Chapitre VI. Reconstruction
p. 179-216
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Texte intégral
1Chef de parti, Longuet était évidemment davantage attaqué. Le point culminant des campagnes contre lui fut sans doute atteint avec sa représentation en roi bolchevik et pangermaniste par le document de propagande en vue des élections de 1919 qui comportait aussi la caricature devenue fameuse du « bolchevik au couteau entre les dents ». Auparavant, La Croix, L’Action française, La Liberté de Berthoulat, L’Effort de Zévaès, La Démocratie nouvelle avec Lysis/Letailleur, d’autres encore, avaient cherché, non seulement à le discréditer, mais à l’impliquer dans des affaires d’espionnage ou de complicité de désertion. Moins de trois semaines après son congrès victorieux, Longuet voyait L’Action française le désigner comme le nouvel homme à abattre1. « Le petit-fils à Gross-Papa », « l’ami des boches », était accusé de couvrir une véritable agence de désertion. Avec une violence croissante, Léon Daudet ne cessa de réclamer l’emprisonnement de la « franche canaille », de « l’agent allemand », de « l’ami de Lénine et de Trotski », du « grand doctrinaire du bolchevisme2 »… Sans manquer à la sérénité de l’historien, il est permis de souligner la fragilité des charges haineuses du polémiste : se fondant pour l’essentiel sur des informations transmises par Zévaès, défenseur du déserteur polonais arrêté qui cherchait à mettre en cause Longuet, il accumulait les trouvailles stylistiques3 pour accabler son adversaire, mais ajoutait aussi quelques informations peu crédibles, tel un voyage de Longuet à Moscou où celui-ci aurait laissé comme agent de transmission à Lénine son propre secrétaire, Jacques Sadoul. Le directeur du Populaire avait de surcroît le tort de fréquenter le salon Ménard-Dorian, dans lequel son ancien familier Daudet était prompt à voir le centre des intrigues allemandes et bolcheviques en France. Les répliques étaient vives, et la campagne échoua devant les tribunaux, mais elle pesa sur l’opinion. L’interrogation demeure sur le rôle exact de Zévaès, attaché à abattre l’homme qui symbolisait la dimension internationaliste du socialisme français4 et bientôt promoteur d’un Parti socialiste national. La résurgence de la haine « nationale », forgée dans les années de guerre, vint plusieurs fois, localement et nationalement, contrecarrer l’activité de Longuet.
Reconstruire l’Europe
La reconstruction du sens internationaliste
2Pour l’heure, la guerre terminée, Longuet se consacrait à la reconstruction, envisagée sous trois aspects. Il s’agissait d’abord de la reconstruction de l’Europe, pour laquelle les socialistes comptaient particulièrement sur Wilson. Ce premier dossier se dénoua avec le traité de Versailles sur lequel Longuet se prononça par un discours qui représenta l’acmé de sa carrière parlementaire. La reconstruction devait être aussi celle de l’Internationale. Deux étapes bien différentes se succédèrent. En 1919, il s’agissait de rebâtir l’Internationale existante, autour du Bureau maintenu par son secrétaire, Huysmans. En 1920, prenant acte de l’impossibilité de cette solution, ou plutôt de l’abîme séparant les forces attachées à la vieille Internationale de la Révolution russe vers laquelle regardaient de plus en plus les masses ouvrières sympathisantes du socialisme, en France et dans bien d’autres pays, Longuet chercha à reconstruire une nouvelle Internationale, en privilégiant le dialogue entre les révolutionnaires russes et les grands partis socialistes d’occident qui le souhaitaient. Les choix des Travaillistes, des Indépendants allemands, et finalement de la majorité de son parti comme des dirigeants de l’Internationale communiste, ruinèrent cette stratégie. Liée à cette reconstruction internationale, celle de la SFIO avait enfin été espérée par Longuet comme susceptible de fournir un modèle de l’effi cacité du rassemblement : là aussi, deux étapes, l’une souriante en 1919 avec de nombreux signes encourageants, puis, après la déception électorale de novembre, la spirale destructrice qui, de Strasbourg à Tours, provoqua la montée des antagonismes, et pour finir l’éclatement de la « vieille maison ».
3Dès l’armistice, Longuet chercha à faire revivre un discours et une propagande internationalistes. Il appela à la solidarité internationale en faveur des « affamés de Vienne », sans hésiter à faire la leçon au prolétariat français en lui citant en exemple l’action des travaillistes anglais5. Il reprit aussi ses critiques contre la diplomatie française. Ainsi, en Pologne il soutenait Pilsudski, homme de la gauche, « démocrate socialisant », contre Paderewski, l’homme des réactionnaires et des exilés, et Dmowski, l’homme des conservateurs et des antisémites, tout en conseillant d’éviter les projets extravagants qui reconstitueraient le vaste conglomérat hétérogène de races et de peuples qui avait sombré au xviiie siècle6. La reconstitution de la Pologne le réjouissait car elle réalisait les anciennes espérances de Marx et d’Engels et de toute la tradition libérale et démocratique du xixe siècle. Pour l’Irlande, il rappelait les projets de « pacte fédéral libre » avancés par son grand-père et montrait les dangers pour la Grande-Bretagne d’une Irlande asservie, toujours prête à l’insurrection avec des complicités aux États-Unis7. Concernant les Balkans, il continuait à recommander le maintien d’un cadre fédéral ou confédéral, afin d’éviter la « balkanisation » et des conflits incessants. La pleine indépendance de nations mal définies et enchevêtrées lui paraissait toujours impossible, même après la chute des Habsbourg et l’éclatement de leur Empire8. Déjà, au congrès d’octobre 1918, un débat avait vivement opposé ceux qui voulaient éviter le démembrement de l’ensemble austro-hongrois (Cachin, Longuet…) à ceux qui réclamaient la pleine indépendance des diverses nationalités (Thomas9). Longtemps, à l’exception de la période 1914-1915 où primait la recherche de nouveaux alliés, il avait maintenu le même point de vue pour la Turquie dont il souhaitait la réorganisation et la modernisation, non le démembrement. Il ne pensait toujours pas utile de donner la région de Smyrne à l’État grec10. Enfin, concernant l’Allemagne, il réitérait ses arguments du temps de guerre contre toute annexion, qui reconstituerait de nouvelles « Alsace-Lorraine » et préparerait des guerres de revanche11. Sur cette question, il allait se retrouver non sans surprise en accord avec Thomas, lui aussi partisan d’une politique de soutien aux forces de démocratie et de justice en Allemagne, adversaire déterminé de la politique traditionnelle de la monarchie française : « Tenir les affaires d’Allemagne en la plus grande difficulté qu’on pourra », alors illustrée par Jacques Bainville12.
4Pour faire passer ces idées dans les faits, au moins partiellement, Longuet comptait sur les moyens d’action habituels : campagnes d’opinion et action parlementaire, auxquels s’ajoutait la présence aux négociations du président Wilson en personne. Celui-ci suscitait l’enthousiasme des socialistes français. Ses Quatorze points, fort proches du mémorandum de la conférence socialiste interalliée de février 1918, sa vision des relations internationales fondées sur la sécurité collective, l’arbitrage obligatoire, la Société des Nations, représentaient, en dehors des questions sociales, tout ce qu’espéraient en ce domaine les socialistes français. Une délégation de parlementaires socialistes, à laquelle appartenait Longuet13, vint saluer le président américain à son arrivée en France et majoritaires comme minoritaires se réunirent pour lui assurer l’accueil le plus chaleureux. Le Populaire du 14 décembre affichait, sur toute la largeur de sa « une », un titre explicite : « Le Prolétariat français salue Wilson », complété le surlendemain par un dessin, « Wilson à Paris », représentant le président américain porté en triomphe par une foule ouvrière. De tous les rédacteurs du Populaire, Longuet fut sans doute le plus enthousiaste : la rencontre décrite entre l’apôtre de la paix, digne continuateur de Washington et de Lincoln, et le prolétariat parisien fier de ses drapeaux rouges, et même – constant souci unitaire de Longuet ou sens de l’observation journalistique ? – du drapeau noir des anarchistes communistes14 ne manifestait aucune des réserves et des prudences évidentes chez Frossard ou Paul-Louis.
5Les socialistes accumulèrent les déceptions. Le Parlement fut tenu à l’écart de la négociation. De toute façon, il n’aurait certainement pas pesé dans le sens des revendications socialistes. Le président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre était toujours Franklin-Bouillon, chantre des mesures les plus rigoureuses contre l’Allemagne et partisan de l’annexion de la rive gauche du Rhin. Longuet fut écarté de la commission spéciale désignée pour examiner le traité. La majorité de la Chambre avait refusé de voter pour Longuet et Mayéras. Une vingtaine seulement de députés non socialistes avait accepté de porter le nom du directeur du Populaire sur leurs bulletins. Épuration symbolique – le rôle de la commission fut des plus réduits – mais significative.
Contre le traité de Versailles
6Le discours de Longuet contre la ratification du traité de Versailles15 marqua le grand moment de sa carrière parlementaire. Lui-même en eut conscience : félicité par ses amis, il n’oublia jamais de le citer, surtout dans les années 1930, tandis que son héritier spirituel, Depreux, continua à l’évoquer dans les décennies suivantes. La Librairie du Parti socialiste l’édita en brochure, sous le titre révélateur de la popularité croissante de la Révolution russe dans l’opinion militante, de « Contre la Paix impérialiste, Pour la Russie révolutionnaire ». Ce discours fut aussi l’occasion d’une sévère réplique de Trotski : la mise en regard des deux textes permet de mesurer, non seulement les divergences politiques, mais l’abîme culturel qui opposait le chef de l’Armée rouge au petit-fils de Karl Marx, député de Sceaux16. Son parti pris de mesure et de courtoisie, énoncé d’emblée, s’il provoqua la fureur de Trotski, ne désamorça pas ses adversaires. Le Journal officiel a conservé la mention de cent-trente-quatre interruptions et il dut y en avoir d’autres. Comme à chaque fois où se jouait quelque chose d’essentiel, Longuet sut se débarrasser des formules alambiquées et répétitives du discours socialiste usuel pour parler clair et net. La paix était « une paix de force, une paix de violence », imposée par des vainqueurs à des vaincus, non une paix du droit.
7Longuet se plaçait au sein de la culture commune à l’ensemble du camp républicain, il citait Renan, Viviani, Gladstone, plus souvent encore Jaurès et Wilson, non les dirigeants de la « Russie révolutionnaire », évoquée seulement dans sa globalité. Sa défense du droit des peuples, indépendamment « des considérations historiques ou stratégiques », le rapprochait de l’idéalisme wilsonien exprimé en 1918, tel du moins que l’avaient compris les socialistes. De même, il s’appuyait sur un discours de Vandervelde, toujours ministre d’État du gouvernement belge et peu susceptible de complaisance envers l’Allemagne, pour se refuser à toute annexion, à toute atteinte à l’unité allemande, et pour saluer le courage des minoritaires allemands de toutes tendances, Bernstein et Liebknecht, Luxemburg et Ledebour. Une fois de plus, Longuet regrettait la disparition du cadre historique jadis formé par l’Autriche-Hongrie et il relevait toutes les inconséquences du traité. La « balkanisation » de l’Europe centrale, le refus de l’Anschluss, l’hétérogénéité de la Tchécoslovaquie et la question des Sudètes notamment lui semblaient porter en germe d’importants dangers de guerre. Son approche demeurait celle d’un observateur des questions internationales, certes bon républicain et démocrate, puisque favorable au droit des peuples, mais éloigné aussi de tout messianisme révolutionnaire, refusant le traité de paix au nom « de motifs français autant qu’européens ». Son regret de la dislocation de l’ancien Empire des Habsbourg ne s’articulait pas autour d’une fulgurante annonce d’une quelconque fédération de soviets européens, mais sur des arguments rationnels, explicitement revendiqués comme identiques à ceux de députés siégeant à droite. Longuet ne citait pas Lénine, mais les diplomates américains Bullitt ou Morgenthau.
8Son internationalisme s’exprimait dans sa défense des droits de toutes les nationalités, y compris de celles qui relevaient de l’autorité de pays vainqueurs17. Ainsi, lui qui avait toujours milité pour le rétablissement de la Pologne, se plaignait-il des visées expansionnistes du gouvernement de Varsovie et des pogroms qui frappaient les trois millions de Juifs vivant sous son administration. Il réclamait de même la pleine liberté pour l’Irlande, condition nécessaire à une libre entente et à une fédération ultérieure entre les deux nations britanniques. La liberté des peuples ne se limitait pas à l’Europe : Longuet relayait les campagnes de L’Humanité en faveur de la cause égyptienne ou de l’autonomie indienne, ce qui était encore audible par ses adversaires, contrairement à la simple évocation de revendications analogues en Indochine. Le député de Cochinchine, Outrey, se lança dans une longue et violente diatribe, mettant en cause Le Populaire pour avoir accueilli des « articles signés par les ennemis de la France », dont il rendait responsable « un misérable annamite […] informateur de M. Longuet », en fait Nguyen Ai-quoc (Nguyen Tât Thành), le futur Hô Chi Minh18. Au congrès de Tours, Longuet rappela au même « délégué de l’Indochine », après sa fameuse déclaration, qu’il avait été « le premier élu socialiste qui ait défendu les Annamites contre le traité de paix », ce que reconnut d’ailleurs Vaillant-Couturier.
9Longuet aborda aussi les questions financières et économiques. Il aurait souhaité une reconstruction de la France prise en charge par l’ensemble des nations, et notamment les États-Unis d’Amérique. Outre l’influence ici perceptible de Vincent Auriol, qui allait rapidement devenir l’expert de l’Union internationale de Vienne pour ce sujet, cité par Longuet d’ailleurs au même titre que Bedouce, jusqu’alors spécialiste au sein du groupe des grandes interventions à caractère économique ou social, on peut déceler l’utilisation par Longuet des critiques émises par la presse anglo-saxonne, accompagnant celles classiquement connues de Keynes sur le traité et les réparations. De même, il regrettait que de désuètes et dangereuses ambitions territoriales se manifestassent à l’égard de la Sarre, alors qu’il aurait été plus avisé de prévoir un approvisionnement en charbon venu de la Ruhr ou de la Westphalie. Seule la dernière partie du discours justifiait le sous-titre « Pour la Russie révolutionnaire » donné à la brochure : encore ne commençait-elle que par une habile dénonciation de la paix séparée de Brest-Litovsk, dont la responsabilité était attribuée au militarisme prussien. Ensuite, sa critique de la politique interventionniste menée par Clemenceau s’adossait à diverses propositions émanant des milieux libéraux et démocrates du camp allié. Lloyd George et Wilson étaient ainsi opposés à Clemenceau19. Même sa défense de la Révolution russe était d’abord présentée au nom du respect des faits et des réalités, non comme l’expression d’une étroite solidarité idéologique :
« Le fait capital, c’est que depuis deux ans, ce gouvernement des ouvriers et des paysans s’est maintenu en Russie. […] Il n’aurait pas mis sur pied 1 200 000 hommes conduits par quelques-uns des meilleurs généraux de l’ancienne Russie avec l’enthousiasme des volontaires de 1793 […] s’il n’avait pas derrière lui les masses profondes du peuple russe. »
10Comme souvent depuis 1917, les socialistes demeurèrent isolés au sein de la Chambre. Le traité fut ratifié par 372 voix contre 53 et 72 abstentions (plus 20 absents par congé) et obtint l’unanimité des votes du Sénat. Longuet n’avait pas pu convaincre l’ensemble du groupe socialiste : 33 députés choisirent l’abstention, parmi lesquels les animateurs de La France libre qui allaient bientôt fonder le Parti socialiste français, mais aussi Thomas, Renaudel et Delory. Trois députés votèrent la ratification et furent exclus de la SFIO. En outre, certains votes contre d’élus socialistes s’expliquaient par des raisons exactement inverses de celles de Longuet : Compère-Morel, Groussier et six de leurs collègues firent savoir leurs raisons particulières de s’opposer au traité. Elles étaient plus proches de celles exposées par Franklin-Bouillon et Louis Marin, « le minimum de sécurité dans le maximum d’anarchie », que de celles défendues par Longuet, mais présentaient l’habile avantage de les rendre inattaquables en regard de la discipline de parti. Au total, 49 députés, une courte majorité (54 %) du groupe socialiste, acceptaient de se reconnaître dans les analyses de Longuet, même si celui-ci aurait obtenu une majorité beaucoup plus importante au sein du Parti. Ils n’étaient rejoints que par deux autres députés de gauche, le radical Bergeon et le républicain socialiste Dumont.
1919, l’impossible retour à la normale socialiste
Reconstruire l’Internationale
11Les partisans de la reprise des relations internationales étaient confrontés à une situation imprévue avec la fin de la guerre, la prolongation en Russie de l’expérience bolchevique, la révolution allemande avec les affrontements sanglants entre spartakistes et sociaux-démocrates, soutenus par l’Armée et les corps francs… Il ne pouvait être aisé de reprendre la vie interrompue en juillet 1914 de l’Internationale socialiste. Longuet et ses amis s’efforcèrent cependant de parvenir à ce qu’ils n’avaient cessé de réclamer. La difficulté principale tenait à la Révolution russe, peu connue et controversée.
La Révolution russe est-elle un bloc ?
12Le 11 novembre 1918 fut une date décisive dans l’histoire des rapports entre les socialistes français et la Révolution russe. Désormais, le sort de la patrie n’était plus en jeu, la déconvenue de Brest-Litovsk pouvait s’estomper et l’avenir de la société revenir au premier plan. De Genève, Romain Rolland fut d’emblée sensible au changement de ton du discours socialiste :
« À remarquer aussi l’attitude de l’intelligent et prudent Longuet, qui, ancien admirateur de Millerand, et resté ami de Renaudel, a su devenir le chef de la majorité internationaliste. Voici un an que le capitaine Sadoul lui envoyait ses rapports sur le bolchevisme : jamais il n’avait prononcé son nom, et il ne parlait des bolchevicki qu’avec diplomatie… Depuis quinze jours, il arbore ouvertement leur drapeau : il a consacré un numéro spécial de son Populaire à l’anniversaire de la Révolution russe ; et il prend, avec son groupe, des airs d’être aujourd’hui les meneurs d’une Révolution qui donne la main à celle de Berlin et à celle de Moscou20. »
13Certes, Longuet n’avait jamais admiré outre mesure Millerand, il ne cherchait pas à être un chef et il n’avait pas préparé de plan particulier en vue d’une révolution. Mais avec la fin de la guerre changeait l’ordre des priorités. La Révolution russe devenait le signe annonciateur des bouleversements sociaux qui allaient transformer l’Europe et le monde. La défense par Longuet de la Révolution russe « en bloc » s’assimilait chaque jour davantage à une défense du bolchevisme, puisque celui-ci en assurait la direction toujours plus exclusive. Les informations manquaient, mais, dans le doute, Longuet choisissait de faire confiance aux révolutionnaires russes. Aussi, lorsque Grumbach déclarait que les mencheviks n’étaient pas avec les bolcheviks et que ceux-ci avaient supprimé le journal, il s’écriait : « c’est inexact ». Face à cette réévaluation progressive du bolchevisme menée par la presse socialiste, Thomas réagit par quelques articles au style vif et précis (« Ou Wilson, ou Lénine… il faut choisir ») et obligea ses amis socialistes à se déterminer clairement : sa critique systématique du bolchevisme, sa nette prise de position en faveur de l’intervention alliée21 amenèrent les autres dirigeants socialistes à développer leurs arguments. Les répliques de Blum22 ont souvent été analysées (Verdier, Lacouture, Bergounioux, Grunberg…). Longuet avait également mené la polémique, non seulement au nom de la tradition socialiste de solidarité révolutionnaire, mais aussi en faisant valoir les arguments de divers témoins favorables au bolchevisme, René Marchand, du Figaro, Michel Farbman, du New Republic, Jacques Sadoul, plus tard Lincoln Steffens et William Bullitt. Tout en souhaitant l’entente entre socialistes, qui permettrait « l’exercice de la dictature du prolétariat par le prolétariat tout entier », Longuet reconnaissait les difficultés nées de la guerre, étrangère et civile, du chaos et de la misère23. Il ne reprenait pas à son compte les élans d’enthousiasme de Sadoul : « œuvre gigantesque réalisée par des géants24 », mais il acceptait d’être rassuré par les vues optimistes de son correspondant sur le rapprochement entre socialistes russes. Les soviets sont les seuls capables « de refaire l’unité raisonnable et n’opprimant personne de la Russie », les divers partis socialistes « se sont unis autour des bolcheviks ». Sadoul annonçait des prises de position officielles et solennelles de toutes les organisations révolutionnaires, des anarchistes aux SR de droite, en passant par les SR de gauche et les mencheviks de tous bords. Cette réconciliation des bolcheviks et des autres fractions socialistes, si souvent espérée, fut plusieurs fois annoncée par Le Populaire25. La grande masse du pays, avec son intelligentsia et ses minorités nationales, était présentée comme groupée autour du gouvernement, les perspectives les plus alléchantes offertes aux Français si ceux-ci levaient le blocus et reconnaissaient la Russie des Soviets. De telles informations, venant d’un ami jadis lié à Albert Thomas, intelligent et cultivé, ne pouvaient qu’impressionner Longuet. Il était tout de même surprenant que tant d’esprits éclairés et informés, a priori prévenus contre les excès d’enthousiasme révolutionnaire, tels Sadoul, Marchand, Pascal, etc. manifestassent une telle sympathie pour un mouvement présenté par la presse française sous des couleurs si sombres.
14Longuet pouvait compter sur un large soutien dans sa campagne contre toute intervention militaire en Russie, dont l’idée était abandonnée par Thomas lui-même depuis la conclusion de l’armistice. À chaque congrès, mais de plus en plus isolé, Thomas reprenait l’offensive pour que le bolchevisme ne soit pas considéré comme assimilable au socialisme. Le caractère de plus en plus nettement réactionnaire des adversaires du bolchevisme lui rendait la tâche difficile : « Es-tu avec les soutiens de Koltchak et de Denikine ou es-tu avec nous ? » lui lançait Mayéras lors du congrès de septembre 1919. La protestation de Thomas semblait montrer qu’il savait mener un combat d’arrière-garde :
« Je suis […] avec les socialistes révolutionnaires qui sont restés propres et ne sont à la solde de personne. Je m’honore de rester l’ami de Kerensky. Quant à être avec les bolchevistes, jamais ! »
15Longuet, en répliquant : « On est avec la Révolution russe » avait visiblement l’oreille du congrès.
16De prestigieux ralliements étaient annoncés : Gorki, Kropotkine, Broussilov, le « glorieux vainqueur de Galicie »… Un militant intellectuel comme « le doux Lounatcharsky » avait toute sa confiance : « artiste raffiné, philosophe délicat, correspondant et ami de notre Romain Rolland26 » tandis qu’il ne voyait, de l’autre côté, que les « atrocités » commises par les Blancs et que les socialistes anti-bolcheviks, Alexinski, Savinkov, Bourtsev, étaient finalement relégués au rang de renégats. Les articles du Populaire prenaient de plus en plus ouvertement le parti d’un bolchevisme en lutte contre la réaction blanche, mais jugé aussi capable d’édifier une société nouvelle. Les mutineries des marins de la mer Noire réveillaient les souvenirs héroïques de la Commune. La liaison entre la Commune de Paris et celle de Petrograd, topique de la presse socialiste, incluait la plus grande méfi ance à l’encontre des récits d’atrocités, œuvres de nouveaux Maxime du Camp :
« Fils de Communard, j’ai trop entendu pendant toute mon enfance les histoires effroyables racontées par les “historiens” versaillais contre leurs 35 000 victimes, pour n’être pas mis en défiance par la campagne frénétique qui unit, contre les Raoul Rigault et les Delescluze de Petrograd et de Moscou, toute la réaction européenne27. »
17À la Chambre, Longuet interpellait vivement un collègue socialiste qui venait d’applaudir le discours du ministre Leygues :
« Comment, vous, Monsieur Lebey, vous osez applaudir ? Élu sous les plis du drapeau rouge, vous saluez son abaissement ? C’est indigne. Ce n’est pas pour cette besogne que les ouvriers d’Argenteuil vous ont envoyé ici ! Quant à moi, je ne laisserai pas insulter le drapeau rouge pour lequel sont morts tant des nôtres, pour lequel mon père a combattu et a été condamné en 1871, pour lequel j’ai combattu toute ma vie, sans protester de toute mon âme28 ! »
18Dans ces conditions, le rassemblement des socialistes devait englober l’aile la plus à gauche. Le groupe communiste de Paris édita en brochure un article de Longuet, hostile à l’intervention alliée en Russie et à la théorie du « cordon sanitaire29 ». Celui-ci pouvait alors croire que le comportement hostile de Lénine à son égard s’expliquait par des malentendus ou des manœuvres de son extrême gauche. Il tenta de se justifier en faisant parvenir au président du conseil des commissaires du peuple une lettre (9 janvier 1920) lui exposant toutes les actions et les campagnes qu’il avait menées en faveur de la Révolution russe, en se disculpant de l’ajournement de la grève générale du 21 juillet 1919, et appelant en termes émus à la reconstruction de l’Internationale30. Il avait en effet conservé quelques illusions sur le comportement bolchevik à son égard : Jacques Sadoul ne lui avait-il pas indiqué, en janvier 1919, il est vrai, que ceux-ci étaient « pleins de gratitude pour les camarades qui comme vous ont assuré ce succès si aisément acquis [la renonciation par l’Entente à une guerre déclarée contre la Russie des Soviets]31 ». La suite pouvait cependant se lire comme une mise en garde peu voilée : « Ce succès montre tout ce que vous obtiendrez lorsque vous oserez conduire le prolétariat sur la voie révolutionnaire sans attendre que l’heure propice soit passée. »
19À la Chambre, les socialistes intensifiaient leur campagne contre l’intervention alliée. Si, contrairement à Cachin ou Lafont par exemple, Longuet n’intervenait guère à la tribune, il restait un spécialiste de l’interruption et des échanges polémiques, faisant notamment valoir que l’effondrement imminent du bolchevisme était annoncé depuis deux années et qu’il fallait bien une autre raison qu’un soutien allemand à cette résistance victorieuse des Rouges. Après cinq ans de massacres et de drames, il présentait une vision de plus en plus souriante de la révolution. La Terreur rouge était considérée comme achevée en octobre 1919 et le bilan présenté en réduisait singulièrement le coût : 5 000 morts seulement en 18 mois pour une population de cent millions d’habitants, contre 12 000 victimes de la Terreur blanche dans la petite Finlande32. Tout était fait pour donner du bolchevik une image contraire à celle de « l’homme au couteau entre les dents » : Lénine avait horreur du sang, Dzerjinsky respectait l’objection de conscience… Il devenait donc possible de comparer la Russie à la grande démocratie américaine où sévissait pourtant la loi du lynchage qui avait fait plus de 3 000 victimes en trente ans, dont 78 % de noirs33. Cette attitude était assez générale : Lucien Roland, qui avait eu les mots les plus durs contre les bolcheviks lorsque la France était encore en guerre s’en tenait désormais à une bienveillante réserve. Aussi, ne fut-il pas difficile pour la presse socialiste de prendre nettement position contre la Pologne lorsque celle-ci s’attaqua à la Russie.
20Ce soutien à la Révolution russe correspondait aux sentiments de l’opinion de la plus grande partie des militants. Au congrès de Strasbourg, Longuet analysa les raisons du mouvement en faveur des partisans de la Troisième Internationale :
« Il est facile, sur tel ou tel point, de critiquer la Révolution russe. Seulement, il y a un fait immense, un fait unique que tous les prolétaires sentent et comprennent : pour la première fois, ce qui n’apparaissait, même à l’ouvrier qui tournait vers nous son cœur et son cerveau, que comme une espérance vague […] s’est traduit dans la réalité. C’est-à-dire que depuis deux ans, les ouvriers et les paysans sont maîtres du pouvoir en Russie et la bourgeoisie renversée de son trône. C’est cela la Révolution russe34… »
L’échec révolutionnaire en Allemagne, leçon d’unité ?
21Les autres révolutions avaient en effet échoué. Comme d’autres, Longuet avait escompté que la fi n de la guerre favoriserait d’importants bouleversements politiques et sociaux. Si la chute de nombreuses monarchies lui fut un sujet de satisfactions, il dut déplorer l’échec de ses amis travaillistes aux élections de décembre 1918, puis les déchirements des socialistes allemands. Longtemps, il essaya de dissimuler la portée de ces conflits et de croire possible leur résolution. En pleine bataille de Berlin, Longuet se félicitait de voir bientôt enfin réunie l’Internationale, afin de mettre « au service des solutions justes et humaines […] l’immense puissance du Prolétariat universel35 ».
22Majoritaires comme minoritaires, pour des raisons différentes, se méfiaient des majoritaires allemands. Admirateur d’Eisner, « disciple fervent de Jaurès », Longuet faisait presque œuvre d’originalité en évoquant poliment « l’ouvrier sellier Ebert », chancelier d’Allemagne. Pour autant, ses sympathies le portaient vers une orientation plus à gauche de la République allemande, mais sans qu’apparût une prédilection pour telle ou telle fraction issue du Parti indépendant. Ses éloges à la Rote Fahne de Liebknecht étaient aussitôt équilibrés par des compliments adressés à la Freiheit de Haase et Kautsky. Les articles du Populaire restèrent le plus souvent informatifs, se contentant d’enregistrer, prudemment, les progrès spartakistes et laissant à peine pressentir leur souhait d’une réconciliation de ces derniers avec les indépendants. La dénonciation du gouvernement allemand ne fut proclamée qu’avec l’échec de l’insurrection, lorsqu’aussi fut patente la collusion entre les majoritaires et les corps francs. Le rédacteur de politique extérieure, Phédon (Paul-Louis), compara alors Ebert à Thiers. Longuet ressentait « un profond sentiment de douleur et de colère » et rendait hommage aux disparus, d’abord Liebknecht qu’il avait bien connu, « héroïque paladin de la révolution universelle », mais aussi Luxemburg, à « l’intelligence vive » et à « l’indomptable énergie36 ». S’il mettait en cause les responsabilités des sociaux-démocrates majoritaires, il insistait sur les conséquences du « sectarisme », de « l’exclusivisme » qui ne pouvaient aboutir qu’à « l’émiettement et au désastre ». La voie à suivre était celle indiquée par Eisner : « l’union étroite entre Spartakistes et Indépendants ».
23La leçon unitaire passait avant tout. Ainsi ne furent pas négligées les déclarations de Bernstein qui ralliait l’ancien SPD et disculpait ses dirigeants de toute responsabilité dans le meurtre des deux chefs spartakistes. Ceux de Kurt Eisner et d’Hugo Haase furent toujours associés aux deux premiers par Longuet qui esquissait ainsi dans la mort, en tout cas dans la commune haine de leurs adversaires, la réconciliation des représentants des fractions socialistes qui n’avaient pas su s’unir. Dans son esprit, cette union devait comprendre l’essentiel des forces du SPD, débarrassé de ses éléments les plus compromis dans la guerre et la répression, tels Noske, Ebert, Auer, Scheidemann… Les progrès de l’USPD lui fournirent le parti référent dont les Français avaient besoin en Allemagne : ses appels à l’unité « à gauche », « sans fanatisme antibolchevique », correspondaient exactement à ce que souhaitait Longuet37. Ce fut dans la Freiheit de l’USPD qu’il publia son analyse des difficultés de la reconstruction internationale et de la nécessité de donner à celle-ci de sérieuses bases révolutionnaires afin d’y réintégrer les Russes, les Italiens et les Suisses. Les succès de l’USPD au printemps de 1920 furent salués avec chaleur par Le Populaire38. Au reste, la dislocation des deux projets politiques fut à peu près concomitante : deux mois séparèrent seulement les congrès de Halle et de Tours qui virent l’unité politique des deux partis se briser.
Les tentatives de reconstitution de l’Internationale, Berne et Lucerne
24En attendant, les deux Révolutions russe et allemande, celle qui semblait devoir durer comme celle qui ne semblait pas finir de s’entre-déchirer, avaient lourdement pesé sur les tentatives de reconstitution de l’Internationale. En fait, la Révolution désormais conjuguée au présent dans ces deux pays avait provoqué la rupture du processus engagé à la fin de la guerre pour faire revivre l’ancienne Internationale.
25La conférence socialiste interalliée de Londres (septembre 1918) avait décidé une première réunion des organisations socialistes et des syndicats. Henderson, chargé de la préparation de cette conférence, enregistra diverses défections : sur sa droite, celles des syndicats américains, du Parti ouvrier belge, hostile à la reprise immédiate de relations avec le Parti allemand, sur sa gauche, celles des bolcheviks, des socialistes italiens, suisses, serbes et roumains. Longtemps attendue, prévue un premier temps à Lausanne pour le 6 janvier, la conférence fut ouverte à Berne par Camille Huysmans le5 février 1919 et réunit 97 délégués, représentant 26 États39. Les syndicats se réunirent à part, préparant ainsi leur organisation autonome, constituée à Amsterdam en juillet suivant. Les débats de la conférence de Berne ne furent pas officiellement publiés, mais l’essentiel des discours fut connu par les deux résumés et analyses de Renaudel et de John de Kay, ce dernier passant pour un des soutiens financiers du Populaire40. De toute façon le compte rendu longtemps perdu, aujourd’hui disponible, peut être complété par la lecture des Carnets Cachin41. Les questions principales à l’ordre du jour étaient celles des responsabilités de la guerre et de l’attitude à adopter face au bolchevisme, « démocratie ou dictature », les conditions de la paix à établir : SDN, revendications internationales, prisonniers de guerre, législation internationale du travail…
26Plus tard, Longuet laissa entendre à Huysmans que le déroulement de la conférence avait certainement joué un rôle dans l’impossibilité de reconstitution de l’Internationale. En tout cas, lui-même et ses amis ne purent empêcher Thomas d’ouvrir les débats par un discours solide et rigoureux sur les responsabilités de la guerre et la condamnation nécessaire du bolchevisme au nom de la démocratie. Les minoritaires devenus majoritaires furent ainsi conduits à conserver une attitude… de minoritaires en restant sur la défensive. Certes, Longuet voulut rappeler l’échec de Stockholm et des perspectives de paix ouvertes en 1917, manière d’équilibrer quelque peu la responsabilité des Empires centraux, et donc de la social-démocratie allemande lors de la déclaration de guerre. Avec Mistral, qui faisait figure de responsable de la délégation, il voulait éviter l’enlisement de la conférence dans les affrontements rétrospectifs. La reconstruction supposait un refus de condamner a priori le bolchevisme, lequel n’avait pas encore appelé nettement à la constitution d’une nouvelle Internationale, elle supposait aussi le refus d’exclure le SPD. Longuet proposait aux majoritaires, indépendants et spartakistes allemands de se réunifier sur la base du programme traditionnel, adopté à Erfurt en 1890.
27Sur le premier point de l’ordre du jour, les interventions les plus marquantes tournèrent autour de l’attitude des majoritaires de la social-démocratie allemande, défendue vivement par Wels, combattue non seulement par Thomas, mais aussi mise en cause pour ces défaillances par les Indépendants, Eisner et Kautsky. Eisner évoqua également les troubles qui avaient suivi l’armistice. Selon les témoignages concordants de Cachin et de Renaudel, ses interventions dominèrent les débats. Pour autant, il fallut attendre l’intervention de Kautsky pour que fussent mentionnés les noms de Liebknecht et de Luxemburg, assassinés le mois précédent. Auparavant, les divers protagonistes semblaient avoir préféré la prudence, évitant de trop passionner les débats, car, comme venait de l’écrire Cachin dans L’Europe nouvelle, « le meurtre de Liebknecht et de Rosa Luxemburg creus[ait] entre les membres jadis unis de la Social-démocratie un fossé qu’il ne sera pas facile de combler du premier coup ». Le congrès se leva pour rendre un hommage unanime à ces martyrs. Comment savoir si certains délégués ne trouvèrent pas étrange ce salut à ceux que Kautsky n’omit pas de présenter comme deux membres en fonction du BSI, victimes d’une « soldatesque fanatisée » sans que fût mentionnée l’éventualité d’une responsabilité de Noske, commandant en chef et commissaire du peuple chargé des questions militaires ?
28En principe, un accord formel fut trouvé sur la question des responsabilités de la guerre par une résolution au texte aussi bref qu’alambiqué :
« La conférence de Berne reconnaît qu’en ce qui la concerne la question des responsabilités immédiates se trouve clarifiée à la fois par les débats et par la déclaration de la majorité allemande, affirmant l’esprit révolutionnaire de la nouvelle Allemagne et son entière rupture avec le vieux système responsable de la boucherie. »
29D’autres textes furent adoptés. Longuet intervint sur les revendications internationales, il estima que l’Internationale devait se placer au point de vue de « l’humanité tout entière » et se référa aussi bien à Kant qu’au Christ. L’Internationale devait devenir « le grand Juge de paix » du monde. L’essentiel restait cependant le débat sur le bolchevisme. Thomas avait réclamé une condamnation ferme et immédiate du bolchevisme, le refus de toute collaboration de socialistes avec les dirigeants russes. Longuet avait repris le mot de Clemenceau pour signifier qu’il prenait la Révolution russe « comme un bloc » et qu’il ne se reconnaissait pas « le droit de condamner ex cathedra le mouvement qui a derrière lui, à l’heure actuelle, que nous l’aimions ou que nous ne l’aimions pas, des millions et des millions de prolétaires russes42 ». Après renvoi en commission, le désaccord ne put être tranché entre la résolution majoritaire, présentée par Branting, et le contre-texte, défendu non sans confusion par Adler et Longuet, refusant toute condamnation. Huysmans ne procéda à aucun vote pour maintenir l’unité, mais le rappel des diverses prises de position faisait apparaître la forte majorité dont disposait virtuellement la résolution Branting. Un comité exécutif provisoire fut constitué (Branting, Henderson et Huysmans) et les questions non réglées reportées à une autre conférence. Pour la Russie, la commission d’enquête d’une dizaine de membres prévue resta sans lendemain puisque ses membres ne reçurent pas des gouvernements les passeports nécessaires.
30Eisner, présenté par Longuet comme un « nouveau Jaurès » et par Cachin comme un « nouveau Guesde », complimenté même au Palais-Bourbon par le peu germanophile Franklin-Bouillon, s’était imposé à Berne, mais il fut assassiné quelques jours après la fin de la conférence. Longuet exprima sa sympathie et son admiration pour lui dans une très élogieuse préface qu’il donna, quelques semaines seulement après cet assassinat, à un recueil de discours et de proclamations, La Révolution en Bavière. Il soutenait son action, y compris son refus d’élections prématurées et sa prédilection pour les Soviets, par excellence « lieu de la participation vivante et directe des masses ». « Si imprégné de jauressisme », Eisner offrait une « sorte de synthèse entre les méthodes de la Révolution russe et la tactique socialiste traditionnelle », qui ne pouvait qu’intéresser Longuet, encore à la recherche de formules réunissant les bolcheviks et la majeure partie de la Deuxième Internationale, à la seule exception des socialistes les plus englués dans la politique d’Union sacrée.
31Pour les socialistes français, du moins le proclamèrent-ils, Berne ne se terminait pas sur un constat d’échec. Il était plausible d’envisager qu’un accord serait finalement trouvé pour la remise en activité de l’Internationale. Cachin afficha ainsi un bel enthousiasme dans L’Europe nouvelle sur les résultats de la conférence. Paul Faure lui aussi semblait plutôt satisfait43. Ce ne fut que lorsque le caractère irréductible des divergences sur le sens de la Révolution russe se révéla que, rétrospectivement, Berne apparut comme le moment où s’était scellée la fin de la vieille Internationale. Longuet regretta alors les critiques contre le bolchevisme. Une attitude ouverte et bienveillante à l’égard de la Russie révolutionnaire aurait permis un dialogue réel et équilibré entre elle et le socialisme occidental. Ce fut le sens de la lettre émue et désenchantée qu’il adressa à Huysmans, à un moment où les stratégies internationales des deux amis divergeaient profondément :
« Je suis persuadé autant que toi de la nécessité de refaire l’unité internationale, mais elle ne pourra se faire qu’autour d’un organisme nouveau, inspirant confiance à tous et dans le sein duquel on aura fait une épuration indispensable. Cela hélas ne sera peut-être pas fait pour demain et nous devrons peut-être pendant plusieurs années encore, connaître les déchirements et les divisions. Il faudra alors prendre son mal en patience44. »
32En France, l’orientation internationale de Longuet conserva longtemps une nette majorité. Au congrès de la Bellevilloise, les partisans de l’adhésion à la Troisième Internationale, dont la constitution venait à peine d’être connue, demeuraient encore largement minoritaires. Loriot ne regroupait que 270 mandats (14 %) contre 894 (46,5 %) à un texte de Longuet et 757 (39,4 %) à celui de Mayéras favorable au maintien pur et simple dans l’Internationale socialiste. Autrement dit, les choix internationaux de Longuet n’étaient guère contestés, et en tout cas aucune force irrépressible, bien au contraire, ne se levait pour amener les socialistes français à Moscou, ni pour refuser les Russes dans l’Internationale. Toute la question était de savoir justement quelle était la meilleure manière de faire revenir les Russes, Suisses et Italiens dans cette Internationale, laquelle restait sans eux « mutilée et incomplète », donc, en fait, comment trouver un terrain d’entente avec les bolcheviks, de toute façon incontournables. Longuet refusait de se laisser enfermer dans les débats idéologiques. Son pragmatisme foncier le conduisait à citer souvent la formule de Marx : « La moindre action vaut mieux que cent programmes » et à répéter que toute autre voie ne pouvait que conduire au durcissement des divisions. Cependant, Longuet, conscient des difficultés, ne souhaitait pas précipiter les réunions internationales afin d’éviter les crispations sur les divergences, contrairement à ce qu’il demandait à la fi n de la guerre. En accord avec Serrati, il aurait préféré laisser un temps aux actions communes, à élaborer sans trop le dire l’unité d’action, avant de passer à l’étape officielle de reconstitution de l’Internationale45. Mais, de toute façon, l’échec de la grande Journée d’action internationale franco-italo-britannique prévue pour le 21 juillet 1919, ne fit que desservir son dessein de retour à l’unité par l’action.
33En tout cas, la deuxième réunion internationale à Lucerne en août 1919 ne permit aucun progrès substantiel, malgré une présentation optimiste de ces travaux par L’Humanité : l’accord sur la critique des traités de paix, les améliorations à apporter à la Société des Nations ou les révisions nécessaires aux traités, la défense des nationalités opprimées, les Arméniens et les Juifs de Pologne et d’Ukraine ne suffisaient pas à définir les conditions d’existence d’une Internationale unique. Il fallut encore remettre à une nouvelle conférence, prévue à Genève, la résolution des problèmes en suspens et constituer un comité d’action provisoire. Les désaffiliations prirent une ampleur nouvelle : non seulement les partis absents de Berne, le Parti belge excepté, persistèrent à bouder la relance de l’Internationale socialiste, mais, tour à tour, les Indépendants allemands, les mencheviks, les socialistes norvégiens, américains, autrichiens se décidèrent au retrait. Le congrès prévu à Genève, d’abord ajourné, se tint malgré tout en 1920, du 31 juillet au 5 août, mais en absence des représentants de la SFIO : à ce moment, Cachin et Frossard, ses délégués, se trouvaient en Russie. Le congrès de Strasbourg avait en effet décidé de quitter la Deuxième Internationale, au sein de laquelle la place de la France fut désormais occupée par le petit Parti socialiste français, constitué par les dissidents de La France libre en 19191920. Les commentaires du Populaire furent des plus acerbes concernant cette « assemblée de petits bourgeois », renforcée par « quelques groupes plus ou moins suspects ou tarés46 ».
34Désormais, et pour toute l’année 1920, la stratégie de Longuet était de prendre acte de l’impossibilité de « réparer la vieille maison » et de préparer un « nouvel édifice, plus vaste et mieux aéré » regroupant tous les tronçons existants47. Se résoudre à quitter « la vieille maison » n’avait pas dû être facile pour Longuet. Lui-même expliqua à son ami Huysmans qu’il l’avait retardée autant qu’il avait pu, mais que la poussée en faveur de l’adhésion à la Troisième Internationale l’obligeait à ne plus différer48. La politique de reconstruction à partir des cadres existants de la Deuxième Internationale pour aller vers un indispensable élargissement avait donc échoué. 1920 représenta une nouvelle étape. La reconstruction, de plus en plus urgente, devait se réaliser hors de la Deuxième, en privilégiant le dialogue avec la Troisième. Partie plus difficile à jouer qui nécessitait un effort d’organisation. Ce fut l’origine du Comité pour la reconstruction de l’Internationale, héritier de l’ancien Comité pour la défense du socialisme international, destiné à équilibrer le comité de la Troisième Internationale, en fonction depuis mai 1919. La poussée en faveur d’une adhésion à la Troisième Internationale était d’ailleurs constatée par Longuet tant en France qu’à l’étranger. La constitution en janvier 1920 de ce nouveau comité illustrait également d’un point de vue interne et organisationnel l’autorité de Paul Faure, qui en était le secrétaire, avec comme adjoint Renoult, un ami personnel de Longuet.
La SFIO rassemblée de 1919
35La nouvelle direction mise en place fi n 1918 avait voulu faire de 1919 l’année de la renaissance du socialisme français. Elle-même s’attachait à donner une image d’efficacité dans le travail et semblait avoir à cœur de vérifier un mot de Jaurès, cité par Poisson : « L’harmonie des efforts peut suppléer au génie. » Les divisions du temps de guerre semblaient s’apaiser et le congrès de la Bellevilloise (20 au 22 avril 1919) fut jugé particulièrement réussi. Quelques passes d’armes entre Longuet et Thomas, loin d’annoncer une quelconque scission, animaient les débats et l’éventualité d’une synthèse générale, « à gauche », apparaissait fort probable. Au fond, il suffisait de s’entendre sur le fait que « la forme spécifique de la dictature du prolétariat, c’est la République démocratique » et de préciser les modes de cette représentation, parlementaires ou soviétistes… Le programme électoral préparé sous l’égide de Blum était adopté dans l’enthousiasme, à la seule exception de la petite minorité groupée derrière Loriot. Cachin salua en Blum l’héritier de Jaurès49. Tout semblait préparer une nouvelle poussée socialiste, peut-être victorieuse. La SFIO et la CGT recrutaient, les ventes de L’Humanité et du Populaire progressaient50. L’imposante manifestation qui suivit le verdict d’acquittement de l’assassin de Jaurès, le 6 avril, comme celle du 1er mai, témoignaient de cette poussée militante du socialisme français, mais, plus particulièrement liées aux activités de Longuet pourraient aussi être évoqués le banquet du Populaire le 20 avril 1919 (1 000 personnes), le succès de la première Fête du Populaire à Garches, le 10 août 1919 (10 000 personnes).
36Les Fêtes du peuple d’Albert Doyen donnaient de l’éclat aux diverses manifestations socialistes. Reprenant le modèle du Populaire de 1918, L’Humanité s’ouvrait à nouveau aux jeunes écrivains et intellectuels, souvent issus du courant vitaliste : Jules Romains, Georges Duhamel, Jean-Richard Bloch, René Arcos, Léon Werth, Charles Vildrac, Léon Bazalgette, Georges Chennevière, Claude Roger-Marx51. Rédacteurs ou éditorialistes, d’autres intervenaient davantage en politiques tels Raymond Lefebvre et Paul Vaillant-Couturier. Charles-Ernest Labrousse se signalait par une brillante série d’interviews52. Romain Rolland et Barbusse demeuraient les deux personnalités révérées, parrains spirituels en quelque sorte de cette tentative de renaissance du socialisme, alors que s’effaçait progressivement l’aura du vieux maître Anatole France. Ceux qui avaient pris ombrage de l’intrusion des intellectuels avec le combat dreyfusard ne désarmaient pas forcément leurs préventions. Ainsi Bracke retrouva au congrès de Strasbourg d’anciens accents guesdistes pour mettre en cause Barbusse et Romain Rolland… Il utilisa un classique de l’argumentation de congrès contre Raymond Lefebvre, délégué alors qu’il n’avait pas ses cinq années révolues de présence dans les effectifs socialistes53. À chaque fois, répliquant par la comparaison entre le pointillisme juridique et l’oubli des principes fondamentaux du socialisme par les socialistes de guerre, Longuet se solidarisa avec ses amis. Il ne s’alignait pas pour autant sur tout ce qu’ils pouvaient dire, reprochant ainsi à Lefebvre son esthétisme et ses invocations mystiques54, mais il se refusait à priver le Parti socialiste de l’enrichissement que lui apportait cette génération meurtrie par la guerre. Lui-même restait cependant en retrait des activités de politique intérieure.
37La préparation des élections législatives souleva des difficultés. Sans même évoquer celle, bien connue, du mode de scrutin et de la tactique socialiste, du vote des femmes demandé en vain par Longuet55, elle mit à l’épreuve la solidité de la nouvelle majorité. Longuet se vit obligé de défendre la possibilité de non-représentation des élus trop compromis dans le socialisme de guerre ou l’approbation de la politique gouvernementale, intérieure ou extérieure. Longuet fi t le maximum, loua publiquement deux discours de Dejeante et de Brunet, trouva quelque mérite à son vieil adversaire Thomas, jugé loyal et discipliné, et se félicita des candidatures retenues d’anciens majoritaires : seul finalement Lebey lui apparaissait nettement hors du socialisme. La difficulté consistait pour lui à élargir les listes de candidats. Conscient de l’isolement politique du Parti socialiste que se contentait d’enregistrer la motion Bracke, il cherchait à en compenser les effets par l’intégration dans les listes de militants ouvriers, de syndicalistes, d’anciens combattants… Le résultat obtenu, dans des délais trop courts, ne le satisfit guère, pas plus que le départ, qu’il jugea « déloyal », du groupe de La France libre.
38Son échec personnel a souvent été présenté de manière tendancieuse, voire incorrecte. La responsabilité en incombe sans doute à Frossard. Dans son volume de souvenirs, l’ancien ministre dépeignait en effet un Longuet sympathique, mais quelque peu naïf et grisé par les succès de ses réunions publiques. Outre qu’une telle erreur d’appréciation serait assez commune et ne signifierait pas grand-chose, le témoignage de Frossard n’est pas vérifié par celui de Roland, peu suspect de sympathie excessive à l’égard du directeur du Populaire, qui présente ce dernier comme pessimiste sur le résultat des élections en banlieue56. Le ton des articles de Longuet avant la grève de la presse, s’il se veut mobilisateur, ne semble pas non plus annoncer une victoire, d’où sans doute tous ses efforts pour réduire la portée de la scission en préparation à droite. Au reste, Longuet disposait de l’exemple britannique qui avait vu les travaillistes progresser en voix mais perdre la plupart de leurs sièges aux élections de décembre 1918.
39Dans le secteur où se présentait Longuet, le mode de scrutin et la configuration des listes, un vaste rassemblement antisocialiste sous l’égide du Bloc national, incluant l’ancien député socialiste Nectoux et le syndicaliste Rhul, face à la liste SFIO, malgré la présence de deux listes incomplètes et marginales57, ne laissaient comme alternative que la victoire complète – et inattendue – ou la défaite générale. Le score obtenu par la liste socialiste ne fut pas déshonorant (entre 40 et 41 % des exprimés), mais, en deçà de la majorité absolue, il signifiait l’échec pour tous. Placé en tête de la liste, Longuet arriva dernier par le jeu du panachage, mais la marge le séparant du plus « populaire » des candidats socialistes, Pierre Laval, resta minime (3 130 voix, un peu plus de 1 % des exprimés). Le vote préférentiel et le panachage ont toujours comme conséquence d’écarter les personnalités au profil affirmé, et de favoriser au contraire les notables, moins marqués et disposant de voix personnelles. Que les élus locaux, bien enracinés dans leurs circonscriptions, tels Laval (Aubervilliers, mais aussi les Auvergnats et originaires du Massif Central), Voilin (Puteaux), Philippe (Saint-Denis), Martin (Ivry et Vitry, président en exercice du conseil général), aient été légèrement favorisés par rapport aux militants les plus exposés par leur expression publique, comme Longuet, Frossard, Mayéras, Verfeuil ne saurait donc constituer une surprise. Si la part personnelle de Longuet doit être appréciée sans répéter des a priori partisans, le résultat d’ensemble des socialistes : maintien global, et même progression modérée en voix, recul en nombre de sièges, n’en constituait pas moins une désillusion pour les militants qui escomptaient un important mouvement d’opinion en leur faveur après la guerre. Longuet lui-même n’avait-il pas plusieurs fois mis au défi, en 1917 et 1918, les gouvernants d’organiser les élections, n’avait-il pas évoqué avec confiance le vote des poilus au retour du front ? La défaite de ses amis travaillistes avait été autrement plus glorieuse ! Le Labour avait triplé le nombre des voix obtenues par rapport à l’avant-guerre…
40Comme l’exposa Annie Kriegel, cet échec ne pouvait que favoriser le désarroi des socialistes et contribuer à les écarter des moyens parlementaires. D’autant plus que la victoire du Bloc national ne fut pas seulement conjoncturelle, elle s’inscrivait dans un ensemble de mesures qui pouvaient laisser à penser que s’épuisait la vieille voie des améliorations partielles obtenues par l’effort des élus. Après Malvy, c’était au tour de Caillaux d’être condamné par la Haute Cour. Même dans les assemblées locales, l’esprit nouveau se faisait sentir et l’ancien radicalisme paraissait bien atteint. Ce raidissement des forces hostiles donnait tout son sens à l’avertissement souvent cité de Clemenceau : « Entre vous et nous, c’est désormais une question de force. » L’ironie de l’histoire fit que ce ne fut pas le Tigre qui fut chargé d’exprimer et de mener à bien cette politique « de force », mais, les socialistes ayant au moins réussi à contribuer à l’échec présidentiel de leur vieil adversaire, un de leurs anciens camarades, Millerand, devenu président du conseil le 20 janvier 1920, et assurément, « l’homme fort » de la nouvelle majorité. Le prolétariat français subit une lourde défaite avec l’échec de la grève des cheminots du printemps. Dix-huit mille révoqués et congédiés, des poursuites engagées contre la CGT58, une enquête pour complot contre la sûreté intérieure de l’État qui permit l’arrestation de Loriot et de Souvarine. Annie Kriegel a montré que cette défaite du prolétariat français sur le front syndical, après celle subie aux élections, avait encouragé la recherche de nouvelles voies, amoindrissant la confiance dans les « méthodes éprouvées ». Il s’agit plutôt d’encouragement à une tendance de fond, au reste, que d’une césure dans l’évolution : dès le début de l’année 1920, après l’échec électoral, étaient en place les éléments qui allaient rendre inévitable la scission. Tout se passait comme si la protestation contre la société qui avait permis le grand massacre pouvait maintenant se déployer, la fin de la guerre levant les interdits qui protégeaient la nation agressée et permettant au deuil et au sentiment de révolte de s’exprimer.
L’irrésistible dislocation
Strasbourg et la montée des antagonismes
41Si le congrès de la Bellevilloise en avril 1919 avait été celui de l’unité retrouvée, les désillusions électorales et les difficultés de la Reconstruction marquèrent le congrès de Strasbourg (25 au 29 février 1920). Déjà, Paul Faure avait avoué son « découragement » à Lucien Roland. Il reprochait à Longuet d’avoir « trop ouvert Le Populaire aux extrémistes » dont s’accroissait « l’influence néfaste59 ». Frossard ne se montrait pas plus rassuré. Au congrès, le comité pour la IIIe Internationale passa de 270 mandats en 1919 (14 %) à 1 621 (35 %). La direction mise en place par Longuet et ses amis ne devait le maintien de sa prédominance qu’au ralliement d’une bonne partie des anciens majoritaires. Renaudel se retrouvait isolé60, Thomas complètement marginalisé et quasiment mis en posture de devoir, sinon quitter le Parti, du moins se retirer de son animation quotidienne. Le congrès enregistra l’impossibilité de reconstruire l’Internationale, décida donc à une écrasante majorité la rupture avec l’organisation bruxelloise (4 330 mandats contre 337), la constitution d’une Union de partis socialistes regroupant les organisations placées sur des bases voisines (suisses, italiens, indépendants d’Allemagne…) et l’ouverture de pourparlers avec l’Internationale de Moscou. Intellectuellement, c’était assumer la rupture décisive avec le passé et préparer donc de nouvelles ruptures. Or, le sentiment de Longuet après le congrès semblait dominé par le souci de la temporisation, en tout cas de la prudence.
42Pendant le congrès, il s’était comporté en observateur attentif au bon déroulement des débats, intervenant avec autorité sur leur organisation pratique. Toujours respectueux de l’exactitude des documents, il se donna la coquetterie de traduire lui-même le texte bolchevik qui exprimait la condamnation de son courant et de sa personne par Lénine. La suite de l’année 1920 déroula les conséquences logiques de ce désaccord devenu patent. Longuet attendit la soirée du troisième jour pour intervenir sur le fond de la discussion. Il s’attacha à expliquer le courant en faveur du comité pour la Troisième Internationale par le résultat conjoint de deux mouvements : « l’amour, l’enthousiasme passionné pour la Révolution russe » et la volonté de protester contre « le socialisme de guerre61 ». Il prit acte de la mort de la Deuxième Internationale, en raison de ses défaillances pendant la guerre, de l’échec de Stockholm et de la dérive droitière de la conférence de Berne avec « le triomphe des ministres de droite », la « mise en accusation du bolchevisme ». En revanche, il annonçait son refus de tout ralliement pur et simple aux positions de Moscou. L’Internationale nouvelle était encore à construire car elle ne saurait « se limiter à Lénine, à Trotski, ni à la Russie seule ». Il escomptait que la constitution de l’Internationale communiste en mars 1919 n’était qu’un « moyen de guerre », une réponse tactique à Berne, et que « cet homme d’État extrêmement souple et intelligent » qu’était Lénine saurait entendre la voix de « la raison » et comprendre la nécessité de s’entendre avec les prolétariats organisés des grands pays européens (Grande-Bretagne, Allemagne, Suède, etc.). En tout état de cause, Longuet attendait des militants français qu’ils restassent fidèles à « l’idée essentielle » de Jaurès : « l’unité socialiste ».
43Il insistait sur l’arrivée massive de nouveaux adhérents : plus de cent mille nouveaux membres poussés par la révolte et le dégoût, très souvent revenus du front. Il saluait leur dévouement, leur sincérité, mais s’inquiétait aussi de leur « immense amertume » et de leur « sombre colère peu propices à l’examen calme et froid des réalités62 ». Au risque de passer pour un froid pédagogue, il relevait leur manque d’expérience et attendait leur maturation de « la rude école des événements » ou du « dur laminoir de la réalité sociale ». Outre que c’était passer précisément un peu vite sur ce que des années de guerre avaient pu représenter en fait de « rude école » ou de « dur laminoir », c’était aussi continuer à considérer l’action militante pour le socialisme comme un long apprentissage de la vérité des faits sociaux, donnée par l’enseignement de Marx, d’Engels, de Bebel, de Jaurès, de Vaillant… La difficulté était donc « d’assimiler utilement » les forces nouvelles absorbées par le Parti socialiste et pour cela, de reconstituer « la vaste cathédrale socialiste mondiale ». Le bolchevisme russe, pour admirable qu’il fût, devait accepter de ne pas incarner à lui seul le socialisme international. Pour parvenir à ses fins, Longuet refusait « tout état d’exaltation, toute formule mystique », mais, il était amené à considérer avec optimisme les tendances « opportunistes » qu’il décelait dans le bolchevisme sorti vainqueur de la guerre civile et sur le point d’accepter la lutte électorale et la « lenteur » du développement révolutionnaire en Europe occidentale.
44Les partisans de la Troisième, pour leur part, avaient conscience de leur progression. Ils se libéraient des derniers liens qui pouvaient les relier à la gestion du Parti socialiste : Loriot démissionna ainsi de la trésorerie lors de la CAP du 20 avril. Les perspectives de conciliation s’éloignaient et l’heure n’était plus à la modération de ton. Souvarine reprocha à Longuet d’avoir insulté la mémoire de Liebknecht et de Luxemburg parce qu’il avait évoqué « des camarades divisés entre eux par des querelles de sectes misérables63 ». Fondateur et directeur d’un Bulletin communiste (1er mars 1920), Souvarine avait entrepris une incisive campagne contre toute collaboration avec les Reconstructeurs et engagé un boycott efficace du Populaire64. L’élan militant ne portait plus le journal de Longuet : les groupes des Amis du Populaire disparurent rapidement et la Fête organisée le 19 septembre 1920 fut loin de connaître le succès de celle de 1919. À la fin de l’année, la situation financière du quotidien, qui avait toujours été critique, était devenue catastrophique65. Cet effondrement illustrait bien la difficulté de la tâche de Longuet : ce n’était pas seulement à des manœuvres de congrès, des renversements d’alliances auxquels il était exposé, mais à un mouvement de fond. Le poids de la guerre surtout, qui se révélait progressivement depuis que celle-ci était terminée, accessoirement l’échec électoral de 1919, plus encore que celui du mouvement social du printemps 1920, conduisaient les adhérents à juger indispensables de franches ruptures avec le socialisme, non seulement « de guerre », mais aussi « d’avant-guerre ». Or, si Longuet était populaire comme représentant du combat « minoritaire » pendant la guerre, la politique qu’il préconisait était fondée pour l’essentiel sur un retour à la pratique et aux formulations « éprouvées » de la SFIO de 1905 à 1914. Longuet, comme d’autres (Sembat) était conscient de cette évolution : il avait enregistré les progrès de la minorité d’extrême gauche au sein de la fédération de la Seine, constaté qu’il pouvait désormais être pris à partie dans les réunions publiques socialistes66. Espérant sans doute en l’action bénéfique du temps, sans grande perspective en politique intérieure avec le triomphe du Bloc national, bientôt confrontés à l’échec des grèves du printemps 1920, lui et ses amis ne trouvèrent pas de parade efficace. Sans doute Frossard et Cachin commencèrent-ils alors à juger indispensable un accord avec Moscou, même au prix de concessions plus importantes qu’ils n’étaient prêts auparavant à accepter ?
Négociations internationales désordonnées
45En tout état de cause, la participation active de Longuet au processus de négociations décidé à Strasbourg allait de soi : membre du BSI depuis les origines, habitué des congrès internationaux depuis l’enfance, spécialiste reconnu des affaires étrangères et justement dépourvu de responsabilités particulières qui auraient rendu difficile une longue absence, sa désignation par la CAP du 9 mars 1920 pour accomplir une mission d’enquête et de négociations en Russie fut tout le contraire d’une surprise. Nommé à ses côtés, Cachin, directeur de L’Humanité, était aussi un spécialiste de politique internationale et depuis deux ou trois années fort proche des positions de son collègue du Populaire. Longuet devait aussi assurer une mission en Angleterre, qui fut menée à bien67. Ses amis britanniques, comme Lansbury, lui avaient confirmé la possibilité d’un accord avec Lénine. Celui-ci avait frappé le directeur du Daily Herald par son « esprit réaliste, large, antisectaire », il avait pris position en faveur de l’unité du Labour et de la participation à la lutte parlementaire, mis en garde contre les dangers des « grèves générales prématurées, des insurrections qui seraient vouées au désastre ». Longuet pouvait donc espérer voir sa propre stratégie comprise par le grand révolutionnaire russe, jusqu’alors sans doute mal informé par les extrémistes du comité de la Troisième Internationale68. En attendant, il pouvait escompter un retrait du puissant Parti travailliste de la Deuxième Internationale et obtenir ainsi un renfort de poids dans la négociation internationale qui se dessinait entre l’IC et le socialisme occidental.
46Le 4 mai 1920 pourtant, Roland nota dans son carnet que Frossard remplacerait Longuet « au cas où celui-ci ne pourrait s’absenter ». Une troisième place était prévue pour Loriot ou un de ses amis, mais ceux-ci ne souhaitaient pas être assimilés à la direction socialiste et refusèrent. Cela servit de prétexte pour récuser la présence de Renaudel qui aurait souhaité représenter sa tendance. Le 31 mai 1920, ce fut donc Frossard qui accompagna Cachin dans son périple. Les raisons de cette curieuse défaillance de Longuet demeurent inconnues, le secrétariat du Parti se contentant d’indiquer que Longuet était « indisponible ». Ce n’était pas la première fois que Longuet devait renoncer à un voyage : la Bulgarie en 1915, la Russie déjà en 1918 et 1919, mais dans les cas précédents, le refus gouvernemental de fournir les passeports expliquait tout. Cette fois, d’autres causes doivent être recherchées : les motifs de santé sont possibles. Des intrigues de couloir aussi : Frossard, qui « tenait la maison », décidé, à l’expression ferme, a pu paraître un choix plus habile et avisé. Cette hypothèse pourrait être étayée par un passage des souvenirs de Frossard :
« Sadoul […] finit par me dire qu’après tout on me connaît fort bien ici, que j’ai une réputation d’habileté dangereuse et qu’on pense que je suis venu surtout pour empêcher Cachin d’aller trop loin69. »
47Cela semblait être aussi l’opinion de Souvarine, lequel au cours du voyage des deux délégués en Russie, évoqua Frossard « qu’on avait déjà substitué adroitement au trop compromettant Longuet70 ». Par ailleurs, on peut relever que dès le 31 mars, le vieil ami adversaire Renaudel avait informé ses amis de La Vie socialiste que Longuet « refusait de partir » et qu’il serait remplacé par Pressemane ou par Paul Faure71. De toute façon, à ce jour, aucun élément formel permettant de privilégier telle ou telle hypothèse n’a pu être établi. Longuet lui-même ne revint jamais sur cette question. Pendant le voyage, il commenta avec sympathie l’avance de l’Armée rouge en Pologne72, fit confirmer par le conseil national la rupture avec la Deuxième Internationale et annonça la grande négociation internationale entre les partis « centristes » et la Troisième Internationale, dont il jugeait les partisans en recul (300 mandats de moins qu’à Strasbourg), ce qui devait donner à Cachin et Frossard « pleine autorité pour faire entendre à nos camarades russes la pensée du socialisme français73 ».
48Pour autant, lorsqu’il écrivait ces lignes, Longuet venait de connaître, indirectement, un grave échec qui affaiblissait sa stratégie. Le Parti travailliste avait en effet décidé à la conférence de Scarborough son maintien dans la Deuxième Internationale. Alors que Longuet comptait sur une forte représentation du socialisme occidental, orienté « à gauche » et solidement ancré sur les trois piliers constitués par l’USPD, la SFIO et le Labour, une des pièces maîtresses lui manquait. Certes, il notait avec satisfaction le nombre élevé des abstentions (48 %), il pouvait aussi se rappeler que le Parti travailliste avait toujours été une « pâte un peu lourde » pour reprendre une de ses expressions, que l’ILP ne le suivrait certainement pas, cela n’empêchait pas que le refus de la révolution violente avait eu raison des sympathies pour la Révolution russe. L’exemple de Strasbourg n’était pas imité par le socialisme britannique et Lansbury, qui visiblement était alors le favori de Longuet devait prendre acte de la primauté maintenue de MacDonald, l’ancien dirigeant du courant pacifiste.
49À Moscou, Longuet fut un enjeu des discussions avec les responsables communistes. S’il arriva à Zinoviev de rendre hommage à sa campagne en faveur de la Révolution russe, le jugement d’ensemble sur « sa position doctrinale et son action générale » demeurait d’une grande sévérité. Les délégués français le défendirent, notamment Frossard qui avait participé aux combats de la minorité à ses côtés74. Ces faits sont bien connus, de même que l’inclusion finale du nom de Longuet dans la liste noire, septième des vingt et unes conditions, des « opportunistes notoires » qui ne sauraient être admis dans la Troisième Internationale. La liste exacte, et la portée des dites conditions provoquèrent des débats assez embrouillés jusqu’au congrès75, même si Longuet jugea dès le départ les 21 conditions « absolument inacceptables76 ». La perspective d’une scission probable n’apparut clairement qu’assez tard. Pour Longuet en tout cas, ce « nouveau Syllabus77 » dessinait un univers politique trop opposé à sa formation et à son attachement aux traditions libérales et républicaines du socialisme français.
Quelle majorité pour quelle adhésion ?
50Les reconstructeurs se divisèrent donc. Parmi les adversaires de l’adhésion, Paul Faure joua un rôle croissant78. Dès le 25 août, moins de deux semaines après le retour des émissaires, Roland nota que « Mayéras, Compère, Mistral, Pressemane, Paul Faure, Jean Longuet que Paul Faure entraîne, sont décidés à s’opposer à la thèse Cachin-Frossard ». Paul Faure signa l’article décisif de refus dans Le Populaire : « Sortons des brouillards » (29 septembre 1920). Souvarine se déchaîna contre Longuet, dénonçant « son rôle incohérent et brouillon, son verbiage sentimental et mélodramatique, son action trouble et confuse79 ». Les critiques haineuses de Souvarine dépassèrent en vigueur les textes bolcheviks eux-mêmes et firent de la rupture avec Longuet la pierre de touche du ralliement à la Troisième Internationale80. Certes, Souvarine, sur les instances de Renoult, avait été écarté jadis (novembre 1919) du Populaire et pouvait éprouver quelque amertume, sinon de son départ, somme toute logique et souhaité des deux côtés, mais des conditions dans lesquelles il avait eu lieu. La violence de ses attaques contre son ancien directeur n’en fut pas moins remarquable. Elle inspira à Verfeuil une bonne part de son roman à clefs, L’Apostolat, qui voit le jaloux et haineux Salvagine s’opposer au doux Courtès, lequel répète aux militants qu’on « ne crée rien de durable, de fécond et de beau avec la haine81 ».
51En revanche, tous les ponts ne furent pas rompus avec les reconstructeurs favorables à l’adhésion. Ceux-ci, avec Renoult, Dunois, deux amis personnels de Longuet, Paul-Louis et quelques autres démissionnèrent du comité de la Reconstruction le 23 septembre et entreprirent d’élaborer une résolution commune avec le comité de la Troisième Internationale82. D’un autre côté, Mayéras et Pressemane, en désaccord avec la résolution des reconstructeurs favorable à une adhésion avec réserves quittèrent aussi le comité de la Reconstruction. Cela ne signifiait pas automatiquement que les reconstructeurs ainsi divisés ne pussent se retrouver, sinon dans la même majorité, du moins dans le même parti, après le congrès : jusqu’en décembre, le jeu des rapports entre courants et sous-courants demeura assez mouvant.
Le congrès de Halle et la rencontre Zinoviev-Longuet
52En octobre 1920, le congrès de Halle de l’USPD put apparaître comme la répétition générale du congrès de Tours. Les Indépendants, qui disposaient d’une solide influence (894 000 adhérents, 84 députés, plus de cinq millions de voix et 18 % des suffrages aux élections législatives de juin 1920), étaient comme les socialistes français partagés sur la question de l’adhésion à l’Internationale communiste. Celle-ci fut votée par 237 voix contre 156 en présence de Zinoviev, de Martov et de Longuet, délégué par le Parti français, avec l’accord des reconstructeurs des deux bords, signe d’un rapprochement à l’automne 1920 entre Cachin, Frossard et Longuet. C’était aussi l’occasion d’une négociation directe entre les responsables de l’IC et Longuet. Celui-ci semblait en effet rechercher le contact qu’il n’avait pas pu avoir quelques mois auparavant. À Londres, deux semaines auparavant, il avait cherché à rencontrer Riazanov, mais n’avait pu voir que Krassine, personnage important, mais aux responsabilités sans doute plus diplomatiques que politiques. Au reste, Longuet avait déjà interviewé Krassine au mois de juillet précédent au sujet des négociations anglo-soviétiques. À l’époque, les négociateurs bolcheviks lui avaient fait le meilleur accueil. Halle lui permettait donc un contact direct avec Zinoviev. Apparemment, celui-ci se serait efforcé alors de séduire Longuet pour l’entraîner avec Cachin et Frossard : il s’engagea par écrit à ce que « l’exception (prévue à l’article 20 des conditions), en ce qui concerne l’exclusion des centristes, s’applique à Longuet, Paul Faure et aux membres de leur groupe si, après le vote du prochain congrès, ils restent dans le Parti et en acceptent les décisions, ainsi que les thèses et les conditions de l’Internationale communiste83 ».
53Le directeur du Populaire explorait les voies d’un compromis : son discours, ferme, laissait ouvertes des possibilités de négociation84. Il était même assez habile : évoquant la réconciliation entre Français et Allemands, il revenait sur le glorieux passé militant des deux prolétariats, manière de rappeler que l’histoire du socialisme n’avait pas commencé dans la Russie de 1917. Plaidoyer pour l’unité, il adressait ses éloges à tous les socialistes minoritaires, indépendants de gauche et de droite ou spartakistes comme il associait Eisner et Haase à Liebknecht et Rosa Luxemburg, quatre victimes de cette réaction qui ne « fait pas de différence » entre socialistes. Il se montrait aussi prêt aux exclusions nécessaires, rappelant celles d’Aubriot et de ses amis et laissant entendre que d’autres pourraient survenir. Il se faisait applaudir par la gauche en exaltant la Révolution russe, porteuse d’espérance pour les masses prolétariennes, puis par la droite en proclamant inadaptées pour l’Europe occidentale les méthodes « spécifi quement russes » des bolcheviks, notamment sur les syndicats ou les paysans. Son propos se résumait en deux formules : nous ne voulons pas d’une Internationale russe, mais d’une Internationale internationale, et nous ne voulons pas d’une Internationale de secte, mais d’une Internationale de masses. Il se terminait aussi par un appel direct à Zinoviev pour une négociation sérieuse. Longuet concevait l’adhésion à la Troisième Internationale comme un mariage reposant sur la libre volonté de chacun : il attendait que les partis d’Europe occidentale fussent traités comme « des égaux parmi les égaux ». La réponse de Zinoviev ne sembla pas lui suffire85, mais on pouvait estimer engagé le processus de négociation.
Vers l’Internationale « Deux-et-demi » : retrouver les moyens d’un dialogue international
54C’est dans le cadre de la stratégie longuettiste que s’ébaucha la formation de l’Union des partis socialistes pour l’action internationale, passée dans l’histoire sous son surnom d’Internationale Deux-et-demi. Longuet et ses amis souhaitaient ce regroupement partiel des forces socialistes, qui ne laisserait à l’écart que les partis demeurés dans la Deuxième Internationale, pour pouvoir négocier en meilleure position avec l’Internationale communiste. Mais la nouvelle union souffrit d’une représentativité réduite, sans les forts contingents britanniques et d’Europe du Nord, restés dans la vieille maison, ni la majorité des Indépendants d’Allemagne passés à l’Internationale communiste. À Tours, Longuet présenta cette réunion comme un « abri provisoire » sur la route de Moscou. La conférence de Berne (du 5 au 7 décembre 1920) montra quel était l’état des forces du courant dit « centriste » du socialisme international : le Parti social-démocrate autrichien, les socialistes suisses, la minorité des Indépendants allemands et l’ILP britannique, à défaut de mieux (l’ensemble de l’USPD et du Labour) mais aussi des formations plus modestes, tels le Parti socialiste roumain, les sociaux-démocrates de Tchécoslovaquie, les mencheviks et, comme observateur, un socialiste américain. Longuet et Faure avaient été délégués par le Parti français, avec l’approbation de la CAP, malgré la proximité du congrès de Tours qui devait décider de l’adhésion à la Troisième Internationale. Cette démarche supposait le respect des règles du jeu par tous, le refus de la recherche d’accords spécifiques à chaque parti afin de préparer l’unité internationale par une négociation internationale. C’était tout le sens de la Conférence internationale convoquée pour le 22 février 1921 à Vienne : ni congrès, ni Internationale, ce qui aurait signifié l’acceptation de la scission, un partenaire privilégié nettement indiqué, la Troisième Internationale, alors que la Deuxième, « irrémédiablement discréditée86 », n’était plus qu’un « obstacle à l’unité socialiste internationale ».
55Le choix de la majorité de la SFIO, avec Cachin et Frossard, fut naturellement tout autre. L’adhésion sans délai, considérée comme inéluctable, contrevenait pour Longuet à l’esprit des résolutions du congrès de Strasbourg. Le désaccord était patent, mais la situation demeurait assez mouvante pour que Longuet pût espérer faire adopter sa solution d’une négociation internationale, au même niveau, entre l’union esquissée à Berne, et l’Internationale communiste dominée par le Parti bolchevik. Il n’avait guère d’illusions pourtant sur le sens du courant. Mais il estimait de « son devoir sacré » de marcher contre lui, si formidable qu’il pût être. Ému, il répondait à son ami Renoult : « Je n’ai pas changé. Je n’ai pas reculé d’un pouce », mais il ne pouvait pas accepter de voir « anéantir l’œuvre de Jaurès, l’unité constituée après Amsterdam sur la base du socialisme de classe87 ».
Vers le congrès de Tours
56Diverses réunions eurent lieu dans les semaines qui précédèrent le congrès. Le rapprochement entre certains reconstructeurs et les amis de Renaudel se confirmait, mais seuls ces derniers envisageaient une scission. La clarté ne dominait pas non plus cette aile du parti, où s’enchevêtraient dans une fine complexité les relations entre la Vie socialiste de Renaudel, le groupe composite auteur de la motion pour l’unité internationale, avec Blum, ancien centriste, Bracke, ancien majoritaire et Mayéras, ancien minoritaire, les amis d’Albert Thomas ou ceux de La France libre restés au Parti tel Compère-Morel. À l’autre bord, Souvarine continuait sa campagne personnelle contre Longuet. Son très violent article, « Le mensonge de l’unité », par son titre même, comme par son contenu et par la date de sa publication, le lendemain de l’article de Longuet consacré aux enseignements du congrès de Halle, montrait clairement sa détermination88. Son emprisonnement limitait cependant ses moyens d’action et Longuet pouvait espérer circonscrire son influence en plaçant le débat entre Frossard et lui, entre les reconstructeurs hostiles à l’adhésion et les reconstructeurs qui y étaient favorables. Il préféra donc ne pas répondre à Souvarine et entreprit de débattre avec Frossard.
57La discussion portait sur la dictature du prolétariat, l’action parlementaire et l’organisation du Parti. Longuet, qui à Tours déclara que le socialisme français « appartient » à son passé, ne concevait la dictature du prolétariat que sous une forme impersonnelle et pour une période brève, celle de l’insurrection, à l’image des précédents révolutionnaires de 1792-1793, 1848 ou 1871. Il refusait de confondre la dictature du prolétariat avec l’État prolétarien. En quelque sorte, celui-ci aussi ne devait sortir de la légalité que pour rentrer dans le droit ! En attendant, il ne saurait être question de mépriser toute action pour les réformes, de nier l’utilité parlementaire pour défendre les intérêts matériels immédiats du prolétariat, pour construire une œuvre de législation ouvrière et sociale. Le plus inacceptable était la conception du parti. Longuet parla de « tentative de meurtre sur notre unité » et retrouva les mots des républicains du siècle précédent pour combattre ce « nouveau jésuitisme », la conception « militariste ou monacale » qui mettait le parti sous la coupe de « juges et pontifes omnipotents et omniscients ».
58Mais cette polémique dirigée contre les thèses de Moscou ne pouvait prétendre viser directement la politique et le comportement de la direction du Parti. Le désaccord au sein des anciens reconstructeurs une fois enregistré, les votes au sein des fédérations confirmant la force du courant favorable à l’adhésion, la question d’une éventuelle scission se posa. Au moment du congrès fédéral de la Seine, Longuet, mis en alerte par une expression discourtoise de Zinoviev à son égard : « on doit mettre le pistolet sur la poitrine de Longuet et de ses partisans », somma Frossard et ses amis de « cesser de concilier les inconciliables89 ». Rassuré ? En tout cas, Longuet apparut moins révulsé au lendemain du congrès fédéral, marqué pourtant par le triomphe de la motion d’adhésion90. Il pouvait donner l’impression qu’en fin de compte, il choisirait de demeurer dans le parti, même si la majorité votait l’adhésion. S’il maintenait ses critiques contre nombre des conditions, il estimait néanmoins que certaines n’étaient pas inacceptables. En outre, le tableau qu’il dressait des conséquences d’une scission : « La fraction de droite tendrait fatalement vers le ministérialisme et celle de gauche tomberait dans toutes les folies de l’anarchisme91 », le rappel qu’il était disposé à faire « tous les sacrifices pour l’unité » abondaient dans ce sens. Sa conclusion pouvait même laisser penser à Frossard qu’il ne serait guère difficile de le conserver dans le parti, à condition de savoir limiter les exclusions et de respecter quelques formes : « Je resterai dans le Parti. Mais si un seul militant est exclu pour un procès de tendance, nous serons tous solidaires ! » Cette position était approuvée par d’autres animateurs de la Reconstruction92. Renaudel, encore optimiste au début décembre sur l’attitude qu’allait adopter Longuet, se montrait inquiet au moment où s’ouvrait le congrès93. En revanche, les partisans de l’adhésion accentuaient leur pression pour obtenir son maintien94. Ce fut l’occasion du dernier article publié par Longuet dans L’Humanité95. Il renvoyait son ami Renoult à ses propres contradictions puisqu’il tenait un langage absolument opposé à celui de Souvarine, mais aussi à celui de Zinoviev et à sa dénonciation des « poux réformistes » et des « punaises opportunistes ». Pour Longuet, la portée de l’adhésion ne pouvait se réduire, comme le faisait son ami, à un appel plus ou moins rigoureux à la discipline ou à la mise à l’écart d’Albert Thomas, ce qui serait resté dans les schémas classiques de pensée et d’organisation du socialisme français, mais elle signifiait l’acceptation du principe de la condamnation de telle ou telle tendance, en raison de son opinion, et donc la fi n de la liberté de pensée. Cela n’excluait pas, au niveau national, une entente avec Frossard et ses amis, laquelle, avant même que s’ouvrit le congrès semblait réclamée par de nombreux congrès fédéraux, pourtant favorables à la motion Cachin-Frossard. Cela ne garantissait rien non plus : le ton de l’article était ferme, n’hésitant pas à dénoncer le « travail de déformation » de ses adversaires et Vaillant-Couturier pour sa part semblait moins convaincu après le congrès fédéral qu’auparavant du maintien au sein du parti de Longuet « et de son petit groupe ».
Tours : l’enthousiasme de l’ignorance (Longuet) contre l’ignorance de l’enthousiasme (Rappoport) ?
59Le choix de Tours avait eu lieu à la demande de Bracke, les partisans de l’adhésion auraient préféré Paris, où auraient pu facilement venir en soutien les militants favorables à leurs thèses, mais précisément le souvenir des séances tumultueuses des congrès des années de guerre incitait à la prudence leurs adversaires, renforcés en l’occurrence par Frossard et certains de ses amis reconstructeurs, souhaitant une atmosphère plus calme afin d’être moins exposés aux emportements des mouvements de séance96. Ce congrès qui marqua, désespéra et vieillit Longuet ne fut pas dominé par lui : il était trop au centre des enjeux, trop impliqué personnellement pour être en mesure d’affirmer son autorité. Le texte même de sa motion, favorable à une adhésion avec réserves, ne permettait pas de savoir ce que serait son choix ultime. Son élaboration avait subi des pressions antagonistes.
60Longuet fut constamment présent dans les débats, en séance publique comme dans les réunions officieuses des couloirs, hôtels et restaurants. Un rapport de police a conservé le souvenir d’une entrevue avec Frossard le 25 décembre au soir97, Manier évoqua une réunion des principaux reconstructeurs avec Frossard au soir de la « radieuse » et « réconfortante » journée du dimanche 26, une autre rencontre est attestée le 28, mais elles ne durent pas être les seules. Jean-Louis Robert a relevé les évolutions du comportement de Longuet au cours du congrès : d’abord soutien le 25 à la formule proposée par Frossard de commencer par les exposés des délégués fédéraux. Il se distinguait ainsi des animateurs du comité de résistance socialiste qui souhaitaient faire apparaître clairement les raisons de principe de leur refus. Il dévoila rapidement lui-même ses intentions : jouer sur le fort sentiment unitaire qui devait exister parmi les militants pour déplacer les termes de l’affrontement et ainsi parvenir à une solution qui fasse l’économie de la scission. De nombreuses fédérations (Allier, Aube, Corrèze, Drôme, Eure, Gers, Gironde, Indre, Loir-et-Cher, Loire, Marne, Meuse, Pas-de-Calais, Seine-et-Marne, Vosges…) favorables à l’adhésion répondirent à ses attentes en lui affirmant leur sympathie et en refusant de le laisser à l’écart du futur parti, voire en le suppliant de « venir avec nous faire la révolution98 ». L’audition terminée, Longuet pouvait mettre en avant que vingt-cinq fédérations au moins avaient voté l’adhésion « dans un esprit totalement différent de celui du comité parisien de la IIIe Internationale99 ». Sens du détail et du respect des faits, confirmation aussi qu’au début du congrès les reconstructeurs recherchaient encore la possibilité d’une entente avec Cachin et Frossard alors que la Résistance était davantage résolue à la scission. Longuet pouvait donc écrire dans Le Populaire : « La première journée du Congrès national fut, somme toute, satisfaisante100. » De même, l’éditorial du Populaire le 28 confirmait implicitement le maintien des longuettistes au sein du Parti après le vote favorable sur l’adhésion, en se contentant d’indiquer que pour le Parti « loin d’être close », « l’ère des difficultés ne [faisait] que commencer101 ».
61Le « télégramme Zinoviev », lu par Le Troquer lors de la première séance du 28 décembre, bouleversa les données du débat. « Agents déterminés de l’influence bourgeoise sur le prolétariat », Longuet, Faure et leurs amis voyaient ruinée la possibilité d’un accord avec Frossard et Cachin. La lettre de Klara Zetkin, qualifiant Longuet de « réformiste opportuniste », puis son intervention théâtrale, reprenant les mêmes griefs et plaidant pour un « parti centralisé et fortement discipliné » réduisait la marge de manœuvre des anciens reconstructeurs. C’était même, fort probablement, son principal objectif. Que l’intervention interrompue par l’arrivée de Klara Zetkin fut précisément celle de Frossard avait une haute valeur symbolique102. Celui-ci essaya bien de plaider qu’il se refuserait à voter l’exclusion de Longuet, qu’il se solidariserait avec lui si une telle mesure était votée par le congrès, l’évidence du désaccord de Moscou avec une telle orientation en gênait fort l’application. Pour Paul Faure, partisan de privilégier la recherche d’une entente avec le comité de Résistance, la situation pouvait ainsi apparaître clarifiée. Pour Longuet, tout devenait beaucoup plus compliqué.
62Après Sembat, Cachin, Blum, Frossard, ce fut désormais au tour de Longuet d’intervenir et son discours était attendu. Ce dernier n’est pas passé à la postérité, contrairement à celui de Blum, fortement ancré sur le refus de principe du bolchevisme, ou même ceux des partisans convaincus de l’adhésion tels Cachin ou Vaillant-Couturier. Comme Frossard, Longuet se trouvait dans une situation quelque peu incommode, puisque ce discours s’inscrivait encore pour lui dans le moment présent, dans une bataille tactique afin d’empêcher, ou en tout cas, de réduire la scission. Homme de la pratique, peu porté aux controverses doctrinales, il se refusait de surcroît à opposer « théorie à théorie », « en juriste ou en philosophe ». Il était convaincu qu’il fallait tenir compte de « l’adaptation des théories abstraites à la réalité et de la façon dont elles évoluent nécessairement lorsqu’elles entrent dans les faits » : c’était se placer sur le même terrain que Frossard, et, accessoirement, rappeler la force de la formation positiviste dans la vision du monde de ces dirigeants socialistes, la religion du fait l’emportant sur celle de la théorie… Tiraillé, angoissé, malheureux, Longuet ne dissimula ni son émotion, ni sa fatigue : dernier orateur de la séance du 28 après-midi, il demanda le report de la fin de son intervention au lendemain matin, sans doute aussi afin de permettre d’ultimes négociations103.
63Cela dit, son intervention ne manqua pas de force104. Face à une scission imposée de l’extérieur, il réclamait un sursaut de « fierté nationale ». Il entendait maintenir l’esprit des résolutions du congrès de Strasbourg et se refusait à abandonner l’espoir de la reconstruction d’une Internationale unique. Il voulait « maintenir le contact non pas avec une fraction sélectionnée plus ou moins arbitrairement des forces socialistes et révolutionnaires dans le monde, mais avec le prolétariat international tout entier, avec Moscou et aussi avec ce qui n’est pas à Moscou105 ».
64Aussi, commença-t-il par une longue évocation des partis socialistes demeurés hostiles à l’adhésion à cette Internationale qu’il qualifiait de « limitée, fragmentée et sectaire », sans oublier ceux qui d’abord entraînés par l’enthousiasme commençaient à manifester leur désenchantement. S’il rendait hommage à la « force révolutionnaire » des Russes, comme à la noble et pure figure de Klara Zetkin, il se refusait à couper avec l’ensemble des forces socialistes du monde, et particulièrement avec le prolétariat européen. Il le déclara sans ambages à Vaillant-Couturier : « Je souris de l’idée que c’est sans le prolétariat d’Europe que vous feriez la révolution… » Il comprenait l’attrait que représentait la Révolution russe pour les peuples colonisés, mais, premier élément d’un débat toujours en suspens sur le sens de cet attrait, il ne croyait pas que la force de ces mouvements anti-impérialistes pourrait, par elle seule, servir les principes socialistes :
« Vous avez toute une série de nationalistes orientaux, vous avez des peuples que l’on foule aux pieds, que les impérialismes d’Angleterre et de France ou d’autres nations européennes maintiennent en état de servage. Et ces peuples se tournent, non pas vers le communisme de Moscou, mais vers la force politique de Moscou […] les Turcs, les Persans, les Coréens, les Hindous, les Chinois, quand ils tendent vers la Révolution russe leurs bras suppliants, rendent le plus bel hommage à la force révolutionnaire de la Russie… C’est entendu, mais quel est celui d’entre vous qui viendrait soutenir que c’est une adhésion aux principes socialistes, tels que Marx et Engels nous les ont enseignés106. »
65L’efficacité de l’action internationale supposait le maintien de l’unité internationale. Longuet multiplia les appels au cœur et à la raison des congressistes, rappelant les luttes du passé et avouant qu’il voulait l’unité « avec rage, avec passion ». Il en posait toutefois les limites. Reprenant la métaphore de Blum sur la vieille maison, citant le discours à la jeunesse de Jaurès, il attendait des dirigeants du Parti qu’ils aient le courage de rendre respirable l’air de ladite maison. Le courant favorable aux thèses bolcheviques était plus ou moins assimilé par lui à une crise de « fanatisme », le télégramme de Moscou était un « outrage » et une « provocation ». Loin de toute discussion scolastique ou conjoncturelle, sa conclusion reposait sur un émouvant appel à la fierté personnelle et à la fierté nationale des militants et des ouvriers français :
« Le moment est venu, pour vous, de dire si vous êtes disposés à recevoir le knout. – Moi, je ne le suis pas. […] Notre parti a tout de même un passé, notre prolétariat a tracé, dans l’histoire, un sillon qui lui permet de ne pas aller la corde au cou et la tête couverte de cendres, comme s’il était indigne d’entrer dans les comités socialistes. Le prolétariat […] a donc le droit d’avoir la figure fi ère ; il appartient à son passé, un passé, camarades, que je vous demande de ne pas renier107… »
66La journée du 29 décembre fut décisive. L’émotion était partagée par les divers protagonistes. Roland qualifia cette journée de « journée des larmes » : « Verfeuil pleure à la tribune, Frossard pleure, Longuet pleure, Paul [Faure] pleure, on voit des délégués tirer leur mouchoir et s’éponger les yeux108. » D’ultimes négociations intervinrent : avec Mistral et Le Troquer, Longuet rencontra Renoult pour étudier les possibilités d’un compromis109. Il fut le dernier des reconstructeurs à se résoudre à l’idée que la scission était inévitable, si le congrès se refusait à voter la motion Mistral, en réponse à « l’abominable télégramme Zinoviev110 ». La séance du 29 après-midi, ouverte à 15 h 20, dut être suspendue à deux reprises successives pendant plusieurs heures pour attendre le retour de Longuet et le résultat des dernières négociations. Formellement, la scission ne se fit pas sur l’adhésion à l’Internationale communiste, puisque la minorité continua à participer aux débats après le vote, mais sur le refus de la majorité de s’engager en faveur du maintien de « l’unité actuelle » du parti111. La présence des recontructeurs, et singulièrement celle de Longuet, était souhaitée, non celle de l’aile droite, groupée au sein du comité de résistance socialiste. Mais, même hésitant, Longuet n’acceptait guère que la mise à l’écart de Thomas et il se refusait à se séparer de « la magnifique parure intellectuelle de notre parti112 ».
67Le vote intervint en soirée et l’indignation de Longuet put s’exprimer. Au-delà des divergences politiques, se jouait, comme l’a bien montré Jean-Louis Robert, la vérité de l’homme. Longuet se refusait à se soumettre à la seule loi de la force. Cela avait déjà été le sens de son interruption à l’encontre de Rappoport auquel il reprochait de donner raison à Lénine parce que « maintenant, il était le plus fort113 ». Devant les partisans triomphants de l’adhésion, il avait visiblement du mal à se contenir. À Renoult, qui se disait prêt à « discuter » les termes du « télégramme Zinoviev », à apporter quelques nuances afin de conserver dans le parti Longuet et ses amis, il lança amèrement plusieurs interjections :
« Ah ! seulement discuter ? […] On peut peut-être discuter si nous sommes les agents de la bourgeoisie. […] L’expression “agents de la bourgeoisie” est une impertinence ! […] Il est joli, le camarade ! [à propos de Zinoviev] […] Non ! non ! je suis un agent de la bourgeoisie, je ne peux plus vous être cher. […] Ce n’est pas une interprétation, il y a des mots114. »
68Si, à l’égard de Frossard, qui multiplia les prévenances : « affection profonde » pour Longuet… « vous n’êtes pas des serviteurs de l’influence bourgeoise », ses interruptions adoptaient une tonalité légèrement plus apaisée, Vaillant-Couturier suscita la protestation émue et révélatrice d’une conscience meurtrie :
« Vaillant-Couturier : Il faut maintenant que vous compreniez qu’il n’y a plus de questions d’amour-propre…
Longuet : C’est là une question d’amour-propre ! Lorsqu’on vous traite de traître, vous dites merci !
Vaillant-Couturier : Vous avouez donc que c’est une question d’amour-propre.
Longuet : Savez-vous ce qui distingue l’homme de l’esclave ? c’est qu’il a une dignité115. »
69Il n’est pas certain que l’attitude de Longuet fut toujours bien comprise sur le moment : ne donnait-il pas un tour trop personnel à la question, alors que se jouaient des décisions politiques fondamentales et que les bouleversements de la guerre et de la révolution s’étaient accompagnés de plusieurs millions de deuils ? Les deux années qu’il avait passées en première ligne du Parti socialiste ne se concluaient-elles pas par l’effondrement complet de ses propositions ? Échec en 1919 de la tentative de reconstitution de l’Inter nationale existante, échec des socialistes français aux élections de la fin d’année, échec du mouvement syndical, en dehors de l’action politique elle-même, mais qui ne pouvait rester sans conséquences. Échec en 1920 de la reconstruction de l’Internationale, les Britanniques restant à la Deuxième, les Allemands se divisant avant les Français, et surtout mise sur pied beaucoup trop tardive d’un nouveau regroupement international, faillite enfin du courant longuettiste, incapable de maintenir une stratégie commune et se déchirant à partir du voyage de Cachin et de Frossard. Sans doute, ces échecs dépassaient la personnalité de Longuet : ils étaient souvent d’inévitables chocs en réplique consécutifs à celui de la guerre. Leur précipitation et leur accumulation ne pouvaient qu’accabler le directeur du Populaire, de plus en plus isolé malgré les protestations d’amitié. Pour l’heure, un universitaire encore proche des milieux socialistes pouvait écrire à son ami, d’une gauche plus modérée, ces acides remarques où ne se lisait pas seulement le mépris du normalien pour le politicien au rayonnement plus limité, mais aussi une appréhension des enjeux du congrès témoignant de la force du rejet dont étaient victimes les adversaires de l’adhésion :
« Je vis maintenant très en dehors de semblables débats. Mais à en juger par [illis.] c. r. de L’Humanité l’attitude de Longuet et de ses amis paraît [illis.] assez piètre : quelles qu’aient pu être ses raisons profondes il a eu la sottise de mettre au premier plan son amour-propre blessé, ce qui dans l’espèce lui donne une attitude assez répugnante ; mais il est tellement bête. Quant aux Blum et Paul-Boncour il était depuis longtemps manifeste qu’ils organisaient la scission, suivant l’expression de Mauss, s’adressant à ma personne. Ils sont d’ailleurs dans la logique de leur tempérament, “ils” ne sont pas taillés pour l’opposition même parlementaire. Notre scepticisme est devenu si profond que je ne vois pas ce que les autres pourront bien faire, dans le gâchis actuel. Mais c’est à eux que vont tous mes vœux116. »
70En fait, le refus de Longuet fut avant tout d’ordre intérieur. La difficulté ne tenait pas tant à la nécessité d’adopter telle ou telle proposition politique qu’à l’obligation de souscrire à des méthodes d’action contradictoires avec la culture politique structurant sa personnalité. Longuet aurait pu souscrire aux lignes de Claude Nicolet concernant la République intérieure :
« Un républicain français peut en somme penser ce qu’il veut, pourvu qu’il pense par lui-même. […] Ce n’est pas avec certaines convictions que la République est incompatible, c’est avec la manière dont l’individu acquiert ces convictions. […] De même que si un peuple aliène volontairement sa liberté, il cesse à l’instant d’être un peuple [comme l’avait dit Rousseau], de même un individu qui aliène par avance sa pensée à une autorité ultramontaine abdique sa qualité de républicain117. »
71Aussi, son attitude ne prit tout son sens que lorsqu’elle put être jugée à l’aune des conséquences humaines engendrées par les méthodes et les principes combattus. La culture politique de Longuet était républicaine. À ce titre, elle pouvait accepter l’insurrection, mais pas la dictature prolongée, ni l’abolition du débat, la remise en cause du libre examen. C’est ce qui explique l’incompréhension fondamentale entre Vaillant-Couturier et Longuet à Tours : deux cultures politiques s’opposaient, l’une privilégiant la nécessité de la Révolution, l’autre ancrant le socialisme dans la République.
Notes de bas de page
1 « Une agence de désertion », L’Action française, 31 octobre 1918, initie la campagne contre Longuet.
2 L’Action française, 24, 27, 29 novembre, 10 et 19 décembre 1918.
3 Par exemple : « polisson philoboche et braillard », « député périmé », « député allemand » et « avocat marron », « bandit du genre flasque », « lièvre rouge », « belliqueux froussard », « sous-Lénine », « terreur en mie de pain »…
4 Cf. A. Zévaès, Faits et documents. Le dossier de M. Jean Longuet, Éditions de L’Effort, 1919. Le Parti socialiste national, animé par Hervé, Zévaès et Orry, rejoints par Allemane et les rescapés du Parti ouvrier, est brièvement évoqué par Z. Sternhell, Ni droite, ni gauche, Seuil, 1983, p. 33.
5 J. Longuet, « La famine à Vienne et l’Internationale », L’Humanité, 25 mars 1919.
6 J. Longuet, « La politique du Quai d’Orsay » et « Nos impérialistes et la Grande Pologne », L’Humanité, 21 janvier et 25 février 1919.
7 J. Longuet, « L’Irlande veut son indépendance », L’Humanité, 12 mars 1919.
8 J. Longuet, « Les socialistes et le problème autrichien », L’Humanité, 5 mars 1919.
9 APP, Ba 1470, 10 octobre 1918.
10 En compensation, Longuet se montrait aimable pour les Grecs de la région, jugés à bon droit « intelligents et pratiques », certes, mais aussi « prêts à vivre avec la population musulmane » (J. Longuet, « Les Grecs d’Asie Mineure », Le Populaire, 18 juin 1918). Lorsque les Grecs revendiquèrent la région de Smyrne et la Thrace, Longuet les jugea « atteints de la folie des grandeurs » et il prit la défense du « misérable paysan turc […] qui n’a jamais pris l’initiative d’aucune cruauté […] être droit, honnête et laborieux », pour conclure plus prudemment « nous sommes avec tous les opprimés » (J. Longuet, « L’islam et le socialisme », « Turcs et arméniens », Le Populaire, 29 mai et 1er juin 1920).
11 J. Longuet, « L’impérialisme déchaîné », L’Humanité, 19 mars 1919.
12 Cf. l’intervention de Thomas à la séance du 29 août 1919, Chambre des députés. Thomas allait s’inspirer de ces principes à la tête du BIT, ce qui allait lui ramener la sympathie de nombreux socialistes, dont celle de Longuet.
13 Les autres membres de cette délégation, reçue par Wilson le 17 décembre 1918, étaient Cachin, Laval, Renaudel, Thomas et Varenne.
14 Jean Longuet, « Pourquoi le prolétariat acclame Wilson », Le Populaire, 15 décembre 1918.
15 Chambre des députés, séance du 18 septembre 1919.
16 L. Trotski, « Jean Longuet », 18 décembre 1919, cf. Le Mouvement communiste en France, Minuit, 1967, p. 67-74.
17 À un député qui lui reproche de parler de patrie et du droit des peuples, Longuet réplique : « Je ne suis pas antipatriote. Je suis internationaliste, et c’est parce que je suis internationaliste que je veux qu’on respecte toutes les nations. »
18 Il est probable que le pseudonyme était à usage collectif. Les liens entre le jeune militant Nguyen Tât Thành et Jean Longuet sont évoqués par Thu Trang Gaspard, Hô Chi Minh à Paris, L’Harmattan, 1992.
19 Aspect que souligna fortement Trotski pour démontrer l’incompatibilité des positions bolcheviques avec celles de Longuet.
20 R. Rolland, Journal des années…, op. cit., 14 novembre 1918, p. 1649.
21 A. Thomas, « Démocratie ou Bolchevisme », « Oui, il faut s’entendre », « Encore le bolchevisme », L’Humanité, 9, 16 et 26 novembre 1918.
22 L. Blum, « Il faut s’entendre », L’Humanité, 15 novembre 1918.
23 J. Longuet, « Socialisme et Bolchevisme », « Révolution russe et Révolution allemande », L’Humanité, 19 et 26 novembre 1918.
24 J. Sadoul, lettre à Jean Longuet, 17 janvier 1919, OURS, dossier Longuet.
25 Le Populaire, 16, 31 janvier, 28 février 1919.
26 J. Longuet, « Comment on calomnie la Révolution russe », L’Humanité, 29 janvier 1919.
27 J. Longuet, « L’intervention armée en Russie », Le Populaire, 14 juillet 1918
28 Chambre des députés, séance du 12 juin 1919.
29 J. Longuet, Pour nos frères de Russie, Éditions du groupe communiste de Paris, mars 1919, qui reprend son article du Populaire, 12 janvier 1919.
30 La lettre de Longuet à Lénine fut publiée par le Bulletin communiste, 3 février 1921, avec les commentaires injurieux habituels de Souvarine, présentant Longuet comme « bête et méchant ».
31 J. Sadoul, lettre à Jean Longuet, op. cit.
32 J. Longuet, « Le régime de la Russie et ses calomniateurs », Le Populaire, 24 octobre 1919.
33 L’Humanité, 13 juillet 1920.
34 17e congrès national tenu à Strasbourg les 25, 26, 27, 28, et 29 février 1920, compte rendu sténographique, Parti socialiste, 1920, p. 363.
35 J. Longuet, « L’Internationale va enfin se réunir », Le Populaire, 25 décembre 1918.
36 J. Longuet, « Deux morts » et « Karl Liebknecht. Rosa Luxemburg », Le Populaire, 18 et 19 janvier 1919.
37 J. Longuet, « Où en est la Révolution allemande ? Ce que nous en dit Hugo Haase », Le Populaire, 6 mai 1919.
38 J. Longuet, « Élections allemandes », 6 juin 1920. L’USPD avait obtenu 18 % des suffrages (+10), le SPD 21 % (-17) et le KPD 2 %.
39 J. Longuet, « Quatre ans de lutte pour l’Internationale », Le Populaire, 26 janvier 1919, et P. Dogliani, « Jean Longuet et la Deuxième Internationale », Jean Longuet, la conscience…, op. cit.
40 P. Renaudel, L’Internationale à Berne, Grasset, 1919 et J. de Kay, L’esprit de l’Internationale à Berne, Lucerne, Schloss Steinhof, 1920.
41 Cf. Die II. Internationale 1918/1919. Protokolle, Memoranden, Berichte und Korrespondanzen, herausgeben, eingeleitet und kommentiert von Gerhard A. Ritter, Berlin-Bonn, J.H.W. Dietz Verlag, 1980, 2 vol., 960 p. et M. Cachin, Carnets, op. cit., tome II, p. 354-368.
42 Cf. Ritter, op. cit., p. 272.
43 M. Cachin, « La conférence de Berne », L’Europe nouvelle, 25 janvier et 15 février 1919 et P. Faure, « Après Berne », Le Populaire, 15 février 1919.
44 Lettre de Longuet à Huysmans, 24 juillet 1920, Fondation Feltrinelli.
45 J. Longuet, « L’action d’abord, le congrès après », Le Populaire, 20 juin 1919.
46 Le Populaire, 1er au 6 août 1920.
47 J. Longuet, « Vers la réorganisation de l’internationale », Le Populaire, 9 janvier 1920.
48 Lettre de Longuet à Huysmans, 13 janvier 1920, Fondation Feltrinelli.
49 M. Cachin, « Pour notre doctrine », L’Humanité, 22 avril 1919.
50 90 000 adhérents au Parti à la veille de la guerre, 34 000 en 1918, 139 000 en 1919. L’Humanité vendait 9 000 exemplaires à Paris en octobre 1918, 18 000 en mars 1919, 50 000 en mai, Le Populaire passa de 8 700 à 16 000 exemplaires vendus puis 65 000 à l’automne, cf. J.-L. Bouvier, Le Populaire…, op. cit. ; M. Cachin, Carnets, op. cit., p. 349, APP, Ba 1472.
51 L’Humanité, 21 juillet 1919. Alphonse de Chateaubriant et Pierre-Jean Jouve étaient également annoncés… Cf. C. Prochasson, « L’Humanité, un journal d’intellectuels », Les Intellectuels…, op. cit., p. 201-210.
52 Labrousse interviewe des personnalités politiques comme Painlevé, Combes, Caillaux, Viviani ainsi que des intellectuels comme Charles Gide, Aulard, Seignobos.
53 17e congrès…, op. cit., p. 91-94.
54 Ibid, p. 263, 362 et 437.
55 J. Longuet, « Le vote des femmes », Le Populaire, 21 novembre 1918 et 22 mai 1919.
56 L. Roland, Carnets, 29 et 31 octobre 1919, op. cit.
57 Une liste incomplète pour l’Action française (0,6 % des exprimés) et deux candidats « techniciens syndicalistes », susceptibles de prendre des voix à la liste socialiste (4,6 %).
58 Cf. A. Kriegel, La Grève des cheminots, 1920, A. Colin, 1988.
59 L. Roland, Carnets, 6 février 1920, op. cit.
60 Sur le maintien au sein de la Deuxième Internationale, il ne regroupait plus que 7 % des mandats.
61 17e congrès…, op. cit., p. 362-364.
62 J. Longuet, « Le problème de Strasbourg et le socialisme français », L’Humanité, 11 février 1920.
63 B. Souvarine, « Rendons justice aux communistes allemands », L’Humanité, 19 avril 1920 et Lettre de Longuet à Cachin, 19 avril 1920, L’Humanité, 20 avril 1920.
64 Le comité de la Troisième Internationale avait décidé la rupture avec Le Populaire le 13 février, peu avant l’ouverture du congrès à Strasbourg. Souvarine présenta Le Populaire comme « le journal éphémère d’un aventurier » (B. Souvarine, « Une situation nette », Bulletin communiste, 1er avril 1920).
65 Le Populaire ne comptait plus que 2 225 abonnés en janvier 1921. Les ventes avaient diminué des trois quarts en une année.
66 Par exemple en avril au cours du meeting de La Voix des femmes ou à la fête du Populaire de septembre 1920.
67 Longuet en donna un compte rendu oral à la CAP du 8 avril 1920, mais non écrit.
68 J. Longuet, « Impressions d’Angleterre » et « Le socialisme anglais et le problème de l’Internationale », Le Populaire, 28 mars et 5 avril 1920. Au même moment, Lénine écrivait La Maladie infantile du communisme, le gauchisme.
69 L.-O. Frossard, De Jaurès à Lénine, op. cit., p. 134.
70 Bulletin communiste, 17 juin 1920.
71 La Vie socialiste, APP, Ba 1692.
72 Cf. sous un grand titre « Et Varsovie va tomber ! » sur toute la une, complété par « La victoire triomphale de Moscou. La chute de Varsovie liquidera l’affaire polonaise », l’interview par Longuet d’un socialiste antigouvernemental : « La Réaction chauvine et cléricale s’appuie sur le “Parti polonais socialiste” nous dit un militant de Varsovie », Le Populaire, 6 août 1920.
73 Le Populaire, 6 juillet 1920.
74 Le 14 décembre 1920, Souvarine écrira à Lénine : « Si [Frossard] avait pu prévoir que Longuet ne serait pas avec lui, il aurait hésité à signer sa déclaration de Moscou, car il ne conçoit pas le Parti socialiste sans Longuet » (Les Cahiers d’histoire sociale, 1, automne 1993).
75 Le Populaire, 30 août, 1er, 2 septembre 1920.
76 J. Longuet, « Les conditions de Moscou » et « La crise socialiste », Le Populaire, 10 et 12 septembre 1920.
77 Archives Longuet Marx, dossier S. F. I. O., 1918-1938 (I).
78 B. Manier, Tours et alentours, la genèse d’une scission, SMI, 1921.
79 B. Souvarine, « Critique des déclarations et rapports faits par Marcel Cachin et Louis Frossard », Bulletin communiste, 16 septembre 1920.
80 « Quand l’erreur devint système, toute collaboration fut impossible. Aujourd’hui tout ménagement serait sans excuse […]. Doux et timide devant les ennemis du socialisme, il sait être perfide, sournois et méchant à l’égard des serviteurs du socialisme […] l’épithète sectaire a réponse à tout. C’est son dernier mot. C’est aussi son premier mot. Bref, c’est son mot. Il lui tient lieu de pensée, de doctrine, de raison, de talisman » (Varine [Boris Souvarine], « Réponse à Longuet », Bulletin communiste, 10 juin 1920).
81 R. Verfeuil, L’Apostolat, La Vague, 1925, préface de Victor Margueritte.
82 Le Populaire, 24 septembre 1920.
83 L’Humanité, 18 novembre 1920.
84 Jean Longuet, der Führer der französischen Sozialisten, über das Moskauer Diktat. rede auf dem Parteitag der U.S.P.D. in Halle. Manifest der Parteileitung der Unabhängigen Sozialdemokratie Deutschlands, Leipziger Buchdruckerei, 1920, 19 p., IIHS, Bro D 1800/1750. Cf. aussi ses articles du Populaire, « Le congrès des Indépendants d’Allemagne », « Au congrès de Halle. Zinoviev a prononcé un discours éloquent et habile » (mais dans son analyse, Longuet le jugeait en fait « très habile, très éloquent… et très démagogique »), et « Le discours de Longuet à Halle », Le Populaire, 16, 17 et 19 octobre 1920.
85 J. Longuet, « Les enseignements du congrès de Halle », L’Humanité, 25 octobre 1920.
86 J. Longuet, « Un ridicule canard », Le Populaire, 29 novembre 1920.
87 J. Longuet, « Mise au point », Le Populaire, 12 novembre 1920.
88 Varine, « Le mensonge de l’unité », L’Humanité, 26 octobre 1920.
89 J. Longuet, « Chez les socialistes parisiens », Le Populaire, 16 novembre 1920.
90 La motion d’adhésion obtint 13 488 mandats (78,7 %) contre 2 114 (12,3 %) à celle de Longuet-Faure et 1 061 (6,2 %) à Blum-Paoli, L’Humanité, 29 novembre 1920.
91 L’Humanité, 22 novembre 1920.
92 Réunion de la Vie socialiste et des Reconstructeurs, 25 novembre 1920, APP, Ba 1692.
93 Réunions de la Vie socialiste, 9 et 23 décembre 1920, APP, Ba 1692.
94 D. Renoult, « Verfeuil et Longuet », L’Humanité, 23 novembre 1920. « Quel veinard ce Longuet ! On se l’arrache » plaisanta Mauranges, Le Populaire, 15 décembre 1920.
95 J. Longuet, « Frossard ou Zinoviev ? », L’Humanité, 26 novembre 1920.
96 Le choix de Tours fut acquis par 13 voix contre 11 à la CAP.
97 J. Charles, J. Girault et al., Le Congrès de Tours, op. cit., p. 223.
98 Ibid., expression du délégué creusois, p. 249. Selon Manier, « Longuet était enthousiaste » de ces appels des fédérations.
99 Ibid., p. 346.
100 « L’audition des secrétaires fédéraux s’est poursuivie ce matin », Le Populaire, 27 décembre 1920.
101 A. Pierre, « Que se passera t-il après l’adhésion à Moscou ? », Le Populaire, 28 décembre 1920.
102 « Je n’étais pas prévenu », indiqua Frossard, De Jaurès à Lénine, op. cit., p. 179. Manier le décrit « démonté, brisé, troublé ».
103 Le soir du 28, Longuet refusa encore d’entrer immédiatement en rapport avec la Résistance socialiste, ce que demandaient les trois quarts des délégués reconstructeurs. Frossard et Longuet se rencontrèrent une dernière fois, Le Congrès de Tours, op. cit., p. 451.
104 Quelques témoignages favorables, parfois inattendus : « beau plaidoyer pour l’unité », selon É. du Réau, Édouard Daladier, Fayard, 1992, p. 52, également dans R. Verdier, Bilan d’une scission, Gallimard, 1981, p. 145-151. S. Courtois et M. Lazar le jugent « bref » (donc non fastidieux ?), alors qu’il est aussi long que celui de Blum, dans leur Histoire du P.C.F., PUF, 1995, p. 66.
105 Le Congrès de Tours, op. cit., p. 539.
106 Ibid., p. 536-537.
107 Ibid., p. 550-551.
108 L. Roland, Carnets, op. cit., 29 décembre 1920. Cf. aussi R. Verfeuil, L’Apostolat, op. cit., p. 288.
109 R. Verfeuil, ibid., p. 585 et F. Crécy, « Comment a été brisée l’unité socialiste ? », Floréal, 15 janvier 1921.
110 APP, Ba 1692 et archives Longuet Marx, dossier SFIO 1918-1938 (I).
111 Le texte de la motion Mistral, adoptée le 28 au soir par les Reconstructeurs, était très bref : « Le Congrès, profondément ému par les télégrammes du Comité exécutif de la IIIe Internationale et les violentes polémiques qu’il contient, déclare qu’il se refuse à s’engager dans la voie des exclusions demandées par ce télégramme et proclame sa volonté de maintenir intacte l’unité actuelle du Parti socialiste. » La majorité lui opposa une motion Renoult qui fut adoptée par 3 247 voix contre 1 398 et 143 abstentions.
112 Le Congrès de Tours, op. cit., p. 616. Verfeuil dans son roman L’Apostolat décrit un Courtès-Longuet poussé vers le refus, presque à son corps défendant, par Paul Faure (Pollaure) et Mistral (Camistre).
113 Ibid., p. 443.
114 Ibid., p. 599-604.
115 Ibid., p. 613-614.
116 Lettre de Henri Wallon à Lucien Febvre, 31 décembre 1920, AN, archives L. Febvre.
117 C. Nicolet, L’Idée républicaine…, op. cit., p. 503-504.
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