’en forger de nouvelles. Mais, quelque aspect particulier qu'affecte ce clivage selon telle ou telle affabulation, reste toujours que toute intrigue de ce genre n'échappe guère à cet impératif structurel du conte merveilleux : la bipartition du monde.
33Est-ce-à-dire qu'il y faille toujours des mondes très lointains ou très différents ? - Que non ! Il suffit d'une ferme voisine que seuls séparent un ru, une haie, une borne indistincte (comme on le voit bien dans le Mas Théotime de Henri Bosco). Il suffit que ce soit en-deçà ou au-delà de telle limite, proche ou lointaine : pourvu que, ce seuil passé, l'on se trouve jeté dans un autre monde, soumis à d'autres lois. Il se tromperait qui croirait pouvoir réduire le merveilleux à cette simple clôture sociologique : il méconnaîtrait la valeur essentiellement symbolique du site, celle de devenir le Lieu élu des Merveilles, - ou des Monstres.
H. Le faux réalisme
34Si caractéristique est ce thème du clivage que, bien des fois, il nous fournit l'indice par où détecter les récits de faux réalisme. Car il est de ces récits qui paraissent très concrets, très insérés dans le contexte de la réalité quotidienne. Et pourtant un certain clivage, fondamental, de l’intrigue dénonce qu'il y a là autre chose aussi. Ils ne se conformeraient pas si bien à cette bipartition, s'ils ne prolongeaient quelque vieux scenario mystique, fut-ce sous cette forme dégradée. Ce clivage est la pierre de touche capable de dépister le faux réalisme de ces récits : ceux qui se plient d'eux-mêmes, aisément, à cette nécessaire dichotomie. Ainsi la Grisélidis de Perrrault déconcerte à première vue, tant elle paraît dénuée de tout aspect merveilleux. Jusqu'au moment où le partage de l'héroïne entre deux mondes fait soupçonner son appartenance clandestine à l'univers féerique. Puis, un jour, on en découvre effectivement la racine sacrée dans Çakuntala de Kalidasa, avec la naissance surnaturelle de l'héroïne et la malédiction d'un Sage comme source de ses persécutions. L'indice du clivage ne nous avait pas trompés.
35Il arrive aussi parfois que cette affabulation pseudo-réaliste soit la ruse de certains auteurs - un Voltaire, un Charles Nodier, un Jules Verne - pour transposer des scenarii d'initiation dans des confréries à mystères, de sorte à en voiler et dévoiler à la fois au profane leur valeur ésotérique.
Le Clivage renversé
36Une fois atteint cet au-delà que son imagination avait paré de tous les prestiges de la merveille, il arrive parfois que le héros s'en ressente déçu ; qu'il y retrouve, accrue par la désillusion, toute la détresse à laquelle il avait cru se soustraire. Peut-être alors, toujours aussi vive, son imagination lui retracera-t-elle sous un jour enchanteur la maison, le village, la contrée dont son brusque dédain avait méconnu le charme secret. Et ce canton délaissé se sublimera bientôt pour lui en l'image d'un paradis perdu.
37Le clivage alors se maintient, mais bascule. Par une sorte de chassé-croisé, c'est le monde nouveau qui va incarner pour lui les misères de l'en-deçà, tandis que le monde quitté se transfigure en un Au-delà attirant. Nul texte peut-être ne le manifeste mieux que "Le Passager clandestin" de Gérard Bessière, l'un des contes inclus dans sa Conversion du Diable (Cerf, 1975, pp. 99-107). Balayeur d'aéroport, le héros fuit Madrid, fasciné qu'il est par le mirage lumineux du nom Caracas. Mais, une fois là-bas, il y retrouve la même petite vie médiocre et dure. Et il ne rêve plus que de la saveur de cet ancien et nouveau nom magique : Madrid ! Si bien qu'un jour il se glisse à nouveau comme passager clandestin dans un avion menant au but espéré…
Les Corollaires du Postulat
38Ce thème fondamental du Clivage du monde, va engendrer toute la structure essentielle du conte merveilleux.
39S’il est deux mondes, il faut un héros prédestiné, capable de circuler de l’un à l’autre, assez malhabile et simplet en ce monde-ci pour se mettre en quête d'un autre, assez double pour pouvoir avoir un pied dans chacun des deux mondes.
40Qui dit partage entre deux mondes, dit aussi évasion de l'un et frontière entre l'un et l'autre. Ce qui implique un itinéraire menant à la quête de cet autre monde. Et, s'il s'agit d'itinéraire, celui-ci sera jalonné d'étapes diverses, topographiques, temporelles, ou spirituelles. Il y rencontrera des obstacles, des monstres. Ils lui opposeront des périls, qui, sur ce parcours initiatique, constitueront autant d'épreuves visant à tester la dignité du héros. Des guides lui apporteront leur soutien.
41Enfin atteindra-t-il à l'accès, à l'accueil dans ce domaine féerique de l'au-delà, à son séjour auprès du Maître ou des Fées qui le hantent, à des noces parfois concrétisant son lien avec le surnaturel, à son extase devant les merveilles. Puis, son congé obtenu, ce sera souvent son retour parmi nous, quitte à mener de nouvelles quêtes pour retrouver le site enchanté des Merveilles.
42Tels sont les grands thèmes du récit merveilleux. Ils se dégagent tous, on le voit, ils se déboitent nécessairement de ce thème primordial de la bipartition du monde, comme autant de corollaires obligés découlant du postulat initial. Cet enchaînement fatal de motifs forme l'ossature générale des contes ; et quoiqu'il fasse, le conteur ne peut que malaisément y échapper. Car ils dérivent de la nature même du genre.
43Ce serait là une belle, une longue étude que de le démontrer en détail…
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