1 Il est fait référence ici au texte heureusement gênant et fort roboratif de S. Maza, The Myth of the French Bourgeoisie. An Essay on the Social Imaginary, Harvard University, 2003 et à son projet « the central thesis of this book is that the french bourgeoisie did not exist », p. 5.
2 Sur la critique ancienne du rôle de la bourgeoisie dans le processus révolutionnaire, et le déclenchement de la révolution dans la perspective de la conquête des rouages de l’État, on ne peut que renvoyer à A. Cobban, The Myth of the French Bourgeoisie. An inaugural lecture delivered at University College, London 6 may 1954, London 1955, et à la réponse de G. Lefebvre, « Le mythe de la Révolution française », dans AHRF, XIX, 1956, p. 337-345, voir aussi E. J. Hobsbawm, « The Making of a Bourgeois Revolution », dans F. Féher (dir.), The French Revolution and the Birth of Modernity, Berkeley-Los Angeles, 1990, p. 34, et F. Benigno, Specchi della rivoluzione, conflitto e identità politica nell’Europa moderna, Roma, Donzelli editore, 1999, « Revisionismi a confronto », p. 3-59.
3 Dictionnaire de l’Académie Française, cinquième édition, tome I, A-K an VI, 1798. chez Smits et Ce, rue du Tournon, n° 1133, Paris, voir aussi S. Maza, op. cit., p. 24-26.
4 Qu’il suffise de relire le Tableau de Paris de Mercier, XX, « le bourgeois » et XXVII « Petites bourgeoises », CLX « Sort d’un bourgeois », Mercure de France, réed. 1994, p. 61, 80, 378.
5 Patrice Higonnet sûrement avec raison, démontre l’exceptionnelle dureté des lois du Directoire contre l’ancienne noblesse, comme si l’arsenal légal était proportionnel à la puissance réelle ou supposée de la noblesse, si difficile à éradiquer. Cf. P. Higonnet, Class, Ideology, and the Rights. f Nobles during the French Revolution, Oxford, Clarendon Press, 1981.
6 Qu’il suffise de saisir dans le domaine de la mode vestimentaire le retour à un ordre ancien, dans l’affirmation jusqu’à l’outrance du paraître comme marque d’une opposition à l’austérité de la république jacobine. Cf. Au temps des Merveilleuses, la société parisienne sous le Directoire et le Consulat, Paris, Paris-musées, 2005, « Incroyables et Merveilleuses », p. 70-74.
7 Cf. Il faut tout le génie d’un homme imprégné de son identité héritée du premier et du second ordre à la fois, pour bien le faire sentir au général victorieux auréolé de la paix de Campoformio qu’il vient d’imposer aux Autrichiens, toutes les valeurs de la république bourgeoise. Talleyrand accueillant Bonaparte, le 10 décembre 1797 devant les directeurs renfrognés lui rappelle ainsi dans un discours ciselé, que les « vulgaires honneurs » ne sont rien à côté de la « vertueuse estime ». Cité par L. M. Migliorini, Napoléon, Paris, Perrin, 2004.
8 Cf. J.-C. Waquet, La conjuration des dictionnaires : vérité des mots et vérité de la politique dans la France moderne, PUStrasbourg, 2000. P. Serna, « Le dictionnaire roturier de Furetière, ou le noble démystifié par l’alphabet », dans Littératures classiques, 2003, n° 47, p. 225-243.
9 Robert Darnton explique de façon lumineuse combien l’épreuve la plus redoutable pour l’historien n’est pas tant la recherche de documents ou l’écriture de l’histoire que la manière de démasquer ce qui est tellement évident pour les contemporains d’il y a trois cents ou deux cents ans, que jamais il n’est besoin de le mentionner ou de le transformer en sources pérennes pour le futur. Cf. R. Darnton, Le grand massacre des chats, Paris, Hachette, 1985, 1984 (1re éd.), p. 9-14. Sur les formes de contraintes qui résultent de modes de domination invisibles intégrés par ceux qui les subissent et les reproduisent à leur insu, voir P. Bourdieu, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998.
10 D. Woronoff, La République bourgeoise de Thermidor à Brumaire, 1794-1799, Paris, Seuil, 1972.
11 Sur la conception de ce régime par définition bourgeois que serait le Directoire on peut se reporter aux travaux anciens de Mathiez, liant de façon consubstantielle la trahison de l’an III, aux origines sociales des élites de la période directoriale. A. Mathiez, Le Directoire, du 11 brumaire an IV au 18 fructidor an V, Paris, A. Colin, 1934.
12 Cf. Moniteur Universel, tome XXV, p. 92 et suiv., discours du 5 messidor an III ; discours de Boissy d’Anglas.
13 S. Luzzatto, L’automne de la révolution. Luttes et cultures politiques dans la France thermidorienne. Paris, Champion, 2001.
14 Journal des Hommes Libres, n° 135, 2 ventôse an IV (13 mars 1796) : « Mon troisième mot sur la fermeture des réunions civiques », p. 543.
15 Cf. P. Serna, Antonelle, aristocrate révolutionnaire, 1747-1817, Paris, Le Félin, 1997, p. 286-289. Sur l’histoire de cette critique et des brouillages typiquement français entre bourgeoisie auto-constituée en aristocratie, n’abandonnant jamais son fantasme de s’inventer en un second ordre moderne et bourgeois à la fois, voir P. Bourdieu, La noblesse d’État, Grandes écoles et esprit de corps, Paris, éd. Minuit, 1989.
16 Puisque c’est en historien du politique que nous posons cette question, c’est en historien du politique que nous définissons le mot de bourgeois, au travers des critères capacitaires que la constitution de l’an III qui définissent le cens à posséder afin de pouvoir participer aux collèges électoraux désignant les députés des deux chambres.
17 Cf. P. Serna, « Existe-t-il un extrême centre ? Le point aveugle de la République directoriale, l’exemple de La Décade », dans J. Guilhaumou et R. Monnier (dir.), Des notions-concepts en révolution, Paris, Sociétés des Études robespierristes, 2003, p. 149-167.
18 É. Allouche, Plaine, marais ou tiers parti à la Convention Nationale, 1792-1795 : historiographie et perspectives de recherches, Paris I, DEA, J-C Martin (dir.), 2004.
19 Cf. M. Winock, La fièvre hexagonale : les grandes crises politiques de 1871 à 1968, Paris, Calman-Lévy, 1986. C’est aussi en ce sens que la lecture de l’ouvrage de Sarah Maza est roborative dans la suggestion des mythes à l’origine de la représentation de la bourgeoisie, suggérant à son tour la production d’autres mythes sur l’invention des catégories politiques et la négation de réalités politiques comme celle du centre.
20 Notons que les deux moments du Directoire et de la Monarchie de juillet, « âges d’or » de bourgeoisie gouvernementale, sont des moments clés dans la construction de ce centre politique, en même temps qu’ils déterminent la façon dont une histoire de la révolution s’écrit et s’invente, dans la production qui suit la Terreur, dans la publication des Mémoires des derniers témoins, dans les années 1830, désirant laisser leur manière de voir, en réécrivant de façon le plus souvent hagiographique leur propre parcours.
21 N’est-ce pas une biographie radicalement différente de bourgeois que propose Dominique Margairaz, au travers du portrait de l’infatigable, François de Neufchâteau, intelligent, honnête, industrieux, serviteur du bien public ? Cf. D. Margairaz, François de Neufchâteau, : biographie intellectuelle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2005.
22 Si des penseurs comme Gramsci et Althusser ont passé une partie de leur existence à penser les conditions d’élaboration des Appareils Idéologique d’État (cf. positions 1964-1975), Paris, éd. sociales, 1977, sans lesquels aucun système économique fondé sur les rapports de domination ne pourrait un tant soit peu fonctionner, ni dans l’esprit des dominants, ni aux eux des dominés, c’est bien que par de là l’idée trop facilement reçue d’une sorte d’adaptation totale de la bourgeoisie à n’importe quelle forme politique pourvu qu’elle prospère, une autre réalité se profilait plus subtile et que la Révolution puis le Directoire et le Consulat allaient laisser percevoir : la place du conflit entre les passions et les intérêts dans la construction de l’éthique républicaine.
23 La Décade, philosophique, littéraire et politique, par une société de Gens de Lettres, 20 thermidor an V, (7 août 1797, « Considérations sur la situation intérieure de la France par L. Bienvenue, habitant de Montcontour, dans les Côtes du nord » p. 311-320. Pour des développements plus longs sur ce thème je me permets de renvoyer à P. Serna, La république des girouettes, 1789-1815 et au delà une anomalie politique : la France de l’extrême centre, Seyssel, Champ-Vallon, 2005.
24 La Décade, 20 thermidor an V (7 août 1797), Considérations sur la Situation intérieure de la France, par L. Bienvenue, op. cit.
25 La Décade, ibid., p. 316. le mot mitoyen dans un sens politique a été employé dés février 1789 par Antoine Grouvelle dans De l’autorité de Montesquieu dans la révolution présente, 1789, sd, se. Dans le Tableau de Paris, L. S. Mercier dans le chapitre CCCIV, signale que « la fille célibataire, par choix, n’est point rare aujourd’hui dans l’ordre mitoyen », Paris, Mercure de France, 1781-1789, réed. 1994, p. 796.
26 Ibidem, La Décade, 20 thermidor an V, p. 320.
27 La Décade, n° 19, 10 germinal, an VI, p 319.
28 La biographie de Boulay incarne par ailleurs celle d’un bourgeois d’ordre et de progrès que les circonstances exceptionnelles vont placer au sommet de l’État Grand officier de la légion d’honneur, ministre d’État sous l’Empire, né le 19 février 1761, à Chamousay (près d’Épinal). Issu d’une famille de cultivateurs, il devient avocat à Nancy en 1783. Engagé dès le début de la révolution dans le parti patriote, il se porte volontaire en 1792 dans un bataillon de la Meurthe. Il joue un rôle important dans les coups d’État des 18 fructidor et du 18 brumaire, toujours selon lui, dans le sens de la conservation des institutions républicaines menacées par des forces centrifuges. Il devient un des hommes clés de la constitution de l’an VIII. Il donne son avis dans le débat sur le code civil, fondement juridique de la société française contemporaine. Le 14 septembre 1802 il passe à la direction du contentieux des domaines nationaux. Boulay aurait instruit près de 15 000 affaires […] dont pas une ne fut jugée contrairement à ses conclusions. Si Boulay n’est pas un grand penseur du concept de bourgeoisie, il a été sans nul doute un des artisans les plus solides et les plus discrets de la consolidation d’une classe possédant les terres mises en vente par la révolution, et construisant son assise sociale sur la rente foncière […] si ce n’est le fondement de la bourgeoise française cela lui ressemble étrangement.
29 Essai sur les causes qui, en 1649, amenèrent en Angleterre l’établissement de la république ; Sur celles qui devaient l’y consolider ; Sur celles qui l’y firent périr, par Boulay (de la Meurthe) représentant du peuple, Paris, Baudoin imprimeur du corps législatif Prairial, an VII, 2e édition.
30 Ibidem, p. 56. Il est bien entendu que la description de Boulay empêche toute confusion entre le terme de peuple et les revendications des niveleurs exprimées au même moment. Le peuple pour Boulay est la portion de population qui possède des biens, qui assume son rôle de citoyens actifs. L’absence du terme révélatrice en soi, ne permet par pour autant de penser que les récepteurs du texte en 1799 ne savaient à qui l’auteur faisait allusion.
31 Le journal de Paris, n° 77, 17 frimaire an VIII, article de Boulay de la Meurthe, « Du gouvernement représentatif ».
32 Cf. La Décade, n° 8, 20 frimaire an VIII. L’historien des idées politiques ne doit point se laisser griser par les enjeux conceptuels de la politique. Ces rappels de La Décade sont bien là pour dire l’importance que peuvent revêtir pour les honnêtes gens, des arguments sonnants et trébuchants permettant de se laisser attacher à une République qui les rapproche du centre, et par là même… de la caisse centrale…
33 S. Englund, Napoléon, Paris, Édition de Fallois, 2004.
34 Cf.. J.-Y. Piboubès, Le serment politique en France 1789-1870, Paris I, Thèse Doctorat, 2003, sous la direction d’A. Corbin.
35 B. Constant, Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la constitution actuelle de la France. 1815 ; cf. édition établie par M. Gauchet dans De la liberté des Modernes, Paris, Pluriel, 1980, et notamment l’Annexe p. 431-440, qui reproduit les réflexions de Constant à partir de ce chapitre au titre évocateur : « Des devoirs et des individus envers l’autorité sociale ».
36 Le texte est élaboré dans les Principes de politique de 1806, (NAF 14 360) puis est publié en 1818 dans une note additive aux Réflexions sur les constitutions de 1814, et paraît également dans le Mercure de France. C’est dire l’importance qu’accorde Constant à sa critique d’un utilitarisme, comme prétexte politique d’une bourgeoisie à servir un pouvoir autoritaire. Cf. M. Gauchet, op. cit., p. 431.
37 Cf. J. Bentham, Traité de législation civile et pénale, précédé des principes généraux de législation, et d’une d’un corps complet de droit, terminés par un essai sur l’influence des temps et des lieux relativement aux lois, par J. Bentham, jurisconsulte anglais, publié en français par E. Dumont, de Genève d’après les manuscrits confiés par l’auteur, à Paris, chez Bossange, an X, 1802.
38 B. Constant, Annexes, op. cit., p. 432.
39 « Rien n’excuse l’homme qui prête son assistance à la loi qu’il croit inique ; le juge qui siège dans une cour qu’il croit illégale, ou qui prononce une sentence qu’il désapprouve, le ministre qui fait exécuter un décret contre sa conscience ; le satellite qui arrête l’homme qu’il sait innocent, pour le livrer à ses bourreaux… Chacun marchandait avec sa conscience, et chaque degré d’injustice trouvait de dignes exécuteurs. Je ne vois pas pourquoi, dans ce système, on ne serait pas le bourreau de l’innocence, sous le prétexte qu’on l’étranglerait plus doucement. Constant, annexe, op. cit., p. 440.
40 Cf. M. Bruguière, Gestionnaires et profiteurs de la Révolution, l’administration des finances française de Louis XVI à Bonaparte, Paris, Orban, 1986.
41 A. O. Hirschman, Les passions et les intérêts, justifications politiques du capitalisme à son apogée, Princeton 1977 ; éd. fr., Paris, PUF, 1997.
42 J. Fiévée, La dot de Suzette, ou histoire de Madame de Sennetere, racontée par elle-même, 1797, 1re éd., Paris, 10/18, réed. 1964, avec une préface de C. Duchet, « Un Machiavel de l’an V ou la Morale de l’Histoire ».
43 J. Fiévée, Des opinions et des intérêts pendant la Révolution, Paris, Le Normant, 1809.
44 Pour un plus long développement sur les idées de Fiévée, voir P. Serna, La république des girouettes, op. cit., « Fiévée, penseur de l’empire des intérêts. contre la révolution des opinions », p. 489-503.
45 V. Hugo, Les Misérables, rééd. Livre de Poche, éd. par N. Say et G. Rosa, Paris, 1998, Troisième partie, livre deuxième, « Le grand bourgeois », p. 825-845.
46 Cf. S. Maza, op. cit., p. 194.
47 F. Guizot, Des moyens de gouvernement et d’opposition dans l’état actuel de la France, Paris, Ladvocat, 1821 p. 137.
48 Dictionnaire du bas langage ou des manières de parler usitées parmi le peuple ouvrage dans lequel on a réuni les expressions proverbiales, figurées ou triviales, les sobriquets, termes ironiques et facétieux ; les barbarismes, solécismes, et généralement les locutions basses et vicieuses que l’on doit rejeter de la bonne conversation, Paris, 1808, chez Haussmann, 2 tomes.
