Jean Longuet
|Deuxième partie. Patriotisme et internationalisme à l'épreuve de la guerre
Chapitre V. À la tête de la minorité
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FranceTexte intégral
1Au cours de l’hiver 1914-1915 avait mûri un courant de protestation contre la guerre. Certes, il ne contredisait pas nécessairement, mais se surimposait plutôt à la nécessité de « tenir ». Pour autant militants et dirigeants socialistes étaient de plus en plus nombreux à ne pas se satisfaire de la parole officielle du socialisme français engagé dans la défense nationale et la solidarité gouvernementale. Ce trouble finit par prendre une telle ampleur que des cadres de la SFIO, en général de rang moyen, qui ressentaient ce malaise, décidèrent de prendre position publiquement au printemps 1915 et de s’organiser en tendance au sein du Parti. Jean Longuet s’imposa à un double titre comme la figure de proue de ce rassemblement : il était spécialiste de politique internationale et le plus connu de ces « minoritaires », député de surcroît.
Organisation et propagande minoritaires
La minorité s’affirme…
2Une nouvelle période s’ouvrit donc au sein du Parti socialiste avec l’apparition officielle du courant minoritaire, à partir de la transmission le 15 mai 1915 du rapport de la fédération de la Haute-Vienne aux organismes dirigeants et aux autres fédérations. Ce texte émanait d’une fédération puissante, fière de ses quatre députés (Betoulle, maire de Limoges, Parvy, Pressemane, Valière), et de son quotidien, Le Populaire du Centre, animé par Paul Faure. Ces élus, comme le remarqua Rosmer, n’étaient cependant pas encore des notables chevronnés. Le plus âgé, et le plus modéré, Léon Betoulle, député-maire de Limoges, n’avait que quarante-quatre ans et ses collègues parlementaires n’avaient pas encore atteint la quarantaine.
3Le rapport avait été adopté par une réunion plénière des groupes de la fédération le 9 mai. Fief guesdiste, la Haute-Vienne allait ainsi à l’encontre de ses anciens guides, Guesde lui-même, Bracke, et Cachin, qui autrefois avait exercé les fonctions de rédacteur en chef du Populaire du Centre… Document au ton mesuré, le rapport accumulait cependant les griefs à l’encontre des organismes dirigeants, groupe et CAP, et du quotidien national. La revendication fondamentale qui sous-entendait un infléchissement notable de la ligne suivie concernait l’éventualité d’une paix de compromis :
- 1 Le texte fondateur de la minorité fut maintes fois reproduit, entre autres : La Minorité du Parti (...)
« Que [le Parti socialiste] ne décourage ou ne désavoue aucune des tentatives qui pourront être faites par des sections socialistes d’autres pays pour rechercher les moyens d’en finir avec cette boucherie effroyable où coule le sang des peuples innocents et victimes ; qu’il tende une oreille attentive à toute proposition de paix d’où qu’elle vienne, étant entendu que l’intégrité territoriale de la Belgique et de la France ne saurait être contestée dans les bases de discussion1. »
4La CAP répliqua par un texte daté du 14 juin 1915, et lui aussi adressé à toutes les fédérations. Elle demanda expressément aux fédérations et aux sections de se déterminer et de choisir entre les deux orientations proposées. La controverse était donc engagée partout et de manière officielle. Les ambiguïtés de la période précédente n’étaient plus de mise. Sur le fond, la direction rappelait l’approbation de sa politique par la conférence du 7 février et les dispositions de la résolution des socialistes des pays alliés à la conférence de Londres. Si elle reprochait au texte de la Haute-Vienne « ses suggestions vagues, incertaines, dénuées de toute conclusion pratique », elle reconnaissait de réelles divergences à propos des buts de guerre. Là où la fédération limousine évoquait la seule intégrité territoriale de la France et de la Belgique, sans aucune allusion à l’Alsace-Lorraine, la CAP employait par deux fois l’expression parlante de « jusqu’au bout » et raidissait même ses propres positions en s’alignant sur les déclarations de Vandervelde : « C’est une guerre pour fonder en Europe des institutions démocratiques. »
- 2 L. Roland, Carnets, 25 juin 1915, op. cit.
- 3 Ibid., 30 juillet 1915.
- 4 Ibid., 9 août 1915.
- 5 Ibid., 14 juillet 1915. L’Humanité ne publia pas de compte rendu des débats.
5Dès ce moment, les notes de Lucien Roland, pourtant habitué aux polémiques militantes, laissent transparaître la dégradation extrême des rapports internes au sein des deux organes de direction, le groupe et la CAP : « tumulte inouï2 », « violente discussion », « vacarme épouvantable », « tempête3 », « Longuet et Brizon… quels niais ! Et que dire du bon populo qui a envoyé par ses votes ces phénomènes à la Chambre4 ». Les débats du conseil national des 14 et 15 juillet 1915 furent particulièrement tendus : Guesde et Bracke se heurtèrent violemment à leurs anciens compagnons, Pressemane, Paul Faure et Mistral. Longuet ne fut pas épargné et se vit qualifié par le coléreux Bracke de « grand imbécile5 ». Il suscita également l’acrimonie d’Hubert Bourgin, qui, au sortir de la séance du groupe le 9 octobre, le décrit ainsi :
- 6 H. Bourgin, Le Parti contre la patrie, Plon, 1924, 250 p., composé à partir de notes quotidiennes, (...)
« L’ancien Longuet, grand et mince, avait une gentillesse affable, encore enfantine : le nouveau, grossi, épaissi, important, cérémonieux, ne lui ressemblait pas, même de loin. […] L’appel aux passions, aux sentiments vulgaires, une pression sur les âmes à fleur de peau. Des lambeaux de pensée accrochés à des motifs incandescents : horreur de la guerre, cette “abominable guerre”, sainteté de la paix, liberté absolue de la pensée, droits de la démocratie. Une violence presque continue, comme s’il s’agissait toujours de quêter des applaudissements de congrès6. »
… avec prudence
6Les responsables socialistes s’entendirent cependant pour calmer les passions. Préparée par une commission des résolutions, à laquelle appartenaient naturellement Longuet et les délégués de la Haute-Vienne, une résolution unanime fut votée. Celle-ci confirmait les choix antérieurs, mais elle saluait également l’action de la minorité allemande et précisait les conditions d’une paix, fondée sur le droit des nationalités, condamnant le recours aux annexions. Compromis de raison, qui ne dissimulait pas une coupure sur le sens même à donner aux terribles événements vécus par les Français.
- 7 Bourderon avait été le seul français à participer à la conférence de Zimmerwald (5 au 8 septembre (...)
- 8 Congrès fédéral de la Seine, décembre 1915, APP, Ba 1535. Le texte de Bourderon avait obtenu 545 m (...)
- 9 La question décisive d’un éventuel referendum en Alsace-Lorraine était laissée en suspens, au prix (...)
7Le congrès de décembre 1915 fut plus calme, malgré des démonstrations animées des tribunes, acquises aux thèses minoritaires. Une motion d’unanimité put être votée, seul Bourderon au sein de la minorité persévérant à présenter son propre texte7. Il est vrai aussi que l’affrontement avait déjà eu lieu lors des congrès fédéraux et qu’il avait permis de donner des indications sur le rapport de forces. Ainsi, dans la Seine, une motion défendue par Longuet en faveur de la reprise des relations internationales avait obtenu 3 836 mandats (36,5 %) contre 6 125 (58,3 %) au texte majoritaire présenté par Fiancette8. L’intitulé assez vague ne cachait pas les différences fondamentales de perspectives. Longuet avait expliqué qu’il fallait « aujourd’hui » et sans attendre « causer de la paix, non de la paix conquise par les armes, mais amenée par une entente entre les belligérants » : seule la libération du territoire et la consultation des populations d’Alsace-Lorraine demeuraient posées en préalables. Il s’était même efforcé de rester en dehors des remous de politique intérieure, se distinguant de Mayéras, fort critique non seulement à l’égard de Poincaré et de Delcassé, mais aussi de Guesde et de Sembat. La minorité se satisfit de voir définies les conditions d’une paix sans annexion, avec consultation des populations concernées9. Jaurès et Vaillant furent officiellement remplacés comme membres titulaires du BSI par Renaudel et Longuet. Les minoritaires obtinrent quelques garanties : outre sept sièges à la CAP, ils disposèrent ainsi fi n décembre d’un bureau particulier au Palais-Bourbon. Personnellement, Longuet, délégué le mois suivant en compagnie de Renaudel au congrès de Bristol du Parti travailliste, au grand dam de certains majoritaires, continua à écrire régulièrement dans L’Humanité pendant les premiers mois de 1916.
- 10 Toutefois, la signature de Longuet ne disparut jamais totalement des colonnes de L’Humanité.
- 11 J. Longuet, « Au congrès de Bristol », op. cit.
- 12 Réunion de l’intersection des militants des cantons de Sceaux et de Villejuif, 7 novembre 1915, AP (...)
- 13 L’Humanité, 10 avril 1916. Ce fut à cette occasion qu’eut lieu le premier vote public pour départa (...)
8Seul, en fait, le lancement du Populaire, organe d’expression spécifique à la minorité, allait entraîner la cessation de cette collaboration et marquer le début d’une nouvelle période : désormais, les deux camps s’organisaient et la cassure qui les séparait s’affirmait de plus en plus. Les congrès britanniques eux-mêmes ne furent plus suivis pour le quotidien socialiste par le député de Sceaux, mais par Fabra Ribas10. La prudence initiale de la minorité, une fois surmonté le choc des premières semaines, a été maintes fois remarquée. Longuet lui-même en donna un résumé éloquent au congrès de Bristol du Parti travailliste : « Il leur [les socialistes français] fallait défendre le pays et en même temps demeurer des socialistes, demeurer des internationalistes » ce qui signifiait que les socialistes étaient « prêts à continuer la lutte tant que la sécurité nationale n’aura pas été assurée, mais pas un instant de plus » et qu’ils étaient prêts aussi « à écouter des propositions raisonnables11 ». Même aux militants de sa circonscription, Longuet avait encore expliqué en novembre 1915 que s’il y avait eu des fautes, il ne fallait pas en faire état aujourd’hui, que l’union devait persister entre tous les Français, et que ce serait l’honneur du Parti socialiste de ne pas avoir dénoncé l’Union sacrée12. Au conseil national du 9 avril 1916, Longuet se contenta une fois de plus d’indiquer que, si les conditions pour la reprise des relations internationales n’étaient toujours pas remplies, l’existence de la minorité rendait possible de penser que les délais nécessaires seraient raccourcis13.
Le Bonnet rouge
- 14 Selon l’Histoire générale de la presse française, Le Bonnet rouge diffusait environ 50 000 exempla (...)
- 15 J. Longuet, « Alsaciens et Boches », « Des Français qu’il faut reconnaître », Le Bonnet rouge, 20 (...)
- 16 J. Longuet, « Le réveil du socialisme », Le Bonnet rouge, 11 janvier 1916.
- 17 J. Longuet, « La condamnation de Liebknecht », Le Bonnet rouge, 30 juin 1916.
- 18 Une tentative d’implication par le lieutenant Marchand n’eut pas de suite.
9La participation de Longuet au Bonnet rouge ne doit pas prêter à confusion. Il est aujourd’hui difficile d’évoquer le quotidien d’Almereyda sans songer aux procès de 1917 et à ses liens avec Caillaux. Il faut pourtant le replacer dans son contexte : accompagnant et prolongeant l’évolution du Courrier européen d’avant-guerre, Le Bonnet rouge offrait toutes les caractéristiques du journal républicain, ancré à gauche et favorable à une collaboration entre socialistes et radicaux14. Parmi les éditorialistes ou signataires de tribunes se retrouvaient les grands noms du Parti radical : Herriot, Pelletan, Buisson… des républicains socialistes comme Viollette, des socialistes, parfois fermement partisans de l’Union sacrée tels Aubriot et Cachin, un modéré revenu du nationalisme comme Dausset, et enfin… Longuet. Sa participation en 1915 et 1916 n’apporta aucun élément de perturbation ou d’affrontement avec la censure. Il voulait éviter toute dérive dans la formulation des buts de guerre et rappeler que la guerre du droit devait respecter l’intégrité de la future Allemagne démocratique. Ces polémiques avec Barrès ou Le Matin demeuraient dans la norme des controverses usuelles au sein de l’Union sacrée. Il en allait de même de sa défense des intérêts des Alsaciens contre la « bureaucratie » qui les considérait comme citoyens allemands15 ou de son éloge de Liebknecht. Ce ne fut qu’au cours de l’année 1916 que le désaccord de Longuet avec l’orientation majoritaire de son parti s’affirma au Bonnet rouge : il proclamait la nécessité de réagir contre le chauvinisme abject, l’oubli des doctrines fondamentales par des déviations, constituées « d’un étrange salmigondis de démocratisme petit-bourgeois, de nationalisme réactionnaire et de confusionnisme social » qui voulait aboutir à la « paix sociale16 ». Cette dénonciation implicite des propositions d’Albert Thomas et de ses amis aurait pu cependant être approuvée par les plus engagés dans l’Union sacrée des militants guesdistes, peu disposés à concevoir celle-ci autrement que comme une parenthèse forcée le temps des hostilités. Longuet donnait aussi une clef possible de son propre comportement en citant une formule de Karl Liebknecht qu’il lui avait entendu prononcer en 1898 : « Noblesse oblige17… » De toute façon, la collaboration de Longuet au Bonnet rouge devint très épisodique à partir de juin 1916. Le porte drapeau de la minorité socialiste ne fut donc guère concerné par les remous de 1917 et la procédure engagée contre Almereyda et Duval18.
La Société d’études documentaires et critiques sur la guerre
- 19 « Je viens de voir les amis du Contrôle démocratique. Nous allons nous efforcer de constituer la m (...)
- 20 Lettre de Charles Gide à Longuet, 21 mai 1915, CRCEDHC, Fonds Longuet, 7/1/140.
- 21 La Société est étudiée par C. Prochasson, Les Intellectuels…, op. cit., p. 162-167.
- 22 Il le déclare explicitement dans sa réponse à l’enquête sur une République allemande, Commission s (...)
10Davantage tournée vers l’avenir du mouvement pacifiste semblait être la participation de Longuet à la Société d’Études documentaires et critiques sur la Guerre, fondée en janvier 1916 par Charles Gide et Mathias Morhardt, l’ancien secrétaire général de la Ligue des droits de l’homme. Il s’agissait de milieux que connaissait bien l’ancien collaborateur du Courrier européen, lui aussi ligueur, et cette initiative correspondait à un projet auquel lui-même avait songé, entre Suisse et Angleterre, les deux pays toujours loués pour la force de leurs traditions libérales et démocratiques19. Son tempérament politique ne le conduisait guère à trop s’interroger sur les origines du conflit, il souhaitait davantage une réflexion sur les perspectives de négociation et les clauses envisageables d’un compromis. Si Charles Gide lui avait d’abord fait tenir une réponse prudente20, ses démarches n’en constituent pas moins une des origines de la Société d’études. Par la suite, il ne semble pas pourtant avoir joué un rôle très actif dans ce cénacle d’intellectuels, largement dominés par l’esprit pacifiste, malgré la présence de plusieurs personnalités encore attachées à l’Union sacrée21. En fait, comme ses collègues et amis Pressemane ou Brizon, Longuet devait venir aux réunions de la Société pour s’informer, écouter des avis et pour entretenir des contacts avec les milieux représentés, notamment intellectuels pacifistes ou minoritaires syndicalistes. La Société représentait aussi une des pièces plus ou moins intégrées au jeu de Caillaux, qui aurait pu un jour déboucher sur la paix de compromis envisagée. Homme de parti, prêt à engager sous une forme ou une autre celui-ci en faveur d’une solution qui abrégerait les massacres, Longuet ne souhaitait certainement pas que la Société se donnât un autre rôle que sa mission de recherche et de débats entre personnes qualifiées. Au-delà, se rendait-il vraiment compte que la question des origines de la guerre, loin d’être vaine ou académique, pouvait, et devait, aboutir à des conclusions pratiques sur le combat de la minorité ? Sans doute, mais c’était aussi en cela que Longuet reflétait bien les divers élans de l’analyse socialiste : il ne semble guère que, pour sa part, il ait admis des responsabilités équilibrées dans le déclenchement du conflit. Certes, il reconnaissait et pouvait dénoncer comme d’autres celles du capitalisme et des gouvernants, mais, homme du présent et de l’action politique ancrée dans l’événement, il attribuait aussi une lourde part à l’action des cabinets allemands et austro-hongrois au cours des semaines décisives de l’été 1914. Il le redit à plusieurs reprises. Cela ne l’empêchait pas de ne pas transformer cette faute en condamnation absolue d’une nation. Il était suffisamment élève de Renan pour garder à l’esprit les fautes comparables commises par la nation française, ou ses gouvernants, dans les siècles précédents. Il pouvait donc envisager d’accepter un compromis pour terminer cette guerre, même au prix du maintien des Hohenzollern en Allemagne22, et il reprocha toujours bien davantage à Poincaré son obstination de 1917 que son comportement de 1914.
La minorité à l’offensive : Le Populaire
11La minorité naquit deux fois. La première avec le manifeste de la Haute-Vienne en mai 1915, la seconde un an après avec le lancement d’un « journal revue hebdomadaire » qui devait se transformer en quotidien parisien du soir le 11 avril 1918.
12Le Populaire du Centre, quotidien limousin fondé par la fédération en octobre 1905, ne pouvait servir d’organe d’expression nationale. Jean Longuet y collaborait depuis septembre 1914, mais sa diffusion était naturellement régionale, tout comme celle du Droit du peuple, de Grenoble, lui aussi acquis à la minorité. La décision de donner un hebdomadaire propre au courant favorable « à la reprise des relations internationales » dut être prise au moment du congrès de décembre 1915, lorsque se structura la minorité et qu’il apparut vite que la motion d’unanimité votée au congrès ne signifiait pas davantage qu’une trêve, le respect de l’esprit unitaire obligé par l’état de guerre, le souhait de contenir dans des limites acceptables pour les intérêts collectifs du parti l’affrontement à venir.
- 23 Manifestation du 1er mai 1886 à Chicago dont la répression fut à l’origine de la journée du 1er ma (...)
- 24 Les quatre Allemands étaient Liebknecht, député de Potsdam, Haase, député de Kœnigsberg, Bernstein (...)
- 25 Le 18 janvier 1918, à la Chambre, Pugliesi-Conti mit en cause la fondation du Populaire avec le co (...)
- 26 L’expression est employée dans la Déclaration du n° 1 du Populaire.
13La fédération de la Haute-Vienne fournissait la logistique. L’administration et l’imprimerie étaient domiciliées à Limoges, comme le gérant, Léon Berland, également secrétaire fédéral. Les militants parisiens fournissaient la majorité des articles et prenaient en charge la rédaction, domiciliée 2 passage de Dantzig, « le grenier » de l’avocat Maurice Delépine. La date du premier numéro ne fut pas laissée au hasard : le 1er mai 1916, fête des travailleurs du monde entier et par là même journée internationaliste, correspondait de surcroît au trentième anniversaire d’Haymarket23. Le sous-titre du Populaire rappelait les enjeux du combat minoritaire : « Journal revue hebdomadaire de propagande socialiste et internationaliste », c’était redire que le principal reproche adressé à la direction nationale était d’avoir négligé la propagande, raison d’être du socialisme organisé, et donc la double spécificité socialiste et internationaliste du Parti que Le Populaire prétendait défendre sans mettre en cause les nécessités de la Défense nationale. L’internationalisme du nouvel organe était hautement revendiqué par la circulaire envoyée le 8 avril aux fédérations : à la vingtaine de députés et à la quinzaine de journalistes annoncés comme collaborateurs étaient en effet adjoints une vingtaine de dirigeants socialistes étrangers, représentant des pays alliés ou neutres, souvent eux-mêmes critiques à l’égard de la guerre, mais aussi des pays ennemis tels l’Allemagne, la Bulgarie et l’Autriche24. Présence symbolique, mais rien moins qu’insignifiante. Sur le papier, c’était pratiquement l’ancien BSI qui était ainsi formellement reconstitué. Cela valut à Longuet, plus tard, un incident parlementaire avec le député nationaliste Pugliesi-Conti25, mais cela pouvait également aider à concevoir qu’il était possible de ne pas briser « irréparablement » tout lien entre les peuples26. Il ne s’agissait pas à proprement parler d’envisager une action concrète particulière et immédiate. Geste politique, la fondation du Populaire apportait la part d’affectivité nécessaire pour continuer à supporter l’insupportable, la poursuite de « l’atroce boucherie ». Le souvenir de Jaurès et Marx était évoqué, mais finalement, plus à titre de remémoration, afin de retrouver un jour leur message, que pour en tirer une inspiration immédiate d’action contre la guerre. Le temps n’était certes pas venu de songer à la révolution ou au changement social. Longuet continuait à donner des leçons de simple humanité, citant Spinoza :
- 27 J. Longuet, « Excitations chauvines », Le Populaire, 8, 19 juin 1916.
« Toutes les affections de haine sont mauvaises […] celui qui vit sous la conduite de la raison s’efforcera d’opposer à la haine d’autrui l’amour, c’est-à-dire la générosité27. »
- 28 J. Longuet, « Qu’est-ce que le militarisme prussien ? », Le Populaire, 5 juin 1916.
- 29 Le Populaire, 8, 19 juin 1916 ; G. Candar et C. Prochasson, « Jaurès et les officiers républicains (...)
14En fait, la portée politique du nouvel organe restait pour une large part virtuelle : il s’agissait de préparer le socialisme français à mettre tout son poids dans la balance pour une paix négociée… le jour où celle-ci apparaîtrait possible, donc où la même volonté apparaîtrait de l’autre côté, par exemple comme le disait Mac Donald : « Lorsque l’Allemagne manifestera clairement sa volonté d’évacuer de suite les territoires occupés28. » En attendant, Le Populaire devait jouer sur le registre du symbolique, multiplier les signes en espérant ainsi peser sur un changement de climat politique. C’est ainsi que peuvent se comprendre les collaborations étrangères annoncées. Elles ne débouchaient pas sur des publications, à la seule exception de Morris Hillquit, socialiste d’un pays neutre bientôt allié. Par ces annonces, les minoritaires prenaient le risque d’être dénoncés pour leurs rapports avec des ressortissants de pays en guerre, mais, attachés à la défense nationale alors que le pays était envahi, ils ne pouvaient utilement aller plus loin. Ils se gardaient de donner un aspect de réalité trop prononcé à leurs intentions, sans doute soucieux de ne pas se laisser assimiler aux thèses votées à Kienthal. Ainsi, le premier héros mis en valeur par Le Populaire fut l’intrépide commandant Raynal, défenseur du fort de Vaux et héros de Verdun29.
- 30 Lettre de J. Longuet à A. Dunois, 17 février 1917, archives Catonné-Dunois.
- 31 J. Longuet, « La folie de la répression », sur-titrée « Chez les chats-fourrés », Le Populaire, 24 (...)
15La forme hebdomadaire choisie par Le Populaire était fréquemment utilisée pour préparer un quotidien. Aucun directeur n’était annoncé : œuvre collective de la minorité, présenté par une Déclaration commune et non signée nominalement, Le Populaire ne se donnait pas de chef proclamé. De fait, il imitait ainsi L’Humanité où Renaudel, confirmé dans ses fonctions de directeur politique, demeurait en retrait, par hommage au fondateur du journal. La prééminence du député de Sceaux se lisait toutefois dans le nombre d’éditoriaux qu’il signait et dans sa propension à s’engager collectivement au nom de la minorité. En outre, parlementaire récent, mais déjà militant chevronné et lié à de nombreuses personnalités, il était non seulement un utile porte-drapeau, mais aussi l’intermédiaire ou le protecteur chargé des relations avec les milieux officiels. Des militants, comme Trotski, Saumoneau, Rappoport ou encore Rosmer, ne dédaignèrent pas de lui demander son concours. Certes, ce n’était pas seulement le dirigeant socialiste, mais aussi l’avocat qui était sollicité. Sa popularité chez les militants provenait également de son métier d’ » avocat des pauvres », des camarades sans ressources ou sans relations. Un simple soldat pouvait faire appel à lui pour être défendu devant le conseil de guerre30. Il ne se contentait pas non plus d’affaires directement liées à son combat politique : une sage-femme poursuivie pour pratiques abortives trouvait en lui un défenseur ému et compatissant31. Toutes ces démarches, l’ensemble de la « besogne » du député-avocat-journaliste qu’il était ne pouvait cependant que limiter singulièrement sa disponibilité pour l’animation du courant minoritaire. En tout état de cause, sans l’avoir explicitement recherché, ce que reconnurent même ses adversaires les plus critiques, il symbolisait dorénavant la plus notable force politique critique à l’égard de la conduite de la guerre. Il se sentait d’ailleurs assez influent pour aider à la promotion de nouveaux cadres afin de régénérer le Parti. Ainsi, écrivait-il à Amédée Dunois :
- 32 Lettre de J. Longuet à A. Dunois, 22 février 1917, archives Catonné-Dunois.
« Tu es un de mes espoirs de demain, parce que tu représentes dans nos milieux des préoccupations intellectuelles et morales très hautes, auxquelles trop de nos camarades sont indifférents32. »
16Les débuts de l’hebdomadaire furent modestes : 1 200 abonnés revendiqués pendant l’été 1916. Les départements les mieux représentés étaient la Seine (136), la Haute-Vienne (88), le Rhône (52), l’Isère (50), la Dordogne (30)… Certes, les chiffres de diffusion de la presse fléchissaient partout. L’Humanité était tombée à moins de 70 000 exemplaires diffusés et la SFIO ne comptait officiellement que 28 000 cotisants. Malgré tout, la diffusion du Populaire était telle que celui-ci ne pouvait prétendre à autre chose qu’à être un hebdomadaire militant de combat. Au reste, les enjeux internes au monde socialiste étaient nettement privilégiés, les réunions du groupe, de la CAP, les articles de la presse socialiste commentés avec soin. Les minoritaires ne dissimulaient pas leur volonté de conquérir rapidement la majorité du Parti. Ils s’organisèrent en conséquence, renouant avec la forte tradition du courant guesdiste, auquel avaient appartenu Paul Faure et les militants de la Haute-Vienne. Un comité de propagande fut vite mis en place, avec des délégués et une cotisation particulière. Le responsable de la rédaction du journal, Delépine, était également secrétaire du comité. La croissance de l’hebdomadaire fut continue, mais lente : le nombre de ses abonnés, passé à 1 660 en mai 1917, finit par atteindre au printemps de 1918 les 2 000 tandis que la diffusion revendiquée était de 6 000 exemplaires.
La lutte pour le pouvoir au sein de la SFIO
Les minorités
- 33 Le premier courant centriste ou transactionnel apparut en décembre 1916 autour d’Henri Sellier.
17Avec la fondation du Populaire, le Parti socialiste se structurait autour de l’affrontement entre « majorité » et « minorité ». La faible charge signifiante de ces deux termes correspondait à un certain flou sur les lignes de démarcation entre les deux camps. Avant même qu’un courant « centriste » n’apparût pour jouer les intermédiaires de bonne volonté33, le manque d’homogénéité de chaque camp, l’existence de modérés et de transfuges potentiels, donnèrent lieu à nombre d’hypothèses et de supputations. La situation se compliqua parce que, concomitante avec la formation de la minorité autour de Longuet, la Haute-Vienne et Le Populaire, apparut aussi une extrême gauche, plus proche des positions de la minorité syndicaliste. Ce courant se singularisa rapidement du reste de la minorité par sa participation effective aux conférences de Zimmerwald (5-8 septembre 1915) et de Kienthal (24-30 avril 1916). Jusqu’en 1919 pour le moins, elle fut toutefois partagée entre le souci de défendre ses positions propres et celui de se solidariser avec la minorité plus modérée pour renverser la majorité. En outre, entre les deux minorités comme entre la majorité et la minorité n’existaient pas de solutions de continuité. Affaires de personnalités, de moments, mille liens rendaient complexe l’établissement de lignes de séparation. Celles-ci n’en existaient pas moins, mais comme des ondes de diffusion à partir de trois pôles : l’extrême gauche zimmerwaldienne privilégiait la voix de la protestation contre la guerre, la majorité celle de la défense de la nation, la minorité officielle voulait à la fois défendre la nation et réserver les droits de l’Internationale, accepter l’inévitabilité de la guerre dans les faits, mais pas dans les cœurs, faire la guerre en la maudissant et en travaillant pour la paix. Ce discours était aussi cohérent que les deux autres. Les raisonnements majoritaires et zimmerwaldiens connaissaient aussi quelques apories, les premiers voulant l’Union sacrée, mais refusant les visées impérialistes et annexionnistes de certains alliés, les seconds refusant les crédits de guerre à partir de l’été 1916, mais sans accepter le défaitisme. Toutefois, la complexité de la ligne exprimée par Longuet et ses amis était évidente, puisque fondée sur l’association de deux impératifs. Le rôle dévolu au député de Sceaux était particulièrement délicat puisqu’il lui incombait, volontairement ou non, de symboliser cette politique tout en maintenant un certain nombre de passerelles avec les deux autres tendances afi n de préserver l’unité socialiste malgré d’aussi graves discordances.
- 34 Cf. A. Kriegel, Aux origines du communisme français 1914-1920, 2 t., Paris/La Haye, Mouton, 1964.
- 35 Pour ne pas avoir à se prononcer sur les thèses de Kienthal, les minoritaires se déclarèrent absen (...)
- 36 Felipo Turati, lettre à Longuet, 14 août 1916, CRCEDHC, Fonds Longuet, 7/1/174.
18Ainsi, ceux des socialistes qui attendaient une orientation davantage en rupture, favorables aux conférences de Zimmerwald et de Kienthal, s’étaient trouvé un porte-parole éloquent à la Chambre en la personne de Brizon, député de l’Allier. Celui-ci conserva toujours des relations très confi antes avec son ami Longuet, ce qui facilita longtemps l’entente politique entre les deux nuances minoritaires. Le conseil national des 6 et 7 août 1916 vit s’affronter la minorité et la majorité. Affrontement attendu et prévisible : depuis la précédente réunion d’avril avaient eu lieu la conférence de Kienthal, le lancement du Populaire, journal revue, la conférence de La Haye des socialistes neutres (31 juillet-2 août) et… plusieurs centaines de milliers d’hommes étaient morts dans les alentours de Verdun, sans même évoquer ceux des autres fronts. Dans ces conditions, le sujet principal des controverses du conseil national : le rôle, la composition et le mode de désignation des délégués permanents à la propagande, peut paraître surprenant, significatif en tout cas de la gêne à aborder directement le fond du problème. Il n’est guère utile de s’attarder ici sur les jeux complexes des débats internes34, qui ne renvoient pas seulement à des habitus socialistes, républicains ou politiques connus, mais aussi au caractère dramatique des événements vécus et au partage de sentiments qui pouvaient coexister chez de nombreux militants. Au demeurant, il ne s’agit ici que de dessiner l’insertion personnelle de Jean Longuet dans ce tableau d’ensemble. La majorité s’efforçait de diviser ses adversaires et de faire éclater les contradictions entre les partisans de Kienthal et le reste de la minorité, ce que refusaient les habiles représentants de la Haute-Vienne35. Le rapport de forces, de 935 à 1 025 mandats, selon les votes, contre 1 837 à 1 917 pour la majorité, montrait une évolution lentement favorable à la minorité. Longuet demeura plutôt en retrait à cette réunion, prenant la parole sur des points de procédure, laissant Pressemane et Mistral aborder les questions de fond. Le conseil national révélait néanmoins la difficulté rencontrée par la minorité à définir une politique positive, sortie du refus commun de l’orientation majoritaire. Difficulté qui allait parfois être apparemment surmontée, ou dissimulée, mais qui n’allait jamais cesser de s’aggraver. Les responsabilités de Longuet étaient d’autant plus lourdes qu’en raison même du poids de la France dans la guerre, il était clair que les minoritaires français étaient appelés à jouer un rôle déterminant dans l’action destinée à obtenir la reprise des relations internationales. Ainsi Turati lui demanda son avis36, lorsque, hésitant à s’inscrire dans le prolongement de la conférence de Kienthal, il envisagea de participer à une réunion interparlementaire des socialistes des pays neutres et belligérants, susceptible de fournir « des résultats d’ordre moral et même d’une portée pratique non indifférente ».
- 37 Longuet justifia le vote favorable de la minorité, en affirmant que Jaurès aurait également approu (...)
- 38 Lettre de Longuet à Huysmans, 16 mai 1916, Milan, Fondation Feltrinelli, Fonds Camille Huysmans.
- 39 « Déclaration », Le Populaire, 1er mai 1916.
- 40 J. Longuet, « Ce que veulent les minoritaires », Le Populaire, 17, 21 août 1916.
19À de nombreuses reprises, et notamment dans Le Populaire, Longuet et ses amis montrèrent qu’ils n’entendaient pas être confondus avec les animateurs de Zimmerwald et de Kienthal. Ces derniers, avec Blanc, Brizon et Raffi n-Dugens à la Chambre, refusaient désormais les crédits de guerre37. Longuet fit expressément savoir au secrétaire du BSI, Camille Huysmans, que la distinction s’imposait38. Les minoritaires présentaient leur patriotisme comme inséparable de leur volonté pacifiste et internationaliste : « Que la France garde dans le monde un rang digne de sa grande histoire, et que, par l’horrible épreuve actuelle, les peuples soient à jamais dégoûtés de la guerre39. » Ils se voulaient « bons Français » et « bons Européens ». Ils refusaient donc la paix immédiate, prétendre le contraire était « une atroce calomnie », ils se contentaient de réclamer une réunion du BSI afin d’établir les « bases d’une paix juste et durable », la Paix du Droit, sans conquêtes ni annexions, lesquelles seraient porteuses des germes de futures guerres de revanche40. Les autres réunions, partielles, malgré le « courage » reconnu à leurs participants, ne pouvaient représenter l’Internationale et faire avancer la cause de la paix.
- 41 J. Longuet, « Le problème de l’Autriche », Le Populaire, 4 septembre 1916.
20Longuet continuait à réfléchir aux conditions de celle-ci. Comme il l’avait fait au moment de sa rencontre avec Bernstein et Kautsky en Suisse, il exposait dans la presse quelques solutions diplomatiques envisageables, discutait des positions de ses adversaires. La destinée de l’Autriche après la guerre demeurait une pierre d’achoppement avec nombre des soutiens gouvernementaux : Longuet rappelait sa préférence pour une solution fédérale, associant Allemands, Hongrois et Slaves sur un pied d’égalité, n’admettant que le retrait des « provinces dont l’irrédentisme est certain », sans faire du départ souhaité des Habsbourg un préalable obligé à la paix41. Il n’était donc pas si éloigné des conclusions d’Herbette dans L’Écho de Paris ou de Bainville dans L’Action française, favorables au maintien d’un grand État catholique danubien. En revanche, la divergence était totale avec les vues d’Hervé, lesquelles devaient d’ailleurs correspondre assez bien avec les résultats effectifs des traités de 1919-1920 : « Tchéquoslovaquie », Grande Serbie élargie à la Croatie, Roumanie augmentée de la Transylvanie, Autriche séparée de la Hongrie… Le débat était engagé. Affaire de spécialistes ? Il est assez probable que les militants séduits par les interventions de l’extrême gauche socialiste voulaient exprimer leur refus de voir se continuer le grand massacre, plus que de définir des conditions précises d’un nouvel équilibre européen.
- 42 R. Verfeuil, « De l’action » et « Notre point de vue », Le Populaire, 3 juillet et 25 septembre 19 (...)
- 43 Le Populaire, 23 février 1918.
21La minorité ne refusait pas de recevoir éventuellement les voix des zimmerwaldiens ou kienthaliens dans les débats internes, congrès et conseils nationaux, comme cela avait été le cas au conseil national d’août. Certains de ses responsables étaient partisans de renforcer les liens avec cette extrême gauche et de porter le débat à la Chambre : Verfeuil notamment répliqua à chacun des articles de Longuet expliquant les positions des députés minoritaires, Frossard s’exprima dans le même sens, et Raffin-Dugens écrivit au journal pour reprocher aux minoritaires leur passivité parlementaire42. Le Populaire, même s’il apparaissait souvent comme le journal de Longuet, demeurait une œuvre collective, fondée sur la pluralité des opinions. Des articles contradictoires étaient publiés, élément constitutif de la popularité et du courant de sympathie qui entourait Longuet dans le monde militant, mais qui allait aussi montrer par la suite ses limites… Les minoritaires formèrent un Comité d’action pour la défense du socialisme international, pendant au Comité pour la reprise des relations internationales qu’animaient les syndicalistes minoritaires, Rosmer, Merrheim et Loriot. Longuet était sans doute l’élément le plus modéré du comité d’action pour la défense du socialisme international, à la direction collégiale, aux côtés de Frossard, de Verfeuil et du jeune Souvarine, il en était aussi le militant le plus connu et le seul parlementaire. Ce comité resta d’ailleurs longtemps une étiquette commode pour des appels ou déclarations, ses animateurs ne décidèrent officiellement qu’au début de 1918 à lui donner une existence propre43.
- 44 Cf. T. Bonzon et J.-L. Robert, Nous crions grâce, 154 lettres de pacifistes, juin-novembre 1916, É (...)
- 45 J. Longuet, « L’unité intangible », Le Populaire, 26 février 1917.
- 46 Lettre de Longuet à Dunois, 22 février 1917, archives Catonné-Dunois.
- 47 L’Humanité, 15 février 1918.
- 48 J. Longuet, « Karl Kautsky et la Neue Zeit », Le Populaire, 24 novembre 1917.
22La situation politique évolua. Désormais, Brizon offrait aux socialistes mécontents un autre exemple d’attitude parlementaire possible. Les remous furent suffisants pour obliger Longuet à convoquer une réunion des minoritaires le 25 septembre. La rupture que Brizon avait publiquement, et avec un certain fracas, assumée par ses interventions des 24 juin et 14 septembre 1916, avait visiblement rencontré un grand écho auprès des partisans de la minorité. À mi-voix, se révélaient les lignes de fracture qui allaient disloquer le socialisme français. Au cri de Brizon, au refus prioritaire de la poursuite de la guerre qu’exprime bien le titre « Nous crions grâce44 » répondait l’argumentation politique, rationnelle et raisonnable, de Longuet, « l’unité intangible du Parti », le « refus de voir se briser notre organisation si chèrement obtenue45 ». Il répondit dans Le Populaire à chacune des interventions de Brizon, rappelant que la Patrie ne se séparait pas de l’Internationale et qu’il fallait agir de « manière concertée » au sein du Parti. Dans les quelques correspondances parvenues jusqu’à nous, Longuet exprimait des craintes semblables, son horizon politique demeurant celui du Parti socialiste : « L’intransigeance sectaire de quelques-uns de nos amis minoritaires produit des heurts très fâcheux avec les élus de la minorité. […] Je crains pour le prochain CN46. » Il explicitera davantage son point de vue lors des débats du conseil national en février 1918 : « Je considérerais comme une lâcheté de retarder d’une minute le moment de la paix. Or, ce serait retarder ce moment que de briser l’union du Parti et de l’affaiblir47. » La force, et sans doute la limite, de l’intelligence politique de Longuet était de se déployer dans les cadres connus des organisations du socialisme international comme de la République française. Point de convergence qui permettait de comprendre et d’exprimer des situations complexes, mais qui ne suffisait pas à saisir l’ensemble des réalités de la guerre. Ainsi, il était presque touchant de voir le directeur du Populaire s’indigner devant « un crime contre la pensée, la culture déshonorée »… lorsque Kautsky perdit la direction de la Neue Zeit48. Article et commentaires prenaient-ils toute la mesure des enjeux, même culturels et politiques, de ce triste automne 1917 ? Brizon, moins immergé dans les affaires du Parti ou de l’Internationale, « facétieux » même selon ses biographes, n’était-il pas dès lors mieux placé pour exprimer la dramatique attente des êtres meurtris par la guerre ?
23Cependant, la conviction de Longuet ne s’accommodait pas davantage d’une simple opposition formelle. Il était conscient des risques d’un simple jeu de positionnement chez certains de ses amis minoritaires :
- 49 Lettre de Longuet à Dunois, 17 février 1917, archives Catonné-Dunois.
« Je déplore le manque d’énergie et d’unité dans l’action de notre minorité. Il y a un laisser-aller et une négligence déplorable et le fanatisme kienthalien d’un certain nombre de nos camarades (parisiens surtout) rejette une partie des autres et notamment les amis de la Haute-Vienne, sous prétexte d’unitarisme à une lamentable apathie, en face de majoritaires sans scrupule et qui usent des plus détestables procédés49. »
24Les critiques qu’il devait subir au sein du Parti étaient peu de choses aux côtés de celles qui s’exprimaient dans la minorité zimmerwaldienne du syndicalisme, pour ne pas parler de celles de Trotski. Rosmer a publié une lettre de ce dernier à Gabier, du 11 décembre 1916, très nette dans sa dénonciation du « longuettisme » :
- 50 A. Rosmer, Le Mouvement…, op. cit., II, p. 245. La lettre de Trotski est intégralement publiée, da (...)
« Le danger de la politique longuettiste, pour la masse, consiste en ce que, en utilisant et en compromettant la formule “internationaliste”, Longuet et ses amis font la même politique que Renaudel. Ils sont avec la “nation”, avec l’État – pas avec la classe ouvrière contre l’État. Ils calment la conscience de la masse par leur opposition de famille. Si Renaudel et Sembat ont compromis le Parti, l’organisation, la tradition officielle, Longuet et Pressemane sont en train de compromettre l’idée même de rébellion réparatrice contre cette trahison historique sans précédent50. »
25Critique assez pertinente, à condition, comme le fait Trotski, de supprimer toute référence à la nation. L’ancien directeur de Nache Slovo n’en fait qu’un argument à placer entre guillemets. Pour Longuet et ses amis, la nation était une réalité, c’était un bien qu’il fallait défendre et le combat internationaliste ne se concevait que s’il ne mettait pas en péril l’existence et la liberté de la nation. Il était donc difficile qu’ils pussent même comprendre le point de vue de Trotski.
- 51 La minorité obtient 4 014 mandats, les kienthaliens 1 333 et la majorité 5 238, Le Populaire, 13 d (...)
- 52 Louis-Oscar Frossard fut désigné par la CAP du 11 janvier 1917, nomination ratifiée par le conseil (...)
26Au congrès de décembre 1916, les progrès de la minorité furent patents. La fédération de la Seine avait été conquise de haute lutte, avec des interventions jugées décisives de Longuet51. Le meilleur score de la minorité était atteint sur la question de la reprise des relations internationales avec 1 407 mandats (47,8 %) contre 1 537 au texte majoritaire (52,2 %). Sur d’autres points, la majorité était moins contestée. La participation ministérielle fut confirmée par 1 637 mandats contre 708 et 574 aux deux textes minoritaires, mais Longuet lui-même ne venait de passer à l’opposition sur ce sujet que récemment, tandis que certains responsables fédéraux, minoritaires, se refusaient à perdre d’utiles possibilités d’infl uence parlementaire. La recherche réitérée d’un isolement de l’extrême gauche n’avait donné que des résultats limités (1 657 contre 1 074). La CAP reflétait le nouveau rapport de forces : 13 majoritaires contre 11 minoritaires, lesquels obtenaient un des deux postes de délégués permanents demandés52. Le conseil national de mars 1917 confirma le faible écart entre les deux tendances (de 1532 à 1556 contre 1 377 à 1 389), ce qui renforçait le caractère confl ictuel du débat sur l’attribution décisive des mandats du Nord à la majorité. En fin de compte, la surprise allait provenir de la résistance prolongée de la majorité qui allait réussir à conserver sa primauté jusqu’à l’automne 1918.
Minorité, majorité, plus grosse majorité ?
- 53 L’Action socialiste, créée par une partie de la majorité, fut lancée le 27 septembre 1916.
- 54 « J’ai pour Renaudel, pour sa combativité et son énergie, pour d’autres de ses qualités personnell (...)
- 55 APP Ba 1470, réunion de la minorité, 29 mai 1917.
- 56 B. Souvarine, « Le socialisme intangible », Le Populaire, 5 mars 1917.
27Avec Pressemane, Longuet demeurait le modéré de la minorité. Certes, il faisait porter les torts essentiels sur la majorité, présentait L’Action socialiste53 comme une amorce de scission, mais il reconnaissait les excès de la minorité, attribués à la fougue de la jeunesse, il refusait toute perspective de scission, confiant que le retour des « poilus » renforcerait ses positions, et même dans les plus vives polémiques n’oubliait pas de rappeler les liens qui l’unissaient à Renaudel54. Il s’opposa longtemps à ce que Le Populaire revêtît « la forme combative de l’ancienne Guerre sociale […] qui n’a produit que des déchets qui ont versé dans la pure démagogie ou pire, dans le nationalisme le plus servile55 ». Son modèle demeurait celui des premières années du Mouvement socialiste, avec sa partie doctrinale et sa partie documentaire. Ces propos signifiaient aussi qu’à quarante ans, Longuet ne se situait plus dans la jeunesse, mais parmi ceux dotés « de la maturité d’esprit et de l’expérience des choses du Parti ». Position sans doute tenable en temps de paix, mais qui n’allait pas tarder à soulever des difficultés en temps de guerre. La jeunesse, celle du moins qui souffrait à la guerre et qui était susceptible d’être intéressée par l’idéal socialiste, ne risquait-elle pas de demander plus que le maintien de l’unité de 1905, « notre organisation si chèrement obtenue » ? Attendait-elle vraiment du Populaire la reprise des belles études doctrinales qui avaient animé le débat intellectuel de 1900 ? Un jeune précisément, Boris Souvarine, âgé de vingt et un ans, ancien combattant et rédacteur au Populaire depuis sa fondation, répliqua à Longuet que ce n’était pas l’unité qui était intangible, mais le socialisme56.
- 57 J. Longuet, « La conférence nationale des socialistes minoritaires », Le Populaire, 13 mai 1917.
- 58 J. Longuet, « Politique de clarté », Le Populaire, 6 octobre 1917.
- 59 Animé par Cachin, Bedouce, Moutet, Lafont, Auriol, Sellier, Basch, Fiancette… bientôt rejoints par (...)
28La perspective d’une conquête prochaine de la majorité provoqua une tentative de reprise en main du courant. Ce fut l’objet de la conférence nationale de la minorité, tenue le 6 mai 1917 salle Pleyel, où le député de Sceaux martela ce qui devait être l’orientation défendue : pas de paix séparée, mais une paix générale, sans annexion ni indemnités57. Dans un grand article programmatique, il s’efforça de mettre en perspective l’action de la minorité depuis deux ans, l’articulant sur quatre objectifs fondamentaux : définir les buts de guerre, dans un esprit proche de celui exprimé par le président Wilson ; rétablir l’action internationale des travailleurs ; obliger les gouvernements à accepter des propositions diplomatiques sérieuses ; rendre au Parti socialiste sa fierté et son indépendance, donc abandonner une participation ministérielle devenue trop contraignante. Longuet proposait comme mot d’ordre : « Savoir combattre et négocier58. » Il ne pouvait toutefois empêcher l’affirmation de l’autonomie du courant kienthalien. Loriot, à la conférence socialiste alliée de Londres, Brizon et Saumoneau, au congrès de Bordeaux, se distinguèrent à plusieurs reprises. Globalement, la minorité, hétérogène, marquait le pas et demeurait distancée par la majorité. Les rumeurs et manœuvres de « rassemblement au centre » et de « plus grosse majorité » prenaient de plus en plus d’ampleur : le courant centriste désormais affirmé était prêt à jouer les bons offices59, la moindre des difficultés n’étant pas de savoir autour de quel point d’équilibre pourrait se jouer ce regroupement.
29Cependant, il devenait de moins en moins loisible aux militants socialistes de débattre sans être bousculés par les événements liés à la prolongation du conflit : deux phénomènes majeurs allaient marquer l’année 1917 et rejaillir sur les controverses – et l’équilibre interne – du Parti socialiste, la Révolution russe et la perspective d’une conférence internationale des socialistes, alliés, neutres et ennemis, à Stockholm.
1917, réveil de l’Internationale ?
De la Révolution russe à la paix des peuples ?
30Les socialistes se méfiaient toujours de la Russie tsariste. Celle-ci était soupçonnée de manière récurrente de complaisance envers l’Allemagne. L’entourage de la tsarine notamment, le chef du gouvernement, Stürmer, étaient accusés plus ou moins nettement de préparer une paix séparée avec l’Allemagne. Cachin les mit en cause à la fin de 1916 :
- 60 M. Cachin, intervention à la Chambre des députés réunie en comité secret, 1er décembre 1916.
« Nous avons le droit ici, entre nous, Français, de savoir ce que pourra faire avec nous, après nous, un pays sur lequel nous avons tant compté, et qui nous apporte en ce moment, avouons-le, tant de déboires […]. Il faut que nous sachions si, au point de vue intérieur, nous pouvons compter de façon absolue sur la fraction gouvernante de la Russie, car je suis sûr que l’on peut compter sur la nation russe60. »
- 61 Non sans inquiétude parfois : « Nous sommes hantés par le souvenir de la Révolution française qui (...)
31La chute du tsarisme souleva l’enthousiasme de tous les socialistes. La Révolution russe fut considérée aussitôt comme un phénomène majeur du siècle. Suivant l’habitude française, les événements étaient perçus au travers du prisme des souvenirs et des exemples de la Révolution française. Les assimilations à La Fayette, Danton ou Robespierre furent souvent sous-jacentes, parfois explicites61. La révolution permettait désormais de présenter une analyse gratifiante de la guerre. Les démocraties, bientôt renforcées par la grande République américaine, combattaient le militarisme et l’impérialisme au pouvoir dans les Empires centraux, en Turquie et en Bulgarie. La guerre devenait pleinement la guerre du Droit. Ce fut le sens donné à la réunion publique organisée le 1er avril 1917 par la Ligue des droits de l’homme pour apporter un soutien enthousiaste à la Révolution russe. Jean Longuet ne tarda pas à exprimer la même allégresse, il marquait cependant une nuance non négligeable par rapport au discours majoritaire. Celui-ci évoquait la victoire ainsi facilitée, Longuet préférait parler de « paix commune et durable », qu’il opposait également à « la paix séparée », hypothèse refusée même par les plus extrémistes.
- 62 J. Longuet, « L’offensive réactionnaire dans le Parti », Le Populaire, 25 août 1917.
32Dans l’état d’informations des événements russes et à ce moment, avant le retour de Lénine et les thèses d’avril, les analyses de Longuet, même rétrospectivement, ne font pas trop mauvaise figure. Le directeur du Populaire n’avait pas tort de démentir ceux qui voyaient en Kerenski un agent de Guillaume, ni, plus sérieusement, de montrer les dangers des ambitions excessives de Milioukov. Son programme de paix fondée sur les principes de Wilson et appuyé par une action commune, solidaire et coordonnée du prolétariat mondial, n’était pas irréalisable et correspondait à une perspective de plus en plus crédible en Europe. Longuet affirmait une volonté de soutien global aux socialistes russes, d’appel à l’unité, tout en exprimant des analyses proches de celles de ses amis mencheviks. Son « grand homme » n’était plus Plekhanov. Il jugeait que, comme pour Guesde, la guerre lui avait été fatale et qu’en quelque sorte, le vénéré maître « se survivait » à lui-même62. Il fallait le remplacer, trouver celui qui deviendrait le guide sage, le conseiller du mouvement socialiste. Dans les premiers mois, Longuet sembla avoir jeté son dévolu sur Tseretelli. À partir de juillet, il se montra plus hésitant. Il soutenait Kerenski contre les articles de presse qui en faisaient un défaitiste, mais c’était sans doute de Martov qu’il se jugeait le plus proche. Longuet connaissait Lénine, depuis l’époque où tous deux habitaient à proximité du Parc de Montsouris, il le considérait comme partie intégrante de la famille socialiste, refusait toute mesure d’ostracisme à son égard et saluait « ses longues années de dévouement ». L’essentiel des thèses d’avril était connu des lecteurs du Populaire : les minoritaires comprenaient que les aspects concrets de ce programme, la paix, le partage des terres, plussent aux masses et dès la CAP du 24 juillet, Delépine et Longuet prirent la défense de Lénine, alors en fuite. Mais ils ne pouvaient que regretter l’extrémisme de ceux que la presse socialiste appelait les maximalistes, leur refus de l’unité et leur propension à accepter une paix séparée.
- 63 J. Longuet, « Les épreuves de la Russie nouvelle », Le Pays, 31 juillet 1917.
33Surtout, juillet marqua la fin de la période heureuse de la Révolution russe. L’échec de l’offensive Broussilov, les menaces de dislocation de l’ancien Empire compliquaient la tâche des dirigeants russes. Longuet n’avait jamais été un forcené de l’indépendance de chaque groupement national. Il lui fallait des conditions d’ancienneté historique, un certain degré d’avancement culturel et surtout la possibilité de concordance entre la revendication nationale et les intérêts suprêmes de l’émancipation générale pour qu’il accordât son soutien. Aussi, soutenait-il les efforts du gouvernement provisoire pour maintenir l’intégrité territoriale de la Russie, tolérant les seules exceptions de la Pologne et de la Finlande. L’Ukraine notamment, « patrie de Pouchkine et de Gogol », dont la langue n’était qu’un « simple dialecte russe », ne saurait se séparer de sa « grande sœur slave » pour s’engager dans l’aventure, ouvrant la voie à une dislocation générale de cet ensemble composite comprenant de 140 à 175 nationalités63.
- 64 Martov, « La politique de Lénine », Le Populaire, 22 décembre 1917 et id., « Les social-démocrates (...)
- 65 J. Longuet, « À Stockholm ! », Le Populaire, 1er décembre 1917.
34L’annonce de la prise du pouvoir par les bolcheviks le plaça donc dans une situation difficile. Outre les critiques contre les gouvernements de l’Entente jugés responsables des difficultés par leur refus de permettre la réunion de Stockholm, il ne pouvait que reconnaître que la situation lui paraissait trouble, chaotique et tragique, en appeler à « la voix de la raison », et recommander de suivre les conseils de réconciliation émis par les cheminots russes, bastion du menchevisme, ou de rechercher les voies d’une médiation du socialisme international, à défaut de celle de l’Internationale. Suivant le schéma classique des militants de la gauche française, il essayait de plaquer sur l’événement une grille de lecture donnée par la Révolution française : aussi, ce succès des maximalistes lui faisait craindre un prochain Thermidor. Longuet attribuait une grande part de responsabilité dans les événements de Petrograd à la politique des gouvernements alliés. Dans un premier temps, il approuva l’adresse du groupe socialiste « à la Révolution russe » qui prodiguait de sages conseils : écarter la paix séparée, élire la Constituante afin de stabiliser le régime et d’éviter la dictature. Il communiqua même à L’Humanité une lettre de Martov qui exposait les griefs des mencheviks internationalistes à l’encontre du nouveau gouvernement64. Journaliste, il aurait certainement apprécié de pouvoir se rendre compte davantage par lui-même de la situation : un premier voyage en compagnie de Renaudel fut ainsi sérieusement envisagé de mai 1917 à janvier 1918, mais, comme pour Stockholm, le gouvernement français refusa les passeports. Finalement, incontestablement embarrassé, Longuet considérait que la meilleure réponse à donner pour sortir des difficultés russes, comme pour mettre fin à la prolongation des hécatombes, tenait en deux mots simples : « À Stockholm65 ! »
Stockholm, l’espoir
- 66 M. Rebérioux, « Le socialisme et la première guerre mondiale… », op. cit., p. 625.
35Toute l’année 1917, en effet, avant que s’imposât le thème de « la grande lueur apparue à l’est », Stockholm avait mérité son surnom d’étoile du nord. Ce « grand espoir manqué66 » avait mobilisé sur le moment beaucoup plus d’attention et d’espérance que les vicissitudes embrouillées du pouvoir à Petrograd. L’historique de la conférence est connu. Après les multiples tentatives et ébauches des trois années précédentes, la réunion d’une conférence internationale socialiste comprenant les partis des divers camps apparaissait possible. Le secrétaire, Huysmans, se décidait en effet à la convoquer régulièrement. Certes, l’opposition de Vandervelde, ministre d’État, posait bien quelques problèmes de procédure. La convocation passa donc par une initiative des socialistes hollandais (22 avril), associés au demeurant depuis 1914 au BSI, complétée et renforcée par les Scandinaves (15 mai). Si Troelstra passait plutôt pour un neutre à nuances germanophiles, Branting était considéré comme un neutre à tendances francophiles. Ce double patronage élargissait considérablement les chances de succès de cette tentative de reprise des relations internationales.
- 67 J. Longuet, « Pourquoi nous devons aller à Stockholm », L’Humanité, 14 mai 1917.
- 68 Sur leur mission, cf. D. Lejeune, « Les missions de la SFIO dans la Russie de 1917 », Revue histor (...)
- 69 Le Populaire, 28 mai 1917.
- 70 APP Ba 1470.
36Longuet et ses amis avaient bataillé pour obtenir la participation de la SFIO à cette conférence. L’expression des minoritaires dans L’Humanité avait été décidée par le conseil national du 4 mars 1917. Plus d’un an après son dernier article dans le quotidien dont il avait été dix ans rédacteur, Longuet publia donc une tribune libre clairement intitulée : « Pourquoi nous devons aller à Stockholm67. » Son point de vue fut renforcé par deux articles de Pressemane et de Mistral. La majorité avait longtemps pu s’y opposer, même si tous ses partisans ne reprenaient pas les outrances de Guesde qui parlait de « piège boche ». La demande des socialistes russes de participer à une conférence internationale renversa le rapport de forces. Le ralliement de la plus grande partie des majoritaires à l’idée de conférence fut acquis au conseil national du 27 mai après le compte rendu enthousiaste de Cachin et Moutet, de retour de Russie68. La pression russe rendait peu concevable un refus, malgré les préventions des plus ardents jusqu’auboutistes, Guesde, Thomas, Gaston Lévy, etc. « Le conseil national accepte d’enthousiasme la conférence internationale demandée par les socialistes russes » fut donc la formule retenue. Un débat s’enclencha sur la composition de la délégation française, chargée d’aller à Petrograd et à Stockholm préparer la conférence prévue pour la mi-août. Renaudel fit accepter une représentation réduite à lui et à Longuet pour éviter « toute caravane69 ». « Renaudel-Longuet, c’est deux copains » s’écria Bourderon en constatant que la gauche zimmerwaldienne ne serait pas représentée70.
- 71 J. Longuet, « L’offensive pour la paix », L’Humanité, 8 juillet 1917.
- 72 Kerenski, ministre de la Guerre et de la Marine, était le principal promoteur de l’offensive Brous (...)
- 73 P. Renaudel, « L’accord fondamental », L’Humanité, 14 février 1918.
37L’enthousiasme était réel dans le parti et l’opinion militante. Il favorisait une certaine détente interne et créait aussi les conditions du rassemblement au centre souhaité que décrit Annie Kriegel. Préparer les conditions de la paix passait par l’action internationale des peuples qui devaient se retrouver à Stockholm. Mais il fallait aussi une situation militaire favorable aux pays démocratiques où cette action internationale allait pouvoir au mieux s’exercer. Et là, Longuet n’était plus si éloigné de Renaudel. Les colonnes de L’Humanité lui étaient à nouveau ouvertes. Son éditorial « L’offensive pour la paix71 » renouait avec certains articles du début de la guerre. Une fois de plus, le souvenir de la Révolution française enflammait l’imagination. La Russie révolutionnaire allait montrer au monde qu’elle était capable de se battre. L’action de Kerenski et de Tseretelli72, « le grand politique de la Révolution russe », était encensée et les victoires de Galicie emportées par Broussilov mises au service de Stockholm, de la paix à venir et de la « fi n de l’impérialisme en France, Grande-Bretagne, Italie, Allemagne, Autriche-Hongrie »… À nouveau était frappante la similitude entre les analyses de Longuet et celles des mencheviks russes. Les événements ne devaient pas confirmer l’optimisme de Longuet. Échec de l’offensive russe, échec final de Stockholm, effacement rapide en Russie de son principal promoteur, Tseretelli, puis de son parti lui-même… les destinées de la guerre, comme de la Révolution russe, allaient différer de ce qu’il espérait. Il n’eut plus l’occasion d’écrire sur ce sujet dans L’Humanité avant le changement de majorité en 1918. Cela n’empêchait pas Renaudel de souligner « l’accord fondamental » qui existait entre Longuet et lui sur les conditions de la paix à venir73.
- 74 J. Longuet, « Les résultats de Londres », Le Populaire, 2 mars 1918. Longuet s’opposait cependant (...)
- 75 L’essentiel du mémorandum est publié par Compère-Morel dans le dernier volume de son Encyclopédie (...)
38En attendant la conférence internationale de Stockholm, les rencontres socialistes entre pays alliés continuaient. Sous la présidence de Sidney Webb, Longuet fut secrétaire de la commission chargée d’étudier les questions territoriales pour la conférence de Londres (21 au 23 février 1918). Le mémorandum voté par la conférence avec son aval74 reprit les grandes lignes des quatorze points exposés le mois précédent par Wilson. Sur l’Alsace-Lorraine, objet de conflits internes au socialisme français, la formulation adoptée laissait la porte ouverte à diverses formes de retour à la France. Quelques précisions complémentaires étaient apportées sur les colonies, considérées comme relevant d’un « état de fait », mais où un certain nombre de réformes étaient attendues, et sur la Palestine, clairement dévolue aux Juifs qui, « s’ils le désirent », pourront y « retourner et développer leur civilisation, sans subir l’influence de races ou de religions étrangères75 ».
Faire la paix ou faire la guerre ? Longuet, Caillaux et Clemenceau
- 76 Cf. J.-C. Allain, Joseph Caillaux, L’oracle, 1914-1944, Imprimerie nationale, 1981, p. 116. Fin se (...)
- 77 64 000 exemplaires pour Le Pays contre 66 000 à L’Humanité au 1er novembre 1917, soit le double de (...)
39Longuet ne comptait pas sur le seul jeu des forces socialistes pour amener un renversement des destinées de la guerre. Il n’oubliait pas non plus l’action des forces parlementaires. La situation de 1917 apparaissait singulièrement indécise pour reprendre un qualificatif de Poincaré. Des équipes étaient prêtes, dans la plupart des pays belligérants, à rechercher les voies d’une paix de compromis : cela aurait pu se faire en France autour de Caillaux, ou même de Briand, en Grande-Bretagne avec Lord Lansdowne, en Allemagne avec Erzberger et en Autriche-Hongrie avec le soutien explicite du nouvel Empereur. Pour sa part, Longuet cultivait ses liens avec la gauche radicale, sensible aux aspirations pacifistes, en s’exprimant dans les colonnes du Pays, fondé le 1er juin 1917 par Albert Dubarry grâce au financement des frères Wertheimer. Proche de la Ligue des droits de l’homme (Buisson, Basch, Guernut, Aulard…), de Painlevé et de Caillaux, représenté au sein de la rédaction par les fidèles Ceccaldi et Accambray, Le Pays représentait l’ossature d’une équipe susceptible de conclure un jour une paix de compromis76. La diffusion du Pays le classa parmi les quotidiens, certes de second rang, mais notables : il faisait jeu égal avec L’Humanité77. Nouvel avatar des possibilités d’action commune des socialistes et des radicaux, ce quotidien ouvert aux préoccupations pacifistes était également irréprochable sur le plan patriotique. Les socialistes présents, notamment Marcel Cachin, Georges Weill, Georges Renard, s’étaient distingués par leurs prises de position sans ambiguïté en faveur de l’Union sacrée. Longuet était le seul minoritaire à participer au journal, mais il put compter assez vite sur la sympathie de jeunes écrivains de plus en plus révoltés par la poursuite de la « boucherie » : Henri Barbusse, Victor Margueritte, Raymond Lefebvre, Paul Vaillant-Couturier. Longuet y mena campagne en faveur de Stockholm. Il voulait rassurer en même temps : les devoirs imposés par la défense nationale étaient fortement rappelés. Mais quel débouché parlementaire ou gouvernemental pour accompagner la tenue de la conférence ? Rien n’apparaissait encore clairement.
- 78 P. Renaudel, « Pour un gouvernement de guerre » ; A. Thomas, « Ce que les socialistes entendent pa (...)
- 79 J. Longuet, « Le nouveau ministère et le socialisme », Le Populaire, 22 septembre 1917.
40Le refus gouvernemental des passeports pour Stockholm (1er juin 1917) allait révéler au grand jour les ambiguïtés du compromis passé entre socialistes au printemps. Les minoritaires voulaient marquer leur opposition alors que les majoritaires menaient campagne en faveur d’un gouvernement de guerre, qui mettrait en avant Albert Thomas78. Clemenceau allait utiliser la même thématique, mais en se passant des socialistes. La fin de la participation ministérielle des socialistes en septembre 1917 n’eut pas pour seule cause l’influence croissante de la minorité. L’usure des ministères en place finissait par peser. Le retrait en décembre 1916 de Guesde et de Sembat s’expliquait aussi par la lassitude de l’opinion face aux ministres d’État au rôle trop décoratif et à un ministre jugé responsable des défaillances du ravitaillement. En outre, la volonté prêtée à Thomas de devenir ministre des Affaires étrangères, ou mieux encore, avait achevé de compliquer la situation. La poussée minoritaire, le refus des passeports qui minait l’argument de l’efficacité, le sens tactique de Renaudel qui jugeait utile le retrait ministériel pour l’emporter au congrès de Bordeaux, toutes ces données jouèrent sur le choix final du groupe parlementaire. Le gouvernement Painlevé ne comporta plus de ministre socialiste. Il ne fut pas pour autant en butte à l’hostilité des socialistes, y compris des minoritaires qui manifestèrent à son égard une certaine bienveillance79. L’ensemble du groupe s’abstint dans le vote sur l’investiture, ce qui constituait aussi un retour aux méthodes d’avant-guerre, lorsque l’abstention était la forme choisie pour exprimer le soutien implicite.
- 80 Lors du débat parlementaire d’investiture, Longuet lança ainsi « Le temps, c’est du sang », séance (...)
- 81 J. Longuet, « Georges Clemenceau et la démocratie », Le Pays, 16 novembre 1917.
- 82 La CAP du 30 décembre 1917 accepta l’adhésion de Diagne, cf. Le Populaire, 5 janvier 1918.
- 83 Les commissaires conservèrent leurs fonctions jusqu’en juillet 1918, les reprirent du 1er janvier (...)
41De toute façon, le cabinet Painlevé dura peu. Dès avant sa chute, les socialistes avaient entrepris de mener campagne contre le recours à Clemenceau. En principe, ce gouvernement Clemenceau malgré tout constitué, et placé sous le signe du fameux « Je fais la guerre », avait au moins l’avantage de régler l’épineux problème de la participation ministérielle des socialistes. Longuet avait au demeurant indiqué dès le départ tout le mal qu’il fallait penser de l’orientation gouvernementale choisie par Clemenceau, non en raison du passé personnel du Tigre – les socialistes avaient bien accepté Briand, sans doute encore plus détesté avant-guerre ! – mais parce que le sénateur du Var, animé par un « jusqu’auboutisme aveugle80 », était « le plus redoutable auxiliaire des éternelles campagnes de chantage et de calomnie81 ». Du côté majoritaire, Renaudel, rival varois de Clemenceau, Thomas, écarté de la conduite des affaires, étaient disposés à mener une vie difficile au gouvernement. On se tromperait grandement cependant à supposer que le nouveau président du conseil ne pouvait pas compter sur quelques appuis plus ou moins déclarés au sein du groupe socialiste. Laval, Bon et Jobert étaient des « clemencistes » affichés, mais Lucien Roland, dans l’intimité de ses Carnets, ne dissimulait pas non plus l’admiration qu’il éprouvait pour la politique énergique de Clemenceau et son regret de l’opposition trop vive pratiquée par le groupe socialiste. Vingt-cinq députés socialistes se contentèrent de s’abstenir lors du vote de confiance, alors que la majorité (soixante-quatre) du groupe votait contre. L’habile président du conseil put même nommer hauts commissaires du gouvernement trois socialistes cinq semaines seulement après la formation de son cabinet. Certes, les commissaires n’avaient pas rang de ministres, mais ils étaient ainsi associés à la gestion des affaires du pays. Compère-Morel, adversaire opiniâtre de la participation dès le départ, était chargé de l’application de la loi sur la mise en culture des terres abandonnées, Blaise Diagne, député du Sénégal et nouveau venu à la SFIO, se voyait confier le recrutement indigène82, Fernand Bouisson, député de Marseille, s’occupait de l’organisation et de la réquisition de la marine marchande. Le cas de ce dernier posait un problème particulier à la minorité, puisque, non sans prudence, il en était membre. Ce fut sans doute une des causes de la réunion officielle de la minorité en conférence nationale avant le conseil national des 17 et 18 février 1918. L’organisation de la minorité était d’autant plus urgente que son homogénéité était sérieusement menacée. Longuet aurait voulu permettre à Bouisson de conserver son poste, mais il fut nettement battu par une proposition de Verfeuil demandant la démission immédiate des commissaires (674 mandats contre 274). Le conseil national qui suivit manifesta de nouveaux progrès de la minorité : 1 415 mandats contre 1 548 à un texte de Renaudel pour le vote final, mais personne ne pouvait ignorer que la situation était en fait plus complexe. Si visiblement s’épuisaient les anciennes formules de direction du Parti, les nouvelles étaient encore loin d’apparaître. La question spécifique des commissaires du gouvernement Clemenceau illustrait cette situation mouvante : un texte à peu près unanime autorisa « jusqu’à nouvel ordre » les commissaires à conserver leurs postes, à « appliquer sans défaillance le programme pour la réalisation duquel ils ont été appelés » tout en ne leur reconnaissant « aucune part de responsabilité politique » et non sans demander qu’à l’avenir groupe et CAP soient prévenus de propositions analogues afin de pouvoir se déterminer83… Anecdotes dérisoires sans doute, mais qui aident à saisir la complexité et les faux-semblants des comportements et pratiques parlementaires.
42Longuet avait donné un tour plus public à son action. Cela n’allait pas naturellement sans encourir de forts risques personnels. Cible de campagnes de presse, il était à la merci d’une provocation. La machination la plus importante ourdie contre lui semble bien avoir été celle que relata Frossard au congrès de Tours, dans une émouvante péroraison rappelant « les heures difficiles » destinées à maintenir Longuet et ses amis dans le nouveau parti :
- 84 Le Congrès de Tours, édition par J. Charles et alii, Éditions sociales, 1980, p. 521.
« Certains jours, au plus fort de notre bataille internationaliste, nous avons pu croire qu’on allait faire à Longuet le sort tragique que vous devinez. Nous avions reçu au Populaire, d’un camarade mobilisé au service de la Tour Eiffel, un radio intercepté à Paris, adressé par l’ambassadeur d’Allemagne au gouvernement de Berlin ; et ce radio contenait en deux lignes l’affirmation monstrueuse que l’on pouvait agir financièrement sur Longuet et le groupe d’amis groupés autour de lui au Populaire. La manœuvre était visible. […] on voulait s’armer contre Longuet de ce télégramme […] pour l’envoyer au conseil de guerre et peut-être au poteau d’exécution84. »
- 85 Entretien avec Robert-Jean Longuet, 5 juin 1985.
- 86 Louise Saumoneau, Charles Rappoport furent un temps emprisonnés, mais vite libérés. En l’absence d (...)
43Selon le témoignage de Robert-Jean Longuet, son père à l’accoutumée peu méfiant, prit cette fois l’information au sérieux85. Il consulta Sembat, qui en jugea de même, et qui lui recommanda de saisir aussitôt Clemenceau. L’affaire n’eut pas de suite. Certes, la protection personnelle du président du conseil, qui continuait à appeler Longuet « mon petit Jean », n’expliquait pas tout. Aucun socialiste ne figura parmi les hommes politiques alors mis en cause, Malvy, Caillaux, Paul Meunier, Loustalot, etc. Frapper un socialiste aurait été sans doute risqué, d’une part en raison de la réaction collective du Parti, de l’autre en menaçant les assises de l’Union sacrée, globalement utile et nécessaire à la conduite du pays en guerre86. Le patriotisme foncier des animateurs de la minorité socialiste était malgré tout un appui précieux. Par eux-mêmes, les socialistes n’étaient pas susceptibles de former un gouvernement favorable à une paix de compromis. Ils pouvaient constituer un appoint important, mais le danger pour les partisans de la politique de guerre définie par Clemenceau se trouvait dans un renversement de tendance des notables radicaux. Discréditer Caillaux et Malvy importait davantage que prendre le risque de détacher les masses ouvrières de la défense nationale en s’attaquant frontalement aux socialistes de la minorité.
44Au printemps 1918, la France se trouvait en difficulté, malgré l’arrivée « attendue » des Américains. La suppression du deuxième front en Russie permettait à l’Allemagne de lancer une vigoureuse offensive sur le front occidental. Celle-ci engagée, et non sans avoir dénoncé ce qu’il estimait être les responsabilités gouvernementales dans la prolongation du conflit, Longuet faisait une nouvelle fois la preuve que son pacifisme s’inscrivait dans le cadre d’une politique de défense nationale, et non contre elle, en appelant à la « résistance » et en refusant toute autre pensée que « la nécessité pour tout le pays de tenir ». Son désaccord avec les gouvernements alliés sur les buts de guerre n’empêchait pas qu’il continuait à refuser la perspective d’une victoire allemande :
- 87 J. Longuet, « L’heure tragique », Le Populaire, 30 mars 1918. De même, Longuet avait lancé à Cleme (...)
« Il y a quelque chose qui nous est encore plus odieux que la guerre elle-même, c’est l’idée que les démocraties de l’Occident pourraient tomber sous le talon de fer du militarisme prussien87. »
- 88 Réunion du syndicat des cheminots de Paris P.L.M., 26 mars 1918, CARAN, F 7/13 683, cité par J.-L. (...)
45Sa réaction n’était pas isolée. Désormais proche de lui, Cachin pouvait ainsi retrouver les accents politiques les plus émus de l’Union sacrée lorsqu’il interpella Clemenceau le 4 juin 1918 : « Vous n’avez en face de vous que des hommes de bonne foi, désireux d’aider tout effort accompli pour le salut de la patrie. » On pourrait citer aussi Bourderon : « J’irai, s’il le faut, un fusil à la main me battre pour la défense de Paris, bien que j’ai soixante ans, mais est-ce là abdiquer mes principes et mes idées ? Un interlocuteur (ironique) : Alors, vive la France ! Bourderon : Oui, vive la France et aussi l’Internationale88 ! »
- 89 J. Longuet, « L’heure attendue », « Après l’effort de nos soldats », Le Populaire, 22 juillet et 6 (...)
- 90 La Revue républicaine parut d’août 1918 à juillet 1919 (12 numéros, collection à la BDIC, 4° P 358
46Ce n’était qu’après avoir repoussé la menace allemande que pourrait venir l’heure de la négociation, de la paix des peuples fondée sur les principes wilsoniens. Pour Longuet, ce fut chose faite à partir de la fi n juillet 191889, mais, comme bien d’autres, il n’eut guère conscience de l’état d’épuisement dans lequel se trouvaient les Empires centraux et de l’imminence de leur effondrement. Les socialistes ne désespéraient pas de parvenir à la constitution d’une alliance avec les bons républicains, hostiles à la « dictature » de Clemenceau, aux intrigues d’Ignace et de Mandel, particulièrement haïs. Anciens majoritaires et minoritaires se retrouvèrent au sein de la Coalition républicaine, formée pendant l’été 1918 par des socialistes et des radicaux pour protester contre le procès Malvy. La Revue républicaine90 s’efforça d’animer ce regroupement. Sans grand succès. Seuls des radicaux traditionnellement en bons termes avec les socialistes, tels le général Percin, le député Dalbiez, proche de Caillaux, mais aussi le sénateur Debierre, qui ne l’était pas, s’y retrouvèrent auprès de Marcel Cachin, et de Raymond Lefebvre. Les appels de Longuet à l’action pour imposer la paix des peuples furent vite rendus sans effet par l’accumulation des victoires alliées. Longuet s’efforça alors de présenter la fin de la guerre autant comme un effet de la révolution allemande, et des autres soulèvements en Bulgarie et en Autriche-Hongrie, mais ceux-ci intervenaient trop tardivement pour que cette présentation pût convaincre.
Les ruptures
Que faire du bolchevisme ?
- 91 J. Longuet, « La Russie et l’Internationale », op. cit.
- 92 J. Longuet, « Au secours de la Révolution russe », op. cit.
47Longuet ne dissimula pas son embarras devant la prise du pouvoir par les bolcheviks : « Nous ne savons rien de décisif », il fallait « attendre », les renseignements étaient « suspects91 », la situation « trouble, chaotique, tragique92 »… Dans ces conditions, le mieux était de s’en tenir aux principes : « Le salut de la Russie […] est dans l’élection immédiate de la Constituante. » Pendant la plus grande partie de l’année 1918, les événements de Russie ne purent pas être considérés en dehors du contexte de la guerre. Celle-ci s’imposait comme le fait majeur et même le fait extraordinaire d’une expérimentation socialiste demeurait secondaire par rapport à elle. L’incompréhension, voire la condamnation du bolchevisme atteignit son paroxysme au moment de la paix de Brest-Litovsk qui laissa la France seule face à la menace d’une ruée allemande.
- 93 J. Longuet, « À Stockholm ! », Le Populaire, 1er décembre 1917.
- 94 Séance du 27 décembre 1917.
48La crainte d’une paix séparée n’était pas nouvelle. Singulièrement depuis novembre, les socialistes avaient tenté de conjurer cette perspective insupportable d’une France qui se retrouverait en mauvaise posture par le « lâchage » d’une Russie devenue républicaine et gouvernée par des socialistes, quelque extraordinaires fussent-ils. Dans Le Populaire, Longuet évoquait « les conséquences redoutables et épouvantables de l’action de Lénine et de Trotski » : le risque d’une paix avec l’Allemagne. Contre cette perspective, il fallait agir en socialiste et en républicain. En socialiste, donc aller à Stockholm, comme le demandait « le loyal et clairvoyant Huysmans », afin de rétablir le contact entre le socialisme international et la Russie révolutionnaire, en républicain, cela signifiait « suivre la politique de Lansdowne », réviser les buts de guerre, abandonner les visées impérialistes, donc préparer les bases honorables d’une paix de compromis93. À la Chambre, Longuet, tout en rappelant « ses réserves formelles sur la méthode mi-blanquiste et mi-bakouniniste » de Lénine, affirmait que la réunion de la conférence de Stockholm était « le seul » moyen permettant à la Russie de « tenir94 ». Mistral développa l’interpellation déposée en commun avec Pressemane et Longuet dès le début de décembre. Pour les socialistes s’imposait l’objectif de saisir l’occasion d’une crainte de la défection russe pour parvenir à une paix négociée, en tout cas à une révision des buts de guerre. La politique du « Je fais la guerre » mise en place, ils restèrent cependant isolés sur ce point et ils ne furent rejoints que par de rares radicaux de gauche (Ponsot, Paul Meunier, Durafour…) : l’ordre du jour Longuet-Mistral fut rejeté par 378 voix contre 103.
- 95 J. Longuet, « L’heure tragique », Le Populaire, 30 mars 1918. Les dirigeants russes avaient songé (...)
- 96 J. Longuet, « Les bolcheviks et l’Allemagne », Le Populaire, 30 août 1918.
49Un des arguments les plus répétés des socialistes, y compris de l’ancien ministre Sembat, était qu’il fallait rechercher l’entente avec le gouvernement bolchevik, lequel assurait au moins une autorité de fait, pour conserver la Russie comme alliée. La solidarité idéologique était délaissée au profit d’un pragmatisme patriotique. Le témoignage d’hommes d’État, de journalistes français ou britanniques, était ainsi sollicité. Les bolcheviks étaient présentés comme seuls susceptibles de s’opposer à l’impérialisme germanique alors que les liens de leurs adversaires avec l’Allemagne étaient sans cesse rappelés. Après Brest-Litovsk et alors que se déployait l’offensive Ludendorff, Longuet peignait encore un Trotski « faisant appel à la mission militaire française de Moscou pour réorganiser l’armée russe et la dresser devant les hordes ennemies95 ». La conclusion de la paix n’empêcha pas les minoritaires d’annoncer maintes fois comme imminente la reprise des hostilités de la Russie des soviets contre l’impérialisme germanique96.
- 97 J. Longuet, « La Russie et nous », « La République des Soviets et ses détracteurs », Le Populaire, (...)
- 98 Le Populaire, 26 janvier 1918.
- 99 Le Populaire, 26 janvier et 16 février 1918.
- 100 Le Populaire avait déjà publié en mars 1918 des reportages de Madeleine Doty, « Joies et douleurs (...)
50L’expérience socialiste en Russie elle-même demeurait mal connue. Grand lecteur de journaux, Longuet recevait également des précisions ou des témoignages de certains confrères avec lesquels il entretenait des relations amicales : Philip Price, du Manchester Guardian, Arthur Ramsone, du Daily News, sans compter les missives reçues de Jacques Sadoul ou de René Marchand, correspondant du Figaro rallié à la Révolution97. Connaissant personnellement plusieurs des acteurs de la révolution, soucieux du respect des faits, il ne pouvait croire toutes les attaques de la presse contre les bolcheviks, souvent présentés comme de simples agents du Kaiser. Il cita ainsi le cas de Radek ou de l’ancien menchevik Pavlovitch, un des négociateurs de Brest-Litovsk, ancien collaborateur du Mouvement socialiste. Son embarras se retrouva à l’intérieur de son courant et de son journal. Spécialiste attitré du mouvement russe, Rappoport n’avait pas caché sa méfiance : « On ne socialise pas la misère » et, amateur de boutades, indiquait qu’il préférait « prendre l’ascenseur plutôt que de sauter directement du sixième étage sur le trottoir98 ». Boris Souvarine, lui, chargé de la rubrique ad hoc au sein du Populaire s’enthousiasma dès le départ99. Les reportages plutôt bienveillants de Madeleine Doty furent traduits par Anita Longuet et publiés en mai 1918100.
- 101 Séance du 11 janvier 1918, Chambre des députés.
- 102 J. Longuet, « Une heure avec Kerensky » et « Ce que dit l’ambassadeur de la République des Soviets (...)
- 103 APP Ba 1470, rapport du 10 juillet 1918.
51Longuet espérait toujours un rapprochement des diverses tendances socialistes : il attendait au moins de la réunion de la Constituante un cadre pour l’organisation de l’expression des désaccords, et éventuellement un lieu d’arbitrage. Sa dissolution était demeurée pour lui une « blessure », même s’il voulait espérer qu’un rôle analogue pût être tenu par les Soviets. Publiquement, il s’en tenait à une solidarité de principe avec l’ensemble des socialistes russes. Cachin, également partisan d’une entente entre les gouvernements alliés et celui des Soviets, pouvait bien regretter que Trotski remplisse de socialistes la prison Pierre-et-Paul, Longuet et Moutet cherchaient à présenter les désaccords entre socialistes comme relevant des polémiques habituelles de congrès101. Progressivement, toutefois, Longuet prenait acte de la durée du pouvoir bolchevik et acceptait de le considérer avec sympathie, mais sans condamner ses précurseurs. Il rencontrait et interviewait Litvinov, ambassadeur officieux des Soviets en Grande-Bretagne, mais aussi Kerenski, le « Danton de la Révolution russe à l’étoile pâlie102 ». Contrairement à la plupart de ses amis minoritaires, il accepta de participer au banquet donné en l’honneur de Branting et de Kerenski à l’Hôtel Moderne. Son discours refusant « de juger la Révolution russe » et de « condamner aucune tendance » ne fut d’ailleurs pas davantage compris et accepté par les socialistes majoritaires qui participaient à cette rencontre103.
- 104 Conseil national des 28 et 29 juillet 1918, L’Humanité, 29 juillet 1918.
- 105 Chambre des députés, séance du 29 décembre 1918.
52L’embarras, et bientôt l’âpreté des divisions socialistes, à l’égard des événements de Russie, ne pouvaient que se révéler dans toute leur ampleur avec la fin de la guerre. Lors de la séance solennelle de la Chambre du 11 novembre, pendant laquelle Clemenceau procéda à la lecture des dispositions de l’armistice, les députés socialistes se singularisèrent particulièrement, non seulement par leurs interruptions, mais surtout par le fait que celles-ci manifestaient l’antagonisme croissant qui les divisait. Si Mayéras saluait par un « Vive la Révolution russe ! » l’annonce de la possibilité pour les troupes alliées d’accéder aux frontières russes (article 16), Compère-Morel et Lebey lui répondaient par « À bas les bolchevistes » tandis que Barthe essayait de ne pas avoir une attitude uniquement négative en s’écriant : « Vive la Constituante ». Longuet s’était toujours défendu d’être favorable aux bolcheviks sous prétexte qu’il refusait toute intervention militaire. À Albert Thomas qui le sommait de se déclarer « avec les bolcheviks » puisqu’il s’opposait à une intervention alliée après la dissolution de la Constituante, il répondait qu’il valait mieux faire confiance au prolétariat qu’à la force militaire des impérialistes : ce n’était pas aux Français de venir au secours de Tseretelli contre Lénine, pas plus qu’il n’aurait fallu le faire en cas inverse104. Certes, cette argumentation n’était pas sans faiblesse, elle pouvait osciller entre une vision héroïque de l’histoire et un darwinisme social assez grossier : comment prouver que le vainqueur d’une lutte armée avait davantage que l’autre camp la confiance de la classe ouvrière, laquelle n’agissait pas isolée, ni selon les règles d’un tournoi de chevalerie ? Mais comme cette aporie du raisonnement s’équilibrait par le fait que les troupes d’un quelconque Weygand n’étaient pas plus qualifiées pour déterminer les préférences des masses prolétariennes, qu’elles risquaient fort d’amener une restauration du tsarisme honni, et surtout qu’il était difficile de faire approuver une prolongation du conflit pour un semblable but de guerre, l’isolement des thèses interventionnistes au sein du Parti socialiste fut sans cesse croissant. Il n’était guère difficile au demeurant de mettre en avant les prises de position des socialistes russes non bolcheviks hostiles à l’intervention. Il n’est même pas impossible que la crainte d’une aventure militaire ait favorisé le vote en faveur des minoritaires au congrès d’octobre. Dès l’armistice, Thomas se garda d’ailleurs de parler d’intervention militaire pour se contenter de réclamer une action morale et politique. Au demeurant, même le président de la Commission des affaires extérieures de la Chambre, Franklin-Bouillon finissait par juger que le gouvernement Clemenceau avait « travaillé en réalité pour livrer toute la Russie aux bolcheviks » : celui-ci avait en effet laissé les partisans de l’Ancien Régime l’emporter chez les Blancs alors qu’il aurait fallu imposer comme mots d’ordre la terre aux paysans et la Constituante105. Vision pertinente, mais qui soulignait les difficultés des socialistes comme Lebey ou Thomas qui avaient mené campagne en faveur de l’intervention.
La conquête de la majorité
53Le statut politique de Longuet à la fin de la guerre se modifia. Lui-même ou plutôt ses amis à la tête desquels il se trouvait conquérirent la majorité du Parti socialiste. Ce changement de majorité au moment où triomphaient les troupes alliées a parfois été jugé paradoxal. En fait, de même que les difficultés de l’hiver 1917-1918 avaient favorisé les majoritaires, car alors s’imposait la nécessité de tenir qui était au fond de leur discours, de même la victoire et le retour de la paix permettaient de libérer une nouvelle parole. Ce qui était encore indicible auparavant pouvait être dit désormais. Le temps du deuil, à la mesure du drame vécu, était venu et pouvait enfin passer avant toutes autres considérations.
54Cette conquête était également le résultat d’une bataille politique, menée avec les lois du genre. Les chiffres de diffusion du Populaire étaient longtemps restés décevants. Longuet enviait le succès du Journal du Peuple tiré à 45 000 exemplaires. En juillet 1917, au moment où la conférence internationale de Stockholm sembla sur le point de se réunir, il avait été décidé de réaliser entièrement Le Populaire à Paris. L’hebdomadaire s’installa au Quartier latin, 49 rue de Seine. Les fonctions de Léon Berland furent attribuées à Maurice Maurin (gérant) et à Jean Mouret (administrateur), auquel succéda en novembre Alexandre Lavigne. Une société du journal, transformée par la suite en société anonyme, fut mise en place. Le sous-titre fut raccourci et prit une forme plus nette et offensive : « Socialiste-internationaliste ». À partir du numéro 71, daté du 17 novembre 1917, la forme impersonnelle de la direction fut abandonnée au profit d’une formulation bicéphale : Jean Longuet devenait directeur politique et Paul Faure, dont les articles avaient jusqu’alors paru sous le pseudonyme de Pax, rédacteur en chef.
- 106 J. Longuet, « Le Populaire quotidien », Le Populaire, 9 février 1918.
- 107 Pour la commodité, nous maintenons comme référence unique Le Populaire sans prendre en compte les (...)
- 108 La fonction de Barbusse est clairement définie par Longuet : « drapeau vivant pour les combattants (...)
- 109 La lettre de Barbusse à Longuet, 26 avril 1918, CRCEDHC 7/1/29, indiquait bien le caractère symbol (...)
- 110 Cf. lettres de Romain Rolland à Longuet, Le Populaire, 15, 25 et 28 août 1918.
- 111 Les familles Longuet et Lefebvre, originaires toutes deux de Normandie, se connaissaient. Selon Lo (...)
- 112 Avec Barbusse figuraient Romain Rolland, dont Longuet aurait souhaité un engagement encore plus ne (...)
- 113 L’affaire Dreyfus avait provoqué une première rencontre entre intellectuels, action politique et o (...)
- 114 Cf. C. Prochasson, Les Intellectuels, le socialisme…, op. cit., p. 135. Les chapitres v et vi de c (...)
55Au printemps 1918, nouvelle transformation qui correspondait également à de nouvelles ambitions politiques : la minorité se sentait sur le point de conquérir la majorité interne et transformait son hebdomadaire en quotidien « d’action socialiste et d’éducation doctrinale », chargé de s’ouvrir aux « camarades du centre qui se sont rapprochés depuis dix mois de l’effort des minoritaires internationalistes106 ». Annoncé dès février 1918, le nouveau quotidien parut à partir du 11 avril 1918 : le titre était légèrement modifié, devenant Le Populaire de Paris, journal socialiste du soir107. Son lancement se fit avec quelque éclat : la participation des intellectuels qui avaient protesté contre la guerre, fut notamment recherchée. Ainsi, aux côtés de Longuet et de Faure apparaissait un nouveau nom, au titre de directeur littéraire, Henri Barbusse, auréolé du succès du Feu (Prix Goncourt 1916)108. Direction symbolique, mais quotidiennement affirmé par sa présence dans l’ours en tête de la une, soutien politique des plus importants109. Sans s’engager aussi directement, Romain Rolland étendait au Populaire le prestige de sa sympathie et assura Longuet de son appui110. Raymond Lefebvre était en fait le véritable maître d’œuvre de l’ouverture du journal aux jeunes intellectuels qui lui donnaient un ton nouveau111. Parmi les collaborateurs, si une vingtaine de parlementaires et quelques autres élus notables donnaient à l’entreprise toute sa légitimité politique et militante, avec effectivement le concours des personnalités les plus marquantes du courant centriste, la présence, au même rang, d’écrivains en nombre112, témoignait du rôle, inédit au sein de la SFIO113, joué par ces intellectuels, sans doute longtemps « avant-garde marginale114 », mais dont l’intervention s’avérait déterminante pour permettre à la politique souhaitée par les minoritaires de s’exprimer et de s’organiser. L’exemple sera suivi à L’Humanité après son changement de direction.
- 115 Lettre de Barbusse à Longuet, 26 novembre 1918, CRCEDHC, Fonds Longuet, 7/1/30. « Le banquet du Po (...)
- 116 Le premier groupe avait été créé en juillet 1917. 60 groupes purent être recensés (15 à Paris, 24 (...)
56Une attention particulière fut apportée au choix des feuilletons littéraires publiés par Le Populaire, conformément aux vues professionnelles, plusieurs fois répétées, de Longuet : il remercia Barbusse d’avoir autorisé la publication gratuite de chapitres « de son admirable roman Clarté115 ». Le quotidien entendait couvrir toutes les grandes questions de société, signe qu’il se sentait prêt à exprimer une relève politique d’ensemble : étaient annoncées des rubriques sur les mutilés, les blessés de guerre, les locataires, les femmes, les livres, le théâtre, les sciences et techniques, l’enseignement, les coopératives… ainsi que la participation du plus talentueux des dessinateurs politiques de l’époque, Henri-Pierre Gassier. Sa diffusion n’était plus celle d’un organe pour cadres militants. De vingt à cinquante mille exemplaires, elle se situa jusqu’à la fin de 1919 à une hauteur comparable à celle de L’Humanité. Au même moment, l’organisation de la minorité avait été renforcée. Le comité pour la défense du socialisme international s’était doté en février de structures solides. Malgré une présentation rassurante (comité constitué « dans le Parti et au service du Parti »), cotisations particulières, groupes d’action, comité central d’action et de propagande faisaient de ce comité une organisation politique autonome. Avec les Amis du Populaire, chargés de la propagande116, il constitua une efficace armature pour la conquête, puis la réorganisation du Parti dans les mois qui suivirent le congrès d’octobre 1918.
- 117 J. Longuet, « La victoire des principes est réalisée », Le Populaire, 31 juillet 1918. La motion d (...)
- 118 G. Sorel, Lettres à Paul Delesalle, Grasset, 1947, p. 161.
57Le conseil national de juillet 1918 marqua le renversement de majorité. Longuet chercha à personnaliser le moins possible l’événement. Son éditorial sobrement intitulé « La victoire des principes est réalisée117 » insistait sur le fait que l’emportait la volonté profonde du parti, prêt à s’élargir demain dans « la plus grande majorité possible » si un « minimum de clarté et de franchise » était obtenu sur l’intervention armée en Russie et la réunion de l’Internationale. C’était déjà esquisser le rassemblement après la victoire. Un succès au conseil national pouvait-il être suivi d’une défaite au congrès ? Certains l’espéraient, ou le redoutaient. Sorel ne manqua pas de commenter avec acrimonie le répit statutaire obtenu par les majoritaires118. En fait, aucun bouleversement ne pouvait être attendu, mais la recherche d’autres configurations d’alliances, toujours possibles, continua. La prudence de Longuet s’expliquait par le même souci : ne rien faire qui puisse mettre en péril le Parti et son unité, donc il fallait savoir dominer sa victoire, éviter un triomphe trop rapide et trop absolu.
- 119 J. Longuet, intervention au congrès, L’Humanité, 7 octobre 1918.
- 120 Longuet, Mistral, Faure, auparavant pressentis, se seraient récusés, cf. L.-O. Frossard, De Jaurès (...)
- 121 J. Longuet, « L’unité à gauche », Le Populaire, 17 octobre 1918. Longuet, qui déclara au congrès « (...)
- 122 « Pour ma part, je ne suis pas mécontent ; et je constate avec plaisir que ce sont nos vieilles id (...)
- 123 L. Roland, Carnets, op. cit., 11 janvier 1919.
58Le changement de majorité acquis dès le conseil national de juillet et réalisé au congrès tenu du 6 au 10 octobre 1918 est susceptible de diverses interprétations. Certes, Annie Kriegel l’a fortement caractérisé comme fondé sur un rassemblement au centre. Mais centre ou centrisme sont des notions complexes, difficiles à définir et qui peuvent recouvrir bien des attitudes différentes. Faut-il réserver l’appellation au courant ainsi intitulé, favorable au compromis et à la synthèse générale ? Longuet, comme le reste de la minorité, refusait cette voie. Il n’entrait pas pour autant dans une stratégie de revanche et d’affrontement systématique, mais il voulait, au moins, « liquider le passé par un vote de clarté et de franchise119 ». En fait, il souhaitait la réussite de la formule politique à laquelle il fut constamment attaché : le rassemblement au centre gauche. La nouvelle majorité était ouverte aux ralliements : ceux-ci furent explicitement encouragés par la désignation au plus beau poste en jeu, celui de directeur de L’Humanité, non d’un minoritaire historique, mais d’un allié ou rallié, toujours officiellement centriste, Marcel Cachin120. La signification de ce geste n’échappa pas aux anciens majoritaires qui se déchaînèrent. Renaudel protesta véhémentement contre ce candidat absent au moment du débat et situé en dehors de la nouvelle majorité. Habilement, Longuet répondit que Cachin était situé « dans le centre vivant du Parti » : il posait ainsi les conditions favorables à la réalisation d’une majorité élargie, isolant les extrêmes, mais au profit de son groupe. Si lui-même ne prenait aucune responsabilité nouvelle, il pouvait apparaître publiquement comme le maître d’œuvre de la nouvelle équipe121. Apparemment, la fin de la guerre aidant, sa stratégie de rassemblement s’avérait payante. Un ancien majoritaire aussi ardent que Lucien Roland ne cachait pas son plaisir de travailler avec la nouvelle direction122. Les réseaux guesdistes reprenaient leur rôle fédérateur, sans grands états d’âme, puisque précisément Guesde et ses amis avaient conçu l’Union sacrée comme une parenthèse strictement réservée au temps de guerre. La victoire permettait de reprendre la lutte de classes, l’inlassable travail de propagande et d’organisation interrompu à la fin du septième mois de l’année 1914. Guesde l’avait exprimé sans détour : s’il aurait mieux valu continuer la participation au pouvoir jusqu’à la paix, « maintenant, il [fallait] considérer la situation anormale comme terminée et partir d’une page blanche123 ».
59Une majorité se construit aussi contre un adversaire commun. Le bouc émissaire de la nouvelle équipe majoritaire était tout trouvé : Albert Thomas, praticien et théoricien de l’Union sacrée, ministre jusqu’en septembre 1917, pouvait être expressément désigné comme le responsable des malheurs accumulés, le symbole des erreurs et des faillites du socialisme qui n’avait pu ni empêcher la guerre, ni raccourcir sa durée. Très clairement, Longuet indiquait qu’il voulait l’unité, mais aussi l’épuration. Il rappelait que l’unité et la synthèse voulues par Jaurès avaient exclu des rangs du socialisme « les Millerand et les Briand ». Cela dit, il pouvait manifester sa fierté d’avoir réuni au sein d’un même bureau les représentants de toutes les tendances du Parti : l’ancien minoritaire Frossard au secrétariat, le centriste Cachin à la direction de l’Humanité, assisté d’un proche de Longuet, Dunois, au secrétariat général du quotidien, le majoritaire Camélinat à la trésorerie avec comme adjoint le kienthalien Loriot. Lui-même n’occupait aucun poste particulier, conservant sa seule direction du Populaire, dont le rôle ne pouvait qu’être minoré avec le changement d’orientation de l’Humanité. Son inappétence pour les fonctions d’autorité était connue. Conférencier estimé, il savait qu’on pouvait lui reprocher de ne pas être un grand orateur parlementaire. Sans doute se réservait-il aussi pour la grande tâche de l’après-guerre : le parti français désormais en ordre, il pourrait consacrer ses efforts à la réanimation de l’Internationale.
- 124 Cf. V. Tesnière, « L’histoire aux éditions Alcan (1874-1939) », Vingtième siècle, octobre-décembre (...)
- 125 Edmond Laskine (1890-1943), élève de Durkheim, était un ancien socialiste, membre du Groupe d’étud (...)
- 126 Cf. J. Guillaume, Karl marx pangermaniste et l’association internationale des travailleurs de 1864 (...)
- 127 Longuet dut attendre de nombreux mois un compte rendu étoffé de son livre dans l’Humanité, Roger L (...)
60En outre, peu après le congrès, à la fin du mois d’octobre, Longuet se dota des linéaments de l’autorité intellectuelle en publiant chez Alcan, donc une sérieuse maison universitaire, un ouvrage essentiellement historique : la Politique internationale du marxisme, Karl marx et la France124. Ce fut sans doute le livre le plus accompli de Longuet. Les attaques de James Guillaume, ancien responsable de l’AIT, et d’Edmond Laskine125, normalien et agrégé de philosophie, contre le pangermanisme de Marx l’avait amené dès 1915 à préparer cette riposte126. Il rencontra peut-être quelques difficultés à le faire publier, dans une période certes peu propice aux entreprises éditoriales, puisqu’il semble que son travail était achevé depuis le printemps 1917. Son succès public pâtit vraisemblablement de la date de parution, qui coïncida avec la victoire alliée127. Certains lecteurs jugèrent sans doute excessive la part de la chronique événementielle, de la monarchie de Juillet à la guerre franco-allemande et des moindres commentaires de politique internationale émis par Marx et Engels. L’auteur, qui se présentait explicitement dans son livre comme « historien », voulait prendre exemple sur la guerre franco-allemande de 1870-1871, qu’il considérait comme un « chef-d’œuvre historique ». Bien documenté, sérieux et précis, le livre de Longuet était susceptible de donner à son auteur les signes de distinction qui valorisaient son apport à la direction de la SFIO : même Cachin, licencié de philosophie, n’avait pas d’ouvrage comparable à son actif. Ses références étaient peu contestables : outre Jaurès, Andler, Thomas, Bernstein, Sombart, Albert Sorel même. Il comportait une leçon politique pour le présent : la nécessité de rester fidèle au marxisme, délibérément présenté comme un humanisme, méfiant envers le rôle de l’État et soucieux des indépendances nationales et de la coopération entre les peuples, et un appel à une paix fondée sur des principes semblables à ceux énoncés par Wilson « contre tous les annexionnismes qu’ils soient allemands ou français […] et pour le respect de la morale et du droit ». Le président américain n’était pas cité lui-même, mais l’ouvrage donnait une vision favorable de la démocratie américaine et louait Lincoln, antiesclavagiste et défenseur des droits du travail, dont l’assassinat était rapproché de celui de Jaurès. La figure de Wilson se dessinait donc assez nettement derrière ces pages et il ne serait guère exagéré de voir dans cette défense de Marx et du marxisme un nouvel avatar de l’idéologie et de la sympathie wilsoniennes qui séduisirent l’ensemble du socialisme français à la fin de la guerre. Au passage, étaient rappelées les réserves de Marx sur les possibilités d’une révolution sociale ailleurs qu’en Grande-Bretagne et en France, singulièrement dans la Russie arriérée que représentait Bakounine. De même, les mises en garde de l’auteur du Capital à l’égard de tout mouvement prématuré, de « l’impatience révolutionnaire » des Français pouvaient se lire comme des rappels adressés à l’extrême gauche kienthalienne. Marx était décrit par Longuet comme un révolutionnaire « pondéré dans l’action », malgré quelques écarts regrettables de langage, « des attaques personnelles excessives », notamment dans sa correspondance privée. Engels, en revanche, apparaissait « poussant aux mesures brutales », exerçant « son influence dans le sens d’une action plus autoritaire » : malgré tous les mérites reconnus de l’ami, « le plus fidèle, le plus dévoué », il allait jusqu’à encourir le reproche, peu aimable en cet automne 1918, de manifester dans les controverses une « rudesse toute prussienne ». Quant à Bakounine, on peut se demander si Longuet ne le voyait pas comme une préfiguration de Lénine : militant « sincère et dévoué » certes, mais dont toute la propagande reposait sur l’idée d’une révolution violente « qu’il suffit de “vouloir” ». Le Marx de Longuet était beaucoup plus proche de Jaurès et du socialisme de la Deuxième Internationale. La révolution se définissait au mieux par l’expression d’ » évolution révolutionnaire » : « les révolutions sont le dernier terme d’une série évolutive dans l’économie – l’enveloppe qui se rompt sous l’effort du fruit mûr ».
Notes
1 Le texte fondateur de la minorité fut maintes fois reproduit, entre autres : La Minorité du Parti socialiste, EDHIS, 1985.
2 L. Roland, Carnets, 25 juin 1915, op. cit.
3 Ibid., 30 juillet 1915.
4 Ibid., 9 août 1915.
5 Ibid., 14 juillet 1915. L’Humanité ne publia pas de compte rendu des débats.
6 H. Bourgin, Le Parti contre la patrie, Plon, 1924, 250 p., composé à partir de notes quotidiennes, p. 41.
7 Bourderon avait été le seul français à participer à la conférence de Zimmerwald (5 au 8 septembre 1915).
8 Congrès fédéral de la Seine, décembre 1915, APP, Ba 1535. Le texte de Bourderon avait obtenu 545 mandats (5,2 %).
9 La question décisive d’un éventuel referendum en Alsace-Lorraine était laissée en suspens, au prix d’une subtile formulation : « Pas de paix durable sans que soit rendue aux populations opprimées de l’Europe la libre disposition d’elles-mêmes, et sans que soit rétabli, entre la France et l’Alsace-Lorraine, au nom d’un Droit que le temps n’a pas prescrit, le lien que la brutalité de la Force avait seule tranché en 1871, malgré la protestation socialiste de Bebel et de Liebknecht au sein de la nation allemande elle-même. Ce droit rétabli, la France saura se montrer prévoyante et juste en demandant à l’Alsace-Lorraine elle-même d’affirmer à nouveau solennellement comme le firent ses représentants à l’Assemblée de Bordeaux, sa volonté d’appartenir à la communauté française. »
10 Toutefois, la signature de Longuet ne disparut jamais totalement des colonnes de L’Humanité.
11 J. Longuet, « Au congrès de Bristol », op. cit.
12 Réunion de l’intersection des militants des cantons de Sceaux et de Villejuif, 7 novembre 1915, APP, Ba 1536.
13 L’Humanité, 10 avril 1916. Ce fut à cette occasion qu’eut lieu le premier vote public pour départager, à propos de la reprise des relations internationales, le texte de la majorité rapporté par Renaudel (1987 mandats, 67,4 %) et celui de la minorité présenté par Pressemane (960 mandats, 32,6 %).
14 Selon l’Histoire générale de la presse française, Le Bonnet rouge diffusait environ 50 000 exemplaires en novembre 1917. Le Bonnet rouge, d’abord hebdomadaire, prenait la suite des Droits de l’homme, lui-même héritier en 1914 du Courrier européen, lequel sortit quelques numéros isolés pendant la guerre. Les équipes de rédaction étaient fort proches.
15 J. Longuet, « Alsaciens et Boches », « Des Français qu’il faut reconnaître », Le Bonnet rouge, 20 et 28 octobre 1915. De même, il avait demandé de « ne pas prendre les Arméniens pour des Turcs », L’Humanité, 4 novembre 1914.
16 J. Longuet, « Le réveil du socialisme », Le Bonnet rouge, 11 janvier 1916.
17 J. Longuet, « La condamnation de Liebknecht », Le Bonnet rouge, 30 juin 1916.
18 Une tentative d’implication par le lieutenant Marchand n’eut pas de suite.
19 « Je viens de voir les amis du Contrôle démocratique. Nous allons nous efforcer de constituer la même organisation en France » (lettre de Longuet à R. Rolland, 6 mai 1915, cf. Journal des années…, op. cit., p. 358).
20 Lettre de Charles Gide à Longuet, 21 mai 1915, CRCEDHC, Fonds Longuet, 7/1/140.
21 La Société est étudiée par C. Prochasson, Les Intellectuels…, op. cit., p. 162-167.
22 Il le déclare explicitement dans sa réponse à l’enquête sur une République allemande, Commission socialiste internationale, Berne, n° 3, 29 février 1916, OURS, Fonds Renaud Berès.
23 Manifestation du 1er mai 1886 à Chicago dont la répression fut à l’origine de la journée du 1er mai décidée par le congrès socialiste international de 1889.
24 Les quatre Allemands étaient Liebknecht, député de Potsdam, Haase, député de Kœnigsberg, Bernstein, député de Breslau, Kautsky, directeur de la Neue Zeit. Les Autrichiens Victor Adler, député de Vienne, Nemec et Soukup, députés de Bohème, le Bulgare Sakosov, député de Sofia, figuraient sur la même liste que les Britanniques Mac Donald, Snowden et Anderson, les Américains Meyer London, Morris Hillquit, A. M. Simons et W. E. Walling, le Hollandais Van Kol, l’Italien Turati, le Suisse Grimm, le Géorgien Tcheidzé pour l’Empire russe et l’Argentin Justo.
25 Le 18 janvier 1918, à la Chambre, Pugliesi-Conti mit en cause la fondation du Populaire avec le concours d’Allemands et demanda « un dur et juste châtiment » à l’encontre de Longuet, « à qui l’ascendant de l’hérédité fait oublier ses devoirs de Français ». L’incident très vif permit à Longuet de rappeler une réplique de Jaurès : « Ne m’outrage pas qui veut. » Un duel fut envisagé, quoique Longuet fut hostile à cette coutume. Il choisit comme témoins Mistral, camarade de parti, et Dalbiez, radical-socialiste, proche de Caillaux, influent député des Pyrénées-Orientales. L’outrance de l’attaque permit de faire voter un texte de condamnation des « menées royalistes » par 494 voix contre 13 et Clemenceau dut poser la question de confi ance pour obtenir l’ajout de « ou autres », adopté par 368 contre 118. Cf. Chambre des députés, séance du 18 janvier 1918 et L’Humanité, 19 janvier 1918.
26 L’expression est employée dans la Déclaration du n° 1 du Populaire.
27 J. Longuet, « Excitations chauvines », Le Populaire, 8, 19 juin 1916.
28 J. Longuet, « Qu’est-ce que le militarisme prussien ? », Le Populaire, 5 juin 1916.
29 Le Populaire, 8, 19 juin 1916 ; G. Candar et C. Prochasson, « Jaurès et les officiers républicains », Cahier Jaurès, 3, 1994. Raynal était un socialiste de longue date.
30 Lettre de J. Longuet à A. Dunois, 17 février 1917, archives Catonné-Dunois.
31 J. Longuet, « La folie de la répression », sur-titrée « Chez les chats-fourrés », Le Populaire, 24 avril 1918.
32 Lettre de J. Longuet à A. Dunois, 22 février 1917, archives Catonné-Dunois.
33 Le premier courant centriste ou transactionnel apparut en décembre 1916 autour d’Henri Sellier.
34 Cf. A. Kriegel, Aux origines du communisme français 1914-1920, 2 t., Paris/La Haye, Mouton, 1964.
35 Pour ne pas avoir à se prononcer sur les thèses de Kienthal, les minoritaires se déclarèrent absents au moment du vote par divisions du texte majoritaire, L’Humanité, 8 août 1916.
36 Felipo Turati, lettre à Longuet, 14 août 1916, CRCEDHC, Fonds Longuet, 7/1/174.
37 Longuet justifia le vote favorable de la minorité, en affirmant que Jaurès aurait également approuvé les crédits de guerre pour la défense du pays menacé, cf. J. Longuet, « Les élus de la minorité et le vote des crédits », Le Populaire, 3 juillet 1916.
38 Lettre de Longuet à Huysmans, 16 mai 1916, Milan, Fondation Feltrinelli, Fonds Camille Huysmans.
39 « Déclaration », Le Populaire, 1er mai 1916.
40 J. Longuet, « Ce que veulent les minoritaires », Le Populaire, 17, 21 août 1916.
41 J. Longuet, « Le problème de l’Autriche », Le Populaire, 4 septembre 1916.
42 R. Verfeuil, « De l’action » et « Notre point de vue », Le Populaire, 3 juillet et 25 septembre 1916, Raffin-Dugens, « À l’ami Longuet », ibid., 2 et 30 octobre 1916. Longuet répondit en citant Vigny : « Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse. » Sous la plume d’un parlementaire, avocat de profession, la citation pouvait surprendre !
43 Le Populaire, 23 février 1918.
44 Cf. T. Bonzon et J.-L. Robert, Nous crions grâce, 154 lettres de pacifistes, juin-novembre 1916, Éd. ouvrières, 1989.
45 J. Longuet, « L’unité intangible », Le Populaire, 26 février 1917.
46 Lettre de Longuet à Dunois, 22 février 1917, archives Catonné-Dunois.
47 L’Humanité, 15 février 1918.
48 J. Longuet, « Karl Kautsky et la Neue Zeit », Le Populaire, 24 novembre 1917.
49 Lettre de Longuet à Dunois, 17 février 1917, archives Catonné-Dunois.
50 A. Rosmer, Le Mouvement…, op. cit., II, p. 245. La lettre de Trotski est intégralement publiée, dans une traduction légèrement différente, par P. Broué, Le Mouvement communiste en France (19191939), Éditions de minuit, 1967, p. 51-54.
51 La minorité obtient 4 014 mandats, les kienthaliens 1 333 et la majorité 5 238, Le Populaire, 13 décembre 1916.
52 Louis-Oscar Frossard fut désigné par la CAP du 11 janvier 1917, nomination ratifiée par le conseil national de mars 1917. Auparavant, il exerçait des fonctions similaires pour le compte de la seule minorité.
53 L’Action socialiste, créée par une partie de la majorité, fut lancée le 27 septembre 1916.
54 « J’ai pour Renaudel, pour sa combativité et son énergie, pour d’autres de ses qualités personnelles la plus grande estime. J’ai pour lui, malgré tout, beaucoup d’amitié. Il est une grande force de notre parti » (J. Longuet, « La marche victorieuse de l’Idée internationaliste », Le Populaire, 23 février 1918).
55 APP Ba 1470, réunion de la minorité, 29 mai 1917.
56 B. Souvarine, « Le socialisme intangible », Le Populaire, 5 mars 1917.
57 J. Longuet, « La conférence nationale des socialistes minoritaires », Le Populaire, 13 mai 1917.
58 J. Longuet, « Politique de clarté », Le Populaire, 6 octobre 1917.
59 Animé par Cachin, Bedouce, Moutet, Lafont, Auriol, Sellier, Basch, Fiancette… bientôt rejoints par Sembat et Blum.
60 M. Cachin, intervention à la Chambre des députés réunie en comité secret, 1er décembre 1916.
61 Non sans inquiétude parfois : « Nous sommes hantés par le souvenir de la Révolution française qui « telle Saturne dévorant ses propres enfants » prépara par ses divisions la mort de la liberté et la victoire de la contre-révolution » (J. Longuet, « Au secours de la Révolution russe », Le Populaire, 17 novembre 1917).
62 J. Longuet, « L’offensive réactionnaire dans le Parti », Le Populaire, 25 août 1917.
63 J. Longuet, « Les épreuves de la Russie nouvelle », Le Pays, 31 juillet 1917.
64 Martov, « La politique de Lénine », Le Populaire, 22 décembre 1917 et id., « Les social-démocrates russes contre le léninisme », L’Humanité, 22 décembre 1917.
65 J. Longuet, « À Stockholm ! », Le Populaire, 1er décembre 1917.
66 M. Rebérioux, « Le socialisme et la première guerre mondiale… », op. cit., p. 625.
67 J. Longuet, « Pourquoi nous devons aller à Stockholm », L’Humanité, 14 mai 1917.
68 Sur leur mission, cf. D. Lejeune, « Les missions de la SFIO dans la Russie de 1917 », Revue historique, 564, octobre-décembre 1987 et M. Cachin, Carnets, op. cit.
69 Le Populaire, 28 mai 1917.
70 APP Ba 1470.
71 J. Longuet, « L’offensive pour la paix », L’Humanité, 8 juillet 1917.
72 Kerenski, ministre de la Guerre et de la Marine, était le principal promoteur de l’offensive Broussilov. Le menchevik Tseretelli, ministre des Postes, allait être un mois ministre de l’Intérieur de Kerenski.
73 P. Renaudel, « L’accord fondamental », L’Humanité, 14 février 1918.
74 J. Longuet, « Les résultats de Londres », Le Populaire, 2 mars 1918. Longuet s’opposait cependant au démantèlement de la Turquie, dont il souhaitait « la réorganisation totale sous contrôle de la SDN ».
75 L’essentiel du mémorandum est publié par Compère-Morel dans le dernier volume de son Encyclopédie socialiste, Les fédérations socialistes, III, Quillet, 1921, p. 501-510.
76 Cf. J.-C. Allain, Joseph Caillaux, L’oracle, 1914-1944, Imprimerie nationale, 1981, p. 116. Fin septembre, Dubarry fut remplacé par Gaston Vidal.
77 64 000 exemplaires pour Le Pays contre 66 000 à L’Humanité au 1er novembre 1917, soit le double de la diffusion du Journal du Peuple ou un peu plus que celle du Temps selon l’Histoire générale de la presse française.
78 P. Renaudel, « Pour un gouvernement de guerre » ; A. Thomas, « Ce que les socialistes entendent par gouvernement de guerre » ; P. Renaudel, « Pour un gouvernement de guerre énergique et qui parle clair », L’Humanité, 23 et 30 octobre, 4 novembre 1917.
79 J. Longuet, « Le nouveau ministère et le socialisme », Le Populaire, 22 septembre 1917.
80 Lors du débat parlementaire d’investiture, Longuet lança ainsi « Le temps, c’est du sang », séance du 20 novembre 1917, Chambre des députés.
81 J. Longuet, « Georges Clemenceau et la démocratie », Le Pays, 16 novembre 1917.
82 La CAP du 30 décembre 1917 accepta l’adhésion de Diagne, cf. Le Populaire, 5 janvier 1918.
83 Les commissaires conservèrent leurs fonctions jusqu’en juillet 1918, les reprirent du 1er janvier 1919 jusqu’à la répression de la manifestation du 1er mai 1919. Diagne préféra conserver alors ses fonctions et quitta le groupe socialiste.
84 Le Congrès de Tours, édition par J. Charles et alii, Éditions sociales, 1980, p. 521.
85 Entretien avec Robert-Jean Longuet, 5 juin 1985.
86 Louise Saumoneau, Charles Rappoport furent un temps emprisonnés, mais vite libérés. En l’absence de propagande explicite hostile au principe de défense nationale, il semble bien que l’appartenance au Parti socialiste ait procuré une protection : Paul Meunier n’aurait sans doute pas subi vingt-huit mois de prison s’il avait été socialiste unifié.
87 J. Longuet, « L’heure tragique », Le Populaire, 30 mars 1918. De même, Longuet avait lancé à Clemenceau : « Ici, personne n’est pour la paix à tout prix », séance du 8 mars 1918, Chambre des députés.
88 Réunion du syndicat des cheminots de Paris P.L.M., 26 mars 1918, CARAN, F 7/13 683, cité par J.-L. Robert, Ouvriers et mouvement ouvrier parisien…, op. cit., p. 1686.
89 J. Longuet, « L’heure attendue », « Après l’effort de nos soldats », Le Populaire, 22 juillet et 6 septembre 1918.
90 La Revue républicaine parut d’août 1918 à juillet 1919 (12 numéros, collection à la BDIC, 4° P 358)
91 J. Longuet, « La Russie et l’Internationale », op. cit.
92 J. Longuet, « Au secours de la Révolution russe », op. cit.
93 J. Longuet, « À Stockholm ! », Le Populaire, 1er décembre 1917.
94 Séance du 27 décembre 1917.
95 J. Longuet, « L’heure tragique », Le Populaire, 30 mars 1918. Les dirigeants russes avaient songé en février à faire appel aux alliés si les Allemands avaient continué leur offensive.
96 J. Longuet, « Les bolcheviks et l’Allemagne », Le Populaire, 30 août 1918.
97 J. Longuet, « La Russie et nous », « La République des Soviets et ses détracteurs », Le Populaire, 22 décembre 1917 et 10 novembre 1918.
98 Le Populaire, 26 janvier 1918.
99 Le Populaire, 26 janvier et 16 février 1918.
100 Le Populaire avait déjà publié en mars 1918 des reportages de Madeleine Doty, « Joies et douleurs en Bavière », traduits par Anita Longuet.
101 Séance du 11 janvier 1918, Chambre des députés.
102 J. Longuet, « Une heure avec Kerensky » et « Ce que dit l’ambassadeur de la République des Soviets », Le Populaire, 3 et 6 juillet 1918.
103 APP Ba 1470, rapport du 10 juillet 1918.
104 Conseil national des 28 et 29 juillet 1918, L’Humanité, 29 juillet 1918.
105 Chambre des députés, séance du 29 décembre 1918.
106 J. Longuet, « Le Populaire quotidien », Le Populaire, 9 février 1918.
107 Pour la commodité, nous maintenons comme référence unique Le Populaire sans prendre en compte les modifications de titre ou de sous-titre. Le Populaire perdra son qualificatif de Paris du 1er décembre 1927 au 14 janvier 1936.
108 La fonction de Barbusse est clairement définie par Longuet : « drapeau vivant pour les combattants et les mutilés ».
109 La lettre de Barbusse à Longuet, 26 avril 1918, CRCEDHC 7/1/29, indiquait bien le caractère symbolique de cette direction et la primauté du rôle de Lefebvre : « Le Populaire ne pourrait-il envoyer ici Raymond Lefebvre avec lequel je sympathise à tous les points de vue et qui est un esprit aussi actif que lucide ? Je vous parlerai par son intermédiaire… » ; S. Ginsburg, Raymond Lefebvre et les origines du communisme français, Tête de feuilles, 1975 ; J. Relinger, Henri Barbusse écrivain combattant, PUF, 1994.
110 Cf. lettres de Romain Rolland à Longuet, Le Populaire, 15, 25 et 28 août 1918.
111 Les familles Longuet et Lefebvre, originaires toutes deux de Normandie, se connaissaient. Selon Longuet, ce fut Lefebvre qui amena notamment Vaillant-Couturier et Barbusse au Populaire. Cf. J. Longuet, « Dans l’océan glacial », Le Populaire, 2 décembre 1920.
112 Avec Barbusse figuraient Romain Rolland, dont Longuet aurait souhaité un engagement encore plus net, Bataille, Gorki, Lefebvre, Vaillant-Couturier, et aussi, journalistes cultivés et militants, La Fouchardière, Dunois, Pioch…
113 L’affaire Dreyfus avait provoqué une première rencontre entre intellectuels, action politique et organisations socialistes. La première Humanité de 1904-1905 en portait encore témoignage avec la participation de nombreux intellectuels dreyfusards.
114 Cf. C. Prochasson, Les Intellectuels, le socialisme…, op. cit., p. 135. Les chapitres v et vi de ce livre sont directement consacrés à ces « intellectuels en action ».
115 Lettre de Barbusse à Longuet, 26 novembre 1918, CRCEDHC, Fonds Longuet, 7/1/30. « Le banquet du Populaire », Le Populaire, 22 avril 1919.
116 Le premier groupe avait été créé en juillet 1917. 60 groupes purent être recensés (15 à Paris, 24 en banlieue, 20 en province et 1 à Tunis), cf. J.-L. Bouvier, Le Populaire de Paris, maîtrise, Paris X, 1972.
117 J. Longuet, « La victoire des principes est réalisée », Le Populaire, 31 juillet 1918. La motion déposée par Longuet, Mistral et Cachin, donc par les minoritaires et les centristes, obtint 1 544 mandats (53,8 %) contre 1 172 (40,9 %) à celle de Renaudel et 152 (5,3 %) à celle de Loriot.
118 G. Sorel, Lettres à Paul Delesalle, Grasset, 1947, p. 161.
119 J. Longuet, intervention au congrès, L’Humanité, 7 octobre 1918.
120 Longuet, Mistral, Faure, auparavant pressentis, se seraient récusés, cf. L.-O. Frossard, De Jaurès à Lénine, notes et souvenirs d’un militant, Éd. de la NRS/BDS, 1930, p. 47.
121 J. Longuet, « L’unité à gauche », Le Populaire, 17 octobre 1918. Longuet, qui déclara au congrès « n’avoir aucun goût pour jouer les chefs » (L’Humanité, 8 octobre 1918), présenta et complimenta les différents membres de la nouvelle direction, avec des éloges particulièrement appuyés pour Cachin, « ardent tribun, impétueux propagandiste qui si souvent fit vibrer l’âme des foules prolétariennes de Paris et de province […] le plus conciliant, le plus fraternel des camarades, préoccupé de suivre la grande tradition de bonté et de tolérance, en même temps que de continuité et de synthèse dans l’action qui fut celle de notre grand disparu ». Le rôle déterminant de Longuet dans la répartition des postes est confirmé par un rapport de police, 16 octobre 1918, APP Ba 1470.
122 « Pour ma part, je ne suis pas mécontent ; et je constate avec plaisir que ce sont nos vieilles idées du POF qui reparaissent, rajeunies. C’est le triomphe du guesdisme… du marxisme » (L. Roland, Carnets, op. cit., 23 avril 1919).
123 L. Roland, Carnets, op. cit., 11 janvier 1919.
124 Cf. V. Tesnière, « L’histoire aux éditions Alcan (1874-1939) », Vingtième siècle, octobre-décembre 1990 et le Quadrige, PUF, 2001.
125 Edmond Laskine (1890-1943), élève de Durkheim, était un ancien socialiste, membre du Groupe d’études socialistes et professeur à l’École socialiste.
126 Cf. J. Guillaume, Karl marx pangermaniste et l’association internationale des travailleurs de 1864 à 1870, A. Colin, 1915 ; E. Laskine, les Socialistes du Kaiser, la fin d’un mensonge, Floury, 1915, id., l’internationale et le pangermanisme, Plon-Nourry, 1916.
127 Longuet dut attendre de nombreux mois un compte rendu étoffé de son livre dans l’Humanité, Roger Lévy, « À propos du livre de Jean Longuet », l’Humanité, 14 mai 1919, celui du Populaire, rédigé par Dunois, parut dans le Populaire du 28 octobre 1918.
© Presses universitaires de Rennes, 2007