Jean Longuet
|Troisieme partie. L'internationaliste de la SFIO
Chapitre VII. Un notable socialiste et républicain
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Marginalisation au sein de la SFIO
- 1 Expression utilisée par Paul-Boncour, Le Populaire, 1er janvier 1921.
- 2 Cette nouvelle organisation fut entérinée par le conseil national du 13 février 1921 et par l’asse (...)
- 3 J. Lacouture, Léon Blum, Le Seuil, 1977, p. 181.
1Au congrès de Tours, les tendances minoritaires s’étaient entendues sur un partage des responsabilités et des pouvoirs destinés à donner « les garanties nécessaires1 » aux reconstructeurs. Longuet avait déclaré sans ambages devant le congrès de la minorité craindre une déviation à droite. Outre les apaisements prodigués par Blum et Paul-Boncour, le maintien d’une orientation à gauche – « révolutionnaire », disait Longuet – était assuré par la prédominance des reconstructeurs au sein des organismes dirigeants : le poste de secrétaire général (Paul Faure), de trésorier (Grandvallet), la majorité des sièges à la CAP (quinze contre neuf résistants, dont cinq pour les anciens centristes et quatre seulement pour la Vie socialiste). Le Populaire de Paris devenait l’organe du parti avec deux directeurs à égalité de titre et de pouvoir, Blum et Longuet2. Ainsi semblait se dessiner, pour reprendre la formulation de Jean Lacouture, « un triumvirat composé de Paul Faure, responsable de l’appareil, Jean Longuet qui reste l’animateur de la presse et l’inspirateur de la “ligne” idéologique et Léon Blum, leader parlementaire3 ». Cette répartition a sans doute existé, mais elle n’a guère duré.
La perte du pouvoir au Populaire
2Tout d’abord, le nouveau député de la Seine s’imposa rapidement face à l’ancien. Il avait l’avantage de l’âge, des diplômes, de l’ordre alphabétique, d’autres encore sans doute… et celui de mieux correspondre à la situation politique. Les témoignages manquent sur les relations entre les deux hommes. Louis Guilloux, qui connut intimement Longuet et sa famille, relate ainsi une scène vue « au Populaire, rue Feydeau, mai 1921 » : Jean Longuet expose la situation politique, comme il la voit.
- 4 L. Guilloux, Carnets 1921-1944, Gallimard, 1978, p. 11.
« D’après les plus récentes nouvelles nous allons à la catastrophe. Si des décisions sérieuses ne sont pas prises immédiatement, le Parti va se trouver une fois de plus en difficulté. La vie même du journal est peut-être déjà compromise. »
« Longuet parle debout, dans l’embrasure de la porte. La tête de Sixte-Quenin éclairée par une fenêtre à droite ne bouge pas plus que si elle était de pierre, et son expression hilare est toujours la même.
La lumière est basse, il se fait tard, Longuet parle toujours. Il cite des noms, rapporte des propos.
Un homme grand, mince, distingué, portant sous le bras une serviette, apparaît : c’est Léon Blum.
Il écoute un instant Longuet et dit : Vous ne devriez pas parler ainsi devant n’importe qui. Vos propos sont ensuite répétés, déformés…
Longuet se tait et rentre dans son bureau. Je m’esbigne en douce. Je crois bien que j’en ai oublié de prendre congé de Sixte-Quenin, toujours hilare et la plume toujours en l’air4… »
- 5 Sur Le Populaire de 1921 à 1924, cf. T. Judt, La Reconstruction du parti socialiste, 1921-1926, Pr (...)
- 6 Les socialistes belges remirent 150 000 francs au Populaire selon L. Roland, Carnets, op. cit., 25 (...)
3Le nouveau Populaire paraissait le matin, sur quatre pages, avec un prix de vente ramené de vingt à quinze centimes5. Le premier numéro sortit le 8 avril 1921, dans des conditions d’extrême faiblesse (750 abonnés). Peu de temps après, Le Populaire tomba à deux pages. Sa diffusion ne dépassait pas les 9 000 exemplaires vendus. L’appui des socialistes belges lui permit de reparaître à quatre pages en octobre 19216. Malgré les campagnes de souscription, les appels à l’abonnement, la formation par Jean Lorris de la Société des amis constants du Populaire, l’audience du quotidien socialiste demeura limitée. Il subissait la concurrence directe des autres quotidiens de gauche, mais aussi celle de la presse de province, y compris socialiste. Le Populaire ne pouvait que souffrir de la grande faiblesse de l’implantation socialiste en région parisienne, fief communiste. La SFIO maintint son journal jusqu’aux élections de mai 1924, mais dut se résoudre aussitôt après à le transformer en bimensuel.
- 7 Longuet avait tenté de mobiliser ses amis. Les affrontements en mai semblent avoir été vifs, cf. L (...)
- 8 Le Populaire, 5 juin 1922.
- 9 Le Populaire, 6 juin 1922.
- 10 T. Judt, La Reconstruction…, op. cit., annexe III.
- 11 Lettre d’Andrée Jouve et réponse de Longuet, 21 novembre 1923, archives Robert Longuet.
4De toute façon, Longuet en avait déjà perdu le contrôle. Moins de dix-huit mois après Tours, le congrès extraordinaire réuni à Paris les 3 et 4 juin 1922 avait jugé peu satisfaisante la situation de double direction. Nominalement, celle-ci était maintenue, mais le pouvoir était confi é au rédacteur en chef Paul Faure, qui cumula donc pendant deux ans cette fonction avec le secrétariat général du parti. Ce fut lui le véritable vainqueur de la lutte d’influence au sein de la direction pendant ces premières années de reconstruction. Paul Faure avait autorité sur « l’ensemble de la rédaction » et « droit de prendre, après consultation des directeurs, toutes les mesures indispensables et toutes les décisions qui lui sembleraient nécessaires dans l’intérêt du journal ». Blum conservait son rôle parlementaire, mais Longuet perdait toute vraie fonction de pouvoir ou d’influence. Seuls quelques vieux camarades des années de guerre comme Delépine, Goude et Mayéras, vinrent au secours de Longuet7. L’argument technique, d’apparent bon sens, utilisé au profit de Paul Faure, censé appartenir à la même tendance que Longuet, était difficile à parer. L’appui apporté par Zyromski, au titre de la fédération de la Seine à la nomination d’un seul responsable à la tête du journal8, rendait impossible le maintien du statu quo. Longuet le reconnut et finit par se résigner. La victoire du secrétaire du parti était donc complète et ce fut lui qui put conclure les travaux du congrès par « un grand discours9 ». Sa suprématie se lit aisément dans le relevé établi par Tony Judt des principaux signataires des articles du Populaire entre 1921 et 1924 : 571 articles contre 289 à Blum et 241 à Longuet, loin devant Compère-Morel (126), Bracke (59), et Renaudel (42)10. La dépossession du pouvoir des directeurs était telle que lorsqu’Andrée Jouve, de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, demanda à Longuet la publication d’un article, celui-ci répondit qu’il ne pouvait rien décider et qu’il fallait s’adresser à Paul Faure11.
- 12 J. Lacouture, Léon Blum, op. cit., p. 136.
- 13 Le Populaire bimensuel parut de 1924 à 1927 sous la responsabilité de Paul Faure directeur politiq (...)
5Longuet accepta sa mise à l’écart, mais difficilement. Peut-être garda-t-il davantage de ressentiment, fondé sur un sentiment de trahison, à l’égard de Paul Faure qu’à l’encontre de Blum admiré pour ses qualités intellectuelles et sa haute culture ? Pour le reste, il est sans doute utile de prendre en compte la remarque de Jean Lacouture : « Cet homme généreux, savant et sage […] n’avait pas le goût du pouvoir ni le tempérament d’un chef. Conscience du parti, oui. Leader, non12. » En 1924, la disparition du Populaire quotidien ôta à Longuet sa dernière fonction apparemment d’envergure nationale13. Après Tours, il avait été désigné membre des commissions des relations internationales, de la presse et de la propagande. Au sein de la première, Bracke avait imposé sa primauté. L’influence de Longuet dans la seconde dépendait de son autorité de directeur du Populaire. La commission disparut d’ailleurs rapidement. Pour la troisième, Longuet donna beaucoup de son temps, assurant de multiples tournées de propagande. Glorieux porte-drapeau, parfois, mais en dehors de cela, de moins en moins, et plus du tout dès juin 1922, dirigeant réel du parti.
Consolations à gauche ? Le Bloc des Rouges
- 14 Titre de son article du Populaire, 2 janvier 1921.
6Peut-être fallait-il alors rechercher des appuis sur sa gauche, du côté de ceux qui estimaient décevante l’expérience de l’adhésion à l’IC ? « Après la catastrophe14 », Longuet était resté l’ami d’Amédée Dunois et de bien d’autres. Les difficultés du parti communiste, la stratégie de Front Unique recommandée par l’Internationale communiste dès 1921, l’esquisse de rapprochement au moment de la conférence des Trois Internationales à Berlin (avril 1922), purent lui laisser espérer sinon un effacement progressif de la rupture de Tours, du moins d’autres regroupements à gauche. Exclu du PCF en 1922, Brizon aurait pu être un interlocuteur privilégié. Sa compagne Marcelle Capy et lui dirigeaient La Vague, « socialiste, féministe et pacifiste » avec une belle maxime : « Tout ce qui unit la classe ouvrière est révolutionnaire, tout ce qui la divise est réactionnaire. » Mais l’audience du journal avait beaucoup décru depuis 1918 et 1919, et il fut pris en 1923 dans les troubles remous de la séparation de son couple directorial et de la maladie suivie de la mort le 1er août de Pierre Brizon. Son frère et héritier Jules voulut continuer la publication de ce qui était devenu Le Bloc des Rouges et, sur une ligne appelant au Bloc des travailleurs contre le Bloc national, il fit appel à Verfeuil et Longuet…
7Le contexte politique s’était un peu compliqué. Les exclus de 1922 (Unité fédérative socialiste) avaient décidé, malgré quelques hésitations de part et d’autre, de fusionner avec la deuxième vague de militants ayant quitté le parti communiste, formée par l’ancien secrétaire général Frossard et ses amis qui avaient constitué début 1923 un Parti communiste unitaire. Le congrès de fusion avait eu lieu à Boulogne le 29 avril 1923 et abouti à la formation de l’Union socialiste communiste. Or, ce nouveau regroupement était moins tenté par un retour rapide à la SFIO. Longuet participa à des rencontres entre la SFIO et l’USC au cours de l’été et de l’automne qui n’aboutirent point. Delépine, proche de Longuet, et Lazurick, compagnon de Frossard, furent cooptés au comité de rédaction du Bloc des Rouges qui annonçait encore 20 000 acheteurs, dont 8 000 abonnés, en septembre 1923. Il recommanda aux élections de 1924 de « voter rouge » et mit en valeur les candidatures de Longuet et de Verfeuil sur la liste du Cartel des gauches.
- 15 Le 4 novembre 1936, avec Bracke et Séverac pour la SFIO.
8Longuet continua d’écrire régulièrement dans Le Bloc des Rouges, qui reprit en octobre 1924 le nom de La Vague, sous-titrée ouvrière et paysanne, organe du Bloc des rouges. Verfeuil en était le véritable directeur, assisté de Paul-Louis, secrétaire général de l’USC à partir de 1925. L’influence de La Vague ouvrière et paysanne demeura cependant limitée à un public de militants et sa disparition en juin 1926 intervint sans susciter d’étonnement particulier. Longuet garda un contact privilégié avec les anciens communistes qui, après un passage plus ou moins long chez les socialistes communistes, puis, à partir de 1930, au Parti d’unité prolétarienne, revenaient le plus souvent à la SFIO. Cette catégorie fut bien représentée chez les élus locaux de la région parisienne, mais Longuet travailla davantage avec Frossard et Dunois qui furent ses codirecteurs à La Nouvelle Revue socialiste. Il était donc logique de retrouver Longuet, bien des années plus tard, membre de la délégation à laquelle il appartint de formaliser l’accord avec le PUP et de procéder à la fusion avec le parti socialiste15.
Journaliste socialiste, presse de gauche
- 16 Cf. T. Hohl, À gauche ! La gauche socialiste, 1921-1947, Dijon, EUD, 2004, dont les perspectives s (...)
- 17 L. Weiss, Mémoires d’une Européenne, op. cit. Dubarry adhérait en fait au parti républicain social (...)
9Dépourvu de tout mandat électif, Longuet vivait de sa double activité d’avocat et de journaliste. Ses contributions portaient sur les questions internationales, et particulièrement les pays anglo-saxons dont il était un spécialiste reconnu. Ces articles n’apportent guère d’éléments nouveaux pour la connaissance de sa vision du monde, mais donnent des indications sur son comportement politique. Collaborer à des journaux d’esprit « cartelliste » a sans doute compté dans le lent glissement de Longuet au centre gauche de son parti16. Homme de la génération d’avant-guerre, il garda ses distances avec les nouvelles tendances qui émergèrent à gauche de la SFIO, alors que les compagnons de sa jeunesse disparaissaient ou se situaient davantage dans l’axe de la majorité. Mesurait-il la difficulté de concevoir en même temps l’existence politique de la gauche, ce qu’il appelait « le Parti républicain », et l’affirmation de classe du prolétariat, à la fois partie intégrante du Parti républicain et se situant sur un autre plan que celui-ci ? S’il n’approfondit guère la question sur le mode théorique, fidèle à ses habitudes de pensée, il chercha à faire vivre ensemble, dans la pratique, ces deux exigences. Longuet disait ne pas vouloir d’alliance privilégiée avec les radicaux. Pourtant, collaborations de presse, parlementaires, municipales – telle celle qu’il mit en œuvre à Châtenay en 1925, ces liens faisaient du Cartel autre chose que la reprise de la discipline républicaine entre socialistes et radicaux d’avant-guerre. Dans un contexte renouvelé se déployait une logique de rassemblement des gauches. Conscient de la coupure pour le moment irréparable avec le Parti communiste, de l’affaiblissement du syndicalisme et du mouvement coopératif divisés, Longuet s’y ralliait, sans plaisir excessif, mais sans non plus d’atermoiements exagérés. Il écrivit ainsi, à l’occasion, au Progrès civique de Dumay comme dans L’Ère nouvelle de Dubarry, « radical faisandé17 » selon Louise Weiss. Directeur ensuite de La Volonté, Dubarry engagea Séverine, Pioch, Méric, Werth, mais aussi Longuet et Frossard, susceptibles d’apporter à son journal un public socialiste en ces années d’absence du Populaire quotidien.
- 18 Selon l’Histoire générale de la presse française, op. cit., p. 358.
10Longuet donna également des articles, toujours de politique internationale, précis et documentés, au Soir. Ce quotidien, vespéral comme son nom l’indiquait, avait jadis appartenu à des équipes si diverses qu’il est « impossible d’en suivre les fluctuations18 ». Il avait un temps été l’organe de Doumergue, avant que celui-ci accédât à la présidence de la République. Son précédent directeur Alexis Caille avait su s’entourer d’une assez brillante équipe littéraire, mais sans parvenir à assurer le développement du titre dont le tirage était tombé à quelques milliers d’exemplaires. Fin 1926, Le Soir passa sous le contrôle de Frossard qui entreprit de le transformer en grand journal de gauche. C’était en quelque sorte un quotidien rédigé à parité par les socialistes et les radicaux. Frossard signait des éditoriaux et avait placé dans la rédaction Lazurick et Naegelen, venus comme lui de Paris-Soir. Se retrouvaient à leurs côtés d’autres socialistes, comme Longuet, chargé des questions internationales, Delépine, Lussy, Renée Dunan, à l’occasion Bracke ou Renaudel, Nenni exilé en France depuis la fin de 1926… Les radicaux avec Daladier et Bonnet avaient également accès aux éditoriaux et ils pouvaient compter sur Jammy-Schmidt, Guernut, plus tard Kayser et Mendès France. Brunet (socialiste français), Paul-Louis (socialiste communiste) y écrivaient aussi… Le Soir ne semble pas avoir non plus manqué de journalistes plus professionnels, puisque Pierre Lazareff, Charles Gombault, entre autres, y achevèrent leur apprentissage aux côtés de Jean de Pierrefeu, Georges Duhamel ou Robert Desnos… Le projet était donc d’offrir une tribune aux gauches de la région parisienne. Le souci de préparation électorale n’était guère dissimulé, Longuet eut d’ailleurs droit à un traitement des plus favorables à chacune de ses campagnes électorales : « intelligence, loyauté, belle tenue d’une vie politique sans défaillance » avant les sénatoriales, « une des plus belles figures du socialisme international » pour les législatives… Le journal dura quelques années, en fait pendant toute la période d’opposition à Poincaré et aux gouvernements modérés qui suivirent. Le retour aux affaires du parti valoisien allait rendre la collaboration intime entre socialistes et radicaux plus difficile. En outre, après avoir atteint les 90 000 exemplaires, le journal avait fortement souffert du krach Lousteau et de la concurrence du Paris-Soir de Prouvost.
- 19 Par exemple, « La Tchécoslovaquie, après l’Espagne ? », « Pour arrêter l’agression japonaise » et (...)
11L’Œuvre, dirigée par Gustave Téry jusqu’à sa mort, accueillait quelques signatures socialistes : Victor Snell, le chroniqueur littéraire du Populaire, ami de Longuet, plus tard Marcel Déat. Mais, pour l’essentiel, elle restait proche des milieux radicaux. La collaboration de Longuet, entre 1924 et 1928, fut beaucoup plus épisodique et limitée que dans les autres journaux cités. Il collabora aussi à partir de 1935 au Petit Provençal. Certes, cette pratique relevait des habitudes professionnelles des journalistes parisiens, obtenant des émoluments complémentaires en fournissant de la copie à la presse de province. Le Petit Provençal était un journal de qualité, diffusant à plus de cent mille exemplaires, la voix de la gauche marseillaise, socialiste et radicale, principal soutien de la municipalité conquise en 1935 par Henri Tasso. Attaché au maintien de l’unité du Rassemblement populaire, le quotidien marseillais accueillait des tribunes libres de personnalités de la gauche méridionale et nationale, à l’exclusion des communistes. Longuet représentait un point de vue original dans sa campagne en faveur d’une politique de fermeté contre les agresseurs, japonais, fascistes et nazis19.
- 20 Pour affirmer ses ambitions nationales, Le Populaire supprima la mention « de Paris » du 1er décem (...)
- 21 Archives Longuet Marx, dossier SFIO (2).
- 22 Longuet le soutint explicitement lors des congrès de juin 1930 et de juillet 1933.
12Lorsque Le Populaire quotidien reparut, le 22 janvier 192720, Longuet n’y retrouva aucune fonction autre que sa présence symbolique au conseil d’administration. Longuet envoyait à la rédaction ses éventuels articles, rémunérés « à la pige », et, tout en voulant conserver les formes de la civilité, se heurta fréquemment avec Rosenfeld, responsable de la rubrique internationale après Bracke, puis rédacteur en chef du Populaire (1932)21. Il tenta de peser sur la définition du journal, mais ses interventions aux congrès de 1928, 1929 et 1930 ne provoquèrent guère de débats. Il mettait en garde contre le risque d’un journal de militants et souhaitait la conquête d’un vaste public, notamment féminin, avec de grandes enquêtes, comme dans la presse d’information, citant ainsi les exemples d’Andrée Viollis ou de Louis Roubaud, des rubriques littéraires et théâtrales, une rubrique syndicale plus étendue, un réseau de correspondants internationaux, bref, un journal moins essentiellement consacré à l’actualité parlementaire. C’était soutenir l’orientation voulue par Renaudel ou par Compère-Morel, nouveau directeur administratif22, dont la rivalité de fonctions avec Blum, directeur de la rédaction, était un des thèmes récurrents des congrès. Bracke, qui ne voulait pas d’un « Petit Parisien socialiste », soutenait le point de vue contraire. Renaudel et Longuet, devenus des journalistes de métier, percevaient l’évolution de la presse. Les enquêtes d’Andrée Viollis, notamment Indochine S.O.S., ont effectivement marqué leur temps. Mais l’autorité politique appartenait à Bracke. C’était donc le point de vue du directeur d’études à l’École pratique des hautes études qui l’emportait. Le contexte de division de la gauche française favorisait l’influence des « politiques » au détriment de celle des « spécialistes ».
- 23 La Correspondance internationale, 24, 8 mars 1928, p. 325, citée par J.-L. Panné, « L’affaire Vict (...)
- 24 J. Longuet, « Traquenards bolcheviks », Le Populaire, 3 février 1931, et Willi Münzenberg, 1889194 (...)
- 25 Cf. J. Relinger, Le Rôle et l’œuvre d’Henri Barbusse, thèse de doctorat d’État, 1987, université P (...)
- 26 Cf. Y. Santamaria, « Un prototype toutes missions : le comité de lutte contre la guerre dit “Amste (...)
13Quoique meurtri et souvent vif dans ses polémiques avec le PCF, Longuet s’efforçait de maintenir le contact au moins avec la masse des électeurs ou des sympathisants communistes. Il accepta ainsi de donner sa caution à Monde, fondé en 1928 par Barbusse. Cette collaboration annoncée ne déboucha pas sur la publication d’articles et seuls quelques jeunes militants très à gauche dans La Bataille socialiste (Louis Vallon, Maurice Schumann…) fournirent de la copie. Longuet figura également au sein du comité de défense des victimes du fascisme présidé par Barbusse23… Peu après, il faillit encore accepter une adhésion à la Ligue pour la défense de l’URSS, toujours mise sur pied par l’ancien directeur littéraire du Populaire, avant de décliner l’offre et de mettre en garde les socialistes contre les manœuvres « machiavéliques » des agents du Komintern, et notamment du « diabolique » Münzenberg, forme d’hommage à l’efficacité du travail entrepris par celui-ci24. En revanche, il mettait hors de cause la bonne foi de Barbusse, pourtant très au fait de la portée des actions qu’il menait25. Il se montra désormais attentif à rester solidaire des positions du parti et de l’Internationale socialistes. Barbusse échoua ainsi à l’attirer dans le mouvement Amsterdam-Pleyel. Longuet n’avait pas besoin d’avoir communication des Carnets de Cachin pour tirer le même constat du congrès que le directeur de L’Humanité : « samedi 27 août 1932. Ouverture du congrès. Rassemblement anti-Genève. Rassemblement anti-socialiste26 ».
- 27 J. Longuet, « L’élection de Clary Cross », Le Populaire, 29 août 1933 : « La tragédie hitlérienne (...)
- 28 Cf. D. Peschanski, Et pourtant ils tournent, vocabulaire et stratégie du P.C.F. (1934-1936), Klinc (...)
14Tout changea pour Longuet, comme beaucoup d’autres, avec la victoire du nazisme et les événements de 1934. La première mention, fugitive, d’une évolution du parti communiste date du 29 août 193327. Mais, il attendit de voir s’accomplir « le grand tournant28 » pour à son tour modifier sa position. Au conseil national de juillet, il expliqua le revirement communiste par la prise de conscience des résultats en Italie et en Allemagne de la stratégie précédente et par une modification de la politique extérieure de l’Union soviétique. Il soutenait donc le front unique puisque les conditions d’une application loyale semblaient réunies et envisageait même l’unité organique, avec des précautions et des conditions, attendant l’assurance d’une « unité synthétique ».
Conscience du parti
- 29 Cf. É. Nadaud, Une tendance de la SFIO : La Bataille socialiste, 1921-1933, thèse, Paris X, 1987.
15Pendant les premières années de la SFIO, Longuet ne se voulut pas homme de tendance. On s’attendait néanmoins à le voir participer à l’animation d’une aile gauche de la « vieille maison ». Longuet n’était pas éloigné des positions de Zyromski et Faure, qu’il soutint au congrès de Grenoble (février 1925). Éric Nadaud29 a bien noté l’apparent paradoxe de ce décalage qui apparaît entre Longuet et les animateurs de la nouvelle tendance « de gauche » de la SFIO. Longuet avait participé à la critique du soutien au Cartel au sein de la fédération de la Seine et il donna son nom en 1926 au comité de rédaction de La Correspondance socialiste, précurseur de La Bataille, mais il n’alla pas plus loin. La Bataille relevait d’une tradition guesdiste distincte de la culture socialiste, plus « large » et marquée par la synthèse jaurésienne, à laquelle il était attaché. Longuet ne concevait pas l’expression de la classe ouvrière en dehors de ses formes organisées, parti, syndicat, coopérative, mais il se refusait à faire de l’une de ces formes un absolu. Dès 1927, au congrès de Lyon, les amis de Zyromski, qui s’étaient déjà opposés à Longuet lors des élections sénatoriales de janvier, refusèrent ses propositions d’ouverture et choisirent de se compter à part. La mauvaise humeur de Zyromski se lit par défaut dans sa brochure, publiée en 1928, L’Action socialiste dans l’agglomération parisienne, base programmatique pour la conquête du secrétariat fédéral réalisée en juillet 1929 : le nom de Jean Longuet n’y était jamais cité.
- 30 Ainsi, au congrès de Lyon (avril 1927) : « Léon Blum s’impose tant par la compétence que par le ta (...)
16Il est vrai que la Bataille socialiste en était encore à sa phase d’affirmation. Après l’élection de Zyromski à la direction de la fédération de la Seinecommence ce qu’Éric Nadaud appelle « la grande Bataille socialiste », avec Séverac et Paul Faure animateurs de la tendance aux côtés de Bracke et Zyromski. Elle faisait figure d’axe du parti puisque Paul Faure était le secrétaire général de celui-ci et que son adjoint, Séverac, appartenait au même groupe. L’ouvrière fédération du Nord était également bien représentée. Bracke, toujours à cheval entre les deux fédérations de la Seine et du Nord, ainsi que Lebas, secrétaire de la fédération du Nord et maire de Roubaix, écrivaient dans le bulletin de tendance. Longuet n’en était pas. Avant les congrès, il signait les motions de type « centriste » présentées par des proches de Blum, comme Auriol. À partir de 1927, il exprima souvent son admiration à l’égard du nouveau directeur du Populaire30. Pendant les congrès, il recherchait la synthèse, en privilégiant l’accord entre le « centre » et la « gauche », mais sans rejeter l’aile « droite ». En ce sens, il demeurait un homme de passages qui favorisait la formation et le maintien de la majorité interne du parti. Cet effort à la synthèse avait un écho difficile à mesurer, mais il fut constant, de Lyon (1927) à Mulhouse (1935). Ce ne fut que dans les toutes dernières années de son existence, lorsque la montée des fascismes et des risques de guerre amena de nouveaux clivages que Longuet reprit une position plus exposée. Auparavant, pendant quinze ans, malgré un affaiblissement de son rôle propre, il avait représenté un élément de stabilité et d’union.
- 31 Cf. 56e congrès fédéral, 26-27 octobre 1935, archives de l’OURS. De même, Longuet souhaita en 1932 (...)
- 32 Le Coq rouge, 1er juin 1930.
- 33 25e congrès national tenu à Toulouse, 26 au 29 mai 1928, compte rendu sténographique, Parti social (...)
17Sa popularité dans la fédération de la Seine pouvait paraître confortée par cette attitude unitaire : lors de la crise de 1929, il fut désigné à la tête de la commission de réorganisation du travail de la fédération. Il était constamment réélu à la commission exécutive avec un bon score personnel, en général le second après celui de Zyromski, toujours patron de la fédération. Certes, popularité ne signifiait pas autorité politique. Pour le congrès de 1933, la motion Unité socialiste de Vincent Auriol signée par Longuet, obtint 16 % des mandats de la fédération, contre 62 % au texte de la Bataille socialiste soutenu par Paul Faure. Longuet était une personnalité respectée et estimée, sollicitée pour les réunions, notamment pour toutes les causeries ou conférences liées à l’histoire du mouvement socialiste. Il n’était pas à proprement parler considéré comme un dirigeant politique de la fédération. Lui-même s’occupait en priorité de la propagande et des diverses écoles socialistes, mais n’attendit pas trop longtemps pour se retirer des instances fédérales. Dès décembre 1934, il quitta le conseil fédéral et favorisa son remplacement par son jeune collègue et collaborateur de Sceaux, Depreux31. Le poste qu’il n’abandonna pas fut celui de membre de la CAP. Certes, il était rentré dans le rang. Ce progressif retrait se lisait même dans les hommages qui lui étaient rendus. L’hebdomadaire illustré et populaire que la SFIO essaya de faire vivre entre 1928 et 1931, Le Coq rouge, reconnaissait cette baisse de notoriété et parlait d’une « ardeur attiédie » par la scission bolcheviste32. Longuet intervenait régulièrement sur les questions internationales, sans parvenir à passionner particulièrement son auditoire. À Lyon (avril 1927), le président de séance dut demander un peu d’attention aux congressistes qui ne cessaient de bavarder, d’entrer et de sortir. L’année suivante, à Toulouse (mai 1928), le même brouhaha fut observé lorsqu’il traita du développement de la diffusion du Populaire et l’orateur dut s’interrompre pour constater amèrement : « Dès qu’on ne discute plus de questions de tendances, on ne se passionne plus33. » Cela contribua sans doute à le persuader de n’intervenir que sur des questions ponctuelles, le plus souvent liées aux problèmes internationaux et en complément du rapport international habituel de Bracke. Ces mésaventures expliquaient sans doute que, malgré son statut d’ancien respecté, Longuet ne fût jamais désigné comme président de séance d’un congrès. Autre signe d’effacement, plus substantiel, Longuet avait rapidement cessé de siéger au sein de l’inévitable et prestigieuse commission des résolutions.
- 34 Cf. les 25e congrès de Toulouse (26 au 30 mai 1928) et 29e congrès de Paris (29 mai au 1er juin 19 (...)
- 35 29e congrès national tenu à Paris les 29, 30, 31 mai et 1er juin 1932, compte rendu sténographique(...)
- 36 Ainsi Renaudel, 29 e congrès (1932), op. cit., p. 229.
- 37 30e congrès national tenu à Paris les 14, 15, 16 et 17 juillet 1933, compte rendu sténographique, (...)
- 38 Longuet, qui avait le goût de la métaphore religieuse, estima que son « vieil ami » et « loyal cam (...)
18Longuet avait accueilli à La Nouvelle Revue socialiste Spinasse et Déat et s’était toujours montré aimable à leur égard, surtout envers Déat. Il connaissait bien ce dernier, longtemps électeur de sa circonscription puisque résidant à Sceaux. Dans les comptes rendus précis des élections qu’il livrait aux congressistes de la SFIO34, il insistait à chaque fois sur le caractère très secondaire des divergences internes. Membre du centre blumiste et n’adhérant pas à la Bataille socialiste, il pouvait se présenter en militant « à l’écart du dogmatisme ministériel comme du dogmatisme anti-ministériel ». Il ne pouvait avoir de doute sur son choix ultime, mais il évitait de l’exprimer de manière abrupte. Il cherchait à convaincre l’aile droite des dangers de ses positions, car « les événements ont toujours raison de notre intransigeance absolue, tandis que, au contraire, la tendance au compromis est une pente glissante. Il faut toujours se garder contre les dangers de cette “pente savonnée”35 ». Cette modération était perçue de tous. Longuet lui-même l’expliquait par son expérience des réalités internationales marquées par de nombreuses expériences de participation socialiste ou social-démocrate au pouvoir. Certains ironisaient également sur son comportement d’élu local habitué au compagnonnage avec les radicaux les plus modérés36. Au moment décisif de la crise « néo », Longuet tenta d’éviter l’irréparable, soutenant la motion Auriol à la recherche d’un compromis et s’adressant directement à Renaudel : il lui rappela d’un ton ému leurs souvenirs communs de 1905. Il reconnaissait la difficulté particulière du parti français qui n’avait pas l’implantation massive des grandes organisations sociales-démocrates. Au nom de l’unité nécessaire de la classe ouvrière et de sa représentation politique, il adjurait Renaudel de « ne pas s’installer dans la scission », évoquait le « remords éternel » qui l’attendait s’il portait atteinte à l’unité et montrait son angoisse devant les dégâts à venir : « Il est infiniment plus facile de maintenir ce qui est construit que de construire quelque chose de nouveau37. » Renaudel songeait sans doute à Longuet quand il déclara que contre le fascisme, il fallait des hommes d’action et que « le symbole, la tradition, le rite, c’est le contraire de l’action ». De toute façon, la victoire nette de la Bataille socialiste, qui obtint la majorité absolue, le désir de rupture de nombreux dirigeants de la Vie socialiste, précipitèrent la scission qui devint effective en novembre-décembre 1933. Impuissant, Longuet n’ajouta aucun commentaire dans ces dernières semaines. Il s’efforça de réduire au minimum le nombre des départs, mais il se montra toujours prêt à faire le meilleur accueil à ceux qui reviendraient « à la vieille maison », comme il l’avait fait pour les anciens communistes. Depreux lui reprocha ainsi d’avoir facilité le retour du maire de Montrouge, Émile Cresp, pourtant directement responsable de sa défaite aux élections de 1936 et Longuet fut le seul maire socialiste de la région parisienne à donner le nom de son « vieil ami » Renaudel à une voie de sa commune38.
- 39 Chambre des députés, séance du 11 mars 1931, évoquée par Jean-Noël Jeanneney, L’Argent caché, Faya (...)
- 40 24e congrès…, op. cit., p. 428-433.
19Jean Longuet appréciait son rôle de conscience historique du socialisme français. Il était davantage sollicité pour des activités en marge du parti que pour des missions internes. Au sein du parti, en dehors de sa délégation à l’IOS, il ne fut guère requis qu’afin de régler une polémique gênante. L’actualité avait mis en avant des affaires judiciaires qui avaient permis aux militants de se rendre compte que certains de leurs dirigeants gagnaient de confortables émoluments comme conseils juridiques de grandes entreprises. En fait, le ministre des Finances, Flandin, mis en cause pour son soutien à l’Aéropostale, avait contre-attaqué en dénonçant les liens entre certaines grosses entreprises et leurs avocats dirigeants socialistes39. Il lui avait suffi pour se documenter de lire, outre L’Humanité, L’Étincelle socialiste de Maurin et les propos de ce dernier au congrès de Lyon40. Le malaise n’était pas niable. Jean Archenoul, secrétaire de la fédération des Vosges, avait expliqué que de telles informations n’étaient pas bonnes pour la propagande et il avait supplié les avocats des deux parties en cause, maîtresses industrielles de la région (Boussac et Lederlin), à savoir Blum et Paul-Boncour, pour lesquels il avait la plus grande estime et la plus grande admiration, « de renoncer à cette défense qui nuit à notre recrutement ». Longuet fut chargé avec Zyromski et Léo Lagrange, de préparer un rapport qui fut approuvé par le conseil national du 1er novembre 1931 (2 638 mandats contre 778). Les principes posés étaient rigoureux : journalistes et avocats devaient se refuser à défendre des intérêts privés « manifestement contraires » à l’intérêt public ou aux intérêts directs de la classe ouvrière. La notion de « mur de la vie privée » était récusée. Toutefois, aucune procédure n’était prévue pour assurer l’exacte application de ces principes et aucune personnalité n’était mise en cause.
Mémoire du socialisme
- 41 Cf. M. Rebérioux, « Le mur des Fédérés », Les Lieux de mémoire, La République, Gallimard, 1984, p. (...)
20Longuet demeurait l’homme des rites et des traditions. Il essayait de maintenir une convivialité fondée sur les grands souvenirs et par exemple ne manquait aucune occasion de rappeler celui de la Commune de Paris dont il devint la figure emblématique pour la SFIO. Il interrompit ainsi le cours des débats passionnés du congrès de Mulhouse pour exposer par le menu les démarches entreprises en vue des obsèques de Jean Allemane au pied du Mur des Fédérés. Intervention dérisoire ? En fait, Longuet voulait mobiliser la tradition, la mémoire héroïque du mouvement socialiste pour renforcer son unité. Homme des nécrologies, il avait participé dès le début à la reconstruction du parti socialiste en le situant dans le prolongement des traditions du mouvement ouvrier. La Commune n’était pas directement utilisée pour les combats politiques de l’actualité, contrairement aux communistes, les socialistes prétendaient en faire une manifestation du souvenir41. La cérémonie était souvent associée à une partie artistique ou festive. Ce rappel des origines s’accompagnait du désir de faire vivre le corps du parti, de le vivifier au soleil du printemps, comme si Longuet craignait toujours son possible dessèchement. D’où d’ailleurs, son goût pour les nécrologies, qui sont aussi paradoxalement des évocations de vies, ou, plus joyeux, les articles d’anniversaire, toutes les occasions de commémoration, mais plus particulièrement celles qui concernent des individus. Ce culte des ancêtres n’était pas réservé aux illustres. Longuet n’écrivait pas seulement des articles sur les principaux dirigeants du Parti ou de l’Internationale. Il voulait saluer toutes les vies offertes à l’idéal en conservant la mémoire des mérites de chacun. Donc, il pouvait rendre longuement hommage à des personnalités secondaires, connues autrefois, comme Givort ou Arlosoroff, qui faisaient revivre une époque et un milieu, des épouses de dirigeants, des jeunes militants qui n’avaient pas eu le temps d’accéder à la renommée, comme Franck, traducteur de Keynes, ou les membres des Brigades internationales, victimes de « l’odieuse non-intervention ». Il n’oubliait aucune des tendances du mouvement ouvrier, saluant ainsi la mémoire des vieux anarchistes tels Kropotkine ou Jean Grave. Cette profusion commémorative se proposait comme une réponse à la soif d’action des militants, alternative à la participation ministérielle.
- 42 Cf. le chapitre VIII.
- 43 J. Longuet, « L’élection de Dreux », Le Populaire, 3 avril 1930.
- 44 L. Lévy, Comment ils sont devenus socialistes ?, Librairie du Populaire, s. d. [1931], suivi de Vi (...)
- 45 Traduit par Maria Rakowska, l’ouvrage fut édité par Alcan en 1929. Il s’agit d’articles de La Nouv (...)
- 46 De cet Institut sont issus les actuels Institut français d’histoire sociale et l’Institut d’histoi (...)
21Plus encore que « conscience » du socialisme, Longuet tendait dans les années 1930 à devenir la « mémoire » du parti, celui qui était affectueusement sollicité pour remémorer les grandes heures passées, garantes de la valeur des combats présents. Il enseignait, il écrivait, il prononçait des conférences. Il tentait de faire vivre, de plus en plus difficilement, La Nouvelle Revue socialiste42. Si les socialistes remportaient une élection partielle, comme à Dreux, région natale de sa femme, Longuet retraçait tout l’historique des combats passés qui avaient permis cette victoire43. C’était l’époque où il confiait ses souvenirs à Louis Lévy, qui avait entrepris de réaliser de plaisants et populaires petits volumes d’anecdotes et d’historiettes socialistes44. Outre les anniversaires de la Commune, il était des plus réguliers aux cérémonies de septembre, à Bonnières, pour honorer Marcel et Georgette Sembat. Il préfaça un petit ouvrage attribué à son grand-père (qui s’avéra être d’Engels) sur La Question polonaise devant l’assemblée de Francfort45. Lorsque les écoles socialistes reprirent, il en fut un personnage incontournable. Les Jeunesses socialistes de la Seine organisèrent l’été 1927 au Château Malabry la première école socialiste depuis la guerre. Cette initiative fut prolongée par l’ouverture d’une École socialiste annuelle, inaugurée le 8 novembre 1927. Suzanne Buisson, avec le titre de secrétaire, était la cheville ouvrière de l’école, dotée d’un conseil d’administration dominé par Bracke. Longuet, membre de ce conseil, donna des cours sur le travaillisme britannique, l’histoire du socialisme, les chansons révolutionnaires ou les rapports socialisme et religion. Associé à la préparation de l’exposition sur l’histoire du socialisme en France organisée par Jules Mario Guesde, petit-fils de Jules Guesde, dans le cadre de l’Exposition universelle de 1937, il siégeait également au conseil d’administration de la branche française de l’Institut international d’histoire sociale chargée de sauvegarder les archives du mouvement ouvrier46.
- 47 J.-P. Rioux, « Lectures posthumes de Jaurès », Jaurès et les intellectuels, op. cit.
- 48 Le qualificatif est de Jean-Pierre Rioux, qui évoque ainsi ce « triste bouquet final » où Georges (...)
22La plus importante fonction de ce genre qui lui fut confiée demeura néanmoins la présidence de l’association pour le maintien du souvenir de Jean Jaurès. L’intitulé même de l’association pouvait paraître quelque peu défensif. Le moment était en effet difficile et la tâche bien délicate. Si le 31 juillet, souvent couplé au 2 août, date anniversaire de la mort de Guesde, était en effet une traditionnelle manifestation du souvenir de la SFIO, le congrès de Marseille venait de décider, « en cet été désenchanté de 193747 », de donner un lustre particulier à la commémoration de 1937. Jaurès avait été trop sollicité depuis trois ans dans la période de formation, puis de victoire du Front populaire, comme garant de l’unité retrouvée, pour qu’au moment de crise sérieuse qui correspondait à la chute du gouvernement Blum (22 juin 1937), les partisans du Rassemblement populaire ne tentassent pas de ranimer la flamme et de remobiliser l’ardeur des militants et des sympathisants. Une association fut donc créée pour organiser la commémoration. Le désenchantement et l’affaiblissement de la SFIO ne permettaient plus de ne s’en remettre qu’aux seuls partis ou organisations membres officiels du Rassemblement populaire. Jean Longuet fut le président idoine de l’association : conscience socialiste, disposant de bonnes relations avec certains milieux radicaux, et acceptable par les communistes en raison de ses prises de position en faveur du soutien à l’Espagne républicaine. Pour les autres membres du bureau étaient privilégiés les mondes syndical et ancien combattant, avec comme vice-présidents Léon Jouhaux et Paul Perrin, secrétaire René de Marmande et trésorier Raymond Bouyer. Les communistes se singularisèrent par leurs objectifs militants et la cérémonie organisée au Panthéon tourna à une confrontation « assez rude48 » entre jaurésiens. L’association ne semble pas avoir d’ailleurs survécu à cette tentative peu réussie de relance du Front populaire.
- 49 Cf. G. Candar, « Jaurès et les journalistes socialistes », Jaurès et les intellectuels, op. cit.
- 50 Lettres de Thomas à Longuet, 16 et 27 janvier 1931, de Longuet à Thomas, 22 janvier 1931, AN, Fond (...)
- 51 Nouveau nom depuis 1937 du comité général, présidé par le sénateur Paul Strauss.
23En revanche, Longuet avait pu satisfaire un désir déjà ancien en accédant à la présidence du syndicat des journalistes socialistes49. Son père avait été un des fondateurs de ce syndicat qui s’était transformé au fil des ans en club ou en amicale socialiste, composé de vétérans, souvent aux franges du socialisme indépendant. Lui-même en était membre depuis avril 1903. Lorsque mourut son vieux président, Georges Renard, Longuet exprima le souhait de lui succéder. Il se trouva alors en opposition avec Albert Thomas qui avait exprimé le même désir. Compétition dérisoire ? Le directeur du BIT songeait à préparer une rentrée politique plus active en France. Une telle présidence lui offrait l’occasion d’une discrète reprise de contacts. Ce retour ne pouvait guère emplir d’enthousiasme Longuet, même si ses rapports personnels avec Thomas s’étaient améliorés50 et il avait suffisamment accepté de s’effacer dans les années précédentes pour tenir à cette rémunération symbolique, utile ajout à son rôle implicite de conscience du parti. La compétition tourna à l’avantage de Thomas, élu avec Sellier au conseil syndical par 21 voix contre 17 et 11 à Longuet et à Dunois. Le syndicat confirmait ainsi son ancrage dans un socialisme modéré. Après le décès de Thomas, Renaudel devint président et Longuet vice-président. À la mort de Renaudel, Longuet fut à son tour élu sans difficulté président (juin 1935). La disparition des vieux socialistes indépendants, rescapés des diverses scissions, avait entraîné le retour dans le giron du parti de l’antique association. Le mandat de Longuet fut marqué par un net retour des préoccupations syndicales. Celles-ci n’avaient jamais été tout à fait oubliées et le syndicat disposait depuis 1920 d’un secrétaire général actif et compétent en la personne d’Edmond Potier. Dans un contexte marqué par la concurrence croissante du Syndicat national des journalistes qui jouait la carte de la professionnalisation, le Syndicat des journalistes socialistes unit ses efforts à ceux des associations traditionnelles, regroupées dans le Comité général des associations de la presse française. Edmond Potier proposa de faire verser par les radios une indemnité collective à la presse en échange de l’utilisation par le nouveau média des nouvelles de presse et de la publication de leurs programmes. Longuet, devenu vice-président de la Fédération nationale des syndicats ou associations professionnelles de journalistes français51, s’occupa activement de cette affaire et rencontra Blumel, directeur du cabinet de Blum, ainsi que les ministres successifs des PTT, Jardillier et Lebas, mais en vain. La situation économique pesait déjà fortement sur les orientations gouvernementales lorsque la proposition avait été émise pour la première fois (octobre 1936).
Déboires électoraux : amis et adversaires
24L’affaiblissement politique de Jean Longuet s’expliqua aussi par ses échecs électoraux répétés. Les succès obtenus aux élections municipales et cantonales ne pouvaient compenser, même partiellement, des échecs aux élections législatives. Sans doute, d’autres dirigeants furent également dépourvus de mandat national comme Zyromski ou Séverac… Blum, Paul Faure, Bracke connurent aussi des échecs. Si le poids des élus se renforçait dans la SFIO, il n’était pas tel cependant que disparurent les autres sources de légitimité. Mais l’absence prolongée de Longuet des enceintes parlementaires, a fortiori parce qu’elle était la conséquence de candidatures malheureuses, ne pouvait que renforcer les éléments qui diminuaient son audience dans les milieux socialistes. Si la raison fondamentale de ces échecs tient à la faiblesse persistante de la SFIO en région parisienne, des circonstances particulières jouèrent plusieurs fois contre Longuet.
25Aux élections de 1924, dans la grande circonscription de banlieue parisienne comme dans maintes autres régions, les socialistes pouvaient espérer une revanche. Six listes se présentaient. Trois d’importance réduite, celles de l’Action française, du Cartel du Travail et de l’Union socialiste (Adrien Veber), totalisèrent environ 30 000 voix et aucune n’atteignit 4 % des suffrages exprimés. Les trois grandes listes étaient celles du Bloc national, du Parti communiste et du Cartel des gauches et des intérêts de la banlieue. Les communistes arrivèrent en tête avec une moyenne de 105 030 voix et eurent neuf élus. Le Bloc national arriva second, avec 99 557 voix, suivi du Cartel avec 92 756 voix et cinq élus. Laval obtint encore le meilleur score de la liste de gauche, dont il était cette fois le conducteur officiel, avec 95 569 suffrages. Trois SFIO étaient élus : Poncet, maire de Montreuil, Voilin, maire de Puteaux et Martin, ancien président du conseil général. L’ordre de présentation des candidats n’avait qu’une valeur au maximum indicative, en raison du panachage et du vote préférentiel autorisés. Longuet pouvait cependant être déçu puisqu’il était placé en principe à la troisième place de la liste. Le panachage avait profité aux élus locaux bien implantés, au détriment des candidats à l’image plus politique, tels Frossard ou Verfeuil, relégués avec Longuet en fin de liste par les résultats. Les recommandations du Bloc des Rouges n’avaient pas eu d’effets sensibles, au contraire de celles de L’Auvergnat de Paris. Preuve de l’influence des réseaux du maire d’Aubervilliers. Preuve de la force des bastions municipaux pour assurer aux notables locaux un apport important de voix personnelles. Preuve aussi de l’impuissance de la SFIO. Longuet voulut montrer qu’il n’était pas dupe et il protesta contre « l’ignominie » du panachage et les « manœuvres » des « comitards ». Le scrutin d’arrondissement lui apparut alors comme un moindre mal et il en demanda le rétablissement. L’expérience l’avait donc amené à renverser la position de Jaurès sur le mode de scrutin. Il pensait maintenant que le renforcement des structures de parti était un préalable à l’instauration d’une Représentation Proportionnelle loyale.
- 52 « Jean-Crétinaud Longuet tente de ressusciter en bavant sur les communistes… individu parfaitement (...)
26En 1927, Longuet fut candidat aux élections sénatoriales dans la Seine. Il fut à nouveau victime du panachage, cette fois à l’instigation du Parti communiste. Maire de Châtenay-Malabry depuis 1925, il avait pourtant des chances réelles et figurait encore en troisième position sur la liste socialiste, derrière Voilin et Groussier. Mais le 9 janvier, il arriva en cinquième position et fut donc éliminé au second tour de la liste d’union de type cartelliste. Les communistes n’avaient maintenu qu’un candidat symbolique et préféré utiliser leurs bulletins pour peser sur le choix des qualifiés du second tour. Longuet était particulièrement visé pour avoir évoqué des financements étrangers et douteux de L’Humanité52. Vaillant-Couturier l’avait publiquement prévenu des suites de « son odieuse et calomnieuse attaque ». Le PCF éliminait ainsi un rival attentif, prêt à la polémique et soucieux de favoriser les « retours à la vieille maison ». L’opération communiste réussit aussi à faire battre Sellier, administrateur-délégué de l’Office des HBM et personnalité dominante du conseil général. S’en tenir à ce constat n’est pas pour autant satisfaisant. Il aurait été simple de refuser de tenir compte de l’intervention communiste. Question de volonté politique ? L’habileté tactique du Parti communiste s’était surimposée à une non moindre habileté tactique, à usage interne, des divers animateurs de la fédération socialiste de la Seine.
27Aux élections législatives de 1928, les causes de la défaite de Jean Longuet furent davantage nationales. Il fut victime de la tactique « classe contre classe » et du maintien des candidats communistes au second tour. Sa circonscription, populaire et en voie d’urbanisation donna 22 % des suffrages au PCF au 1er tour et 17,5 % au second, score appréciable puisque le PCF conservait ainsi les quatre cinquièmes de ses voix. Longuet dénonça « la démagogie particulièrement vulgaire et brutale » et « la plus honteuse trahison », mais il reconnut que dans le Nord et la région parisienne le bon maintien communiste au second tour dénotait un excellent encadrement par les cellules, les organisations de masse et L’Humanité. Il ne faisait guère de doute qu’en cas de désistement ou de retrait du candidat communiste, Longuet aurait été élu député, puisque son adversaire victorieux, le modéré Alfred Nomblot, ne réunissait que 45,5 % des suffrages exprimés.
28Ces quatre échecs successifs mettent en valeur le poids des contingences dans une carrière politique. Certes, en filigrane, se lit derrière elles l’excessive difficulté à se constituer un fief électoral en région parisienne pour un socialiste. Le poids du parti communiste était tel dans les faubourgs ouvriers et en banlieue que toutes les conditions favorables devaient être réunies pour cela. Notamment, il fallait pouvoir compter sur une excellente mobilisation de l’ensemble des forces de la gauche non communiste. Cela n’était pas acquis d’avance pour Longuet, exposé à toutes les manœuvres obliques envisageables, comme le montra encore sa défaite en 1936. L’exigence, « à gauche », de ses choix politiques, ne facilitait pas sa tâche. Les divisions de la « gauche non communiste » assurèrent le plus souvent son échec. En revanche, le caractère populaire, mais d’un type encore assez peu prolétarien de son canton, et surtout de sa commune, permit à Longuet de connaître quelques compensations avec son élection à la mairie de Châtenay-Malabry en 1925 et au conseil général de la Seine en 1929.
Du local à l’international : la municipalité de Châtenay-Malabry
Des élections de gauche
- 53 2 019 au recensement de 1911, 2 966 à celui de 1926. Cf. J. Girault, « Les conseillers municipaux (...)
- 54 Châtenay-Malabry compta 9 179 habitants au recensement de 1946.
29Châtenay-Malabry était un bourg encore fortement rural, peuplé d’environ deux mille habitants lorsque les Longuet vinrent s’y installer, et de trois mille lorsque l’ancien député de la Seine en devint le maire53. La commune poursuivit sa croissance jusqu’à avoisiner les quatre mille en 1936, peu après la seconde réélection de Longuet. Mais c’était le moment où elle allait changer de visage avec l’ouverture de la cité-jardin de la Butte Rouge à Malabry54. Auparavant, bourgade tranquille, domaine des maraîchers et des pépiniéristes, elle conservait un caractère campagnard. L’éloignement de Paris favorisait cet état de fait, la commune n’étant pas desservie comme plusieurs de ses voisines par la ligne de Sceaux, mais par un tramway électrique, puis un autobus. Cependant, de plus en plus Châtenay-Malabry s’intégrait à la banlieue et se peuplait de personnes qui, tel Jean Longuet, travaillaient à Paris. La question des transports devint alors primordiale et les interventions du maire, conseiller général et parfois député, pour l’amélioration de ces moyens de transports collectifs (prolongements de la ligne, traction électrique, nouvelles stations…) furent une constante de son action politique… et l’occasion de critiques des autres forces locales (communistes, radicaux, modérés, etc.), naturellement prompts à juger ces interventions inefficaces. Peut-être, cette mise à distance de la capitale était-elle jugée en revanche intéressante par les universitaires, artistes et hommes de lettres qui, comme à Sceaux ou Bourg-la-Reine, furent toujours assez nombreux à y résider.
- 55 Pour cette histoire locale, consulter J. Girault, op. cit.
30La section socialiste fondée par Longuet en 1910 avec quatre camarades se développa assez vite, mais ses effectifs se stabilisèrent dans l’entre-deux-guerres autour d’une trentaine de cotisants réguliers. Candidat, Longuet pouvait compter aux diverses élections entre 1914 et 1928 sur un bon tiers ou une petite moitié des suffrages, un peu plus en cas de scrutin uninominal, un peu moins pour un scrutin de liste, compte tenu des évolutions de la popularité socialiste. En tout état de cause, la conquête et la gestion de la ville allaient être une affaire de petits groupes, où les affinités, les relations personnelles, les caractéristiques individuelles pesaient d’un poids déterminant. En 1925, le maire sortant était Arthur Brochet, un « modéré », administrateur-directeur des pépinières Croux. Partisan déclaré des candidatures d’affirmation socialiste, Longuet n’en présenta pas moins une liste de cartel, intitulée « Liste d’entente républicaine et socialiste » composée de 9 socialistes et de 7 radicaux, en arguant de la taille modeste et du caractère « demi-rural » de sa commune. Elle surpassa légèrement la liste du maire sortant au premier tour, le 3 mai 1925, et, l’emporta nettement au second, le 10 mai, en bénéficiant du désistement communiste55.
- 56 Alix Cornille, rédacteur au Populaire, et Édouard Depreux dirigeaient la section socialiste de Sce (...)
- 57 Le docteur Le Savoureux, propriétaire d’une maison de santé installée à La Vallée-aux-Loups, fonda (...)
- 58 Longuet avait connu Paulhan par l’intermédiaire de Groethuysen.
- 59 La Cité nouvelle fut fondée en 1931 par Marcel Fredou, cf. Sylvie Rab, 1931-1967, la Cité nouvelle (...)
31En mai 1929, la victoire de Longuet fut encore plus aisée. La liste communiste recula nettement, ce qui favorisa la réélection de la liste Longuet, qui obtint 11 sièges dès le premier tour et 10 au second, l’opposition de droite reculant légèrement. Ce succès fut complété le mois suivant par l’élection de Longuet au conseil général. L’équilibre interne de la municipalité évoluait en faveur des socialistes, désormais 12 alors que les radicaux étaient 9. En revanche, les élections de 1935 furent difficiles. Dans l’atmosphère de formation du Front populaire, le dynamisme des sections socialistes de la circonscription s’était pourtant, comme ailleurs, renforcé. Fin mars 1935, elles se dotèrent d’un journal local, La République sociale, « organe du parti socialiste SFIO », mais aussi « de la lutte antifasciste du canton de Sceaux ». Longuet directeur était entouré de Depreux rédacteur en chef, de Cornille secrétaire de rédaction et d’Édouard Jacque administrateur56. Ce ne fut pas seulement un journal électoral, mais un hebdomadaire enraciné dans la vie locale qui perdura et rivalisa avec L’Aube nouvelle communiste. En 1938, il avait 130 abonnés et vendait de 100 à 150 exemplaires par numéro à Châtenay. Mais cette évolution perturbait aussi les habitudes locales. Le premier adjoint sortant, Édouard Maurant, radical-socialiste, presque octogénaire, souvent présent dans sa commune, se montrait attaché à une bonne gestion économe plus qu’à de coûteuses et dangereuses réalisations et hostile au rapprochement avec le parti communiste. Lui-même non sans liens avec la droite locale, il rompit avec Longuet et prit la tête de la liste d’opposition. Le maire dut se représenter avec une liste qui ne comprenait que 3 radicaux-socialistes, dont le docteur Le Savoureux et le professeur Édouard Guyot57, et 12 socialistes officiels, le faible nombre des radicaux étant compensé par 6 indépendants dont 3 étaient en fait membres de la SFIO. Parmi les 3 « véritables » indépendants figurait le directeur de La N.R.F. Jean Paulhan58. Les deux listes arrivèrent à peu près à égalité au premier tour. Le désistement communiste permit une victoire de justesse de Longuet, l’opposition parvenant à faire élire 3 de ses candidats. Longuet rencontrait donc à nouveau la difficulté essentielle de tout son parcours politique. Il était à peu près hors de question de l’emporter sans une entente de ce que lui-même appelait le parti républicain, mais la haute exigence qu’il se faisait de sa mission lui rendait la tâche singulièrement difficile. Comment concilier cette entente républicaine avec l’affirmation du caractère de classe du parti socialiste, avec le désir de faire de sa commune un petit lieu d’application des gestions en usage dans l’Internationale ? Toute rupture d’équilibre entre les deux grandes composantes de ce parti républicain ne menaçait-elle pas son existence ? Jusqu’en 1929, les socialistes avaient laissé aux radicaux, outre une bonne représentation à Châtenay-Malabry, le siège de conseiller général. Les progrès socialistes et la conquête du mandat cantonal, puis en 1932, du siège de député, ne pouvaient que troubler les notables locaux du parti radical. Le Front populaire, dont la montée en puissance était localement aggravée par la perspective de la cité-jardin de la Butte Rouge, en effraya plusieurs. La victoire de justesse des municipales préfigurait l’échec législatif de 1936, d’autant plus que les relations avec le parti communiste étaient complexes. Celui-ci devint une force politique importante avec l’ouverture de la cité-jardin, mais il devenait alors porteur de revendications et d’une culture qui ne se mariaient pas aisément avec celles du bourg de Châtenay. Auparavant, le parti communiste s’était en grande partie structuré autour de l’expérience originale de la « cité nouvelle », aux accents libertaires et utopistes, qui ne se prêtait guère aux compromis et aux accords municipaux59. En 1935 comme en mars 1938, il fut impossible de parvenir à une entente entre la SFIO et le PCF pour constituer une liste de Front populaire, même si le désistement communiste apportait un appui décisif à la municipalité. Si dans le premier cas, les socialistes ne proposèrent pas d’accord aux communistes locaux, encore faiblement implantés, dans le second, ce fut la section locale du PCF, semble-t-il, qui se montra la moins disposée à envisager une liste d’union.
Une gestion socialiste ?
- 60 Longuet fut délégué de la commune dans les deux instances stratégiques de la mandature : les syndi (...)
32La première mandature n’avait pas soulevé de problèmes particuliers. Elle fut marquée par un effort d’équipement et de modernisation qui n’off rait guère prise aux dissensions avec le parti radical. La ville améliora la voirie, poursuivit l’achèvement de la réalisation des canalisations d’eau et de gaz60, créa une cantine scolaire et des colonies de vacances, bref, modernisa la ville de manière semblable à ce qui se passait à Antony avec Mounié, le maire radical-socialiste des « mal lotis ». Toutefois, les premiers affrontements publics entre Longuet et Maurant concernèrent le choix du terrain de la future école de Malabry, en juin 1926. De manière générale, Maurant semblait donner la priorité aux économies budgétaires et à la faible pression fiscale, Longuet aux réalisations d’intérêt social. Longuet manifesta le caractère politique de sa gestion en faisant approuver par le conseil plusieurs vœux de politique générale, en nombre limité cependant et comme il se devait souvent rejetés par l’autorité de tutelle : contre la poursuite de la guerre au Maroc et pour l’autodétermination des Rifains (17 septembre 1925), refus de pavoiser en l’honneur de l’American Legion après l’exécution de Sacco et Vanzetti (16 septembre 1927), demande d’intervention du Président de la République auprès des autorités espagnoles pour obtenir la grâce des députés socialistes espagnols condamnés après la « Commune des Asturies » (19 mars 1935), demande de dissolution des ligues armées (28 avril 1935).
33Soucieux de faire vivre la culture socialiste, de donner un cadre de vie propice à l’enracinement d’un esprit, sinon de classe, du moins républicain « avancé », Longuet pesa sur la dénomination des voies publiques. Dès juillet 1925, trois rues importantes de la commune furent rebaptisées : le chemin des Princes devint la rue Jean-Jaurès, la rue Sainte-Geneviève la rue Anatole-France et les rues de la Vérité et du Plessis la rue Camille-Pelletan, peu avant qu’une rue Paul-Girondeau fût créée pour saluer la mémoire du fondateur de la section socialiste locale, tué à la guerre en octobre 1914. Pour l’inauguration, Longuet chercha à susciter l’ambiance des fêtes socialistes, telles qu’elles pouvaient se dérouler en Belgique ou en Allemagne, ce qui posait problème dans une petite ville de banlieue administrée en commun par les socialistes et les radicaux : « dimanche rouge », avec le buste de Voltaire couronné de fleurs rouges, cortège, discours socialistes et communistes, partie artistique et vin d’honneur. Cela revenait à affirmer fortement l’identité socialiste de la commune, le cordial accueil réservé à Mounié, « conseiller général républicain », au moment du vin d’honneur, donc à l’instant destiné aux invités plus éloignés, aux amis et relations qui ne faisaient pas partie de la famille, ne suffit probablement pas à rassurer les radicaux.
- 61 C. Andler, La Vie de Lucien Herr, op. cit., p. 216.
- 62 En raison de la nature argileuse de son sol.
- 63 Cf. K. Burlen, La Banlieue-oasis, Henri Sellier et les cités-jardins 1900-1940, PUV, 1987.
34Longuet persista dans cette voie qui devait donner à sa gestion sa couleur et entretenir la propagation des thèmes socialistes. La première école socialiste de la SFIO d’après Tours fut organisée dans le château de Malabry, au cours de l’été 1927 et un buste de Jaurès y fut inauguré en septembre. Cette deuxième fête socialiste organisée la deuxième année du mandat parut excessive aux radicaux locaux, pour ne rien dire de l’opposition. Le docteur Tauchon, un des principaux élus radicaux, porta l’affaire devant le conseil municipal le 6 janvier 1928 et provoqua un vif affrontement, malgré l’appel à l’union du parti républicain lancé par Longuet. Un ordre du jour quasi unanime rendit hommage à « la bonne foi de tous » et affirma la volonté de maintenir l’union entre socialistes et radicaux afin de poursuivre « l’œuvre de progrès social et de bonne administration » qui correspondait aux ambitions non contradictoires, mais disjointes, des uns et des autres. Andler, bon témoin de l’attachement aux valeurs républicaines traditionnelles, expliquait sincèrement son incompréhension et son refus d’une politique de présence symbolique aussi affirmée, en dénonçant « le vandalisme municipal » pratiqué à Châtenay61. Longuet continua à marquer sa commune d’un environnement toponymique qui voulait ancrer le socialisme dans la tradition républicaine et révolutionnaire. Outre le choix d’une rue Robespierre, plusieurs rues prirent des noms d’écrivains et de poètes qui avaient illustré la promesse d’une émancipation sociale : Eugène Sue, de surcroît ancien châtenaysien, Séverine, Pierre Dupont… La construction de la cité-jardin, en ocre rose, sur un lieu-dit qui s’appelait déjà la Butte Rouge62, lui permit de montrer clairement le prolongement naturel de cette tradition : le socialisme. Il s’agissait d’honorer les pionniers, qui s’étaient « levés avant l’aurore ». La Commune, dont le souvenir s’associait bien à la topographie des buttes (Montmartre, Butte-aux-cailles, Ménilmontant) liées aux derniers combats, fut particulièrement représentée : Varlin, Duval, Vaillant, Allemane, Pottier, Malon, Lafargue, Charles Longuet. Une autre série illustrait l’ambition scientifique du socialisme, sa volonté de transformer la vie sociale par une approche sociologique et planifiée des besoins collectifs. Le premier groupe de rues portait la marque de Longuet, le second (Émile Durkheim, François Simiand, Robert Hertz, Albert Thomas) celle de Sellier63. Francis de Pressensé représentait la Ligue des droits de l’homme, dont Longuet présidait la section locale. Renaudel devait à l’amitié de Longuet de se voir associé à ce panthéon socialiste, sa seule présence fournissait en outre un argument contre d’éventuelles accusations de sectarisme. Enfin, Marie Bonnevial, après Séverine, témoignait du féminisme du maire de Châtenay, puisque cette socialiste avait présidé la Ligue française pour le droit de vote des femmes. À ces noms s’ajoutèrent ceux de Guesde, Salengro, etc.
- 64 M. Agulhon, « La mairie », in P. Nora, Les Lieux de mémoire, op. cit.
35La seconde mandature poursuivit l’œuvre d’équipement, concernant l’éclairage public, la création de bains-douches municipaux et l’ouverture d’un dispensaire, la construction de nouvelles classes et les problèmes répétitifs de la nouvelle école de Malabry, appelée « Jean Jaurès », l’achat d’une cabine cinématographique, l’aménagement de la bibliothèque municipale, et l’installation des services municipaux dans une nouvelle mairie, inaugurée le 2 juillet 1933. Tous choix qui relevaient de la culture républicaine, commune aux socialistes et aux radicaux : Maurice Agulhon, après Daniel Halévy, a pu écrire « qu’être républicain c’était avoir la mairie ambitieuse et proclamatrice64 ». Longuet se fit élire au syndicat départemental des transports en commun : le prolongement de la ligne de Sceaux, l’abandon de la ligne Paris-Chartres par Gallardon (actuelle ligne du TGV) devenaient des dossiers prioritaires. Le développement urbain nécessita une réflexion d’ensemble sur l’avenir de la commune. Le plan d’aménagement et d’embellissement voté en 1931, modifié en 1938, s’efforçait de prendre en compte, non sans mal, l’ouverture prochaine de la cité-jardin de la Butte Rouge, sur des terrains achetés en 1919 à la famille Hachette par l’Office public d’habitations à bon marché du département de la Seine.
- 65 Animé par deux futurs maires de la commune, Gaston Richet (1938-1947) et André Mignon (1965-1976).
- 66 Il s’efforça de préserver La Vallée-aux-Loups, demandant en 1937 son classement, acquis en 1964.
- 67 Cf. correspondance Longuet/Paulhan, 1934-1938, Fonds Paulhan, archives IMEC.
- 68 Furent ainsi invités Marc Bernard, Francis Ponge, Jacques Audiberti, Claude Sernet, etc. Cf. Marce (...)
36Longuet chercha également à se doter d’une politique culturelle qui se manifesterait moins au coup par coup, comme pour les fêtes de la première mandature, mais davantage par une action de longue haleine, d’enracinement local, qui permettrait alors à des manifestations socialistes d’importance d’être mieux comprises. En 1930, il fut à l’origine du patronage Voltaire65 destiné à concurrencer le patronage Saint-Germain et la société Castelnau. Avec pragmatisme, Longuet s’intéressait davantage en vieillissant aux activités culturelles, de façon un peu traditionnelle, comme au conseil général où il œuvrait en faveur du musée d’Île-de-France et du parc de Sceaux66, ou de manière plus moderne en demandant à Jean Paulhan de s’occuper de ces dossiers pour son troisième mandat. Châtenaysien de 1930 à 1938, Paulhan fut un conseiller municipal actif et un ferme soutien de Longuet67. La majorité pouvait parfois se diviser : ainsi Paulhan, comme Maurant et Le Savoureux, fut hostile à l’ouverture du patronage municipal aux enfants de l’école privée, contrairement à Longuet. Paulhan organisa un cycle de conférences littéraires sous l’égide du cercle Voltaire68 et prépara l’exposition Voltaire, inaugurée en juillet 1938 par l’ancien ministre de Monzie, président du comité de l’Encyclopédie française.
- 69 Par exemple le 4 mars 1930 à Robinson avec le concours de Blum, lecture de poèmes de Marcel Martin (...)
- 70 Léandre Vaillat, « Châtenay-Malabry », Le Temps, 24 mars 1937.
- 71 Compte rendu de l’inauguration de la Maison de l’Éducation installée dans l’ancienne propriété d’É (...)
- 72 Cf. M. Livian, « Jean Longuet et les réfugiés », op. cit., J. Omnès, Note sur l’aide de la SFIO…, (...)
37Robinson, célèbre pour ses guinguettes, était un lieu de distractions dominicales encore en vogue et Longuet y organisa diverses fêtes, banquets et réunions, fondées sur l’association d’une partie récréative, artistique ou sportive, et d’une partie politique69. C’était aussi pour lui l’occasion d’ouvrir ses concitoyens aux réalités internationales : l’anniversaire de Jaurès en juillet 1934 ne fut pas seulement marqué par un discours de Blum. Longuet fi t venir Modigliani pour dénoncer les crimes du fascisme italien et Schlesinger pour ceux de l’Autriche : la conclusion politique que les auditeurs étaient appelés à formuler était claire : l’unité du prolétariat afin d’éviter la répétition de semblables catastrophes en France. Le Front populaire réconciliait la culture ouvrière avec les traditions nationales. Le Temps félicita le maire pour sa « compréhension aussi vive de la nature des lieux », son allure aimable et son absence d’agressivité dans l’utilisation du patrimoine historique de la cité70. De même, l’appel au soutien public du comité d’accueil des enfants espagnols pendant la guerre civile était cosigné par le maire et le curé, et soutenu par le conseil municipal, le corps médical, les directeurs d’écoles de la commune et par la supérieure des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul71. Il n’en demeurait pas moins que Longuet affirmait ainsi sa volonté de ne pas se contenter d’une gestion « localiste » de sa commune. Le souvenir sans doute le plus vivace localement de cette affirmation internationaliste est resté l’accueil des réfugiés socialistes allemands : Otto Wels, président du SPD, Crummenerl, Ollenhauer, Stampfer, etc.72.
38Longuet eut l’occasion d’expliquer sa conception de l’action municipale. Se préoccupant de l’agression japonaise contre la Chine, il précisait ainsi à un correspondant :
- 73 Lettre de Longuet à M. Hartmann, 15 octobre 1937, archives municipales.
« Vous me direz que ces terribles événements se passent très loin de nous, et la question de quelques sous d’augmentation sur le tarif du métro touche de beaucoup plus près les habitants d’Antony, et que le citoyen Mounié étant essentiellement un élu localiste, il s’en est ému davantage que du massacre de 100 000 Espagnols ou de l’extermination de centaines de milliers de Chinois. Vous me permettrez d’avoir une autre conception du devoir d’un militant qui, suivant la grande parole prononcée il y a bientôt 2 000 ans par le poète latin, pense que rien de ce qui est humain ne lui est étranger. Évidemment, les électeurs qui considèrent qu’ils doivent avoir un représentant occupé uniquement de leurs becs de gaz et de leurs pissotières peuvent préférer l’autre mentalité. Je regrette de ne pas partager leur point de vue. Je ne veux pas dire par cela que l’on ne doit pas s’occuper des questions locales, et, en ce qui concerne les transports en particulier, je crois avoir assez fait pour qu’on ne puisse pas me dire que je ne m’occupe point des questions terre à terre, et qui touchent de plus près, évidemment, la masse de nos concitoyens. Le jour cependant où ils verraient leurs maisons anéanties, leurs femmes et leurs enfants massacrés, ils penseraient que cela a plus d’importance que de payer deux sous de plus sur un ticket de métro73 ! »
- 74 Conseil municipal, séance du 21 février 1932, archives municipales. Le refus de travailler, mais a (...)
- 75 Cf. J.-C. Bonnet, Les Pouvoirs publics français et l’immigration entre les deux guerres, Lyon, C. (...)
- 76 Le Populaire, 4 avril 1934.
39La crise économique obligea à de nouvelles dépenses tandis que diminuaient les recettes. Une allocation fut accordée aux chômeurs, souvent sous la forme d’un travail rémunéré de 4 à 5 heures par jour pour la municipalité (nettoyage des allées, élagage des arbres…)74. À la demande de l’adjoint André Guichemerre, ingénieur socialiste, le maire promit d’intervenir pour éviter le recours excessif aux heures supplémentaires comme l’emploi exagéré de la main-d’œuvre étrangère dans les entreprises de la commune. L’adjoint au maire soulevait le problème qui était en cours de discussion au parlement et allait aboutir à la loi du 10 août 1932, prévoyant en principe de limiter à 10 % la main-d’œuvre étrangère dans les entreprises. Les communistes furent très opposés à cette loi qui divisait entre eux les travailleurs et accusèrent les socialistes de l’avoir approuvée. Ceux-ci s’en défendirent, puisqu’ils s’étaient abstenus, comme les communistes, mais leur attitude resta embarrassée : ils approuvaient les principes généraux de la loi (contingentement par profession), même s’ils réclamaient des mesures favorables aux travailleurs étrangers (égalité de salaires)75. Longuet lui-même se contenta d’indiquer à la séance suivante que l’observation de principe avait été faite, mais qu’en tout état de cause elle concernait les chantiers privés, non les services communaux. Selon Le Populaire, Longuet obtint par la suite « satisfaction dans une large mesure », « sans manquer à ses principes internationalistes » et « par des démarches multipliées », il fit augmenter le nombre de travailleurs nationaux sur les chantiers de la cité-jardin du Plessis76.
- 77 Conseil municipal, séance du 24 février 1938, archives municipales. Avant 1935, Maurant était disp (...)
40En 1935, Longuet fit désigner son nouveau premier adjoint Dubois aux syndicats des eaux et du gaz. Approchant de la soixantaine, chargé de nombreuses responsabilités il souhaitait prendre quelque distance avec les affaires communales. En février 1938, il demanda d’ailleurs l’élection d’un adjoint supplémentaire, Gaston Richet, pour diriger les services de la commune car lui-même en était empêché par ses occupations personnelles77. De fait, la gestion peu scrupuleuse du secrétaire général, Camille Estiveau, en place depuis 1928, devait certainement nécessiter un contrôle plus rigoureux. Suspendu en mai 1938, Estiveau fut reconnu coupable de détournements de fonds et condamné à deux ans de prison en novembre 1941.
La cité-jardin de la Butte Rouge
41La notion de cité-jardin, inspirée des réalisations britanniques et des travaux du Musée social, était connue de Longuet, même s’il ne semble pas être intervenu sur les théories d’Ebenzer Howard ou sur les propositions d’Henri Sellier. Son propre programme électoral s’étendait davantage, et assez logiquement, sur la situation des « mal lotis » que sur la construction d’éventuelles cités d’habitations à bon marché. Il fut vite confronté à la préparation, puis à la réalisation d’une des cités-jardins les plus emblématiques de la banlieue parisienne.
- 78 Châtenay-Malabry, histoires et paysages, op. cit. Avant la guerre, 115 logements furent encore liv (...)
- 79 La municipalité Brochet avait protesté contre l’achat des terrains et l’établissement d’une cité-j (...)
42En 1919 avait été prévu l’équivalent d’une ville nouvelle, 100 000 habitants en 22 000 maisons sur le plateau de 1 500 hectares entre Sceaux et Vélizy. Cet ensemble urbain aurait pu fonctionner de manière autonome : usines, centres sociaux et administratifs, gare, cité universitaire-jardin sur le parc de Sceaux. Plus modeste, le projet de 1922 envisageait la construction de 250 maisons individuelles. Les logements collectifs, plus denses, et donc moins coûteux, furent finalement retenus et les premiers construits à partir de 1931 : 474, suivis de 560 en 1933, et de 419 en 1935-1936 (avec la piscine)78. Si la réalisation des premières tranches était à bien des égards exemplaire (équipements intérieurs, jardins familiaux, espaces verts…), l’ouverture de la cité-jardin de la Butte Rouge se traduisit aussi par un bouleversement des paysages, de la vie sociale et une forte augmentation des charges. Il fallait rompre l’isolement du quartier Malabry, entouré par les bois. Longuet précisa qu’il s’agissait « d’un événement qui n’a pas dépendu de nous79 ». Les difficultés concrètes s’accumulaient : en une année, la population de la commune doubla (4 000 à 8 000), la nouvelle école de la cité qui accueillait dans des conditions provisoires 680 enfants en juillet 1937, devait en recevoir 300 de plus en octobre et encore 300 autres en janvier 1938. La construction de 32 classes était nécessaire.
- 80 Aujourd’hui centre Jean Longuet, cf. Le Populaire, 29 mai 1939.
- 81 Conseil municipal, séance du 13 septembre 1938, archives municipales. L’excédent de l’exercice est (...)
- 82 Lettre à Richet, 11 juin 1938, AN, archives Depreux.
- 83 Lettre à Richet, 3 septembre 1938, AN, archives Depreux, 456 AP 6. La piscine fonctionna jusqu’à l (...)
43Longuet avait insisté sur les réalisations qui devaient accompagner obligatoirement la cité-jardin, prévues initialement, mais reportées. La plus importante concernait l’arrivée du métro, dont l’emplacement était déjà aménagé. Au conseil général, il ne cessa de réclamer en vain le prolongement de la ligne de Sceaux jusqu’à Malabry. La ville eut plus de chances avec les équipements sportifs, puisque fut réalisé un ensemble avec terrains de football, tennis, basket, boulodrome, etc.80. La piscine, réalisation pionnière, impliquait pour son équilibre financier la participation des communes voisines qui finirent par se dérober. Elle fut ouverte à l’essai en juin 1938, avec succès d’ailleurs81. Longuet s’efforça de donner un éclat particulier à son inauguration, le dimanche 26 juin 1938, afin de la populariser et de manifester le dynamisme de la municipalité socialiste après « la malheureuse affaire Estiveau » et la scission pivertiste82. Il continua à s’en occuper pendant tout l’été 193883.
44Il serait audacieux de présenter Châtenay-Malabry comme un exceptionnel laboratoire d’application des expériences municipales belges, scandinaves, ou autrichiennes. Les ressources limitées de la commune, son caractère de petite ville de banlieue aux allures encore campagnardes, la crise économique à partir de 1932, la nécessité d’une alliance réelle avec le radicalisme, organisé ou non, pour conserver la majorité, ne le permettaient guère. Il serait cependant injuste de rendre compte des treize années de direction municipale comme si Longuet avait été un notable socialiste au profil bas, l’esprit accaparé par les subtilités des alliances électorales pour conserver son mandat. Sans doute, la réussite de Longuet tint à cet équilibre forcé, à ce balancement entre les contraintes posées d’emblée par une commune qui n’avait pas de raison particulière d’élire un maire socialiste et les ambitions internationalistes du dit maire convaincu qu’il fallait apprendre à « penser internationalement » et qu’à l’occasion, le sort de centaines de millions de chinois pouvait passer avant le prix du ticket de métro, même si on était conseiller général de la Seine. Certes, Châtenay-Malabry n’a pas été une petite sœur de Vienne « la rouge », mais elle n’a pas non plus été une petite ville de gauche comme les autres. Le refus du localisme a permis à son maire de donner à l’exercice de son mandat la dimension éthique qui en fonda l’originalité gestionnaire.
45Châtenay a longtemps gardé une valeur d’exemple pour la gestion socialiste en Île-de-France. Sous la IVe République, la SFIO faisait visiter la ville et ses réalisations à ses militants. En région parisienne, seule Suresnes avait droit au même statut. Au début des années 1980 encore, Roland Castro pouvait servir de guide au Président de la République, soucieux d’animer une nouvelle « politique de la ville », pour lui montrer un exemple d’aménagement urbain en son temps réussi. Autre indice de qualité : Châtenay-Malabry conserva pendant soixante-dix ans des municipalités à direction socialiste. Si, par elle-même, cette durée ne prouve rien, et sans négliger d’autres facteurs, il n’aurait sans doute guère été possible d’obtenir ce résultat si le maire fondateur de la série n’avait pas localement laissé l’impression d’une réussite et d’une certaine valeur. Le mandat de maire convenait en fait à Longuet. Homme pratique et esprit informé, il avait le sens de l’humanité vivante. Il était à sa place dans une fonction qui nécessitait de savoir écouter, mais aussi de proposer et d’innover. Sa vaste culture internationale l’aidait à faire preuve de cette prudente audace qui permit d’intégrer dans des conditions acceptables la cité-jardin et de moderniser Châtenay sans détruire son équilibre antérieur.
Conseiller général : le réseau Sellier
- 84 Mounié fut sous-secrétaire d’État au Travail et à la Prévoyance sociale dans le cabinet Steeg (13 (...)
- 85 Six communes sur huit et environ 54 % de la population. L’autre canton était composé des communes (...)
- 86 « Je ne puis admette les théories conçues à l’étranger par un esprit qui n’est pas de notre race, (...)
46Depuis 1919, le canton de Sceaux était composé des communes d’Antony, Bagneux, Bourg-la-Reine, Châtenay-Malabry, Fontenay-aux-Roses, Le Plessis-Robinson, Sceaux. De 1919 à 1929, son conseiller général fut le sénateur-maire d’Antony, Auguste Mounié, radical-socialiste proche de Théodore Steeg84. Le canton constituait une bonne moitié de la circonscription législative dans laquelle Longuet se présenta de 1928 à 193685. En 1929, Mounié, qui avait bénéficié du soutien socialiste aux élections sénatoriales et municipales, laissa le champ libre à Longuet, malheureux aux précédentes législatives. Gabriel Clausels, secrétaire général de la fédération des groupements de petits et moyens commerçants de la banlieue, qui se présentait comme socialiste indépendant, représentait en fait la droite locale et mena une rude campagne contre Longuet86. Celui-ci l’emporta cependant au second tour avec 44,4 % des suffrages contre 40,3 % à Clausels et 15 % au communiste.
Les travaux du conseil général
- 87 Cf. K. Burlen (dir.), La Banlieue-oasis, Henri Sellier et les cités-jardins 1900-1940, Saint-Denis (...)
47Le groupe socialiste du conseil général de la Seine comptait après les élections 23 membres sur 120. Les relations étaient tendues à l’extrême avec les communistes (14 membres) tandis que les rapports avec le groupe radical et républicain socialiste (19 membres) étaient fondés à la fois sur l’alliance et la rivalité. Les modérés de diverses tonalités disposaient d’une majorité suffisante pour occuper la présidence. Mais, au sein de la minorité, les socialistes pouvaient compter sur l’autorité et le prestige d’Henri Sellier87, élu depuis 1910, ancien président du conseil général et ancien rapporteur général du budget, administrateur-délégué de l’Office départemental des HBM (1915-1942). Le maire de Suresnes intervenait longuement dans les débats fondamentaux et manifestait une ample connaissance des dossiers. Contrepartie de cette autorité fondée sur la compétence : les autres membres du groupe semblaient se reposer sur lui pour les interventions de fond et vaquaient à leurs affaires locales. Le Troquer un temps, Longuet dans une certaine mesure, animaient parfois le travail collectif, mais en 1937, un nouvel élu, Maurice Hirschowitz, put critiquer l’absence d’organisation du groupe : pas de bureau d’études, de préparation et de partage des tâches, à un moment où Sellier avait été écarté du conseil par ses fonctions ministérielles.
- 88 BAVP, Su 1759, 26 juin 1929.
- 89 BAVP, Su 1759, 30 décembre 1930, 1er avril 1931, 16 décembre 1933. Le conseil général de la Seine- (...)
- 90 BAVP, Su 1759, 30 décembre 1931, 8 juillet et 20 novembre 1936. En revanche, conformément à la pos (...)
48Nouvel élu, Jean Longuet s’inscrivit dans la commission générale de l’extension, aménagement et extension de la banlieue parisienne ainsi que dans celles du travail et du chômage, des prisons, des hospices, de la police et de la circulation88. Assidu aux réunions, il prit la parole dès le 10 juillet 1929 sur plusieurs dossiers de son canton : l’aménagement du parc de Sceaux et du bois de Verrières, l’amélioration des moyens de transport et notamment de la ligne de Sceaux qui devait rester une grande préoccupation de son mandat. Il envisageait un réseau express étendu à la banlieue à l’image de ceux existant à Berlin, Londres et New York89. Son anglophilie l’amena même à défendre l’introduction d’autobus à impériale90. Lui-même usager, il intervenait sur la surcharge des rames, l’atmosphère irrespirable dans les tunnels, la nécessité de prolonger la ligne jusqu’aux cités-jardins du Plessis-Robinson et de Malabry. Ses remarques de bon sens montraient aussi la sourde inquiétude qui ne le quitta point sur l’avenir des grandioses projets de son ami Sellier :
- 91 BAVP, Su 1759, 11 décembre 1929. Demande reprise de nombreuses fois, notamment le 1er avril 1931 e (...)
« Il ne suffit pas de loger des travailleurs à 8 ou 9 km de Paris, même dans les conditions hygiéniques les meilleures, dans des immeubles pourvus de tout le confort moderne et entourés d’une belle forêt. Il faut encore leur donner les moyens de se rendre chaque matin rapidement à leur travail et d’en revenir dans les mêmes conditions91. »
- 92 Cf. H. Gaillac, Les Maisons de correction, Cujas, 1970, rééd. 1991.
- 93 Compte rendu par Jean Longuet, BAVP, Su 1759, 11 juillet 1930.
- 94 Cf. Fabrice Candar, Enfants avec histoire, mémoire SES, 1983.
- 95 L’indemnité fut portée à 11 francs en 1933, séance du 5 juillet 1933.
- 96 Se fondant notamment sur un rapport d’Albert Rauzy, Sellier, ministre de la Santé publique, porta (...)
49Les questions sociales étaient son domaine privilégié d’intervention. Ainsi, il visita la colonie agricole de Mettray92, en compagnie de Joseph Barthélemy, membre du conseil d’administration de la colonie, doyen de la Faculté de droit, et de quelques autres collègues93. La délégation fut unanime à juger « absolument insuffisantes » les conditions de couchage et de nourriture des « pupilles difficiles » du département de la Seine94. Longuet proposa donc de doubler l’indemnité journalière attribuée pour chaque enfant (six francs) et obtint l’accord unanime du conseil général (séance du 17 décembre 1930)95. Il n’intervint pas sur les modalités mêmes de la rééducation des jeunes, condamnés ou classés « difficiles ». Cet aspect ne fut abordé directement par les socialistes qu’en 193696. L’accord général du conseil s’expliquait dans le contexte des campagnes de presse menées contre « les bagnes d’enfants », par Louis Roubaud, dans Le Quotidien, et Jacqueline Albert-Lambert dans L’Intransigeant. Des rapports administratifs, en 1930 et 1931, devaient confirmer la réalité des accusations de la presse.
- 97 BAVP, Su 1759, 24 décembre 1930.
- 98 BAVP, Su 1759, 24 décembre 1930 et 8 mai 1934.
- 99 Le musée accueillit en effet des donations de Dunoyer de Segonzac et de Fautrier, que Longuet ne s (...)
50Il intervenait aussi sur les questions culturelles et artistiques. Dans le cadre de l’aménagement du parc de Sceaux, décidé depuis 1923, se posait le problème de l’utilisation du château et des pavillons de l’Aurore et de l’Orangerie. Le rapporteur, Le Troquer, proposa la création d’un musée et d’une salle d’exposition97. Longuet, sollicité et documenté par Augustin Chaboseau, fit adopter la dénomination « Musée de l’Île-de-France ». Il se montra particulièrement enthousiaste, évoquant « le magnifique passé d’art et d’histoire » d’un des « plus beaux domaines de France et d’Europe » et regretta seulement le lotissement d’une partie du Parc décidé en 1927 pour financer l’ensemble du projet98. Longuet avait repris une idée déjà avancée par son prédécesseur Mounié. Il aurait souhaité un vaste musée avec des œuvres provenant de Carnavalet, mais aussi des œuvres de Marquet, Dunoyer de Segonzac, Vlaminck et de « son ami Maximilien Luce99 ». Longuet passa à la commission chargée des Beaux-Arts et participa à la préparation de l’Exposition de 1937 pour laquelle l’Orangerie devait accueillir la partie « art des jardins ». Socialiste et internationaliste, Longuet se réjouissait que soient présentés les jardins de tous les pays et manifeste le lien de l’exposition avec l’industrie horticole, si forte dans la région et à Châtenay même.
- 100 BAVP, Su 1759, 1er avril 1931.
- 101 BAVP, Su 1759, 24 juin 1931.
- 102 BAVP, Su 1759, 8 juillet 1931.
- 103 Longuet avait envisagé de démissionner de son mandat cantonal après son élection à la Chambre, con (...)
51Les débats directement politiques n’étaient pas les plus fréquents et se produisaient essentiellement autour des propositions de vœux : Longuet obtint une subvention de 25 000 francs à l’Union des sociétés sportives et gymniques du travail pour participer aux Fêtes olympiques ouvrières de Vienne (juillet 1931)100, le vote d’une adresse de salut à la République espagnole101 et celui d’une aide financière (100 000 francs) aux grévistes du textile de Roubaix102. Les échanges verbaux se firent d’ailleurs progressivement plus âpres avec le déferlement de la crise économique et du chômage, les socialistes insistant à chaque occasion sur les responsabilités du système capitaliste. Le rapprochement avec les élus communistes était patent : le jour de la signature du pacte d’unité d’action. Longuet et Sellier proposèrent un ordre du jour invitant les pouvoirs publics à prendre toutes dispositions utiles pour sauvegarder la liberté républicaine « contre les tentatives des ligues armées et des fauteurs de violence de quelque étiquette qu’ils se recommandent ». Fiancette, qui comme rapporteur général du budget faisait désormais figure de patron du conseil général, confirma l’évolution qui l’avait amené à rompre avec la SFIO au début de l’année 1934, en faisant rejeter ce texte au ton modéré. Les élections cantonales de 1935, dans ce contexte, eurent un caractère politique plus marqué qu’à l’accoutumée et se déroulèrent sous le signe de la formation du Front populaire. Longuet, député depuis 1932, hésita à se représenter103, mais fut facilement réélu.
La politique au conseil général
52Les progrès de la gauche permirent un changement de majorité au conseil général. Le 26 juin 1935, le radical Calmels fut ainsi élu président par 71 voix contre 69 au candidat de droite. Le rapport de forces était donc extrêmement serré et le scrutin fut marqué par plusieurs incidents et une grande confusion. Les candidats du Front populaire emportèrent la plupart des postes du bureau, sauf ceux décisifs de syndic et de rapporteur général du budget que parvinrent à conserver Bucaille et Fiancette. Les séances n’avaient plus rien de comparable avec l’atmosphère, somme toute studieuse et dépassionnée, qui prévalait naguère. Les échanges de propos vifs devenaient fréquents et Longuet y prenait une large part. La victoire nationale du Front populaire surexcitait les passions : lors des séances des 4 et 10 juin 1936, le conseiller des Ternes, Darquier de Pellepoix, demanda l’annulation de toutes les naturalisations intervenues depuis le 11 novembre 1918 et l’élaboration d’un statut particulier des juifs, portant sur les conditions de vote, d’éligibilité et d’accession à la fonction publique. Longuet mena la réplique de la gauche contre la motion Darquier de Pellepoix et déposa un texte de condamnation :
« Saisi d’une proposition de M. Darquier de Pellepoix tendant à remettre en cause les principes de l’égalité de tous les citoyens français devant la loi proclamée par la Déclaration des droits de l’homme et à faire renaître d’intolérables antagonismes de race et de religion que la Révolution française a définitivement condamnés et abolis ; considérant que ces conceptions qui sont la honte et l’opprobre des pays ployés sous des régimes de dictature, sont repoussées avec horreur par l’immense majorité des Français, le conseil décide d’opposer la question préalable. »
53Si deux conseillers seulement choisirent de soutenir explicitement Darquier (Pinelli et Trochu), l’ensemble des élus modérés préféra éviter un vote susceptible de les diviser et obtint le renvoi de la proposition à la commission des vœux dont elle ne revint jamais. La hantise, à l’extrême droite, de ce qu’on appellerait aujourd’hui la perte de l’identité nationale, ne disparut pas pour autant. Trois semaines plus tard, Adrien Massard proposait de ne donner le droit de vote aux naturalisés qu’après une période de dix ans. Sa motion était complétée par Trochu qui demandait deux générations de nationalité française avant d’obtenir l’éligibilité. Là encore, ce fut Longuet qui prit la défense de la tradition juridique française, condamna « le détestable état d’esprit qui tend à créer et à entretenir des haines entre citoyens », et fit valoir, en citant Paul Reynaud, qu’il y aurait au contraire le plus grand intérêt « à augmenter le nombre de citoyens français » par une politique de larges naturalisations. Le débat ne fut tranché, après un renvoi en commission, que le 2 décembre 1936 par 64 voix (Front populaire et quelques modérés) contre 53. Plusieurs incidents avaient opposé Trochu qui estimait que la France devenait « le dépotoir de la tourbe internationale » à Longuet qui ne se contentait pas de défendre le statu quo mais rappelait qu’il voulait élargir en 1919 la nationalité française aux anciens combattants nord-africains et « depuis à tous ceux qui connaissent notre langue ». Si le vœu au caractère nettement provocateur fut assez facilement repoussé, il faut aussi constater que plusieurs élus appartenant à une tradition de gauche ne participèrent pas au vote : Fiancette, qui se refusait désormais à « faire de la politique » et se montrait de plus en plus hostile au gouvernement Blum, Levillain et Loyau, proches de Déat, Marschall, lieutenant de Doriot, Louis Sellier, ancien secrétaire général du Parti communiste et toujours officiellement pupiste…
- 104 BAVP, Su 1759, 17 mars 1937.
54De tels affrontements étaient cependant susceptibles de consolider la majorité de Front populaire existante depuis 1935. C’est ainsi que Georges Marrane, maire communiste d’Ivry, conseiller depuis 1925 et souvent décrit comme un homme courtois et un élu efficace et travailleur, était devenu à une voix de majorité le 1er juillet 1936, président du conseil général. En revanche, Fiancette conservait le poste essentiel de rapporteur général du budget par 73 voix contre 54. Henri Sellier étant occupé par ses fonctions de ministre de la Santé publique, il appartenait de plus en plus souvent à Longuet d’intervenir dans les propos interrompus qui opposaient les deux camps. Les discussions sur les moyens de transport ou les dépenses sociales aussi bien que l’actualité politique faisaient sans cesse resurgir les affrontements. Longuet eut ainsi la difficile tâche de présenter l’analyse des socialistes sur le drame de Clichy en mars 1937. Il s’agissait d’expliquer la décision des organisations locales du Front populaire de manifester contre la réunion du Parti social français au nom de la légitime horreur ressentie à l’égard des fascismes tout en reconnaissant la nécessité pour les pouvoirs publics d’intervenir puisque « tant que les gens n’ont pas eux-mêmes rompu la légalité, ils ont évidemment le droit d’en user104 ». Position difficile, même si Longuet savait la compléter par une charge contre la droite extrême, coupable de l’attentat contre Léon Blum et qui avait conduit Salengro au suicide. La solution était pour Longuet de dénoncer les provocations et de prendre de la hauteur en faisant voter un ordre du jour de confiance au gouvernement « pour la sauvegarde des libertés démocratiques et la paix publique ». Fidèle de Blum, Longuet essayait en effet d’élargir la majorité de Front populaire en faisant appel « à tous les républicains, à tous les démocrates ». La menace extérieure des dictatures fascistes, désormais élargie à l’Espagne, devait conduire ceux qui conservaient un « sentiment français » à refuser la « trahison » et à se serrer autour du gouvernement « qui porte dans le monde, si fièrement et si haut le drapeau de la République et le drapeau de la France ». Cet appel ne rencontra que peu d’écho puisque, si Longuet obtint la majorité, le bloc des voix modérées ne se laissa guère entamer.
- 105 BAVP, Su 1759, 30 juin 1937.
- 106 BAVP, Su 1759, 26 mars 1938.
- 107 BAVP, Su 1759, 31 décembre 1937.
- 108 Lettre à Richet, 8 juin 1938, archives communales de Châtenay-Malabry.
55Le reflux du Front populaire fut sensible également au Conseil général. Le renouvellement du bureau, quelques jours après la démission du gouvernement Blum, vit ainsi une nette victoire de la droite105. Victor Constant fut élu président contre Le Troquer et Longuet battu à la vice-présidence par 66 voix contre 68 à Fillon. La gauche ne conservait que la moitié des vice-présidences et des secrétaires. L’influence de Fiancette, réélu par 73 voix contre 59 à Marrane, demeurait prédominante. Les débats reprenaient d’ailleurs progressivement une tonalité plus technique, malgré les provocations de Darquier de Pellepoix ou la discussion habituelle des vœux les plus divers, tel celui souhaitant le « retour à la terre » des chômeurs, ce que Longuet qualifia de « bobard… ridicule106 ». Jean Longuet était ainsi à même de reprendre son action pour le prolongement de la ligne de Sceaux jusqu’aux cités-jardins du Plessis et de Malabry107, sans grand espoir d’ailleurs. Il pouvait bien citer Hugo « La nuit la plus profonde est une aube qui vient », il s’affirmait conscient des nécessités des dépenses militaires écrasantes, « dans l’état de l’Europe et du monde ». Ce ne serait donc « qu’après demain » que serait envisageable de relier par une grande ligne électrifiée les deux grandes stations aéronautiques (Le Bourget et Villacoublay). Dans ce contexte, le vote fin 1937 du budget présenté par Fiancette avec une majorité qui allait des socialistes, sans enthousiasme, à la plus grande partie de la droite, montrait que la claire période du Front populaire était bien terminée et revenu le temps de l’incertitude, voire de la confusion. Dans ce contexte, la revanche du Front populaire au renouvellement du 2 juillet 1938 fut largement illusoire. Émile Cresp, le maire de Montrouge de nouveau SFIO, fut certes facilement élu avec 74 voix contre 60 à un républicain socialiste proche de Déat. Trop facilement… il s’agissait en fait d’un nouveau succès de Fiancette, toujours rapporteur général du budget (84 voix contre 46) et ami du nouveau président, d’ailleurs rival de Longuet en banlieue sud. Ce dernier avait été pressenti comme candidat à la présidence du conseil général108. Plus qu’une gêne personnelle à rassembler la mouvance radicale et républicaine-socialiste dans ses divers avatars, son effacement illustrait essentiellement la fin de la période du Front populaire. Il était significatif que le choix se fût finalement porté sur un ancien « néo » dont les qualités étaient surtout celles d’un élu local proche de ses électeurs et dont Depreux moquait la faiblesse intellectuelle. Malgré tout, c’est à ce président qu’il appartint de rendre l’hommage du conseil à Longuet décédé.
56Longuet avait accompli son travail avec conscience. Il avait défendu dans la période de prospérité finissante les grands projets d’aménagement social, solidement étayés, de son ami Sellier. Même s’ils pouvaient parfois lui paraître procéder d’une vision trop centralisatrice et planificatrice, qui faisait davantage appel à l’organisation sociale et hygiénique par les pouvoirs publics qu’au mouvement propre du prolétariat et à la souplesse pragmatique qu’il aimait retrouver chez ses amis britanniques, ils allaient néanmoins dans le sens des grandes réalisations sociales de l’Europe du Nord et, de toute façon, étaient davantage porteurs d’émancipation et de progrès que le laisser-faire préconisé ou accepté par la plupart des élus. Avec la crise, Longuet put jouer un rôle plus politique de défenseur du Front populaire tout en continuant à suivre les dossiers de son canton. Il n’est pas sûr qu’il se soit toujours trouvé très à son aise dans cette assemblée. Plus encore qu’au Palais-Bourbon se révélait la diversité de comportement des élus socialistes. L’autorité de Sellier s’imposait par l’ampleur de ses vues, l’ambition de sa volonté de transformer le corps social. Mais il transformait aussi celle-ci en une technique qui aboutissait à diluer le combat politique dans une approche statistique et la recherche de solutions purement rationnelles. Fiancette était devenu le patron politique du conseil. Très vite, Longuet dut prendre conscience de l’abîme qui le séparait de ce gestionnaire madré, homme de réseaux et d’influence, mais surtout préoccupé par le monde des artisans et petits commerçants hostiles à toute mesure dispendieuse. De nombreux élus étaient avant tout des gérants d’une carrière locale, dévoués à leur commune ou à leur canton, mais sans grand dessein organisateur, sans principes très affirmés, à l’image du seul président socialiste de la période, Émile Cresp. Il n’est pas certain dans ces conditions que Longuet ne se soit pas, par moments, ennuyé.
Un député actif et discret
57En 1932, face à Longuet, le député sortant, Alfred Nomblot, maire de Bourg-la-Reine, était le seul candidat des modérés et de la droite. Dans une circonscription socialement et politiquement à gauche, c’était une nécessité pour pouvoir profiter au mieux des divisions de l’adversaire. Le parti communiste présentait comme en 1928 Lacour et le maintint au second tour. Nomblot réalisa un score analogue au scrutin précédent, mais le communiste recula quelque peu (de 400 voix, soit environ 5 %), ce qui correspondait au recul national d’un parti en crise. Longuet n’était concurrencé au sein de la gauche non communiste que par un candidat peu dangereux, un jeune avocat républicain socialiste (8 % des suffrages contre 11,5 % aux deux radicaux de 1928). La masse de l’électorat radical, celui qui était attaché aux maires d’Antony, Mounié, ou de Bagneux, le vice-président du Conseil d’État Tissier, avait donc voté pour Longuet qui l’emporta au second tour avec plus de 49 % des suffrages. Les consignes communistes étaient moins suivies qu’en 1928. Si le facteur décisif de la victoire de Longuet n’en restait pas moins, dans un contexte de fort affrontement entre socialistes et communistes, le fait d’avoir pu réunir l’essentiel des forces de type « cartel des gauches », sa propre volonté de ne pas se couper de l’électorat communiste se révélait ne pas être utopique puisqu’il entamait largement (50 %) le capital communiste au scrutin de ballottage.
La besogne parlementaire
- 109 Cf. G. Le Béguec, L’Entrée au Palais-Bourbon : les filières privilégiées d’accès à la fonction par (...)
- 110 Chambre des députés, commission des Affaires étrangères, séance du 8 février 1933, archives de l’A (...)
58Longuet ne marqua pas la législature 1932-1936. Les temps avaient changé, et notamment les élus eux-mêmes, depuis son départ. Ainsi, au sein du groupe socialiste, seule une quinzaine de députés avaient connu comme lui la Chambre de 1914. Le retour de Longuet était une performance. Comme le note Gilles Le Béguec, « pour la masse des hommes publics, une carrière interrompue est une carrière brisée109 ». Il reprit naturellement sa place à la commission des Affaires étrangères. Le nouveau président en était le radical François Albert. Assidu aux séances de la commission, Longuet intervenait plus longuement qu’en séance plénière où il restait le spécialiste des brèves interruptions de polémique. Son rôle était d’ailleurs reconnu au sein de la commission et ce fut par applaudissements qu’il en devint vice-président au mois de février 1933, succédant à Mistral décédé, au moment où Herriot remplaça François Albert à la présidence110.
- 111 Chambre des députés, commission des Affaires étrangères, séances des 6 et 13 février 1935, 15 janv (...)
59Ses interventions portèrent le plus souvent sur la situation en Europe centrale, et notamment en Autriche, mais, à l’image de ses préoccupations au sein de l’IOS, il se fit aussi une spécialité de la défense du droit d’asile et de la protestation contre les atteintes aux droits de l’homme. Longuet chercha ainsi à obtenir des interventions officielles de la commission en faveur du serbe Pribitchevitch, du communiste hongrois Rakosi, du marocain Ouazzani et de ses amis du Comité d’action marocaine111. Confronté en 1935 au ministre des Affaires étrangères puis président du conseil Pierre Laval, Longuet se trouva dans une situation délicate. La volonté déterminée de faire prévaloir la paix en toutes circonstances pouvait-elle se concilier avec une opposition résolue aux agissements des puissances fascistes ? Gabriel Péri lui-même était amené à accepter une hiérarchie des exigences :
- 112 Chambre des députés, commission des Affaires étrangères, séance du 19 juin 1935, archives de l’Ass (...)
« Je repousse moi aussi l’idée d’une croisade guerrière des démocraties contre le fascisme. Je suis dans le même état d’esprit que M. Longuet. Moi aussi, je déteste le fascisme, mais je déteste plus encore la guerre112. »
- 113 Chambre des députés, commission des Affaires étrangères, séance du 13 février 1935, archives de l’ (...)
- 114 Chambre des députés, commission des Affaires étrangères, séance du 27 novembre 1935, archives de l (...)
60Laval présentait sa politique comme la seule à même d’assurer la paix, non seulement en paroles, mais en actes. Il se montrait en toutes occasions rassurant : « Je crois que Hitler a dit la vérité lorsqu’il proclame qu’au lendemain de la Sarre il n’a plus de revendication territoriale à formuler113 » et habile à jouer du sentiment pacifiste. Lors du conflit éthiopien, Guernut, radical et ancien secrétaire général de la Ligue des droits de l’homme, se montra son plus ferme soutien au sein de la commission. Son ancien ami Longuet était donc placé dans une situation difficile : défendre une politique de fermeté, affirmer ainsi que « même si le pacte n’existait pas, nous devrions nous opposer à un nouveau Sadowa si l’Allemagne envahissait l’Ukraine114 », dénoncer l’agression, réclamer une « politique de démocratie » fondée sur la SDN qui prendrait des sanctions efficaces, et dans le même temps maintenir comme primordiale la volonté de paix. C’était d’ailleurs le dilemme de l’ensemble des socialistes français. La particularité de Longuet fut de privilégier assez rapidement, de manière très pragmatique comme ses amis britanniques, la nécessité de la fermeté face aux agressions fascistes.
- 115 Commission d’enquête du 6 février 1934, 3 volumes reliés, archives de l’Assemblée nationale. L’ult (...)
61Longuet fut également un actif vice-président de la commission d’enquête « chargée de rechercher les causes et les origines des événements du 6 février 1934 ». Constituée dès le 24 février et présidée par un modéré respecté, Laurent Bonnevay, député du Rhône, cette commission siégea cinquante-cinq fois jusqu’au 14 novembre 1934115. Elle était composée de 44 membres désignés à la proportionnelle des groupes, mais treize députés de droite donnèrent leur démission le 4 juillet pour protester contre l’élection du radical-socialiste Marc Rucart au poste de rapporteur. Outre Longuet, la SFIO était représentée par sept membres, mais, sauf Auriol, ils intervinrent peu en séance. Longuet, au contraire, se manifesta par des prises de parole et des interruptions fréquentes : son souci était de montrer la gravité des événements du 6 février, d’alerter sur le danger encouru par la République et de mettre en évidence les connivences entre les Ligues et la police au temps de
- 116 Le sculpteur royaliste Réal del Sarte se fondait sur des confidences de son ami De Lattre, gendre (...)
- 117 Chambre des députés, commission d’enquête, séance du 11 avril 1934.
- 118 Chambre des députés, commission d’enquête, séance du 26 avril 1934.
62M. Chiappe. La commission passa par ailleurs beaucoup de temps à ce que des députés de droite voulaient appeler l’affaire Frot : le ministre de l’Intérieur de Daladier aurait lui-même manipulé les manifestations afin de parvenir au pouvoir en s’appuyant sur des hommes jeunes et énergiques de différentes tendances. Cela aurait pu constituer une belle illustration de « l’esprit des années trente », mais Longuet, comme d’autres, ne cessa de dénoncer cette « diversion », cette « plaisanterie », et finit par obtenir sa mise à l’écart des débats116. Son comportement demeura d’ailleurs serein : il admettait que La Rocque lui-même n’avait pas personnellement l’intention d’aller jusqu’au Palais-Bourbon117 et que si existaient bien « les éléments implicites du complot », « préparation et provocation systématique de l’émeute et de la guerre civile », il était plus difficile de parler « d’un complot explicite118 ». Malgré les ébauches de rapprochement avec le Parti communiste, Longuet ne se privait pas non plus de mettre en difficulté Jacques Duclos sur la participation de l’ARAC à la manifestation du 6 février et de relever que le tournant du parti communiste se situait le 8 ou le 9 février, non auparavant. Avec la majorité républicaine, il vota naturellement l’adoption du rapport de Marc Rucart qui mettait en cause les responsabilités des ligues et dénonçait le danger qu’avait encouru la République.
- 119 Chambre des députés, séance du 29 décembre 1932.
- 120 Chambre des députés, séance du 29 décembre 1932.
63Malgré l’âge et l’expérience, Longuet ne rechercha guère davantage la tribune de 1932 à 1936 que pendant sa première législature. Il répliquait fréquemment de son banc, ce qui prouvait pour le moins son assiduité et son écoute en séance ; il déposait des questions écrites pour défendre les intérêts de ses mandants : pour les indemnités de chômage, contre le recours aux heures supplémentaires et non à l’embauche au moment des fêtes dans les grands magasins ; il interpellait le gouvernement sur la répétition des catastrophes aériennes en banlieue sud, intervenait en faveur des salaires des professeurs de l’École nationale supérieure des arts décoratifs ou pour une réforme des conditions d’élection des conseillers municipaux à Paris. Il pouvait aussi se prononcer en faveur des vacances en juillet et non plus en septembre, défendre les retraites des agents et maîtres d’internat de l’Éducation nationale comme la réputation du lycée Lakanal, situé dans sa circonscription, qui se voyait menacé d’une fermeture de classe de mathématiques spéciales. Sa spécialité demeurait cependant les affaires étrangères : c’est lui qui défendit la garantie à l’emprunt autrichien combattue par Louis Marin en montrant qu’il était nécessaire au maintien de la démocratie autrichienne, affaiblie par la crise économique119. S’il exaltait une fois de plus les réalisations de ses camarades, notamment dans la ville de Vienne, Longuet ne dissimulait pas son inquiétude devant la montée du nationalisme et du fascisme en Autriche et en Europe. Il espérait encore en l’efficacité de pressions françaises et britanniques sur le chancelier Dollfuss pour que celui-ci se séparât de la frange la plus à droite de sa majorité, les Heimwehren, et qu’il se refusât à une confrontation ouverte avec les socialistes autrichiens. Pour cela, il fallait que les démocraties occidentales se fussent mises en mesure de pouvoir intervenir en disposant d’un moyen de pression. C’était aussi accorder aux grandes puissances financières et économiques une responsabilité éminente, ce qui marquait peut-être une légère nuance avec « l’esprit de Genève » : il arriva d’ailleurs à Louis Marin de prendre l’internationaliste Longuet en flagrant délit d’ironie à l’égard d’un petit pays (la Colombie)120.
Le primat antifasciste
- 121 Chambre des députés, séance du 9 mars 1933.
- 122 Le Populaire y fit largement écho et parla « d’intervention saisissante » de Jean Longuet, Le Popu (...)
64Les victoires fascistes plaçaient la politique extérieure des socialistes dans une situation embarrassante. En novembre 1932, Longuet pouvait encore dire que les « pacifistes allemands avaient douze millions de voix » ; en mars 1933, lorsque Ybarnegaray concluait que « le souffle du fascisme sur l’Europe » rendait « les rêves pacifistes du gouvernement illusoires », il ne pouvait plus répondre la même chose121. Si Moutet et Déat parlaient de « discours de panique » et de « manœuvre », Longuet se montrait conscient de la difficulté. Dans un de ses rares, mais remarqué et éloquent, discours parlementaires122, il dénia au député des Basses-Pyrénées le droit de se poser en prophète. Le fascisme « port[ait] en lui la guerre », et Longuet ne niait pas ce danger. S’il donnait formellement raison à Moutet, il préconisait une politique « de sang-froid ». La « peste fasciste » était encore limitée à trois pays (Allemagne, Italie, Hongrie), face à eux, « l’Europe civilisée » pouvait s’unir et réagir. Les forces de démocratie s’incarnaient pour l’essentiel dans quatre pays : la France, l’Angleterre, les États-Unis, la Russie soviétique. De cette alliance, en raison du rapport de forces, Longuet pensait encore possible d’obtenir un désarmement général. Il était difficile pour les socialistes de proposer que la France prenne l’initiative de rompre la conférence du désarmement et de laisser l’Allemagne conserver les apparences de la bonne volonté. Toutefois, l’insistance mise sur les rapports de forces entre les deux blocs, sans références idéologiques excessives, en incluant rapidement le régime soviétique au sein des démocraties, montrait que Longuet était conscient des menaces existantes et prêt à envisager avec pragmatisme une autre forme de cette alliance si l’évolution de la situation la rendait inéluctable.
- 123 J. Longuet, « Genève permettra-t-elle la folle et criminelle aventure éthiopienne ? », « La lourde (...)
- 124 J. Longuet, « L’heure décisive pour la S.D.N. Il faut arrêter enfin l’agresseur » et « L’émouvant (...)
- 125 François Laugier, un des dirigeants de la Ligue internationale des combattants de la paix, interro (...)
65La guerre d’Éthiopie fut précisément un banc d’essai, aussi bien pour la politique d’agression des dictatures que pour la riposte fondée sur la sécurité collective des démocraties et de la Société des Nations. L’espérance des socialistes fut grande, au début du conflit en octobre 1935, de parvenir à démontrer l’efficacité de leur politique. L’Italie désignée comme l’agresseur et le vote des sanctions économiques allaient obliger Mussolini à lâcher prise123. Longuet comptait sur la Grande-Bretagne et les États-Unis, avec l’appui moral de l’IOS, pour appliquer ces sanctions dont l’efficacité paraissait assurée concernant un pays si dépourvu de matières premières. Les tergiversations de la SDN furent aussitôt analysées par Longuet comme mettant en cause le principe de la sécurité collective124. La connivence de Laval avec l’Italie, puis la révélation du plan Laval-Hoare suscitèrent la colère des socialistes. Longuet fut plus que jamais attaché à une politique de fermeté contre les agressions. Mais ce fut aussi l’occasion pour ceux qui craignaient les conséquences de ce que l’un d’entre eux appela un jour « une politique de prestige contre le fascisme125 » de faire valoir leurs réticences. Longuet dénonça la diplomatie de Laval :
- 126 30e congrès tenu à Paris, 1936, compte rendu sténographique, Paris, Parti socialiste, p. 61-62.
« C’est la lâcheté, ce sont les complaisances, les louches maquignonnages de M. Laval, son absence de tout principe qui sont la cause de cette situation lamentable où se trouvent actuellement l’Europe et le monde126. »
- 127 Chambre des députés, séance du 17 décembre 1935. Cf. D. Braun, « Fallait-il boycotter Berlin en 19 (...)
- 128 Ernest Lafont, ancien SFIO et ancien PCF.
- 129 Chambre des députés, séance du 18 février 1936.
- 130 Chambre des députés, séance du 25 février 1936.
- 131 Cf. R. Gombin, Les Socialistes et la guerre, Paris/La Haye, Mouton, 1970 et M. Bilis, Socialistes (...)
66En attendant la diplomatie rêvée des peuples, le politique Longuet restait attaché à une diplomatie menée par les grandes puissances, à condition que ce fût dans le sens démocratique et libéral qui devait être celui des grandes démocraties occidentales (France, Grande-Bretagne, États-Unis). Cela supposait donc une diplomatie capable d’un langage clair et ferme. Jean Longuet remonta ainsi à la tribune de la Chambre pour combattre la participation française aux Jeux olympiques de Berlin, en profitant d’une discussion budgétaire127. Il estimait en effet que ces Jeux seraient détournés de leur sens et serviraient à « l’apothéose du régime nazi ». Or, celui-ci se caractérisait non seulement par « ses crimes et ses atrocités », mais aussi par une insupportable revendication de racisme. Longuet citait ainsi des extraits de la presse sportive allemande qui appelaient à l’extermination des juifs : « Il est incompréhensible que ces bêtes qui respirent le meurtre ne soient pas depuis longtemps exterminées. Ne tuerait-on pas tout de suite des fauves anthropophages même s’ils ressemblaient à des hommes ? » Il ne pouvait toutefois convaincre ni le ministre de la Santé publique et de l’Éducation physique, qui se refusait à suivre Longuet « dans ces développements passionnés et éloquents128 », ni la majorité de la Chambre qui maintenait le crédit en question par 410 voix contre 161 (socialistes, communistes, quelques radicaux-socialistes…). Il est vrai que la prise de conscience du danger nazi provoquait chez Longuet et ses collègues des infléchissements, voire d’authentiques contradictions qu’il n’était pas trop aisé de résoudre. Le défenseur d’une politique de rapprochement avec l’Allemagne républicaine devait expliquer pour quelles raisons il pensait maintenir une politique extérieure fondée sur le désarmement tout en s’alarmant du bellicisme agressif des puissances fascistes. S’il était facile de mettre en difficulté un Taittinger favorable à une détente franco-allemande après 1933, le toujours cocardier Franklin-Bouillon pouvait sembler triompher avec sa dénonciation habituelle du « danger allemand129 ». De même, Longuet devait prendre quelques précautions avant d’appeler à la ratification du traité signé entre la France et l’URSS le 2 mai 1935130. Il fallait confirmer la justesse de l’opposition de Jaurès et des socialistes à l’alliance franco-russe et au système traditionnel des alliances militaires. Longuet expliqua donc que le pacte négocié par Laval n’était ni secret, ni dirigé contre une autre puissance. La SFIO restait fidèle à ses principes de « dévotion totale à la paix », fondés sur l’arbitrage, la sécurité collective et la Société des Nations131. Il fallait « discuter et établir des relations pacifiques avec l’Allemagne hitlérienne », lui imposer « l’indivisibilité de la paix » évoquée par Litvinov à Genève. Une nouvelle guerre aurait des conséquences désastreuses, entraînerait des ruines incalculables, l’alliance et la solidarité de toutes les forces pacifiques s’imposaient pour empêcher la concrétisation des menaces de guerre.
67C’était aussi de cette manière que, progressivement, dans l’urgence de la montée concomitante des dictatures et des risques de guerre, se dessinait l’invention d’une nouvelle politique internationale. Le mérite de Longuet, homme de tradition, fut d’éviter la routine et la sclérose. Alors que de nombreux « chefs éprouvés » allaient répéter les mêmes formules pacifistes jusqu’à la guerre, voire jusqu’à Vichy, Longuet, sans éclat, mais avec résolution, affirmait la détermination de son combat antifasciste et sa conviction que tout apaisement à l’égard des agresseurs les encourageait à la guerre. Les événements d’Éthiopie, et plus encore la guerre d’Espagne l’amenaient à parler plus souvent de courage et de fermeté que de la paix. Les dernières années de Jean Longuet apportent-elles la touche finale demandée par Sophocle pour apprécier la valeur et la justesse d’une vie ? L’impression d’un responsable beaucoup plus mêlé aux grands débats politiques que dans la quinzaine d’années précédentes se dégage en tout cas nettement d’un survol de la période du Front populaire.
L’échec de 1936
- 132 Au cours de l’été 1938.
- 133 Dans une de ses dernières lettres, Longuet indiquait, avec sérénité, qu’avec « le P.C., les choses (...)
68Pourtant, les signes d’une volonté de ne pas courir après de nouvelles responsabilités étaient nets. Longuet se retira ou souhaita se retirer de fonctions qu’il jugeait accessoires et il allait bientôt commencer à rédiger ses mémoires132. Écarté des cercles les plus activement militants de la période, il parut un peu en retrait de la phase de préparation du Front populaire. Cet infatigable journaliste écrivit peu dans Vendredi : une nouvelle génération s’affirmait alors. L’unité d’action avait tout son soutien, mais Longuet ne se retrouvait guère aux côtés de Marceau Pivert, craignant l’aventure dans lesquelles ses tendances « putschistes » pouvaient entraîner la classe ouvrière et les partis de gauche, considérant avec sympathie le déploiement de ses activités, comme les TPPS (Toujours Prêts Pour Servir, le service d’ordre socialiste contrôlé par les pivertistes), mais sans trop dissimuler qu’il fallait prendre garde aux excès et ne pas tomber dans la momerie. Il était davantage en accord avec Zyromski, surtout en ce qui concernait la politique internationale, mais son esprit unitaire n’allait pas jusqu’à accorder une confiance absolue dans le parti communiste133, ni même dans la politique extérieure de l’Union soviétique.
- 134 Cf. J. Girault, Sur l’implantation du Parti communiste français dans l’entre-deux-guerres, Édition (...)
69Au reste, il semblait écarté des milieux dirigeants : il ne fut même que suppléant de la commission d’unification établie entre la SFIO et le PCF, tâche qui l’aurait jadis passionné. Son nom demeura peu associé à la gestion gouvernementale du Front populaire, qu’il vécut pourtant activement. Sa fin de carrière fut marquée par un ultime échec électoral. Au moment où la SFIO devenait le premier groupe parlementaire et accédait à la direction du gouvernement, Longuet quittait définitivement la Chambre des députés. Le calme qu’il manifesta à ce sujet lors du congrès socialiste devait s’accompagner d’une forte déception. En fait, la fragilité de la position socialiste en banlieue parisienne aurait exigé que, comme aux cantonales de 1935, Longuet puisse s’assurer l’essentiel des voix de la gauche non communiste. Certes, la campagne contre le candidat de droite, Georges Prade, conseiller de Paris, fut violente, émaillée de nombreux incidents. Pourtant, malgré cela, la défaite de la droite contre un candidat unique de la gauche au second tour était attendue : l’inconnue était de savoir quel serait ce candidat. Longuet fut victime d’un double phénomène : la montée en puissance du parti communiste, non seulement à l’image nationale du parti fer de lance de l’anti-fascisme et rallié à une certaine tradition républicaine, mais aussi spécifique à cette banlieue sud134. En outre, le PCF disposait en la personne d’Albert Petit, nouveau maire de Bagneux, d’un excellent candidat, sur le modèle des élus locaux gestionnaires et « hommes de masse » dont le prototype était alors fourni par Georges Marrane et que le parti cherchait à promouvoir.
- 135 R. Verdier, Bilan d’une scission, op. cit., p. 147.
70Il aurait donc fallu à Longuet rassembler le reste des voix de gauche de la circonscription. Or, un candidat sérieux lui fut opposé par les républicains-socialistes et en fait les radicaux. Ce n’était plus un jeune avocat, comme en 1932, qui faisait son apprentissage, mais l’estimé docteur Pierre Bianquis, soutenu par son rival de Châtenay-Malabry, Maurant, mais aussi et surtout par Cresp, conseiller général et maire de Montrouge, et par le sénateur-maire d’Antony, Mounié. Déjà l’élection cantonale de 1935 avait montré la fragilité de la position de Longuet à Antony. Longuet d’ailleurs avait connu ses succès électoraux (1929, 1932) lorsqu’il avait pu compter sur le soutien, plus ou moins déclaré, mais finalement réel, du maire d’Antony, la principale ville de la circonscription. En 1936, conscient de ces difficultés, il chercha bien à circonscrire le danger de la candidature Bianquis, obtint le soutien de Moro-Gaffieri ainsi que celui de la Chambre syndicale des débitants et de la Confédération générale de l’artisanat français. Le mal, pour l’essentiel, était fait. Malgré l’ancienneté de son implantation, Longuet n’avait pas pu, ou pas su, se doter de réseaux suffisamment solides pour rendre indiscutable son autorité au sein de la gauche locale. Il est vrai, selon la remarque de Robert Verdier, qu’il était « tout le contraire d’un Machiavel de chef-lieu de canton135 ».
- 136 Longuet considéra primordiale « la manœuvre abominable » de Cresp et de Mounié dans les causes de (...)
71Le résultat du premier tour fut sans appel : l’échec de Longuet était tel qu’il arrivait dans toutes les communes, sauf Sceaux et Châtenay, derrière le maire de Bagneux. Le docteur Bianquis obtenait un score important avec près de 4 000 voix et 16,84 % des suffrages136, contre 4 837 voix et 20,5 % à Longuet. Celui-ci n’obtenait plus que 55 % des voix de la gauche non communiste, contre 70 % en 1928 et 82 % en 1932. Le nom du responsable de son échec rappelait d’antiques rivalités et affrontements, puisque, frère de la germaniste Geneviève Bianquis, il avait jadis fréquenté Andler. Le désistement de Longuet pour Petit, immédiat, suivi peu après de celui de Bianquis, fut globalement ratifié par les électeurs. La victoire du maire de Bagneux fut nette (56 %), compte tenu des défections attendues dans les électorats de Longuet, troublé par la défaite, et de Bianquis, qui avait pu bénéficier de voix modérées au premier tour et ne dissimulait guère sa méfiance à l’égard du PCF.
- 137 Cf. M. Livian, Le Parti…, op. cit.
- 138 Cf. G. Oved, « Jean Longuet et l’anticolonialisme », Jean Longuet, la conscience…, op. cit.
72L’échec de Longuet ne favorisait certes pas sa promotion à d’importantes fonctions. Aurait-il eu une chance sinon de devenir ministre ? Il faut écarter d’emblée le cas particulier de Paul Faure, ministre d’État, malgré son propre échec électoral, car il convenait d’associer officiellement à l’exercice du pouvoir le secrétaire général de la SFIO. Blum choisit souvent les ministres socialistes qui avaient une expérience de gestionnaire, notamment par la direction d’une importante municipalité (Lille, Marseille, Dijon, Roubaix…). Châtenay appartenait tout de même à une catégorie plus modeste, et on peut estimer sans grand risque que, dénué d’une grande expérience d’administrateur, sexagénaire, un peu en retrait de la scène politique, Longuet, même réélu député, ne se serait pas vu confier la responsabilité dans le domaine international ou de la Justice qui aurait pu le séduire. En revanche, la seule mission officielle qui lui fut confiée : délégué du gouvernement français à la conférence intergouvernementale pour l’adoption d’un statut pour les réfugiés provenant d’Allemagne (Genève, 4-6 juillet 1936), non négligeable sans doute137, frappe tout de même par sa modestie. Il n’était pas nécessaire à Longuet d’être dévoré d’ambition pour en éprouver quelque ombrage. Selon son fils Robert, il aurait apprécié d’être par exemple désigné comme haut commissaire en Syrie afin de conduire ce pays à l’indépendance. Responsabilité de courte durée, qui aurait en effet joliment couronné une vie militante consacrée à l’internationalisme138. Non seulement, il n’en fut pas question, mais il fut vite clair que les compétences internationales de Longuet étaient tenues en lisière de l’action gouvernementale en ce domaine.
- 139 Bracke lui succéda à nouveau en novembre 1937 avant d’être remplacé par Zyromski en 1938.
- 140 Lettre de Longuet à Blum, 25 juillet 1936, archives Longuet Marx, dossier SFIO (2). Longuet n’y di (...)
- 141 Nombreux exemples dans les archives Longuet Marx, dossier SFIO (2). Daniel Mayer avait gardé le so (...)
73Cet effacement des lieux de pouvoir ne fut peut-être pas en contradiction avec le regain d’activités politiques des dernières années. Au contraire, il pourrait aussi s’agir d’une conséquence de ce retour ! Longuet pouvait redevenir gênant. En 1936, il parut prendre en main le secteur international de la SFIO dont il s’occupait en seconde ligne depuis longtemps. Certes, Bracke gardait une prééminence nominale à l’IOS, mais l’âge, la direction intérimaire du Populaire l’amenaient à s’éloigner quelque peu, au moins pendant la période du gouvernement Blum, de ce champ d’activités. En outre, Longuet avait depuis le conseil national des 16 et 17 novembre 1935 la responsabilité de la sous-commission « Action internationale » de la SFIO, qu’il garda deux ans139. Il participait également à la sous-commission coloniale, créée en juin 1935, animée par Maurice Paz et dans laquelle son fils jouait un rôle actif. Néanmoins, ces responsabilités demeuraient assez formelles. Longuet avait compris, « à tort ou à raison » comme il l’écrivit lui-même, qu’une « place sérieuse » lui serait faite au Populaire, après son échec140. Il s’attendait à se voir confier la direction de la rubrique internationale, dont s’occupait alors Angelo Tasca sous le pseudonyme de Leroux. En fin de compte, Blum choisit le parti de Rosenfeld, opposé à Longuet, et celui-ci, critique à l’égard de la politique espagnole du gouvernement, renouvela ses récriminations sur l’insouciance avec laquelle étaient traités ses articles141.
74Le congrès de mai-juin 1936 l’acclama lorsque Adler le couvrit d’éloges et salua son dévouement et son internationalisme. Semblable marque d’estime ne s’était guère produite depuis 1920. Lui-même fut écouté, applaudi, interpellé. Son intervention changeait de registre. Ce n’était plus la minutieuse recension des résultats électoraux ou l’appel à militer et à entretenir la mémoire des combats passés. Longuet parlait net. Il définissait une politique qu’il savait contestée. Finalement, seule l’existence de divergences fondamentales, mettant en jeu la vie et la mort de millions d’êtres, l’avenir de la société et de la civilisation, comme en 1915-1918, pouvait l’amener à quitter ses habits de documentaliste dévoué et consciencieux du socialisme et à dire, simplement et clairement, ce qu’il croyait juste et nécessaire. En somme, de 1922 à 1935, Longuet était rentré dans le rang sans amertume visible. Puisque l’unité n’était plus possible, il s’était efforcé d’être utile, de travailler, comme avocat, comme journaliste, comme militant, comme élu. Le bilan de ces activités ne fut pas négligeable. Il dessina un aspect de la géographie de la culture politique, républicaine et socialiste, de la SFIO de l’entre-deux-guerres. Longuet avait accompagné la reconstruction de la « vieille maison ». Il l’avait servie de diverses manières, en représentant une tradition de gauche, en s’effaçant aussi lorsque c’était nécessaire. Il n’avait pas manifesté d’insistance excessive pour s’alarmer sur les faiblesses de cette reconstruction : les insuffisances d’implantation prolétarienne, les affadissements électoraux, la difficulté de faire vivre une Internationale, lieu d’impulsion et d’action. Longuet chercha à éviter une excessive atomisation de la politique socialiste, il s’efforça d’être l’homme des liaisons. Cela n’allait pas sans quelque risque de dispersion. Mais, dans la mesure de ses moyens, Longuet put se maintenir comme un messager de bonne volonté entre le centre dirigeant du parti et les forces centrifuges, qu’elles fussent à gauche avec La Bataille socialiste, dont il partageait une part des analyses, ou à droite, avec La Vie socialiste, dont il reconnaissait la valeur et dont il voulait préserver la place au sein du parti socialiste. Ce n’était pas seulement affaire de tendance : il voulait privilégier tout ce qui donnait une armature au travail militant socialiste, tout ce qui l’éloignait de la simple gestion ou de la routine. Ainsi, il soutenait Sellier et non Fiancette au conseil général. Sa réussite en ce domaine fut limitée, et, au demeurant, il était trop à l’écart des centres de pouvoir pour prétendre à davantage. En revanche, il eut plus de succès comme l’homme qui marquait le lien entre la SFIO et son histoire. Sans éclat, par divers canaux, des conférences, des articles de presse ou de revue, des manifestations commémoratives, des associations, il accomplit pendant près de deux décennies un patient travail pour éviter que la scission de Tours s’accompagnât d’une perte de la mémoire, donc de l’identité socialiste. Avant 1914, être socialiste était « propagander » et « organiser ». La scission de Tours obligeait à rajouter un troisième terme : « se souvenir ». Ce fut la principale fonction de Longuet au sein de son parti que d’aider militants et sympathisants à « se souvenir ». Et il était sans doute aidé pour cela par le fait qu’il cherchait à ne pas s’enfermer dans un rôle de gardien du feu sacré, mais qu’il restait présent dans la vie politique de son parti, les congrès, les élections, et qu’il pouvait offrir par son exemple la possibilité de réfléchir à ce qu’il convenait d’adopter comme comportement lorsqu’on était élu maire, conseiller général, député. À partir de 1935, au moins, ce fut autre chose. L’urgence du combat politique, comme pendant la Première Guerre mondiale, primait : le sort de l’humanité, de la civilisation humaine, était en jeu. La menace n’était plus seulement une guerre mondiale et destructrice, mais le possible triomphe de la Barbarie. À nouveau, Longuet faisait de la politique, retrouvait, hors du triptyque « propagander-organiser-se souvenir » constitutif de l’éducation socialiste, la spécificité de l’action politique. Il le fit avec un certain bonheur. Outre ses mérites personnels, sa fierté de caractère, sa double ambition de fi délité aux principes et à la vérité des faits, la solide culture républicaine et les sympathies britanniques de Longuet durent jouer un rôle déterminant. La fermeté face aux puissances fascistes, l’aide à l’Espagne républicaine, tout en maintenant une politique intérieure prudente, ouverte aux secteurs les plus modérés de la gauche : un tel scénario, avec le recul du temps, n’apparaît pas la plus inepte des politiques possibles.
Notes
1 Expression utilisée par Paul-Boncour, Le Populaire, 1er janvier 1921.
2 Cette nouvelle organisation fut entérinée par le conseil national du 13 février 1921 et par l’assemblée générale de la Société du Populaire le 3 mars 1921.
3 J. Lacouture, Léon Blum, Le Seuil, 1977, p. 181.
4 L. Guilloux, Carnets 1921-1944, Gallimard, 1978, p. 11.
5 Sur Le Populaire de 1921 à 1924, cf. T. Judt, La Reconstruction du parti socialiste, 1921-1926, Presses de la FNSP, 1976.
6 Les socialistes belges remirent 150 000 francs au Populaire selon L. Roland, Carnets, op. cit., 25 avril 1922.
7 Longuet avait tenté de mobiliser ses amis. Les affrontements en mai semblent avoir été vifs, cf. L. Roland, Carnets, 5 mai 1922 ; M. Sembat, Les Cahiers noirs, 31 mai 1922, Cahier et revue de l’OURS, 163, 1985 et lettre à Lucien Coll, 23 mai 1922, archives de l’OURS, Fonds Bérès…
8 Le Populaire, 5 juin 1922.
9 Le Populaire, 6 juin 1922.
10 T. Judt, La Reconstruction…, op. cit., annexe III.
11 Lettre d’Andrée Jouve et réponse de Longuet, 21 novembre 1923, archives Robert Longuet.
12 J. Lacouture, Léon Blum, op. cit., p. 136.
13 Le Populaire bimensuel parut de 1924 à 1927 sous la responsabilité de Paul Faure directeur politique, de Séverac, rédacteur en chef et de Compère-Morel, directeur administratif.
14 Titre de son article du Populaire, 2 janvier 1921.
15 Le 4 novembre 1936, avec Bracke et Séverac pour la SFIO.
16 Cf. T. Hohl, À gauche ! La gauche socialiste, 1921-1947, Dijon, EUD, 2004, dont les perspectives sont autres, mais éclaire bien ce glissement.
17 L. Weiss, Mémoires d’une Européenne, op. cit. Dubarry adhérait en fait au parti républicain socialiste. Il fut plus que compromis dans le scandale Stavisky.
18 Selon l’Histoire générale de la presse française, op. cit., p. 358.
19 Par exemple, « La Tchécoslovaquie, après l’Espagne ? », « Pour arrêter l’agression japonaise » et « Le problème tchécoslovaque devant l’Europe », Le Petit Provençal, 23 janvier 1937, 4 février et 7 août 1938.
20 Pour affirmer ses ambitions nationales, Le Populaire supprima la mention « de Paris » du 1er décembre 1927 au 14 janvier 1936.
21 Archives Longuet Marx, dossier SFIO (2).
22 Longuet le soutint explicitement lors des congrès de juin 1930 et de juillet 1933.
23 La Correspondance internationale, 24, 8 mars 1928, p. 325, citée par J.-L. Panné, « L’affaire Victor Serge et la gauche française », Communisme, 5, 1984, p. 89-104.
24 J. Longuet, « Traquenards bolcheviks », Le Populaire, 3 février 1931, et Willi Münzenberg, 18891940, un homme contre, ouvrage collectif, Pantin, Le Temps des cerises, 1994.
25 Cf. J. Relinger, Le Rôle et l’œuvre d’Henri Barbusse, thèse de doctorat d’État, 1987, université Paris III ; id., Henri Barbusse : écrivain combattant, PUF, 1994 ; J.-P. Morel, Le Roman insupportable, Gallimard, 1985.
26 Cf. Y. Santamaria, « Un prototype toutes missions : le comité de lutte contre la guerre dit “Amsterdam-Pleyel” (1932-1936) », Communisme, 18-19, 1988, p. 71-97.
27 J. Longuet, « L’élection de Clary Cross », Le Populaire, 29 août 1933 : « La tragédie hitlérienne commencerait à ouvrir les yeux des aveugles volontaires de Moscou, me disent certains. Espérons-le ! »
28 Cf. D. Peschanski, Et pourtant ils tournent, vocabulaire et stratégie du P.C.F. (1934-1936), Klincksieck, INALF, 1988, 252 p.
29 Cf. É. Nadaud, Une tendance de la SFIO : La Bataille socialiste, 1921-1933, thèse, Paris X, 1987.
30 Ainsi, au congrès de Lyon (avril 1927) : « Léon Blum s’impose tant par la compétence que par le talent », ou à celui de Toulouse (mai 1928), où il célébra « la nourriture substantielle des articles de Léon Blum. S’ils nous manquaient, nous serions plongés dans la nuit au milieu des problèmes financiers… »
31 Cf. 56e congrès fédéral, 26-27 octobre 1935, archives de l’OURS. De même, Longuet souhaita en 1932 et 1935 laisser son siège de conseiller général à Depreux et en 1937 le fit nommer à sa place au conseil d’administration du Populaire.
32 Le Coq rouge, 1er juin 1930.
33 25e congrès national tenu à Toulouse, 26 au 29 mai 1928, compte rendu sténographique, Parti socialiste, p. 94.
34 Cf. les 25e congrès de Toulouse (26 au 30 mai 1928) et 29e congrès de Paris (29 mai au 1er juin 1932).
35 29e congrès national tenu à Paris les 29, 30, 31 mai et 1er juin 1932, compte rendu sténographique, 1932, Librairie populaire, 308 p., op. cit., p. 95.
36 Ainsi Renaudel, 29 e congrès (1932), op. cit., p. 229.
37 30e congrès national tenu à Paris les 14, 15, 16 et 17 juillet 1933, compte rendu sténographique, 1933, Librairie populaire, 416 p., op. cit., p. 334.
38 Longuet, qui avait le goût de la métaphore religieuse, estima que son « vieil ami » et « loyal camarade de lutte » était mort en « état de grâce socialiste » (J. Longuet, « Pierre Renaudel », La République sociale, 2, 6 avril 1935).
39 Chambre des députés, séance du 11 mars 1931, évoquée par Jean-Noël Jeanneney, L’Argent caché, Fayard, 1981, p. 77-78.
40 24e congrès…, op. cit., p. 428-433.
41 Cf. M. Rebérioux, « Le mur des Fédérés », Les Lieux de mémoire, La République, Gallimard, 1984, p. 619-649.
42 Cf. le chapitre VIII.
43 J. Longuet, « L’élection de Dreux », Le Populaire, 3 avril 1930.
44 L. Lévy, Comment ils sont devenus socialistes ?, Librairie du Populaire, s. d. [1931], suivi de Vieilles histoires socialistes, Rivière, 1933.
45 Traduit par Maria Rakowska, l’ouvrage fut édité par Alcan en 1929. Il s’agit d’articles de La Nouvelle Gazette rhénane publiés en 1848.
46 De cet Institut sont issus les actuels Institut français d’histoire sociale et l’Institut d’histoire sociale créé en 1954 par Souvarine. Cf. J.-L. Panné, Boris Souvarine, Robert Laffont, 1993 et IFHS, Fonds Dommanget, 14 AS 313.
47 J.-P. Rioux, « Lectures posthumes de Jaurès », Jaurès et les intellectuels, op. cit.
48 Le qualificatif est de Jean-Pierre Rioux, qui évoque ainsi ce « triste bouquet final » où Georges Cogniot dénonce le renoncement et la non-intervention, ce qui amène Le Populaire à parler de « guet-apens ».
49 Cf. G. Candar, « Jaurès et les journalistes socialistes », Jaurès et les intellectuels, op. cit.
50 Lettres de Thomas à Longuet, 16 et 27 janvier 1931, de Longuet à Thomas, 22 janvier 1931, AN, Fonds Thomas, 94 AP 390.
51 Nouveau nom depuis 1937 du comité général, présidé par le sénateur Paul Strauss.
52 « Jean-Crétinaud Longuet tente de ressusciter en bavant sur les communistes… individu parfaitement oublié et nul », L’Humanité, 1er novembre 1926.
53 2 019 au recensement de 1911, 2 966 à celui de 1926. Cf. J. Girault, « Les conseillers municipaux des municipalités Jean Longuet », Jean Longuet, la conscience…, op. cit. et Militants de Châtenay-Malabry, CNRS/GRECO 55, s. d. [1987].
54 Châtenay-Malabry compta 9 179 habitants au recensement de 1946.
55 Pour cette histoire locale, consulter J. Girault, op. cit.
56 Alix Cornille, rédacteur au Populaire, et Édouard Depreux dirigeaient la section socialiste de Sceaux, Édouard Jacque celle du Plessis-Robinson.
57 Le docteur Le Savoureux, propriétaire d’une maison de santé installée à La Vallée-aux-Loups, fondateur et président de la Société Chateaubriand, était un ami de Longuet. Son épouse était la fille de Plekhanov.
58 Longuet avait connu Paulhan par l’intermédiaire de Groethuysen.
59 La Cité nouvelle fut fondée en 1931 par Marcel Fredou, cf. Sylvie Rab, 1931-1967, la Cité nouvelle, une expérience de vie collective à Châtenay-Malabry, maîtrise, Paris VII, 1985, 254 p. et Jacques Girault, op. cit.
60 Longuet fut délégué de la commune dans les deux instances stratégiques de la mandature : les syndicats intercommunaux du gaz et des eaux, créés sous l’impulsion de Sellier. Il siégeait à la commission exécutive de la Fédération nationale des municipalités socialistes, fondée en 1925 et animée par Sellier, dont le secrétariat était tenu par le maire du Bourget, Antonin Poggioli.
61 C. Andler, La Vie de Lucien Herr, op. cit., p. 216.
62 En raison de la nature argileuse de son sol.
63 Cf. K. Burlen, La Banlieue-oasis, Henri Sellier et les cités-jardins 1900-1940, PUV, 1987.
64 M. Agulhon, « La mairie », in P. Nora, Les Lieux de mémoire, op. cit.
65 Animé par deux futurs maires de la commune, Gaston Richet (1938-1947) et André Mignon (1965-1976).
66 Il s’efforça de préserver La Vallée-aux-Loups, demandant en 1937 son classement, acquis en 1964.
67 Cf. correspondance Longuet/Paulhan, 1934-1938, Fonds Paulhan, archives IMEC.
68 Furent ainsi invités Marc Bernard, Francis Ponge, Jacques Audiberti, Claude Sernet, etc. Cf. Marcel Parent, Paulhan citoyen, conseiller municipal de Châtenay-Malabry 1935-1941, Gallimard, 2006.
69 Par exemple le 4 mars 1930 à Robinson avec le concours de Blum, lecture de poèmes de Marcel Martinet, airs de Chopin, Rameau, Liszt.
70 Léandre Vaillat, « Châtenay-Malabry », Le Temps, 24 mars 1937.
71 Compte rendu de l’inauguration de la Maison de l’Éducation installée dans l’ancienne propriété d’Émile de Girardin, à La Colinière, Le Populaire, 23 janvier 1938.
72 Cf. M. Livian, « Jean Longuet et les réfugiés », op. cit., J. Omnès, Note sur l’aide de la SFIO…, op. cit., et B. Seebacher-Brandt, Biedermann und Patriot Erich Ollenhauer, ein sozial-demokratsches Leben, Berlin, 1984. Longuet accueillit en juin 1938 les principaux dirigeants de la social-démocratie en exil. Otto Wels, mort le 16 septembre 1939, et Crummenerl, qui se suicida en juin 1940, sont enterrés à Châtenay. Des cérémonies organisées par le SPD perpétuent le souvenir de leur accueil.
73 Lettre de Longuet à M. Hartmann, 15 octobre 1937, archives municipales.
74 Conseil municipal, séance du 21 février 1932, archives municipales. Le refus de travailler, mais aussi une tenue incorrecte, un état d’ivresse pouvaient entraîner suspension ou radiation de l’aide.
75 Cf. J.-C. Bonnet, Les Pouvoirs publics français et l’immigration entre les deux guerres, Lyon, C. H. E. S. R. L., 1977, L.-O. Frossard, « Les ouvriers étrangers et le groupe socialiste » et R. Salengro, « Autres armes », Le Populaire, 1er et 25 décembre 1931. Salengro reprochait aux communistes d’avoir fait échouer l’amendement socialiste assurant l’égalité de salaire aux étrangers, repoussé par 282 voix contre 280 alors que les députés PCF ne participaient pas au vote.
76 Le Populaire, 4 avril 1934.
77 Conseil municipal, séance du 24 février 1938, archives municipales. Avant 1935, Maurant était disponible pour se rendre fréquemment en mairie.
78 Châtenay-Malabry, histoires et paysages, op. cit. Avant la guerre, 115 logements furent encore livrés en 1938-1939.
79 La municipalité Brochet avait protesté contre l’achat des terrains et l’établissement d’une cité-jardin. Longuet s’était toujours montré réservé.
80 Aujourd’hui centre Jean Longuet, cf. Le Populaire, 29 mai 1939.
81 Conseil municipal, séance du 13 septembre 1938, archives municipales. L’excédent de l’exercice estival fut de 18 908,45 francs. La saison froide laissa un déficit de 6 365 francs.
82 Lettre à Richet, 11 juin 1938, AN, archives Depreux.
83 Lettre à Richet, 3 septembre 1938, AN, archives Depreux, 456 AP 6. La piscine fonctionna jusqu’à la fin de 1977, avant de devenir un lieu culturel, marqué notamment par l’installation du théâtre du Campagnol, cf. M. Parent, Butte Rouge, histoire d’une piscine, Pantin, Le Temps des cerises, 2003.
84 Mounié fut sous-secrétaire d’État au Travail et à la Prévoyance sociale dans le cabinet Steeg (13 décembre 1930-22 janvier 1931).
85 Six communes sur huit et environ 54 % de la population. L’autre canton était composé des communes de Bagneux et de Montrouge. Le maire de Montrouge, Émile Cresp, SFIO jusqu’en 1933 et à partir de 1937, « néo » entre ces deux dates, fut son conseiller général de 1929 à 1942.
86 « Je ne puis admette les théories conçues à l’étranger par un esprit qui n’est pas de notre race, que notre intelligence a peine à comprendre et que notre cœur rejette », circulaire électorale, Archives de Paris, D 3 M 2 (40).
87 Cf. K. Burlen (dir.), La Banlieue-oasis, Henri Sellier et les cités-jardins 1900-1940, Saint-Denis, PUV, 1987.
88 BAVP, Su 1759, 26 juin 1929.
89 BAVP, Su 1759, 30 décembre 1930, 1er avril 1931, 16 décembre 1933. Le conseil général de la Seine-et-Oise était opposé à tout projet de métro régional, jugé trop favorable à l’expansion de l’urbanisation.
90 BAVP, Su 1759, 30 décembre 1931, 8 juillet et 20 novembre 1936. En revanche, conformément à la position socialiste traditionnelle, Longuet souhaitait le remplacement du tramway par l’autobus (séances du 28 décembre 1932, du 20 décembre 1933 et du 20 novembre 1936).
91 BAVP, Su 1759, 11 décembre 1929. Demande reprise de nombreuses fois, notamment le 1er avril 1931 et le 13 mars 1937. Ce prolongement de la ligne de Sceaux est toujours attendu en 2006.
92 Cf. H. Gaillac, Les Maisons de correction, Cujas, 1970, rééd. 1991.
93 Compte rendu par Jean Longuet, BAVP, Su 1759, 11 juillet 1930.
94 Cf. Fabrice Candar, Enfants avec histoire, mémoire SES, 1983.
95 L’indemnité fut portée à 11 francs en 1933, séance du 5 juillet 1933.
96 Se fondant notamment sur un rapport d’Albert Rauzy, Sellier, ministre de la Santé publique, porta le coup fatal à la colonie le 8 avril 1937 en retirant de Mettray les enfants de l’Assistance publique. Le garde des Sceaux prit des décisions analogues et la fermeture complète intervint en 1939.
97 BAVP, Su 1759, 24 décembre 1930.
98 BAVP, Su 1759, 24 décembre 1930 et 8 mai 1934.
99 Le musée accueillit en effet des donations de Dunoyer de Segonzac et de Fautrier, que Longuet ne semble pas avoir fréquenté bien qu’il fut châtenaysien.
100 BAVP, Su 1759, 1er avril 1931.
101 BAVP, Su 1759, 24 juin 1931.
102 BAVP, Su 1759, 8 juillet 1931.
103 Longuet avait envisagé de démissionner de son mandat cantonal après son élection à la Chambre, conformément à une tradition républicaine et parisienne. Dès ce moment Depreux faisait figure de dauphin local (cf. É. Depreux, Souvenirs d’un militant, Fayard, 1972, p. 91).
104 BAVP, Su 1759, 17 mars 1937.
105 BAVP, Su 1759, 30 juin 1937.
106 BAVP, Su 1759, 26 mars 1938.
107 BAVP, Su 1759, 31 décembre 1937.
108 Lettre à Richet, 8 juin 1938, archives communales de Châtenay-Malabry.
109 Cf. G. Le Béguec, L’Entrée au Palais-Bourbon : les filières privilégiées d’accès à la fonction parlementaire (1919-1939), thèse d’État sous la direction de René Rémond, université Paris X, 1989.
110 Chambre des députés, commission des Affaires étrangères, séance du 8 février 1933, archives de l’Assemblée nationale.
111 Chambre des députés, commission des Affaires étrangères, séances des 6 et 13 février 1935, 15 janvier et 26 février 1936, archives de l’Assemblée nationale.
112 Chambre des députés, commission des Affaires étrangères, séance du 19 juin 1935, archives de l’Assemblée nationale.
113 Chambre des députés, commission des Affaires étrangères, séance du 13 février 1935, archives de l’Assemblée nationale.
114 Chambre des députés, commission des Affaires étrangères, séance du 27 novembre 1935, archives de l’Assemblée nationale.
115 Commission d’enquête du 6 février 1934, 3 volumes reliés, archives de l’Assemblée nationale. L’ultime réunion est la première depuis celle du 4 juillet.
116 Le sculpteur royaliste Réal del Sarte se fondait sur des confidences de son ami De Lattre, gendre de Calary de Lamazière, l’ancien adversaire de Longuet, pour mettre en cause Frot. L’audition de De Lattre eut lieu le 23 avril.
117 Chambre des députés, commission d’enquête, séance du 11 avril 1934.
118 Chambre des députés, commission d’enquête, séance du 26 avril 1934.
119 Chambre des députés, séance du 29 décembre 1932.
120 Chambre des députés, séance du 29 décembre 1932.
121 Chambre des députés, séance du 9 mars 1933.
122 Le Populaire y fit largement écho et parla « d’intervention saisissante » de Jean Longuet, Le Populaire, 10 mars 1933.
123 J. Longuet, « Genève permettra-t-elle la folle et criminelle aventure éthiopienne ? », « La lourde responsabilité de M. Laval à Genève », « Pour éviter la guerre, les sanctions joueraient de façon décisive contre l’Italie », Le Populaire, 22, 31 juillet, 1er octobre 1935.
124 J. Longuet, « L’heure décisive pour la S.D.N. Il faut arrêter enfin l’agresseur » et « L’émouvant appel du peuple éthiopien à la France », Le Populaire, 3 mars et 24 avril 1936.
125 François Laugier, un des dirigeants de la Ligue internationale des combattants de la paix, interrompit ainsi Longuet au congrès socialiste de Marseille (13 juillet 1937).
126 30e congrès tenu à Paris, 1936, compte rendu sténographique, Paris, Parti socialiste, p. 61-62.
127 Chambre des députés, séance du 17 décembre 1935. Cf. D. Braun, « Fallait-il boycotter Berlin en 1936 ? », L’Histoire, n° 24, juin 1980 et la lettre d’Édouard Depreux dans le n° 26, septembre 1980.
128 Ernest Lafont, ancien SFIO et ancien PCF.
129 Chambre des députés, séance du 18 février 1936.
130 Chambre des députés, séance du 25 février 1936.
131 Cf. R. Gombin, Les Socialistes et la guerre, Paris/La Haye, Mouton, 1970 et M. Bilis, Socialistes et pacifistes 1933-1939 ou l’impossible dilemme des socialistes français, Syros, 1979.
132 Au cours de l’été 1938.
133 Dans une de ses dernières lettres, Longuet indiquait, avec sérénité, qu’avec « le P.C., les choses sont claires : ad majorem Dei (Staline) gloriam et ses prophètes », lettre à Richet, 26 août 1938, AN, archives Depreux, 456 AP 6.
134 Cf. J. Girault, Sur l’implantation du Parti communiste français dans l’entre-deux-guerres, Éditions sociales, 1977.
135 R. Verdier, Bilan d’une scission, op. cit., p. 147.
136 Longuet considéra primordiale « la manœuvre abominable » de Cresp et de Mounié dans les causes de son échec, devant « la mystique très intense du communisme » et un vote tactique de Croix-de-Feu en faveur de Petit au premier tour, lettre à Paulhan, 29 avril 1936, archives IMEC, Fonds Paulhan.
137 Cf. M. Livian, Le Parti…, op. cit.
138 Cf. G. Oved, « Jean Longuet et l’anticolonialisme », Jean Longuet, la conscience…, op. cit.
139 Bracke lui succéda à nouveau en novembre 1937 avant d’être remplacé par Zyromski en 1938.
140 Lettre de Longuet à Blum, 25 juillet 1936, archives Longuet Marx, dossier SFIO (2). Longuet n’y dissimule guère son amertume.
141 Nombreux exemples dans les archives Longuet Marx, dossier SFIO (2). Daniel Mayer avait gardé le souvenir de plaintes répétées de Longuet pour le manque de considération dont il s’estimait victime au sein du Populaire, entretien du 7 octobre 1994.
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