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Jean Longuet

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Candar Gilles

Troisieme partie. L'internationaliste de la SFIO

Chapitre VIII. Réseaux et moyens d’action internationaux

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Géographique :

France

Texte intégral

1De même que Longuet s’était adapté à une position politique amoindrie en France, de même il réussit à se maintenir sur la scène internationale, mais dans des conditions différentes de la période précédente et en jouant de nouveaux rôles. Là encore sa marginalisation au sein des organismes dirigeants des institutions socialistes peut être précisément datée de l’année 1922.

L’Internationale « Deux-et-demi »

  • 1 Participaient la SFIO, le SPŒ, le parti social-démocrate allemand de Tchécoslovaquie, l’USPD, l’IL (...)
  • 2 Cf. A. Donneur, Histoire de l’Union des partis socialistes pour l’action internationale (1920-1923 (...)

2Après Tours, le parti socialiste s’efforça de faire vivre l’organisation internationale ébauchée par la conférence de Berne (5 au 7 décembre 1920)1. Le paradoxe était que les tenants de la minorité de Tours entendaient ainsi ne pas créer une nouvelle institution, mais préparer les voies d’une réunion internationale de l’ensemble des forces socialistes, alors qu’ils venaient de constater l’impossibilité de maintenir l’unité de ces mêmes forces dans leur pays. La difficulté était tellement évidente que cette Union ne rentra dans l’histoire que sous son sobriquet « Internationale Deux-et-demi ». Son existence, brève (deux ans), fut surtout remplie par la réunion des conditions démontrant le caractère inéluctable et durable de la scission qui venait de briser le mouvement socialiste, et donc la vanité, au moins provisoire, de sa propre mission2.

  • 3 Outre les partis présents à Berne en décembre 1920, étaient représentés les SR de gauche russes et (...)

3L’Union des partis socialistes pour l’action internationale fut officiellement créée par la conférence de Vienne qui se réunit du 22 au 27 février 19213. La délégation française, conduite par Paul Faure, qui avait pris la charge de secrétaire de la sous-commission internationale dès janvier 1921 – pour éviter la désignation de Longuet ? – comprenait en outre Longuet, Mistral, Renaudel et Bracke. Les promoteurs de la conférence la présentèrent comme une étape dans la reconstruction de l’Internationale. Comme l’expliquait son secrétaire, Adler, « trois internationales signifient qu’il n’y a plus d’Internationale » et les efforts de l’Union devaient tendre à la réunification de l’ensemble, donc à éviter avant toutes choses un trop grand rapprochement avec la Deuxième Internationale. L’admission dans cette dernière des dissidents du parti socialiste français servait de commode repoussoir. Longuet était le seul français à siéger au Bureau, composé de cinq membres.

  • 4 J. Longuet, « L’œuvre d’Amsterdam », Le Populaire, 7 avril 1921, « Au lendemain d’Amsterdam », ibi (...)
  • 5 A. Bergounioux, « L’I.O.S. entre les deux guerres », in Hugues Portelli, L’Internationale socialis (...)
  • 6 J.M. Keynes, « L’occupation de la Ruhr et le traité de Versailles », Le Populaire, 29 avril 1921. (...)

4L’Union s’efforça de fournir des réponses concrètes aux principaux problèmes internationaux qui se posaient. Un projet assez détaillé d’Office international des réparations fut ainsi élaboré par Auriol, qui était en passe de devenir le spécialiste financier de la SFIO, et approuvé dans son principe par une conférence regroupant socialistes français, britanniques et allemands à Amsterdam (1er au 4 avril 1921) avant d’être ratifié à Francfort en décembre 1921. La priorité était accordée à l’aide aux régions dévastées et aux livraisons en nature. Longuet et Bracke se plurent à opposer l’esprit de réalisation et de proposition, le sens du concret des orientations définies aux stérilités et impuissances des autres internationales. La Deuxième Internationale se plaçait sur le terrain du traité de Versailles, qui ne pouvait déboucher que sur la ruine de l’Allemagne et de l’Europe. Les communistes se contentaient de dire que la révolution sociale aurait réponse à tout4. L’Union s’efforça de populariser son projet d’Office des réparations. Comme le nota Alain Bergounioux5, ce projet qui reposait sur une internationalisation du paiement des réparations et reposait sur quatre principes, « la fixation définitive de la dette allemande, l’annulation des dettes interalliées, la conclusion d’emprunts internationaux, l’évacuation des territoires occupés », devait être partiellement repris par le plan Dawes. Le principe des livraisons en nature reçut une application partielle à partir des accords de Wiesbaden en octobre 1921. Il est vrai que le jeu des influences réciproques est difficile à déterminer. Les socialistes eux-mêmes s’inspiraient souvent, dans leurs réflexions sur les réparations et les relations financières à établir avec l’Allemagne, des travaux de Keynes, salués avec chaleur par Le Populaire qui ouvrit d’ailleurs ses colonnes au professeur de Cambridge6.

  • 7 J. Longuet, « Ce que nous en dit Krassine », Le Populaire, 29 octobre 1921.
  • 8 « Nos tchékistes ne sont pas des lettrés de talent », la plupart de ses arguments se résument au f (...)
  • 9 G. Mauranges, « L’action internationale », Le Populaire, 14 septembre 1922.
  • 10 J. Paul-Boncour, « Parlons clair », Le Populaire, 18 septembre 1922.

5La politique de Front unique décidée par l’IC sembla un temps redonner ses chances à une réunification internationale du socialisme. Ce fut avec un plaisir non dissimulé que Longuet publia sa première interview depuis la scission d’un dirigeant bolchevik, le diplomate Krassine7. Une conférence des trois Internationales se réunit à Berlin du 2 au 5 avril 1922. La phase de préparation confirma cependant que Longuet ne jouait plus les premiers rôles au sein de son parti, y compris dans le domaine des relations internationales. La réunion fut préparée en effet par trois membres de chaque organisation parmi lesquels Bracke pour l’UPS. La prééminence de celui-ci était donc implicitement reconnue, et le fait qu’il ne fut que suppléant à la conférence elle-même ne modifia pas cette situation, car des deux délégués français, Longuet et Paul Faure, ce fut le second qui s’imposa et présenta les propositions de l’UPS. Vandervelde posait comme préalable aux actions communes l’obtention de garanties sur les libertés politiques en Russie alors que Radek adoptait un langage sans doute réaliste mais brutal8. Les tentatives de conciliation d’Otto Bauer ou de Paul Faure, qui tentèrent d’équilibrer la répression des socialistes révolutionnaires russes par celle qui s’était abattue sur les spartakistes, ne purent déboucher sur autre chose qu’un appel commun à lutter contre le chômage, pour les huit heures, l’aide à la Russie affamée et l’établissement de relations diplomatiques avec la Russie. Longuet et Grimm auraient souhaité un paragraphe demandant la libération immédiate de tous les prisonniers politiques, mais l’IC refusa cette adjonction. Toutefois, une résolution commune admit qu’au prochain procès des SR, les accusés auraient droit à quelques garanties. Un comité d’organisation analogue à celui qui avait préparé la réunion fut mis en place, mais ces quelques prémices de collaboration avortèrent vite. Lénine et la direction de l’IC jugèrent excessives les concessions de Radek, la campagne commune projetée n’eut pas lieu et la première réunion du comité d’organisation, le 23 mai, fut aussi la dernière. En fait, la Deuxième et la Troisième Internationales avaient au moins en commun de ne pas souhaiter un accord, mais de vouloir faire porter la responsabilité de la discorde sur l’autre organisation. Une fois de plus, les espérances de Longuet étaient déçues. Si les diverses organisations socialistes n’étaient même pas capables de s’entendre sur le minimum : éviter dans la mesure du possible de se fusiller et de s’emprisonner mutuellement, comment pourraient-elles envisager un front unique ou toute autre forme de collaboration internationale ? Aussi, passé l’été, les articles de Longuet se situèrent dans la perspective intellectuelle d’une entente avec la seule aile droite. Certes, il multipliait les non possumus et rappelait les divergences théoriques qui persistaient sur la dictature, le patriotisme, la participation ministérielle. Mais sa résistance ne pouvait avoir guère d’effets autres que de retardement. Mauranges le lui fit savoir, nettement, par un article paru dans Le Populaire, dont Longuet était toujours le codirecteur nominal : « De cette confusion paralysante, de cet aveuglement, pour beaucoup, dont je suis, le temps est passé9. » Avec plus de tact, Paul-Boncour pressa aussi Longuet de se rendre à la raison et d’accepter la fusion des deux Internationales, sans les communistes10.

  • 11 Renaudel l’expliqua nettement à Kautsky : « Enfin ! Voici que le grand événement s’est accompli ! (...)
  • 12 « Jean Longuet en Amérique », Le Populaire, 18 octobre 1922. Jean Longuet partit le 28 octobre de (...)
  • 13 « On a fêté le retour de Jean Longuet », Le Populaire, 2 février 1923.

6Après la fusion entre le SPD et l’USPD qui rendait inéluctable celle des deux Internationales11, Longuet finit par s’y résoudre, de plus ou moins bon gré. Il annonça son départ pour les États-Unis où il avait été sollicité pour une vaste tournée de conférences. Il n’exerçait plus réellement depuis juin de responsabilités essentielles au sein du parti socialiste et ce voyage dans un pays qu’il rêvait de découvrir lui permettait d’être absent de France au moment opportun. Son départ eut lieu fi n octobre12 et les exécutifs des deux Internationales entreprirent le processus de fusion début décembre. Pour finir, les dirigeants de la SFIO surent mettre les formes : le retour de Longuet, le 25 janvier, fut fêté de manière triomphale : banquet d’une cinquantaine de couverts avec des allocutions emplies d’amabilités de Paul Faure, Bracke, Delépine, Uhry, etc., rires et chansons, dont Le Petit Quinquin interprété par Bracke en personne13. Autant que le retour, l’allocution de Bracke, félicitant Longuet de sa cordiale confiance en la prochaine réunion internationale, montrait bien qu’était également fêtée l’acceptation du processus en cours par le plus emblématique des reconstructeurs. Faut-il sourire de cette humaine pression sur le fondateur du Populaire ? Accepter la fusion pour Longuet, c’était aussi humainement reprendre un contact plus étroit avec des militants, des organisations, des villes, des milieux, qu’il devait avoir hâte de revoir et de connaître à nouveau.

L’Internationale ouvrière socialiste

  • 14 Bracke assurait l’intérim de Blum à la direction du Populaire.

7La fusion des deux internationales fut effective au congrès de Hambourg (21 au 25 mai 1923) qui marqua la naissance de l’Internationale ouvrière socialiste. La personnalité dominante en fut vite Adler, secrétaire conjoint la première année, puis seul jusqu’en 1940. Un bureau exécutif de neuf membres et un comité exécutif de trente-huit membres l’assistaient, sous la présidence des Britanniques Henderson et Cramp (1923-1929), puis des Belges Vandervelde et de Brouckère (1929-1939). La suprématie de Bracke au sein du secteur international de la SFIO fut confirmée par sa présence au bureau, alors que Longuet siégeait simplement au comité exécutif, avec Blum, Faure et Renaudel comme suppléants. Longuet assista consciencieusement à toutes les réunions du comité, trois à quatre fois par an, jusqu’en 1938. Bracke rapportait le plus souvent les questions de l’Internationale devant les congrès français (Longuet le fit en 1927, 1929 et 1938). Après le congrès international de Marseille (22 au 27 août 1925), la SFIO obtint un troisième siège au comité exécutif qui revint à Renaudel. Bracke et Longuet conservèrent leurs fonctions jusqu’en 1938. Le premier était simplement suppléé par Longuet lorsque ses fonctions nationales le retenaient en France, notamment pendant l’année de gouvernement du Front Populaire14. En 1938, âgé de près de soixante-dix-sept ans, il annonça sa volonté de se retirer du Bureau. Il proposa alors de désigner Longuet pour le remplacer, décision qui fut approuvée par le congrès de Royan (4-7 juin 1938), mais qui resta sans effet en raison de la mort accidentelle de Longuet quelques semaines plus tard.

  • 15 Deuxième congrès de l’Internationale ouvrière socialiste, Marseille, 22 au 27 août 1925.
  • 16 Cf. J. Longuet, « L’Internationale et son congrès de Marseille », La Nouvelle Revue socialiste, 1, (...)
  • 17 Sur la crise consécutive à la victoire nazie, cf. B. Groppo, « L’Internationale ouvrière socialist (...)
  • 18 Cf. M. Dreyfus, Bureau de Londres ou IV e Internationale ? Socialistes de gauche et trotskystes en (...)

8Plus nettement encore qu’au sein de la Deuxième Internationale, Longuet demeura en retrait de la direction effective de l’organisation. De toute façon, l’IOS ne se revendiquait pas comme centre d’impulsion politique du socialisme mondial, mais comme un lieu de discussion et d’harmonisation. Son secrétaire, Adler, l’indiqua dans son rapport de 1925 : « Le travail de l’Internationale est surtout la somme du travail des partis groupés dans son sein15 », ce que devait regretter Longuet, attaché à une organisation internationale forte16. De même, celui-ci déplora que le congrès de Marseille sembla se dérouler loin du monde, sans réunion de masse prévue avec les grands orateurs de l’IOS, bref, que les débats fussent un peu trop formels. La vie de l’Internationale était axée sur ses activités internes, sur les séances du comité exécutif ou du bureau. En dehors du congrès constitutif à Hambourg, elle réunit deux congrès, à Marseille en août 1925, et à Bruxelles, en août 1928, auxquels il faut ajouter un congrès mondial des migrations organisé en commun avec la FSI et plusieurs conférences, jusqu’en 1933, donc, une existence organisationnelle assez active avant la crise et la victoire du nazisme17. Longuet resta attentif aux capacités d’ouverture et de rassemblement à gauche de l’IOS. Un peu comme en France où il veillait à faciliter le retour à la vieille maison des anciens communistes et des militants de l’USC, il favorisa le retour des partis socialistes de gauche, suisses ou norvégiens, qui n’avaient pas rejoint l’IOS en 1923 et tenté de constituer ce qu’on appela « l’Internationale Deux trois quarts18 ».

La question coloniale

  • 19 Rapport du Secrétariat en vue du troisième congrès de l’Internationale ouvrière socialiste, Bruxel (...)
  • 20 J. Longuet, « Le congrès socialiste international de Bruxelles », La Nouvelle Revue socialiste, 25 (...)

9La grande difficulté de la nouvelle Internationale était d’être dans sa majorité une Internationale européenne. L’IOS assumait cet état de fait : « Il serait insensé de se refuser à cette évidence », et comme souvent en pareil cas, cherchait à le fonder en raison : « le centre de gravité du mouvement ouvrier doit être dans les pays à capitalisme développé19 ». Les succès communistes dans les autres continents étaient relativisés, puisque l’Europe fournissait de toute façon un modèle d’évolution incontournable et que l’IC disposait « des moyens d’un État ». Au nom donc d’un modèle culturel centré sur l’Europe, l’IOS attendait que les mouvements ouvriers de ces pays fissent « leurs propres expériences avant d’arriver au stade européen ». Aussi, le problème, qu’elle reconnaissait comme sien, était la faiblesse persistante, et même fortement aggravée depuis la guerre, du mouvement ouvrier américain. Faiblesse que ne pouvait que déplorer Longuet, si attentif depuis la fin du siècle précédent à la maturation du socialisme américain, pour lequel il prévoyait un avenir aussi brillant que celui de Grande-Bretagne, longtemps resté lui aussi à l’état embryonnaire. Plus conférencier qu’orateur, Longuet ne prit pas la parole au cours des grands congrès internationaux. Il expliquait d’ailleurs que le travail essentiel se faisait en commission et que l’acoustique de ces grandes salles était mauvaise20. À Marseille, il siégea dans la commission sur l’éducation socialiste, domaine dans lequel il avait quelque expérience, et dans la commission sur les problèmes de l’Orient, où les débats furent plus difficiles. Otto Bauer élabora une synthèse, articulée autour de la défense de l’URSS contre l’impérialisme et d’une critique du bolchevisme fondée sur l’absence de liberté politique et une politique extérieure présentée comme « la variété guerrière du socialisme ».

  • 21 Cf. P. Belmihoub, Joseph Lagrosillière et les vieilles colonies, maîtrise, Paris XII, 1992.
  • 22 J. Lagrosillière, « Le Parti socialiste et la question coloniale », La Nouvelle Revue socialiste, (...)

10L’IOS fut confrontée à la question coloniale. La poussée anti-coloniale, sensible en Asie et, dans une moindre mesure, en Afrique du Nord, le net soutien que lui apportait l’IC, l’obligeaient à prendre position. Elle le fi t de manière assez défensive, en se prononçant davantage sur ce qu’elle ne voulait pas que sur ce qu’elle voulait. L’IOS souhaitait l’affranchissement colonial, mais elle voulait en même temps une organisation socialiste du prolétariat, qui ne fût ni nationaliste, ni soumise aux intérêts de l’URSS. La porte était donc étroite. La question fut portée à l’ordre du jour du congrès prévu pour août 1928 à Bruxelles. Une commission coloniale fut installée en avril 1926 sous la présidence du hollandais Vliegen. Elle comprenait neuf membres dont Longuet pour la France. Le congrès français de 1926 prépara le débat international. Le rapporteur fut l’ancien et futur député de la Martinique Lagrosillière, en bons rapports avec Longuet, son avocat, qu’il avait connu aux Étudiants collectivistes21. Lagrosillière distingua « les vieilles colonies » (Antilles, Algérie, Sénégal…) des « nouvelles colonies » (Afrique, Indochine…). Les protectorats (Maroc, Tunisie) étaient traités à part. Ce rapport, publié par La Nouvelle Revue socialiste22, s’inscrivait dans la tradition du réformisme colonial qui fut l’idéologie dominante de la gauche sous la IIIe République. Il prenait en compte le fait colonial et préconisait une politique progressive, peu éloignée de l’idéologie de la Société des Nations. La vision de Lagrosillière était influencée par l’exemple antillais. L’émancipation des indigènes était envisagée sous la forme d’une assimilation qui assurerait l’égalité des droits civils et politiques. Cette œuvre se ferait par paliers, et la vitesse de réalisation dépendrait de l’état de développement de la civilisation : l’émancipation demandée ne se posait « que sous une forme atténuée et lointaine pour les peuples qui étaient à un stade de culture tout à fait primitif ». Cela conduisait le rapporteur à reconnaître un aspect positif à la colonisation : « La colonisation capitaliste, quelles que soient ses tares, voire ses crimes, a amélioré les conditions de vie des indigènes, leur hygiène (lamentable auparavant) qui est d’ailleurs loin d’être parfaite. »

  • 23 J. Longuet, « L’impérialisme russe dans le Turkestan », Le Populaire, 2 septembre 1928.
  • 24 Y. Farge, « Quelques aspects marxistes du problème colonial », La Nouvelle Revue socialiste, 13, 1 (...)

11Cela fait, il fallait passer à des réformes politiques et transformer les indigènes de « sujets » en « citoyens » : c’était s’inscrire dans le prolongement des tentatives de réformes parlementaires (avec Moutet) ou de l’action des gouverneurs réformateurs, tels Jonnart, Viollette ou Varenne. C’était aussi condamner l’orientation communiste, présentée comme responsable de la répression et du retard des réformes par ses « imprudences », ses « violences » et « l’appel à un nationalisme étroit » (Algérie, Tunisie). Lagrosillière fustigeait une « politique insensée », fondée sur l’évacuation immédiate du Maroc et de l’Afrique du Nord ». Longuet dénonçait lui aussi les pratiques coloniales des Russes, mais s’il ironisait sur les « bigots » de l’Église moscovite favorables à « la pleine indépendance des anthropophages, au droit de se manger entre eux et de manger les autres23 », il ne se rallia pas pour autant aux vues assimilationnistes de son ami Lagrosillière. Il ouvrit les colonnes de sa revue à un autre ami, Yves Farge, alors militant au Maroc, qui mit en valeur les aspects de l’exploitation coloniale par l’impérialisme français24.

  • 25 La résolution évoquait pour les colonies à civilisation développée le soutien de l’IOS à une « adm (...)
  • 26 J. Longuet, « Le congrès socialiste international… », op. cit.

12À Bruxelles, quatre Français siégèrent dans la commission coloniale : Lagrosillière, Longuet, Fontanier, député du Cantal, proche de Longuet, et Samuel Stefany, avocat malgache résidant en France qui obtint le vote d’un amendement donnant un peu plus d’espace politique aux revendications des populations indigènes25. Le bilan global de ce travail fut la distinction de trois catégories par l’IOS. Les peuples opprimés avaient droit à l’indépendance politique et économique (Chine, Inde, Égypte, Syrie, Irak, Amérique latine, auxquels étaient joints les Philippines, l’Annam et la Corée). Ensuite, les colonies à civilisation développée avaient droit à l’autonomie et au développement des libertés publiques pour les populations concernées, avec plusieurs réformes précises revendiquées. Il s’agissait de l’Afrique du Nord, de Madagascar, des Indes néerlandaises, et du reste de l’Asie. Les colonies à civilisation non développée (Afrique tropicale et subtropicale, Pacifique) devaient, elles, se suffire d’un certain nombre de revendications de justice : abolition du travail forcé, amélioration des conditions de vie et de travail, développement de l’instruction, interdiction de la production et de la vente de l’alcool et de l’opium, etc. Longuet présenta la résolution votée sous son jour le plus favorable aux combats des indigènes : il y voyait « l’affirmation la plus vigoureuse du droit des peuples coloniaux à l’autonomie et à l’indépendance finale26 » et réfutait, au nom de « la science ethnographique et de la raison », les accusations de concessions à l’impérialisme proférées par les communistes. Il refusait de toute façon les solutions d’évacuation avancées par ces derniers, mais le programme de décolonisation progressive, ou de réformisme colonial accentué, qui était celui de l’IOS ne déboucha pas sur de grandes applications pratiques, ni même sur des campagnes d’une excessive intensité.

Les droits de l’homme

  • 27 24e congrès de Lyon…, op. cit.

13Le souci de défendre les droits de l’homme prit chez Longuet une dimension nouvelle dans les années 1920. Son relatif désengagement des tâches de direction politique et la victoire du fascisme italien aidèrent cette évolution. Les épreuves l’aidaient à approfondir son double attachement à la tradition libérale britannique et à l’idéologie républicaine française. Sans vraiment « penser les droits de l’homme », il accumulait les services, initiatives ou collaborations pour défendre les libertés des citoyens contre l’arbitraire politique et les dictatures. Ainsi, au sein de l’IOS, Longuet se fit l’avocat du Fonds Matteoti (1926-1936), destiné à aider les victimes du fascisme et des régimes similaires et à soutenir la concurrence des organisations mises sur pied par les communistes comme le Secours rouge ou le Secours international. Il intervenait lui-même en congrès pour mettre assez sèchement les militants français devant leurs responsabilités : « C’est très bien de chanter L’Internationale, mais il faut d’abord mettre l’internationalisme en action27 », lorsque les premières collectes ne donnèrent qu’un résultat dérisoire.

  • 28 Émile Kahn (1875-1958), de La Vie socialiste, fut secrétaire général (1932-1953) puis président (1 (...)
  • 29 La diffusion de cet hebdomadaire, fondé en septembre 1924, demeurait confidentielle : le tirage ét (...)
  • 30 J. Omnès, « L’aide aux émigrés politiques (1933-1938). L’exemple du Secours rouge, de la Ligue des (...)

14La question de la démocratie était récurrente dans les débats socialistes depuis la fi n de la guerre. Après la controverse entre Thomas et Blum, elle n’avait pas seulement animé les débats entre partisans et adversaires de l’adhésion à l’IC, elle avait constitué presque l’ultime pomme de discorde entre la Deuxième Internationale et l’Union de Vienne. Il n’était donc guère surprenant de voir l’IOS s’en préoccuper à nouveau. Le débat théorique ne fut pas repris. La priorité fut donnée à la recherche d’une démarche concrète qui permettait de faire, au moins un temps, l’économie de nouveaux dissentiments. Ce fut donc le comité exécutif de l’IOS, dans sa séance du 15 février 1927 à Paris, qui proposa de réunir une commission d’enquête sur la situation des prisonniers politiques. Cette commission internationale, présidée par de Brouckère, comprenait dix-huit membres, dont deux Français, Jean Longuet, nommé vice-président, et Émile Kahn28. La commission décida de relancer le Fonds Matteoti, qui devait servir à tous les partis socialistes des « pays sans démocratie », et de mener activement campagne en faveur de la suppression de la peine de mort. Depuis les grandes hécatombes de la Première Guerre mondiale, le combat abolitionniste était quelque peu passé au second plan. Le reprendre permettait de marquer l’identité de l’IOS et de la distinguer de ses adversaires conservateurs et communistes. Mais le thème était moins populaire dans l’opinion, habituée aux tueries collectives, et, en dehors de l’Allemagne, secouée par la défaite et l’effondrement du régime impérial, de la Hollande et de la Suède, pays neutres, religieux et à forte influence sociale-démocrate de surcroît, la campagne contre la peine de mort ne connut pas une grande ampleur. En France, il n’y eut rien de comparable à l’effort fourni par les socialistes en 1908 pour l’abolition de « la peine immonde », malgré l’effort de Renaudel en faveur de Sacco et Vanzetti. La troisième décision de la commission fut la mise en place d’un bulletin, en complément de l’organe officiel, Informations internationales29, afin de répercuter le maximum d’informations sur les prisonniers politiques du monde entier, en l’adressant aux organes de presse, institutions, partis et organisations concernées. Baptisé Communications sur la situation des prisonniers politiques, ce bulletin parut à partir d’octobre 1927 et sortit treize numéros en un an. En outre fut constituée à Berlin en août 1928 l’Union internationale des juristes socialistes, au comité de direction de laquelle siégea aussitôt Longuet. On le retrouva dans les structures analogues que la poussée des fascismes, des régimes autoritaires et du nazisme rendit inévitable. Ainsi, la SFIO mit en place le 10 mai 1933 une sous-commission spéciale chargée de l’accueil des réfugiés allemands, composée du secrétaire adjoint, Séverac, du responsable de la sous-commission internationale Grumbach, et des avocats Longuet et Blumel. Le Fonds Matteoti fut encore relancé quelques mois après, ce qui confirmait par la même occasion le peu de succès qu’il avait rencontré lors des deux premiers lancements en France. Cinq cents militants allemands furent aidés pendant quelques mois, mais les activités du comité français cessèrent pratiquement au printemps 193430. Enfin, Longuet participa aux travaux de la commission internationale d’enquête sur la situation des prisonniers politiques (Londres, mars 1937) organisée par l’IOS et la FSI. La dimension nouvelle prise au cours de l’entre-deux-guerres par son cabinet d’avocat a déjà été évoquée : Longuet était devenu un avocat international, non seulement au service de personnalités culturelles et artistiques, mais aussi maintes fois appelé pour des procès politiques, de militants antifascistes, souvent communistes, poursuivis dans des régimes autoritaires. Il se rendit ainsi en Bulgarie, en Hongrie, intervint en faveur de Carlos Prestes au Brésil, non sans accompagner, si nécessaire, ses plaidoiries de campagne de presse.

La Nouvelle Revue socialiste

Un projet doctrinal et international

  • 31 Cf. M. Rebérioux, « La Revue socialiste », Cahiers Georges Sorel, 5, 1987.
  • 32 « Déclaration », La Nouvelle Revue socialiste, 1, 5 décembre 1925.
  • 33 Le déficit annuel de la revue était évalué à 20 000 francs, La Nouvelle Revue socialiste, 23, 15 a (...)

15La Nouvelle Revue socialiste, sous-titrée « revue du socialisme international », ne constitua pas un simple prolongement de La Revue socialiste d’avant-guerre31. Le titre choisi représentait davantage un geste de mémoire, destiné à flatter le sentiment militant de la continuité historique, qu’une revendication d’héritage idéologique. En revanche, le souvenir du Mouvement socialiste, au moins celui des premières années, était bien présent dans l’esprit de Longuet. Celui-ci se réclamait de « la critique maîtresse de Marx », dont les méthodes avaient été « fixées une fois pour toutes32 ». Il fallait défendre « la doctrine traditionnelle » du socialisme, « seule force d’équilibre, d’ordre et de paix », dont la victoire était proche, mais retardée par le « communisme militaire et asiatique », d’autant plus sévèrement qualifié qu’on en reconnaissait les mérites historiques et qu’on attendait le rétablissement de « la démocratie ouvrière » pour renouer avec lui. La nouvelle publication n’était pas officiellement limitée à la France, même si publiée à Paris pour un public français, la revue ne s’était dotée que d’un comité de rédaction composé de militants français. Son existence ne fut jamais très aisée et elle ne dépassa pas les mille abonnés qu’elle revendiqua à la fin de 1926. Le rythme de parution se ralentit assez vite : mensuel, ou peu s’en fallait, en 1926 et 1927, il devint plus irrégulier en 1928 (six numéros dans l’année) et nettement erratique par la suite : un seul numéro en 1929, sept en 1930, puis un seul et dernier numéro en 193133.

16À la tête de la revue se trouvaient deux directeurs, Longuet et Frossard. Ce dernier avait quitté l’Union socialiste communiste après les élections de 1924 pour rejoindre la SFIO et passait encore pour un homme de la gauche du parti. Lié au monde de la presse (Le Soir…), il assurait l’essentiel du financement de la revue, installée dans des locaux dont il disposait. Il pouvait ainsi se remettre en avant alors que de nombreux socialistes lui gardaient quelque rancune du rôle qu’il avait joué à Tours. Longuet trouvait de son côté le moyen d’exercer une influence intellectuelle et de renouer avec la fonction de « documentaliste du socialisme » qu’il affectionnait. Réinséré dans la direction du parti, député de la Martinique, Frossard ne souhaita sans doute pas continuer de faire les frais de La Nouvelle Revue socialiste, qu’il quitta officiellement en 1930. Son successeur fut Amédée Dunois, qui venait à son tour, en 1929, de quitter le parti communiste. S’il avait toujours gardé des relations cordiales avec Longuet, il était contesté par les amis de Renaudel au sein de la SFIO. Il avait rejoint la tendance de La Bataille socialiste (mars 1930) avant même que son adhésion au parti fût officiellement acceptée et il avait été placé à la direction de l’Office de documentation socialiste, créé sur proposition de Marcel Déat qui espérait bien en être le premier responsable.

17Le fils aîné de Longuet, Robert, puis Berthe Fouchère, elle aussi ancienne communiste, assurèrent le secrétariat de la rédaction. Le comité de rédaction avait la fonction d’un comité d’honneur, destiné à montrer la collaboration des divers courants et générations de la SFIO : Bracke représentait la tradition guesdiste et Rouanet le souvenir de Jaurès. Les quadragénaires Le Trocquer et Délepine, avocats comme Longuet, avaient été proches de celui-ci dans l’animation de la minorité du temps de guerre. Du même âge, Sellier, jadis lié aux réseaux d’Albert Thomas, faisait autorité dans le domaine des questions municipales et de l’aménagement urbain. Son influence au conseil général de la Seine était incontestable. Pierre Dormoy, ancien secrétaire fédéral de la Seine et ancien dirigeant communiste, jouait alors un rôle plus effacé et il fut d’ailleurs remplacé en 1930 au comité de rédaction par une personnalité plus en vue, Marcel Déat. Jules Moch intégra le comité de rédaction en 1928. C’était un nouveau signe de la rapide ascension de ce polytechnicien : adhérent depuis la fi n de 1924, expert de la direction dès 1926, il avait écrit Socialisme et rationalisation en 1927 et il venait d’être élu député de la Drôme. Charles Spinasse était également un jeune (32 ans) responsable, à la réputation d’économiste, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, député de la Corrèze et rédacteur en chef du Populaire du Centre. Les noms de Rouanet, Spinasse et Déat, manifestaient l’absence d’ostracisme des animateurs de la revue à l’égard du courant de Renaudel. Sur un autre plan, ceux du même Spinasse, de Sellier et de Moch, auxquels on pourrait ajouter Delépine et Le Trocquer, montraient que Longuet n’avait pas abandonné son ambition d’aider le parti socialiste à se constituer un réseau de spécialistes expérimentés. Après l’expérience du Cartel, où les socialistes avaient été, d’une certaine manière, même sans participation ministérielle, associés à la conduite du pays, le besoin de renforcer la culture de responsabilité des militants se faisait ressentir. Sans négliger la formation idéologique, Longuet manifestait ainsi son souci de ne pas oublier les aspects gestionnaires, concrets, techniques de l’action politique. L’entre-deux-guerres se distinguait cependant de la période précédente par la montée en puissance des « techniciens » et des « experts ». Les nouveaux spécialistes qui devaient conseiller la République dite des professeurs venaient moins de la Sorbonne ou de Normale que des écoles d’ingénieurs et devaient manifester une compétence de gestionnaires. Longuet, attentif aux expériences de participation ou de direction ministérielle en Europe, en était conscient. En ce sens, La Nouvelle Revue socialiste annonçait aussi les nouveaux réseaux d’experts dont s’entoura dans les années 1930 le parti socialiste : le Groupe polytechnicien d’études collectivistes, issu d’X-crise, l’Union des techniciens socialistes… En quelque sorte, Jules Moch remplaçait Albert Thomas.

  • 34 Sur Mathiez politique, cf. J. Friguglietti, Albert Mathiez (1874-1932), un historien révolutionnai (...)
  • 35 Le groupe des avocats socialistes fut officiellement reconstitué en octobre 1930.
  • 36 C. Prochasson, Les Intellectuels…, op. cit., p. 230.
  • 37 Ce groupe a été l’objet de nombreuses études de son ancien animateur, Georges Lefranc, notamment d (...)

18Il était tout aussi significatif que la part des universitaires dans la revue fût demeurée limitée. En dehors du cas très particulier de Bracke, elle ne semblait pas particulièrement prioritaire au vu de la composition du comité de rédaction. Albert Mathiez fit exception et donna régulièrement des articles, qui témoignaient autant de son souci de défendre la mémoire militante que d’une volonté de vulgarisation érudite34. Henri Sée, membre de la SFIO, ne refusa pas non plus sa collaboration. Au total, le bilan de ces contributions, cependant, demeura maigre. André Philip, professeur à la faculté de droit de Lyon, publia également dans la revue, mais cet universitaire, gendre de Zyromski, s’exprimait bien davantage comme militant que comme intellectuel professionnel. Il en allait de même pour le normalien et agrégé de philosophie Déat ou pour le professeur de mécanique rationnelle et appliquée à l’université de Caen Zoretti. Finalement, la revue resta une publication animée par des responsables politiques, avec l’aide d’étudiants ou de jeunes militants, et la participation active du groupe encore informel des avocats socialistes35. À ce titre, si La Nouvelle Revue socialiste fut bien « l’une des nombreuses victimes du malentendu qui nourrit les rapports entre les intellectuels et la politique36 », il convient de préciser que le lectorat recherché n’était pas un public intellectuel, mais celui des militants : Dunois indiqua dans l’ultime numéro qu’il « fallait renouer les anneaux de la chaîne brisée » et contenir « l’affaissement de la culture théorique du parti socialiste ». L’expérience confirma qu’il n’existait pas un lectorat suffisant pour une revue générale et politique du socialisme, surtout si elle n’était pas relayée dans le milieu universitaire. Il n’est pas indifférent, au reste, que la revue fut créée et connut sa meilleure diffusion pendant les années qui virent fonctionner un actif groupe d’études socialistes des Écoles normales supérieures37. Longuet aurait voulu animer ce milieu, avec des dîners de La Nouvelle Revue socialiste, agrémentés de musique (Delépine au piano) et de chansons (Graziani et Fossard…), mais ces moments de sociabilité festive restèrent limités (quatre dîners au printemps 1926).

  • 38 Les Allemands Breitscheid, Müller et Sender, les Britanniques Williams, Brailsford et Mac Donald, (...)

19Comme pour Le Mouvement socialiste, les premiers numéros s’ouvrirent largement à la collaboration des responsables socialistes des autres pays. La cartographie des réseaux et des amitiés longuettistes apparut ainsi une nouvelle fois38. Longuet voulait fournir aux militants un vaste panorama de l’action socialiste internationale et les principales analyses de ses responsables. Concernant l’Europe et l’Amérique du nord, le programme fut tenu. À l’instar de ce qui se passait dans l’IOS elle-même, la part du monde colonial demeura davantage dans l’ombre. Elle n’était pas totalement ignorée : la situation des colonies apparaissait souvent sous la plume de Longuet… dans les comptes rendus de La Révolution prolétarienne. La question coloniale fut ainsi traitée dans le cadre de la préparation déjà évoquée des congrès par Lagrosillière et par Farge, par un député de Java, Stokvis, mais ce fut à peu près tout. La Nouvelle Revue socialiste chercha pourtant à s’ouvrir aux débats qui agitaient l’opinion socialiste internationale : la participation ministérielle, le bolchevisme…. Les analyses opposées de Kautsky et d’Otto Bauer furent toutes deux présentées. La marque du maire de Châtenay se révélait également par l’importance accordée à l’analyse des revues, françaises et étrangères. Il rendait régulièrement compte de chaque numéro de La Révolution prolétarienne. Seule La Vie socialiste eut droit à une recension aussi systématique. En revanche, La Bataille socialiste, plus proche en principe, ne fut citée que très épisodiquement. Pourtant, de nombreux liens personnels l’unissaient à La Nouvelle Revue socialiste : Delépine, Léo Lagrange, Berthe Fouchère, réalisaient « l’union personnelle » entre les deux publications qui devait empêcher les froissements. Longuet se faisait en outre le chroniqueur de la presse anglo-saxonne : The Labour magazine et The Socialist Review, organes militants, mais aussi Foreign Affair, et les américaines Th e Nation et The New Républic.

  • 39 Cf. P. de Villepin, « La revue Évolution et le pacifisme révisionniste (1926-1933) », Matériaux po (...)
  • 40 M. Lagrange, « Comment débuta Marcel Proust », La Nouvelle Revue socialiste, 1, 5 décembre 1925 et (...)
  • 41 Le Mouvement socialiste en Angleterre (Longuet), Le Socialisme de l’Europe moderne (Déat), Le Soci (...)

20D’autres revues analysées par Longuet nous renseignent sur ses lectures : Évolution de Victor Margueritte39, fournisseuse d’arguments contre Poincaré, parfois La Revue de Paris, et surtout Europe. Romain Rolland fut publié en bonnes pages. Longuet s’attachait en premier lieu aux aspects politiques de la revue, mais profitait également de l’occasion pour revenir sur ses classiques aimés et parfois mis à mal par la critique contemporaine, France et Tolstoï. Il avait voulu ouvrir largement la revue à la vie littéraire et artistique du moment. Firmin Gémier, dont il était l’avocat, donna ainsi pour le n° 1 un article intitulé « L’Internationale du Théâtre », destiné à montrer le rôle joué par l’art dramatique dans le rapprochement des peuples et la coopération internationale. En revanche, la participation annoncée de Roland Dorgelès resta à l’état de projet. La part des critiques littéraires et artistiques était importante. Claude Roger-Marx devait rendre compte des arts, Jean-Claude Prod’homme de la musique, Gabriel Reuillard du théâtre et Zoretti des sciences. Pour la littérature, Longuet s’était assuré le concours de jeunes lecteurs de talent : Louis Lévy, Édouard Depreux, Madeleine Lagrange (son mari Léo devait s’occuper des revues allemandes) à côté de compagnons plus âgés tels Victor Méric et Maurice Delépine. Cela permit ainsi à La Nouvelle Revue socialiste d’être parmi les premières critiques de gauche à rendre hommage au talent de Marcel Proust et de placer son œuvre au premier plan de la littérature mondiale, grâce au goût littéraire très sûr et à l’intelligence du texte de Madeleine Lagrange40. Delépine se montra très favorable à … et Cie de Jean-Richard Bloch, La Faim de Knut Hamsun, Cochinchine de Léon Werth et il n’oublia ni Panaït Istrati, ni Arcos, Barbusse, Duhamel, Béraud, Genevoix ou Giraudoux. De même, la revue présenta favorablement les premiers essais de cinéma en couleur qui effarouchaient les critiques cinéphiles. Cette place accordée à la culture et aux arts diminua naturellement avec les difficultés de la revue et la surcharge ou la fatigue des divers collaborateurs. Les différentes notices prévues se firent plus rares à partir de 1928, sans jamais disparaître tout à fait, au moins pour la rubrique littéraire. La Nouvelle Revue socialiste s’efforça également de continuer son action par la création d’une petite maison d’édition. Volonté de rechercher des financements complémentaires ou de parfaire l’organisation de l’éducation socialiste ? Mais si Frossard y publia son De Jaurès à Lénine, Nenni son essai historique La Lutte des classes en Italie, primitivement appelé Socialisme et Fascisme, les autres livres prévus restèrent à l’état de projet41.

  • 42 La Nouvelle Revue socialiste, 5, 15 avril au 15 mai 1926.
  • 43 J. Longuet, « Les enseignements du congrès… », op. cit.

21Souvenir toujours des débuts du Mouvement socialiste ? Ce fut en tout cas une revue ouverte aux jeunes, étudiants ou non, qui souhaitaient s’exprimer dans la mouvance socialiste. Les directeurs insistèrent fréquemment sur l’atmosphère de liberté qui devait régner dans les colonnes de la revue même s’ils acceptaient le contrôle du parti. Les jeunes avocats Depreux, Robert Longuet, Madeleine et Léo Lagrange, n’avaient pas trente ans. Lefranc, Aron, Deixonne, Lévi-Strauss, animateurs des Étudiants socialistes, qui publièrent leurs premières chroniques et notules dès 1926-1927, étaient naturellement encore plus jeunes. Longuet les encourageait, il évitait les polémiques discourtoises, louait ainsi « la valeur et la sincérité42 », « le beau et vigoureux talent » de Déat qui lui rappelait « la forme oratoire inoubliable de Cachin il y a quelque vingt-cinq ans43 ». Ses articles, en dehors de ses longues recensions de presse, confirmaient ses choix de propagandiste et de mémorialiste d’avant-guerre. En premier lieu, une prédilection pour les formes institutionnelles du mouvement ouvrier : les grands articles de comptes rendus de congrès et les analyses détaillées des scrutins. Six articles appartinrent à cette catégorie : « L’IOS et son congrès de Marseille », « Le congrès de Lyon et ses résultats », « Le congrès socialiste international de Bruxelles », « Les enseignements du congrès national (de Paris, janvier 1930) », ainsi que « Les élections sénatoriales », « Les élections législatives et leurs conséquences ». Même les trois articles de politique générale s’appuyaient expressément sur des débats et des décisions de congrès : « La nouvelle crise du Parti communiste français », « Le problème de l’unité prolétarienne », « L’Internationale socialiste et les délégations à Genève ». Ensuite des nécrologies de militants, souvent prétextes à des leçons d’histoire : Landrieu, Meyer London, Debs, Verfeuil, Pressemane, Bourderon et Luquet, Georges Renard, auxquels on peut ajouter deux articles commémoratifs : « Jean Jaurès, pour le douzième anniversaire », et « La formation de l’unité socialiste, pour les noces d’argent du parti ». De toute façon, la leçon de ces études était toujours la même : l’unité du parti, comment elle avait été réalisée, comment elle avait été rompue, comment elle pourrait un jour être rétablie… Il est vrai que ce fut aussi une période de division maximale entre socialistes et communistes.

Succédanées et héritières

  • 44 Secrétaire des Jeunesses Socialistes de la Seine, Favier entra en 1932 à la CAP et au Populaire do (...)
  • 45 Longuet espérait encore pouvoir relancer La Nouvelle Revue socialiste en octobre (Lettre à Kautsky (...)
  • 46 Cf. S. Clouet, De la rénovation à l’utopie socialistes, Presses universitaires de Nancy, 1991 et A (...)

22La réussite partielle et provisoire de La Nouvelle Revue socialiste se mesure également en la comparant aux autres tentatives socialistes de création de revues. Le dernier numéro de La Nouvelle Revue socialiste venait tout juste de paraître qu’intervenait un candidat à la succession : Révolte, de Paul Favier et Jacques Grumbach, dont le premier numéro fut daté de février 193144. Cette concurrence sonnait sans doute le glas des dernières espérances de relance45 de la revue de Longuet et Dunois ? Ses animateurs étaient moins connus, mais ils disposaient déjà d’utiles réseaux militants, notamment dans les milieux d’instituteurs et dans les Jeunesses socialistes, dont ils étaient les animateurs. Au moment où les normaliens socialistes qui avaient soutenu La Nouvelle Revue socialiste s’éloignaient de la vie universitaire et s’apprêtaient à fonder leur propre tendance, ce nouvel organe rappelait que la forme revue des milieux militants est souvent l’apanage des groupes de jeunes, qui, sans grands moyens financiers, ni possession de lieux de pouvoir, ont ainsi l’occasion de tenter leur insertion dans le jeu social, politique ou professionnel. Ces jeunes socialistes s’assurèrent quelques solides concours, notamment celui de Jean Itard, présent dès le début, et de Lucien Laurat, économiste autrichien très lié à Souvarine46.

  • 47 Cf. C. Prochasson, Les Intellectuels…, op. cit., p. 220-222.

23À partir de décembre 1932, Révolte fut même présenté comme la revue théorique officieuse de la SFIO, avec un comité de rédaction comprenant les principaux dirigeants : Blum, Renaudel, Paul Faure, Bracke, Déat, Séverac… à l’exception notable de Longuet et Dunois, sans doute peu ou prou mécontents d’avoir été mis implicitement à l’écart par l’apparition de cette nouvelle revue. Ils ne donnèrent d’ailleurs, ni l’un ni l’autre, d’articles à Révolte. En revanche, ils acceptèrent que la nouvelle revue reprît à son compte le service et le fichier de La Nouvelle Revue socialiste, renonçant ainsi officiellement à en prolonger un jour la publication. En tout état de cause, le rayonnement de Révolte semble avoir été réduit, et étroitement politique, affichant une sévère rigueur doctrinale, exaltant la discipline de l’intellectuel de parti47, elle ne s’imposa pas et disparut après vingt-deux numéros dans une certaine indifférence alors qu’elle cherchait à son tour à devenir une revue internationale.

  • 48 R.-J. Longuet, « Le Maroc et la guerre qui vient », Idée et action, 4, novembre 1936.

24Lui succéda deux ans plus tard, une petite revue, pour laquelle Longuet et Dunois manifestèrent probablement un peu plus de sympathie. Idée et action se présenta comme une « revue mensuelle du mouvement socialiste et syndical international ». Idée et action, publiée par les éditions du Nouveau Prométhée, prenait la suite du Combat marxiste, dans lequel Longuet avait publié son discours aux obsèques d’Allemane et quelques documents. Comme lui, elle était animée par Lucien Laurat, Marcelle Pommera, son épouse, William et Hélène Epstein. Son audience demeura faible et sa durée de vie n’excéda pas celle du gouvernement Blum : dix numéros de mai 1936 à juin 1937. Le nombre officiel d’abonnés fut annoncé à 265 au 31 décembre 1936. Quelques jeunes intellectuels écrivirent dans cette revue, de futurs responsables politiques ou universitaires, comme Louis Vallon, Pierre Stibbe, Daniel Guérin, Pierre Castex et Roger Pagosse. Robert-Jean Longuet livra plusieurs études très critiques sur les atermoiements du gouvernement au Proche-Orient et en Afrique du Nord, jugeant que la nomination du général Noguès au Maroc « déshonorait notre parti48 ». On ne peut évidemment exciper des articles du fils une position identique du père, mais il est vraisemblable que celui-ci considérait avec sympathie la petite revue à laquelle collaborait celui-là.

25Naturellement, il exista dans les années 1930 d’autres revues socialistes, mais ces deux publications furent les seules à ne pas se vouloir au service d’une tendance spécifique du mouvement socialiste et à présenter au contraire la même ambition généraliste et d’ouverture internationale que La Nouvelle Revue socialiste. Malgré, ou à cause de la montée des adhérents, l’importance des responsabilités liées à l’exercice même partiel du pouvoir, elles démontrèrent la totale incapacité du parti socialiste à faire vivre une revue d’études et de documentation. Elles prouvèrent a contrario la qualité des liens internationaux dont disposait le maire de Châtenay. En dépit des proclamations affichées, ces deux revues n’offrirent guère de tribuneaux socialistes étrangers. À peine trouve-t-on un article de De Man dans Révolte et une reprise de quelques classiques, déjà publiés, de Kautsky, Dan ou Plekhanov dans Idée et action. La Nouvelle Revue socialiste ne fut donc pas vraiment remplacée et sa disparition début 1931 était aussi un signe de l’affaissement de l’IOS et de ses réseaux dans les années 1930.

Associations de solidarité internationale

26Un large pan de l’activité de Longuet, mais pas de lui seul, demeure mal connu. Cet homme de contacts et de liaisons fut aussi naturellement un habitué des comités unitaires de toutes sortes, où se retrouvaient hommes politiques, universitaires, journalistes et autres. Or, ces associations n’ont pas toujours laissé de presse spécifique, les archives ont souvent été dispersées et tout ce qui se passait en rencontres formelles, ou informelles, s’est évanoui. Quelques-uns de ces comités peuvent toutefois être repérés, sans qu’il ne soit guère possible pour le moment d’aller au-delà.

Réfugiés et immigrés

  • 49 Cf. M. Livian, Le Parti socialiste et l’immigration, Anthropos, 1982 et « Jean Longuet et les réfu (...)

27On retrouvait naturellement Longuet à la commission d’immigration instituée en 1930 auprès de la CAP et placée sous la présidence de Jules Moch comme à la sous-commission déjà évoquée mise en place en mai-juin 1933 pour venir en aide aux réfugiés allemands. Ses amis Livian et Delépine assuraient le fonctionnement de la commission d’immigration avec l’aide de Magdeleine Paz49. En 1934, Depreux remplaça Moch à la présidence. De même, Longuet siégeait au comité d’honneur des Amis des travailleurs étrangers, dirigé par Magdeleine Paz et créé par la SFIO au début de 1935 pour obtenir des concours militants en dehors des seuls cadres du parti. En principe, selon Livian, la commission s’occupait des questions législatives et des réfugiés politiques, les Amis des travailleurs étrangers. « L’union personnelle », chère à Longuet, limitait de fait les risques de concurrence et de double emploi. Le dispositif socialiste était complété par une revue spécialisée, La Revue pratique de droit international, dont le directeur était Delépine et le rédacteur en chef Livian (d’avril 1934 à janvier-mars 1938). Les avocats spécialisés sur ces dossiers, Longuet, Depreux, Delépine, Léo Lagrange, dont Livian était un collaborateur, avaient déjà travaillé ensemble au sein de La Nouvelle Revue socialiste : réseau étroit, mais soudé…

  • 50 Cf J.-C. Bonnet, Les Pouvoirs publics français…, op. cit.
  • 51 Cf. R. Schor, L’Opinion française et les étrangers en France 1919-1939, Publications de la Sorbonn (...)
  • 52 O. Milza, « La gauche, la crise et l’immigration », Vingtième siècle, 7, juillet-septembre 1985.
  • 53 L.-O. Frossard, « Les ouvriers étrangers et le groupe socialiste » et R. Salengro, « Autres armes  (...)
  • 54 Cf. H. Olten, Weltappel für Asylrecht, Éditions universelles, 1936.
  • 55 La date limite fut reportée au 31 janvier 1937, cf. M. Livian, op. cit., qui répond à Rita Thalman (...)

28L’aggravation des dispositions législatives et des conditions de travail des étrangers50 avec l’afflux des réfugiés et la crise économique donnaient à ces minces structures un travail croissant. L’attitude non dénuée d’ambiguïté prise par les socialistes au moment du vote de la loi du 10 août 1932 ne facilitait pas la tâche de ce petit groupe, même si les décrets d’application les plus restrictifs furent pris sous les gouvernements Flandin et Laval51. En fait, comme le note Olivier Milza52, l’absence de politique définie à l’égard des étrangers avant la nomination de Philippe Serre au gouvernement (juin 1937) se faisait sentir parmi les socialistes, ballottés entre la solidarité de principe avec les réfugiés politiques, la compréhension que les droits civils demeuraient peu de chose sans reconnaissance au droit du travail, et la propension à voir dans le recours à une main-d’œuvre étrangère, peu payée et peu « consciente », une arme du patronat53. Longuet ne sembla pas au sein de son conseil municipal fournir d’effort particulier pour faire évoluer le point de vue des militants locaux en ce domaine. Les socialistes privilégièrent longtemps le problème des réfugiés politiques. Dès la victoire du Front populaire, coordonné par Jules Moch, le petit réseau spécialisé fut mis à contribution et prépara la conférence internationale des partis socialistes, syndicats et organisations de réfugiés qui se réunit à Paris en juin 193654. Longuet dirigeait la délégation de la SFIO, assisté de Moutet et Grumbach, et prépara ainsi la conférence intergouvernementale pour l’adoption d’un statut pour les réfugiés allemands à Genève (4 au 6 juillet). Les résultats de la conférence furent très limités puisque sur les quinze pays présents, seuls six adoptèrent avec réserves l’Arrangement provisoire, et deux intégralement (France et Danemark). Le décret du 17 septembre 1936 permit d’établir un certificat d’identité aux réfugiés allemands et leur reconnut le droit au travail. La date limite de l’entrée en France avant le 5 août 1936 pour la régularisation de la situation juridique des réfugiés et les nouvelles procédures applicables aux frontières à compter de cette date put s’interpréter de manière diverse55. Jusqu’au printemps 1938 cependant, la situation des réfugiés s’améliora globalement et Longuet demeurait une des principales chevilles ouvrières du dispositif léger mis en place par les socialistes pour ce faire.

  • 56 Paul Perrin a été un homme-clef des associations du Rassemblement populaire. Son souvenir s’est es (...)
  • 57 Le tournant eut lieu en mai 1938 avec plusieurs décrets Sarraut qui aggravèrent la situation des é (...)

29La conférence déboucha également sur la mise en place d’un Bureau international pour le respect du droit d’asile et l’aide aux réfugiés politiques. Celui-ci avait été précédé par un organisme confédéral, le centre de liaison des comités pour le statut des immigrés, constitué en janvier 1936, avec Henri Levin comme secrétaire. Paul Perrin dirigeait le Bureau international avec l’assistance d’un juriste, Léo Lambert. Paul Perrin fut souvent associé aux entreprises de Longuet (et vice versa). Ingénieur, député républicain-socialiste de 1932 à 1936, il présidait la Fédération nationale des officiers de réserve républicains56. C’est à ce titre qu’il avait été choisi pour diriger ce bureau, sorte de comité de liaison qui réussit à associer l’ensemble des partis de gauche, la CGT et les principales associations de défense des droits de l’homme (FIDH, Ligue contre l’antisémitisme, Juristes démocrates, Quakers…) aux côtés de représentants des émigrations politiques italiennes et allemandes. Longuet y représentait offi ciellement la SFIO avec Magdeleine Paz et Marcel Livian. L’éternel petit groupe travailla à obtenir les circulaires les plus libérales et l’interprétation la plus bienveillante de l’administration sous les gouvernements de Front populaire. Son action fut officialisée par la création d’un comité consultatif placé aux côtés du gouvernement et représentatif des associations françaises et d’étrangers. Il eut donc un rôle d’influence, jusqu’à l’arrivée au ministère de l’Intérieur d’Albert Sarraut57, mais il ne put réussir à faire aboutir le statut préparé par Philippe Serre. Le centre de liaison des comités pour le statut des immigrés qui s’occupait également des réfugiés non politiques maintint son existence, mais les dissensions du Front populaire se répercutèrent sur ses activités et les relations avec le parti socialiste, qui n’avaient jamais été simples, devinrent difficiles. La SFIO se retira du comité de liaison au début de 1938, ce que regretta Longuet.

Nations agressées et opprimées, défense de la paix

  • 58 Le Populaire, 15 novembre 1934.
  • 59 Le Populaire, 5 octobre 1935. Ce comité était une émanation du comité de lutte contre la guerre, d (...)

30Après l’échec de « la Commune des Asturies » et la répression qui suivit en Espagne, fut recréée une association des Amis de l’Espagne, patronnée par Henri Torrès et Élie Faure. La première liste publiée mit en évidence la participation d’intellectuels antifascistes, essentiellement écrivains, aux côtés de rares responsables politiques, dont Longuet58. Celui-ci était également partie prenante du comité international pour la défense du peuple éthiopien et de la paix dont le secrétariat fut assuré par l’avocate communiste Léo Wanner, puis par Robert Longuet59, du comité de défense du peuple syrien avec les mêmes Léo Wanner, Francis Jourdain et Andrée Viollis, de la Société des amis du peuple chinois, officiellement présidée par Herriot, du comité d’honneur du Comité international d’aide au peuple espagnol, et probablement de beaucoup d’autres encore… En tout cas, assez souvent, son nom apparaissait parmi les membres de l’instance chargée du travail effectif de l’association, non parmi les signataires honoraires. Signe de disponibilité : ce n’était pas tant, ou pas seulement, la personnalité historique au passé prestigieux qui était sollicité, mais un militant, chargé de responsabilités, mais volontiers prêt à répondre aux appels qui lui étaient adressés.

  • 60 Cf. M. Dreyfus, « Le PCF et la lutte pour la paix du Front populaire à la seconde guerre mondiale  (...)

31Le Rassemblement universel pour la paix60 avait des ambitions plus générales et d’une autre ampleur que les associations précédentes. Face à la montée des fascismes, le RUP constitua une tentative d’organisation de masse pacifiste et antifasciste. Le congrès initial qui réunit 5 000 personnes au stade du Heysel (Bruxelles) du 3 au 6 septembre 1936 fut incontestablement une réussite. À l’origine de ce mouvement se trouvaient plusieurs personnalités progressistes françaises et anglaises. Lord Robert Cecil était conservateur, mais président de la League of Nations Union, il appartenait à la tradition de conservateurs britanniques éclairés que Longuet fréquentait depuis Pro Armenia. Le prix Nobel de la Paix Norman Angell était un ancien compagnon du combat pacifiste de la Première Guerre mondiale, Philip Noel-Baker passait selon Longuet pour le futur ministre des affaires étrangères d’un gouvernement travailliste. Il ne le fut d’ailleurs jamais, mais obtint lui aussi le Nobel de la Paix. Herriot et Jouhaux apportaient la caution de leurs organisations, Louis Dolivet, communiste, était le discret et savant maître d’œuvre de l’ensemble. Pierre Cot, président de la branche française du RUP, allait entretenir d’excellentes relations avec Longuet qu’il ne connaissait guère auparavant. Les deux hommes eurent sensiblement les mêmes positions en politique extérieure. Longuet, délégué à la conférence de Bruxelles par les Amis du Peuple chinois, gardait sans doute quelque méfiance, nourrie par sa longue expérience, envers le parti communiste, qu’il ne considérait pas lié de manière consubstantielle à l’anti-fascisme, mais il estimait que l’essentiel était son accord résolu, dans la période présente, pour mener une politique de fermeté face aux menaces fascistes.

Voyages et amis

  • 61 Cf. G. Devin, L’Internationale socialiste, Presses de la FNSP, 1993, p. 347-351.

32Le maillage du réseau Longuet ne s’inscrivait pas seulement dans ces cadres institutionnels. Il était tissé d’un nombre impressionnant de relations personnelles, liens amicaux, au sens politique du terme, ou cordiaux, de compagnons qui correspondaient, se retrouvaient à l’occasion de congrès, de campagnes électorales ou de voyages d’agrément. L’utile se joignait à l’agréable : ces contacts entre dirigeants fonctionnaient également comme mode réciproque de reconnaissance et de promotion, valable pour les individus comme pour les groupes représentés61. Habitué des congrès et socialiste « par naissance », Longuet manifesta toujours un grand respect pour les dirigeants de chaque parti, « guides sûrs et aimés », éprouvés par de nombreuses années d’apprentissage. Le socialisme s’incarnait dans ses dirigeants qui enseignaient au peuple ses droits. « Marxiste de la Deuxième Internationale », Longuet distinguait « l’homme de la rue », ignorant des réalités politiques, du peuple qui devenait lui-même grâce à la conscience de classe apportée par le mouvement socialiste. Cette mission dont étaient investis les dirigeants socialistes ne leur valait prestige et affection que si ceux-ci la respectaient, s’ils demeuraient fidèles à cette parole libératrice qu’ils devaient répandre. Un Mac Donald, ami de vingt ans, n’était plus qu’un malheureux renégat après sa volte-face de 1931.

33Ces relations entre dirigeants ne sont pas toujours faciles à reconnaître ou à apprécier. Les correspondances subsistantes n’en laissent deviner que quelques aspects partiels. Néanmoins, pour Longuet, s’impose la prédominance des amitiés franco-britanniques. Deux catégories parmi celles-ci : d’abord, les responsables, politiques ou syndicaux, du Labour : Mac Donald, Lansbury, Dalton reçurent chez eux Longuet. Il rencontra fréquemment Noel-Baker, Morrisson et Attlee, après son élection à la tête du parti. Ensuite, les journalistes amis, comme Robert Dell, du Manchester Guardian. Que ce fût pour un congrès ou une campagne électorale, Longuet avait l’occasion de se rendre en Grande-Bretagne au moins une fois l’an. Il y passa près de deux mois à la fin de l’été 1933. Il continuait, de surcroît, à être un collaborateur fidèle de la presse travailliste, notamment du New Leader de Brailsford et du quotidien officiel, dirigé par Lansbury, le Daily Herald.

  • 62 M. Hillquit, « Jean Longuet en Amérique », Le Populaire, 23 janvier 1923.
  • 63 Archives Longuet Marx, dossier Correspondance et journaux étrangers. Longuet recevait en moyenne 3 (...)
  • 64 Archives Longuet Marx, dossier Correspondance et journaux étrangers, lettre à Joseph Chapiro, 15 m (...)

34Aux États-Unis, Longuet admirait fort Debs, mais ce personnage de légende correspondait pour lui à l’image paternelle de Jaurès ou de Guesde. Les socialistes américains avec lesquels il était en relation étaient Morris Hillquit, et, de manière moins intime cependant, Algie M. Simons et Victor Berger. Il connaissait depuis sa jeunesse Abraham Kahan, directeur du Call. Toute sa vie, Longuet conserva un souvenir ému de son voyage auxÉtats-Unis et au Canada, qui dura tout un trimestre. Outre-Atlantique, il croisa Albert Thomas et il aurait pu rencontrer Clemenceau. Traité comme « le premier socialiste européen de marque qui rompit le charme de notre isolement forcé62 », le directeur-fondateur du Populaire parla à New York, Boston, Harvard, Philadelphie, Baltimore, Rochester, Buffalo, Cleveland, Pittsburgh, Washington, Millwaukee, Détroit, Minneapolis, Saint-Louis, avec un passage à Toronto et Montréal au retour : 70 réunions en dix semaines. L’acmé de ce périple fut en décembre le grand meeting de Chicago, avec Debs, devant 5 000 personnes. Auditoires ouvriers de l’Amérique industrielle du Nord-Est et public étudiant dans différents collèges universitaires, courtois et respectueux de la liberté de parole, apportèrent un précieux réconfort à Longuet, éprouvé par la scission et l’échec de la conférence unitaire de Berlin, marginalisé dans son parti. Il conserva de ce voyage des liens chaleureux avec les socialistes et les milieux progressistes américains. Lecteur assidu de Th e Nation, dont Robert Dell continuait à être le correspondant pour la France, Longuet collabora quelque temps au Milwaukee Leader de Berger et adressa jusque dans les années 1930 des correspondances au Baltimore Sun de Paul Patterson63. L’étroitesse de ces relations était telle que fut même envisagé un instant, mais le projet n’eut pas de suite, une aide financière particulière à Longuet pour la campagne électorale de 192464.

35Admirateur de la social-démocratie allemande, Longuet reçut en 1914 avec chaleur Karl Liebknecht, qui était dans une situation familiale et militante comparable à la sienne. La grande admiration qu’il éprouvait pour Eisner aurait sans doute débouché sur des relations amicales, si le dirigeant bavarois n’avait été assassiné dès 1919. Au cours des années de l’entre deux-guerres, ses relations n’excédèrent pas le cadre politique. En Autriche, Kautsky comme Bernstein demeuraient pour lui des maîtres vénérés avec lesquels il essayait de correspondre filialement le plus souvent possible. Il admirait Otto Bauer, mais les relations personnelles furent davantage établies avec Fritz Adler, qu’il rencontrait fréquemment grâce aux réunions du comité exécutif de l’Internationale ouvrière socialiste.

36Son intérêt pour l’Europe du Nord, dans les années 1930, ne se fondait sur aucun voyage particulier, hormis le souvenir du congrès international de Copenhague en 1910, alors qu’il se rendit, pour des raisons militantes, en Hongrie (décembre 1932), en Pologne et en Tchécoslovaquie (janvier-février 1937). Il interviewa Borgbjerg, Sandler, Branting fils, qui avait traduit en suédois son premier livre, mais il ne saurait être question de véritables relations de camaraderie amicale. Il en allait de même pour la Belgique qu’il connaissait bien : les rapports avec Vandervelde, Anseele, de Brouckère ne devaient guère prendre un caractère personnel, malgré son admiration pour les réalisations du parti belge et ses fréquents voyages à Bruxelles. Situation analogue en Espagne : les comptes rendus des voyages de 1929, 1930 et 1932 décelaient de l’enthousiasme chez leur auteur, mais aucun correspondant personnel n’émergea, semble-t-il.

  • 65 Les rapports de la CAP pour les congrès, comptabilisèrent 32 réunions de Longuet de juin 1932 à ma (...)

37Les voyages pouvaient parfois remplacer au lieu de renforcer les amitiés. Ils donnèrent à Longuet une connaissance pratique sans égale des réalités nationales, mais ils lui furent aussi reprochés. En banlieue sud, des électeurs pouvaient estimer trop souvent absent leur maire, conseiller général ou député. Le docteur Bianquis, pendant la campagne électorale de 1936, utilisa cet argument. Si nous considérons la période 1932-1936, pendant laquelle il était à la fois député, maire, conseiller général, et sans retenir les simples déplacements en province65, ni les réunions de l’IOS à Bruxelles ou Zürich, nous constatons que Longuet fut dans l’obligation de s’absenter pendant une bonne partie de l’été. Fin juillet, début août 1932, il plaida à Budapest pour des communistes hongrois. Ensuite, il prit d’assez longues vacances, chargées cependant de devoirs militants, en août et septembre 1932 : il séjourna sur la côte basque avant de visiter l’Espagne. En octobre, il assista au congrès travailliste de Leicester : il n’était pas revenu en Grande-Bretagne depuis février où il avait été l’hôte des Lansbury. À nouveau, d’assez longues vacances en Angleterre, qui durèrent de six à huit semaines en août-septembre 1933, pendant lesquelles il passa un agréable week-end chez les Dalton. Elles furent toutefois interrompues par la conférence socialiste internationale de Paris, du 21 au 26 août. Longuet retourna en Angleterre en octobre pour suivre les travaux du congrès travailliste d’Hastings. L’année 1934 fut plus calme : Longuet était du reste retenu à Paris par les travaux de la commission d’enquête sur le 6 février. Fin septembre, il était à Genève où il interviewait le ministre des Affaires étrangères suédois, président de l’assemblée de la SDN, puis le ministre danois Borgbjerg. Une bronchite et la nécessité d’une petite opération le contraignirent à demeurer à Menton, puis à Bormes-les-Mimosas, en janvier et février 1935. Puis, il prit quelques vacances à Jersey, qu’il termina à Bruxelles, avant de se rendre à Genève pour une semaine. En août, il assistait à la manifestation socialiste de Bruxelles contre l’agression italienne en Éthiopie. En octobre, il était à Brighton pour le congrès travailliste, revenait à Bruxelles pour la réunion de l’Internationale, mais il retournait en Grande-Bretagne à la fin du mois et début novembre suivre la campagne électorale. Enfin, il assistait au début de 1936, toujours à Bruxelles, à la cérémonie pour le 70e anniversaire de Vandervelde, avant de rencontrer Citrine à Londres en février. Son échec lui laissa le temps de rendre visite à son ami Lansbury, à Londres, dès le mois de juin. Une telle surcharge d’activités et de déplacements supposait une bonne organisation du travail dans les différentes instances dans lesquelles étaient présent Longuet. En ce qui concernait son « fief électoral » de banlieue, malgré les aides et dévouements, il n’était pas certain que cela suffît à pallier les inconvénients de ses absences. En revanche, ces équipées, accompagnées de contacts directs, permettaient à Longuet de cultiver son sentiment d’appartenance à la famille socialiste internationale, et, dans le respect des différences nationales, de « penser internationalement ».

  • 66 Cf. CRCEDHC, Fonds Longuet, 7/1/147 et archives Longuet Marx, dossier Correspondance et journaux é (...)

38Longuet ne visita jamais l’Amérique latine, ni l’Asie, qui ne semblait guère l’attirer, ni l’Afrique en dehors de son séjour à Casablanca, en novembre 1927, pour le procès Farge-Antonelli. Mais il pouvait compter sur des informateurs ou des correspondants. L’émir Chékib Arslan pour la Syrie, le chérif Abd el Hakim, Yves Farge, puis les Jeunes Marocains, notamment Ouazzani pour le Maroc, ne furent pas seuls. Il garda longtemps des liens avec les travaillistes australiens et néo-zélandais : pendant la longue période où il fut privé de mandat parlementaire (1920-1932), Longuet envoya des correspondances à divers journaux des pays océaniens, tels le Worker de Brisbane, le Labor Call de Melbourne, le Maoriland Worker et Th e Worker de Wellington66. Ces quelques informations, au demeurant, ne sont que des relevés aléatoires de traces des collaborations étrangères de Longuet, dont la recension complète pour cette période comme pour celle qui précéda la guerre n’aurait de sens qu’au sein d’un travail collectif sur l’ensemble des rédacteurs et des participations croisées de la presse socialiste.

39Ces innombrables réseaux ne laissent cependant pas au total l’image d’un maillage très serré. Ils furent en effet le plus souvent étroitement situés dans le temps. La « belle époque » du socialisme international se déroula dans les années 1920, marquées par les succès de l’idéologie de la SDN, la diffusion de ce qui avait été le « wilsonisme » et dont les socialistes pouvaient se considérer à la fois comme les précurseurs et les héritiers. L’Internationale se reconstruisait et s’étendait, des gouvernements à direction socialiste se faisaient de moins en moins rares, le bolchevisme semblait contenu et en voie d’essoufflement, Longuet lui-même voyait son rêve d’une grande revue du socialisme international prendre forme.

  • 67 J. Longuet, « Notre “conciliabule de fantômes” », Le Populaire, 20 août 1933.
  • 68 J. Longuet, « La conférence socialiste internationale de Paris », Le Populaire, 21 août 1933 ; « L (...)

40La crise, la montée des fascismes, le regain de dynamisme du communisme, et surtout les contradictions et les divisions internes du socialisme allaient présenter dans les années 1930 un tableau singulièrement différent. L’IOS n’était plus en mesure de tenir d’importantes assises. Contrainte à la défensive, elle n’était plus un outil décisif dans la lutte contre le fascisme et Longuet, qui avait toujours été conscient qu’elle ne représentait qu’une partie du mouvement ouvrier, apportait son concours à des organisations spécifiques, le plus souvent à l’existence brève, palliatifs de la grande Internationale qu’il aurait souhaité voir vivre et s’affirmer face aux dangers de guerre et de fascisme. Le bilan pour Longuet prenait un tour assez tragique : alors que la situation exigeait que l’Internationale répondit aux attentes placées dans sa déclaration initiale, elle-même et tous les réseaux socialistes internationaux dans son orbite s’affaiblissaient. Lui-même pouvait bien s’efforcer de faire face : piqué au vif par les remarques de Renaudel et de ses amis, et notamment de celles de Ramadier qui avait parlé de « conciliabule de fantômes » et de « réunions de proscrits », il affichait sa foi dans la victoire finale, rappelait qu’il avait connu Lénine, Pilsudski, Mussolini, De Valera, Caballero proscrits et que « ça change », que les socialistes progressaient dans les pays anglo-saxons, en Europe du Nord, que de « cruels échecs » ne signifi ait pas « effondrement », que les « solutions de violence du fascisme étaient incapables de résoudre les contradictions du capitalisme67 ». Il ne pouvait pour autant mettre en valeur des initiatives propres à l’IOS qui ne venaient guère et se retrouvait assez seul à s’enthousiasmer pour la conférence socialiste internationale de Paris68. De même, il multiplia les efforts pendant la guerre d’Espagne afin de faire jouer un rôle à l’IOS, aussi bien pour la solidarité avec l’Espagne républicaine que pour la redéfinition de la politique de non-intervention. Avec Schevenels, secrétaire de la FSI, il rédigea le premier appel commun de l’IOS et de la FSI proclamant « la cause de l’Espagne est celle de la démocratie universelle ». Les nombreuses réunions du comité exécutif, les déclarations et une ébauche de rencontre avec l’IC ne donnèrent guère de résultats concrets. Paralysée comme ses sections nationales par ses dissensions, l’Internationale lançait de vagues exhortations qui demeuraient vaines.

  • 69 Cf. G. Devin, L’Internationale socialiste, op. cit., p. 15.
  • 70 F. Adler, « L’IOS à la veille de la 2e Guerre mondiale », Le Mouvement social, 58, janvier-mars 19 (...)

41Fait significatif : les dirigeants du SPD en exil se retrouvèrent rassemblés en 1938 dans la petite ville dont Longuet était maire. Cela soulignait sans doute le mérite personnel de celui-ci, mais cela confirmait avant tout l’échec de sa famille politique à maintenir une organisation internationale. L’IOS disparut sans gloire alors que les conditions de son maintien pouvaient paraître beaucoup plus aisées que pour la Deuxième Internationale en 191469. Au moins, Longuet ne connut pas l’apogée de la crise interne de l’IOS, après Munich et la démission du secrétaire Adler et du président De Brouckère devant la « tendance isolationniste » des États neutres et la « tendance autonomiste » des travaillistes partisans de la fermeté70. En septembre 1938, il pouvait encore croire que la ligne qu’il défendait l’emporterait et que l’IOS serait un lieu d’impulsion et d’animation de la résistance au nazisme. Certes, l’échec des réseaux et moyens d’action internationaux auxquels il était attaché, dépassait sa simple personnalité, et n’enlevait rien à son mérite propre. Le mouvement socialiste était ballotté entre le désir de paix, la volonté de s’opposer au nazisme et les tentations de repli sur l’organisation nationale. Ces contradictions ne purent se résoudre avant la guerre, qui bouleversa toutes les données, et l’action de Longuet, même estimable, voire prophétique, n’eut pas de prise réelle sur le présent.

Notes

1 Participaient la SFIO, le SPŒ, le parti social-démocrate allemand de Tchécoslovaquie, l’USPD, l’ILP, le parti socialiste suisse, les mencheviks, le parti socialiste américain (observateur).

2 Cf. A. Donneur, Histoire de l’Union des partis socialistes pour l’action internationale (1920-1923), Genève/Sudbury, IUHEI/Éd. de l’université laurentienne, 1967.

3 Outre les partis présents à Berne en décembre 1920, étaient représentés les SR de gauche russes et lithuaniens et des organisations de Hongrie, Roumanie, Yougoslavie, Lettonie et le Bund. L’Union reçut aussi les adhésions des partis socialistes d’Argentine, de Finlande et de Grèce.

4 J. Longuet, « L’œuvre d’Amsterdam », Le Populaire, 7 avril 1921, « Au lendemain d’Amsterdam », ibid., 8 avril 1921 et Bracke, « Réformisme », ibid., 9 avril 1921.

5 A. Bergounioux, « L’I.O.S. entre les deux guerres », in Hugues Portelli, L’Internationale socialiste, Éd. ouvrières, 1983

6 J.M. Keynes, « L’occupation de la Ruhr et le traité de Versailles », Le Populaire, 29 avril 1921. Longuet le rencontra à la conférence pour la reconstruction économique de l’Europe en octobre 1921.

7 J. Longuet, « Ce que nous en dit Krassine », Le Populaire, 29 octobre 1921.

8 « Nos tchékistes ne sont pas des lettrés de talent », la plupart de ses arguments se résument au fait que la Russie révolutionnaire doit avoir les moyens de son existence, d’où la nécessité de contrôler le pétrole du Caucase et de ne pas s’attarder au sort des mencheviks de Géorgie. Conférence des Trois Internationales, Bruxelles, Libraire du Peuple, 1922.

9 G. Mauranges, « L’action internationale », Le Populaire, 14 septembre 1922.

10 J. Paul-Boncour, « Parlons clair », Le Populaire, 18 septembre 1922.

11 Renaudel l’expliqua nettement à Kautsky : « Enfin ! Voici que le grand événement s’est accompli ! Votre unité est faite. Vous pouvez croire que nous avons été presque tous forts heureux de la voir s’accomplir. Vous vous doutez à qui mon “presque” s’applique. Cependant, je dois dire que notre ami Longuet accepte maintenant le fait accompli, qu’il n’oppose plus à l’unité internationale elle-même de résistance véritable, et qu’il demande seulement qu’on ne procède pas avec trop de précipitation. C’est une chose qui peut s’accorder avec la volonté de réaliser l’unité dans un délai assez proche, malgré tout, et surtout de prendre les mesures nécessaires pour que l’action du socialisme international dans l’organisation de la paix puisse prendre de plus en plus d’efficacité » (Lettre de Renaudel à Kautsky, 11 octobre 1922, IIHS, Fonds Kautsky).

12 « Jean Longuet en Amérique », Le Populaire, 18 octobre 1922. Jean Longuet partit le 28 octobre de Cherbourg.

13 « On a fêté le retour de Jean Longuet », Le Populaire, 2 février 1923.

14 Bracke assurait l’intérim de Blum à la direction du Populaire.

15 Deuxième congrès de l’Internationale ouvrière socialiste, Marseille, 22 au 27 août 1925.

16 Cf. J. Longuet, « L’Internationale et son congrès de Marseille », La Nouvelle Revue socialiste, 1, 5 décembre 1925.

17 Sur la crise consécutive à la victoire nazie, cf. B. Groppo, « L’Internationale ouvrière socialiste en 1933 », in S. Wolikow et M. Cordillot, Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ? Les difficiles chemins de l’internationalisme (1848-1956), Dijon, EUD, 1993.

18 Cf. M. Dreyfus, Bureau de Londres ou IV e Internationale ? Socialistes de gauche et trotskystes en Europe (1933-1940), thèse, Paris X, 1978 et G. Vergnon, « Les regroupements internationaux au printemps 1933 », in S. Wolikow et M. Cordillot, op. cit.

19 Rapport du Secrétariat en vue du troisième congrès de l’Internationale ouvrière socialiste, Bruxelles, 5 au 11 août 1928.

20 J. Longuet, « Le congrès socialiste international de Bruxelles », La Nouvelle Revue socialiste, 25, 1er août au 1er octobre 1928.

21 Cf. P. Belmihoub, Joseph Lagrosillière et les vieilles colonies, maîtrise, Paris XII, 1992.

22 J. Lagrosillière, « Le Parti socialiste et la question coloniale », La Nouvelle Revue socialiste, 8, 15 juillet au 15 août 1926 et 9, 15 août au 15 octobre 1926.

23 J. Longuet, « L’impérialisme russe dans le Turkestan », Le Populaire, 2 septembre 1928.

24 Y. Farge, « Quelques aspects marxistes du problème colonial », La Nouvelle Revue socialiste, 13, 15 décembre 1926 au 15 février 1927.

25 La résolution évoquait pour les colonies à civilisation développée le soutien de l’IOS à une « administration autonome ». Stefany fit préciser que cela pouvait être « toute forme d’administration revendiquée par la population indigène de ces régions elle-même ».

26 J. Longuet, « Le congrès socialiste international… », op. cit.

27 24e congrès de Lyon…, op. cit.

28 Émile Kahn (1875-1958), de La Vie socialiste, fut secrétaire général (1932-1953) puis président (1953-1958) de la Ligue des droits de l’homme.

29 La diffusion de cet hebdomadaire, fondé en septembre 1924, demeurait confidentielle : le tirage était limité à 760 exemplaires (343 en allemand, 157 en français, 260 en anglais).

30 J. Omnès, « L’aide aux émigrés politiques (1933-1938). L’exemple du Secours rouge, de la Ligue des droits de l’homme et du Parti socialiste », in G. Badia (dir.), Les Bannis de Hitler, EDI/PUV, 1984.

31 Cf. M. Rebérioux, « La Revue socialiste », Cahiers Georges Sorel, 5, 1987.

32 « Déclaration », La Nouvelle Revue socialiste, 1, 5 décembre 1925.

33 Le déficit annuel de la revue était évalué à 20 000 francs, La Nouvelle Revue socialiste, 23, 15 avril au 15 juin 1928.

34 Sur Mathiez politique, cf. J. Friguglietti, Albert Mathiez (1874-1932), un historien révolutionnaire, Société des études robespierristes, 1974.

35 Le groupe des avocats socialistes fut officiellement reconstitué en octobre 1930.

36 C. Prochasson, Les Intellectuels…, op. cit., p. 230.

37 Ce groupe a été l’objet de nombreuses études de son ancien animateur, Georges Lefranc, notamment dans Visages du mouvement ouvrier français, PUF, 1982. Il est à l’origine de la tendance Révolution constructive, cf. S. Clouet, De la rénovation à l’utopie socialistes, Révolution constructive, un groupe d’intellectuels socialistes des années 1930, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1991, qui n’évoque pas les relations du groupe et de La Nouvelle Revue socialiste.

38 Les Allemands Breitscheid, Müller et Sender, les Britanniques Williams, Brailsford et Mac Donald, les Autrichiens Adler, Kautsky et Bauer, les Belges Vandervelde et De Man, les Italiens Nenni, Salvemini et Modigliani, le Hollandais Vliegen, les Tchécoslovaques Soukup et Hillebrand, les Espagnols Besteiro et Caballero, l’Américain Hillquit et les Russes exilés Dan et Tseretelli, sans oublier Roumains, Polonais, Hongrois, Scandinaves, Portugais, Serbes.

39 Cf. P. de Villepin, « La revue Évolution et le pacifisme révisionniste (1926-1933) », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 30, janvier-mars 1993.

40 M. Lagrange, « Comment débuta Marcel Proust », La Nouvelle Revue socialiste, 1, 5 décembre 1925 et « Le temps retrouvé », ibid., 22, 15 février au 15 avril 1928. Elle défendit aussi Paulina 1880 de Jouve, Les Conquérants de Malraux, et, non sans prudence, Si le grain ne meurt de Gide. La critique socialiste apprécia Proust plus vite qu’on le laissa parfois entendre : cf. aussi Séverac dans Le Populaire, 10 octobre 1928.

41 Le Mouvement socialiste en Angleterre (Longuet), Le Socialisme de l’Europe moderne (Déat), Le Socialisme révolutionnaire, Babeuf et Blanqui (Delépine), Le Socialisme et la défense nationale, (Renaudel), Histoire de la Première Internationale (Dunois), La Social-démocratie (Grumbach), Le Socialisme dans la III e République (Louis Lévy), Proudhon (Déat), Jaurès (Blum), L’idée de révolution (Blum), La S.D.N., L’œuvre du B. I. T. (non attribués).

42 La Nouvelle Revue socialiste, 5, 15 avril au 15 mai 1926.

43 J. Longuet, « Les enseignements du congrès… », op. cit.

44 Secrétaire des Jeunesses Socialistes de la Seine, Favier entra en 1932 à la CAP et au Populaire dont il devint administrateur après guerre. Grumbach avait dirigé les JS de la Seine avant Favier. Proche de La Bataille socialiste, il militait dans l’Aube où il fut conseiller général. Il fut tué en tentant de passer en Espagne pendant la guerre.

45 Longuet espérait encore pouvoir relancer La Nouvelle Revue socialiste en octobre (Lettre à Kautsky, 20 mai 1931, IIHS, Fonds Kautsky, D XVI/105).

46 Cf. S. Clouet, De la rénovation à l’utopie socialistes, Presses universitaires de Nancy, 1991 et A. Roche (dir.), Boris Souvarine et la critique sociale, La Découverte, 1990.

47 Cf. C. Prochasson, Les Intellectuels…, op. cit., p. 220-222.

48 R.-J. Longuet, « Le Maroc et la guerre qui vient », Idée et action, 4, novembre 1936.

49 Cf. M. Livian, Le Parti socialiste et l’immigration, Anthropos, 1982 et « Jean Longuet et les réfugiés », op. cit.

50 Cf J.-C. Bonnet, Les Pouvoirs publics français…, op. cit.

51 Cf. R. Schor, L’Opinion française et les étrangers en France 1919-1939, Publications de la Sorbonne, 1985.

52 O. Milza, « La gauche, la crise et l’immigration », Vingtième siècle, 7, juillet-septembre 1985.

53 L.-O. Frossard, « Les ouvriers étrangers et le groupe socialiste » et R. Salengro, « Autres armes », Le Populaire, 1er et 25 décembre 1931.

54 Cf. H. Olten, Weltappel für Asylrecht, Éditions universelles, 1936.

55 La date limite fut reportée au 31 janvier 1937, cf. M. Livian, op. cit., qui répond à Rita Thalmann, « L’immigration allemande et l’opinion publique en France 1933-1936 », France-Allemagne 19321936, CNRS Éditions, 1980.

56 Paul Perrin a été un homme-clef des associations du Rassemblement populaire. Son souvenir s’est estompé, sans doute en raison de son activité ultérieure dans la collaboration.

57 Le tournant eut lieu en mai 1938 avec plusieurs décrets Sarraut qui aggravèrent la situation des étrangers. La SFIO réagit par une délégation auprès du ministre, mais ne fit guère davantage. Cf. Le Populaire, 25 mai 1938 et K. Bartosek, R. Gallissot et D. Peschanski, De l’exil à la Résistance, PUV/Arcantère, 1989.

58 Le Populaire, 15 novembre 1934.

59 Le Populaire, 5 octobre 1935. Ce comité était une émanation du comité de lutte contre la guerre, dit « Amsterdam-Pleyel », cf. Y. Santamaria, « Un prototype toutes missions… », op. cit.

60 Cf. M. Dreyfus, « Le PCF et la lutte pour la paix du Front populaire à la seconde guerre mondiale », Communisme, 18-19, 1988 ; R. Mazuy, Le Rassemblement Universel pour la Paix (RUP), 1935-1940, l’associationnisme politique dans le cadre du pacifisme français dans les années trente, DEA, IEP de Paris, 1991 et « Le Rassemblement Universel pour la Paix (1935-1939) : une organisation de masse ? », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 30, janvier-mars 1993.

61 Cf. G. Devin, L’Internationale socialiste, Presses de la FNSP, 1993, p. 347-351.

62 M. Hillquit, « Jean Longuet en Amérique », Le Populaire, 23 janvier 1923.

63 Archives Longuet Marx, dossier Correspondance et journaux étrangers. Longuet recevait en moyenne 35 dollars par mois pour cette collaboration, avec des pointes à 70 (décembre 1925) et 80 dollars (avril 1925). La collaboration de Longuet au Milwaukee Leader remontait au moins à 1915 et très probablement à l’avant-guerre.

64 Archives Longuet Marx, dossier Correspondance et journaux étrangers, lettre à Joseph Chapiro, 15 mai 1924, Longuet songeait au concours éventuels des banquiers Otto Kahn et Ottinger, directeur de la Banque Morgan.

65 Les rapports de la CAP pour les congrès, comptabilisèrent 32 réunions de Longuet de juin 1932 à mai 1933, 16 de 1933 à 1934, 22 de 1934 à 1935 et 24 de 1935 à 1936.

66 Cf. CRCEDHC, Fonds Longuet, 7/1/147 et archives Longuet Marx, dossier Correspondance et journaux étrangers.

67 J. Longuet, « Notre “conciliabule de fantômes” », Le Populaire, 20 août 1933.

68 J. Longuet, « La conférence socialiste internationale de Paris », Le Populaire, 21 août 1933 ; « L’IOS et l’unité d’action », Le Populaire, 5 décembre 1934.

69 Cf. G. Devin, L’Internationale socialiste, op. cit., p. 15.

70 F. Adler, « L’IOS à la veille de la 2e Guerre mondiale », Le Mouvement social, 58, janvier-mars 1967.

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