Synthèse des discussions
p. 75-76
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1Des discussions auxquelles donnent lieu ces vues historiographiques se dégage d’abord la nécessité de la nuance, quand il s’agit de synthétiser tant les lignes de force « nationales » que les scansions chronologiques des différentes historiographies. Comme déjà remarqué dans plusieurs communications, des intervenants soulignent la nécessité de ne pas exagérer la nouveauté de l’invention d’une histoire ouverte à la complexité des relations entre dynamiques politiques et sociales, de ne pas ramener certaines interprétations, notamment celles dites marxistes ou jacobines, à des schémas caricaturaux. Ainsi Michel Vovelle rappelle la contribution préparée avec Daniel Roche en 1959 et reprise sous le titre significatif « Mythes et réalités du bourgeois d’Ancien régime1 ». Alors que Philippe Guignet s’élève contre l’idée d’un effacement de l’histoire sociale en France après 1970 et cite plusieurs recherches « pragmatiques » sur la bourgeoisie, Daniel Roche remarque qu’on a assisté dans l’historiographie française à une sorte de renoncement à la « sociographie », notamment appelée de ses vœux par Ernest Labrousse, renoncement qui a sans doute favorisé la déferlante des révisions anglo-américaines, cristallisée par Alfred Cobban.
2Mais celle-ci, soulignent encore plusieurs intervenants, se trouve décidément inséparable des contextes politiques et sociaux des années 1950 et 1960 et de la Guerre froide. Daniel Roche rappelle ainsi l’intensité des débats qui se déploient alors en France ; ils engagent une profonde confrontation au sein de toute l’université française et, au-delà, entre les principales forces politiques et sociales. Ainsi les colloques de Saint-Cloud des années 1960 doivent se lire, dans ce contexte, comme des moments dans l’affrontement entre interprétations sociales de gauche et de droite2. Claude Mazauric ajoute que cette dimension combattante vaut particulièrement pour Cobban qui adopte une position délibérément polémique contre Georges Lefebvre et son 89, qui écrit sur Rousseau « précurseur des totalitarismes ». Mais, il souligne aussi la nécessité de ne pas ramener les enjeux à une opposition entre historiographies anglo-américaine et française. Les débats sur la Révolution française et sa signification sociale n’ont pas cessé d’avoir une dimension universelle, dans laquelle il conviendrait d’inclure toute l’Europe, comme l’a montré Matthias Middell, mais aussi la Chine, l’Amérique latine, etc. Un autre débat porte sur le champ d’interprétation du binôme Révolution/ bourgeoisie. Steven L. Kaplan observe que la vitalité de l’historiographie américaine tient non seulement à l’ouverture vers la dimension culturelle, soulignée par Carla Hesse, mais aussi à la multiplicité des chantiers en cours et à une autonomie précocement prise à l’égard d’une historiographie trop exclusivement ramenée à l’influence de François Furet ; il plaide notamment pour que la dimension économique de l’histoire de la bourgeoisie ne soit pas omise. Guy Lemarchand insiste aussi sur cette nécessité et notamment sur celle d’appliquer à l’histoire économique de la bourgeoisie la dynamique des processus que Colin Lucas préconise pour les comportements politiques : c’est le mouvement de promotion de la bourgeoisie par et dans la Révolution, moment accélérateur, qu’il faut prendre en compte ; de même conviendrait-il d’accorder davantage d’attention aux spécificités des pratiques bourgeoises, en matière de commerce notamment. Lynn Hunt remarque que là se profile certainement une fragilité majeure des historiographies de la fin du xxe siècle et du début du xxie siècle, aussi enrichies fussent-elles, y compris aux USA : c’est la difficulté à construire des relations entre les différents registres des processus sociaux. À cet égard, plusieurs intervenants (Raymonde Monnier, Guy Lemarchand…) remarquent qu’il n’est pas concevable de penser le couple bourgeoisie/Révolution en dehors des relations entre celle-là et les autres classes sociales, en particulier la classe ouvrière, elle aussi oubliée dans les inflexions historiographiques récentes.
Notes de bas de page
1 D. Roche, M. Vovelle « Bourgeois, rentiers : éléments pour la définition d’une catégorie sociale à la fin du xviiie siècle », congrès des sociétés savantes, Dijon, 1959, repris sous le titre indiqué dans Villes et campagnes au xviiie, Chartres et la Beauce, Paris, Éd. sociales, 1980, p. 135-166.
2 Voir en particulier E. Labrousse, D. Roche (éd.), Ordres et classes, colloque d’histoire sociale de Saint-Cloud, 1967, Paris, Mouton, 1973.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008
